Introduction à la marionnette - Théâtre des Marionnettes de Genève

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Introduction à la marionnette
Au début de sa vie, souvent l'enfant prête aux objets qui l'entourent une vie imaginaire. Les
ombres sur le mur de sa chambre sont celles de monstres inconnus prêts à le dévorer, son
meilleur ami n'est autre que son ours en peluche, le tee-shirt de son papa, un mouchoir... C'est
avec cet ami fidèle, sauf lorsqu'il s'égare malencontreusement, qu'il surmonte ses toutes
premières épreuves telles que la peur du noir, etc. L'objet qui l'accompagne dans toutes ses
aventures l'aide à la fois à appréhender et comprendre le monde qui l'entoure et lui permet de
s'échapper, ne pas se restreindre à ce monde parfois effrayant. En effet, en reproduisant à l'aide
d'un objet un événement qui n'a pas de sens pour lui, l'enfant s'empare de l'inconnu et à force de
répétition perce le voile qui le sépare de la connaissance. Il peut aussi s'échapper du monde très
codifié et pas toujours compréhensible des adultes et matérialiser l'abstrait de ses contes de
fées, ce monde magique où tout est connu et inoffensif car il en est le maître. Tout cela le
rassure et lui permet de découvrir la vie en douceur.
Et si ce comportement existait depuis le début de notre existence? Et si les premiers hommes
s'étaient eux aussi servi d'objets pour communiquer (avec les esprits détenteur de sens), donner
du sens à ce qui n'en a pas, se rassurer? Ce serait ce besoin de repères dans le monde qui serait
le point de départ de l'utilisation d'objets. En leur insufflant de la vie, les premiers hommes
auraient permis aux Dieux, causant toutes leurs inquiétudes et questionnements, de se faire
comprendre. Ces objets deviennent des présences capables de comprendre et de transmettre le
message des Dieux. Ils sont simplement un moyen de recréer la vie afin de la comprendre. Le
rassemblement de personnes autour de la représentation mettant en scène les objets serait
alors un lien pour souder, unir la communauté et vaincre ou s'approprier l'inconnu délivré de son
voile obscur.
Pour qui connaît son pouvoir sur l'homme la manipulation d'objet ou de marionnette devient
alors un moyen de communication redoutable. Au fil du temps, des spectacles de poupées vont
se créer dans le monde entier et serviront, à leur façon suivant la culture du pays, des idéaux. En
occident, les hommes de religion s'approprieront se moyen d'expression pour transmettre et
propager leur culte au plus grand monde. Pourtant, l'impact que peut avoir les propos des
poupées sur le public peut parfois échapper et se retourner contre leurs instigateurs qui devront
alors s'en séparer. C'est ainsi que de l'intérieur des églises les marionnettes se retrouveront
dans la rue où elles prendront le partie de critiquer le pouvoir, les riches gens, la religion !
C'est ainsi que la marionnette ne va cesser d'évoluer au fil du temps et dans le monde jusqu'à
notre époque.
Si l'on suit l'idée que la marionnette a toujours eu une influence sur l'Homme, il est dommage de
constater que de nos jour elle soit moins reconnue. Elle est pourtant le secret du théâtre de
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demain. C'est en effet un moyen d'expression très complet qui mis au service du génie d'un
virtuose peut apporter un enrichissement à l'art dramatique. En dépassant les possibilités du
corps humain, elle permet de donner au théâtre toute son ampleur. Les lois physiques telles que
l'attraction terrestre n'existent plus. Le rapport d'échelle, souvent problématique au théâtre,
entre la poupée et le décor donne ici l'accord parfait. Le physique même de notre petit acteur est
la traduction parfaite du personnage qu'il interprète, la poupée est en relation directe avec son
personnage. La marionnette incarne le héros total, le héros parfait conçu pour servir le texte ou
le thème!
La marionnette est le théâtre intégral, elle doit créer la vie et non la copier. Sa vie découlant de
sa forme, elle ne peut s'exprimer que par gestes et mot essentiels. Elle doit s'exprimer par
subtilités et avoir une forme la plus lisible possible pour le public. Il faut donc trouver une voix
proportionnée à la poupée et l'aide d'outils issus de la science peut être une solution. Les
personnages doivent être construit de manière à ce qu'ils soient le plus expressif possible. Il y a
donc peu de détails, le visage est asymétrique, les mains ainsi que la tête sont disproportionnés,
la couleur de la peau est relative au type du personnage.
Ce monde simplifié arrive au type éternel et universel du jeu si humain de la vie et de la mort.
Dans presque tous les théâtres, on retrouve les même types de personnages : la mort, les
justiciers, les amoureux, les savants, les puissants... qui se rencontrent et luttent pour la vie. Le
répertoire qui découle est de deux sortes : l'une folklorique dont on suit l'évolution dans l'histoire
des marionnettes, l'autre littéraire, peu importante et d'origine récente dont l'avenir est certain.
Il ne sert en effet à rien de reconstituer les anciens spectacles de marionnettes relevant de la
pièce de musée. Il est plus intéressant pour elles d'être la muse d'authentiques poètes pouvant la
faire vivre avec son temps et ses codes. A ce jour il y a au moins deux écrivains de langue
française qui aient parfaitement cerné les marionnettes : Duranty et Alfred Jarry. Ces hommes
ont compris qu'écrire pour les marionnettes, c'est accepter le fait que ce qu'elles font domine
entièrement ce qu'elles disent et que chaque mot doit être essentiel pour avoir une raison d'être.
Fort heureusement, la marionnette aujourd'hui a toutes les raisons d'exister. Elle trouve sa place
à côté des autres arts. Mais elle exerce aussi une forte influence dans des domaines tels que la
pédagogie ou la médecine et aide à libérer l'enfant du poids de nos erreurs passées en
permettant entre autre de renouer l'esprit et le corps et ainsi de donner toutes les cartes pour
construire le monde de demain.
Quel avenir pour la marionnette? La marionnette est depuis toujours un art populaire et pour
cela elle doit être vivante et jouer avec son temps. Partant de ce constat il est fort probable que
cinéma et marionnette fasse bon ménage. Pour qui se frottera à cette idée, il faudra maîtriser les
codes de ces deux moyens d'expression et ce n'est que la perfection qui amènera le public à
aimer ce nouveau genre de production. Déjà quelques essais ont été réalisés et appréciés,
continuons sur cette voie!
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Som m air e
Présentation : qu'est ce qu'une marionnette ?
p4
Tour d'horizon des origines de la marionnette à travers le monde
p6
Le moyen âge
Les marionnettes au Moyen Age en occident
p 11
Les restes des marionnettes médiévales aux Pays Bas
p 13
La renaissance
Les débuts de la marionnette sous la Renaissance
p 14
Une oeuvre pour les marionnettes : Faust
p 15
Le grand siècle
Les foires parisiennes
p 16
Barbizier
p 17
Les lumières
Le théâtre de Séraphin
p 18
Fantoccini
p 19
Punch
p 20
Pays de langue germanique
p 21
Petrouchka
p 22
Lafleur
p 23
Guignol
p 24
e
Le XIX siècle
Théâtre Joly
p 25
Les Pajot-Walton
p 26
Maurice Sand
p 27
Duranty
p 28
Lemercier de Neuville
p 29
Holden
p 30
Chat noir
p 31
Le petit théâtre
p 32
Conclusion
p 33
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Prés e nta ti o n :
Qu'es t c e q u'une ma ri o nne tte ?
Le Larousse dit : « n. f.( de Marion diminutif de Marie), petite figure de bois ou de carton,
qu'un homme placé derrière une toile fait mouvoir, à l'aide de fils ou de ressorts, sur un petit
théâtre. » Il serait plus juste de dire : personnage de bois, de pierre, de carton, d'étoffe et animé,
participant à une action dramatique.
En effet, il faut savoir que dans certains cas les manipulateurs ne se cachent nullement et que
la marionnette peut se mouvoir mécaniquement.
Le nom de marionnette trouve bien son origine dans le diminutif de Marie ou encore Marion.
En France elle porte divers noms comme : pantins, fantoche, comédiens de bois, bamboches.
Les marionnettes peuvent prendre un grand nombre de formes différentes :
Les marionnettes manipulées par le dessous :
-La marionnette à gaine qui est une poupée constituée d'une tête en bois ou en carton,
montée sur une chemise de tissus. On la fait jouer en mettant la main à l'intérieur, l'index portant
la tête en passant par le cou, les autres doigts servant à manoeuvrer les bras. Le prototype de la
marionnette à gaine est le guignol lyonnais.
-Le découpage articulé. C'est une silhouette découpée, vue de face ou de profil. Elle est
montée sur une baguette et peut faire un ou deux gestes articulés par un fil que l'on tient pardessous.
