La France a peur - Une Histoire sociale de « l`insécurité » Laurent

Normand Charlotte
L3 Lettres Sciences Politiques
La France a peur - Une Histoire sociale de
« l’insécurité »
Laurent Bonelli
Laurent Bonelli est chercheur au CNRS et maitre de conférence en Science Politique à
Paris Ouest Nanterre . Il est également co-rédacteur en chef de la revue Culture et
Conflits. En 2008, il a publié avec Didier Digo et Thomas Deltombe Au nom du 11
septembre. Les démocraties occidentales à l’épreuve de l’antiterrorisme. En 2008, il
signe L’Etat démantelé, enquête sur une révolution silencieuse avec Willy Pelletier.
Laurent Bonelli se propose d’établir tout au long de son ouvrage une généalogie de la
doxa sécuritaire. Il a été chargé d’étude dans les missions d’assistance aux villes pour
l’institut des hautes études sur la sécurité intérieure (IHESI). Grâce à cette mission, il a
pu élaborer de nombreux entretiens avec différents acteurs, assister à beaucoup de
réunions et observer comment était représentée la notion de « sécurité » à l’intérieur de
plusieurs organismes. Il utilise la phrase d’ouverture de Roger Gicquel au JT de 20h sur
TF1, le 18 février 1976, comme titre de son ouvrage: « La France a peur ». Cela reflète
l’essentialisation de la notion de « sécurité » à l’œuvre dans les discours politiques et
médiatiques. L’auteur prend soin de mettre ce terme entre guillemets tout au long de son
ouvrage pour montrer qu’elle ne va pas de soi. Ainsi, Laurent Bonelli développe une
analyse des processus sociaux qui font qu’entre le début des années 1970 et les années
2000, la préoccupation de « sécurité » va progressivement se déplacer des institutions
spécialisées vers le champ de la politique et ainsi devenir un « objet et un enjeu majeur
du débat politique. » L’auteur précise dès le début qu’il ne remet pas en cause l’existence
de violences, mais que leur signification ne peut pas ignorer les cadres construits dans
lesquels elles peuvent trouver un sens. Les deux premières parties décrivent les mutations
des quartiers et des milieux populaires ainsi que les discours politiques sur ces derniers.
Les trois chapitres suivants décortiquent les logiques propres aux domaines politiques,
médiatiques et académiques qui ressaisissent les indisciplines juvéniles. Il montre ainsi la
manière dont leur conjonction aboutit à la création de « l’insécurité » comme une
catégorie unifiante. Les dernière parties s’attachent à comprendre la manière dont
« l’insécurité » influence et est influencée par les logiques propres de ceux qui sont en
prise avec les indisciplines de certaines jeunes des milieux populaires. C’est donc sur le
terrain des représentations sociales que l’auteur désire nous inviter. Etant donnée la
densité et la progression logique du propos, nous utiliserons le découpage de l’auteur
pour résumer l’ouvrage.
1.Les transformations des quartiers et des milieux "populaires"
dans la France des années 1980
Dans un premier temps, l’auteur précise son champ d’analyse et justifie les définitions
retenues. Il utilise l’expression « quartier populaire » pour éviter les expressions
misérabilistes qui renforcent les stigmates. Laurent Bonelli décrit tout d’abord la
construction des « grands ensembles » et leur histoire. Après la seconde guerre mondiale,
la France entre dans une forme de capitalisme organisé appelé « Economie concertée » :
un système de collaboration permanente entre administration, patronat et mouvement
syndical. C’est dans cet esprit que sont construits de nouvelles zones industrielles et
d’activité. La question du logement devient centrale pour leur développement. Or, la
vitesse de construction posera plusieurs problèmes dans le futur. Cependant, l’auteur
pointe le fait que les HLM ont eu des effets positifs non-négligeables. En effet, ils
s’inscrivent dans une amélioration des conditions de vie des familles populaires. Il faut
noter qu’au début, chaque organisme d’attribution des logements choisissait ses clients,
ce qui créait une certaines « mixité sociale » des habitants. Mais plusieurs phénomènes
vont créer une concentration de contraintes sociales dans ces quartiers. A partir des
années 1970 et 1980, les législations évolues change. Les bailleurs sociaux ouvrent
l’accès au logement HLM à des familles immigrées, qui étaient refusées jusque-là.
