« ENTRE L’ACHARNEMENT ET L’ABANDON » LA DECISION ETHIQUE EN SOINS DE REANIMATION: PLACE DES RELIGIONS EN GENERAL ET DE LA FOI BAHA’IE EN PARTICULIER AVANT-PROPOS INTRODUCTION I. LES DONNEES DU PROBLEME II. L’ENJEU ETHIQUE DU PROBLEME 1. LE SENS ET LES OBJECTIFS DE LA REANIMATION 2. INCIDENCE DES DECISIONS DIFFICILES III. ETABLIR L’EQUATION BENEFICE/RISQUE/COUT 1. BENEFICES POUR LE MALADE 2. BENEFICES POUR LA SOCIETE 3. BENEFICES POUR LA SCIENCE 4. EFFETS PERVERS 4.1. ILLUSION DE PUISSANCE 4.2. RATIONNEMENT DES SOINS IMPLICATIONS ECONOMIQUES 4.3. LES ETATS VEGETATIFS CHRONIQUES 4.4. NEONATALOGIE IV. ASPECT TECHNIQUE 1. HISTORIQUE ET EVOLUTION DES PROGRES TECHNOLOGIQUES EN REANIMATION 2. DIFFICULTES DE PRONOSTIC (AGE, PATHOLOGIES MULTIPLES, LA PLACE EN REANIMATION) 3. PROBLEMES ECONOMIQUES 4. SOINS PALLIATIFS IV. ASPECT JURIDIQUE 1. DEVOIR D’ASSISTANCE 2. CONSENTEMENT ECLAIRE 3. TESTAMENTS DE VIE 4. EXPERIMENTATION V. ASPECT DEONTOLOGIQUE VI. RECOMMANDATIONS DES ASSOCIATIONS PROFESSIONNELLES 1 VII. ASPECT CULTUREL 1. DE L’EXTREME ONCTION AU SAMU 2. RELATION MEDECIN - MALADE - L’ENVIRONNEMENT TECHNIQUE ET L’ISOLEMENT SOCIAL TRAUMATISANTS VIII. PLACE DES RELIGIONS 1. LA RELIGION JUIVE 2. LA RELIGION CHRETIENNE 3. LA RELIGION MUSULMANE 4. LA FOI BAHA’IE 4.1. LE BIEN-ETRE, SELON CHAQUE EPOQUE 4.2. FINALITE DE LA VIE HUMAINE 4.3. COMPLEMENTARITE DE LA SCIENCE ET DE LA RELIGION 4.4. RELATION MEDECIN - SOIGNANT a. La dignité intrinsèque de la nature humaine b. L’importance de se tourner vers Dieu c. La compétence professionnelle et morale du soignant d. La reconnaissance de l’autorité médicale e. La prise en compte des possibilités à la fois spirituelles et matérielles intervenant dans le processus de guérison 4.5. EUTHANASIE ET ACHARNEMENT THERAPEUTIQUE 4.6. CONCEPTION DE LA MORT ET DE VIE DANS L’AU-DELA XI. UNE METHODOLOGIE DECISIONNELLE PLURIDISCIPLINAIRE CONCLUSION ANNEXES Annexe 1. Communauté Européenne et testaments de vie Annexe 2. Extraits du Guide européen d’éthique médicale Annexe 3. La Foi Bahá’íe Annexe 4. Textes Bahá’ís Annexe 5. L'acte éthique (l'expérience lyonnaise) Annexe 6. Quand votre patient est un Bahá’í... BIBLIOGRAPHIE 2 «Le Docteur Houtin BAGHDADI soumet un mémoire très dense ayant pour trait l’éthique de la décision médicale en soins de réanimation: acharnement et abandon sont les deux extrêmes entre lesquels les médecins sont amenés à agir. Les religions Chrétienne, Judaïque, Musulmane, apportent leur contribution à la réflexion, de même que la Foi Bahá’íe, effectivement méconnue en France. L’auteur souligne bien dans son mémoire la difficulté de fixer des bornes trops étroites à la notion d’acharnement thérapeutique tant que cette dernière est succeptible d’évoluer dans le temps, avec l’avènement de progrès scientifiques et techniques au cours de ce XXéme siècle. C’est la difficulté qu’a rencontrée le législateur et l’un des grands sujets qui nourrissent la réflexion du Comité d’Ethique. Ce mémoire très bien documenté, très nourri de réflexion spirituelle, est digne d’un grand intérêt». Un membre du Jury... 3 AVANT-PROPOS La révolution scientifique de ces dernières décennies a entraîné une véritable mutation de la médecine, avec des progrès d’une importance sans précédent dans la connaissance des causes profondes des maladies individuelles et collectives, donc de leur prévention et de leur traitement. Ces possibilités s’accompagnent de la part des utilisateurs des systèmes de santé d’une plus grande exigence nourrie d’espoirs de miracles dont les média se font l’écho. Or le coût de cette technologie devient insupportable pour les contribuables et la complexité de la technique mise en oeuvre est ressentie comme déshumanisée par le grand public. Si la majorité des gestes entrepris par un médecin anesthésiste-réanimateur dans sa pratique quotidienne ne pose pas de problème décisionnelle notoire, les impasses et dilemmes auxquels il est confronté, par la nature même de sa spécialité, requièrent une réponse rapide et impérieuse. La décision d’un instant peut avoir une incidence humaine et économique considérable, ce qui l’expose à une pression morale et un stress pouvant devenir ingérables. Le débat économique qui dérive vers le rationnement des soins soulève la question insoluble du prix de la vie humaine et sa finalité dans ce monde. Entre la mort et la guérison avec restitution ad integrum se situe les états intermédiaires qui nourrissent les débats. Conserver la vie à tout prix? Est-ce là l’objectif de la médecine? Le Professeur Jean Hamburger écrivait: « La tâche du médecin n’est pas de maintenir la vie à tout prix, elle n’est pas d’empêcher la mort naturelle, elle est seulement de prévenir et d’éviter la mort pathologique survenant avant l’heure » [2]. Entre l’acharnement thérapeutique qui est un excès de soins et l’abandon thérapeutique qui est une démission prématurée, les dilemmes rencontrés en réanimation resteront douloureux et complexes. Il n’y aura ni réponse simple ni de "bonne" solution à proposer; chaque cas sera unique et nécessitera une réflexion soigneuse pour atteindre la "moins mauvaise" solution au cas spécifique auquel on confronte et au compromis le plus acceptable parmi les acteurs en présence. Dans l’interface tendue entre la vie et la mort où se situe la pratique de réanimation, se trouve les grandes questions philosophiques que soulèvent la subjectivité humaine. La science qui par définition est fondée sur un consensus rationnel et objectif reste muette et où la religion qui s’adresse aux sentiments est particulièrement éloquente. Voila pourquoi nous avons choisi d’examiner le point de vue des religions à ce débat, et plus particulièrement celui de la foi bahá’íe que nous connaissons mieux que les autres et dont la contribution particulièrement riche mérite d’être mieux connue par les chercheurs francophones. 4 INTRODUCTION Les nouvelles connaissances acquises dans le domaine médical dotent l’homme de pouvoirs nouveaux dont l’utilisation engage sa responsabilité, alors que les conséquences néfastes pour certains d’entre eux n’étaient ni soupçonnées ni mesurées. Ces problèmes concernent en premier lieu les scientifiques et les professionnels de la santé, mais aussi la société tout entière qui doit établir un cahier de charges de la mission qu’elle confie au corps médical. L’analyse de l’histoire de la médecine montre l’impact des religions sur la pratique médicale depuis plus de cinq mille ans. On constate que toutes les civilisations qui marquent notre histoire naissent sous l’influence directe d’une religion, et l’art de guérir s’est appuyé sur la croyance d’une puissance surhumaine. En dépit des progrès considérables les scientifiques et médecins de notre époque ne sont pas entièrement satisfaits mais plutôt incertains, tristes, brouillés avec le monde, car ils constatent que beaucoup de maladies ne sont pas combattues, et que de nouvelles maladies naissent, sans parler des pathologies qui résistent encore aux moyens thérapeutiques de notre époque. La science, les idéologies, la civilisation sont en crise et traversent une dangereuse et passionnante période de mutation. Pour la première fois dans l’histoire de l’humanité, la séparation pour de nombreux chercheurs est nette, le fossé parfois profond, entre la recherche scientifique et médicale, et la religion [3]. Or la science et la religion sont complémentaires, elles sont deux aspects d’une même réalité. Il y a un aspect objectif de l’être humain: son pouls, sa température etc., que la science décrit, et une partie subjective sous forme de sentiments que la religion éduque et organise. On ne reconnaît pas la nature exacte de l’amitié, mais on reconnaît ses effets, manifestés en actes. Le médecin est à la croisée de ces deux chemins. Il est mi-rationnel, mi-affect et doit aborder toute la réalité, sans séparer le rationnel de l’affectivité. Les écrits bahá’ís affirment que « la religion et la science sont les deux ailes qui permettent à l’intelligence de l’homme de s’élever vers les hauteurs, et à l’âme humaine de progresser. Il n’est pas possible de voler avec une aile seulement. Si quelqu’un essayait de voler avec l’aile de la religion seulement, il tomberait dans le marécage de la superstition, tandis que, d’autre part, avec l’aile de la science seulement, il ne ferait aucun progrès mais sombrerait dans la fondrière désespérante du matérialisme »[4]. 5 I. LES DONNEES DU PROBLEME Quelques mots méritent une définition: La réanimation désigne l’ensemble des moyens qui permettent de suppléer à une ou plusieurs fonctions vitales momentanément défaillantes jusqu’à ce que le traitement étiologique ou l’évolution naturelle de la maladie en ait permis la guérison. Provoquer la mort, s’acharner à la repousser, on peut poser ces deux limites à l’égard desquelles une certaine unanimité se dégage dans les réflexions. Est-il cohérent de s’opposer à la fois à l’acharnement thérapeutique et à l’euthanasie? On peut constater que, de fait, l’un conduit à l’autre [5]. L’acharnement thérapeutique semble à première vue constituer un devoir pour le médecin: soigner avec acharnement, c’est à dire selon le Larousse, avec opiniâtreté, ardeur et ténacité, n’estce pas en effet l’essentiel de sa vocation. N’est-ce pas ce vers quoi tendent tous ses efforts, quelle que soit la gravité apparente de la maladie. L’acharnement thérapeutique se définit comme « ...une obstination sans objet ou inutile chez un patient manifestement irrécupérable ». Mais le sens donné à un traitement inutile est très différent selon la question que l’on pose: Si celle-ci est : est-ce que ça marche?, un traitement inefficace ou inapproprié est clairement inutile. Si la question est : cela en vaut-il la peine?, la réponse est plus subjective et prend en compte différents aspects tels que, les exigences sociales et culturelles, les aspects religieux et moraux, la qualité de vie... La représentation classique de l’acharnement thérapeutique, demeure bien souvent celle de la « momification technique » du mourant, s’acharner pour fuir la mort considérée comme un échec de la science médicale et du médecin. Il s’agit de cette mort à petit feu où l’être disparaît derrière les pompes, les sondes, les machines. Cet acharnement a recours à des méthodes astreignantes pour ceux qui les dispensent, contraignantes et pénibles pour ceux qui les subissent. Le médecin fait « tout » pour faire durer la vie somatique, biologique du patient quel qu'en soit le prix de souffrances sans prêter attention à ce qui reste de la vie relationnelle et humaine du patient. Le patient est réduit à l’état d’objet. Patrick Verspieren, du centre d'éthique biomédicale de Centre Sèvres (Paris), préfère parler « d’excès de soins ». Pour lui, ce terme n’est pas plus précis, mais ce langage ferait l’économie de toutes les connotations émotives et passionnelles liées au terme d’acharnement. Quant à l’euthanasie est-il possible d'un point de vue éthique de l’accepter? Est-il possible de la refuser? Le mot vient du grec : « thanatos » la mort et « eu » bien, que l’on peut traduire par la bonne mort ou la mort douce. Ce concept d’euthanasie existe depuis les origines de la civilisation 6 occidentale. Jusqu’au XIXème siècle, il renvoyait aux soins dispensés aux mourants pour leur assurer une mort douce sans souffrance. A la fin du XXème siècle, il désigne l’action de mettre fin délibérément à la vie du malade. La langue française établit une distinction entre : L’euthanasie active, qui suppose une intervention spécifique d’un tiers dans le but de mettre fin aux jours d’une personne par l’administration délibérée de substances létales dans l’intention de provoquer la mort. Elle peut être demandée par le malade mais elle peut être administrée sans son consentement ou une manifestation explicite de volonté. L’euthanasie passive, elle peut être définie comme l’arrêt des traitements de réanimation ou du traitement de la maladie, si ces traitements sont douloureux, pénibles ou inconfortables, à partir du moment où l’on est convaincu que le cas est désespéré. La distinction significative serait entre l’« activité » et la « passivité », ou si l’on prend le langage anglo-saxon, entre la « commission » (du verbe commettre) et l’« omission » (du verbe omettre) Entre ces pratiques extrêmes, il est possible de chercher d’autres comportements tels que, Les soins palliatifs qui selon la définition de la Société française d’accompagnement et de soins palliatifs « sont des soins actifs dans une approche globale de la personne en phase évoluée ou terminale d’une maladie potentiellement mortelle. Ils s’attachent à prendre en compte et à soulager les douleurs physiques ainsi que la souffrance psychologique, morale et spirituelle. Les soins palliatifs et l’accompagnement considèrent le malade comme un être vivant et sa mort comme un processus normal. Ils ne hâtent ni ne retardent le décès. Leur but est de préserver la meilleure qualité de vie possible jusqu’à la mort » [6]. La Relation avec la famille est essentielle. Il doit se créer un indispensable dialogue médecin famille. Ce dialogue sera répété, aussi souvent que nécessaire. Notre devoir à son égard est avant tout d’informer, d’être à ses yeux, cet être de communication qu’elle espère c’est-à-dire d’écoute et de discours, ces voies qui nous font pénétrer au cœur de la dignité des hommes qui se confient à nous. Il faut leur expliquer et prendre le temps de développer suffisamment les commentaires nécessaires à l’entendement de la situation, adapter son discours au niveau socioculturel de son interlocuteur, vérifier qu’il a été entendu, avoir conscience que si pour nous c’est une routine, pour les autres c’est un évènement très important de leur vie, dont le souvenir qu’il garderont sera plus lié à la chaleur humaine dont ils ont été entourée qu’à un niveau de la technicité. Nous devons éviter l’impatience, la désinvolture, l’emportement et, pire que tout, le silence que l’on pourrait croire embarrassé alors qu’il ne serait que négligent. 