-La marionnette à tige. Elle est soutenue par une tige qui porte tout le corps. Les bras souples
sont tenus par deux petites tiges aussi fines que possible qui permettent de leur faire faire tous
les gestes voulus. On maintient généralement cette poupée en faisant reposer le bout de la tige
principale sur une sangle placée sur le corps du manipulateur comme on porte un drapeau.
-La marionnette à clavier tient à la fois des deux précédentes. Elle est montée sur une tige,
mais le corps peut se mouvoir soit en avant soit en arrière. Les bras, les jambes et la tête sont
articulés et actionnés par des fils reliés à des touches accrochées à la tige.
-La marionnette pliante. Cette dernière est faite d'un corps en planche pouvant se plier dans
plusieurs sens, grâce à des charnières. Elle retrouve sa position primitive au moyen de petits
élastiques ou ressorts.
Les marionnettes manipulées par le dessus :
-La marionnette à tringle. C'est une poupée suspendue à une tringle en métal qui part de la
tête de la marionnette pour aller jusqu'à la main du manipulateur. Elle peut avoir des fils plus
ou moins nombreux pour animer bras ou jambes.
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-La marionnette à fils est faite comme la marionnette à tringle, mais on a supprimé la tringle
pour la remplacer par deux fils de lin. Les fils sont reliés à une petite construction en bois
nommé contrôle ou croix d'attelle qui permet au montreur de faire vivre son personnage.
Il existe bien sûr encore quelques variantes tenant à la fois des deux espèces dont le
fonctionnement sera expliqué en temps voulu.
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To ur d'hor iz o n de s or igi nes d e la ma ri onnette à tr av ers l e m o nd e
Il est impossible de dire où est née la première marionnette. On sait cependant que depuis la
plus haute Antiquité les Égy ptie ns avaient des statues animées dans les temples. On peut
d'ailleurs voir au Louvre une tête de chacal à gueule mobile datant d'environ 1345-1805 avant JC. Lors des fêtes d'Osiris, les femmes promenaient des mécaniques phalliques. Les spectacles de
marionnettes étaient religieux et les prêtres chantaient des psaumes explicatifs pendant le
déroulement des scènes.
Au Indes, dès le XI siècle avant notre ère nous trouvons des traces de spectacles religieux de
marionnettes dont le texte était improvisé sur un thème écrit en vers. Très vite s'est développé
un spectacle populaire dont le héros est un personnage nommé Vidouchaka. C'est un brahmane,
nain et bossu, avec d'énormes dents, des yeux jaunes et complètement chauve. Il est ridicule par
ses expressions, son costume et sa goinfrerie. Il est concupiscent et lubrique, très bête mais très
rusé. Moqueur et grossier il bat tout le monde. C'est le père des futurs Karageuses et
polichinelles que l'on connaît. Aujourd'hui, en Inde, le théâtre a gardé ces plus anciens principes
(annonces, forme des personnages, instruments..) même si le spectacle de marionnettes à fils n'a
plus la même vitalité qu'autrefois. On assiste plus à des spectacles d'ombres dont l'origine est
elle aussi hindoue.
Dans l'île de Cey la n , au XIX siècle, on trouve un certain Raguin qui n'a rien à envier à
Vidouchaka. Ce personnage prend plaisir à saper les bases sociales, traîner dans la boue les
principes d'autorité et déclare qu'il n'existe qu'une chose de bonne, les plaisirs de l'amour. Il
passe donc son temps à tenter de posséder les femmes par séduction ou par force.
Dans les îl es d e l a s o nd e, dès le IIIe siècle apparaît une des plus extraordinaires
manifestations de l'art Indo-Javanais : les Wayangs. Ils sont nés avec l'arrivée de l'hindouisme à
Java. Il en existe plusieurs sortes. Tout d'abord, il y a le Wayang Poerwa ce qui signifie
marionnette antique. Ce sont des silhouettes en buffle, découpées et décorées dont on projette
l'ombre sur un écran. Ensuite il y a le Wayang-Béber qui est en somme l'ancêtre du dessin animé,
puisqu'il s'agit d'une série de scènes peintes sur des papiers collés les uns à la suite des autres et
que l'on déroule progressivement au fur et à mesure de l'histoire. Il y a aussi le Wayang Kelitik
qui est constitué d'un corps en bois découpé, décoré et très plat. Cette marionnette est
entièrement visible tout comme le Wayang-golek qui est une véritable marionnette sculptée dans
le bois et habillée de tissus. La plastique de ses marionnettes fait étrangement penser aux
sculptures égyptiennes... Le répertoire des deux premières marionnettes est identique et est
relative au Mahabhârata, le grand récit mythologique indien mêlant dieux et guerres . Mais plus
généralement dans ce type de théâtre, il existe deux groupes de personnages : aristocratique et
grossier. Dans le premier cas, le héros est sans peur et sans reproche dans le deuxième il est
effrayant avec des dents en avant. Ils sont suivis de plusieurs personnages extrêmement curieux
avec des types bien définis comme les farceurs, les dévoués, les brutaux, les chétifs et malicieux.
C'est en Bi r ma ni e que la marionnette à fils est la plus populaire. Au XIXe siècle, les Parisiens
ont eu la chance de pouvoir assister à un de ces spectacles. On trouve dans ce théâtre des
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poupées de toutes sortes et d'un grand raffinement. Elles évoluent sur une plateforme en
bambou d'environ deux mètres cinquante et fermée dans le sens de la longueur par un rideau
derrière lequel se tiennent les marionnettistes. Sur le plateau se trouvent divers riches décors
faisant illusion. Les poupées de bois ont deux à trois pieds de haut et ont des mouvements fort
naturels. Les rôles principaux sont joués par un manipulateur et un parleur tandis que les
seconds rôles sont joués et parlés par le manipulateur.
Mille ans déjà avant J-C, on trouve en Chine une grande diversité de marionnettes et une
grande perfection dans leur construction et leur manipulation, au point qu'un empereur chinois
jaloux de l'effet que les poupées avaient sur ses concubines menaça le montreur de lui couper la
tête s'il ne les détruisait pas. On donne des représentations dans les palais comme dans les
milieux populaires. Il y a de l'ombre chinoise, petite peau de buffle découpée, transparente et
coloriée comme un vitrail. Mais aussi des marionnettes à fils, à tige et à gaine. Ces dernières ont
un personnage typique nommé Kvo et qui ressemble comme un frère à Vidouchaka. Le
répertoire ne comporte pas de texte mais différents genres tels que le comique ou la féerie. Ces
spectacles sont joués dans un petit théâtre portatif qui fait corps avec le manipulateur.
Les premières marionnettes j ap o nai ses furent importées de Chine au XII siècle. Elles prirent
très vite une couleur particulière et empruntèrent deux formes : d'abord les marionnettes à fils
qui s'appellent Ito-tsoukaï et les marionnettes du théâtre Bunrakuza appelées Ninguen-Tsoukay.
Ces dernières sont extrêmement curieuses et uniques dans leur genre. Les manipulateurs
prennent un nom signifiant « apte à changer l'esprit de l'arbre » et jouent à vue derrière une
grande table. Il faut trois personnes pour manoeuvrer une poupée ordinaire, seulement une pour
les figurants. Le principal manipulateur (masqué ou non suivant le type de spectacle) porte la
poupée de son bras gauche et fait mouvoir la tête. Avec son autre main il fait vivre le bras droit
de la poupée. Le deuxième manipulateur manoeuvre le bras gauche tandis que le troisième
manipulateur s'occupe des pieds. Ces deux personnes quant à elles sont toujours voilées. Chaque
scènes se déroulent comme un ballet, en suivant l'histoire qui est racontée par un ou plusieurs
conteurs-chanteurs. Ce genre d'expression dramatique s'appelle le Joruri.
En P ers e, il existe un personnage à deux noms : Pendj ce qui veut dire cinq qui est le nombre
minimum de personnages devant participer à l'action, ou Ketcheck Pehlivan, ce qui signifie le
lutteur chauve. Ces poupées fonctionnent comme les ombres chinoises et leur personnage
principal est une copie de Vidouchaka. D'autres personnages vont à sa suite : Chéïtan le diable
dispensateur de coups de bâton, Rustem champion de la virilité mais sain de coeur et d'esprit,
Mehmet-Ilodja le maire du village qui se fait piller et Zen la femme vertueuse convoitée par tous
et pivot de l'action dramatique. La qualité du dialogue dépend de celle du marionnettiste, qui
improvise à partir d’un simple canevas dramatique.
