du corps noir théorique aux corps noirs industriels

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Thermogram’2001
1
DU CORPS NOIR THÉORIQUE AUX CORPS NOIRS
INDUSTRIELS : CARACTÉRISTIQUES, TRAÇABILITÉ,
INCERTITUDES
Pascal RIDOUX
LABORATOIRE NATIONAL D’ESSAIS
Division Optique et Propriétés Thermiques des Matériaux
29 avenue Roger HENNEQUIN
F-78190 TRAPPES
Tél. 01 30 69 12 12
E-mail : [email protected]
Résumé. Tout utilisateur de caméra de thermographie infrarouge connaît l’importance de disposer
d’une « référence de température » pour déterminer l’exactitude de ses mesures. Dans le domaine du
rayonnement thermique, cette référence optique de température est le corps noir, dont la loi
d’émission est parfaitement définie par la théorie (loi de Planck).Le corps noir peut être représenté
physiquement par une cavité isotherme, dans un matériau quelconque, et complètement fermée, donc
inutilisable en pratique puisque aucun rayonnement ne peut en sortir. La matérialisation du corps noir
est donc réalisée par une cavité presque fermée dont la qualité, en termes d’émissivité, d’uniformité
de température et de justesse, est un compromis entre les hypothèses théoriques et les contraintes
différentes d’une application de métrologie en laboratoire et celles d’une mesure in situ. Le
développement de corps noirs pour l’industrie a conduit le LNE à se doter, depuis plusieurs années, de
corps noirs de référence pour assurer la traçabilité de ces équipements dans le cadre de la chaîne
d’étalonnage BNM/COFRAC.
Sénart, 18 et 19 octobre 2001
Journées d’études de thermographie instrumentale et industrielle
Thermogram’2001
Sénart, 18 et 19 octobre 2001
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Journées d’études de thermographie instrumentale et industrielle
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1. INTRODUCTION
Un corps noir est l’équipement de base pour celui qui veut contrôler, vérifier, étalonner un
pyromètre optique ou une caméra thermique avant une application. Néanmoins, le choix d’un corps
noir du commerce se fait rarement en fonction des caractéristiques d’un étalon de rayonnement
(exactitude de la température, émissivité spectrale) mais, plus souvent, sur des critères tels que
le domaine de température, la stabilité de régulation, le temps de stabilisation, la résolution de
l’affichage, la compacité de l’ensemble.
Le premier paragraphe est donc un simple rappel des propriétés du corps noir théorique alors que
le deuxième présente quelques idées directrices sur la notion de cavité « corps noir », les
méthodes de calcul de l’émissivité apparente, l’application de la méthode la plus simple aux
cavités de forme sphérique et cylindrique et l’influence d’un défaut d’isothermie. Le troisième
paragraphe expose les différents types de corps noir et leurs caractéristiques ; le dernier étant
consacré au raccordement des corps noirs industriels et aux incertitudes d’étalonnage
escomptées.
Nota : Les définitions des grandeurs radiométriques de base (flux, luminance, angle solide) et des
paramètres radiatifs classiques (émissivité, facteurs d’absorption, de transmission, de réflexion)
sont supposées connues.
2. LE CORPS NOIR THEORIQUE ET SA REPRESENTATION PHYSIQUE
2.1.
Loi de Planck [1]
Un corps noir est, par définition, un corps absorbant parfaitement tout rayonnement incident,
quelle que soit sa direction et sa longueur d’onde. Cela signifie que toute l’énergie transportée
par le rayonnement est transformée en énergie interne. Son facteur d’absorption est donc égal à
1. Ce corps idéal est dit « noir » car un absorbeur de lumière apparaît naturellement de couleur
noire à l’œil.
En utilisant les lois de la thermodynamique classique, Kirchhoff démontra en 1860 que le corps
noir possède nécessairement les propriétés suivantes [1] :
•
A température fixée, il émet le maximum d’énergie possible à toute longueur d’onde et pour
toute direction ; autrement dit, aucun corps rayonnant ne peut émettre plus d’énergie que le
corps noir ; l’absorbeur parfait est également un émetteur parfait (ou radiateur intégral)
•
la distribution spatiale du rayonnement émis est isotrope
•
la distribution spectrale du rayonnement émis est une fonction universelle (mais inconnue
alors) de la longueur d’onde et de la température ; en particulier elle est indépendante de la
nature et de la forme du corps (c’est pourquoi on parle de rayonnement du corps noir)
Il a fallu ensuite attendre les travaux de Planck, en 1900, pour obtenir un modèle mathématique
décrivant le spectre d’émission du corps noir. Sans faire l’historique de ces recherches, il faut
noter que l’hypothèse de Planck (la quantité minimale d’énergie d’une onde est proportionnelle à
sa fréquence) fut reprise et interprétée par Einstein, remettant ainsi en cause la théorie
ondulatoire classique de la lumière, pour conduire à la physique quantique.
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Dans l’étude du rayonnement thermique, la loi de Planck exprime la relation entre la luminance
énergétique spectrique émise par le corps noir en fonction de sa température thermodynamique
T et de la longueur d’onde λ du rayonnement dans le vide (indice de réfraction du milieu égal à 1) :
L°P (λ, T ) =
c1
⋅
π
λ−5
 c 
exp 2  − 1
 λ.T 
[W.m
−3
.sr −1
]
cf. figure 1
Les constantes c1 et c2 , appelés première et deuxième constante du rayonnement thermique,
sont liées aux constantes physiques fondamentales :
c1 = 2πhc² = 3, 7418 .10 -16 W.m² et c2 =
h:
constante de Planck
c:
vitesse de la lumière dans le vide
k:
constante de Boltzmann
hc
= 1, 4388 .10-2 m.K
k
Les autres lois, bien connues, du rayonnement thermique découlent de la loi de Planck même si
historiquement elles lui sont antérieures :
La loi du déplacement de Wien (ou loi de Wien), donnant la longueur d’onde du maximum
d’émission λ M du corps noir à une température fixée :
λ M T = cw avec cw =
c2
= 2897,8 µm.K (constante de Wien)
4,9651
La longueur d’onde du maximum d’émission est donc une fonction décroissante de la température
en 1/T (cf figure 1)
Pour situer le spectre d’émission du corps noir à la température T, on peut retenir que 98% de
l’énergie est rayonnée entre 0,5 λ M et 8 λ M , 1% en deçà et 1% au-delà.
