Classifications : sœurs et rivales. Enjeux pour la pédopsychiatrie

Journal Identification = IPE Article Identification = 1057 Date: May 3, 2013 Time: 11:55 am
L’Information psychiatrique 2013 ; 89: 311–7
LES CLASSIFICATIONS
Classifications : sœurs et rivales.
Enjeux pour la pédopsychiatrie
Yvonne Coinc¸on
RÉSUMÉ
Les trois classifications, CFTMEA, CIM10 et DSM-IV, sont employées à divers titres par les pédopsychiatres. Leur
influence sur la pratique clinique et l’épidémiologie tient à des facteurs divers. Elles sont ici comparées par un bref rappel
historique, puis dans leurs modes d’élaboration afin d’attirer l’attention sur leur incidence sur la pratique et les recherches.
Le mode d’emploi de la CFTMEA R-2012, qui désormais compte un tableau de correspondance terme à terme avec la
CIM-10, est exposé. Clinique, recherche, épidémiologie et valorisation économique sont les quatre dimensions de leur
usage.
Mots clés : nosologie, CFTMEA, CIM, DSM, critère, diagnostic médical, épidémiologie, pédopsychiatrie, étude compa-
rative
ABSTRACT
Classifications: sisters and rivals. Challenges for child psychiatry. The three classifications, CFTMEA (the French
Classification for Child and Adolescent Disorder), ICD-10 and DSM-V (formerly known as DSM-IV), are used in various
ways by child psychiatrists. Their influence on clinical practice and epidemiology is due to various factors. They are
compared here in a brief history, which describes their modes of development in order to attract attention to their impact on
practice and research. The CFTMEA R-2012 manual that now contains a term-by-term table and corresponds to CIM-10
is presented. Clinical, research, epidemiology and economic assessment are the four dimensions of their use.
Key words: nosology, CFTMEA, ICD, DSM, criteria, medical diagnosis, epidemiology, child psychiatry, comparative
study
RESUMEN
Clasificaciones : hermanas y rivales. Lo que está en juego para la pedopsiquiatría. Las tres clasificaciones CFTMEA,
CIM-10 y DSM-IV están empleadas de diverso modo por los pedopsiquiatras. Su influencia en la práctica clínica y la
epidemiología tiene que ver con diferentes factores. Están aquí comparadas en un breve repaso histórico, luego en sus
modos de elaboración con el fin de llamar la atención en su incidencia en la práctica y la investigación. Se presentan las
instrucciones de empleo de la CFTMEA R-2012, que en adelante cuenta con unas tablas de correspondencia término a
término con la CIM. Clínica, investigación, epidemiología y valorización económica son las cuatro dimensiones de su uso.
Palabras claves : nosología, CFTMEA, CIM, DSM, criterio, diagnóstico médico, epidemiología, pedopsiquiatría, estudio
comparativo
Praticien honoraire, Centre hospitalier Alpes-Isère, 3, rue de la Gare, 38521 Saint-Egrève, France
Tirés à part : Y. Coinc¸on
doi:10.1684/ipe.2013.1057
L’INFORMATION PSYCHIATRIQUE VOL. 89, N4 - AVRIL 2013 311
Pour citer cet article : Coinc¸on Y. Classifications : sœurs et rivales. Enjeux pour la pédopsychiatrie. L’Information psychiatrique 2013 ; 89 : 311-7 doi:10.1684/ipe.2013.1057
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Y. Coinc¸on
Introduction
Le débat sur les classifications infiltre toute l’histoire de
la psychiatrie.
Tous les concepteurs de classifications ont eu à se déter-
miner sur les objectifs poursuivis et sur les critères des
« objets » à ordonner afin d’y parvenir. Les objets sont ici les
pathologies mentales, mais on retrouve les mêmes préoc-
cupations pour la classification des plantes, des minéraux,
etc.
Dans la littérature sur ces questions, les classifications
doivent reposer sur les trois piliers que sont la fiabilité, la
validité et la sensibilité.
La fiabilité suppose que tous les utilisateurs aboutiront
avec elle, au même résultat d’identification, donc formu-
leront le même diagnostic ; la validité tient à ce que
chaque « objet » classé réponde à la description qui en
est faite, et la sensibilité doit permettre de discriminer
des « objets » proches mais dissemblables, en médecine,
c’est le diagnostic différentiel. Une classification des patho-
logies mentales doit donc répertorier des affections aux
contours suffisamment précisés, ordonnées suivant des cri-
tères d’inclusion et d’exclusion pour que des praticiens
distincts s’accordent sur un diagnostic, après avoir repéré
les différences avec des affections proches mais dissem-
blables.