Progressivement, les grands ensembles vont regrouper les familles au bas de l’échelle
sociale. Premièrement, il a fallu déplacer beaucoup de familles, ce qui a transformé les
stratégies familiales de reproduction et les normes de conduite. Des tensions sont
apparues entre les habitants les plus anciennement installées, stables, et les nouveaux
venus, souvent précaires.
Le passage à un modèle de production « post-fordiste » a accentué les inégalités: le
chômage de masse et la précarisation de l’emploi touchent de plein fouet ces quartiers. Il
réintroduit une insécurité. L’auteur l’entend ici au sens insécurité existentielle,
fragilisation sociale globale, qui est interprétée comme une « demande de sécurité »
physique par les politologues. Ainsi, les « transformations sociales, relationnelles,
morphologiques des quartiers pèsent lourdement sur la perception des indisciplines
juvéniles ». Ensuite, l’auteur aborde plus précisément le thème de la formation scolaire et
professionnelle. Au préalable, il précise qu’il préfère utiliser le terme « jeunesses
populaires » car cette catégorie est polymorphe. La culture théorique valorisée par l’école
et les valeurs qui la sous-tendent semble ne pas correspondre à ces jeunes, qui
développent souvent des discours très critiques concernant les institutions scolaires et
préfèrent pour la plupart le travail en atelier avec un groupe de pairs soudés. Or, la
généralisation scolaire a eu pour conséquence de disqualifier progressivement les filières
professionnelles. Ainsi, le système les encourage à aller en filière générale mais
l’excellence scolaire étant devenue la norme, beaucoup d’élèves s’y sentent rejetés.
Parallèlement, le marché du travail non-qualifié provoque de nombreuses incertitudes
chez les jeunesses populaires. Le développement de l’intérim et la fin de la culture
d’atelier reconfigurent totalement la classe ouvrière. L’auteur développe une idée
particulièrement intéressante: nous n’aurions pas assez pris en compte le rôle qu’avaient
les éléments qui construisaient « la fierté ouvrière » pour canaliser les comportements
« déviants ».
2. Une généalogie des discours politiques de sécurité
L'auteur commence par expliquer le fait que l'opposition entre ordre et liberté a toujours
structuré les imaginaires entre la droite et la gauche. Pourtant, plusieurs lois sécuritaires
ont successivement été mises en place par des gouvernements de droite et de gauche
depuis les années 1980. Par exemple, les socialistes ne se sont pas opposés à ce que l'on
passe de 96h à 144h de garde à vue en matière terroriste sous le gouvernement de Nicolas
Sarkozy. L'auteur distingue deux phases chronologiques concernant l'évolution du
contenu des discours. De 1980 à 1990, c'est une approche globalisante de la "question de
la ville" qui se développe. En revanche, depuis les années 1990, il y a une focalisation sur
certains de ses aspects : la "sécurité" et la "responsabilité individuelle".
Les années 1980 sont marquées par une déconnexion croissante entre "un sentiment
d'insécurité" et la réalité objective de la situation. C'est à cette époque que les sondages
d'opinion introduisent le "sentiment d'insécurité" comme forme d'opinion publique sur la
sécurité. Un glissement sémantique s'opère: quand les journaux et les hommes politiques
parlent de "l'insécurité", cela rassemble à la fois la délinquance et le sentiment
d’insécurité. Le succès politique de cette catégorie est du à sa capacité à avaliser
l'hétérogénéité des configurations locales.