7 II. L’ENJEU ETHIQUE DU PROBLEME L’acharnement thérapeutique est conforme à l’éthique médicale, qui fait du respect de la vie son principe essentiel, d’autant plus que le pronostic, l’heure exacte de la mort, reste incertain. La décision, pour le médecin qui doit mettre en oeuvre la poursuite du traitement, reste difficile. Par ailleurs, un renoncement thérapeutique peut être mal vécu pour le malade et sa famille, qui placent leur confiance et leur espérance dans la puissance de la médecine. La frontière entre l’abandon et l’acharnement thérapeutique chez les patients de soins intensifs se situe dans des limites d’ordre médicales, émotionnelles et économiques, et soulève de nombreuses questions éthiques. Ces questions sont reliées aux multiples paradoxes qui confrontent les soins intensifs. 1. LE SENS ET LES OBJECTIFS DE LA REANIMATION Plus une technologie s’améliore, plus elle devient autonome, c’est-à-dire donne une information pointue, et moins le patient comme Personne paraît nécessaire. Les « techniciens » peuvent, en effet s’abstraire du patient lui-même, ils ne le verront souvent même pas, leur travail consiste à interpréter l’image du malade et non la personne elle-même. C’est là toute la richesse de la technologie de pointe mais aussi son risque. Ce savoir précis peut nuire à la relation du médecin et du patient. L’information technique ne donne pas toujours par elle-même la réponse appropriée à la situation du patient. Elle peut même quelquefois la faire oublier. Le médecin réanimateur ne peut faire abstraction de la technologie mise à sa disposition, qui reste un instrument privilégié de son travail. Mais il a le devoir de répondre pour lui-même et pour les autres à la question du sens que la technologie prend dans sa pratique de soins aux malades. Ces questions mettent en jeu plusieurs notions fondamentales, notamment celle de l’autonomie du patient. Cette autonomie est reconnue aujourd’hui comme étant à la base des principes éthiques des soins de santé. Le respect absolu de la personne et de son individualité, signifiant que le patient peut disposer de lui-même, de sa santé, au nom du droit attaché à sa personne; elle implique le droit d’accepter ou de refuser des traitements médicaux. Mais le médecin est, lui aussi, une personne; on ne saurait donc exiger de lui qu’il agisse contrairement à l’idée qu’il se fait de son éthique professionnelle, qui comprend d’autres principes fondamentaux, comme celui de la bienfaisance et celui du respect de la vie, de sa préservation ou/et de sa restauration. Il y a donc deux autonomies, celle du patient et celle du médecin. Le lien est un « contrat de confiance », clé de voûte de toute la relation médecin-patient que nous verrons dans un autre chapitre. 8 2. INCIDENCE DES DECISIONS DIFFICILES Malheureusement, les choses ne sont pas toujours aussi claires et les décisions souvent difficiles à prendre. Les circonstances dans lesquelles le problème peut se poser sont extrêmement variées. Il existe beaucoup de cas limites, des zones grises. L’incertitude caractérise le savoir médical tout autant que sa mise en pratique. Les limitations d’un savoir en pleine croissance font que les médecins ne savent pas avec certitude comment agir dans les circonstances particulières. De plus les soins intensifs nécessitent des équipes pluridisciplinaires. Le fait des multiples spécialistes et des différents soignants conduit souvent à l’expression de sensibilités différentes et de tensions. Ces tensions dans les équipes prennent souvent la forme de dilemmes éthiques. Le cas le plus typique est celui du blessé décérébré. Ce jeune homme, qui a la suite d’un accident est dans un coma dépassé. Plus jamais son cerveau ne fonctionnera. Quand faut-il arrêter la machine qui le maintien en vie? Le deuxième cas peut être le cancéreux au stade terminal avec des métastases multiples. Va-t-on adoucir ou « abréger les souffrances »? Un autre cas d’une tumeur maligne qui évolue de façon inéluctable mais sans douleur vers une mort rapide. Un geste chirurgical peut retarder cette échéance, mais au prix d’une infirmité qui engendrait des souffrances physiques et morales. La survie sera prolongée de quelques semaines. A-t-on le droit de ne pas faire ce geste? Jean-Claude Chevrolet a ainsi résumé la situation: « en milieu de soins intensifs, les situations sont parfois inextricables sur le plan de l’analyse éthique et elles sont chargées d’un contenu affectif qu’il n’est pas toujours simple d’évacuer » [7]. III. ÉTABLIR L’EQUATION BENEFICE/RISQUE/COUT 1. BENEFICES POUR LE MALADE L’éthique de la relation médecin-malade, que Jean Bernard a défini comme « l’honneur de la médecine et sa difficulté sont dans cette alliance du devoir de science et du devoir d’humanité ». La conscience de la responsabilité à l’égard de chaque malade constitue la base de cette éthique. Le bénéfice qu’en cours le patient de l’avancée technologique est un soulagement de la douleur, des fonctions vitales plus intactes et une vie plus longue. De plus cela permet d’avoir un soutien psychologique, familial et social conservé. 2. BENEFICES POUR LA SOCIETE Un adulte qui travaille représente un investissement important en santé publique. Cette technologie permet aux forces vives d’être restaurées et aux travailleurs d’être en état de servir l’humanité. Le respect de la vie humaine a des retombées sinon ce serait une société totalitaire. La valeur humaine renforce le tissu social. L’abandon dévalorise la société humaine et entraîne une désintégration de cette trame. 3. BENEFICES POUR LA SCIENCE 9 Si pour diverses raisons « l’acharnement thérapeutique » en soins intensifs doit être limité par les médecins chez un petit nombre de malades, cet acharnement est bénéfique et mérite d’être encouragé chez bon nombre d’autres patients. C’est en effet, grâce à cette volonté que les médecins intensivistes font progresser la science médicale et augmentent les chances de survie des patients qui leur sont confiés, surtout si la qualité de vie qu’ils peuvent offrir au patient après les soins intensifs est satisfaisante. De nouvelles thérapeutiques efficaces voient régulièrement le jour qu’elles soient médicamenteuses (antibiotiques, anticorps monoclonaux et autres thérapeutiques dérivées des techniques de génie génétique...), chirurgicales (transplantation cardiaque, hépatique...) ou techniques pour le support de fonctions vitales, tels que les nouveaux modes d’assistance respiratoire mécanique ou d’assistance respiratoire extra-corporelle, de nouvelles modalités d’assistance circulatoire ou d’assistance rénale et métabolique (hémodiafiltration) ou des techniques d’assistance hépatique extracorporelle qui commencent à être étudiées. 4. EFFETS PERVERS 4.1. ILLUSION DE PUISSANCE Les médecins devraient bannir de leurs préoccupations tout ce qui pourrait être assimilé au dessein de réaliser des performances. Ils devraient refuser d’adhérer aux courants d’idées qui célébrent chaque victoire de la science sur la mort. Le corps médical devra se garder de considérer l’insuccès comme une blessure narcissique. Le plus grave danger, si danger il y a, est la poursuite intempestive des soins, le médecin voulant à tout prix sortir vainqueur de cette lutte contre la mort. L’éthique du scientifique, motivé par l’instinct de découvrir, de créer, reste une aventure humaine. L’homme ne doit pas s’empêcher de repousser les limites de son savoir. Il est admis que ce ne sont pas les connaissances scientifiques qui sont en cause mais l’utilisation abusive de la science. Cette distinction entre la recherche scientifique, d’une part, et ses applications d’autres part, devrait être contrôlée. Un des enseignements majeurs de la foi bahá’íe capable de sauvegarder la conscience morale et de ce fait modifier le monde médical, est le principe de l’accord entre la science et la religion. Un des domaines dans lesquels la révélation religieuse devrait être respectée par la science est précisément celui de la découverte d’une dimension spirituelle chez l’homme essentielle à une compréhension parfaite de son état physique et mental. 4.2. RATIONNEMENT DES SOINS - IMPLICATIONS ECONOMIQUES L’une des justifications les plus exigées par les instances économiques et l’une des plus difficiles à établir par les médecins est la justification des coûts entrepris dans les soins de réanimation pour des patients où l’espoir de guérison et l’efficacité attendus sont réduits. La littérature éthique américaine regorge d’articles sur la rationalisation, le rationnement, le triage, l’allocation des ressources et surtout le coût-bénéfice. Le médecin-réanimateur ne peut ignorer cette préoccupation 10 de société. S’il n’a pas la responsabilité de déterminer les budgets de l'état ou de son institution, il demeure que ses décisions ont un impact sur les budgets. On lui demande parfois de jouer le rôle de gardien des finances de la société contre les demandes exagérées des malades ou des familles. Dans les milieux américains, on parle dans ce contexte du médecin comme gatekeeper (gardien ). Depuis quelques années, apparaît un débat sur le prix de revient de la réanimation, et les considérations budgétaires qui pourraient peser sur l'exclusion de certains malades des services de réanimation ou sur la durée de leur traitement. Malgré la misère de l’argument, on ne peut le passer sous silence. Nous appartenons à une société dont chacun des membres est solidaire des autres. On parle de plus en plus de « solidarité nationale »et cela exige que l’on fasse des choix. Les places de réanimation se font rares et leurs coûts sont élevés. Si la vie a son prix pour les individus, elle l’a aussi pour les nations, et ce que l’on consacre à certaines tâches n’est pas disponible pour d’autres. Il existe plusieurs arguments rationnels dans ce débats. Très schématiquement trois types de patients font l’objet de séjours dans les services de réanimation: * les malades en état critique, qui ne pourront guérir qu’avec des moyens dits de haute technicité, * les patients qui pendant une période de quelques jours nécessitent non des soins, mais une surveillance étroite ou spécifique; * des malades âgés ou atteints d’une affection chronique en phase terminale auxquels des soins de haute technicité sont accordés sans espoir réel de guérison, dans le but de satisfaire une demande de compassion ou de résoudre une situation d’angoisse familiale en laissant espérer une guérison improbable. La question que l’on peut se poser est s’il ne faut accepter dans les services de réanimation que les patients pour lesquels nous avons la certitude de déboucher sur la guérison? Mais alors, dans le même temps, priver un grand nombre des récusés d’une chance potentielle de guérison. Faut-il au contraire poursuivre dans la voie de la facilité? Mais alors, risquer à terme, de mobiliser tous nos moyens et tous nos efforts au seul profit de causes désespérées. Le médecin réanimateur pourrait, en tenant compte du choix du patient s’il a pu l’exprimer, ou de celui de son entourage familial, et du choix de l’ensemble du corps soignant se référer aux quatre principes éthiques : - principe de bénéficience: fonction des chances qui sont offertes, par les actions des soins intensifs, de restaurer une vie de qualité acceptable; - principe de non-maléfice: fonction de la dimension des risques, des souffrances, de l’angoisse, de la perte de dignité qui est induite par l’action des soins intensifs; - principe d’autonomie du patient: fonction du choix personnel du patient formulé en connaissance des risques et des avantages attendus; 11 - principes de justice: le bénéfice attendu de l’action des soins intensifs justifie-t-il le coût des ressources qui ne seront plus utilisables pour le profit d’autres malades ou celui de la société dans son ensemble? LEMESHOW, de l’Université de Massachusetts (USA), étudia l’impact économique des décisions des arrêts thérapeutiques des patients admis en réanimation. Parmi ces patients 19 présentaient une probabilité de mortalité définie à la 24ème heure supérieure à 90%. La décision de ne pas réanimer a été prise pour 4 patients, et les autres ont été réanimés. Il n’y a eu aucun survivant. Il conclue que le coût hospitalier est considérablement plus bas pour les malades pour qui une décision d’arrêt thérapeutique avait été prise [8]. De plus, le coût des soins aux patients qui vont mourir, s’accroît de façon exponentielle au fur et à mesure que le décès approche. Le coût des soins lors du dernier mois de vie correspond à 40% du coût de la dernière année de vie [9]. Dans le même temps, le droit individuel s’est institutionnalisé en matière médicale comme un fait social avec remise en question du pouvoir médical, notamment sur le droit de vie ou de mort. La qualité de la vie, l'abolition de la souffrance sont les privilèges aujourd’hui recherchés et non plus seulement le droit à la vie [10]. C’est ainsi, que se développe de plus en plus, à côté de la thérapeutique curative, une thérapeutique à visée palliative de confort, se proposant de supprimer les souffrances physiques et morales des malades pour lesquels l’évolution est jugée sans issue favorable possible. La mort survenant à son heure, sans plus rien faire pour la retarder, chez un patient soulagé et apaisé. 4.3. LES ETATS VEGETATIFS CHRONIQUES Les choses ne sont pas toujours aussi claires. Refuser toute forme d’euthanasie ne conduirait-il pas parfois à un excès de soins? L’exemple de Karen Ann Quinlan peut nous apporter une certaine réflexion [11,12]. Cette jeune fille a passé un an dans un état végétatif sous respirateur, et les parents ont demandé à la justice américaine l’arrêt de l’assistance respiratoire. Les parents ont obtenu gain de cause. Mais les médecins ont essayé de sevrer progressivement la jeune fille et y ont réussi. Ont été ainsi obtenus 10 ans de survie végétative! N'est-ce pas de l'excès de soins? N’aurait-il pas été plus sage d’arrêter l’assistance respiratoire? Pour Bernard BAERTSCHI, maître assistant au département de philosophie de l’université de Genève, la vie végétative a une certaine valeur, une valeur biologique. Mais si l’on compare cette valeur biologique à une vie personnelle, biographique, elle perd toute signification. Et « lorsqu’un individu malgré tout conscient ne dispose plus d’un espace où exercer sa liberté, lorsqu’il n’est plus en mesure de réaliser des projets, il peut très bien considérer que ce qui lui reste de vie ne vaut plus la peine d’être vécu ». 