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La m ari o nne tte des b o rds d e la M édi ter ra né e
Il est maintenant temps de présenter la marionnette la plus célèbre de la série des
descendants du Vidouchaka : Karagueuze. Elle est né en Asie Mineure et son nom signifie « Oeil
noir ». Nous savons qu'elle existait dès le XVI siècle. Elle est faite de peau de buffle et est
manipulée derrière un écran, procédé utilisé car le Coran interdit les représentations humaines
en trois dimensions. C'est à l'époque de l'apogée de la puissance Ottomane que les Turc s vont
imposer ce personnage sur tous les bords de la Méditerranée musulmane.
Comme tous les êtres populaires, Karagueuze a sa légende... On raconte qu'il était ouvrier et
son compère Hadjivat contremaître sur le chantier d'une mosquée en construction. Comme ils
amusaient toute la ville par leurs récits, la mosquée n'avançait plus. On leur fit alors couper la
tête. Mais le Sultan s'ennuyait tellement depuis leur disparition qu'on les fit revivre en créant
deux marionnettes à leur image.
D'ailleurs, à l'image de son père, Karagueuze est sot, fourbe, hypocrite, brutal dans la
manifestation de ses instincts, d'un égoïsme féroce, passionné de ses aises, amoureux de bonne
chaire. Pour lui, vivre c'est piller le bien d'autrui, battre ses semblables et surtout convoiter la
femme du prochain. Ce qui le définit le mieux est donc la luxure, bien que tous ses agissements
soient accomplis sous un air de totale honnêteté. Comme Vidouchaka, Karagueuze est chauve,
bedonnant, bossu et doté d'un attribut énorme, monstrueux qu'il perdra avec le temps.
A sa suite on trouve son compère Hadjivat. Il est rusé et connaît tout de tout. Il en profite pour
expliquer les choses à sa manière, critiquer, parodier et aider à redresser les situations les plus
complexes. Malheureusement pour lui, ça ne lui attire que des coups de bâton.
Le personnage du père noble se nomme Ali et comme dans les comédies italiennes il est
vieux, ridicule, amoureux de belles filles et paye pour tous.
Il y a aussi le Bachi-Bouzouk, ce qui signifie tête fêlée et qui est une sorte de Chéïtan. Il ne
parle que de mort, blasphème à longueur de journée et pourtant, il est plein de franchise. Il
remplit le rôle de justicier à la fin des pièces pour mettre un terme à la méchanceté de nos héros,
mais curieusement, il devient toujours leur victime.
Enfin, plusieurs autres personnages apparaissent dans les pièces et représentent l'humanité
turque : le jeune amoureux, le baigneur, le sultan, les musiciens, le persan, la vieille confidente, le
barbier, le gendarme, le tyran, l'entremetteuse...
Il peut sembler curieux que ces spectacles soient montrés à des enfants tant ils sont indécents
mais les orientaux ont leurs propres idées sur l'éducation et la morale. C'est durant le Ramadan
qu'il y a le plus de représentations et ce sont les hommes et les enfants qui y assistent. Elles se
déroulent en plein air, dans les jardins publics, le soir. Après une introduction musicale, les
marionnettes s'annoncent au public par le bruit de morceaux de bois que l'on secoue dans un
sac. Puis commence le spectacle. Le répertoire est souvent composé de pièces dans lesquelles
Karagueuse appartient à l'opposition et où le sexe le plus faible proteste à sa manière contre
l'oppression du fort. C'est ce qui explique la facilité des femmes à se rendre aux mérites de notre
héros. Enfin, fait surprenant, vers 1886, on assiste à des pièces de Molière adaptées à la turque
par le théâtre de Karagueuse.
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En Gr èc e, à partir du Vème siècle avant J-C, on trouve là aussi diverses sortes de
marionnettes : les marionnettes à tringles en terre cuite mais aussi des marionnettes à usage
religieux. Ce sont des statues constituées d'un mécanisme fait de nerfs qui, en en se tendant
sous l'action hygrométrique de l'air, change l'attitude du Dieu. L’usage du magnétisme était un
autre moyen d'animation. Les spectacles populaires étaient donnés par des professionnels ou
encore de riches amateurs et représentaient des scènes de la vie de tous les jours ainsi que les
dieux.
Chez les R o ma ins, la marionnette est aussi religieuse mais elle devient très vite populaire.
Elle est faite, là encore, de terre cuite et la plus fameuse se nomme Maccus. Elle a toutes les
caractéristiques de Pulcinella, frère de Vidouchaka.. Mais suite à l'apparition du christianisme et
par une réaction contre l'anthropomorphisme païen, elle sera peu à peu rejetée.
Afr iq ue- Amé riq ue
Au Soudan, des marionnettes étaient jouées sur une tente : à l’un des bouts se trouvait une
tête d'antilope, et à l'autre une queue. Une selle était posée sur la construction et le personnage
animé par des bâtons sortait par un trou. Il donnait l'impression d'être à cheval sur le dos d'un
animal, et le manipulateur caché sous la tente racontait l'histoire. Ce jeu est unique en son
genre.
Dans la région de Ségou, vers 1880, se jouaient des marionnettes à tiges avec pour certaines
des jambes. On y voit un cavalier avec son cheval, un traître, l'héroïne, le chef du village, la mère
de famille, l'européen, une méren et un caïman. Le théâtre est fait d'une couverture posée à
cheval sur un bâton.
Chez les anciens peuples d'Amérique comme au Pérou, existait une statuaire animée. Chez les
indiens Hopi, à chaque équinoxe du printemps, se déroulait un curieux jeu dramatique ayant pour
but de symboliser la fertilisation de la terre par le ciel : dans une chambre souterraine, de huit
mètres de long sur cinq mètres de large éclairée par un feu, se trouve une toile peinte devant
laquelle pousse un champ miniature. L'auditoire se place devant cette toile et un chœur
d'hommes se met à chanter accompagné par des crécelles. Six disques positionnés sur la toile
s'ouvrent et en sort six serpents qui tapent leurs têtes sur le sol éparpillant ainsi les épis de maïs.
Arrive alors la déesse de la terre qui les flatte et leur offre de la nourriture. Les monstres se
calment et disparaissent. Cette ancienne cérémonie religieuse avait encore lieu entre 1890 et
1900.
Les indiens utilisaient les marionnettes avant l'arrivée des blancs et comme démontré ci
dessus, le répertoire était religieux. Puis les colons arrivèrent et l'on assista en Amérique du
Nord vers 1739 aux premières représentations de marionnettes avec Arlequin et Scaramouche.
Les formes les plus diverses de marionnettes furent importées et très vite il fut possible
d'assister à des représentations d'ombres chinoises, de marionnettes à gaines tel que Guignol,
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Punch, Polichinelle, ou encore de marionnettes à fils... Enfin, ce fut vers 1870 qu'à côté des
joueurs venant d'Europe naquit des troupes américaines et une nouvelle façon d'appréhender la
marionnette.
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Les m ar io nne ttes a u Moy e n Age en oc cid e nt.
A partir de cette époque, la marionnette prend place au sein d'une nouvelle civilisation : la
nôtre ! On peut parler de naissance de la marionnette telle que nous la connaissons aujourd’hui.
Comme la marionnette antique, la marionnette médiévale est née dans les églises. Tout
d'abord sous la forme de s ta tues a nim ées afin de prodiguer au peuple, souvent illettré, les
grandes connaissances abstraites des vérités chrétiennes. A la fin du VIIe siècle, un concile prend
position contre les représentations symboliques, Jésus devra dorénavant être représenté sous
forme humaine et non animale. Cette décision fut prise par l'Église pour utiliser et canaliser les
forces populaires. C'est le point de départ de l'évolution et de l'expansion de l'utilisation de la
marionnette en Occident. La tradition de marionnettes qui découle de cet événement continuera
d'exister presque jusqu'au milieu du XVIIe siècle en dépit des prescriptions canoniques qui s’y
opposent, telles que celles du Concile de Trente (1545). En effet, le fétichisme ayant retrouvé ses
droits, il prit de telles proportions que l'Église voyait ses propres armes se retourner contre elle.
Les imbéciles, stupéfaits de voir évoluer des personnages sans comprendre le fonctionnement
merveilleux, par bêtise et ignorance, ont pu rêver à des puissances maléfiques et ont été
conduits à s'adonner à des pratiques étranges pour satisfaire leur goût du lucre et leur besoin de
domination.
Les a uto ma tes, que l'on trouvait dans les horloges et autres mécanismes, constituent un
autre type de marionnettes utilisés à cette époque. La encore, les scènes jouées représentaient
des moments de la vie du Christ. Par exemple, les horloges datant de 1380 de Lund en Suède,
ainsi que celle datant de 1585 d' Augsbourg, représentent la scène de la Nativité.