Des liens étroits existent entre la question urbaine et la réforme de l'Etat. Les
politiques de la Ville vont contribuer à redéfinir le rôle de l'Etat dans la régulation des
rapports sociaux. Les élites politiques et administratives vont progressivement ancrer une
vision individualisante et moralisante concernant la responsabilité, à travers les politiques
de la Ville. Laurent Bonelli considère que l'élaboration d'une doctrine de "prévention de
la délinquance" a été très influencée par le travail de la Commission des maires sur la
sécurité. Leur faiblesse résulte du peu de budget et du peu d'investissement humain
qu'elle mobilise en raison de son caractère éminemment politique. La prévention reste
donc très limitée pendant les années 1980.
Progressivement, les politiques de la Ville sont discréditées. Des émeutes éclatent entre
l'automne 1990 et le Printemps 1999. Elles révèlent leur échec. Parallèlement, un
glissement s'opère: il y a une focalisation sur les comportements plutôt que sur les causes
qui les génèrent. Dans les discours de gauche, les explications macro-sociales sont
supplantées par celles mettant en cause uniquement les comportements individuels. Les
discours sur "l'assistanat" commencent à se répandre et plus globalement la
responsabilisation des individus imprègne de plus en plus tous les secteurs de la vie
sociale. Le rapport Larcher statue, dans le cadre des politiques de la Ville : "A force
d'accuser le béton de tous les maux, on a trop oublié les Hommes. Or, sans
responsabilisation des individus, il ne sera pas possible de restaurer l'équilibre de nos
villes." A partir de 1990, l'attention des élus socialistes pour les questions de délinquance
et de sécurité explose. Ce changement idéologique s'opère à travers plusieurs travaux de
groupes influents. L'Institut des Hautes Etudes en Sécurité Intérieure (IHESI) est créé en
1989. En 1996, un rapport est intitulé "La Sécurité pour garantir la cohésion sociale." La
délinquance apparait désormais bien plus comme un facteur d'aggravation des inégalités
sociales que comme une de leurs conséquences. Les discours moraux de Reagan et
Thatcher trouvent finalement une résonnance à gauche. En 1997, un colloque intitulé
"Des villes plus sûres pour des citoyens libres" signe l'entrée de la sécurité comme enjeu
de l'égalité républicaine. Puis, à partir de 2002, la sécurité devient un enjeu central de la
campagne électorale. Certaines propositions de Ségolène Royal en 2007, comme le retrait
des allocations familiales aux famille des délinquants, confirment la conversion
idéologique du PS.
3.Comment l'insécurité est-elle devenue un objet et un enjeu du
débat politique ?
L'auteur se concentre premièrement sur tensions et les conflits locaux, qui influencent
directement les débats et les mesures concernant la "sécurité". C’est au niveau des
collectivités territoriales qu’ont été prises la plupart des décisions concernant l’ordre
publique. Par exemple, les arrêts mendicités ont été inaugurés en 1993 et ce sont
banalisés auprès des élus de tout bord politique. L’auteur démontre grâce à la
comparaison de deux lettres se plaignant de la présence de mendiants, à quel point la
légitimité de ces pétitions est fonction du statut social, souvent proche de celui des élus.
Ainsi, les « établis », que l’auteur évoquait dans son premier chapitre, dominent. Les
mesures sécuritaires sont souvent une vitrine pour le maire, qui se présente comme le
défenseur des normes de la communauté, d’abord en rassurant « ceux qui n’ont rien à se
reprocher ». Par opposition, les « mauvais » citoyens se voient réserver un registre
d’action qui vise à punir ou à contrôler. Ces deux catégories de citoyens sont en
confrontation pour lors de sujets qui touchent au quotidien, tels que les équipements
sportifs et culturels, les programmes sociaux, le recrutement de certains meneurs comme
animateurs ou médiateurs. Par la suite, Laurent Bonelli explique comment des intérêts
particuliers disparates sont transformés en intérêts généraux. Des associations d’élus font
des publications et des réunions publiques. L’auteur étudie particulièrement l’Association
des Maires Engagés pour des Villes Sûres. Leur but est de peser sur les textes législatifs
et réglementaires. Cela a eu du succès concernant les sanctions par rapport aux gens du
voyage. Dans les années 1990, une nouvelle catégorie d’acteurs influents apparait: les
consultants en sécurité urbaine. Ces professionnels jouissent rapidement d’une écoute
privilégiée et vont occuper des positions dans le champ académique, médiatique,
politique et administratif. Ils voient souvent le monde social à travers les catégories issues
du management.