La formule de Wien, qui est une approximation de la loi de Planck valable lorsque le terme λT est
très petit devant la constante c2 , donc en pratique pour les courtes longueurs d’onde :
L0w (λ, T ) =
c1 − 5
c
λ exp( − 2 )
π
λT
L’erreur commise est inférieure à 1% dès que le terme λT est inférieur à 3200 µmK.
C’est une relation très utilisée car elle permet une linéarisation en 1/T par une fonction
Logarithme.
La formule de Rayleigh-Jeans, qui est une approximation de loi de Planck lorsque le terme λT est
très grand devant la constante c2 , donc en pratique pour les très grandes longueurs d’onde :
L0rj (λ, T ) =
c1 T
πc2 λ4
l’erreur commise est inférieure à 1% dès que le terme λT est supérieur à 72.108 µmK.
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Cette approximation n’est pas employée en pyromètrie optique compte tenu des longueurs d’onde
utilisables.
loi de Stefan-Boltzmann (dite aussi loi de Stefan qui l’a démontrée expérimentalement en 1876)
L’exitance ou puissance totale rayonnée par unité de surface du corps noir (dans toutes les
directions et pour toutes les longueurs d’onde) est proportionnelle à la puissance quatrième de la
température :
M = σ.T 4
avec
σ=
2. π5 .k 4
2
3
15.c .h
= 5,67.10
−8
W/m2 constante de Stefan-Boltzmann
300
250
300°C
W/m2.sr.µm
200
loi du déplacement de Wien
150
200°C
100
50
100°C
0
0
5
10
15
20
longueur d'onde /µm
Figure 1 - Courbes de Planck à 300°C, 200°C et 100°C
2.2.
Représentation physique du corps noir théorique
Considérons une cavité fermée, réalisée dans un matériau opaque, donc imperméable au
rayonnement. Cette cavité est vide (ou contient un milieu d’indice de réfraction égal à 1) et elle
est de grandes dimensions par rapport à la longueur d’onde considérée. L’ensemble est en
équilibre thermodynamique parfait à la température T. Alors, en tout point de cette cavité,
règne le rayonnement du corps noir (rayonnement d’équilibre) de luminance L0p (λ, T ) .
L0p (λ , T )
Matériau opaque à la
température T
Cavité fermée
D >> λ
D
Equilibre
Thermodynamique
Figure 2 - Corps noir théorique
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Ce corps noir théorique, qui pourrait être fabriqué, n’a évidemment aucun intérêt pratique
puisque aucun orifice ne permet d’exploiter le rayonnement existant. Néanmoins, il met en
évidence deux propriétés très importantes déjà évoquées : la nature du matériau n’intervient pas
et la forme de la cavité n’a aucune influence.
Examinons à ce stade le degré de difficulté à satisfaire aux exigences de base :
matériau opaque :
Ce point peut être vérifié sans difficultés excessives car, actuellement, des mesures de facteur
de transmission spectrale jusqu’à 20 µm voire 25 µm peuvent être réalisées, à température
ambiante, avec des instruments très fiables du commerce (spectromètre à transformée de
Fourier). Si l’utilisation de métaux ne pose à priori aucun problème, compte tenu de leur opacité
au rayonnement sur une épaisseur inférieure au micromètre, il faut être prudent avec les oxydes
réfractaires, intéressants pour leur tenue à hautes températures, car ce sont des matériaux
semi-transparents. La réalisation d’une cavité corps noir en alumine, par exemple, donnera des
résultats catastrophiques à courte longueur d’onde (donc pour les hautes températures), compte
tenu du spectre de son facteur de transmission.
cavité sous vide :
Dans la quasi-totalité des cas, le milieu contenu dans la cavité est de l’air dont l’indice de
réfraction vaut 1,00029 ; ce qui engendre une erreur relative de 9.10-8 par rapport à la luminance
dans le vide, donc tout à fait négligeable.
équilibre thermodynamique parfait :
Cette notion générale consiste dans l’uniformité et la stationnarité des valeurs des variables
intensives (température, pression) et extensives (masse, concentration) décrivant l’état d’un
système.
En pratique, l’uniformité de température est le critère le plus difficile à maîtriser, ceci pour
deux raisons. La première est qu’il n’y a jamais isothermie complète de la cavité. On admet alors
qu’un équilibre thermodynamique local est réalisé, pour tout élément de volume de la cavité, si les
variables intensives classiques peuvent être définies. Cette condition est satisfaite tant que les
gradients de température ne sont pas trop élevés ni rapidement variable avec la température [2].
La seconde raison est la grande difficulté expérimentale à mesurer avec exactitude ce défaut
d’isothermie ; ce qui se traduit par certaines hypothèses non explicitées ou non justifiées.
3. MATERIALISATION PRATIQUE DU CORPS NOIR
3.1.
Cavité corps noir
La matérialisation pratique du corps noir nécessite donc de créer une ouverture dans les parois
de la cavité afin de réaliser un corps noir (ou une cavité corps noir) dont la qualité métrologique
sera d’autant plus grande que les conditions de validité seront respectées. Une ouverture de
toute petite surface par rapport à la surface totale de la cavité serait évidemment suffisante
pour obtenir un corps noir presque parfait mais il faut tenir compte de la résolution optique de
l’instrument à étalonner. Ce dernier point est prépondérant car un corps noir est inutilisable, d’un
point de vue métrologique, si la surface de l’ouverture ne couvre pas le champ de mesure de
l’instrument à étalonner (c’est la notion de pouvoir de résolution spatiale de mesure utilisée en
thermographie). Ce sont donc les caractéristiques optiques de l’instrument qui vont conditionner
la dimension de l’ouverture de la cavité et la géométrie du four recevant la cavité.