À défaut d’une description assez précise et sans ambi-
guïté des affections en cause, les risques sont, d’une part,
d’avoir à faire le diagnostic d’une maladie indéfinissable
faute d’avoir accepté de débattre des hypothèses théoriques
sur sa nature et, d’autre part, de la réduire à une liste de
symptômes cibles du traitement, indépendamment des cir-
constances d’apparition et du patient concerné [13].
Quelle que soit la classification choisie, il importe que
la fiabilité et la validité des catégories diagnostiques soient
établies à partir d’études sur le terrain ; nous verrons que
ce n’est pas le cas pour la CIM et le DSM [6, 27].
Fragments d’histoire comparée
Ces dernières années, CFTMEA [5], DSM-IV [4] et
CIM-10 [5] ont alimenté les controverses et les polémiques
dans des comparaisons qui pourraient surprendre tant leurs
origines, leur époque de conception et leurs critères dif-
fèrent. Elles ont bien sûr des points communs. Les deux
premières sont consacrées aux seules pathologies mentales,
la dernière compte un chapitre sur ces pathologies.
La CIM-10 est issue d’une longue histoire marquée dès
1890 par Jacques Bertillon, médecin et statisticien franc¸ais,
dans une perspective épidémiologique mondiale, des mala-
dies sources de mortalité. L’OMS s’inscrit dans les suites
et veillera à regrouper dans un seul chapitre les patholo-
gies mentales jusque-là dispersées dans les autres. L’option
épidémiologique n’a pas toujours été la seule préoccupa-
tion [15]. La nomenclature, d’une part, et l’étiologie, d’une
autre, se sont tour à tour présentées comme des valeurs clas-
santes. Mais les ambitions de santé publique dont l’OMS
a la charge les ont reléguées en arrière plan. Sa vocation
statistique implique qu’elle suive l’évolution des connais-
sances, non qu’elle constitue un élément de leur validité
comme critère d’éligibilité pour les publications interna-
tionales faute de quoi, elle ne fera que valider les standards
et toute nouvelle connaissance peinera à être diffusée.
La première version du DSM est publiée en 1952. Dès
la troisième version (DSM-III, 1980), les intentions ont été
de renforcer la fiabilité, appelée actuellement fidélité inter-
juge, dans une double perspective [21] à savoir crédibiliser
la psychiatrie comme discipline médicale bien qu’aucune
lésion organique connue, aucun marqueur biologique ou
d’imagerie ne soient retenus, et faciliter les échanges et
travaux des cliniciens et chercheurs. Il se pose comme un
outil pour poser un diagnostic libre de l’influence du pra-
ticien [18, 25], prouesse que même la médecine somatique
ne parvient pas à réaliser puisque le choix des examens
complémentaires et leur interprétation dépendent encore (?)
de lui. Pour ce faire, il donne pour chaque trouble, une liste
étendue de critères, simples, observables, donc situés au
niveau des comportements, dont l’effet est de rendre les
diagnostics non discriminants entre des manifestations dis-
semblables. La formulation de « spectre autistique » en est
la traduction. Cette extension répond peut-être à la demande
des familles de dé-stigmatiser mais nuit gravement à la qua-
lité des soins vers laquelle chacun veut tendre en amenant à
grouper sous ce vocable des profils cliniques variés pourvu
qu’ils répondent aux critères d’inclusion au moins pour une
partie de leurs manifestations.
Il comporte un chapitre intitulé « Troubles habituel-
lement diagnostiqués pendant la première enfance, la
deuxième enfance ou l’adolescence », qui révèle ce qu’il
affirme par ailleurs : « Proposer une section à part pour
les troubles dont le diagnostic est habituellement porté
pendant la première enfance ou la deuxième enfance ou
l’adolescence est un exercice de pure forme1et n’est pas
censé suggérer qu’il existe une distinction claire entre les
troubles de l’enfant et les troubles de l’adulte » et plus loin :
« Pour la plupart des troubles du DSM-IV (mais pas pour
tous), un seul ensemble de critères s’applique aux enfants,
aux adolescents et aux adultes ». Ces précisions indiquent
que « le trouble » est une chose en soi, indifférente à l’âge,
le contexte personne, social, culturel.
