Langues de France 11
En même temps que ces extensions de champ dans l’espace social
et dans la durée, le volet linguistique de l’enquête Famille a pu bénéfi-
cier d’un enrichissement considérable des variables prises en compte.
En premier lieu, l’Insee a accepté de réintroduire dans les bulletins du
recensement une question sur la date d’entrée en France des per-
sonnes immigrées, variable qui est ensuite récupérée dans le fichier de
l’enquête Famille, comme toutes les autres. C’est évidemment capital :
la mesure de l’intégration linguistique, comme d’ailleurs de toute autre
forme d’intégration, n’a de sens que s’il est possible de mesurer son
niveau à durée de séjour égale.
Par ailleurs, il était essentiel de pouvoir décrire précisément les ori-
gines nationales des personnes interrogées en recueillant non seule-
ment leur pays de naissance mais aussi ceux des deux parents.
Contrairement à un préjugé tenace, de telles questions sur les origines
ne sont pas classées parmi les questions “sensibles”, au sens de la loi de
1978 sur l’informatique et les libertés. La Commission nationale de l’in-
formatique et des libertés (Cnil) les a traitées comme des questions
ordinaires. Elle a suivi notre argumentation selon laquelle le pays de
naissance n’était pas synonyme d’“origine ethnique”, encore moins syno-
nyme d’appartenance “raciale”(1). Définir l’ethnie par la race ou réci-
proquement était irrecevable sur le plan anthropologique parce qu’il
peut y avoir plusieurs “races” par ethnie et plusieurs ethnies par “race”,
et cet argument de la non-correspondance valait encore plus pour la
relation entre pays de naissance et origine ethnique(2).
20 % de non-réponses
Toutefois, par égard pour certaines sensibilités qui se sont manifestées
lors des enquêtes pilotes, nous avons laissé la possibilité aux personnes
interrogées de se contenter d’une réponse vague (“né[e] à l’étranger”),
possibilité que peu de personnes ont utilisée. Plusieurs précautions ont
par ailleurs été prises à notre initiative, pour faciliter la participation
des personnes sollicitées : l’enquête Famille, à la différence des bulle-
tins du recensement, a reçu le label d’intérêt général du Conseil natio-
nal de l’information statistique (Cnis), mais nous n’avons pas sollicité
pour elle le caractère obligatoire qui prévaut pour les bulletins du
recensement(3). Par ailleurs, les questionnaires de l’enquête Famille
n’ont pas été stockés dans les locaux des mairies, mais remis directe-
ment par les agents recenseurs aux superviseurs permanents de l’Insee.
L’enquête Famille restant facultative, 20 % des personnes sollicitées
n’ont pas rempli les questionnaires, sans que l’on sache ce qui, dans ces
refus, tient à la négligence, à la surcharge, au refus des enquêtes en géné-
ral, au rejet des questions de biographie matrimoniale (les questions sur les
conjoints antérieurs sont celles qui ont suscité le plus de résistance lors des
tests) ou au rejet des questions sur les origines et les pratiques linguis-
1)- L’ethnie est une entité
infranationale ou
transnationale, auto-affirmée
et perçue par autrui, dotée
d’un fondement historique
et culturel mais n’ayant
pas accédé au statut d’État,
ce qui peut correspondre
aussi bien aux Alsaciens
qu’aux Kurdes, aux Basques
qu’aux Kabyles, etc.
La “race” est un phénotype
diversement perçu selon
les personnes, qui renvoie
de façon probabiliste à
un découpage de la planète
en quelques grandes régions.
2)- Il n’est nullement
interdit à la statistique
publique de poser
des questions “sensibles”,
c’est-à-dire risquant de faire
apparaître “directement
ou indirectement”
des orientations politiques,
syndicales, religieuses,
philosophiques ou sexuelles,
ou encore des états de santé.
Mais à une double condition :
qu’elles soient pertinentes
par rapport aux objectifs
de l’enquête, et qu’elles
recueillent le consentement
éclairé des répondants.
3)- L’Insee ne décrète pas
de lui-même que ses propres
opérations statistiques
sont obligatoires. C’est le rôle
du Conseil national
de l’information statistique
(Cnis), instance
représentative où siègent
des députés et sénateurs en
exercice, des représentants
des syndicats et des
associations professionnelles
ainsi que des services
statistiques des ministères.