L’Information psychiatrique 2013 ; 89 : 311–7 LES CLASSIFICATIONS Classifications : sœurs et rivales. Enjeux pour la pédopsychiatrie Yvonne Coinçon Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 05/06/2017. RÉSUMÉ Les trois classifications, CFTMEA, CIM10 et DSM-IV, sont employées à divers titres par les pédopsychiatres. Leur influence sur la pratique clinique et l’épidémiologie tient à des facteurs divers. Elles sont ici comparées par un bref rappel historique, puis dans leurs modes d’élaboration afin d’attirer l’attention sur leur incidence sur la pratique et les recherches. Le mode d’emploi de la CFTMEA R-2012, qui désormais compte un tableau de correspondance terme à terme avec la CIM-10, est exposé. Clinique, recherche, épidémiologie et valorisation économique sont les quatre dimensions de leur usage. Mots clés : nosologie, CFTMEA, CIM, DSM, critère, diagnostic médical, épidémiologie, pédopsychiatrie, étude comparative ABSTRACT Classifications: sisters and rivals. Challenges for child psychiatry. The three classifications, CFTMEA (the French Classification for Child and Adolescent Disorder), ICD-10 and DSM-V (formerly known as DSM-IV), are used in various ways by child psychiatrists. Their influence on clinical practice and epidemiology is due to various factors. They are compared here in a brief history, which describes their modes of development in order to attract attention to their impact on practice and research. The CFTMEA R-2012 manual that now contains a term-by-term table and corresponds to CIM-10 is presented. Clinical, research, epidemiology and economic assessment are the four dimensions of their use. Key words: nosology, CFTMEA, ICD, DSM, criteria, medical diagnosis, epidemiology, child psychiatry, comparative study RESUMEN Clasificaciones : hermanas y rivales. Lo que está en juego para la pedopsiquiatría. Las tres clasificaciones CFTMEA, CIM-10 y DSM-IV están empleadas de diverso modo por los pedopsiquiatras. Su influencia en la práctica clínica y la epidemiología tiene que ver con diferentes factores. Están aquí comparadas en un breve repaso histórico, luego en sus modos de elaboración con el fin de llamar la atención en su incidencia en la práctica y la investigación. Se presentan las instrucciones de empleo de la CFTMEA R-2012, que en adelante cuenta con unas tablas de correspondencia término a término con la CIM. Clínica, investigación, epidemiología y valorización económica son las cuatro dimensiones de su uso. doi:10.1684/ipe.2013.1057 Palabras claves : nosología, CFTMEA, CIM, DSM, criterio, diagnóstico médico, epidemiología, pedopsiquiatría, estudio comparativo Praticien honoraire, Centre hospitalier Alpes-Isère, 3, rue de la Gare, 38521 Saint-Egrève, France <[email protected]> Tirés à part : Y. Coinçon L’INFORMATION PSYCHIATRIQUE VOL. 89, N◦ 4 - AVRIL 2013 311 Pour citer cet article : Coinçon Y. Classifications : sœurs et rivales. Enjeux pour la pédopsychiatrie. L’Information psychiatrique 2013 ; 89 : 311-7 doi:10.1684/ipe.2013.1057 Y. Coinçon Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 05/06/2017. Introduction Le débat sur les classifications infiltre toute l’histoire de la psychiatrie. Tous les concepteurs de classifications ont eu à se déterminer sur les objectifs poursuivis et sur les critères des « objets » à ordonner afin d’y parvenir. Les objets sont ici les pathologies mentales, mais on retrouve les mêmes préoccupations pour la classification des plantes, des minéraux, etc. Dans la littérature sur ces questions, les classifications doivent reposer sur les trois piliers que sont la fiabilité, la validité et la sensibilité. La fiabilité suppose que tous les utilisateurs aboutiront avec elle, au même résultat d’identification, donc formuleront le même diagnostic ; la validité tient à ce que chaque « objet » classé réponde à la description qui en est faite, et la sensibilité doit permettre de discriminer des « objets » proches mais dissemblables, en médecine, c’est le diagnostic différentiel. Une classification des pathologies mentales doit donc répertorier des affections aux contours suffisamment précisés, ordonnées suivant des critères d’inclusion et d’exclusion pour que des praticiens distincts s’accordent sur un diagnostic, après avoir repéré les différences avec des affections proches mais dissemblables. À défaut d’une description assez précise et sans ambiguïté des affections en cause, les risques sont, d’une part, d’avoir à faire le diagnostic d’une maladie indéfinissable faute d’avoir accepté de débattre des hypothèses théoriques sur