4.4. NEONATALOGIE 12 Le pronostic des détresses vitales néonatales a été bouleversé dans les vingt dernières années par les progrès de l’obstétrique et ceux de la réanimation néonatale [13]. Plus que la réflexion éthique, les progrès techniques confrontent les médecins à des décisions de plus en plus délicates. Le rôle des parents est envisagé différemment dans les pays anglo-saxons et en France. - Aux États-Unis et en Angleterre, la décision d’interrompre la réanimation comme le dit Richard Mc Cormick est « la lourde prérogative des parents » [14]. - La position des équipes françaises est plus nuancée. La plupart pense en effet que la responsabilité de la décision ne doit pas reposer sur les parents, ce qui ne signifie pas que leurs opinions ne doivent pas être prise en compte. Le Professeur Michel DEHAN estime qu’il existe des dilemmes moraux en réanimation pédiatrique, et que nous sommes tous (l’enfant, les parents, les médecins, le personnel soignant) comme « des acteurs dans un théâtre ». Pour lui ce serait une « charge sadique » de laisser la décision aux parents. Dans un premier temps il faut reconnaître « a priori de vie » l’enfant en détresse. C’est reconnaître la dignité d’être humain à tout enfant. Cette assistance à personne en danger devient une priorité. Une fois que l’enfant, pris en charge sur le plan vital, est transféré en réanimation, on réuni les éléments de la discussion selon les cas. La décision de poursuivre ou d’interrompre la réanimation reste d’ordre médicale [15]. Au centre du questionnement se trouve le problème de la souffrance, qu’il s’agisse de l’enfant ou celle de la famille mais également de la souffrance de l’équipe soignante. Il importe que tous ceux qui prennent les décisions, le fassent avec la plus grande humilité, en étant prêts à se remettre constamment en question. IV. ASPECT TECHNIQUE 1. HISTORIQUE ET EVOLUTION DES PROGRES TECHNOLOGIQUES EN REANIMATION L’apaisement de la douleur remonte depuis le fond des âges dans les élixirs soporifiques, dans la composition plus ou moins secrète desquels entraient le suc de pavot, le chanvre indien. Les grandes étapes de la révolution technologique dans le domaine de l’anesthésie-réanimation date du milieu du XXème siècle [16,17]. La réanimation a été la conséquence d’une véritable révolution aussi bien dans la conception physiopathologique des états pathologiques que dans leurs traitements. Plusieurs apports y ont contribué et, entre autres, la découverte des antibiotiques et des amines pressives, la disponibilité de solutés de remplacement sanguin, les dosages des gaz du sang et des électrolytes, l’invention d’appareils de respiration artificielle, d’épuration extrarénale, de stimulation cardiaque, etc. Profitant de ces progrès, les idées dominantes ont été le traitement non seulement de la cause mais des conséquences des états pathologiques, la création et l’organisation 13 des unités de réanimation, la présence permanente dans les unités, d’un personnel médical et infirmier qualifié. Au fur et à mesure que les succès thérapeutiques se multipliaient, on constatait néanmoins que des malades mourraient de la défaillance d’une ou de plusieurs fonctions essentielles à la vie alors que la maladie initiale responsable était guérie. L’idée de pallier une défaillance respiratoire n’est pas nouvelle. Selon la mythologie égyptienne, Isis ressuscita Osiris en battant des ailes, et la Bible relate l’action bénéfique du prophète Elie qui s’étendit trois fois sur un enfant apparemment sans vie en invoquant Yavé et l’enfant reprit vie [18]. La technique du bouche à bouche fut décrite en 1759 par W. Buchanan. En 1952, suite à une épidémie de poliomyélite dans les pays scandinaves, Lassen et Ibsen inventèrent la ventilation assistée par voie endo-trachéale après trachéotomie qui aller détrôner le poumon d’acier. Puis ce sont développés progressivement les différents modes de ventilation assistée. L’essor industriel permit de mettre au point dès 1954, le rein artificiel dont l’utilisation allait transformer le pronostic des insuffisances rénales aiguës, puis chroniques. A partir des années 70, les techniques d’explorations hémodynamiques se développèrent au lit du malade, permettant de préciser le fonctionnement cardiaque et pulmonaire. Les techniques d’alimentation parentérale et entérale se répandirent également dès cette période. Peu à peu se dévoile la face initialement cachée des malades chez qui ont été engagées et se poursuivent les procédures de réanimation sans avoir obtenu le bénéfice escompté d’un retour à la vie et à l’intégrité. En 1959, Goulon et Mollaret définissaient « le coma dépassé »: état de coma irréversible avec destruction définitive du fonctionnement cérébral qui suscitait le discours éthique de l’époque sur l’arrêt d’une réanimation en cours lorsqu’elle entretenait quelque temps chez les malades une apparence de vie [19]. Il a fallut attendre jusqu’en 1976, pour qu’en France, une loi établisse un nouveau critère de mort clinique, donc de décès, le coma dépassé (mort cérébrale), légalisant de ce fait l’arrêt de la réanimation, et autorisant le prélèvement d’organes en vue d’une transplantation. 2. DIFFICULTES EN REANIMATION) DE PRONOSTIC (AGE, PATHOLOGIES MULTIPLES, LA PLACE Trois français sur quatre meurent à l’hôpital. La mort a changé de visage car le vieillard malade est souvent transféré à l’hôpital, non pas pour mourir, mais pour être « réanimé ». Les moyens médicaux sont limités et le réanimateur n’est pas toujours tenté d’accepter un patient âgé alors qu’il ne dispose d’un nombre de lit insuffisant. Dans certains cas l’âge est de façon incontestable un handicap prouvé à la survie en réanimation [20]. Mais il ne constitue pas une raison d'échec dans la plupart des pathologies. Le vrai problème du pronostic de la réanimation n’est en fait pas de tenir en survie. La question est de savoir quel sera le pronostic social et les capacités de vie relationnelle du patient. 14 Dans notre société actuelle la jeunesse est synonyme de bien-être. Le vieillard peut paraître inutile. Le patriarche a perdu son rôle dans une société où la famille est éparpillée et où le matérialisme fait oublier le poids de la sagesse des anciens. Pour le Professeur Kamran SAMII, chef de service d’anesthésie-réanimation à l’hôpital Kremlin-Bicêtre, le vieillard a comme les autres patients droit à la réanimation lorsque cela est nécessaire et à droit à une mort digne lorsque l’espoir de récupération d’une vie de relation correcte a disparu. Rien ne le distingue fondamentalement du sujet jeune. Poser ce problème c’est se questionner sur la place du vieillard dans la société [21]. 3. PROBLEMES ECONOMIQUES : L’évolution de la technologie et des pathologies et un contexte socio-économique différent ont, depuis une quinzaine d’années, influencé les problèmes éthiques, notamment en réanimation. Grâce à cette nouvelle technologie on peut contrôler des situations auparavant désespérées et pour des durées qu’on peut concevoir indéfinies. Les maladies les plus graves sont caractérisées de nos jours par des multidéfaillances viscérales aiguës, un âge avancé et des altérations organiques sousjacentes profondes. Parallèlement notre société a été amenée à comprendre qu’elle ne dispose que de ressources limitées et qu’elle doit envisager de faire des choix dans la répartition des moyens de santé. De la limitation oubliée, insupportable, de jadis des admissions en réanimation du fait d’un petit nombre d’équipes et d’appareillages, va-t-on revenir à une limitation, cette fois pour cause de budget? 4. SOINS PALLIATIFS Conceptualisés à l’origine en Grande-Bretagne, les soins palliatifs et l’accompagnement des mourants, qui ont déjà largement trouvé leur place au Canada et aux États-Unis, s’implantent de plus en plus en France. Pour Le Docteur Renée SEBAG-LANOE, chef de service de gérontologie et de soins palliatifs à l’hôpital Paul BROUSSE (Villejuif), il existe de nombreux arguments privilégiant le développement de ces institutions, du point de vue du malade, de la famille et des soignants [22], arguments qu’ils seraient trop long à développer ici. 15 IV. ASPECT JURIDIQUE 1. DEVOIR D’ASSISTANCE Le délit de non-assistance à personne en danger est né de la volonté du législateur de sanctionner légalement un devoir de solidarité que la morale met à la charge de chaque citoyen. L’article 63, alinéa 2, du Code pénal est d’application générale et concerne tous les citoyens. Mais il s’adresse plus particulièrement au médecin en raison de la nature même de ses fonctions. L’obligation de porter secours à une personne, pour un médecin constitue aussi un devoir moral et professionnel. « Tout médecin qui se trouve en présence d’un malade ou d’un blessé en péril ou, informé qu’un malade ou blessé est en péril, doit lui porter assistance ou s’assurer qu’il reçoit les soins nécessaires » [23]. Un médecin est gravement répréhensible s’il n’apporte pas à un malade l’assistance médicale et les soulagements qu’elle peut leur donner et s’il s’arroge le droit exorbitant d’arrêter volontairement une vie humaine [24]. Le nouveau Code pénal (1 mars 1994) n’a pas retenu l’infraction spéciale d’euthanasie qui reste assimilée sur le plan pénal à un meurtre ou à la non-assistance à personne en danger. « Le fait de donner volontairement la mort à autrui constitue un meurtre. Il est puni de trente ans de réclusion criminelle » (C. pénale art. 221-1). Mais l’arrêt des techniques de réanimation ou du traitement peuvent-ils être considérés comme une non-assistance à personne en danger? Les difficultés sont liées à l'absence de définition juridique de la mort. Les textes relatifs à la mort ont pour objectifs la mise en place de procédures de constatation de la mort sans jamais la définir. Dans un avis en date du 7 novembre 1988 (Rapport 1988, p.7), le comité consultatif national d’éthique a précisé que la mort cérébrale était la mort de l’individu. Par conséquent, le médecin qui constaterait la mort cérébral au regard des critères préalablement définis, et qui arrêterait les techniques de réanimation, ne pourrait faire l’objet de poursuites pénales pour meurtre. 2. CONSENTEMENT ECLAIRE A qui appartient la décision du renoncement ou de l’arrêt thérapeutique en réanimation? Deux situations de difficultés inégales peuvent se présenter, selon que le patient se trouve ou non en état d’exprimer sa volonté. Lorsque le malade est en état d'exprimer sa volonté, le problème est relativement simple, car sa volonté doit être respectée ce qui constitue un élément déterminant de la décision. Mais dans un service de réanimation, la situation est plus difficile, car le plus souvent le malade est dans l’incapacité de s’exprimer. La décision doit-elle alors être prise par la famille, un comité d’éthique, un homme de Loi, l’équipe soignante, le médecin,...? Dans les décisions graves que le réanimateur est amener à prendre, quel rôle doit jouer la famille? Lorsque vient le moment de la 16 décision d’abandon des efforts à visée curative et du recours au traitement de confort, faut-il solliciter son avis? Aux États-Unis, les médecins dans le but de se protéger contre des poursuites éventuelles, font porter le poids de la décision par un « substitut », qui est de préférence un membre de la famille. Il existe la doctrine du consentement éclairé: la transmission de la vérité et de l’information juste doit être au coeur de la relation médecin - malade [25]. A la suite de dispositions légales (« Health care surrogate act »), l’American Thoracic Society (ATS) a institué en 1991 la notion qu’un représentant du patient devait être désigné, afin d’aider à prendre des décisions concernant les traitements de réanimation chez les malades incompétents [26]. Le consentement éclairé a été vu comme le moyen d’affirmer l’autonomie du patient. En se développant, le concept a pris une connotation juridique plutôt qu’éthique. En France, le recours au « substitut » n’est pas demandé, sauf pour les mineurs. La famille ne peut substituer son jugement à celui du malade. Elle a rarement un jugement objectif. Les intérêts des divers membres d’une famille sont le plus souvent divergents et leurs avis parfois hésitants ou contradictoires. De plus, faire porter le poids de la décision par un membre de la famille pourrait être pour lui une source d’angoisse supplémentaire et engendrer ultérieurement des remords, ou encore être à l’origine de conflits à l’intérieur des familles. Bien qu’il existe une relation entre le médecin et le patient d’une manière différente dans les services de réanimation, que nous verrons dans un autre chapitre, il doit se créer un indispensable dialogue médecin - famille. Tout le monde scientifique est unanime du fait que c’est à l’équipe soignante qu’il incombe de décider sur les soins à apporter aux patients. L’équipe soignante comprend les médecins réanimateurs, mais aussi les infirmières et les kinésithérapeutes. Les décisions de cette équipe soignante seront bien-sûr influencées par la volonté du patient exprimée par tous les moyens possibles, par le désir des familles ou des proches. 3. TESTAMENTS DE VIE Lors de son assemblée plénière (12-13 novembre 1993), le Comité permanent des médecins de la Communauté européenne a adopté une déclaration sur les testaments de vie et les dispositions de fin de vie [annexe1]. 