
Le 25 juin 2012, Le Nouvel Observateur annonce la dégradation de la note de vingt-huit banques espagnoles par
l’agence de notation Moody’s ; l’Espagne demande alors de l’aide à la zone euro
. Le 4 septembre, Le Monde fait état de
l’abaissement, opéré par la même agence, de la perspective de la note accordée à l'Union européenne, qui passe de « stable »
à « négative »
. Ces articles sont deux exemples caractéristiques de l’importante médiatisation dont sont l’objet les « Trois
Grandes » agences de notation de crédit : entre le 15 juin et le 15 septembre 2012, on peut compter au moins 3 545
publications dans la presse francophone consacrées à ces entités
. Cela répond à une attente tant des acteurs sur les marchés
financiers que de l’ensemble de la Société, au vu notamment du caractère généraliste des organes de presse relayant
l’information et de la présence exponentielle de ces entités dans les requêtes adressées aux moteurs de recherche sur
l’internet
. On peut ainsi constater l’importance certaine qui est accordée à ces agences et en déduire l’incidence qu’elles
peuvent avoir sur les agents économiques.
Malgré cette abondance d’informations, le fonctionnement des agences de notation et leur rôle sur les marchés
restent difficiles à appréhender et à expliciter précisément. Sur quoi cette puissance financière et économique repose-t-elle ?
Quelle est son amplitude, ses moyens d’action, ses conséquences ? Plus particulièrement : quelle est son degré de légitimité ?
Est-elle fondée en droit, en justice et/ou en équité ? Ou ne trouve-t-elle son fondement que dans une certaine idée de
l’efficacité ? Ces dernières questions nous amènent à nous interroger sur les relations entre le droit et les « Trois Grandes » :
le premier est-il indifférent aux pouvoirs que les secondes peuvent détenir et exercer ? Peut-il et doit-il intervenir ? Comme
nous le voyons, les questions foisonnent. S’il s’agissait dans un premier temps de comprendre quelles étaient ces entités et de
saisir leur rôle sur le marché et la Société en général, une réflexion sur le droit s’est rapidement imposée.
La continuité du travail réalisé dans le cadre de notre mémoire de recherche
Dans le cadre de notre mémoire de recherche – Agences de notation et droit –, nous avons déjà eu l’occasion de nous
pencher sur le thème des agences de notation. Nous nous sommes attachés à mettre en évidence l’existence d’une relation
asymétrique entre le droit et les agences de notation. Le droit aurait en effet pour vocation de réglementer toutes les sphères
de la Société, l’économie comprise. Evoluant dans le cadre de cette dernière, nous trouvons les organismes d’évaluation
financière sur lesquels a porté notre étude et qui apparaissent, a priori, comme devant être un objet du droit comme un autre.
Or, ceux-ci, bien que nés au XIXe siècle, ne commencent à être réglementés qu’au XXIe. Plus intéressant encore, ces entités
ont vu leur poids croître sur les marchés financiers. Nous devons noter le déséquilibre entre leur sphère d’influence et la
quasi-absence de contrôle de la part des autorités publiques ou privées auxquelles elles devraient se soumettre. Cette
asymétrie ne peut qu’être accentuée par le caractère normatif que peut avoir leur notation.
La notation emprunterait tout d’abord à la norme – que nous avons qualifiée de « simple » pour la distinguer de la
norme juridique – son contenu. Elle indiquerait en effet un « devoir être »
. Sa réception de la part de ses destinataires
jouerait également en faveur de cette ressemblance. Ainsi, son efficacité se vérifie avec les réactions des investisseurs et des
émetteurs
qui par le suivisme des premiers et l’anticipation des seconds, confirment le caractère normatif de la notation. Le
directeur financier d’ALLIANZ FRANCE, le responsable de la gestion des obligataires chez BNP PARIBAS, ou encore le
directeur adjoint de CARMIGNAC GESTION
, tous présentent la notation comme étant un outil indispensable pour
construire leur politique d’investissement. De la même manière, les émetteurs peuvent être conduits à construire leur
politique structurelle à l’aune de la notation qu’ils pourraient recevoir
. Par ailleurs, l’absence de recours à la notation
aboutirait à une sanction économique chez les acteurs. Mais la non-conformité à un certain niveau de notation conduirait
également à une sanction pour des acteurs particuliers comme les banques. Cela nous permet de souligner le dernier élément
renforçant le pouvoir des agences : l’adoubement de la notation par les pouvoirs publics qui passe notamment par
l’intégration de la référence à celle-ci dans diverses réglementations. Forte de cette reconnaissance, les agences ont
finalement dépassé les frontières des marchés financiers pour influer (indirectement) sur certaines politiques publiques dont
l’outil de mise en œuvre n’est autre que le droit.
L’établissement d’un tel constat nous a conduits à formuler certaines propositions prescriptives sur la manière dont
devraient être réglementées les agences et à suggérer quelques alternatives aux agences de notation.
Le Nouvel Observateur avec AFP, « Moody's abaisse la note de 28 banques espagnoles », Le Nouvel Observateur, 26 juin 2012, disponible en ligne :
http://tempsreel.nouvelobs.com/la-crise-de-l-euro/20120626.OBS9599/espagne-moody-s-abaisse-la-note-de-28-banques.html
Le Monde.fr avec AFP et Reuters, « Moody’s n’exclut pas d’abaisser la note de l’UE », Le Monde, 04 septembre 2012, disponible en ligne :
http://www.lemonde.fr/economie/article/2012/09/04/moody-s-n-exclut-pas-d-abaisser-la-note-de-l-ue_1755179_3234.html
Voir le portail Factiva.com, base de données établie par Dow Jones & Company regroupant plusieurs millions d’articles de la presse quotidienne, de magazines, de
journaux professionnels : www.global.factiva.com
En France, la présence du terme « agence de notation » dans les moteurs de recherche a été multipliée par quatre au cours du seul dernier semestre de l’année 2011. Voir
Google Trends, outil permettant de connaître la fréquence à laquelle un terme a été tapé dans le moteur de recherche Google :
http://www.google.fr/trends/?q=agence+de+notation&geo=fra&sa=N
Expression empruntée à KELSEN : KELSEN Hans, « La norme », Théorie générale des normes, Op. Cit., P. 2
Un émetteur est une entité – une entreprise ou un acteur public – qui peut émettre des titres (actions, obligations, etc.) pour lever des fonds ; ce sont ces titres qui font
l'objet d'une notation.
Mission commune d’information du Sénat sur le fonctionnement, la méthodologie et la crédibilité des agences de notation, organisée le mercredi 11 avril ; compte-rendu
disponible sur le site du Sénat : http://blogs.senat.fr/agences_de_notation/
Voir annexes de notre mémoire de recherche : Entretien avec un membre de la COFACE