sa nature et, d’autre part, de la réduire à une liste de symptômes cibles du traitement, indépendamment des circonstances d’apparition et du patient concerné [13]. Quelle que soit la classification choisie, il importe que la fiabilité et la validité des catégories diagnostiques soient établies à partir d’études sur le terrain ; nous verrons que ce n’est pas le cas pour la CIM et le DSM [6, 27]. Fragments d’histoire comparée Ces dernières années, CFTMEA [5], DSM-IV [4] et CIM-10 [5] ont alimenté les controverses et les polémiques dans des comparaisons qui pourraient surprendre tant leurs origines, leur époque de conception et leurs critères diffèrent. Elles ont bien sûr des points communs. Les deux premières sont consacrées aux seules pathologies mentales, la dernière compte un chapitre sur ces pathologies. La CIM-10 est issue d’une longue histoire marquée dès 1890 par Jacques Bertillon, médecin et statisticien français, dans une perspective épidémiologique mondiale, des maladies sources de mortalité. L’OMS s’inscrit dans les suites et veillera à regrouper dans un seul chapitre les pathologies mentales jusque-là dispersées dans les autres. L’option épidémiologique n’a pas toujours été la seule préoccupa- 312 tion [15]. La nomenclature, d’une part, et l’étiologie, d’une autre, se sont tour à tour présentées comme des valeurs classantes. Mais les ambitions de santé publique dont l’OMS a la charge les ont reléguées en arrière plan. Sa vocation statistique implique qu’elle suive l’évolution des connaissances, non qu’elle constitue un élément de leur validité comme critère d’éligibilité pour les publications internationales faute de quoi, elle ne fera que valider les standards et toute nouvelle connaissance peinera à être diffusée. La première version du DSM est publiée en 1952. Dès la troisième version (DSM-III, 1980), les intentions ont été de renforcer la fiabilité, appelée actuellement fidélité interjuge, dans une double perspective [21] à savoir crédibiliser la psychiatrie comme discipline médicale bien qu’aucune lésion organique connue, aucun marqueur biologique ou d’imagerie ne soient retenus, et faciliter les échanges et travaux des cliniciens et chercheurs. Il se pose comme un outil pour poser un diagnostic libre de l’influence du praticien [18, 25], prouesse que même la médecine somatique ne parvient pas à réaliser puisque le choix des examens complémentaires et leur interprétation dépendent encore (?) de lui. Pour ce faire, il donne pour chaque trouble, une liste étendue de critères, simples, observables, donc situés au niveau des comportements, dont l’effet est de rendre les diagnostics non discriminants entre des manifestations dissemblables. La formulation de « spectre autistique » en est la traduction. Cette extension répond peut-être à la demande des familles de dé-stigmatiser mais nuit gravement à la qualité des soins vers laquelle chacun veut tendre en amenant à grouper sous ce vocable des profils cliniques variés pourvu qu’ils répondent aux critères d’inclusion au moins pour une partie de leurs manifestations. Il comporte un chapitre intitulé « Troubles habituellement diagnostiqués pendant la première enfance, la deuxième enfance ou l’adolescence », qui révèle ce qu’il affirme par ailleurs : « Proposer une section à part pour les troubles dont le diagnostic est habituellement porté pendant la première enfance ou la deuxième enfance ou l’adolescence est un exercice de pure forme1 et n’est pas censé suggérer qu’il existe une distinction claire entre les troubles de l’enfant et les troubles de l’adulte » et plus loin : « Pour la plupart des troubles du DSM-IV (mais pas pour tous), un seul ensemble de critères s’applique aux enfants, aux adolescents et aux adultes ». Ces précisions indiquent que « le trouble » est une chose en soi, indifférente à l’âge, le contexte personne, social, culturel. Cette vision du trouble a des effets apaisants car il est au centre du diagnostic, il est la seule cible du traitement, évacuant tout recours aux interrelations dialectiques de quelque ordre que ce soit. Simplification extrême et séduisante à un moment où la pression est très forte pour arriver à des soins rapidement efficaces donc peu coûteux [14]. 