IRE LES LIVRES ET LES IDÉES 96 Quand l’information devient infrastructure l Bernard 97 Le pays où la gauche n’existait pas l Camille 101 Froidevaux La virilité américaine est en crise l David 103 Le Breton D’une révolution à l’autre l Philippe 107 Marchand La Chine : vingt ans après l Xavier 115 Raynaud Les barbouzes venues du froid l Jérôme 111 Cazes Crombé L’organisation des Etats démocratiques l Jean-Dominique 119 La Bruyère dans la Silicon Valley l Michel Villette 123 Lafay Du bon usage des uchronies l Bernard Cazes LE BILLET DE GÉRARD MOATTI Faible mobilité, forte inégalité L e retour du plein emploi devient une perspective crédible en France, et l’excellent rapport consacré au sujet par Jean PisaniFerry pour le Conseil d’analyse économique a suscité un vif débat politique, la « gauche de la gauche » lui reprochant certaines recommandations jugées trop « libérales ». Quelques données de ce document, assez peu remarquées, méritent cependant de retenir l’attention. Elles concernent la fluidité du marché du travail, mesurée par la fréquence des entrées et des sorties, c’est-à-dire la probabilité, pour les personnes qui ont un emploi, de le perdre, et pour les chômeurs, de trouver un emploi. Parmi tous les pays développés, c’est en France que cette fluidité est la plus faible : elle est deux fois moindre qu’en Allemagne, près de six fois moindre qu’aux Etats-Unis. Certes, cette particularité présente certains avan- L’hyper-sécurité tages. On peut la considérer comme un amortis- de l’emploi d’une partie seur de choc économique, du moins à court terme. Surtout, une faible fluidité est plutôt favo- de la population se paie rable à l’accroissement du « capital humain » des entreprises, à travers l’accumulation d’expérience, par l’insécurité la formation, l’établissement de liens de confiance ou l’exclusion avec les salariés. Mais cet avantage n’existe vraiment que dans les de l’autre partie périodes économiquement stables, où les perspectives d’activité d’un secteur donné sont suffisamment fortes et durables pour valoriser les « courbes d’expérience ». Il en va tout autrement dans les phases de changement technologique rapide. Là, le modèle « hyper-stable » à la française montre ses faiblesses : il diminue l’employabilité des salariés (longuement habitués à un type d’activité, ils ont du mal à s’adapter au changement) et ne peut réagir aux chocs que par la hausse du chômage. C’est ce qui s’est passé en Europe, et surtout en France, du début des années 80 à la reprise économique de la fin des années 90 (avec un bref répit entre 1987 et 1989). Enfin, la capacité globale de l’économie à épouser les nouvelles technologies est évidemment affectée par ce manque de mobilité. Ce n’est pas tout. Si la fréquence des entrées et sorties du marché du travail est faible en France pour la moyenne des salariés, elle est en revanche très élevée chez les jeunes. Le rapport PisaniFerry compare le taux de perte d’emploi des 16-24 ans à celui des 25-49 ans : le rapport entre l’« insécurité » des jeunes et celle des adultes est, en gros, deux fois plus élevé en France qu’aux EtatsUnis. Quant aux plus de 50 ans, leur retour à l’emploi est devenu en France un phénomène rarissime. En termes d’équité, cette situation peut se traduire ainsi : l’hyper-sécurité des uns se paie par l’insécurité ou l’exclusion des autres. L’effort d’adaptation, et le risque qu’il implique, sont rejetés des « insiders » (les adultes) sur les « outsiders » (les jeunes et les seniors). Sociétal La France offre bien d’autres illustrations de cette inégalité dans la N° 31 distribution du risque – notamment dans la fonction publique, entre er titulaires et contractuels. Plutôt que la crispation sur les emplois 1 trimestre existants, la « sécurisation de la mobilité » mériterait d’émerger 2001 parmi les priorités des prochains agendas sociaux. l 3