En Hongrie, au moment de Noël était joué les jeux de « Bethléem ». Les marionnettes
appelées b ab étaient transportées dans une armoire portative en forme d'église. Suivant les
contrées, les personnages variaient mais l'on retrouve presque toujours un diable noir, un moine,
des bergers, un ramoneur, une femme, un bedeau. Le théâtre était porté de maison en maison et
les montreurs chantaient une chanson avant de commencer le spectacle. Les divers personnages
entraient en scène saluaient la crèche puis dansaient ensembles. A la fin, le bedeau restait en
scène et le propriétaire lui remettait une offrande.
Enfin, divers autres types de marionnettes étaient utilisés de par le monde à cette époque. En
Sicile, il existait des marionnettes en bois traversées par un fil et attachées d'une part à la jambe
du manipulateur et de l'autre à une statuette fixe, qui étaient capables d'effectuer les
mouvements de danse les plus ingénieux. D'autres m ari o nne ttes à f ils et en bois appelées
magatelli étaient capables elles de jouer, combattre, chasser, danser, sonner de la trompette et
faire de la cuisine.
En Angleterre, les puppets (nom venant du mot poupée), avaient aussi une vocation religieuse
et c'est avec des s ta tue ttes à r ess o rt que la résurrection du Christ était présentée.
Malheureusement, toutes ces marionnettes furent brisées et brûlées en place de Grève le 24
février 1538.
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D'une façon générale, on peut considérer l'arrivée de la Renaissance comme néfaste pour la
marionnette religieuse. La Réforme provoqua une véritable disparition de toutes les
représentations animées qui étaient données dans les lieux saints.
Vers les XIVe et XVe siècle, le répertoire des poupées était emprunté à des histoires comme
Geneviève de Brabant, Berthe aux grands pieds, Lancelot, Amadis de Gaules, et bien sûr, l'ancien
et le nouveau testament.
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Les r es tes des ma ri onne ttes mé dié v al es a ux Pays -B as
A Liè ge, survit, encore de nos jours, la même tradition médiévale entretenue avec amour par
quelques rares marionnettistes. Le personnage principal de ce théâtre est une marionnette à
tringle qui s'appelle Tchantchet. Il est impossible de fixer sa date de naissance tellement elle est
ancienne. Elle est constituée par un buste formé d'un gros bloc de bois. La tête fait partie du
tronc et est sculptée au couteau très simplement, décorée au minimum (yeux, cheveux,
bouche...). Les pieds et les mains ballottent. Le tout est recouvert de tissus formant le costume.
La manipulation se fait en tenant la poupée par le fil de laiton appelé fil d'archal qui la suspend et
on l'anime en créant de petites agitations qui provoque de petits mouvements des bras et des
jambes. Cela n'imite pas la nature, mais donne une apparence de vie à la marionnette. Tout le
répertoire de cette poupée est pris d'abord dans la Bible, puis dans la chevalerie et à une époque
plus récente dans les histoires de cape et d'épée. Les compagnons de Tchantchet sont
Charlemagne, le roi, le prince, le commandant, tandis que ses ennemis traditionnels sont les
Sarrasins. Une des caractéristiques de ce théâtre est que la taille des poupées diffère suivant
l'importance du personnage. Par exemple, Charlemagne est plus grand qu'un roturier. Le
spectacle se déroule de cette façon : la scène est éclairée par de petites bougies et quand le
marionnettiste est caché derrière la toile et se met à animer ses marionnettes, un jeune garçon
explique toute l'histoire, une baguette à la main, avec laquelle il montre les objets qu'il cite.
Le théâtre de Liège se retrouve dans toute la Wallonie et dans toutes les Flandres mais sous
une autre forme. A Br uxe lle s, vers 1894, il y avait une quinzaine de théâtres de marionnettes.
L'un d'eux possédait six cents poupées et pour elles mille cent habits. Ces marionnettes étaient
faites de carton creux et les membres étaient habilement articulés pour permettre les plus beaux
gestes. Leur tête était mobile et passée dans un gros fil de fer adapté au cou sous le col tandis
que les bras était bougés par des fils attachés aux poignets. Mais il faut savoir que contrairement
à Tchantchet, Woltje qui était le héros bruxellois n'a pas connu une célébrité nationale.
A Anv er s, dans un autre théâtre avaient lieu des représentations du Poesje. Ce spectacle
remonte au XVIe siècle et les pièces duraient des semaines. Les poupées étaient très primitives.
Le roi mesurait 1,50m et le peuple 50 à 70 cm. Le public aimait retrouver ces mélodrames
sentimentaux dans lesquels la blague et les batailles étaient de mise.
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Les d éb uts d e la m ar io nnette so us l a R e naiss a nc e
Les Italiens avec la Renaissance sont les premiers à se dégager de l'emprise religieuse sur les
marionnettes. Le pays de la Commedia dell'arte se devait de créer le descendant du Maccus
romain et l'on assiste à la naissance du Pulcinella à l’origine de notre Polichinelle, entouré d'une
multitude de compères.
Au même moment e n Fr a nc e, nous voyons apparaître quelques types particuliers de
marionnettes dont certains noms nous sont restés : Tabary, Jehan des Vignes... Mais avec la
mode de l'Italie en France, les comédiens apportent rapidement de nouveaux personnages et
c'est ainsi que Polichinelle monte sur le trône des marionnettes. Il ne sera même pas détrôné par
la Révolution ! La marionnette trouve droit de cité au cœur du peuple et c'est avec lui qu'elle va
grandir et évoluer.
Pendant ce temps, en I ta li e, vers le milieu du XVIe siècle, Burratino, célèbre auteur italien,
donnait son nom à la marionnette à gaine qui florissait dans toute la péninsule. Celle-ci est très
proche de l'acteur de Commedia tant dans sa plastique que dans son discours et elle était parlée
grâce à un petit sifflet. Cette poupée était très aimée et l'on donnait beaucoup de
représentations.
En Angl e te rr e, même succès pour les marionnettes. Pourtant, nous sommes à l'époque
dans une guerre à mort entre les puritains et le théâtre. C'est dans ces occasions que les
poupées donnent un sérieux coup de pouce au théâtre. Par exemple, dans la Bartolomew de Ben
Johnson, un personnage qui se trouve à un puppet show commence à insulter les marionnettes.
A ceci, le marionnettiste répond en faisant parler une de ses poupées de tel façon que la
personne se trouve le souffle coupé et bat en retraite. Ainsi, malgré tous les efforts des puritains
pour faire supprimer les marionnettes, elles continuèrent à jouer. C'est à ce moment même que
les comédiens, qui, eux, avaient été supprimés, commencèrent à jalouser les petits comédiens de
bois. En 1675, le succès d'une troupe de marionnettes italiennes parut si redoutable aux
comédiens, qu'ils présentèrent une requête à Charles II afin d'obtenir la suppression de ce
théâtre. C'est à cette époque qu'apparaît M.Punch, nouvel avatar de Pulcinella.
En All em ag ne, les marionnettes, qui ont été apportées par les jongleurs romains sur la rive
droite du Rhin, se répandent dans tout le pays. Mais, avec la Réforme et la destruction de la
statuaire animée, son ascension se fait plus dure. Heureusement, Charles-Quint, maître du SaintEmpire germanique donne sa protection aux mécaniques. C'est ainsi que Hanswurst fait son
apparition. Très vite il est supplanté par Kasperle sorte de Polichinelle allemand et qui est encore
à l'heure actuelle, le principal personnage de tous les théâtres allemands.
14
Une oe uvr e p our le s m ari o nne tte s : FAUST
Quoi qu'il en soit, cette période voit naître la pièce pour marionnette la plus étonnante
qui soit. Sa valeur philosophique, son sujet provoquent immédiatement un gros succès
populaire et deviennent une source d'inspiration pour les plus grands poètes (Marlowe,
Goethe, Lessing).
Voici l'origine de la légende populaire de Faust : Un certain Georges Sabel, né vers 1488 et
ayant adopté le surnom de Faustus junior, menait au début du XVIe siècle la vie de l'étudiant
allemand telle que la tradition nous l'a rapportée. Comme tous les esprits de cette époque, il est
passionné de sciences occultes et trouve un maître en Franz von Sickingen. Il devient maître
d'école, mais est chassé de son poste pour pédérastie. Par la suite, il prend le titre de docteur. Il
est bavard, vantard, veut se faire passer pour un grand personnage et cherche fortune de ville
en ville. C'est un caractère étrange tenant de l'astrologue et du chiromancien. Il est le prototype
du sceptique de la Renaissance. Il meurt en 1541, d'excès et de misères. Il prévient le maître de
l'auberge dans laquelle il était descendu dans le Wurtemberg qu'il va mourir. Après une nuit
effroyable, où les éléments semblent déchaînés, quand au matin on va dans sa chambre, on le
découvre à terre, mort, le lit souillé de sang et d'excréments, le cou tordu, face contre terre et le
dos au sol. Cette fin épouvantable devait prendre une importance considérable dans
l'imagination populaire. Une fable naît. On raconte cette histoire à travers toute l'Allemagne.