1 Souligné par l’auteur. L’INFORMATION PSYCHIATRIQUE VOL. 89, N◦ 4 - AVRIL 2013 Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 05/06/2017. Classifications : sœurs et rivales. Enjeux pour la pédopsychiatrie Enfin, il se réclame de l’athéorisme [8], affirmation paradoxale : sa théorie est de pouvoir se passer de toute théorie. La CTMEA dans sa première version est publiée en 1988. Elle met l’accent sur la clinique psychodynamique, à visée mutative et une approche pluridimensionnelle incluant les données organiques et le contexte environnemental du patient. L’ambition d’universalité est manifeste et assumée pour la CIM-10 et le DSM, tentative d’harmoniser grâce à un langage commun, sorte d’espéranto des psychiatres du monde entier, les statistiques épidémiologiques et par voie de conséquence les travaux de recherche sur les pathologies mentales considérées comme un fléau de santé publique [18]. À l’origine, aucune des trois ne se veut un outil diagnostique [8]. Celui-ci précède la mise en ordre classificatoire. C’est une démarche intellectuelle qui permet de comparer les éléments recueillis au cours de l’examen à la description des maladies, modèles qui servaient autrefois de base à la formation théorique et d’étalon pour juger de la qualité des épreuves aux examens et concours des médecins [13]. Pourtant, dès le DSM-III et la CIM-9, ces classifications deviennent des instruments pour le diagnostic et une base pour l’enseignement de la psychiatrie. Toutes deux sont élaborées par consensus, au terme de débats organisés autour de l’inventaire des signes à retenir, plus ou moins influencés par des pressions. C’est ainsi que sous la pression des associations d’homosexuels, l’homosexualité est sortie du glossaire. Actuellement, des voix se font entendre pour sortir le syndrome d’Asperger. Que l’une ou l’autre soit un mode existentiel comme l’affirment leurs représentants n’est pas le propos de cet article. Ce qui est souligné, c’est la procédure pour décider de la constitution du glossaire. L’accepter ou le refuser ne peut reposer que sur une connaissance de ses modalités de constitution. Dans les révisons en cours du DSM-IV et de la CIM-10, c’est le terme de « psychose » qui est mis en débat en raison de la stigmatisation qui lui est liée et de l’imprécision de sa définition. Mais la stigmatisation est-elle due au nom ou à d’autres caractéristiques de la personne, de son rapport aux autres, du rapport de chacun à la différence ? Aucuns travaux qui permettraient d’apprécier les critères de fiabilité, validité et sensibilité ne viennent soutenir leur élaboration. Afin que le consensus persiste, elles sont soumises à des révisions périodiques plus ou moins régulières [28]. La CFTMEA se distingue des deux autres sur plusieurs points. Centrée sur la pédopsychiatrie, elle est la seule à affirmer la spécificité de la psychopathologie infantile, intimement liée à cette période de la vie, où le développement, les caractéristiques individuelles et le contexte environnemen- tal revêtent une importance particulière. Loin d’être une préfiguration de ce que sera la psychopathologie de l’adulte qu’il deviendra. Considérant qu’aucune classification ne peut s’établir sans avoir choisi des critères, elle affiche son point de vue théorique, à savoir la dimension psychopathologique des maladies mentales, sans ignorer les facteurs somatiques et d’environnement qui conditionnent son expression. Considérant également, que toute classification reflète peu ou prou, l’état du savoir à une période donnée, ses concepteurs sont restés attentifs aux recherches scientifiques et sociologiques. Elle a été élaborée par des cliniciens [24], procédant dans un premier temps au repérage d’un ensemble de critères de fonctionnement de la personne, de son comportement, de son psychisme pour décrire les pathologies à partir de leurs signes les plus discriminants, car c’est une des problématiques à résoudre pour toute tentative nosographique que de différencier les anomalies entre elles et le normal du pathologique. C’est sur cette base que chacune est définie, sans référence à l’étiopathogénie de tous ordres, sachant que si les théories du fonctionnement psychique et en particulier les fondements de la psychanalyse permettent l’étude des relations interpersonnelles [12], à soi et au monde, le développement des neurosciences ouvrait des perspectives pour la compréhension de la physiopathologie. En effet, la différence est majeure avec nombre de pathologies somatiques dont le processus d’apparition et de développement sont connus, permettant aux somaticiens de construire un vocabulaire commun. Elle a ensuite été mise à l’épreuve auprès des pédopsychiatres dans les services sur tout le territoire avant sa première publication, sous l’égide de Nicole Quemada, directeur du Centre collaborateur de l’OMS-Inserm [27]. La CFTMEA résiste Comme les deux autres, elle a obtenu