4. EXPERIMENTATION Comment apprécier moralement telle ou telle méthode d’investigation ou de traitement? C’est ce que Bernard COURVOISIER appelle l’éthique de l’application en médecine des découvertes scientifiques [27]. Les progrès spectaculaires de la médecine laissent subsister de nombreuses failles qui entraînent des critiques de violence contre la science médicale. Ces critiques, font l’objet de controverses, 17 propagées dans la presse, qui mettent en cause non seulement l’entreprise médicale, mais aussi son insertion sociale. Cette illusion de contrôle sur la vie humaine nécessite une humilité pour éviter les dérapages. Actuellement il existe des lois. L'un des premiers codes d'éthique a été élaboré en Allemagne sous la République de Weimar, en 1931. Ses directives concernent les thérapeutiques nouvelles et l'expérimentation scientifique sur l'homme; tout médecin y souscrit par écrit avant de prendre fonction. Les graves dérapages Nazi, donnent lieu en 1947, lors du procès de Nuremberg à un jugement qui inspire des règles que l'Association médicale mondiale réunit sous la dénomination de « code de Nuremberg ». L'Association médicale mondiale déclara en 1964 à HELSINKI que: tout protocole d'expérimentation doit être soumis à un examen par un comité indépendant qui rendra un avis sur le respect ou non des règles d'éthique. La Déclaration de TOKYO en 1975 distingue entre la recherche avec et sans finalité thérapeutique; elle requiert le consentement éclairé dans les deux cas, de préférence par écrit. Dès 1966, aux États-Unis, une directive interne au service de santé par The Food And Drug (FDA), oblige les chercheurs à obtenir l'approbation de leurs pairs pour les protocoles de recherche afin de bénéficier d'une subvention. La facilité de contourner les règles de consentement dans le tiers monde, pousse l'O.M.S. à promouvoir en 1981 la déclaration dite de MANILLE qui, à l'intention des pays en voie de développement, rappelle en 33 points les règles en vigueur dans les pays industrialisés en insistant sur le consentement. La Loi HURIET du 20 décembre 1988 prévoit le consentement écrit des malades, le visa d’un Comité Consultatif pour la Protection des Personnes se soumettant à la Recherche Biomédicale (CCPPRB) pour chaque protocole et de lourdes peines pour les promoteurs et les expérimentateurs en cas d’infraction. L’application de la loi HURIET a soulevé la question de la validité du consentement éclairé chez certains malades notamment en réanimation. Chez ces malades dont la conscience est plus ou moins altérée, obtenir un consentement éclairé est impossible. Mais la loi dans son article L209-9 dit que « dans les situations d’urgence ou qui ne permettraient pas de recueillir le consentement préalable de la personne qui y sera soumise, le consentement de cette personne ne sera pas recherché. Seul sera recherché, dans les mêmes conditions, celui de ses proches s’ils sont présents (conjoint, ascendants, descendants, frères et sœurs) ». 18 V. ASPECT DEONTOLOGIQUE Depuis le commencement de l’histoire, la médecine est réglée à la fois par une moralité idéale exprimée sous forme de vœux ou de serments et par une moralité professionnelle sanctionnée parfois par la responsabilité juridique (déontologie médicale). Le serment d’Hippocrate (environ 500 ans avant Jésus-Christ) dans lequel les qualités de sainteté, de chasteté, l’esprit de service, le respect du secret médical, etc. étaient déjà exigées, un serment qui au cours de 25 siècles de son existence n’a rien perdu de son actualité. Le serment d’Hippocrate invoque d’emblée la protection d’Apollon, d’Asclépios, d’Hygie et de Panacée, dans la lourde mission que le médecin se voit assumer, qui est de donner des soins capables d’apporter la guérison, d’aider les malades et de les assister en tout temps et tout lieu. La règle déontologique rappelle que le devoir primordial du médecin est de préserver la vie. Le premier principe est celui du respect de la personne, souligné dès Hippocrate et affiné par l’article 2 du code de déontologie. Sa dignité est une qualité qui ne saurait être quantifiée. Nul ne peut en être déchu, nul ne peut porter le diagnostic de « déchéance ». L’intégrité de la personne ne doit pas être interprétée de façon absolue, poussée jusqu’à l’absurde. La maladie et l’approche de la mort appellent des adaptations qui ne reviennent pas à abdiquer mais à composer avec une réalité inéluctable. La liberté, celle du moins laissé par la contrainte pathologique doit être préservée ou rétablie. La volonté du patient doit être respectée et son intimité préservée [23]. Le nouveau code de déontologie du 6 septembre 1995 [23], contient de nouveaux articles sur le soulagement des souffrances et de la condamnation de l'obstination déraisonnable dans les investigations et la thérapeutique (article 37). Il mentionne également que « le médecin doit accompagner le mourant jusqu’à ces derniers moments, assurer par des soins et mesures appropriés la qualité d’une vie qui prend fin, sauvegarder la dignité du malade et réconforter son entourage. Il n’a pas le droit de provoquer délibérément la mort ». (article 38) Un exemple de fidélité hippocratique a été décrit par Marguerite Yourcenar, sur un refus d’euthanasie par un médecin d’Alexandrie qui était au service de l’empereur Hadrien : J’avais, dit Hadrien, la plus entière confiance en Iollas, jeune médecin d’Alexandrie, qu’Hermogène s’était choisi comme substitut durant son absence. Nous causions ensemble: je me plaisais à échafauder avec lui des hypothèses sur la nature et l’origine des choses . Je savais qu’il avait retrouvé au palais d’Alexandrie la formule de poisons extraordinairement subtils combinés jadis par les chimistes de Cléopâtre. L’examen de candidats à la chaire de médecine que je viens de fonder à l’Odéon me servit d’excuses pour éloigner Hermogène pendant quelques heures, 19 m’offrant ainsi l’occasion d’un entretien secret avec Iollas. Il me comprit à demi-mot, il me plaignait et ne pouvait que me donner raison. Mais son serment hippocratique lui interdisait de dispenser à son malade une drogue nocive, sous quelque prétexte que ce fût: il refusa, raidi dans son honneur de médecin. J’insistais, j’exigeais. J’employai tous les moyens pour essayer de l’apitoyer ou de le corrompre; ce sera le dernier homme que j’ai supplié. Vaincu, il me promit d’aller chercher la dose de poison. Je l’attendis vainement jusqu’au soir. Tard dans la nuit j’appris avec horreur qu’on venait de le trouver mort dans son laboratoire, une fiole de verre entre les mains. Ce cœur pur de tout compromis avait trouvé ce moyen de rester fidèle à son serment sans rien me refuser...[28]. Le guide européen d’éthique médicale contient les principes destinés à inspirer la conduite professionnelle des médecins quelque soit leur mode d’exercice, dans leurs rapport avec les malades, la collectivité et entre eux [annexe 2]. Un extrait du rapport 804 de l’Organisation Mondiale de la Santé stipule qu’avec l’apparition de méthodes modernes de soins palliatifs, la légalisation de l’euthanasie volontaire n’est pas nécessaire. Il est préférable de concentrer ses efforts sur la mise en application de programmes de soins palliatifs plutôt que d’exercer des pressions pour légaliser l’euthanasie. VI. RECOMMANDATIONS DES ASSOCIATIONS PROFESSIONNELLES La décision d’arrêt thérapeutique en réanimation est un acte éthique qui ne peut se résumer au simple choix entre la poursuite d’un traitement maximal et une abstention pure et simple de tout traitement. Elle doit être basée sur une échelle de décision selon l’état clinique, la pathologie, le pronostic, l’évolution, et surtout le niveau de soins dont bénéficie déjà le patient. Différents outils de mesure ont été mis au point en réanimation pour établir le pronostic des malades, mesurer l’activité, estimer la qualité de survie. Dans le domaine des soins intensifs, on retrouve dans la littérature, trois périodes successives du comportement médical, celle des protocoles de traitement exprimés par des « conduites à tenir » à partir des années 1950, celle de la décision partagée en fonction du contexte singulier et des « préférences » formulées par le patient ou sa famille depuis les années 1970, enfin et surtout depuis une dizaine d’années, l’exigence d’une décision rationalisée, en fonction des contraintes « extra-médicales », celles qui sont imposées par la solidarité collective et par les exigences économiques [29]. Dès 1976, un Comité d’éthique du Massachussetts Général Hospital recommandait le classement des patients en soins intensifs en quatre catégories [30]. Les patients de la classe A, qui constituent 20 la grosse majorité des cas traités, font l’objet d’efforts thérapeutiques sans limite et sans réserve. Les patients de la classe B bénéficient également de toutes les thérapeutiques possibles, mais une évaluation quotidienne de leur cas par l’équipe soignante est justifiée par le fait que leur probabilité de survie est particulièrement faible. Les patients en classe C font l’objet d’une limitation des thérapeutiques appliquées, des nouvelles techniques ne sont pas appliquées (exemple : organes artificiels, transplantation d’organes, nutrition parentérale, drogues vasoactives). Ces patients et ceux de la classe D, il n’y aura pas de manœuvre de réanimation cardiorespiratoire (NTBR : « not to be resuscitated »). Les patients de la classe D bénéficient d’un simple traitement de confort, toute thérapeutique active, qu’elle soit étiologique ou symptomatique est arrêtée. Maurice Rapin, dès les années 1980, proposait de distinguer trois attitudes thérapeutiques: - le traitement illimité avec usage de toutes les techniques disponibles, - le traitement limité, évitant certains médicaments ou thérapeutiques coûteux, - le traitement de confort qui correspond à un arrêt de toute thérapeutique active. On retrouve dans la littérature de nombreux indices de gravité qui ont été mis au point par différentes équipes. Les premiers indices étaient construits de façon subjective c’est-à-dire que le choix des éléments de l’indice ainsi que leur pondération étaient fixés par un consensus d’experts. Les indices modernes sont construits par une méthode statistique, la régression logistique, rendue possible par l’utilisation de l’informatique. Le Mortality Prediction Model ou MPM proposé par S. Lemeshow et col. en 1985, donne directement la probabilité de décès en fonction d’éléments relativement simple (coma, cancer en évolution, insuffisance rénale...) selon une équation [31]. Il existe également l’Apache III beaucoup plus complexe car il nécessite de recueillir un grand nombre de variables physiologiques, sur l’état de santé antérieur, ou sur le diagnostic. Le SAPS II (Simplified Acute Physiology Score II) ou IGS II (Indice de Gravité Simplifié II) a été développé en 1992 à partir de 13000 patients européens et nord-américains provenant de 137 services de réanimation. Il comprend 15 variables. Une équation donne le risque de décès hospitalier en fonction du score [32]. Malgré toutes les recommandations professionnelles, qu’elles soient de « l’American Medical Association » (AMA) en 1986, de la « Society of Critical Care Medecine » (SCCM) en 1990, et de l’American Thoracic Society » (ATS) en 1991 [33], le comportement médical vis-à-vis des arrêts thérapeutiques demeure très hétérogène, comme ont pu le montrer les enquêtes de l’European Study in Intensive Care Medecine » (ESICM) en 1990 et de la « Society of Critical Care Medecine (SCCM) Ethics Committee » en 1992 [34]. 21 VII. ASPECT CULTUREL 1. DE L’EXTREME ONCTION AU SAMU Il y a une trentaine d’années, les patients âgés s'éteignaient au milieu des leurs, dans leur maison, parfois accompagnés par des prières ou un membre du clergé. Dans les années 1990, trois français sur quatre meurent à l’hôpital. La mort a aussi changé de visage, car le vieillard malade est souvent transféré à l’hôpital, non pas pour mourir, mais pour être réanimé. Le SAMU existe depuis une vingtaine d’années, et est un exemple unique au monde. Certes cela coûte cher à la société mais il permet une chance de survie des malades au cours des accidents. On est passé de la fatalité devant la mort à une technique avancée. Il y a quelques années, on appelait le prêtre lorsqu’une personne était en fin de vie, mais maintenant c’est le SAMU qui est appelé pour transférer le patient à l’hôpital. 2. RELATION MEDECIN-MALADE L’ISOLEMENT SOCIAL TRAUMATISANTS - L’ENVIRONNEMENT TECHNIQUE ET Le point de départ de cette relation est très simple. C’est cette relation qui donne un sens bien défini à la réalité clinique. Pourquoi une personne fait appel à un médecin et, d’une façon plus spécifique encore, quels sens ont pour un malade les soins intensifs? Le développement technologique seul, ne peut combler l’ensemble des besoins de l’homme. Il faut également un progrès moral et spirituel qui permettra à son tour une réflexion profonde sur le sens et la finalité de ce développement, c’est-à-dire un progrès au service de l’homme. La médecine est devenue une science objective. Toutefois, la relation médecin-malade contient des dimensions qui dépassent le pur esprit rationnel et scientifique. Cette relation dépend d’une part du soignant, des conceptions qu’il a de l’être humain, de la santé et de la maladie, de la vie et de la mort. Elle dépend d’autre part du malade, de ses conceptions, mais aussi de sa volonté et du sens qu’il donne à sa vie. Une personne qui consulte un médecin le fait parce qu’elle souffre d’une rupture d’équilibre dans son fonctionnement somatique. Si le médecin peut expliquer ce dysfonctionnement et va essayer de le guérir, c’est-à-dire s’il peut se comporter de façon objective, il n’en va pas de même pour le patient. Ce que ressent le patient c’est d’abord la mise en cause de son intégrité. Le patient et ses proches sont confrontés aux limites de l’être dont l’identité est, en quelque sorte, disloquée. Le malade fait appel à la médecine pour retrouver l’intégrité de son être, le résultat en est souvent qu’il se sent traité comme un objet, il est plutôt déshumanisé [35]. Sur un plan éthique, la question que l’on pourrait se poser est quelle sont les conduites que le réanimateur doit développer s’il veut se montrer à la hauteur de sa tâche, c’est-à-dire permettre à la personne malade de demeurer une personne humaine au moment où la maladie met en cause son intégrité? Nous ne reviendrons pas sur les développements technologiques qui ont augmenté considérablement l’efficacité de la médecine. La communication, c’est-à-dire l’utilisation de codes 22 comportementaux, est une règle essentielle et vitale dans nos relations avec les malades, et encore plus accentuée en réanimation. Aborder la communication en réanimation est un sujet difficile. Peu de travaux y font allusion. Ici, plus que partout ailleurs, la nécessité de communiquer est impérative. Ici, plus que partout ailleurs, sont concentrés le maximum d’obstacles