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Sur le plan théorique, c’est l’ouverture de la cavité qui se comporte, en fait, comme une surface
« corps noir » en absorbant presque totalement tout rayonnement incident. C’est pour cette
raison que l’instrument à étalonner doit être focalisé sur l’ouverture de la cavité, et non sur le
fond de la cavité ou l’ouverture du four contenant la cavité. Ceci étant, ce point sera approfondi
au paragraphe 3.2 lorsque sera évoqué l’influence de l’uniformité de température.
Absorption
rayonnemen
du
tinciden
t
Figure 3 - Cavité « corps noir »
Cette ouverture sera caractérisée par une émissivité apparente (ou effective) spectrale
directionnelle ε'a (λ) , obtenue en modélisant le rayonnement absorbé, ou le rayonnement émis, par
les parois de la cavité. En effet, les deux raisonnements conduisent à des résultats identiques en
vertu de la loi de Kirchhoff sur l’égalité des facteurs directionnels spectraux d’absorption et
d’émission.
Le rayonnement sortant par l’ouverture, qui éclaire l’optique d’entrée d’un instrument, provient
des parois et il pourra être nécessaire de calculer une émissivité apparente intégrée sur l’angle
solide d’ouverture de l’optique, en particulier lorsque la géométrie induit une émissivité apparente
anisotrope. Ce couplage cavité-instrument à étalonner ne doit être considéré que pour les
mesures de grande exactitude. Il n’est donc pas possible de donner une formulation simple de
l’émissivité apparente de l’ouverture sans entrer dans le détail du comportement radiatif (en
émission et en réflexion) du matériau, de la géométrie de la cavité, et de la distribution de
température des parois lorsque la cavité n’est pas isotherme.
Une analyse plus détaillée est présentée au paragraphe 2.3 mais il faut retenir que l’émissivité
apparente de l’ouverture d’une cavité sera fonction principalement de :
•
l’émissivité spectrale directionnelle du matériau ; cela signifie que le matériau, s’il peut être
quelconque, sera de préférence fortement émissif dans un domaine spectral assez large
•
la géométrie de la cavité qui sera un compromis entre la difficulté de réalisation, l’émissivité
du matériau, l’uniformité de température et la résolution optique de l’appareil à étalonner.
Les exemples, présentés sur la figure 4, correspondent aux formes les plus courantes car les plus
faciles à réaliser, excepté pour le cas de la sphère dont l’intérêt principal est une modélisation
aisée, compte tenu de sa symétrie de révolution.
Comme cela a déjà été mentionné, il n’y a aucune limitation particulière sur la géométrie si ce
n’est la complexité des calculs qui croît avec le nombre de variables dimensionnelles pour
caractériser la cavité et le comportement anisotrope du rayonnement du matériau. De plus, une
modélisation compliquée n’a que peu d’utilité si certains usinages sont difficilement réalisables ou
si elle nécessite une bonne connaissance des paramètres radiatifs en fonction de la direction.
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R
R
θ
r
L
Cylindre diaphragmé
Sphère
θ
L
θ
D
Cône
D
Cylindre ouvert avec fond conique
Double cône
Figure 4 - Géométrie de cavités « corps noir »
3.2.
Méthodes de calcul de l’émissivité apparente d’une cavité
Ces méthodes peuvent être classées en 3 catégories, selon leur principe et leur niveau de
généralité, mais avant de les présenter sommairement, une question naturelle concerne l’utilité
de connaître l’émissivité apparente d’une cavité avec une certaine exactitude.
3.2.1. Intérêt d’un calcul précis de l’émissivité apparente
En effet, on peut se demander si une valeur approximative de 0,99 pour l’émissivité apparente
d’une cavité ne suffit pas et quel est l’intérêt à obtenir une valeur plus proche de 1. Pour s’en
convaincre, il faut regarder la différence entre le rayonnement émis par une cavité d’émissivité
0,99, à la température Tcn, et le rayonnement émis par le corps noir à cette même température.
Cette différence de rayonnement, traduite en température, correspond à une erreur sur Tcn. La
figure 5 donne les valeurs de cette erreur, en fonction de la température, pour différentes
longueurs d’onde. Pour un instrument ayant une longueur d’onde effective de 5 µm, l’erreur sur la
température radiométrique d’une cavité d’émissivité 0,99 vaut –2°C à 500°C et –5°C à 1000°C.
Une autre approche consiste à étudier l’erreur commise, à une longueur d’onde particulière, pour
différentes valeurs d’émissivité apparente comprises entre 0,99 et 0,9999 (cf figure 6 pour 5
µm). Si l’émissivité apparente est supérieure à 0,999, l’erreur à 5 µm reste inférieure à 1°C sur
tout le domaine de température.
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erreur /°C
0
9
λ /µm
-5
1
3
-10
5
10
-15
0
500
1000
15
1500
température du corps noir /°C
erreur à 5 µm /°C
Figure 5 - Erreur spectrale sur la température d’un corps noir d’émissivité 0,99
0
-2
-4
-6
-8
-10
-12
-14
0.99
0.995
0.999
0
500
1000
1500
température du corps noir /°C
Figure 6 - Erreur à 5 µm sur la température d’un corps noir d’émissivités respectives 0,99 ;
0,995 ; 0,999
3.2.2. Méthode des réflexions en série
Le principe est de considérer un rayonnement incident, pénétrant dans la cavité dans une
direction donnée δ, et de calculer la fraction ρ'a (λ, δ) qui en ressort, après les réflexions
successives sur les parois ; on obtient en final α'a (λ, δ) = 1 − ρ'a (λ, δ) et par suite ε'a (λ, δ) = α'a (λ, δ) .
