Argent et spiritualité Approche chrétienne à travers l'Econom ie de Communion selon le mouvement des Foccolari Il s’agit d’une expérience spécifique dans le domaine de l’économie, basée sur l’amour évangélique et qui s’est développée au sein du Mouvement des Focolari. Les origines de ce Mouvement remontent à la période de la deuxième guerre mondiale et à l’expérience alors vécue par Chiara Lubich et ses premières compagnes dans la ville de Trente (I). Il en est né une spiritualité de communion. Le Mouvement est actuellement présent en 182 pays. Parmi ses membres, catholiques en majorité, il y a aussi des chrétiens de plus de 300 Eglises, des fidèles d’autres religions et des personnes sans une particulière conviction religieuse. L’EdC s’inspire des textes de l’Ecriture Sainte et en particulier des Actes des Apôtres chap. 2 verset 44 « Tous les croyants ensemble mettaient tout en commun ; ils vendaient leurs propriétés et leurs biens et en partageaient le prix entre tous selon les besoins de chacun. » L’EdC est au cœur de la relation « Argent et Religions » Dans un texte fondateur Chiara Lubich déclare : A la différence du modèle d’économie existant dans la société d e consommat ion, basé sur une culture d e l’avoir, l’économie de communion est l’économie du donner. Cela p eut paraître difficile, ardu, héro ïque. Il n’en est p as ainsi, p arce que l’homme, fait à l’imag e de Dieu qui est Amour, trouve sa propre réalisation dans l’amour, dans le don. Cette ex igence est ancrée au plus profond de son être, qu’il so it cro yant ou non. C’est sur cett e const atat ion, confort ée p ar notre exp érience, que se fond e l’esp érance de voir l’économie de communion se répandre d e façon universelle. Lors d’un voyage au Brésil Chiara Lubich fut frappée par le fossé séparant riches et pauvres et constata qu’il n’était plus possible de subvenir aux nécessités de première urgence de certains des membres du mouvement, malgré le partage déjà pratiqué. Elle eut l’idée de faire naître des entreprises, confiées à des personnes compétentes, qui pourraient en assurer la bonne marche et la création de bénéfices . Ceux-ci seraient partagés librement. Cette idée a été accueillie avec enthousiasme, non seulement au Brésil, et en Amérique latine, mais en Europe et ailleurs dans le monde. De nouvelles entreprises sont nées, tandis que d’autres, qui existaient déjà, modifiaient leur gestion pour pouvoir adhérer au projet. Ce projet de l’EdC présente quelques traits caractéristiques qui semblent significatifs, à savoir: - Les acteurs des entreprises de l’EdC s’efforcent d’appliquer dans le contexte d’une entreprise de production dont ils respectent les exigences spécifiques, le comportement éthique qu’ils ont dans le reste de leur vie. - Elle propose à des entreprises qui sont, par nature, orientées à la recherche du profit, des comportements inspirés de la gratuité, de la solidarité et de l’attention aux plus petits. - Elle a pour objectif de transformer de l’intérieur les structures d’entreprises habituelles, en organisant les relations internes et externes de l’entreprise à la lumière d’un style de vie inspiré de la communion. - Tout se fait dans le plein respect des valeurs authentiques de l’entreprise et du marché, telles qu’elles sont soulignées par la doctrine sociale de l’Eglise. - Les personnes en difficulté économique, destinataires d’une partie des bénéfices, ne sont pas considérées simplement comme des « assistés » ou « bénéficiaires » de l’entreprise. Ce sont des membres essentiels du projet, auquel ils participent en faisant don de leurs besoins. Eux aussi vivent la « culture du don ». Beaucoup d’entre eux, dès qu’ils parviennent à un minimum d’indépendance économique, renoncent à l’aide allouée, et il n’est pas rare qu’ils partagent alors le peu qu’ils ont. Lors d’un récent congrès international sur l’EdC avec près de 800 participants, le professeur Luigino Bruni, professeur d’économie politique, a présenté la vision de la pauvreté et de la richesse issue de treize années d’expérience de l’EdC sur les cinq continents. Il a entre autre affirmé : «Il existe une pauvreté subie qu’il faut supprimer. C’est la misère