A l'origine, la pièce est jouée à l'improvisation. Ce n'est que beaucoup plus tard que des
esprits curieux et avisés prirent le soin d'écrire le texte de cette pièce qui reste la clé de voûte de
tout le théâtre de marionnette allemand et s'inscrit dans le répertoire mondial du théâtre de
marionnettes.
On retrouve des traces des représentations du Faust à partir de 1705. Chaque représentation,
entraîne son lot de réactions et permet l'évolution de l’œuvre. Ainsi, à Berlin, le spectacle
impressionne tant le public que le pasteur de la ville demande la suppression des
représentations. Ou encore, vers 1808-1821, Goethe écrit son Faust et sa pièce fait tellement de
publicité que quelques temps après, les frères Lobe jouent un Faust en ombres chinoises. Les
textes et interprétations de cette légende vont ainsi se succéder et toujours susciter des
controverses.
15
Les fo ir es p ari sie nnes
Revenons en France : un des marionnettistes qui faisait vivre Polichinelle s'appelait François
Datelin dit Brioché. Il était assez célèbre pour jouer devant le Dauphin du roi Louis XIV et avait
son propre théâtre rue du Pont Neuf. Cependant, il jouait aussi Foire Saint-Germain, là où depuis
1640, un décret autorisait les joueurs de marionnettes à construire des loges sur ces terrains.
Plusieurs familles de marionnettistes-comédiens s'installèrent dans cette foire. Et comme
nous l'avons déjà vu, certains spectacles suscitèrent les jalousies des grandes Académies. Ainsi,
en 1677, la Troupe Royale des Pygmées, avec son opéra pour marionnettes de 4 pieds de haut,
fut jalousée par l'Académie Royale de Musique, ce qui provoqua la fermeture du théâtre. Ou
encore, la famille Bertrand, en 1664, se trouva en rivalité avec les Comédiens Français et l'Opéra.
Ce fut le commencement d'une suite de procès et d'une lutte qui dura plus de cent ans. Et ce
sont une fois de plus les marionnettes qui vinrent au secours des forains en leur permettant de
résister face aux grands théâtres. Il faut savoir que nul n'avait le droit de chanter et faire de la
musique sans avoir une permission de l'Opéra. Et nul ne pouvait jouer la comédie sans
l'autorisation des comédiens français. Chaque fois qu'à côté de leurs marionnettes les forains
présentaient une pièce soit parlée soit chantée, immédiatement on verbalisait et on plaidait.
Pourtant, les forains ne voulurent pas céder, et ce d'autant plus que leurs spectacles avaient du
succès. Les grands écrivains du moment s'improvisèrent alors marionnettistes et firent jouer
leur pièce ainsi : les poupées chantaient et jouaient la comédie. Mais voilà, en 1750, c'est le grand
triomphe des Comédiens Français et des chanteurs d'Opéra. Dorénavant, un texte signé de la
main du roi et intitulé « Extrait des devoirs et obligations des théâtres forains » ordonne aux
marionnettistes d'utiliser un sifflet appelé pratique pour faire parler les poupées et de limiter le
prix des spectacles à une certaine somme. Seules les marionnettes de corde ont le droit de
donner des représentations. Tant mieux pour les marionnettes, tant pis pour les comédiens ! Et
malgré tous les stratagèmes pour détourner la loi que les forains utilisèrent comme la pièce à
écriteau, cela ne servit à rien.
Le répertoire joué dans les foires est tout de même varié. On y montre aussi bien la
déconfiture des huguenots que des spectacles religieux comme les crèches, la passion, etc. Et
cela évolue avec l'époque. Les marionnettistes se succèdent aussi. La gloire de la dynastie
Bertrand s'arrête en 1772. D'autres noms vont se succéder comme les Riner, Petit, Prevost,
Nicolet,... Les marionnettes sont de type Polichinelle et c'est en 1772 que l'on voit pour la
première fois des ombres chinoise. En 1775, un joueur d'ombre notait sur son affiche : « les
ecclésiastiques peuvent venir sans scrupule ».
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Bar bi zie r
La Franche-Comté a eu, elle aussi, au XVIIe siècle, un théâtre de marionnettes célèbre. Le
héros n'est autre que la marionnette d'un homme appelé Barbizier et qui a réellement existé. Ce
vigneron s'était fait remarquer comme orateur dans ses fonctions de la magistrature
républicaine. Quand il mourut, le peuple pour éloge funèbre en fit une marionnette. C'est un
personnage libre, sincère, railleur, innocemment mordant, prenant la tête d'une opposition
calme. Il a la chaussure lourde et sonore, les cheveux plats et lustrés, un chapeau triangulaire
posé horizontalement sur la tête, un habit de camelot sur le dos.
La pièce où Barbizier triomphait particulièrement était une Nativité. Mais une fois encore,
certaines gens ne trouvaient pas de leur goût ce spectacle et le marionnettiste dut partir de 1793
à 1810 dans la ville de Fribourg où il continua de donner des représentations. La tradition fut
ensuite perpétuée jusqu'en 1912 même si avec le temps elle perdit de sa vivacité.
Enfin, en plus des représentations de Barbizier, il faut savoir que la bonne compagnie du XVIIe
et du XVIIIe siècle aimait se faire donner des représentations de marionnettes. Voltaire lui même
en 1746 prenait plaisir à regarder les spectacles de poupées. La mode est telle que les pantins se
vendent à des prix astronomiques et que beaucoup d'enfants en ont chez eux. Jean-Jacques
Rousseau était l'un d'eux. Les pièces jouées sont souvent comiques comme du Molière par
exemple, mais l'on peut aussi voir des Opéras.
17
Le théâ tr e d e Sér ap hi n
C'est en 1772 que l'on voit apparaître pour la première fois le nom de Séraphin. C'est un jeune
Lorrain qui demande la permission d'installer dans les jardins de Lannion un spectacle d'ombres.
Très vite il obtient un très grand succès et joue devant la cour. Le petit peuple ne va pas souvent
aux ombres mais en revanche la bourgeoisie aime se donner ce plaisir. Afin de pouvoir satisfaire
son public, Séraphin se dote d'un jeu portatif pour la ville et pour la campagne. Il se rend ainsi au
service des personnes qui le préviennent au moins 24 heures à l'avance. Il donne des
représentations tous les jours ainsi que les dimanches et fêtes.
Une des spécificités de ce théâtre est son atmosphère. Les adultes entourés de tous les
enfants retrouvent un peu de fraîcheur et de légèreté. Au début du XIXe, les représentations
permettent aussi aux filles, bonnes d'enfants, grisettes... de donner des rendez vous et de
s'amuser elles aussi – mais pas des mêmes choses que les enfants... D'une certaine façon
Séraphin avait créé le premier cinéma de Paris, une salle obscure où l'on mêle plaisir des yeux et
autres plaisirs...
Son répertoire est varié, gai et décent. Le rire y est de mise et très vite ses scènes se trouvent
au nombre de deux cents et plus. Un recueil des ses pièces est publié en 1875. Grâce à son sens
de la publicité, Séraphin annonce ses spectacles et attire toujours plus de monde. En février
1789, on peut lire sur ses prospectus :
« Les papiers qu'on vous distribue
Ont un destin assez plaisant ;
Par une propreté connue,
Ils servent dans un cas pressant.
Cher lecteur, hélas! Sans murmure,
Je subirai ce sort fécal,
Mais d'abord de moi fais lecture
Sur le Trône de Carnaval. »
D'autres papiers vantent ses décors, le réalisme de ses ombres, les pièces toujours différentes
et bien sûr l'humour du spectacle.
A la mort de Séraphin en 1800, le théâtre continua d'exister avec des périodes plus ou moins
heureuses. Mais avec le temps, le Polichinelle de Séraphin mourut. Le 15 août 1870, dans le
journal « Le Siècle », il était écrit qu'avec le temps, comme dans beaucoup de grands théâtres,
on avait fait plus pour les yeux et moins pour l'esprit en mettant de côté les imitations naïves en
ombres et en perfectionnant les marionnettes, les décors, les machines, etc.
18
Fa ntoc ci ni
A cette vague des marionnettes en France correspond une vogue identique en Italie, surtout
vers la fin du XVIIIe. Tous les palais vénitiens possèdent leur théâtre de poupées.
En temps de Carnaval, de nombreuses baraques de burattini étaient disséminées au milieu des
loges de funambules, des ménageries et des estrades de dentistes. Au début, les burattini ne
furent autorisés que dans des baraques fermées dans lesquelles on payait pour entrer. La
représentation devait commencer au coucher du soleil et se terminer quand les théâtres
ouvraient, parce que les impresarii et les directeurs redoutaient la concurrence des burattini.