Les hypothèses de base sont : cavité isotherme, réflexion diffuse isotrope (ou spéculaire)
indépendante de la direction d’incidence. Cette méthode repose sur le calcul du facteur de forme
entre un élément quelconque de surface de la cavité et l’ouverture. Elle est utilisée dans de
nombreux modèles simplifiés car la solution est complètement analytique.
3.2.3. Méthode des radiosités, dite aussi méthode intégrale
Le principe est de considérer la somme des rayonnements émis et réfléchis par les parois de la
cavité qui donnent une contribution dans la direction δ et d’obtenir ainsi directement
ε a' (λ , δ ) .
Elle nécessite une discrétisation spatiale de la cavité pour permettre le calcul du facteur de
forme entre deux éléments quelconques de surface. On suppose que l’émission est diffuse
isotrope ; par conséquent la réflexion est diffuse isotrope, indépendante de la direction
d’incidence. Cette méthode est plus générale que la précédente car il est possible de traiter le
cas d’une cavité anisotherme en affectant une température particulière à chaque élément de
surface. Les équations de base conduisent à la résolution, par méthode numérique, d’un système
matriciel, de dimension proportionnelle à la finesse de la discrétisation.
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3.2.4. Méthode de Monte-Carlo [6]
C’est une méthode numérique, de nature probabiliste, adaptée à la résolution de problèmes
complexes mais dont la mise en œuvre est lourde et délicate. Le principe, transposé à notre
application, consiste à suivre le chemin le plus probable d’un paquet d’énergie jusqu’à son
absorption complète par la cavité ou sa sortie par l’ouverture. A chaque point d’impact, un choix
aléatoire détermine la répartition de l’énergie entre l’absorption et la réflexion, ainsi que la
nouvelle direction de propagation. Elle permet donc de traiter le cas général d’une cavité
anisotherme, avec une réflexion diffuse (donc anisotrope dans le cas général).
3.3. Emissivité apparente de cavités isothermes à émission diffuse
isotrope
3.3.1. Cavité de forme sphérique
La cavité de forme sphérique est souvent présentée, car la modélisation par la méthode des
réflexions en séries s’applique facilement et permet de fixer les idées sur l’influence relative de
l’ouverture et de l’émissivité du matériau. Pour une sphère de rayon R, ayant une ouverture de
rayon r, en notant ρ(λ) le facteur spectral de réflexion directionnel-hémisphérique et
ε(λ) = 1 − ρ(λ) , l’émissivité apparente de l’ouverture est isotrope
ε a (λ) = 1 −
avec F =
r
1 − cos θ
; sin θ =
et
2Rs
2
ρ(λ) F
ε(λ)
=
1 − ρ(λ) (1 − F) ε(λ) + [1 − ε(λ)] F
θ le demi-angle d’ouverture de la sphère (figure 4)
Le terme F correspond au facteur de forme entre un élément de surface quelconque de la cavité
et la surface de la calotte sphérique découpée par l’ouverture. (A noter que la relation initiale de
Gouffé [3] suppose qu’il y a égalité entre la surface de la calotte et la surface de l’ouverture
circulaire – cas d’une petite ouverture)
La figure 7 représente les variations de l’émissivité ε a (λ) en fonction du terme ε(λ) pour
différentes valeurs de θ. A faible émissivité du matériau, l’émissivité apparente dépend
fortement de l’ouverture alors qu’elle reste supérieure à 0,99 dès que ε(λ) est supérieur à 0,8.
Obtenir ε a (λ) supérieure à 0,999 n’est possible que si θ ≥ 5° et si
ε (λ ) ≥ 0,7.
1
θ /°
0,98
5
0,96
10
15
0,94
20
0,92
0,9
0
0,2
0,4
0,6
0,8
1
ε(λ)
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Figure 7 - Emissivité d’une cavité sphérique en fonction de l’émissivité du matériau, pour
différentes valeurs de θ
3.3.2. Cavité de forme cylindrique
La cavité de forme cylindrique a fait l’objet de nombreux travaux que ce soit par la méthode des
réflexions en série [4] ou par la méthode des radiosités.
L’émissivité apparente normale d’une cavité de longueur L , de rayon interne R avec une
ouverture de rayon r < R est donnée avec une très bonne approximation par la relation suivante
(la dépendance en λ n’est plus précisée pour alléger l’écriture) :
ε na = 1 −ρ I1 − ρ2 a 2 I2 − ρ3
avec I1 =
I1 (1 − I1 )2
1 − ρ (1 − I1 )
r2
r
, a=
et I2 tabulé en fonction du rapport L /R .
2
2
R
L +r
Cette approximation est d’autant meilleure que le terme ρ(λ)I1 est petit. Par exemple, l’erreur
sur
ε an est inférieure à 2.10-5 si ce terme est inférieur à 1.10-3.
Tableau 1
L /R
I2
L /R
I2
L /R
I2
4
0,0488
7
0,0096
10
0,0031
5
6
0,0267
0,0155
8
9
0,0063
0,0043
12
14
0,0017
0,0010
3.3.3. Cavité de forme quelconque–Valeur approchée
Une approche simplifiée consiste à évaluer les limites inférieures et supérieures de l’émissivité
apparente, à l’aide des relations suivantes
εmin
=1−
a
1−ε
F et ε max
= 1 − (1 − ε) F
a
ε
avec F : facteur de forme entre l’élément de surface considéré et l’ouverture ; le terme
ε amin n’ayant de sens physique que si
ε > 0,5.
Si ces limites sont suffisamment proches pour que la valeur moyenne de εmin
et ε max
puisse être
a
a
retenue avec le niveau d’incertitude correspondant ( εmax
− ε min
a
a ) / 2 , il n’est pas forcément utile
de chercher une modélisation plus exacte de la cavité. Dans le cas d’une cavité de profondeur L
et d’ouverture circulaire de rayon r , si l’élément de surface est normal à l’ouverture (fond plat),
on a F = r2 /(L2 + r2 ) .