injuste et inhumaine. Mais il existe une autre pauvreté, librement choisie, qui est un préalable au combat contre la misère. Tout ce que je suis - et ce que j’ai - m’a été donné et par conséquent doit être redonné, d’où le choix du part age. L es biens d eviennent alors des ponts». L’EdC suscite aussi un grand intérêt chez les jeunes. Jusqu’à maintenant, plus d’une centaine de thèses ont été soutenues et beaucoup d’autres sont en préparation dans plusieurs universités du monde. Quand Chiara Lubich a proposé l’idée de EdC, elle était loin d’avoir une théorie en tête. Cependant, elle a attiré l’attention d’économistes, de sociologues, de philosophes ainsi que d’experts de diverses disciplines, qui trouvent dans cette expérience nouvelle et dans les idées qui la soustendent, quelque chose d’intéressant qui dépasse le Mouvement au sein duquel elle a vu le jour. En particulier, la vis ion trinit aire des rapports interp ersonn els et sociaux, qui est à la base de EdC, est considérée par certains comme un nouveau paradigme, qui pourrait enrichir la compréhension des interactions économiques, et contribuer à dépasser la conception individualiste qui prévaut aujourd’hui en sciences économiques. Jean-Michel Besson ingénieur agronome établi à Grimisuat (VS) a ensuite donné son témoignage d’entrepreneur lié à l’EdC. Avec son épouse Patricia, leurs 4 enfants et 2 employés, ils exploitent une ferme où leurs 90 chèvres produisent un fromage renommé. Ils élèvent aussi des vaches allaitantes et vendent ces produits naturels. Une perspective baha'ie Pour comprendre l'approche de la foi bahá'íe sur l'argent, il faut d'abord considérer la nature de l'homme. Nous vivons une réalité matérielle, physique mais aussi intellectuelle faite de culture, de science et de foi, le but de cette vie étant d'encourager le développement; et cette vie continuera après notre mort. L'argent est un outil matériel, mais il a aussi pris une forte signification symbolique. Notre société matérialiste, dont l'argent est le symbole dominant, est condamné par les Bahá'ís: "Nous sommes arrivés au stade où ceux qui prêchent les dogmes du matérialisme, que ce soit de l'Est ou de l'Ouest, que ce soit du capitalisme ou du socialisme, doivent rendre compte de la direction spirituelle qu'ils ont prétendu exercer. Où est le "nouveau monde" annoncé par ces idéologies ?... Pourquoi la vaste majorité des peuples du monde s'enfonce-t-elle sans cesse plus profondément dans la famine et la misère alors que les arbitres actuels des affaires humaines disposent de richesses énormes...?"(1) "...bien que la civilisation matérielle soit l'un des moyens concourant au progrès du monde humain, tant qu'elle ne sera pas associée à la civilisation divine, le résultat souhaité, à savoir le bonheur de l'humanité, ne sera pas atteint."(2) Nous avons besoin d'un meilleur équilib re ent re le m atériel et le sp irituel, basé s ur la justice. On peut distinguer l'approche individuelle de l'argent de l'approche sociale ou collective. Quelques citations de Bahá'u'lláh, fondateur de la Foi bahá'íe illustrent bien l'attitude individuelle. "Sachez que la richesse est en vérité une puissante barrière entre le chercheur et son Désir, entre l'amoureux et son Bien-Aimé. Les riches, sauf un petit nombre, ne parviendront par aucun moyen à la cour de sa présence et n'entreront point dans la cité du contentement et de la résignation...." (3) "Ne sois pas troublé dans la pauvreté ni confiant dans la richesse, car à la pauvreté succède la richesse, et après la richesse vient la pauvreté. Toutefois, être dénué de tout, hormis de Dieu, est un bienfait merveilleux; n'en amoindris pas la valeur car, à la fin, il te rendra riche en Dieu..."(4) "Purifie-toi de la souillure des richesses et, dans une paix parfaite, avance vers le royaume de la pauvreté, afin que, à la source du détachement, tu puisses boire à longs traits le vin de la vie éternelle."(5) "Le Chercheur... doit se contenter de peu, et ne jamais demander plus qu'il n'a."(6) En même temps, le travail est une obligation, et même une forme d'adoration. "Les hommes les meilleurs sont ceux qui gagnent leur vie dans leur métier et, pour l'amour de Dieu, le Seigneur de tous les mondes, dépensent leur argent pour eux-mêmes et pour leurs semblables."