l’agrément de confrères dans plusieurs pays, elle est traduite en espagnol (2004) et diffusée en Amérique du Sud, en arabe surtout connue au Maghreb, mais utilisée également en Russie et en Angleterre. En dépit de ces fragments d’histoire, un argument est développé dans certaines publications, ou en d’autres occasions, selon lequel les praticiens qui persistent dans son utilisation défendent une exception française dénuée de validité et les comparent aux habitants d’un célèbre village gaulois résistant à son inévitable déclin [25]. Ses détracteurs ignorent probablement qu’elle dépasse le cadre de la francophonie et cela de longue date. De résistance, oui, il en est question. Résistance à une uniformisation de la pensée, à une dévitalisation de la clinique, le Pr Roger Misès, récemment décédé, la prônait encore quelques mois avant sa disparition. L’INFORMATION PSYCHIATRIQUE VOL. 89, N◦ 4 - AVRIL 2013 313 Y. Coinçon Peu à peu, néanmoins, la CFTMEA a trouvé sa place dans la pratique et dans les débats. La présentation de la version R-2012 à la Société des Annales médicopsychologiques en novembre 2011 a inspiré aux psychiatres d’adultes, la constitution d’un groupe de travail pour construire leur propre outil. Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 05/06/2017. Dans la pratique clinique La pédopsychiatrie est issue d’une discrimination opérée au sein des asiles qui hébergeaient des enfants présentant des déficits profonds, des troubles du comportement, des pathologies organiques invalidantes, etc. Dans un premier temps, deux catégories ont été identifiées : les éducables et les non-éducables. Pour ces derniers, le handicap était considéré comme fixé, immuable, relevant uniquement de mesures d’assistance et cette notion est restée attachée pendant longtemps à certaines pathologies mentales de l’enfant. Or, l’organisation de soins personnalisés, multiprofessionnels, articulés à des actions éducatives et pédagogiques a permis de démentir cette lourde assertion. Roger Misès en a fait la preuve à la Fondation Vallée et il a tiré de cette expérience, la source de sa position sur la question du handicap vu non plus comme une donnée irréductible et réductrice de la personne mais comme une altération d’une partie de ses capacités coexistant avec des secteurs de fonctionnement intacts. Avec ses collaborateurs, il a voulu que cette notion d’évolutivité des troubles pathologiques sous l’effet des prises en charge, et des troubles transitoires du fait du développement individuel se traduise dans un diagnostic révisable, aboutissement de l’observation continue de l’enfant dans son expression pathologique et dans ses rapports à son environnement humain, et matériel. Son mode d’emploi en est la traduction Chaque fois que le diagnostic doit être donné, la clinique enseigne sur la symptomatologie qui pourra être référée à l’axe I général, consacré aux structures définies comme un ensemble de positions libidinales et de modalités défensives contre les angoisses, ainsi que le type des angoisses. Cette notion permet de garder une pensée souple sur la question de la structure, celle-ci n’étant pas une donnée figée puisque les éléments qui la composent sont susceptibles d’évoluer sous l’effet de la maturation et des soins. L’identification de la structure amène à un classement dans une des quatre premières catégories de l’axe I général, qui sont exclusives l’une de l’autre. L’axe I général est assorti d’un axe I bébé de 0 à 3 ans, rendu indispensable par le développement des connaissances et des pratiques auprès des enfants de cette classe d’âge. Elle est destinée à aider les cliniciens à repérer des manifestations non décrites dans les autres chapitres car très spécifiques de cette période de la vie. Ce chapitre est 314 inchangé dans la version R-2012 et reçoit une cotation spécifique car, d’une part, la CFTMEA est la seule à proposer une spécification bébé et, d’autre part, une révision ne pouvait reposer que sur des travaux des cliniciens, engagés mais qui restent à développer et étendre aux nombreux acteurs de la psychiatrie périnatale. Sur l’axe I général, de nombreux patients présentent des manifestations qui ne permettent pas ce diagnostic de structure, mais des symptômes « isolés », classés dans les catégories 5 à 9 et, enfin, pour ceux d’entre eux qui présentent des manifestations rencontrées habituellement chez tout enfant de la même tranche d’âge, perçues comme difficiles à vivre par l’entourage ou de durée plus prolongée entreront dans la catégorie numérotée 0, intitulée « Variations