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12
1.00
0.99
0.98
min
0.97
max
0.96
0.95
0.5
0.6
0.7
0.8
0.9
1
ε(λ)
Figure 8 - Emissivités apparentes inférieure et supérieure d’une cavité de rapport L/r=5
Remarque
Pour des valeurs numériques précises sur différentes formes de cavité, se reporter à la
référence [3] qui comporte une compilation de plus d’une centaine d’articles.
3.4.
Traitements de surface pour augmenter l’émissivité d’un matériau
Pour favoriser une uniformité de température de la cavité, les métaux sont préférentiellement
choisis en raison de leur plus forte conductivité thermique. Ils présentent l’inconvénient d’un fort
facteur de réflexion, avec une composante spéculaire qui croit avec la longueur d’onde, et
certains traitements de surface sont alors utilisés.
3.4.1. Macro-rugosités
L’état de surface d’un matériau est souvent modifié par usinage en réalisant des macro-rugosités,
sous forme de rainures en V (ou en U) ou de pyramides. Ceci revient à créer localement des
cavités de faible profondeur qui vont globalement augmenter l’émissivité du corps et favoriser un
rayonnement diffus en éliminant la composante spéculaire du rayonnement réfléchi.
La relation la plus usitée pour évaluer l’apport de ces macro-rugosités est celle de Psarouthakis :
ρv =
avec
θ
ρ sin θ
1 − ρ (1 − sin θ)
: demi-angle d’ouverture
θ
Un rainurage en V, avec θ = 15°, permet de diminuer le facteur de réflexion de 0,3 à 0,1. Dans
une cavité cylindrique de laboratoire, un procédé courant consiste à usiner des V - rainures
circulaires, ou des pyramides, dans le fond de la cavité et un filetage grossier dans la partie
cylindrique.
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3.4.2. Peintures noires
1
0.9
SS / NVC 811-21
Al / Pyromark
SS/Senotherm
0.8
Al / Zynolite
0.7
0.6
0
2
4
6
8
10
12
14
16
longueur d'onde (µm)
Figure 9 - Emissivité spectrale directionnelle (12°) de peintures noires à 150°C
Parmi les traitements de surface, permettant d’augmenter de manière très significative
l’émissivité d’un matériau, les peintures dite noires, c’est à dire de forte émissivité spectrale,
sont les plus courantes et les plus performantes pour les températures inférieures à 300°C. De
plus, elles peuvent être appliquées de façon aisée (pistolet, pinceau, spray). Certaines sont
utilisables à plus haute température mais elles se dégradent optiquement et mécaniquement avec
les contraintes thermiques. La valeur d’émissivité spectrale, généralement admise, pour une
« bonne » peinture noire est de l’ordre de 0,95, mais les résultats ci-dessous, obtenus au LNE
dans le cadre de travaux européens, montrent qu’il faut rester prudent avec certaines valeurs
conventionnelles et qu’il est préférable de réaliser une mesure sur une éprouvette particulière
car on obtiendra une information plus fiable sur l’ensemble substrat + peinture + mode
d’application.
3.4.3. Oxydation
C’est le procédé de substitution aux peintures noires pour les températures où elles ne sont plus
utilisables. Mais l’accroissement de l’émissivité est moindre. L’inconel oxydé est souvent utilisé
car son émissivité spectrale est comprise entre 0,75 et 0,8 dans le domaine 1 à 14 µm.
Remarque
dans la réalisation de corps noirs, utilisés en laboratoire de métrologie ou en milieu industriel, le
traitement de surface du matériau est souvent une combinaison de deux techniques, macrorugosités + peinture noire ou macro-rugosités + oxydation, en fonction de la température de
fonctionnement.
3.5. Influence du défaut d’isothermie de la cavité sur l’émissivité
apparente
En toute rigueur, on ne peut définir l’émissivité apparente d’une cavité non-isotherme car ce
paramètre sera fonction de la température d’une surface de référence et de la distribution des
températures des parois. En général, on choisit comme surface de référence, celle qui rayonne
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directement sur l’instrument à étalonner (fond de la cavité) ou bien celle la plus proche du
thermomètre à contact.
Il n’existe pas de relation générale dans le cas d’une cavité non-isotherme et chaque
configuration expérimentale doit être traitée au cas par cas. Néanmoins, certains résultats
basiques peuvent se déduire d’une modélisation très simpliste.
Soit une cavité cylindrique diaphragmée de caractéristiques L /R = 190/30 et r / R = 20/30,
décomposée en trois parties : le fond (1), le cylindre (2) et le diaphragme (3).
Le traitement de surface étant différent sur chaque partie, les émissivités respectives sont
0,79, 0,75 et 0,6. L’émissivité apparente normale (émissivité apparente du fond) à 10 µm a été
calculée par la méthode des radiosités pour quatre distributions de température, avec une
température de référence de 350°C.
fond (1)
diaphragme (3)
cylindre (2)
Figure 10 - Cavité cylindrique décomposée en 3 parties
Tableau 2
Distribution
Emissivité apparente
de température
1
T1=T2=T3
normale
0,9955
(isotherme)
2
T2=T1-2°C
T3=T1-7°C
0,9937
3
T3=T1
T2=T1-1°C
0,9947
T2=T1
0,9947
4
T3=T1-60°C
La configuration 2 correspond approximativement à la distribution réelle de température ; la
différence d’émissivité apparente par rapport au cas isotherme induit une erreur de –0,45°C sur
la température radiométrique de la configuration 1.
La configuration 3 montre qu’une baisse de 1°C seulement dans le cylindre induit une variation non
négligeable de l’émissivité apparente.
La configuration 4 fait apparaître qu’il faut une chute de 60°C dans le diaphragme pour obtenir le
même effet sur l’émissivité apparente que dans la configuration 3.
Par conséquent, pour une cavité de forme cylindrique, diaphragmée ou non, ou de forme cylindroconique, l’influence d’une non-uniformité de température sera d’autant plus faible qu’elle est
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localisée loin du fond de la cavité (le facteur de forme diminuant), c’est-à-dire de la principale
surface « vue » par l’instrument à étalonner.