pour empêcher cette communication. Dans ce monde inconnu, où est brutalement plongé le malade le plus souvent privé de la parole d’une fait d’une intubation ou d’une sédation, le mot prononcé risque de prendre une signification différente, comme le bruit de fond risque de devenir signifiant. De ce fait le malade donnera valeur à d’autres modes de communication, d’autres formes... le regard, le geste, le comportement, le toucher prennent dans ces lieux toute leur importance. A tous les niveaux, il existe une coupure précise entre cet homme malade et les biens portants qui le soignent. Les bases relationnelles naturelles sont souvent modifiées par des éléments inhabituelles, tels que le stress physique et émotionnel, l’angoisse ressentie par le malade, la douleur etc..., pouvant aboutir à l’extrême au rejet et à la non communication. Tous ces éléments renforcent le mode dominant-dominé de la communication médicale et sont majorés et amplifiés en réanimation, à la mesure de l’angoisse et de la souffrance, et à la mesure de la dépendance du malade aux appareils d’assistance. Face à cette situation la réponse du patient fluctue entre la résistance et l’agressivité (phase sthénique) et la régression et l’abandon (phase asthénique). Ce parcours entre malade-sujet et malade-objet est variable selon l’individu, la pathologie et la prise en charge de l’équipe soignante. Un de ces aspects a été isolé sous le nom de « Syndrome d’Unité des Soins Intensifs » [36]. Il survient au 3éme - 4éme jour d’une hospitalisation dans l’USI et se caractérise par une hypersensibilité, une anxiété, une irritabilité, une perte de désir et une confusion mentale. Le malade et le soignant ne vivant pas la même réalité, la communication en réanimation est dissymétrique et tronquée. Rééquilibrer cette communication est essentiellement le fait de l’équipe soignante. Jay Katz , propose trois principes dans l’art de communication [37]. - Le premier principe est de demander aux médecins le respect des personnes et le caractère rationnel de leurs patients mais aussi leurs émotions rationnelles et irrationnelles de même que leurs jugements qui découlent du savoir, de l’expérience et de la croyance qui orientent leurs décisions. - Le deuxième principe est que le médecin doit s’efforcer d’apprendre comment dévoiler pleinement aux patients tous les éléments qui peuvent affecter son bien-être. Cette exigence renverse la vision traditionnelle selon laquelle la personne malade serait inapte à prendre les décisions qui la concernent; elle met l’accent sur la difficulté des médecins à faire ce travail de dévoilement et la nécessité d’une formation au dialogue. - Le troisième principe est que cette conversation doit se poursuivre non seulement lorsque le corps est souffrant mais lorsque l’esprit est confus et angoissé. 23 Le soignant se trouve à une croisée de chemins où il doit assurer la rigueur scientifique et l’esprit d’objectivité à d’autres ressources non quantifiables mais réelles, relevant de sa vie affective et spirituelle. Sans une relation faisant appel aux diverses ressources humaines, physiques, intellectuelles et spirituelles, il nous semblerait que l’acte de soins deviendrait un acte mécanique et le médecin se priverait de moyens qui pourrait contribuer au processus de guérison. VIII. PLACE DES RELIGIONS La christianisation de la pratique médicale conduit au XVIème siècle à la célèbre formule d’Ambroise Paré: « Je pansay et Dieu le guarit » [38]. Ce Dieu, que les grandes religions monothéistes disent à l’origine de leurs messages d’amour, garde-t-il encore une place dans la pratique médicale de nos jours? Pour les uns Il est mort; pour d’autres, Son cadavre bouge encore [39]. La conscience morale qu’elle ait sa source directe dans une idéologie rationnelle et laïque ou dans des croyances religieuses a toujours présidé au bon fonctionnement du monde médicale. Cependant il existe des preuves convaincantes que cette conscience a été perturbée, même ébranlée depuis plus d’un siècle. Les intérêts matériels et commerciaux ont nettement pris le dessus sur l’esprit de service, la méfiance entre le médecin et le patient remplace dans beaucoup de cas la confiance et la coopération, les recherches bio-technologiques se mènent indépendamment de toute considération morale etc. S’il existe une crise générale dont une des raisons principales est le déclin des croyances et des sentiments moraux et religieux et la prédominance du matérialisme moderne, il y a aussi dans certains milieux, le début d’un éveil de conscience qui répond dans une certaine mesure aux exigences d’un nouveau monde d’interdépendance et de solidarité des êtres humains. Cet éveil de conscience morale s’est manifesté entre autres dans la tenue de conférences portant sur l’éthique, la constitution de commission nationale sur l’éthique médicale, du côté des organisations religieuses, l'église catholique a toujours eu les yeux ouverts sur les évolutions scientifiques, l’Organisation Mondiale de la Santé apporte une contribution majeure au progrès de la conscience morale à travers le monde. Toutes ces idées et organisations convergent de plus en plus vers la prise en compte de la dimension morale et même spirituelle comme un aspect essentiel de la médecine. Mais un des pièges à éviter est de condamner le savoir scientifique. Or il faut respecter ce savoir scientifique et le désir de l’homme de pousser au plus loin les limites de la connaissance. Mais dans le domaine médical, certains principes devraient être posés. La finalité de cette recherche doit constituer une source d’espoir et d’optimisme pour la société. Pour Edgard Maurin, il faut une « protection » pour l’homme, et « c’est sur la conscience morale et non sur la conscience scientifique que repose cette protection » [40]. Jean-Claude 24 Barreau trouve qu’il est important et même vital d’appuyer la morale sur la Foi [41]. Sans cette Foi, on n’aura qu’un monde d’anarchie et de nihilisme. La crise précipitée par la croissance technologique exponentielle trouve ses origines dans le mutisme, sinon le divorce entre l'activité scientifique et un engagement spirituel désuet, incohérent ou absent. La distinction cartésienne entre la réalité subjective et la réalité objective a permis de fonder la science sur un postulat rationnel, libre du carcan d'obscurantisme dont le pouvoir religieux l'avait chargée. Les chemins de la science et de la religion ont divergé: le dialogue s'est tu, l'incohérence est devenue une institution, un postulat de travail. Les prophètes ne peuvent être tenus comme responsables de l'usage perverti de leur foi: Jésus n'a jamais prôné l'inquisition, pas plus que Darwin n'a voulu le nazisme, ou que Marie Curie, Einstein, Fermi et Oppenheimer n'ont la paternité des horreurs d'Hiroshima et de Nagasaki. Il n'en reste pas moins un malaise dans un travail scientifique d'envisager la contribution des grandes religions monothéistes à l'éthique. Ces enseignements spirituels attirent quelques remarques: * Ils ont été modestement attribués à une source surnaturelle par leurs auteurs qui, pour étayer leur discours sur la nature accessoire de cette vie comparée à celle à venir, ont même accepté la mort. Pourquoi ces êtres par ailleurs géniaux et purs, auraient-ils menti? [42-p.103] * Ces messages d'unité ont été largement en avance sur leur temps. Celui du Christ a mis trois siècles pour être ouvertement accepté, sans avoir pu bénéficier d'un désirata populaire pour "se propager dans un milieu propice" [43]: ce n'est pas le christianisme qui s'est élu un Christ. * Enfin l'humanité n'ayant aucunement atteint le summum de la sagesse, rien n'indique que la révélation religieuse soit définitivement close, et "les mains de Dieu désormais chaînées"[42p.14]. L'apparente incompatibilité entre la science et la religion, découle donc du fait que chaque enseignement est dispensé dans un langage accessible à la compréhension de son temps, en parfait accord, sinon en avance sur la science du jour. La civilisation évoluant, le vocable et les besoins de l'homme changent. Le message initialement pur se charge en dogmes et en rites inintelligibles, devient incompatible avec les connaissances nouvelles. L'incohérence des valeurs mène à la désorganisation; la civilisation tombe en décadence. Seule l'impulsion d'un nouvel enseignement alliant le spirituel à une structure de lois adéquates permet de régénérer l'homme et de faire éclore une nouvelle civilisation. Dans les chapitres suivant nous allons exposer de façon sommaire les enseignements de la religion juive, chrétienne et musulmane sur le devoir de donner des soins aux malades en générale et particulièrement sur les soins intensifs. Enfin pour finir nous verrons quelles sont les enseignements majeurs de la foi bahá’íe qui sont susceptibles de transformer le monde médical en lui insufflant une nouvelle conscience morale. 25 VIII. LES DONNEES DU PROBLEME 1. LA RELIGION JUIVE Le droit à la vie domine tous les autres et le premier principe humain demeure celui du respect de la vie. Ce principe, dont l’origine remonte à la nuit des temps, semble avoir été déjà énoncé par l’attitude de Yahvé arrêtant le bras d’Abraham qui s’apprêtait à sacrifier son fils pour la plus grande gloire du Dieu des juifs. L’abondance des inventions humaines qui soumettent la nature, selon le commandement biblique donné à notre espèce: « Emplissez la terre et soumettez-la », déplace le conflit entre les deux ambitions de l’homme: d’une part, la recherche de la plus grande résistance aux forces de destruction, et d’abord la mort, et d’autres part, la conquête des meilleurs moyens techniques pour consommer toujours plus intensément la vie au risque d’accroître les occasions de mort. En effet, une civilisation qui acquiert des pouvoirs sur la vie se trouve nécessairement confrontée à une réflexion nouvelle sur les droits de l’homme à cette vie. Les positions israélites en matière d’acharnement thérapeutique demeurent très tranchées. Pour certains le judaïsme est démontré comme « doctrine de vie ». Ainsi, tout acte susceptible de hâter la mort est catégoriquement interdit par le Talmud qui confie au médecin le droit et le devoir de soigner. Le respect de la vie humaine est absolu. C’est Dieu qui donne la vie. Aucune autorité humaine ne peut se permettre, pour quelque motif que ce soit, d’en disposer de façon délibérée, qu’il s’agisse de sa propre vie dans le suicide, ou de celle d’un autre dans l’homicide. « Je demanderai compte du sang de chacun de vous » est-il écrit dans la Genèse. Et dans le livre d’Ezéchiel : « Toutes les vies m’appartiennent, l’âme du père comme celle du fils, c’est à Moi qu’elles appartiennent ». Chez les juifs, il ne saurait admis cet abrègement de la vie qu’est l’euthanasie. Chaque minute suffit pour qu’un pêcheur endurci se transforme en un juste parfait. Le Talmud dit : « Celui qui détruit une vie, même d’un instant, c’est comme s’il détruisait l’univers entier; et celui qui maintient une seule vie, c’est comme s’il maintenait un univers complet ». Cette conception inspire certaines dispositions de la Halala (la Loi). Si quelqu’un est mourant un jour de Sabbat, on peut accomplir toutes les activités interdites ce jour-là. De même, il est défendu de faire quoi que ce soit qui puisse hâter la mort d’un agonisant: on s’abstiendra de le frictionner, de le laver, d’enlever le coussin sous lui, car ces gestes risquent de précipiter sa fin. Il est comme une lumière tremblotante qu’il suffit de toucher pour qu’elle s’éteigne. L’enseignement judaïque affirme que la vie demeure sacrée, car c’est à Dieu, qui en fait le don qu’il revient de la reprendre. Ainsi l’homme ne doit pas refuser certains moyens techniques servant à prolonger la vie; il doit résister à la tentation de faiblesse et d’abandon. Par contre, une autre tendance, apporte une atténuation aux affirmations doctrinales déjà citées. Pour eux, il serait tout à fait licite de souhaiter la fin d’un malade qui souffre beaucoup, sans espoir de guérison. Témoin l’épisode de la mort de Rabbi, auteur de la Michna. Alors que les sages 26 suppliaient Dieu pour qu’il vive, la servante de Rabbi, le voyant en proie à des souffrances intolérables, demandait au Seigneur d’y mettre fin: « Que ta volonté soit que ceux d’en haut l’emportent sur ceux d’en bas ». Cette prière « euthanasique » est licite, car dans ce cas on ne s’arroge pas un droit réservé à Dieu, mais on lui adresse une requête. Le juif pieux remet son âme à son Créateur: « Seigneur tout-puissant, Dieu d’Israël, je Te rends grâce de m’avoir créé. Voici venu l’heure de Te rendre l’âme que Tu m’as donnée. Prends-la Toi-même et que, enflammée d’amour pour Toi, elle Te suive extasiée ». On remarque que le patient en fin de vie, puis le mort ont droit à des égards, empreints de bienveillance. En effet, le corps du défunt est lavé, enveloppé d’un linceul et du châle de prière puis porté au cimetière (en hébreu beth haichaïm : maison des vivants). 