(7) "Il incombe à chacun de vous de se livrer à une occupation telle que l'artisanat, le commerce ou toute autre activité. Nous avons élevé votre engagement dans un tel travail au rang de l'adoration du seul vrai Dieu."(8) Ce n'est pas de faire de l'argent qui est condamné, mais de l'accumuler inutilement. "Au nombre des enseignements de Bahá'u'lláh, on trouve le partage volontaire de ses biens avec d'autres hommes. Ce partage volontaire est supérieur à l'égalité, et il consiste en ceci que l'homme ne doit pas se préférer à autrui mais, plutôt, sacrifier aux autres sa vie et ses possessions. Ceci ne doit toutefois pas être introduit par voie coercitive, comme une loi que les hommes seraient contraints de respecter. Non, l'homme doit, spontanément et de son plein gré, sacrifier à autrui sa propriété et sa vie, et contribuer volontairement à aider les indigents...."(9) L'approche social de l'argent est basée sur une solution spirituelle au problème économique. Le plus grand moyen pour prévenir la pauvreté "c'est que les lois de la communauté soient formulées et promulguées de telle sorte qu'il ne soit pas possible qu'un petit nombre soient millionnaires et que beaucoup soient dépourvus. L'un des enseignements de Bahá'u'lláh est l'ajustement des moyens d'existence dans la société humaine. Selon cet ajustement, il ne peut y avoir d'extrêmes dans les conditions humaines en ce qui concerne la richesse et la subsistance."(10) Parmi les mécanismes de partage prévu dans les enseignements bahá'ís, il y a notamment un droit à l'accumulation du capital de 19%, un impôt gradué sur le revenu avec impôt négatif ou revenu minimum pour les démunis, et les dons volontaires. Le commerce et les affaires doivent aussi respecter les valeurs spirituelles. Le profit des entreprises doit être partagé avec les ouvriers. L'intérêt n'est pas interdit dans la foi bahá'íe, mais il doit rester modéré. Ce n'est pas que l' argent est mauvais en soi. C'est sa d istribution qui est mise en caus e. "La richesse est digne des plus grands éloges, si elle est le fruit des efforts d'un individu et de la grâce de Dieu, dans le commerce, l'agriculture, l'art et l'industrie, et si elle est consacrée à des buts philanthropiques. En particulier, si un individu judicieux et ingénieux devait promouvoir des mesures qui enrichiraient les masses universellement, il ne pourrait y avoir de plus grande oeuvre que celle-ci, et elle serait considérée par Dieu comme l'aboutissement suprême, puisqu'un tel bienfaiteur pourvoirait aux besoins et assurerait le confort et le bien-être d'une grande multitude. La richesse est digne d'éloges, à condition que la population entière soit riche."(11) Finalement dans ce bref sommaire, les conseils de Bahá'u'lláh au Sultan de Turquie révèlent bien l'approche bahá'í sur l'argent: "Ne passe jamais les bornes de la modération et traite équitablement ceux qui te servent. Donne-leur selon leurs besoins, mais jamais dans la mesure qui leur permettrait d'entasser pour eux-mêmes des trésors, de parer leurs personnes, d'embellir leurs intérieurs, d'acquérir ce qui ne leur serait aucunement profitable et les mettrait seulement au nombre des extravagants. Exerce envers eux une indéfectible justice, de sorte que nul d'entre eux ne soit dans le besoin ni ne regorge de richesses. Ce n'est là que justice manifeste."(12) Arthur Lyon DAHL NOTES (1) Maison Universelle de Justice, La Promesse de la Paix Mondiale, p. 12-13. (2) 'Abdu'l-Bahá, Sélections des Ecrits d''Abdu'l-Bahá 227, p. 302-303. (3) Bahá'u'lláh, Les Paroles Cachées (persan) 53 (4) Bahá'u'lláh, Les Paroles Cachées (persan) 51 (5) Bahá'u'lláh, Les Paroles Cachées (persan) 55 (6) Bahá'u'lláh, Le Livre de la Certitude (Kitáb-i-Iqán) p. 107 (7) Bahá'u'lláh, Les Paroles Cachées (persan) 82 (8) Bahá'u'lláh, Kitáb-i-Aqdas 33, p. 31-32 (9) 'Abdu'l-Bahá, Sélections des Ecrits d''Abdu'l-Bahá 227, p. 301 (10) 'Abdu'l-Bahá, Les Bases de l'Unité du Monde, p. 51 (11) 'Abdu'l-Bahá, Le Secret de la Civilisation Divine, p. 44-45 (12) Bahá'u'lláh, Extraits des Écrits de Bahá'u'lláh CXIV, p. 154