Cette vision du trouble a des effets apaisants car il est au
centre du diagnostic, il est la seule cible du traitement, éva-
cuant tout recours aux interrelations dialectiques de quelque
ordre que ce soit. Simplification extrême et séduisante à un
moment où la pression est très forte pour arriver à des soins
rapidement efficaces donc peu coûteux [14].
1Souligné par l’auteur.
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Classifications : sœurs et rivales. Enjeux pour la pédopsychiatrie
Enfin, il se réclame de l’athéorisme [8], affirmation
paradoxale : sa théorie est de pouvoir se passer de toute
théorie.
La CTMEA dans sa première version est publiée en
1988. Elle met l’accent sur la clinique psychodynamique,
à visée mutative et une approche pluridimensionnelle
incluant les données organiques et le contexte environne-
mental du patient.
L’ambition d’universalité est manifeste et assumée pour
la CIM-10 et le DSM, tentative d’harmoniser grâce à un lan-
gage commun, sorte d’espéranto des psychiatres du monde
entier, les statistiques épidémiologiques et par voie de
conséquence les travaux de recherche sur les pathologies
mentales considérées comme un fléau de santé publique
[18].
À l’origine, aucune des trois ne se veut un outil diagnos-
tique [8]. Celui-ci précède la mise en ordre classificatoire.
C’est une démarche intellectuelle qui permet de comparer
les éléments recueillis au cours de l’examen à la descrip-
tion des maladies, modèles qui servaient autrefois de base
à la formation théorique et d’étalon pour juger de la qua-
lité des épreuves aux examens et concours des médecins
[13].
Pourtant, dès le DSM-III et la CIM-9, ces classifications
deviennent des instruments pour le diagnostic et une base
pour l’enseignement de la psychiatrie.
Toutes deux sont élaborées par consensus, au terme
de débats organisés autour de l’inventaire des signes à
retenir, plus ou moins influencés par des pressions. C’est
ainsi que sous la pression des associations d’homosexuels,
l’homosexualité est sortie du glossaire. Actuellement, des
voix se font entendre pour sortir le syndrome d’Asperger.
Que l’une ou l’autre soit un mode existentiel comme
l’affirment leurs représentants n’est pas le propos de cet
article. Ce qui est souligné, c’est la procédure pour déci-
der de la constitution du glossaire. L’accepter ou le refuser
ne peut reposer que sur une connaissance de ses modali-
tés de constitution. Dans les révisons en cours du DSM-IV
et de la CIM-10, c’est le terme de « psychose » qui est
mis en débat en raison de la stigmatisation qui lui est liée
et de l’imprécision de sa définition. Mais la stigmatisation
est-elle due au nom ou à d’autres caractéristiques de la per-
sonne, de son rapport aux autres, du rapport de chacun à la
différence ?
Aucuns travaux qui permettraient d’apprécier les critères
de fiabilité, validité et sensibilité ne viennent soutenir leur
élaboration.
Afin que le consensus persiste, elles sont soumises à des
révisions périodiques plus ou moins régulières [28].
La CFTMEA se distingue des deux autres sur plusieurs
points.
Centrée sur la pédopsychiatrie, elle est la seule à affirmer
la spécificité de la psychopathologie infantile, intimement
liée à cette période de la vie, où le développement, les
caractéristiques individuelles et le contexte environnemen-
tal revêtent une importance particulière. Loin d’être une
préfiguration de ce que sera la psychopathologie de l’adulte
qu’il deviendra.
Considérant qu’aucune classification ne peut s’établir
sans avoir choisi des critères, elle affiche son point de vue
théorique, à savoir la dimension psychopathologique des
maladies mentales, sans ignorer les facteurs somatiques et
d’environnement qui conditionnent son expression.
Considérant également, que toute classification reflète
peu ou prou, l’état du savoir à une période donnée, ses
concepteurs sont restés attentifs aux recherches scienti-
fiques et sociologiques.
Elle a été élaborée par des cliniciens [24], procédant dans
un premier temps au repérage d’un ensemble de critères de
fonctionnement de la personne, de son comportement, de
son psychisme pour décrire les pathologies à partir de leurs
signes les plus discriminants, car c’est une des probléma-
tiques à résoudre pour toute tentative nosographique que
de différencier les anomalies entre elles et le normal du
pathologique. C’est sur cette base que chacune est définie,
sans référence à l’étiopathogénie de tous ordres, sachant
que si les théories du fonctionnement psychique et en parti-
culier les fondements de la psychanalyse permettent l’étude
des relations interpersonnelles [12], à soi et au monde, le
développement des neurosciences ouvrait des perspectives
pour la compréhension de la physiopathologie. En effet, la
différence est majeure avec nombre de pathologies soma-
tiques dont le processus d’apparition et de développement
sont connus, permettant aux somaticiens de construire un
vocabulaire commun.