2. LA RELIGION CHRETIENNE La difficulté à répondre à ces questions est actuellement la même pour la religion chrétienne car les bases médicales et thérapeutiques apportées par le message du Christ étaient les mêmes que celles des juifs. Le Christ n’a en effet pas répété les enseignements de Moïse, mais les a complétés. « N’allez pas croire que je suis venu abroger la Loi ou les Prophètes: je ne suis pas venu abroger mais parfaire » (Matthieu V, 17). Mais l’évolution de la médecine chrétienne fut différente de la médecine juive, l'église ayant établit une morale fondée surtout sur la peur du Jugement Dernier et sur la Mort. Les idées et les prises de position évoluent. La notion du respect de la vie humaine a été rappelée par Pie XII qui déclarait, le 29 octobre 1951 : « Tout être humain tient le droit à la vie essentiellement de Dieu, non de ses parents ni de quelque société ou autorité humaine que ce soit. Il n’y a donc aucune autorité humaine, aucune indication médicale, eugénique, sociale, économique, morale qui puisse conférer un titre juridique valable pour disposer directement ou délibérément d’une vie humaine innocente en vue de sa destruction ».Cette déclaration exclut l’euthanasie au sens d’une mort directement donnée. Le 24 février 1957, le Pape Pie XII, devant la « Societa italiana di anestesiologia » déclarait que: « la douleur n’a pas de valeur comme telle, elle ne prend sa dignité morale que dans la mesure où elle sert d’expression à l’amour de Dieu. Par conséquent, l’usage des anesthésiants pour calmer la douleur est licite. Toute forme d’euthanasie directe, administrer un narcotique dans le but de provoquer et de hâter la mort, est illicite ». Quelques mois plus tard, devant une autre assemblée médicale, il déclare que: « le devoir de conserver la vie et la santé n’oblige habituellement qu’à l’emploi de moyens ordinaires, c'est- à-dire des moyens qui n’imposent aucune charge extrême pour soi-même ou autrui ». Selon la doctrine chrétienne, la douleur, surtout celle des derniers moments de la vie, a une place particulière dans le plan salvifique de Dieu; elle est en effet participation à la Passion du Christ et 27 union au sacrifice rédempteur qu’il a offert dans l’obéissance au Père. Ainsi ne faut-il pas s’étonner que certains fidèles désirent modérer l’usage des analgésiques, de façon à assumer au moins une partie de leurs souffrances et à s’unir ainsi, dans une conscience pleinement éveillée à celles du Christ sur la croix. Toutefois, il ne serait pas conforme à la prudence de vouloir faire d’une attitude héroïque une règle générale. Pour beaucoup de malades, la sagesse humaine et chrétienne reste l’emploi de moyens médicaux aptes à atténuer ou supprimer la souffrance. Il convient de rappeler une déclaration de Pie XII, à des médecins qui lui posaient la question suivante: « La suppression de la douleur et de la conscience par le moyen des narcotiques [...] estelle permise par la religion et la morale au médecin et au patient ( même à l’approche de la mort et si l’on prévoit que l’emploi des narcotiques abrégera la vie)? » le Pape répondit: « s’il n’existe pas d’autres moyens et si, dans des circonstances données, cela n’empêche pas l’accomplissement d’autres devoirs religieux et moraux: oui » [44]. Les analgésiques qui entraînent l’inconscience méritent une attention particulière. Il importe en effet non seulement de pouvoir satisfaire à ses devoirs moraux et à ses obligations familiales, mais surtout de se préparer en pleine connaissance à la rencontre du Christ. Aussi Pie XII rappelle-t-il « qu’il ne faut pas sans raison grave priver le mourant de la conscience de soi » [45]. Le Pape Jean Paul II en novembre 1985 à « l’Académie pontificale des sciences » [46] et dans la 11éme Encyclique « Evangelium Vitae » rappelle que « l’euthanasie est une grave violation de la loi de Dieu, en tant que meurtre délibéré moralement inacceptable d’une personne humaine ». Par ailleurs si un patient est dans un coma irréversible, un traitement n’est pas requis, mais les soins incluant une alimentation parentérale doivent être prodigués. Si le traitement ne peut apporter aucun bénéfice au patient, il peut être interrompu, mais les soins seront poursuivis. 3. LA RELIGION MUSULMANE La science médicale est un des fleurons de la civilisation islamique. Le « Hakim », personnage central pour la transmission et la diffusion du savoir est en général le médecin. Ce mot désigne à la fois le sage et le médecin, et cette identité révèle la place privilégiée accordée à ces derniers dans la société islamique. L’éthique islamique, par son esprit de fraternité, de charité et de justice, fut à l’origine d’une morale médicale dont un des meilleurs exemples est le traitement des malades mentaux. Dans l’esprit des savants musulmans, en particuliers des médecins, un ordre des valeurs relie science et sagesse. C’est-à-dire « une organisation des moyens » à « une méditation sur les fins » [47]. Le respect de la vie fait partie du patrimoine moral et culturel. Le Coran comporte un verset qui déclare qu’« il est interdit de donner la mort si ce n’est à bon droit », ce qui voudrait dire que le meurtre est formellement condamné par l’islam. Ce principe guide la position des théologiens 28 islamiques face à l’euthanasie. Le médecin n’est pas à même de donner la vie; il n’a pas le droit d’y mettre un terme. Il ne peut ni avancer, ni reculer l’heure de la mort, qui dépend de la volonté de Dieu. Son effort doit se situer dans un cadre clair: soulager la souffrance humaine. La prière de Moïse Maïmonide, élève d’Averroès, bien que médecin d’origine juive, reflète bien l’état d’esprit qui prévalait à l’âge d’or de la médecine islamique: « Dieu, remplis mon âme d’amour pour l’art et pour toutes les créatures. Ôte de moi la tentation que la soif du gain et la recherche de la gloire m’influencent dans l’exercice de ma profession. Soutiens la force de mon cœur pour qu’il soit toujours prêt à servir le pauvre et le riche, l’ami et l’ennemi, le juste et l’injuste. Fais que je ne vois que l’homme dans celui qui souffre. Fais que mon esprit reste clair en toutes circonstances, car grande et sublime est la science qui a pour objet de conserver la santé et la vie de toutes les créatures. Fais que mes malades aient confiance en moi... Fais que je sois modéré en tout, mais insatiable dans mon amour de la science... ». La mort dans l’islam est conçue comme une fin et un commencement, une transition entre deux « étapes » et deux « moments » de la vie : « Dieu fait surgir la vie de la mort et la mort de la vie » (Coran S. II, 27; VI, 95; LVII, 2). La position de l’islam, à l’égard de l’euthanasie, apparaît claire. Dans le cadre de son dogme (dîn) et de sa loi (sharî’a), elle n’est pas acceptée. La vie étant, dans son unité, son identité et sa vocation un don de Dieu, nul n’a le droit pour quelque motif que ce soit, d’y mettre fin, même à la demande du malade ou en cas d’inefficacité des remèdes à administrer, sans encourir la damnation éternelle. 4. LA FOI BAHA’IE La particularité de la foi bahá’íe est que c’est la religion la plus récente. Elle est née en 1844 [annexe 3]. Classée numériquement comme la neuvième grande religion mondiale [48], son extension géographique la situe deuxième après le christianisme [49], avec le taux de croissance le plus rapide des religions mondiales: 3,63% par an [50]. En France, la foi bahá’íe a été introduite dès 1899. Actuellement, elle y est implantée dans 475 localités. L’histoire montre que les grandes religions monothéistes qui marquent l’évolution de l’humanité, ont apporté un code de lois assorti à un engagement spirituel qui, en motivant le ralliement des hommes à un système de valeurs, permet d’élaborer une civilisation florissante que les bonnes actions seules ne peuvent établir. Sa position, comme confédérateur des religions, ne détrône aucune religion récente, elle réactualise leurs messages, réconcilie les grandes pensées religieuses. 29 Les ordonnances ont été établies dans le Kitab-i-Aqdas « le livre des lois » [51] et les écrits de Bahá’u’lláh. Les textes bahá’ís forment un cadre de lois qui serviront à une législation qui doit être adaptée à chaque époque. Dans la plupart des champs de comportement humain, il y a des actes manifestement contraires aux lois de Dieu, et d’autres manifestement approuvés ou permis; entre les deux, il y a souvent une zone de gris ou ce qu’il convient de faire n’est pas d’emblée évident. L’être humain a eu tendance à éliminer ces zones de gris afin de rendre clairement prescrit chaque aspect de la vie. Ce penchant a donné lieu à une importante accumulation d’interprétations et à une législation annexe qui ont étouffé l’esprit de certaines religions plus anciennes. Dans la foi bahá’íe, la modération qui est fortement soutenue par Bahá’u’lláh, s’applique également ici. Il a été prévue une législation supplémentaire par la Maison Universelle de Justice - législation qu’elle peut elle-même abroger et amender au fur et à mesure que les conditions évoluent. Il y a aussi un schéma déjà clairement instauré dans les Ecrits Saints, dans les interprétations d’Abdu’l-Bahá et de Shoghi Effendi et dans les décisions prises jusqu’ici par la Maison Universelle de Justice, selon lequel un champ d’application des lois est intentionnellement laissé à la conscience de chaque croyant. Voici venu le temps où l’humanité doit atteindre sa maturité dont l’une des caractéristiques est la prise en charge par les individus de la responsabilité de décision, à l’aide de la consultation, de la conduite à tenir dans les domaines laissés ouverts par la Loi de Dieu [52]. Le transfert de responsabilité aux scientifiques, juristes et usagers des soins conduit à une attitude de recherche, d’ouverture, de dignité et d’humilité devant ces problèmes difficiles. Ceci présage de la naissance d’une nouvelle race d’intellectuels, prêts à écouter et à collaborer dans un esprit d’équipe. Dors et déjà une vérité incontournable s’impose à nous: seul un travail pluridisciplinaire, réunissant tous les acteurs sociaux concernés, peut prétendre résoudre les problèmes éthiques complexes et aux multiples implications qu’une science en rapide progrès nous oppose. Pour des renseignements complémentaires sur les différents thèmes abordés ci-dessous, le lecteur peut se référer aux textes baha’is dans l’annexe 4. 30 4.1. LE BIEN-ETRE, SELON CHAQUE EPOQUE Pour les bahá’ís, la religion vise la prospérité de la société dont dépend le bien-être de chaque individu: l’application des lois morales et spirituelles exige toutefois une adaptation aux nouveaux problèmes éthiques soulevés par une science en constante évolution. Bahá’u’lláh écrit: Tout âge a son problème propre, toute âme son aspiration particulière. Le remède qui convient aux afflictions du présent jour ne saurait être celui que réclameront les maux d'un âge ultérieur. Enquérez-vous soigneusement des besoins de l'âge où vous vivez et que toutes vos délibérations portent sur ce que cet âge exige et requiert [42]. Alors que de nombreux penseurs cherchent des réponses simples et définitives à ces problèmes complexes et évolutifs, Bahá’u’lláh charge la Maison Universelle de Justice de légiférer selon les besoins de chaque époque: ...Puisque chaque jour il y a un nouveau problème, et pour chaque problème il y a une solution appropriée, de telles matières doivent être transmises à la Maison de Justice pour que ses membres puissent agir selon les besoins et les exigences de l'époque[53]. 4.2. FINALITE DE LA VIE HUMAINE Le but de la santé est de servir la société, le but unique de la thérapeutique n’est pas la « rentabilité » sociale de l’individu. La valorisation de la vie humaine est indiscutablement un puissant facteur qui doit diriger notre comportement et notre attitude envers la société. Nous pouvons nous demander si la pratique de l’euthanasie aurait permis de trouver des remèdes à certaines maladies. Il faut rester modéré, car le but de la médecine ne doit pas se résumer à tromper la mort, l’homme, néanmoins, n’a pas à « baisser les bras » pour se soumettre à la nature: ...tandis que toutes les créatures sont prisonnières de la nature, et ne peuvent s’affranchir de ses exigences, l’homme seul lui résiste. La nature attire les choses vers le centre de la terre; l’homme trouve un instrument pour s’en éloigner et pour s’envoler dans l’air[54]. 4.3. COMPLEMENTARITE DE LA SCIENCE ET DE LA RELIGION Le concept bahá’í d'éthique tourne autour de cette complémentarité. Si la balance aujourd’hui penche en défaveur de la religion, c’est en grande partie dû au souvenir du carcan d’obscurantisme qui a pesé sur l’esprit humain en guise de religion [55]. Les démêlés entre les hommes de science et les hommes de religion ne signifient pas que ces deux pôles de la pensée humaine doivent être indéfiniment écartelées. Bien au contraire, tout mène à croire que les facultés affectives et rationnelles localisées sur deux hémisphères cérébraux distincts 31 en constante interaction, assument des fonctions complémentaires. La religion s’adresse à l’affectivité, la science à la raison [56]. Abdu’l-Bahá souligne l'attitude bahá’íe envers la science. Toute religion qui contredit la Science ou qui lui est opposée n'est que de l'ignorance... car l’ignorance est le contraire de la connaissance...[4]. 4.4. RELATION MEDECIN-SOIGNANT La relation médecin-soignant contient des dimensions qui dépassent le pur esprit rationnel et scientifique. Cette relation dépend d’une part du soignant, des conceptions qu’il a de l’être humain, de la santé et de la maladie, de la vie et de la mort et des autres aspects de sa personnalité. Elle dépend d’autre part du malade, de ses conceptions, mais aussi de sa volonté et du sens qu’il donne à sa vie. Sans une relation faisant appel aux diverses ressources humaines, physiques, intellectuelles et spirituelles, l’acte de soins deviendrait un acte mécanique et le soignant se priverait de moyens non objectifs qui pourraient contribuer au processus de guérison. En marquant les limites d’un savoir scientifique basé sur des éléments mesurables, Abdu’l-Bahá demande à un savant « si sa science lui permet d’analyser une goutte d’eau? » « oui » répond-il. « Peut-elle distinguer une goutte d’eau, d’une goutte de larme? » la réponse est encore « oui ». « Peut-elle distinguer une larme de joie d’une larme de chagrin? » Le soignant se trouve donc à une croisée de chemins où il doit associer la rigueur scientifique et l’esprit d’objectivité à d’autres ressources non quantifiables mais réelles, relevant de sa vie affective et spirituelle. Il nous semble que la richesse de sa relation avec le malade dépend de cette association. Dans les écrits bahá’ís, les éléments qui contribuent à cerner la relation soignant-malade sont nombreux. Ils concernent plusieurs aspects : a. La dignité intrinsèque de la nature humaine Cette dignité intrinsèque à la nature humaine est liée à une transcendance spirituelle. Le soignant du corps que nous sommes, se trouve face à la maladie, donc face à la souffrance physique et morale. L’homme n’est pas seulement un être de chair, mais un être doué d’un esprit transcendant dépassant le corps et ses infirmités, et ceci quelque soit la dégradation physique et intellectuelle que lui fait subir la maladie. 