Mais en 1760, quelques-uns d'entre eux se débarrassèrent de la baraque et se montrèrent gratis
en public chez le charlatan Gambacorta, auquel les marionnettes servaient de réclame pour la
vente d'un baume prodigieux.
Dès les premières années du XVIIIe siècle, des grands opéras pour marionnettes d'un mètre
trente, appelées Bambocchi, étaient représentés, comme par exemple Othello. Dans les palais, on
pouvait aussi assister à des pièces comiques qui étaient à peu près improvisées. Le personnage à
la mode était Cassandrino. C'est un vieillard coquet d'environ 60 ans, leste, ingambe, à cheveux
blancs, bien poudré, bien soigné, à peu près comme un cardinal. Il est rompu aux affaires et brille
par l'usage du monde. Malheureusement, il a une fâcheuse tendance à tomber amoureux de
toutes les femmes qu'il rencontre. Bien que sans le dire, ce personnage représentait les jeunes
gens de la cour du pape, les « monsignori », comme on les appelait, qui n'avaient pas fait fortune
et qui cherchaient des consolations. Le répertoire de ce personnage fut principalement écrit par
un joaillier lui-même appelé Cassandre.
Les marionnettes évoluent dans un petit théâtre fait à leur taille. Le manipulateur est caché
derrière les frises de la scène. Au lever du rideau et pendant quelques minutes, les bonshommes
conservent leur véritable dimension, mais ils ne tardent pas à s'agrandir pour l’œil et au bout de
peu de temps font l'effet d'hommes véritables. La manipulation est telle que plusieurs écrits
complimentent l'illusion que procurent les mouvements des poupées. Celles-ci parlent, marchent
et dansent de façon admirable.
19
Punc h
En 1662, on retrouve des marionnettes italiennes à Londres. Il est fort probable que se soit
par ce biais que Mr Punch, autre avatar de Pulcinella, ait fait son apparition dans les théâtres de
marionnettes anglais. En 1688, il devient le héros incontestable et incontesté des marionnettes
anglaises.
Pour y arriver, il a tout d'abord détrôné le personnage principal des marionnettes de l'époque,
un dénommé Oldvice. Puis on le retrouve dans plusieurs spectacles parlant du déluge de Noé.
Dans toutes les pièces, il s'agit de marionnettes à fils. A cet époque, les poupées sont très à la
mode. A un tel point que les grand penseurs comme Jonathan Swift écrivent sur cet art. Ce
dernier présente la marionnette comme l'objet qui permet de représenter la vie humaine et de
montrer tous les ridicules qu'elle contient. En 1781, après un spectacle ayant enchanté le duc
Hamilton, les personnalités politiques prennent place sur la scène des puppets-shows.
Voici le canevas du drame éternel de la vie de Punch comme tous les théâtres le jouent
encore : Mr Punch est un homme sans foi, meurtrier. Il a une femme et un enfant. Tous deux sont
d'une très grande beauté. Mr Punch, lui, est loin d’être aussi beau qu'eux. Il a un nez d'éléphant
et sur son dos s'élève un cône qui atteint la hauteur de sa tête. Mais il a une voix aussi
séduisante qu'une sirène. C'est grâce à elle qu'il a séduit sa femme. Malheureusement, il ne peut
se contenter d'une femme malgré l’interdiction de la loi. Sa femme découvre qu'il la trompe et
s'en prend à son époux ainsi qu'à sa maîtresse. Punch se fâche alors et d'un coup de bâton lui
fend en deux la tête. Puis il saisit son fils et le jette par la fenêtre. Ses beaux-parents viennent
alors le rencontrer pour lui demander des comptes. Ce sur quoi, il leur fait le même sort disant
que la loi n'est pas sa loi. Puis, il se met à voyager. Seulement trois femmes se refusent à lui. Le
sort de toutes les autres et de leur famille est facile à deviner. On raconte à son sujet qu'il a
signé un pacte avec Satan et que c'est pour cela qu'il a autant de succès auprès des femmes.
Après quelque temps, il revient en Angleterre avec un nouveau nom. Heureusement, la police
l'arrête et le met en prison. Au moment de son exécution, il ruse et dit au bourreau qu'il ne sait
pas se servir de la corde de potence. L'homme lui montre alors et meurt. Mais voilà que le diable
vient lui réclamer sa dette et Punch lui dit qu'il ne voit pas de quoi il parle. Se déroule alors un
combat acharné entre Satan avec sa fourche et Punch avec son bâton. C'est Punch qui gagne. Et
c'est sur cette dernière action que se referme le rideau.
Comme dans le cas des foires parisiennes, ce canevas sera joué par plusieurs générations de
marionnettistes comme les Powell et leur "Punch's Theater" jusqu'en 1881.
20
Pays d e la ng ue ge r ma ni que
Dans ces pays, les marionnettes étaient si populaires que même les théâtres avec acteurs
joignaient à ceux-ci des troupes de marionnettes. Toutes les villes d'Allemagne possédaient leur
théâtre de marionnettes. Pourtant, au début du XVIIIe siècle, les grands théâtres firent campagne
contre les marionnettes, dont ils redoutaient la concurrence. Et le 3 juin 1794, un édit interdit à
un Italien de jouer Faust à Berlin car il y avait tellement de marionnettistes que l'on était obligé
de faire appel à des décrets spéciaux. Par exemple : les directeurs de théâtres de marionnettes
étaient obligés de porter de grands manteaux noirs et de grands chapeaux!
Le répertoire qui était joué allait de Faust à Molière en passant par diverses créations
populaires, d'époque ou encore des opéras. Vers 1840, le théâtre de Cologne donnait trois
genres de spectacles : un pour les enfants, un pour les adultes et un pour le public du dimanche.
Le nombre de marionnettistes allait croissant avec sa popularité, ce qui permettait la diffusion
de ce théâtre et l’évolution de la marionnette sur le plan technique. Les poupées réussirent alors
à donner l'illusion de fumer, manger, boire. Elles tombaient en morceaux et se reformaient pour
redevenir vivantes. Elles étaient capables de bouger les yeux, d'ouvrir la bouche, de tousser et
de cracher.
Goethe, dans La vocation théâtrale de Wilhelm Meister, raconte les impressions que ces
poupées lui laissèrent dans son enfance : elles attisèrent sa curiosité par leur magie. C'est entre
autres pour cela qu'il écrivit plus tard des pièces de théâtres pour celles qui l'avaient tant fait
rêver.
Haydn lui aussi vers 1731 participa à la construction du répertoire pour marionnettes en leur
créant plusieurs opéras. De même qu'Hoffmann qui avait comme Haydn un théâtre chez lui.
Hegel, quant à lui, sculptait des poupées.
Heinrich Von Kleist fut lui aussi très intéressé par les marionnettes. Dans un de ses articles, en
1810, il écrit : « Au théâtre, il n'y a que Dieu et les marionnettes qui soient parfaits ». Il écrivit
aussi un essai qui fut traduit et édité en France sous le titre Sur le théâtre de marionnette et à
lire absolument!
Enfin, un auteur de cet époque, le comte Pocci eu la particularité d'écrire des pièces dans
lesquelles il existe un contraste entre la plate réalité du personnage de Kasperl et le monde de
fantaisie où il évolue. Kasperl en devient comique et cela sans aucune grossièreté ni dans le
langage ni dans l'action. Cela nous change de Polichinelle !
21
Pe tr o uc hka
La marionnette s'installe dans tous les pays et il semble que se soient les Allemands qui aient
apporté les marionnettes en Russie. Dès 1633, des représentations de marionnettes ont lieu,
mais c’est au siècle suivant que se développe véritablement le théâtre de Petrouchka.
Les pièces jouées étaient le plus souvent tirées de la Bible jusqu'à ce que Petrouchka fasse
son apparition au XVIIe siècle. Mais déjà, de 1648 à 1672 il fut interdit par l'empereur Alexis.
Comme Polichinelle c'est un personnage très populaire, vulgaire dans ses paroles et dans ses
actes. Il est presque exclusivement joué par des marionnettes à gaines. Et comme son compère
Polichinelle, il était très apprécié des seigneurs.
On retrouve aussi des marionnettes en Ukraine. Pour Noël étaient représentés deux sortes de
spectacles. Au premier étage d'un théâtre de marionnettes à tiges on pouvait assister à une
pastorale, tandis qu’au rez-de-chaussée de celui-ci, se jouait une histoire locale qui mettait en
scène un certain Zaporojetz, sorte de terreur du monde, anarchiste sanguinaire.
22
Lafl eur
Si dans la dernière partie concernant la France, nous avons surtout vu ce qui se passait à
Paris, il nous faut tout de même noter que les marionnettes en province avaient, elles aussi, une
grande activité. On trouvait Barbizier à Besançon et à Amiens un certain Lafleur. Cette
marionnette ressemblait beaucoup aux marionnettes du nord, mais elle était plus petite et
toujours de la même taille que ses compagnons de jeu.
