Éditorial
our une belle fête, c’était une belle fête, la fête à Mamie. Dès l’après-midi,
le ballet des traiteurs, des euristes, des installateurs de mobilier avaient formé
une ronde incessante, disposant avec art partout dans la propriété la multitude
d’accessoires nécessaires à la cérémonie. Puis les musiciens s’étaient installés sur
l’estrade, et après quelques essais plutôt amusants, ils jouaient sans faiblir ni discontinuer des
airs entraînants, des valses, des tangos, tout ce qu’il faut en matière de vieille musique pour
vous faire tourner la tête et oublier jusqu’à l’objet même des réjouissances. Emerveillé par
tant de décorum, j’allais d’une salle à l’autre, me retenant de toucher ici une pièce montée
gigantesque, là une pyramide de ûtes à champagne prêtes à être remplies en cascade, ou encore
de magniques corbeilles de eurs et de fruits disposées un peu partout. Peu à peu les invités
arrivaient, accueillis par mes parents en tenue de cérémonie, tout sourire et bien droits sous le
portrait grand format du Président Shark : ambassadeurs, députés, capitaines d’industrie, hauts
fonctionnaires s’entassaient et s’empiffraient désormais devant les gigantesques buffets, usant de
manœuvres presque reptatoires pour se procurer qui un verre, qui un petit four ou un fruit.
Observant ce manège du haut de mes six ans, j’étais dispensé du cérémonial d’accueil, ce qui me
laissait libre de déambuler partout et de proter de ce spectacle extraordinaire. Alors que la
fête battait son plein, je trouvais pourtant curieux que la principale intéressée en fût absente, et
je m’apprêtais à partir à sa recherche quand j’entendis deux hommes en smokings tirés à quatre
épingles parler justement d’elle : « Voilà un pot de départ comme chacun en souhaiterait, disait l’un.
– Oui, rétorquait l’autre, mais à soixante seize ans et demi, c’est quand même dommage de partir ainsi
en pleine forme. – C’est le lot commun, mon cher, et vous ne l’ignorez pas plus que moi, depuis la loi
de juin 2052 l’âge de départ est révisé chaque année par les actuaires du ministère de l’évaporation,
en fonction du taux de la natalité nationale et du quotient individuel production/coût. Madame Ronny
atteint l’âge légal aujourd’hui même et, belle-mère du ministre ou pas, elle doit respecter la loi. D’ailleurs
il est normal que les gouvernants donnent l’exemple. Oh ! Faites attention, Tony nous écoute, j’espère
qu’il n’a pas entendu ? ».
Tony, c’est moi. D’ailleurs, pas de risque d’erreur : la plupart des garçons que je connais
s’appellent Tony… comme le Président Shark. J’avais entendu, naturellement, mais je suis
habitué aux propos un rien bizarres des adultes. Un peu plus loin, une femme au dentier
chevalin pérorait devant un fumeur de cigare en queue-de-pie : « Mais c’est normal, mon
cher, si nous avions laissé faire, c’est cent vingt millions d’habitants que nous serions maintenant !
Il n’y a plus de guerres, plus de famines, les épidémies sont loin et il a bien fallu trouver un
système de régulation. Celui-ci est le plus égalitaire qui soit, car au moins chacun connaît à
l’avance le moment où il devra remplir son devoir envers la patrie. – Mais il y a pourtant des exceptions : regardez
Tony Shark et ses nonante deux ans, bien conservé, d’accord. La médecine fait quand même de belles choses.
– Ne me parlez pas de la médecine, malheureux ! C’est elle qui a failli provoquer la catastrophe.
Par bonheur, les ennarcs ont réussi à tout arrêter à temps : c’est ce qui leur vaut aujourd’hui leur régime
spécial sans date de péremption ».
Je tendais l’oreille, car j’ai toujours eu envie d’être médecin plutôt qu’ennarc comme papa, mais
les deux interlocuteurs méants se turent brusquement en se regardant d’un air entendu alors
que les caméras de la télévision locale faisaient leur apparition, balayant les salons en éventail.
Pourtant la médecine, qui est comme chacun sait le principal sujet de conversation dans toute
réception qui se respecte, ne tarda pas à attirer à nouveau mon attention à la faveur d’une baisse
de régime de l’orchestre.
N° 64
Le Rhumatologue
Revue de la Fédération Française
de Rhumatologie
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Une histoire horrible