32 b. L’importance de se tourner vers Dieu La relation soignant-malade, n’est pas seulement une relation binaire, elle s’enrichit également de la relation avec Dieu[57]. Nombreux sont les textes qui s’adressant aux médecins insistent sur cette dimension. c. La compétence professionnelle et morale du soignant Le soignant doit être armé d’une compétence à la fois professionnelle et morale. Bahá’u’lláh conseille aux malades de se référer au médecin, car le développement médical et la confiance à la médecine seront de plus en plus adéquates. d. La reconnaissance de l’autorité médicale Les écrits bahá’ís établissent pleinement l’autorité du médecin et la haute valeur morale et sociale du travail du soignant [58]. Bahá’u’lláh insiste sur l’obligation pour le malade de suivre un traitement médical. e. La prise en compte des possibilités à la fois spirituelles et matérielles intervenant dans le processus de guérison « La prière seule ne suffit pas... nous devons utiliser tous les avantages physiques et matériels que Dieu nous a donné...Le meilleur résultat peut être obtenu en associant les deux processus: spirituel et matériel » [59] 4.5. EUTHANASIE En général les enseignements bahá’ís indique que Dieu, le Donateur, et Le seul à en disposer comme bon Lui semble. Il n’existe rien de précis dans les écrits saints sur l’arrêt thérapeutique dans les maladies au stade terminale. « Jusqu’au moment où la Maison Universelle de Justice légiférera sur l’euthanasie, les décisions concernant les problèmes auxquels vous vous référez doivent rester dans les mains des personnes responsables, dans les limites prescrites par la loi du pays » [60]. 4.6. CONCEPTION DE LA MORT ET DE VIE DANS L’AU-DELA Jusqu’au XVIème siècle, on acceptait la mort car elle faisait partie de l’ordre naturel des choses [61]. La mort demandée, est-ce par lâcheté qu’on la refuse? Cet appel, « je veux mourir », l’avons nous entendu? Ceux qui s’approchent des mourants savent que par ces mots le malade tente désespérément de se retenir à quelqu’un, comme si la main qu’on lui tend et qu’il étreint avec force l’arrachait à un autre drame, pire que d’en finir. Ces appels à la mort sont des demandes d’amour. « La fréquentation des vieillards et des malades irréversibles révèle que la demande affective de l’être humain reste intense jusqu’au seuil de la mort, comme si elle était réactivée par l’approche du dénouement. Toute mort ressemble à une braise qui s’éteint, mais la braise 33 rougeoie jusqu’au terme... et il faut respecter cette lueur à peine imaginable qui brille encore dans le regard du mourant » [62]. Rien de plus naturel que les religions se préoccupent de la mort, mais le lien avec Dieu qu’elles proposent est-il hors du temps comme Dieu Lui-même ou limité à la durée de la vie? Puisque la relation avec Dieu ne peut être établie que par Lui, il paraîtrait logique qu’elle soit éternelle. Pourtant nous constatons que toute création est vouée à la mort. On ne parle que de la mort alors qu’elle ne dure qu’un court instant, car elle est visible pour l’homme. Mais l’important est de se poser la question « Et après la mort? », puisque c’est plus long! Mais là on est moins affirmatif puisque c’est invisible. Les enseignements bahá’ís concernant le grand mystère de la mort et d’une vie s’étendant au-delà offre un message radieux d’espoir, de réconfort, ainsi qu’un stimulant pour accéder à un noble mode de vie. La vie physique n’est que l’étape embryonnaire de notre existence. Elle peut être comparée à celle d’un enfant dans le sein de sa mère, où il croit et développe graduellement la forme et les facultés dont il aura besoin pour vivre dans le monde physique. L’homme a besoin de développer durant sa vie terrestre le potentiel de ses pouvoirs et capacités, ces qualités de l’esprit qui le rendront capable, non seulement de fonctionner adéquatement ici-bas et d’accéder au bonheur spirituel, mais qui lui donneront, à la mort, la possibilité d’une nouvelle naissance dans la vie future. Dans les livres sacrées tels que la Bible ou le Coran, les conditions de l’âme après la mort sont décrites dans un langage imagé. Mais la foi bahá’íe nous explique que ce ne sont que des images symboliques, à ne pas accepter littéralement, ou ne devant pas recevoir des interprétations matérialistes. Bahá’u’lláh dans les Paroles Cachées dit : O fils du Suprême, J’ai fait de la mort une messagère de joie pour toi.. Pourquoi t’attrister? J’ai fait la Lumière pour qu’elle t’inonde de sa Splendeur. Pourquoi veux-tu t’en séparer par un voile? » ou bien: « La mort tend à chaque croyant la coupe qui en réalité, est celle de la vie. Messagère de bonheur, elle dispense la joie et confère le don de vie éternelle[63]. 34 XI UNE METHODOLOGIE DECISIONNELLE PLURIDISCIPLINAIRE: Il nous a semblé opportun de citer l’expérience lyonnaise pour aborder les problèmes éthiques au sein d’une équipe pluridisciplinaire. Pour le Docteur Nicole LERY, c’est un « chantier » où l’on doit démembrer le problème à coup « d’outils de raisonnement » afin de cerner son enjeu. Tour à tour le problème doit être examiné sous l’angle technique, juridique, et déontologique, avant d’être étudié à la lumière des consensus, Chartres et recommandations puis situé dans le contexte d’un cadre culturel, moral et religieux [annexe 5]. Pour aborder le problème, il faut dénicher les compétences qui ne se retrouvent jamais toutes réunies chez une seule personne. Celui qui est compétent à énoncer les valeurs et les convictions du groupe social fait un travail de légitimation; tandis que celui qui a les compétences techniques et la capacité de le faire fait un travail de régulation [annexe 5]. Une fois les tenants et les aboutissants de la situation identifiés dans ce « chantier », et les interrogations multiples regardées et évaluées; est abordé le véritable acte éthique. Pour Nicole Lery, « les Dieux sont silencieux et les hommes n’ont pas de réponse. On est convoqué dans l’Agir, et cet Agir, il faut l’inventer en élaborant le compromis le moins mauvais possible dans une situation concrète entre les acteurs en jeu, chacun porteur de valeurs reconnues et mises en lien avec les autres... »[64]. La réponse ne peut être binaire, les deux faces symétriques d’un même problème: « je te débranche/je ne te débranche pas ». La question est ouverte et les chemins des possibles aussi...[65]. 35 CONCLUSION Tout au long de cette réflexion, nous avons tenté de faire voir la dynamique éthique qui donne sens à la réanimation. Nous espérons avoir apporté notre modeste contribution à approfondir le sens humain de cette discipline complexe. Fort heureusement, les décisions de limitation et/ou d’arrêt thérapeutique chez les patients en réanimation sont rares. Elles ne s’appliquent qu’à une faible minorité de patients. Pour la grosse majorité d’entre eux, tous les efforts doivent être tentés afin de leur procurer une survie de qualité. Ces malades ont d’autant plus droit au respect dû à la personne humaine qu’ils se trouvent en état de grande fragilité. C’est au personnel soignant, dans ces cas particuliers, de réaliser un compromis entre : - prévenir, éviter l’acharnement thérapeutique préjudiciable au patient, à sa famille et à la société « mauvais acharnement », et -s’acharner en faisant usage de tous les progrès de la science médicale au bénéfice des patients « bon acharnement » Le but de l'éthique c'est le bien-être, mais le code marque les mentalités. Les débats actuels sur la santé reflètent les problèmes économiques, mais les restrictions budgétaires coexistent avec un état de belligérance qui rend le monde exsangue malgré les richesses phénoménales offertes par la science. Des quelques 800 milliards de dollars engloutis chaque année en armement, 3% suffiraient à nourrir notre planète dont les deux tiers meurent de faim. A ces chiffres ahurissants, il faut ajouter les pertes économiques colossales liées à la non-collaboration et au vieillissement de la population occidentale. L'âge moyen s'élève grâce à la baisse de mortalité, victoire de la prophylaxie et du progrès dans les soins de chirurgie et de réanimation du sujet âge. On voit poindre un débat sur l'opportunité de soins coûteux aux vieillards, les plus gros consommateurs de santé. L'acharnement thérapeutique est condamnable; discuter la nature des soins aux handicapés, vieillards ou cancéreux est inévitable. Or l'argument économique rationnel, défendable à brève échéance, peut devenir néfaste s'il propage l'idée qu'il est licite de se décharger des foetus, handicapés ou vieillards encombrants, improductifs ou coûteux. Un débat similaire réclame le droit de mourir sous prétexte d'un choix légitime de chacun à disposer de sa propre vie. En pratique journalière, ceux qui souhaitent mourir ne choisissent pas entre la vie et la mort, mais bien entre la misère, la souffrance, et la mort. Parfois, la demande d'euthanasie n'émane pas du malade, mais de son entourage. Elle viserait alors à abréger la souffrance du patient mais aussi celle d'une famille: affligée par l'insupportable spectacle de déchéance qui s'abat sur l'être cher, par les charges financières et les lourdes contraintes de garde. Combien de fois n'a-t-on vu un brillant succès thérapeutique se solder par un drame au sein de la 36 famille qui reçoit un vieillard diminue ? Il est alors plus aisé d'offrir un choix entre la misère et la mort qu'un réel soulagement physique et moral. Toute prise de position d'ordre éthique confirmerait ou endiguerait cette tendance. Si l’acharnement thérapeutique est aujourd’hui au « banc des accusés », la démission thérapeutique dévalorise la vie humaine, prive des quelques survies spectaculaires et « miraculeuses » qui viennent parfois étonner le praticien courageux. Il n’est pas à négliger que les soins apportés à un individu peuvent servir d’expérience pour sauver un autre, et ceci, l’individu peut le comprendre et l’accepter. La science dispose de moyens efficaces pour soulager la douleur. La société devrait s'en donner pour réduire la misère physique et affective; c'est là, la voie du progrès. Ouvrir une voie de facilité, serait mettre le doigt dans l'engrenage de la régression. L'enjeu de l'éthique est la survie de la race humaine au sein d'un nouvel ordre mondial, protégeant la diversité dans le cadre d'un arbitrage planétaire. Cette planétisation de l'humanité réclame un renouveau en esprit. Pour les uns, cette restructuration, dont la naissance est saluée par divers courants de pensée, se ferait par une auto-organisation autonome de l'esprit humain. Pour les bahá’ís, l'homme animé par une hypothétique "morale naturelle" ne peut parachever une telle entreprise. L'information et la force dynamique, artisans de telles mutations sociales, seraient données au monde d'époque en époque dans les messages des révélations monothéistes. Celui offert au monde par la foi bahá’íe depuis près d'un siècle et demi, propose à la fois l'esquisse d'une civilisation mondiale et les lois et préceptes aptes à fournir les étalons d'une éthique universelle, sans exclure une adaptation aux besoins spécifiques de chaque culture et époque. Ainsi réconciliées, la science et la religion prendront part à une nouvelle éthique, contribuant à créer des liens d'amour et d'unité au lieu d'alimenter les conflits. 37 ANNEXES Annexe 1 : Communauté Européenne et testaments de vie Quelques recommandations du Comité permanent des médecins de la Communauté européenne (extraits de l’assemblée plénière du 12-13 novembre 1993): 1. Cette forme d’expression de la volonté n’a pas pour but de permettre de pratiquer l’euthanasie active. 2. Le médecin doit en toute circonstance pouvoir agir selon sa conscience. Le médecin a le devoir d’informer son patient de toute objection qu’il pourrait avoir à l’encontre du contenu de ses dispositions de fin de vie et, lorsque cela est nécessaire, doit l’aider à recevoir les soins d’un autre praticien. 3. Les médecins doivent à tout moment agir au mieux des intérêts de leurs patients, ils doivent également choisir les traitements qu’ils considèrent comme les plus appropriés. 4. La relation médecin-malade est fondée sur le respect mutuel, la confiance et sur une bonne communication. Les médecins doivent expliquer leurs choix de traitement à leurs malades et s’assurer que ceuxci ont reçu une formation suffisante pour fonder leur décision. En l’absence de preuve contraire, des dispositions de fin de vie valables sont censées représenter la volonté établie du patient lorsque celui-ci n’est plus capable d’exprimer son avis. De son côté, le patient doit s’assurer que l’existence de ces dispositions sont bien connues de ceux qui peuvent être chargés de les appliquer. Ceux qui auront à les interpréter devront tenir compte de la possibilité d’un changement de point de vue du malade sur son traitement dans la mesure où son état clinique s’est modifié. 5. Les malades peuvent souhaiter que leur soit fourni au moment de la mort tout traitement qu’il est possible d’envisager. Ils ont également le droit de refuser tout traitement à tout moment. 6. Les malades devenus incapables de s’exprimer doivent avoir les mêmes droits en matières de traitement que ceux toujours à même de faire connaître leur volonté. 7. Le médecin doit toujours avoir la possibilité de passer outre aux dispositions de fin de vie lorsque les circonstances cliniques ne correspondent pas de manière précise aux dispositions envisagées. Ces circonstances relèvent de la décision clinique et doivent faire l’objet d’une discussion plus poussée. 8. Dans l’hypothèse où des discussions s’ouvriraient dans un état sur une réglementation concernant les testaments de vie, les représentants du corps médical ainsi que des autres professions de santé concernées devraient y participer. 