de la normale » et placée dans le manuel entre 4 et 5 [30]. Cette dernière catégorie est une des traductions, mais non la moindre, du rôle préventif de l’intervention de la psychiatrie infantojuvénile. En accordant son attention à des manifestations qui ne sont pas pathologiques mais qui pourraient faire le lit d’une évolution préjudiciable, la pédopsychiatrie répond à l’impératif de prendre en compte la souffrance psychique si présente dans les discours actuels et si peu ou mal traduite par les décideurs dans leur regard sur les dispositifs de prévention mis à mal ces dernières années. Il y a ici un enjeu majeur pour l’accès à des interventions bien calibrées dont la santé publique française peut s’enorgueillir. Le glossaire vient à l’appui de cette démarche en indiquant les critères d’inclusion et d’exclusion. L’axe II est celui des facteurs associés ou antérieurs, éventuellement étiologiques [7]. Dans le titre de ce chapitre, les deux derniers mots sont essentiels. On y trouve les facteurs organiques qui ont pu avoir une influence sur le développement du bébé, de l’enfant, ou qui affectent encore sa santé sans faire un lien de causalité2 entre les uns et les autres. De même pour les facteurs d’environnement. Par exemple, le fait d’avoir subi des abus sexuels peut rendre malade, ce n’est pas systématique. Quand la pathologie survient, il est très délicat de relier les faits subis avec les troubles observés. Certains enfants présentaient déjà des troubles antérieurement aux faits, troubles connus ou repérables dans l’après-coup. De même pour l’adoption. Une angoisse de séparation chez un enfant adopté n’est pas nécessairement en lien avec cette situation, elle peut s’être développée dans le cadre de la relation avec ses parents adoptifs. La perspective du RIMPsy avec codage en CIM-10 et l’incidence qu’il pourra avoir sur la planification sanitaire, en objectifs et en moyens, a donné l’impulsion à cette actualisation. 2 Souligné par l’auteur. L’INFORMATION PSYCHIATRIQUE VOL. 89, N◦ 4 - AVRIL 2013 Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 05/06/2017. Classifications : sœurs et rivales. Enjeux pour la pédopsychiatrie Les tableaux de correspondance précédents répondaient au souci de préserver la communication internationale et pouvait se concevoir car la CIM-10 et la CFTMEA ont en commun des critères épistémologiques [29] : la sémiologie du comportement, la fréquence des regroupements de symptômes et la notion de développement psychologique. Pour la CFTMEA R-2012, il a été décidé de parvenir à une correspondance terme à terme entre ses codes et ceux de la CIM-10 dont l’utilisation est obligatoire pour le recueil de données d’activités des établissements. Les versions précédentes proposaient parfois plusieurs codes CIM-10 à associer entre eux [22] pour correspondre à un seul code CFTMEA [3]. Outre que l’usage était malcommode, cette disposition empêchait toute intégration de la correspondance dans les programmes informatiques, puisque ici le langage est binaire. En proposant la version R-2012, l’objectif est que les praticiens qui le souhaitent conservent leurs références théoriques sur la psychopathologie et que la traduction en code CIM soit automatiquement fournie par le programme informatique. Peut-on penser que deux classifications aussi différentes que la CIM-10 et la CFTMEA puissent être mises en correspondance avec quelque validité ? Bien évidemment, une classification des troubles et une classification des organisations psychiques ne seront jamais totalement superposables et si tel était le cas, elles n’auraient aucune raison de subsister toutes les deux. On peut donc s’attendre à recevoir des avis d’utilisateurs sur leur difficulté à accepter telle ou telle correspondance proposée. Ces réactions sont attendues afin que la pertinence des remarques ayant été retenue, elles donnent lieu aux prochains aménagements qui devraient prolonger le travail que Roger Misès animait encore il y peu. Le groupe3 qui a travaillé sur cette version a collaboré avec l’Agence technique d’information hospitalière (ATIH) qui l’a d’ores et déjà intégrée dans les documents qu’elle propose sur son site. Il ne reste plus à franchir qu’une étape, celle de l’intégration dans les programmes informatiques qui sont utilisés pour les dossiers patients. Avec la correspondance réalisée pour l’axe II, c’en est fini de chercher dans la CIM entière les facteurs que l’on estiment devoir retenir, et il n’y a pas d’exclusion entre eux, un même patient peut cumuler des antécédents de pathologie somatique néonatale, un placement en famille d’accueil et un parent malade, tous indicateurs qui ne sont pas des comorbidités. Axe I et axe II conjugués accompagnent une démarche diagnostique intégrant les interactions circulaires entre facteurs individuels, familiaux, somatiques et environnementaux. 