Expérimentalement, on peut s’assurer que la non-uniformité d’une cavité n’a pas d’influence sur le
résultat d’un étalonnage si aucune variation du signal de l’instrument n’est détectée lorsqu’on fait
varier la focalisation de l’instrument depuis l’ouverture de la cavité jusqu’à la surface du fond (et
même jusqu’à l’infini si le faisceau optique n’est pas diaphragmé par l’ouverture). Cela signifie que
le rayonnement collecté par l’optique de l’instrument provient de surfaces quasi-isothermes (à la
résolution thermique près de l’instrument) et que le défaut d’isothermie des surfaces restantes
n’a pas d’effet.
Lorsque le fond de la cavité n’est pas isotherme, il est difficile de réaliser une mesure correcte
car le signal fourni par l’instrument sera une intégration du rayonnement émis par les surfaces à
différentes températures pondérée par sa fonction de réponse spatiale. Le résultat sera alors
sensible à une variation de focalisation. Dans certains cas, il sera préférable de focaliser
l’instrument sur la surface du fond, afin que la température mesurée par le thermomètre à
contact (s’il n’y a pas d’erreur de justesse) soit plus représentative de la température
radiométrique qui sera prise en compte par l’instrument.
D’une manière générale, la première difficulté dans la réalisation de cavités « corps noir » reste
l’obtention d’une bonne uniformité de température.
4. LES DIFFERENTS TYPES DE CORPS NOIR
Le terme « corps noir » est utilisé, dans le langage courant, pour désigner une référence de
température en rayonnement. Selon le degré d’exactitude admissible et en fonction des
contraintes de l’application, cette référence de température pourra s’écarter du corps noir
théorique et l’absence de terminologie nécessite d’adjoindre au terme de « corps noir » un
qualificatif pour préciser son type d’utilisation et, implicitement, son niveau métrologique.
On peut classer les différentes sortes de corps noirs en quatre catégories :
•
Corps noir point fixe
•
Corps noir de référence à température variable
•
Corps noir industriel à cavité
•
Corps noir plan
4.1.
Corps noir point fixe
Il s’agit de corps noirs dont la température est définie par un point fixe de repère de l’Echelle
Internationale des Températures (EIT-90). Leur domaine d’utilisation est donc restreint à une
seule température mais la reproductibilité est excellente. Ils n’intéressent a priori que les
laboratoires nationaux de métrologie.
4.1.1. Rappel sur l’EIT-90 [7]
La température thermodynamique Tth est une grandeur physique intensive, mesurable à partir de
celle du point triple de l’eau (0,01°C), à condition d’utiliser un corps dont une fonction physique,
liée à Tth, est connue ; par exemple : l’énergie radiative du corps noir, la pression d’un gaz à
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volume constant, la vitesse du son dans une cavité résonante, le bruit engendré par l’agitation des
électrons dans une résistance électrique… Pour contourner cette difficulté et répondre aux
besoins de mesure avec des instruments moins complexes, on utilise une échelle de température,
approchant au mieux la température thermodynamique. L’échelle en vigueur est l’Echelle
Internationale des Températures de 1990 (EIT-90), fondée sur les valeurs de température
assignées à un certain nombre d’états d’équilibre reproductible (points fixes de définition), sur
des instruments spécifiés, étalonnés à ces températures et sur des équations permettant
d’interpoler ou d’extrapoler à partir des points fixes.
Dans l’EIT-90, au-delà de 961,78°C, la température T90 est définie, au moyen de la loi de Planck,
à partir du point de congélation de l’argent (961,78°C), de l’or (1064,18°C) ou du cuivre
(1084,62°C), c’est-à-dire au moyen d’un corps noir point fixe.
4.1.2. Corps noir point fixe de l’EIT-90
La mise en œuvre d’un corps noir de ce type est très lourde.
La cavité est constituée d’un creuset en graphite dans lequel est coulé au préalable le métal de
haute pureté. L’uniformité de température doit être meilleure que 1°C sur toute la longueur de la
cavité (≈ 150 mm) et elle est contrôlée par un thermocouple pouvant être déplacée
longitudinalement à l’axe de la cavité. Plusieurs zones de chauffage/régulation sont nécessaires
pour obtenir cette uniformité, indispensable à une congélation globale du métal autour de la
cavité Un balayage permanent de gaz neutre (argon) est effectué pour limiter la formation
d’oxydes de carbone.
La figure 11 présente le corps noir au point du cuivre réalisé par l’INM (laboratoire primaire du
BNM pour la température). Il en existe une copie au LNE.
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Figure 11 - Corps noir au point du cuivre du BNM / INM
4.1.3. Autres corps noirs point fixe
D’autres points fixes de l’EIT-90, comme le point de fusion du gallium (29,76°C) ou le point de
congélation du zinc (419,53°C), peuvent être utilisés pour réaliser des corps noirs.
A l’heure actuelle, ce genre de référence reste très peu diffusé ; seulement deux laboratoires
nationaux européens en possèdent. Il existe cependant des modèles commercialisés mais ils sont
coûteux et leur qualité reste à établir.
4.2.
corps noir de référence à température variable
Ces corps noirs servent de référence de température dans les laboratoires de métrologie pour
l’étalonnage de pyromètres optiques ou de caméras thermiques et de corps noirs industriels.
Généralement, les cavités sont de forme cylindrique avec (ou sans) diaphragme et avec un fond
plat ou conique. On réalise sans trop de difficultés majeures des corps noirs, travaillant en
atmosphère oxydante, pour couvrir le domaine –20°C à 1500°C. De –20°C à 300°C, la régulation de
température se fait classiquement avec une circulation de fluide caloporteur ; un procédé plus
récent est le caloduc à ammoniaque (jusqu’à 50°C) ou à eau (50 à 300°C). Dans les moyennes
températures, le système le plus performant pour l’uniformité de température est le caloduc ;
caloduc à césium entre 300 et 600°C, et caloduc à sodium entre 600 et 1000°C. Rappelons qu’un
caloduc est une enceinte étanche contenant un liquide en équilibre avec sa vapeur.