Lafleur est un personnage Louis XV. Son costume en fait foi : habit à la française en velours
d'Utrecht, gilet, culotte, tricorne et catogan. En évoluant, vers la fin du XIXe siècle, on lui ajoutera
des bas rayés rouge et blanc. C'est d'ailleurs à cette époque que notre compère se mettra au
goût du jour. C'est un valet de comédie avec tous les vices que cela comporte. Il est menteur, il
aime boire et bien manger, il aime les filles, il est toujours de bonne humeur et pétillant d'esprit.
Il a toujours le mot qui convient à toutes les situations. Il aime faire des farces mais il a bon cœur
et tous ses actes sont faits avec un bon fond. S'il se révolte, c'est qu'il a de la fierté et un désir de
justice important. C'est d'ailleurs la marque principale de ce héros populaire. Autour de lui on
trouve une série de personnages bien particuliers mais qui eux sont habillés à la mode de la fin
du XIXe siècle.
La pièce principale dans laquelle on trouve Lafleur est une Nativité. On peut supposer que
Lafleur est né avec cette crèche et que ce n'est que plus tard, quand le répertoire s'est enrichi,
que les compagnons non bibliques ont été crées. Parmi eux, il y a Blaise, Lapointe, Paupol
Calicot, Papa Cocu et bien sûr Sandrine qui tient le rôle de la femme de Lafleur ou encore de son
amie.
A la fin du XIXe siècle, on comptait un grand nombre de théâtres de marionnettes. Les
marionnettistes y travaillant furent plus ou moins connus. Parmi eux, Mr Bernaux créa le
personnage de Blaise aux Grandes Galères. Jusque 1939, ces théâtres firent vivre Lafleur et ses
amis. Mais beaucoup d'entre eux fermèrent au fil du temps.
23
Gui gnol
Nous abordons maintenant le plus célèbre de tous les héros de marionnettes après
Polichinelle. C'est un mélange d'Arlequin et de Pierrot. Il descend lui aussi de la tradition
italienne. C'est Jean-Siflavio Guignol, plus connu sous son seul patronyme.
Son père est Laurent Mourget, canut lyonnais, né le 3 mars 1769. C'est après la révolution
qu'il part avec une troupe de burattini à la recherche de la fortune avec Polichinelle. On ne peut
pas dire exactement à quel moment Guignol apparaît sur le petit théâtre qui vient de naître. Ce
n'est qu'à partir de l'Empire que l'on trouve Mourget dans le jardin du petit rivoli puis dans le
jardin chinois de Lyon. C'est sans doute là qu'apparut pour la première fois Guignol. Devant la
toile du théâtre un homme attirait la foule en jouant du violon.
Comme dit plus haut, Guignol et ses amis n' apparaissent pas tout de suite. C'est avec le
temps que les fameux personnages du théâtre de Guignol vont prendre forme. Gnafron,
inséparable compagnon de Guignol, naît de la transformation de Polichinelle. En perdant la
bosse, il perd le côté méchant de ce dernier. En fait, Mourget crée un monde bien à lui qui
comporte les caractères de la comédie italienne. Guignol est le valet de comédie, le garçon
sympathique, bien typé, qui se fait l'avocat des exploités, qui rie de tout et pensant que tout
s'arrange ; Gnafron, le poivrot au bon cœur ; Canezou, bourgeois de Lyon ; Caroline, la jeune
amoureuse ; Arthur, le jeune amoureux ; Piffard, le matamore, et Madelon compagne de Guignol.
Quand la saison devient froide, Mourget installe son théâtre au rez-de-chaussée de sa maison.
Sa célébrité est grande dans le monde des travailleurs lyonnais. Si bien qu'après sa mort en
1844, Guignol continue à exister et les théâtres se multiplient. Ils s'exportent et on en trouve
dans toute la France. Le nom de Guignol devient à tort la marque des marionnettes à gaines et
leur théâtre. C'est ainsi que Guignol perdure surtout grâce à la forte présence de la famille
Mourget qui n'a cessé de travailler pour le faire exister et évoluer.
Jusqu'à l'Empire, tous les spectacles sont joués à l'impromptu suivant la tradition. Après cette
période, il est explicitement demandé d'écrire les pièces avant de les jouer. On doit ainsi à la
censure un certain nombre de manuscrits. Puis, en 1879, M. Onofrio parraine Guignol et le fait
entrer dans la bonne société. Il devient l'amuseur public de la haute bourgeoisie de la cité de la
soie. Mais c'est là signer son arrêt de mort car il s'éloigne alors de plus en plus de ses
caractéristiques premières. Aujourd'hui il ne reste plus qu'un seul théâtre de Guignol à Lyon.
Notre compère y est drôle mais en finesse et évolue au milieu des parodies des grands opéras,
des drames... où il reste le personnage principal.
Enfin, outre Guignol, d'autres spectacles de marionnettes étaient proposés. A partir de 1785,
des crèches étaient présentées à Lyon au moment de Noël, et dans la première partie du XIXe
siècle, les spectacles de marionnettes se jouaient à partir de trois heures le dimanche et ce
jusque dix heures.
24
Le théâ tr e J oly
Le temps passe et Lyon se voit le berceau d'un nouveau théâtre : le théâtre Joly, qui a existé
jusqu'en 1903. On dit de lui qu'il est un des plus célèbres théâtres de marionnettes à fils.
Il fut fondé en 1830 par M. Joly qui présentait une crèche. Il incorpora dans son programme le
père et la mère Coquard, qui devinrent par la suite les représentants de la tradition lyonnaise de
marionnette à fils. Ces deux personnages participaient à la Nativité. Ils portaient des costumes
du XVIIIe siècle : le père en habit marron avec des boutons d'or, une culotte courte, des bas, des
jarretières à boucles, le tricorne, et le salsifis par derrière ; la mère avec la coiffe à barbe et la
robe de toile peinte. Ils arrivaient tous deux en retard au milieu de l'adoration. Et comme bien
s'accorde, ils se disputaient durant tout ce passage jusqu'au moment où venait leur tour de faire
des compliments à l'enfant divin et de s'en aller.
Ce théâtre est dès son commencement une fort fructueuse affaire, et l’on y joue par la suite
divers pièces les jeudis et dimanches. En 1850, on y présente des contes tel que Peau d'âne. Le
temps passant, le répertoire suit son époque et évolue : on joue des ombres chinoises en plus
des marionnettes à fils. Malheureusement, le théâtre ferme définitivement ses portes après avoir
été vendu par son propriétaire en 1903.
Petite anecdote historique : à l'époque de la campagne d'Égypte, on trouve une note de
Bonaparte qui réclame en plus des fournitures d'artillerie, une troupe de comédien et des
marionnettes. En 1808, des prisonniers français de la guerre d'Espagne montent un petit théâtre
de poupées... Les marionnettes ont souvent été une distraction de militaires à cette époque et
l'on peut se demander si c'est en allant voir Guignol petits qu'ils ont pris ce goût...
25
Les Pa jo ts - Wa l to ns
Curieusement, c'est un soldat qui est à l'origine du dernier théâtre de marionnettes à fils,
porteur du flambeau de la tradition des marionnettes françaises.
Le citoyen Béranger était volontaire de la République, soldat de Bonaparte. Blessé devant
Mantoue, il perdit une jambe et fut renvoyé dans ses foyers en 1798. C'est alors qu'il monta un
théâtre de marionnettes et s'en alla de ville en ville, de foire en foire jouer des pièces militaires
et patriotiques avec sa femme. Partout il remporta le succès le plus mérité. Après sa mort en
1828, et diverses péripéties, un dénommé Pajot reprit la direction de la troupe. Le succès était
toujours au rendez-vous et à sa mort en 1874, son fils reprit le théâtre. Comme ses aînés il prit
soin d'agrandir toujours le répertoire des poupées. Il monta divers contes, des ballets, des
apothéoses... Le théâtre Pajot était devenu un des plus grand théâtre ambulant français et il
comportait plus de huit wagons de matériels. Mais malheureusement le 4 juillet 1905 un cyclone
détruisit tout le théâtre. Pajot ramassa alors les débris et reconstruisit une petite troupe de
marionnettes à la manière de Holden et monta un numéro de music-hall. Il abandonna son nom
pour prendre celui de Walton et fit le tour du monde avec ses poupées et ses enfants. Ce fut le
dernier trait d'union de la marionnette à fils française entre le XVIIIe siècle et ceux d'aujourd'hui
qui essaient d'être dignes de leurs aînés.