3 Dr M. Botbol, Pr C. Bursztejn, Drs Y. Coinçon, B. Durand, J. Garrabé, N. Garret-Gloanec, Prs B. Golse, P. Jeammet, R. Misès, Dr C. Portelli, Pr J.P. Raynaut et G. Schmitt, Dr J.-P. Thévenot. Il n’a été question jusqu’ici que de la pratique auprès des patients, du choix diagnostique et du repérage des facteurs associés et/ou d’environnement. Mais l’incidence de cette nouvelle version pour les études épidémiologiques et pour les recherches n’est pas à négliger car le cumul de tous les items de l’axe II pour tous les cas inclus garde toute sa validité et prend toute sa valeur pour affiner les connaissances sur ces pathologies, leur contexte de développement et l’épidémiologie. L’élaboration de cette dernière version a eu un autre objectif : celui de poursuivre les articulations avec l’OMS en cette période sensible de révision de la CIM-10 pour, d’une part, contribuer à l’élaboration du consensus et, d’autre part, tenter de faire prendre en considération les caractéristiques particulières de la psychiatrie infantojuvénile. Avec le DSM et la CIM Ils reposent sur un principe descriptif. Ils proposent au praticien de procéder à une recension de signes comportementaux, considérés comme assez objectifs pour être observés par des professionnels de la santé, des parents, des enseignants, voire le patient lui-même, pour obtenir leur inclusion dans un « trouble ». Ce procédé de case à cocher pour parvenir à identifier un « trouble » réalise un déni de la complexité des personnes et de leur psychisme. Celui-ci n’est rapporté ni à l’âge du patient, ni aux circonstances d’apparition des signes. Par cet abord des faits cliniques, il fait fi de l’épigenèse, regroupe les manifestations cliniques en catégories ignorant toutes dimensions tempéramentales, hormonales, environnementales, sociologiques. . . dont l’influence sur le développement individuel est, pour beaucoup de pédopsychiatres français, indispensable à considérer. Le risque majeur d’une pratique basée sur ce point de vue est que le malade disparaisse derrière sa maladie. Peu importent les circonstances d’apparition du « trouble », et celles de la vie du patient. Cet aspect était très prégnant dans le rapport de l’Inserm sur le « Trouble des conduites ». Dès trois ans, un enfant qui peut sans remord s’approprier les jouets des autres ou pire lever la main sur eux, et qui plus est mentir court le risque de se voir qualifier « à risque » d’être porteur de ce trouble et à terme délinquant, et doit être l’objet d’une attention particulière, voire d’un traitement. Quel enfant de trois ans ne répond pas, peu ou prou, à ces critères ? Est-on prévenu contre les enfants potentiellement dangereux ou nous demande-t-on de faire une prévention prévenante envers les personnes ? Sorties de leur contexte d’apparition, les manifestations cliniques peuvent non pas s’articuler entre elles témoignant de l’intrication de tous les éléments du développement, mais devenir des pathologies associées. Un enfant gêné dès les premiers apprentissages par sa dyslexie d’apparition précoce, assez perspicace pour observer comment ses petits L’INFORMATION PSYCHIATRIQUE VOL. 89, N◦ 4 - AVRIL 2013 315 Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 05/06/2017. Y. Coinçon camarades parviennent aux performances qu’il souhaite aussi réaliser est blessé, perd confiance en lui, se déprime ou s’agite. Il aura droit à au moins deux diagnostics associés là où la CFTMEA propose de retenir un diagnostic principal pour ce qui domine le tableau, la dyslexie ou la dépression, mais une prise en charge des deux ensemble car c’est de lui dont il s’agit de s’occuper. L’usage de telle ou telle de ces trois classifications suppose que l’utilisateur en connaisse les intentions, l’architecture et le mode d’emploi, qu’il se serve des descriptions qu’elles contiennent avec critères d’inclusion et d’exclusion. À ma connaissance, très peu de praticiens du service public disposent de la version intégrale de celle qu’ils mettent en œuvre. Il apparaît que, très souvent, ne sont utilisées que des listes de codes et/ou tableaux de correspondance. Il est licite de penser que dans ces conditions, le codage diagnostique soit parfois imprécis, sans compter la réserve qu’avancent certains praticiens pour afficher un diagnostic