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De 1000°C à 1500°C, sont utilisés des fours à chauffage résistif à plusieurs enroulements et, audelà, la technologie usuelle se limite au graphite jusqu’à 2500/3000°C mais la connaissance de la
température est plus difficile car elle ne peut s’obtenir que par pyrométrie optique.
Une caractérisation complète d’un corps noir de référence est nécessaire pour déterminer la
température réellement rayonnée en fonction de la longueur d’onde, ou plus précisément la
température de luminance.
4.2.1. Rappel sur la température de luminance
La température de luminance spectrique d’un corps est définie comme la température du corps
noir qui donnerait la même luminance énergétique spectrique que ce corps, dans les mêmes
conditions. C’est la température affichée par un pyromètre ou une caméra thermique, après
correction d’étalonnage, lorsque l’émissivité est fixée à 1. D’autres termes sont parfois
employés : température « corps noir », température apparente, température radiométrique.
Dit autrement, la caractérisation d’un corps noir permet de connaître la correction à apporter
sur sa température thermométrique pour obtenir sa température radiométrique.
Une cavité corps noir, supposée isotherme à la température T , d’émissivité apparente εisoa(λ) , a
donc une température de luminance Tl (λ) définie par :
0
L0p (λ, Tl ) = εiso
a (λ) Lp (λ, T )
(le rayonnement réfléchi étant négligeable car εisoa(λ) ≈ 1) Tous calculs faits, on obtient
Tl (λ) = T − (1 − εiso
a )
λT 2 
c2 
)
1 − exp( −
c2 
λT 
Le terme εisoa(λ) est calculé en fonction de la géométrie de la cavité et de ε m (λ) , à l’aide du ou
des modèles appropriés si la cavité comporte des macro-rugosités ; le terme ε m (λ) étant
l’émissivité spectrale d’une éprouvette représentative de la surface de la cavité (matériau brut
ou matériau + peinture noire).
La température T est mesurée par un thermomètre à contact étalonné aux points fixes de l’EIT
90 ; sonde à résistance de platine jusqu’à 660°C et couple thermoélectrique jusqu’à 1500°C.
L’uniformité de température est étudiée au moyen de sondes, située dans la partie cylindrique de
la cavité et déplacées longitudinalement à l’axe, afin d’obtenir un profil P(T ) des températures.
Ce profil est utilisé pour obtenir les informations suivantes :
•
différence entre la température du fond de la cavité et la température à l’endroit de la
cavité où elle est mesurée, d’où une éventuelle correction sur la température T ;
•
différence entre εisoa(λ) et l’émissivité ε a (λ, T, P(T )) , d’où une estimation de l’incertitude sur
εisoa(λ) due au défaut d’isothermie ; le terme ε a (λ, T, P(T )) étant calculé par la méthode des
radiosités.
La figure 12 présente la cavité du corps noir de référence du LNE pour le domaine -20°C à 150°C.
L’émissivité apparente isotherme est supérieure à 0,99987 pour toute longueur d’onde entre 0,8
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µm et 14 µm. A 150°C, le défaut d’isothermie est de l’ordre de 0,5°C sur 190 mm de longueur de
cavité.
4.3.
Corps noir industriel à cavité
Ce type de corps noir comporte une cavité conique, cylindrique ou cylindro-conique dont la
température est mesurée par un couple thermoélectrique ou parfois, une sonde Pt 100 à basse
température. On trouve couramment des modèles entre l’ambiante et 1400/1500°C qui restent
transportables (10 à 80 Kg). Certains versions en catalogue atteignent –20°C mais le problème de
la condensation et du givre sur les parois est rarement bien résolu. Enfin, très peu de
constructeurs proposent des corps noirs pour les températures entre 1500°C et 3000°C.
Les diamètres d’ouverture sont très variables, compris entre 10 et 60 mm, selon les modèles et
le niveau de température. L’émissivité apparente annoncée est, en général, 0,99 ± 0,01, sans
précision particulière sur l’influence de la longueur d’onde (cf. remarque du §2.2)
Figure 12 - Cavité « corps noir » de référence du LNE pour le domaine de température –20°C
à 150°C
Les principaux problèmes portent sur la justesse de la température affichée et l’uniformité de
température, notamment dans le fond de la cavité.
*>570.2°C
570.0
565.0
560.0
555.0
*<550.2°C
Figure 13 - Exemple de cavité à fond non uniforme (bande 8-14 µm)
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Les raisons sont variées et connues seulement du constructeur : un seul thermocouple servant à
la fois pour la régulation et la mesure, thermocouple de mesure situé dans une zone à fort
gradient thermique, chauffage avec un seul enroulement pour toute la longueur de la cavité,
pertes thermiques importantes en face avant, pont thermique dans le fond de la cavité due au
maintien du thermocouple…
En contrepartie, la compacité et la simplicité d’utilisation, quelquefois le prix, sont des avantages.
4.4.
Corps noir plan
Ces corps noirs sont utilisés pour les applications où les problèmes d’encombrement ou de temps
de stabilisation sont prépondérants. L’absence de cavité impose, sauf matériau particulier, un
dépôt de peinture noire, voire des macro-rugosités de surface, pour obtenir une émissivité
apparente supérieure à 0,95. La température maximale est limitée par la tenue du revêtement
(de l’ordre de 300°C) mais la surface rayonnante peut être importante (1m x 1m) permettant la
vérification in situ de caméras thermiques à grande distance.
Dans certains modèles, la surface rayonnante est située en retrait de la face avant du four, pour
améliorer l’uniformité de température.
L’erreur de justesse de la température affichée est fortement liée à la conductivité thermique
du matériau et à l’importance de la convection et du rayonnement réfléchi.
5. TRAÇABILITE
5.1.
Etalonnage d’un corps noir industriel
La traçabilité, dite technique, consiste à pouvoir relier un résultat de mesure à des étalons
appropriés, par l’intermédiaire d’une chaîne ininterrompue de comparaisons. La manière dont
s’effectue cette liaison aux étalons est appelée « raccordement aux étalons ».