Elle a ensuite été mise à l’épreuve auprès des pédo-
psychiatres dans les services sur tout le territoire avant
sa première publication, sous l’égide de Nicole Quemada,
directeur du Centre collaborateur de l’OMS-Inserm [27].
La CFTMEA résiste
Comme les deux autres, elle a obtenu l’agrément de
confrères dans plusieurs pays, elle est traduite en espagnol
(2004) et diffusée en Amérique du Sud, en arabe surtout
connue au Maghreb, mais utilisée également en Russie et
en Angleterre.
En dépit de ces fragments d’histoire, un argument est
développé dans certaines publications, ou en d’autres occa-
sions, selon lequel les praticiens qui persistent dans son
utilisation défendent une exception franc¸aise dénuée de
validité et les comparent aux habitants d’un célèbre village
gaulois résistant à son inévitable déclin [25]. Ses détrac-
teurs ignorent probablement qu’elle dépasse le cadre de la
francophonie et cela de longue date. De résistance, oui, il
en est question. Résistance à une uniformisation de la pen-
sée, à une dévitalisation de la clinique, le Pr Roger Misès,
récemment décédé, la prônait encore quelques mois avant
sa disparition.
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Y. Coinc¸on
Peu à peu, néanmoins, la CFTMEA a trouvé sa place
dans la pratique et dans les débats. La présentation de
la version R-2012 à la Société des Annales médico-
psychologiques en novembre 2011 a inspiré aux psychiatres
d’adultes, la constitution d’un groupe de travail pour cons-
truire leur propre outil.
Dans la pratique clinique
La pédopsychiatrie est issue d’une discrimination opérée
au sein des asiles qui hébergeaient des enfants présentant
des déficits profonds, des troubles du comportement, des
pathologies organiques invalidantes, etc. Dans un premier
temps, deux catégories ont été identifiées : les éducables
et les non-éducables. Pour ces derniers, le handicap était
considéré comme fixé, immuable, relevant uniquement de
mesures d’assistance et cette notion est restée attachée pen-
dant longtemps à certaines pathologies mentales de l’enfant.
Or, l’organisation de soins personnalisés, multiprofession-
nels, articulés à des actions éducatives et pédagogiques a
permis de démentir cette lourde assertion. Roger Misès en
a fait la preuve à la Fondation Vallée et il a tiré de cette
expérience, la source de sa position sur la question du
handicap vu non plus comme une donnée irréductible et
réductrice de la personne mais comme une altération d’une
partie de ses capacités coexistant avec des secteurs de fonc-
tionnement intacts. Avec ses collaborateurs, il a voulu que
cette notion d’évolutivité des troubles pathologiques sous
l’effet des prises en charge, et des troubles transitoires du
fait du développement individuel se traduise dans un dia-
gnostic révisable, aboutissement de l’observation continue
de l’enfant dans son expression pathologique et dans ses
rapports à son environnement humain, et matériel.
Son mode d’emploi en est la traduction
Chaque fois que le diagnostic doit être donné, la clinique
enseigne sur la symptomatologie qui pourra être référée à
l’axe I général, consacré aux structures définies comme un
ensemble de positions libidinales et de modalités défensives
contre les angoisses, ainsi que le type des angoisses. Cette
notion permet de garder une pensée souple sur la question
de la structure, celle-ci n’étant pas une donnée figée puisque
les éléments qui la composent sont susceptibles d’évoluer
sous l’effet de la maturation et des soins. L’identification
de la structure amène à un classement dans une des quatre
premières catégories de l’axe I général, qui sont exclusives
l’une de l’autre.
L’axe I général est assorti d’un axe I bébé de0à3ans,
rendu indispensable par le développement des connais-
sances et des pratiques auprès des enfants de cette classe
d’âge. Elle est destinée à aider les cliniciens à repérer des
manifestations non décrites dans les autres chapitres car
très spécifiques de cette période de la vie. Ce chapitre est
inchangé dans la version R-2012 et rec¸oit une cotation spé-
cifique car, d’une part, la CFTMEA est la seule à proposer
une spécification bébé et, d’autre part, une révision ne pou-
vait reposer que sur des travaux des cliniciens, engagés mais
qui restent à développer et étendre aux nombreux acteurs
de la psychiatrie périnatale.