38 Annexe 2 : Extraits du Guide européen d’éthique médicale Annexe 3 : La foi bahá’íe La foi bahá’íe est établie dans plus de 140.000 localités réparties dans 343 pays et territoires. Elle regroupe en son sein 2200 races, ethnies et minorités différentes. Les écrits bahá’ís sont traduits en 759 langues et dialectes. Depuis 1948, la communauté internationale bahá’íe est accréditée auprès des Nations Unies en tant qu’« Organisation Internationale Non-Gouvernementale ». Elle est dotée du statut consultatif auprès du Conseil Economique et Social et auprès de l’UNICEF. Elle est officiellement associée au Programme des Nations Unis pour l’Environnement (PNUE) et au Service de l’Information de l’ONU. Elle a des représentants à New-York, Genève, Vienne et Nairobi. Le principe fondamental énoncé par Bahá’u’lláh (fondateur de la foi bahá’íe) et auquel croient fermement les adeptes de Sa Foi, est que la vérité religieuse n’est pas absolue mais relative; que la révélation divine est un processus continu et progressif; que toutes les grandes religions du monde sont divines dans leur origine; que leurs principes fondamentaux sont en complète harmonie; que leurs buts et leur objet forment un tout identique; que leurs enseignements ne sont que des facettes d’une seule vérité, que leurs fonctions sont complémentaires; qu’elles ne diffèrent que par les aspects non essentiels de leurs doctrines; et que leurs missions représentent les phases successives de l’évolution spirituelle de la société humaine. Le but de Bahá’u’lláh, prophète de ce grand âge nouveau dans lequel vient d’entrer l’humanité, n’est pas de détruire mais d’accomplir les révélations du passé; c’est de réconcilier, plutôt que d’accentuer les divergences des croyances contradictoires divisant la société d’aujourd’hui. Son dessein, loin d’amoindrir le rang des prophètes qui L’ont précédé ou de déprécier leurs enseignements, est de restaurer les vérités essentielles que ces enseignements contiennent de manière à les adapter aux besoins de notre temps; c’est de les harmoniser avec les possibilités latentes actuelles et de les approprier aux maux, aux problèmes, et aux perplexités de l’âge dans lequel nous vivons. La Foi Bahá’íe affirme que l’unification de l’humanité est nécessaire et inévitable. Elle impose à ses disciples, comme un devoir primordial, de rechercher librement la vérité. Elle condamne toutes les formes de préjugés et de superstitions, soutient le principe de l’égalité des droits de l’homme et de la femme, préconise l’éducation obligatoire, abolit l’institution cléricale, interdit l’esclavage, l’ascétisme, la mendicité et la vie monacale. Née au milieu du siècle dernier, elle apporte une vision constructive qui, avec une étonnante limpidité, expose une éthique non pas culpabilisante, mais source d’ordre et apte à établir la concorde et le bien-être des hommes. Le Báb (1819-1850): Mirza Ali-Muhammad, surnommé le Báb (la porte) est né à Shiraz. En Mai 1844, il proclama qu’Il était le Précurseur venu pour annoncer et préparer, selon les Ecritures sacrées des anciennes Dispensations, l’avènement d’un personnage plus grand que Lui-même (Bahá’u’lláh). D’après ces mêmes Ecritures, Il aurait pour mission d’ouvrir un nouveau cycle de l’histoire religieuse. En juillet 1850, il fut exécuté sur la place publique de Tabriz. Bahá’u’lláh (1817-1892): Mirza Husayn-Ali, surnommé Bahá’u’lláh (la gloire de Dieu), assailli par ces mêmes forces dues à l’ignorance et au fanatisme, fut emprisonné et exilé pendant 24 années. Pendant ces années d’exil, Il formula les lois et ordonnances de Sa Dispensation, exposa les principes de Sa Foi dans une centaine d’ouvrages. Abdu’l-Bahá (1844-1921): Abbas Effendi, fils aîné de Bahá’u’lláh, connu sous le nom d’ Abdu’l-Bahá (le Serviteur de Bahá) fut nommé successeur légitime et interprète autorisé de Ses enseignements. Etroitement uni à son Père et partageant Ses exils et Ses épreuves, Il resta prisonnier jusqu’en 1908. Shoghi Effendi (1900-1957): petit fils d’Abdu’l-Bahá, désigné par Lui comme successeur et, le Gardien de la foi bahá’íe. La tâche de Shoghi Effendi consista à fonder la structure administrative à l’échelle locale, nationale et internationale, selon les indications précises de Bahá’u’lláh. Maison Universelle de Justice: Organe administratif suprême de la foi bahá’íe, élu tous les 5 ans au suffrage universel au niveau mondial depuis 1963. C’est à ce corps qu’appartient de légiférer sur tout détail qui ne serait pas explicitement traité dans les écrits. Cet ordre administratif, unique dans les annales de l’histoire religieuse du monde, sauvegarde et propage, comme une Foi essentiellement surnaturelle, supranationale, totalement apolitique, non partisane, et diamétralement opposée à prôner une quelconque particularité de race, de classe ou de nation en particulier. Elle est affranchie de toute structure ecclésiastique, n’a ni prêtrise ni rites. Cet ordre est basée sur la consultation et la participation universelle. 39 Annexe 4: 4.1. LE BIEN-ETRE, SELON CHAQUE EPOQUE « L'objet qui se trouve à la base de la révélation de tout livre céleste, que dis-je! de chaque verset de révélation divine, est d'ouvrir le coeur des hommes au sentiment de justice et d'éveiller en même temps leur intelligence, afin que la paix et la tranquillité puissent fermement s'établir entre eux tous. Tout ce qui inspire confiance, tout ce qui exalte leur condition et accroît leur contentement est recevable aux yeux de Dieu. » [42 - p.135] 4.2. FINALITE DE LA VIE HUMAINE : « On doit obéir au commandement de Dieu et se soumettre à l’opinion médicale. Vous avez entrepris ce voyage pour observer son commandement et non pour guérir, car la guérison est dans la main de Dieu, et non dans la main des médecins » [66]. « ... Vous avez sûrement bien agi de lui conseiller, d’emmener sa fille à l’hôpital et de lui procurer le meilleur traitement que la science médicale puisse offrir, aussi critique et désespéré que les médecins aient pu juger son cas. Ce faisant, vous vous êtes conformé pleinement au conseil si souvent et si tendrement donné par Bahá’u’lláh: en cas de maladie nous devons invariablement consulter et suivre le traitement des médecins compétents et consciencieux » [67] (lettre de Shoghi Effendi, du 18 Juin 1939, adressée à un croyant) 4.3. COMPLEMENTARITE DE LA SCIENCE ET DE LA RELIGION: "Les vertus de l'humanité sont nombreuses, mais la science est la plus nobles d'entre elles. La science est une splendeur du Soleil de Réalité, le pouvoir de rechercher et de découvrir les vérités de l'univers, le moyen par lequel l'homme trouve un chemin vers Dieu."[68] "La religion devrait unir tous les coeurs et faire disparaître les guerres et les dissensions de la surface de la terre...si une religion devient une cause d'inimitié, de haine ou de division, mieux vaudrait qu'elle n'existât pas. Abandonner une telle religion serait un véritable acte religieux..."[4] 4.4. RELATION MEDECIN-SOIGNANT : a. La dignité intrinsèque de la nature humaine : Pour Bahá’u’lláh: « l’âme humaine est élevée au-dessus des infirmités du corps et de l’intelligence, au point de s’en trouver complètement indépendante » [42] Pour Abdu’l-Bahá: « sa perception spirituelle subsiste et demeure, qu’elle n’est en rien amoindrie ou détruite » [54] b. L’importance de se tourner vers Dieu : « Lorsque vous souhaitez administrer un traitement tournez votre coeur vers le Royaume de Gloire et sollicitez les confirmations divines » [67]. Dans la relation tripartie entre le médecin, le malade et le « Créateur de la vie », il n’y a plus de monstre à juguler, ni d’échec à redouter. Sans crainte, ni passion, les chances de bien-être d’un malade sont à gérer. Ce n’est plus la mort qui est à craindre, mais la perte de chance de durée ou de qualité de vie. L’homme se sachant fait à l’image de Dieu, s’est dépeint un Dieu fait comme lui au lieu de comprendre qu’il porte un potentiel de créativité: le pouvoir de rassembler, d’unifier, d’organiser ou de restituer en une séquence ordonnée. Reconnaître son impuissance à saisir l’essence du Créateur, n’est pas une démission mais l’accès aux prémices du savoir [42]. 40 c. La compétence professionnelle et morale du soignant : Pour Abdu’l-Bahá: « atteindre la perfection dans sa profession en ce jour est considéré comme l’adoration de Dieu » [66] « Sois toujours occupé à la mention de Dieu et applique toi à ton perfectionnement professionnel. Tu dois faire un grand effort afin de devenir unique dans ta profession » écrit-il dans une lettre à un médecin [66]. Non moins importantes sont les vertus morales du soignant: « Au chevet d’un patient réconforte et réjouis son coeur et ravis son esprit par le pouvoir céleste. En vérité un tel souffle divin réanime chaque squelette dépérissant et vivifie l’esprit de chaque être malade et souffrant » [66] « Considérez la bonté et la bénédiction que le talent soit estimé comme adoration. Autrefois, on considérait de telles compétences comme autant d’ignorance. » [69 - p 127] « Vous devez faire des grands efforts pour devenir unique dans votre profession et célèbre en ces régions, car atteindre la perfection dans sa profession en ce jour de miséricorde est considéré comme l’adoration de Dieu. Alors que vous êtes occupé dans votre profession, vous pouvez vous souvenir du Véritable. » [69 - p.128] d. La reconnaissance de l’autorité médicale : « Consultez un médecin compétent quand vous êtes malades... Tout ce que le médecin ou chirurgien compétent prescrit doit être accepté ou observé, mais il doit être orné de l’ornement de justice » [70] La connaissance de la science médicale, dit Bahá’u’lláh : « est la plus importante de toutes les sciences, car elle est le meilleur moyen donné par Dieu... pour préserver le corps des hommes ». Il l’a placé « au premier rang de toute science et de toute sagesse » [71] e. La prise en compte des possibilités à la fois spirituelles et matérielles intervenant dans le processus de guérison: « La maladie peut se guérir de deux manières; l’une utilise des moyens matériels, l’autre à des moyens spirituels. La première fait usage des remèdes ou de médicaments, la seconde consiste à prier Dieu et à se tourner vers Lui. Les deux peuvent être utilisées à la fois ». [72] « A propos de votre question concernant la guérison spirituelle... elle constitue certes, une des méthodes les plus efficaces pour soulager une personne de ses peines et souffrances mentales ou physiques... La guérison spirituelle, cependant, n’est pas et ne peut être un substitut pour la guérison matérielle, mais elle est un complément précieux. » [59] (lettre de la part de Shoghi Effendi du 16 février 1935) 4.5. EUTHANASIE ET ACHARNEMENT THERAPEUTIQUE : [60, 73] 41 4.6. CONCEPTION DE LA MORT ET DE VIE DANS L’AU-DELA : Les corps physiques, comme nous le savons, «sont composés d’atomes; quand ces atomes commencent à se séparer, la décomposition s’installe et ensuite survient ce que nous appelons la mort. Cette composition d’atomes, qui constitue le corps ou élément mortel de tout être créé, est temporaire. Quand le pouvoir d’attraction qui tient ces atomes ensemble est retiré, le corps comme tel, cesse d’exister. Il n’en va pas de même pour l’âme. L’âme n’est pas une combinaison d’éléments, elle n’est pas composée de nombreux atomes, elle est faite d’une substance indivisible unique, et elle donc éternelle. Elle est entièrement en dehors de l’ordre de la création physique; elle est immortelle. » [69]. De plus « l’homme n’est pas homme par son corps mais par son âme... c’est l’âme qui fait de l’homme une entité céleste. » [69] Donc lorsque le corps subit une transformation, l’âme n’est pas nécessairement affectée. Si vous brisez un verre dans lequel étincelait le soleil, celui-ci n’en continue pas moins à briller, si l’on casse le verre de cette lampe (à pétrole), la flamme brille cependant toujours. Or ce qui précède s’applique à l’âme humaine. On demanda à Abdu’l-Báha comment il fallait regarder la mort. Il répondit « comment doit-on voir approcher le but tout voyage? N’est-ce pas avec espoir et confiance? Eh bien il en va de même pour ce voyage terrestre ». Relativiser la vie dans ce monde en reconnaissant la réalité spirituelle de l’être humain. Nous ne sommes pas dotés d’une âme, mais des entités spirituelles dotés d’un corps qui est un instrument ayant besoin d’être soigné, respecté et sauvegardé pour le service de l’humanité. Bahá’u’lláh affirme: « Sache que l’âme humaine est exaltée au-dessus des infirmités du corps et du psychisme et en reste indépendante.... l’âme elle-même reste indemne de toute affliction corporelle... »[42]. Toutefois, la condition physique du corps peut en cacher les pouvoirs: « ...toute maladie qui atteint le corps humain est un obstacle qui empêche l’âme de manifester sa puissance et son pouvoir inhérents »[42]. Au Professeur Forel, éminent savant Suisse, Abdu’l-Bahá écrit: "L'aboutissement de cet univers infini, dans toute sa majesté et sa splendeur, c'est l'homme lui-même qui, en cette existence, peine et souffre quelque temps, endure chagrins et maladies puis, à la fin se désagrège...S'il en était ainsi,...cet univers infini, avec toutes ses perfections, aboutirait à une erreur, une disgrâce sans résultat, sans esprit de suite, sans aucune utilité...cette Entreprise grandiose avec toute sa puissance, son effarante splendeur et ses perfections sans limites, ne peut en fin de compte aboutir au néant. Qu'une autre vie existe, est donc certain et, de même que le règne végétal est inconscient de l'existence de l'homme, nous ne connaissons rien non plus de cette grande Existence dans l'au-delà, après la vie sur cette terre "[74]. "Tout âge a son problème propre, toute âme son aspiration particulière. Le remède qui convient aux afflictions du présent jour ne saurait être celui que réclameront les maux d'un âge ultérieur. Enquérez-vous soigneusement des besoins de l'âge où vous vivez et que toutes vos délibérations portent sur ce que cet âge exige et requiert." [42 p.140] 42 Annexe 5 : L'acte éthique (expérience lyonnaise) (Avec l'aimable autorisation de l'équipe lyonnaise) Annexe 6 : BIBLIOGRAPHIE [1]QUERE F. L’éthique et la vie, Editions Odile Jacob, Paris, 1986 [2]HAMBURGER J. La puissance et la fragilité. Flammarion, Paris, 1975 [3]BAGHDADI G. Religion, santé et médecine: place de la foi bahá’íe, Thèse Univ. de Grenoble, 1977 [4]ABDU’L-BAHÁ Causeries d’Abdu’l-Bahá à Paris en 1911, Maison d’éditions bahá’íe, Bruxelles [5]VERSPIEREN P. Peut-on refuser simultanément l’acharnement thérapeutique et l’euthanasie? Ethique N° 6-7, 1992/4-1993/1: 25-30 [6]Déontologie médicale et soins palliatifs. Ordre National des Médecins - Conseil National de l’Ordre, Janvier 1996 [7]CHEVROLET JC. 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