Dans la chaîne d’étalonnage nationale BNM/COFRAC concernant la température, le LNE assure le
raccordement des corps noirs industriels par comparaison à des corps noirs de référence. C’est
la notion d’étalonnage d’un corps noir au sens COFRAC.
D’un point de vue métrologie, un corps noir industriel est considéré comme une boîte (noire) car
les erreurs sur la température affichée et sur l’émissivité apparente ne sont pas dissociables. Il
est inutile d’étalonner séparément le thermomètre d’un corps noir si la différence entre la
température mesurée par le thermomètre et la température de la cavité ne peut être appréciée.
De même, la mesure de l’émissivité d’un corps noir (si c’était mesurable) n’aurait un sens que si sa
température était connue avec justesse.
L’étalonnage est donc global et la température affichée par le régulateur (ou la tension du
thermocouple) devient alors une grandeur repère de l’état thermique du corps noir à étalonner.
La comparaison, entre le corps noir de référence et le corps noir industriel, est effectuée par un
comparateur optique, mesurant une luminance dans un domaine spectral limité, ou bien dans une
bande spectrale lorsque le comparateur est un pyromètre optique ou une caméra thermique (0,8 à
1,1 µm ; 3 à 5 µm, 8 à 14 µm).
La procédure consiste à ajuster la température de l’étalon (ou celle du corps noir à étalonner)
pour obtenir des réponses très voisines du comparateur devant les deux sources.
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Dans ces conditions, à une température Taff de la grandeur repère, correspond une température
de luminance Tcn (∆λ) du corps noir de référence, telle que définie au § 2.2. Cette température
de luminance est fonction de la bande spectrale ∆λ du comparateur optique.
Corps noir de
référence
Tcn(∆λ)
Comparateur optique
de bande spectrale ∆λ
Corps noir à
étalonner
Taff
Figure 14 - Etalonnage de corps noirs par comparaison
Le résultat final peut se formuler ainsi : ce corps noir industriel, réglé à Taff, rayonne la même
luminance, dans la bande spectrale ∆λ, que le corps noir théorique à la température Tcn.
Ce résultat est garanti avec une incertitude ± δT à un niveau de confiance de 95% et dans des
conditions d’étalonnage particulières. La correction à appliquer à Taff vaut algébriquement Tcn-Taff
et l’incertitude sur cette correction vaut ± δT. Les conditions d’étalonnage sont le diamètre visé
dans le plan d’ouverture du corps noir industriel (défini par l’optique du comparateur), la
température ambiante et l’humidité relative du local.
La figure 15 présente les résultats d’étalonnage de quelques corps noirs industriels (certains
étant des modèles identiques), dans la bande spectrale 8-14 µm. Ils sont donnés sous forme d’une
correction à effectuer sur la température affichée par le régulateur de la source.
Les corrections négatives correspondent au cas d’un thermocouple de mesure positionné dans une
zone de gradient thermique, probablement entre la surface de chauffage et la surface
rayonnante. Dans les autres cas, il y a un cumul des erreurs provenant de la mesure de
température et de l’émissivité de la cavité.
correction 8-14 /°C
15
10
5
0
-5
-10
-15
0
200
400
600
température affichée /°C
Figure 15 - Exemples de corrections d’étalonnage sur la température indiquée par un corps
noir industriel
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5.2.
22
Incertitude d’étalonnage
L’incertitude d’étalonnage d’un corps noir industriel résulte de la combinaison de l’incertitude sur
la température de luminance du corps noir de référence (thermomètre, émissivité, uniformité de
température), des incertitudes dues au comparateur (stabilité à court terme, résolution,
longueur d’onde effective) et des incertitudes dues au corps noir industriel (stabilité,
reproductibilité, uniformité de température). La composante la plus difficile à maîtriser reste
l’incertitude due à la non-uniformité du corps noir à étalonner. Pour donner des ordres de
grandeur, le tableau suivant présente les meilleures incertitudes d’étalonnage au LNE, à
différents niveaux de température, en fonction de la bande spectrale. Ces incertitudes sont
exprimées, selon l’usage en métrologie, en deux écarts-type, c’est-à-dire avec un niveau de
confiance de 95%.
Tableau 3
Incertitudes d’étalonnage de corps noirs (±
± 2σ
σ) /°C
Température /°C
0,8-1,1 µm
3-5 µm
8-14 µm
-20
***
1,2
0,5
100
***
0,9
0,9
350
***
1,8
1,6
600
1,8
2,6
2,5
900
2,0
2,9
3,1
1500
2,4
3,5
***
6. CONCLUSION
Bien que le terme de « corps noir» désigne, par définition, une référence de température, les
corps noirs du commerce présentent des défauts inhérents au compromis entre le corps noir
théorique et un produit industriel.
Une valeur d’émissivité de 0,99, si elle peut sembler suffisamment proche de 1 au premier abord,
se révèle insuffisante à grande longueur d’onde et haute température.
La température fournie par un corps noir industriel est rarement juste, qu’elle soit affichée par
le régulateur ou disponible par la mesure avec un thermocouple. L’erreur provient principalement
d’une mauvaise uniformité de température et de la résistance thermique entre le capteur et la
surface rayonnante.
En l’absence d’étalonnage, l’utilisation d’un corps noir du commerce comme référence n’est
envisageable que si une incertitude minimale de ± 2°C à ± 20°C, selon le niveau de température,
est acceptable.
L’étalonnage par comparaison à un corps noir de référence d’un laboratoire de métrologie permet
de diminuer notablement cette incertitude et d’obtenir une valeur de l’ordre de ± 1°C à ± 4°C si
l’uniformité de température est correcte.
Ceci étant, un corps noir industriel reste l’unique instrument à ce jour, pour vérifier
périodiquement un pyromètre optique ou une caméra thermique.
BIBLIOGRAPHIE
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Monographie BNM
Sénart, 18 et 19 octobre 2001
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