dont ils craignent les effets sur le patient, son évolution ou ses conditions de vie, et qu’ils en restent à des choix minimalistes [28]. Si bien que le recueil des données d’activités risque fort d’être entaché de distorsions non négligeables. Or la perspective du RIMPsy et son incidence sur le financement des activités reposent sur des statistiques censées être fiables. L’épidémiologie malmenée Les premières études sur l’autisme, menées quand le modèle de Kanner servait de référence pour le diagnostic, indiquaient un taux de prévalence de 5/10 000. Sur la base du DSM-IV, l’autisme et autres TED, grande enveloppe qui contient des entités non discriminées entre elles, autisme typique et atypique, psychoses symbiotiques, dysharmonies psychotiques, voire déficiences profondes, grâce à l’élargissement des critères diagnostiques, on parvient à un taux de 1 % dans certaines études [8]. La naissance d’hypothèses nombreuses et parfois fantaisistes, sur l’inflation galopante de ces manifestations, qui prend l’allure d’une épidémie se comprend bien dans ces conditions. De même, le TDAH, isolé comme un trouble en soi, bien que parfois associé à des comorbidités4 : anxiété, angoisse, dyslexie, etc., connaît un succès diagnostique exceptionnel. A contrario, les névroses ne sont plus décrites donc plus diagnostiquées comme telles, ont-elles disparu ? Le phénomène promet de s’aggraver à l’occasion de la révision, il est prévu en effet que le DSM-V élargisse les critères d’inclusion, crée de nouvelles catégories [1] comme les troubles alimentaires sans vomissements, ou l’hypersexualité. La version IV compte 297 entrées, la version V promet d’en contenir plus encore, laissant peu de 4 Souligné par l’auteur. 316 chance à tout un chacun d’échapper à un diagnostic, avec ou sans souffrance psychique ressentie [18]. Dans ces deux cas, la traduction épidémiologique donne le vertige et incite à penser qu’il y a là des problèmes de santé publique majeurs, justifiant des recommandations de bonnes pratiques très médiatisées. Ces recommandations s’appuient sur des travaux qui revendiquent leur inscription dans l’EBM laquelle valide des standards et laisse peu de place à l’innovation. Les familles concernées sont évidemment attentives aux réponses qui doivent être données à leur demande de voir leur enfant bénéficier d’un diagnostic précoce devenu gage de qualité et de transparence [17], d’une prise en charge adaptée et souhaitent un retour rapide vers l’apaisement des difficultés de leur enfant. Les autorités dépendantes des avis « éclairés » et placées sous la pression de groupes d’experts et/ou de familles, mais également soumises à l’impératif du contrôle des budgets alloués, penchent tout naturellement vers ce qui leur est présenté comme vérité scientifique. L’incidence sur le système de soins a pu être mesurée à l’occasion de la publication des recommandations de l’HAS. En 2005, lors de l’élaboration des recommandations sur le diagnostic de l’autisme et de la création des CRA, leur charte soutenait « la nécessité de prendre en compte la pluralité des conceptions » étiologiques et la multiplicité des méthodes d’accompagnement [8]. Six ans plus tard, sans qu’aucune découverte indiscutable ne soit venue bouleverser la pluralité des conceptions, la HAS produit son rapport sur les prises en charge dans lequel elle déclare les PEC psychodynamiques peu probantes, les autres le sont-elles et selon quels critères ?, et les déclarent non recommandables. Elle ouvre ainsi la voie d’une exclusion du service de soins psychiques d’une partie de la population. Ne seraitce pas discriminant pour toutes les familles qui s’adressent volontairement à ces services ? Des associations de familles se sont saisie de l’opportunité pour demander la fermeture des hôpitaux de jour, comme si seuls des TED y recevaient des soins, et le transfert des crédits vers des structures « plus performantes5 ». Qu’adviendrait-t-il des patients si une telle demande était suivie d’effets ? Pourraient-ils tous bénéficier pleinement de prises en charge éducatives et rééducatives, sans prise en compte de leur fonctionnement psychique dans des écoles ou des établissements dont tous s’accordent à dire qu’ils ne sont pas assez nombreux et dont personne n’a donné la preuve de leur pertinence pour ces enfants ? Conclusion Chaque praticien se réfère à une théorie sur le fonctionnement psychique et ses avatars, et aucune d’entre elles ne peut se prévaloir de l’universalité en l’absence de traceurs indubitables, biologiques, d’imagerie, génétiques, ou 5 Souligné