Dans un second temps, l’auteur se concentre sur les causes structurelles ayant facilité
l’avènement de la sécurité comme investissement politique. Reconquérir l’attention des
classes populaires et contrer le Front National deviennent des priorités à partir de 1990
pour les partis de droite et de gauche. En effet, plusieurs facteurs vont favoriser une
baisse de légitimité de la démocratie populaire: la professionnalisation du politique, le
passage à une société postfordiste et l’effondrement des modèles de référence (surtout
pour la gauche). Par ailleurs, l’auteur fait une critique très intéressante de l’implicite chez
Adorno, concernant sa vision des classes populaires. Celles-ci ne seraient en aucun cas
plus « autoritaires » que les autres, mais auraient des désavantages dus aux multiples
concurrences dans lesquelles elles sont plongées au quotidien. Or, cette vision participe
de la stigmatisation des classes populaires et peut potentiellement favoriser la légitimité
du Front National. La constitution du FN a fortement accentué la constitution de la
sécurité comme enjeu politique par les thèmes qu’il produit, mais aussi, plus inquiétant et
difficile à contrer, parce qu’il est l’instrument d’une mobilisation dans les autres
mouvements politiques. Plus généralement, quatre grandes évolutions affectent l’activité
politique dans les années 1990. La modification des logiques de recrutement, le
changement du mode de fonctionnement des partis, l’entrée de nouveaux agents liés aux
sciences sociales et la montée en puissances de journalistes dans la définition des
« problèmes sociaux ».
4.La reformulation « médiatique » de la sécurité
Le développement de la télévision et la forte baisse de la lecture des quotidiens ont joués
un rôle important dans l’homogénéisation des points de vue et la dépolitisation. L’auteur
cite Pierre Bourdieu : « Les faits divers ont pour effet de faire le vide politique, de
dépolitiser et de réduire la vie du monde à l’anecdote et au ragot(…), en fixant et
entretenant l’attention sur des évènements sans conséquences politiques, que l’on
dramatise pour « en tirer des leçons » ou pour les transformer en « problèmes de
société ».
Les dossiers spéciaux et les reportages sur « l’insécurité » sont très nombreux à partir
de 2002, notamment sur TF1, France 2, France 3. Il y a une corrélation étroite entre les
agendas médiatiques et politiques. Lors des plateaux télévisés, l’auteur remarque que la
plupart des journalistes et des hommes politiques partagent les mêmes principes de
« vision et de division du monde ». Tous s’accordent pour dire que la délinquance et la
violence augmentent inexorablement et que les coupables sont les services de l’Etat. Les
solutions proposées se situent bien plus souvent du côté des sanctions punitives que des
politiques éducatives ou préventives. Les personnes ayant la parole sont des figures
représentant des formes d’autorité, des experts par exemple. Par contre, les habitants des
quartiers populaires ne sont pas invités. Laurent Bonelli démontre que 80% des
reportages de l’époque mettaient en avant une approche coercitive ou spectaculaire et
alarmiste de la situation.
Finalement, l’auteur qualifie les médias « d’agents du maintien de l’ordre social ». Il
cite le langage spécifique utilisé pour aborder le phénomène de l’insécurité et les mots
qui y sont attaché, tels que « banlieue », « jeune de cité ». De même, il note la
valorisation des solutions coercitive à travers des expressions telles que « tolérance
zéro ». Beaucoup d’éléments combinés ont finalement aboutit à une stigmatisation des
milieux populaires. Cela a eu pour effet d’homogénéiser des situations pourtant très
différents les unes des autres.
5. Production, avènement et usage d’une science de l’Etat
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