Sur l’axe I général, de nombreux patients présentent
des manifestations qui ne permettent pas ce diagnostic de
structure, mais des symptômes « isolés », classés dans les
catégories5à9et,enfin, pour ceux d’entre eux qui pré-
sentent des manifestations rencontrées habituellement chez
tout enfant de la même tranche d’âge, perc¸ues comme dif-
ficiles à vivre par l’entourage ou de durée plus prolongée
entreront dans la catégorie numérotée 0, intitulée « Varia-
tions de la normale » et placée dans le manuel entre 4 et 5
[30].
Cette dernière catégorie est une des traductions, mais
non la moindre, du rôle préventif de l’intervention de la
psychiatrie infantojuvénile. En accordant son attention à
des manifestations qui ne sont pas pathologiques mais qui
pourraient faire le lit d’une évolution préjudiciable, la pédo-
psychiatrie répond à l’impératif de prendre en compte la
souffrance psychique si présente dans les discours actuels
et si peu ou mal traduite par les décideurs dans leur regard
sur les dispositifs de prévention mis à mal ces dernières
années. Il y a ici un enjeu majeur pour l’accès à des inter-
ventions bien calibrées dont la santé publique franc¸aise peut
s’enorgueillir.
Le glossaire vient à l’appui de cette démarche en indi-
quant les critères d’inclusion et d’exclusion.
L’axe II est celui des facteurs associés ou antérieurs,
éventuellement étiologiques [7].
Dans le titre de ce chapitre, les deux derniers mots
sont essentiels. On y trouve les facteurs organiques qui ont
pu avoir une influence sur le développement du bébé, de
l’enfant, ou qui affectent encore sa santé sans faire un lien
de causalité2entre les uns et les autres. De même pour les
facteurs d’environnement.
Par exemple, le fait d’avoir subi des abus sexuels peut
rendre malade, ce n’est pas systématique. Quand la patho-
logie survient, il est très délicat de relier les faits subis
avec les troubles observés. Certains enfants présentaient
déjà des troubles antérieurement aux faits, troubles connus
ou repérables dans l’après-coup. De même pour l’adoption.
Une angoisse de séparation chez un enfant adopté n’est pas
nécessairement en lien avec cette situation, elle peut s’être
développée dans le cadre de la relation avec ses parents
adoptifs.
La perspective du RIMPsy avec codage en CIM-10 et
l’incidence qu’il pourra avoir sur la planification sanitaire,
en objectifs et en moyens, a donné l’impulsion à cette actua-
lisation.
2Souligné par l’auteur.
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Classifications : sœurs et rivales. Enjeux pour la pédopsychiatrie
Les tableaux de correspondance précédents répondaient
au souci de préserver la communication internationale et
pouvait se concevoir car la CIM-10 et la CFTMEA ont en
commun des critères épistémologiques [29] : la sémiolo-
gie du comportement, la fréquence des regroupements de
symptômes et la notion de développement psychologique.
Pour la CFTMEA R-2012, il a été décidé de parvenir
à une correspondance terme à terme entre ses codes et
ceux de la CIM-10 dont l’utilisation est obligatoire pour
le recueil de données d’activités des établissements. Les
versions précédentes proposaient parfois plusieurs codes
CIM-10 à associer entre eux [22] pour correspondre à
un seul code CFTMEA [3]. Outre que l’usage était mal-
commode, cette disposition empêchait toute intégration
de la correspondance dans les programmes informatiques,
puisque ici le langage est binaire. En proposant la version
R-2012, l’objectif est que les praticiens qui le souhaitent
conservent leurs références théoriques sur la psychopatho-
logie et que la traduction en code CIM soit automatiquement
fournie par le programme informatique.
Peut-on penser que deux classifications aussi différentes
que la CIM-10 et la CFTMEA puissent être mises en cor-
respondance avec quelque validité ? Bien évidemment, une
classification des troubles et une classification des organisa-
tions psychiques ne seront jamais totalement superposables
et si tel était le cas, elles n’auraient aucune raison de sub-
sister toutes les deux. On peut donc s’attendre à recevoir
des avis d’utilisateurs sur leur difficulté à accepter telle ou
telle correspondance proposée. Ces réactions sont attendues
afin que la pertinence des remarques ayant été retenue, elles
donnent lieu aux prochains aménagements qui devraient
prolonger le travail que Roger Misès animait encore il y
peu.