par l’auteur. L’INFORMATION PSYCHIATRIQUE VOL. 89, N◦ 4 - AVRIL 2013 Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 05/06/2017. Classifications : sœurs et rivales. Enjeux pour la pédopsychiatrie autres, donc aucune ne repose sur des preuves. Dans ces conditions, il devrait être possible que chacun conserve ses références pour l’élaboration de sa pensée et celle du diagnostic. Toutefois, les impératifs de santé publique sont incontournables, il est donc nécessaire de trouver des compromis, sans compromission, pour mettre en commun l’expérience clinique, partager les connaissances élaborées en laboratoire aussi bien qu’en situation thérapeutique. La version R-2012 de la CFTMEA se veut une forme de ces compromis. L’attente des familles et des autorités sanitaires de disposer de repères dans ce monde complexe qu’est la psychiatrie et sa pratique doit pouvoir trouver des réponses dans une forme d’evidence-based practices [EBP], grâce à des études sur les procédures de prise en charge, leurs effets à court, moyen et long termes6 sur le vécu des patients et leur famille, et sur leur insertion sociale afin d’adapter à ces critères de santé définis par l’OMS les politiques nationales. Conflits d’intérêts : aucun. Références 1. 2. 3. 4. 5. 6. 7. 8. 9. 6 Allen F. Critique du DSM V. On ouvre la boîte de Pandore. Psychiatr Fr 2010 ; 194 : 10-4. Bercherie P. Pourquoi le DSM, l’obsolence des fondements du diagnostic psychiatrique. Inf Psychiatr 2010 ; 86 : 635-40. Botbol M, Bodin JP, Portelli C. Correspondances et transcodages entre CFTMEA R2010 et ICD 10. Ann Med Psychol 2011 ; 169 : 265-8. OMS. CIM-10/ICD-10. Paris : Masson, 1994 (traduction française). Sous la direction de R. Misès. CFTMEA. Rennes : Presses de l’EHESP, 2012. American Psychiatric Association. DSM IV.TR (2000). Paris : Masson, 2003 (traduction française). Coinçon Y, Burzstejn C, Durand B, et al. Axe II : facteurs associés ou antérieurs éventuellement étiologiques. Ann Med Psychol 2011 ; 169 : 260-4. Corcos M. L’Homme selon le DSM. Paris : Éditions Albin Michel, 2011. Dugas M. Recueil de données en psychiatrie de l’enfant. Neuropsychiatr Enfance Adolesc 1989 ; 12 : 536-9. 10. Dugas M, Le Heuzey MF. Nosologies et systèmes de recueil des données en psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent. Psychiatr Enfant 1988 ; 31 : 5-47. 11. Dupuis G. Classifications de l’autisme et des psychoses : point de vue du pédopsychiatre praticien en CRA. Inf Psychiatr 2010 ; 86 : 215-21. 12. DVD. Discussion R. Misès/N. Georgieff. Autisme et Psychoses. Une nosographie à revisiter. CNASM. 13. Fischman G (sous la dir.). Évaluation des psychothérapies et de la psychanalyse. Paris : Masson, 2009. 14. Foucher JR, Bennouna Greene V. La CIM et le DSM ou l’impossible validation. Ann Med Psychol 2010 ; 168 : 60915. 15. Garrabé J. Transmission de l’histoire des idées et des pratiques en psychiatrie. Prat Sante Ment 2007 ; 2. 16. Gori R. La flexibilité du diagnostic en psychiatrie. Inf Psychiatr 2010 ; 86 : 329-37. 17. Hochmann J. Histoire de l’autisme. Paris : Éditions O. Jacob, 2009. 18. Mercuès. Pour en finir avec le carcan du DSM. Éditions Érès, « Initiative pour une clinique du sujet », 2011. 19. Kiefer B. Bloc-notes. Le DSMV, à la gloire d’une époque qui craint la déviance. Rev Med Suisse 2010 ; 236 : 6-7. 20. CIM-11. Inf Psychiatr 2011 ; 87 (numéro spécial) : 157-213. 21. Landman P. L’Autisme et la querelle des classifications nosographiques. 2012. www.valas.fr. 22. Marcelli D. Classification multiaxiale des troubles psychiatriques de l’enfant et de l’adolescent. CIM-10. Paris : Masson, 2001 (traduction). 23. Misès R. Problèmes nosologiques posés par les psychoses de l’enfant. Colloque OMS. Psychiatr Enfant 1968 ; 11 : 493512. 24. Misès R, Quemada N. Présentation de la CFTMEA, 3e ed. Paris : ministère des Affaires sociales, 1993. 25. Fédération française de psychiatrie. Pour la recherche. Classifications en psychiatrie. Bull FFP 2000 ; 24. 26. Ramus F. Peut-il y avoir une exception franc¸aise en médecine ? Le Monde du 26 septembre 2012. 27. Roeland JL, Castel PH, Lovell A, et al. Les enjeux de la révision. Inf Psychiatr 2011 ; 87 : 159-61. 28. Reed G. Vers la CIM-11 : créer un espace pour une diversité des perspectives. Inf Psychiatr 2011 ; 87 : 169-71. 29. Thevenot JP. Les équivalences avec la CIM-10 dans la CFTMEA 2000. Ann Med Psychol 2002 ; 160 : 224-6. 30. Widlöcher D. Manuel diagnostique psychodynamique. Pour la recherche. Bull FFP 2007 ; 8 : 8-11. Souligné par l’auteur. L’INFORMATION PSYCHIATRIQUE VOL. 89, N◦ 4 - AVRIL 2013 317