Le groupe3qui a travaillé sur cette version a collaboré
avec l’Agence technique d’information hospitalière (ATIH)
qui l’a d’ores et déjà intégrée dans les documents qu’elle
propose sur son site. Il ne reste plus à franchir qu’une étape,
celle de l’intégration dans les programmes informatiques
qui sont utilisés pour les dossiers patients.
Avec la correspondance réalisée pour l’axe II, c’en est
fini de chercher dans la CIM entière les facteurs que l’on
estiment devoir retenir, et il n’y a pas d’exclusion entre eux,
un même patient peut cumuler des antécédents de patholo-
gie somatique néonatale, un placement en famille d’accueil
et un parent malade, tous indicateurs qui ne sont pas des
comorbidités.
Axe I et axe II conjugués accompagnent une démarche
diagnostique intégrant les interactions circulaires entre
facteurs individuels, familiaux, somatiques et environne-
mentaux.
3Dr M. Botbol, Pr C. Bursztejn, Drs Y. Coinc¸on, B. Durand, J. Garrabé,
N. Garret-Gloanec, Prs B. Golse, P. Jeammet, R. Misès, Dr C. Portelli, Pr
J.P. Raynaut et G. Schmitt, Dr J.-P. Thévenot.
Il n’a été question jusqu’ici que de la pratique auprès des
patients, du choix diagnostique et du repérage des facteurs
associés et/ou d’environnement.
Mais l’incidence de cette nouvelle version pour les
études épidémiologiques et pour les recherches n’est pas
à négliger car le cumul de tous les items de l’axe II pour
tous les cas inclus garde toute sa validité et prend toute sa
valeur pour affiner les connaissances sur ces pathologies,
leur contexte de développement et l’épidémiologie.
L’élaboration de cette dernière version a eu un autre
objectif : celui de poursuivre les articulations avec l’OMS en
cette période sensible de révision de la CIM-10 pour, d’une
part, contribuer à l’élaboration du consensus et, d’autre part,
tenter de faire prendre en considération les caractéristiques
particulières de la psychiatrie infantojuvénile.
Avec le DSM et la CIM
Ils reposent sur un principe descriptif. Ils proposent au
praticien de procéder à une recension de signes compor-
tementaux, considérés comme assez objectifs pour être
observés par des professionnels de la santé, des parents,
des enseignants, voire le patient lui-même, pour obtenir leur
inclusion dans un « trouble ». Ce procédé de case à cocher
pour parvenir à identifier un « trouble » réalise un déni de
la complexité des personnes et de leur psychisme. Celui-ci
n’est rapporté ni à l’âge du patient, ni aux circonstances
d’apparition des signes. Par cet abord des faits cliniques, il
fait fi de l’épigenèse, regroupe les manifestations cliniques
en catégories ignorant toutes dimensions tempéramen-
tales, hormonales, environnementales, sociologiques...
dont l’influence sur le développement individuel est, pour
beaucoup de pédopsychiatres franc¸ais, indispensable à
considérer. Le risque majeur d’une pratique basée sur ce
point de vue est que le malade disparaisse derrière sa
maladie. Peu importent les circonstances d’apparition du
« trouble », et celles de la vie du patient. Cet aspect était
très prégnant dans le rapport de l’Inserm sur le « Trouble
des conduites ». Dès trois ans, un enfant qui peut sans
remord s’approprier les jouets des autres ou pire lever la
main sur eux, et qui plus est mentir court le risque de se
voir qualifier « à risque » d’être porteur de ce trouble et à
terme délinquant, et doit être l’objet d’une attention par-
ticulière, voire d’un traitement. Quel enfant de trois ans
ne répond pas, peu ou prou, à ces critères ? Est-on pré-
venu contre les enfants potentiellement dangereux ou nous
demande-t-on de faire une prévention prévenante envers les
personnes ?
Sorties de leur contexte d’apparition, les manifestations
cliniques peuvent non pas s’articuler entre elles témoignant
de l’intrication de tous les éléments du développement, mais
devenir des pathologies associées. Un enfant gêné dès les
premiers apprentissages par sa dyslexie d’apparition pré-
coce, assez perspicace pour observer comment ses petits
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