Bien sûr, les Pajot-Walton ne furent pas les seules marionnettistes du XIXe siècle. Beaucoup
d'autres travaillèrent dans les foires à faire vivre les poupées grâce à un répertoire toujours plus
vaste comprenant diverses histoires. Certaines furent écrites par de grands hommes tels que
Gaston Baty ou encore Jules Verne.
26
Ma uric e Sa nd
Les romantiques se devaient d'aimer les marionnettes et c'est Georges Sand qui se fit leur
championne. Elle écrivit un roman, L'homme de neige, dont les marionnettes sont un des
éléments principaux. Elle y faisait l'apologie de la marionnette à gaine qui selon elle est la
marionnette primitive, classique, en un mot la meilleure. Fidèle à ses idées, elle monta un théâtre
à Nohant.
Ce théâtre fut présenté comme théâtre littéraire mais il était davantage un théâtre destiné au
délassement des poètes. C'est après avoir assisté à des représentations de marionnettes
données par Maurice Sand et Eugène Lambert en 1847 qu'elle décida avec eux de monter ce
théâtre. Il comportait sept personnages qui devaient leur permettre de jouer ce qu'ils
voudraient : M. Guignol, Purpurin, Pierrot Colombrillo, Isabelle, Della Spada, Capitan, Arbait
gendarme et un monstre vert confectionné par G. Sand elle-même. Mais le théâtre fut bientôt
trop petit et, après que Victor Borie eut mis accidentellement le feu au premier théâtre, un
second fut construit. Le répertoire grandit avec lui, ainsi que la petite troupe. C'est en 1849 que
le théâtre connut ses plus grands succès avec un nombre impressionnant de pièces
représentées.
Toutefois, il faut dire que Maurice Sand était l'âme véritable de ce théâtre, qui prit le nom de
Théâtre des Amis. Entre 1854 et 1872, on y donna plus de 120 oeuvres différentes et le tout-Paris
défilait. Le théâtre comportait 125 personnages. On y joua La dame aux Camélias devant
Alexandre Dumas fils. Vers 1880, Maurice Sand quitta le Berry et emmena avec lui le théâtre à
Passy. On y joua encore quelques temps et le rideau tomba définitivement le 4 septembre 1889,
jour de sa mort. Du Théâtre des Amis, il reste tous les acteurs de bois et un recueil de certaines
pièces jouées.
A la même époque, une série de petits castelets s'étaient montés dans les jardins public
parisiens. On y trouvait bien sûr Guignol, mais aussi Polichinelle et d'autres petits personnages....
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Dur anty
Parmi les petits théâtres montés dans les jardins publics, celui de M. Duranty, auteur de
plusieurs pièces à succès, se trouvait au jardin des Tuileries à partir de 1861.
Il lui fallut cinq mois pour le construire et c'est dans un petit recueil qu'il raconte cette
aventure : après avoir eu l'idée de ce théâtre, il demanda à plusieurs architectes de lui dessiner
les plans du castelet. Mais rien ne lui convenait. Après deux mois de recherche il se décida à les
dessiner lui-même. Et même si en plein air le castelet semblait moins impressionnant que sur ses
plans, il restait tout de même efficace et beau à voir. Une partie de la façade fut peinte et
décorée et le reste fut recouvert de perse soyeuse ornée d'oiseaux et de personnages en reliefs.
Il fut ensuite temps de modeler les têtes des futurs acteurs du théâtre. M. Leboeuf aida notre
ami à les tailler dans le bois et d'autres firent les costumes, non sans mal car ils s'obstinaient à
les faire beaux et non grotesques. Ce fut l'affaire d'un mois. Puis, les menus travaux achevés, il
fut temps de décider du répertoire et de trouver des acteurs. Il fallait en trouver qui
accepteraient de se former car il n'y avait pas spécialistes à Paris. Après plusieurs essais il
décida d'en former quelques-uns pendant six semaines. Tout était prêt : il n'y avait plus qu'à
jouer. Il fallut ainsi cinq mois d'effort et une somme de sept milles francs pour venir à bout de ce
projet.
Comme on peut le remarquer créer un théâtre de poupées n'était pas une entreprise de tout
repos et il fallait l'assistance de plusieurs artistes pour pouvoir en venir à bout. Dans une note du
« Paris anecdotes » de 1860, il est question des impresarii de marionnettes qui établirent leurs
quartiers dans un théâtre de marionnettes à tringles de Paris et importèrent toute une industrie
dans la rue du Clos-Bruneau. Ils y faisaient vivre toute une population employée à la fabrication
des fantoccini. On y trouvait des sculpteurs sur bois qui taillaient les têtes des poupées, des
costumières, des cordonnières, et les magiciens de ce monde : les ensecréteurs de bouibouis qui
attachaient tous les fils aux poupées de façon à permettre au marionnettiste de les faire bouger.
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Lem er ci er d e Ne uvi lle
Cet homme, aidé d’amis, décida un jour d'appliquer l'idée de M. Duranty à un théâtre libre où
la fantaisie se donnerait carrière et qui servirait de prétexte à réunir dans un souper semimensuel une vingtaine de gens d'esprit. C’est ainsi que le 27 mai 1862 se tint l'inauguration de
l'Erôtikon Theatron. Ce fut dans une ambiance détendue et festive que se déroula cette première
représentation jouée par huit poupées sculptées, à la fin de laquelle les invités burent à la mort
du théâtre français et à la prospérité des marionnettes.
Par la suite ce théâtre joua durant les années 1862-1863 plusieurs petites pièces. C'était des
vaudevilles, des drames, des comédies en prose ou en vers. Malheureusement le théâtre dut
fermer ses portes et Lemercier de Neuville créa ses propres pupazzi, d'abord pour amuser son
petit enfant malade puis ses amis. Ses spectacles étaient d'actualité et l'on y voyait les célébrités
du jour. Les poupées étaient faites en carton découpé et animées. Plus tard il modela des têtes
et monta de vrais pupazzi. Il donna plusieurs représentations chez des amis et lors de l'une
d'elles, obtint un tel triomphe qu'il devint célèbre. On s'arrachait ses spectacles. En 1864, il partit
pour Bruxelles et fit des essais avec des marionnettes de différentes tailles. Là il joua Le procès
Balandard, qui le spectacle qui le fit connaître et reconnaître dans toute l'Europe. Il joua ainsi
pour les plus grands.
Du 28 novembre 1863 au 7 juin 1891, il écrivit plus de 106 pièces dont certaines furent jouées
plus de 500 fois. Il fut aussi l'auteur de plusieurs ouvrages sur la marionnette.
Enfin, d'autres hommes firent exister les marionnettes et furent aussi reconnus pour leur
travail, mais moins que lui. L'un d'eux, M. Monnier, écrivait des satires politiques.
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Hol de n
Quelques années après 1870, nous voyons passer dans la capitale les fameuses marionnettes
de Thomas Holden. Son spectacle apporta les plus grosses recettes de l'époque tellement il
attira la curiosité.
Thomas Holden est né à Domnow, dans le comté d'Essex, en 1847. Il était le fils d'un forain et il
présentait des spectacles de marionnettes accompagné par toute sa famille.
Les poupées de ce marionnettiste étaient faites de bois et étaient capables d'imiter à
merveille la réalité. Elles étaient d'une précision à couper le souffle. Elles étaient quasi parfaites.
La grande trouvaille d'Holden fut de supprimer le fil d'archal et de pousser au maximum la
mécanisation des marionnettes. Les os des marionnettes pouvaient se détacher puis se rejoindre
à la grande stupéfaction des spectateurs. Dans un entretien, il expliqua qu'il passait son temps à
compliquer les mécanismes de ses poupées en utilisant diverses machines hydrauliques, le
magnétisme, etc. Cela ne lui facilitait d'ailleurs pas la tâche lors de la manipulation, ne lui laissant
aucun moment pour reprendre son souffle et lui demandant de se mettre dans des positions des
plus périlleuses, tout en changeant le ton de sa voix suivant la marionnette qui s'exprimait.
Cet homme transporta ses marionnettes dans le monde entier et l'on peut dire qu'il fut le père
de la marionnette moderne. Son répertoire était fait des scènes de pantomimes mettant en
valeurs les capacités de ses poupées.
Il suscita un certain nombre de vocation lors de son passage en France. C'est ainsi que des
spectacles français du même type que le sien virent peu à peu le jour et mettant pour certain les
célébrités du jour en mouvement.
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Le C ha t noi r
En 1887, naît le théâtre d'ombres du Chat Noir. L'idée de faire un théâtre d'ombres s'était
imposée à Henry Rivière quelques années auparavant lorsqu’il avait constaté le succès d’une
petite improvisation : il avait en effet eu l'idée de découper des silhouettes en carton et
d'improviser un défilé derrière une serviette blanche tendue.
Suivant la tradition millénaire, le spectacle se déroulait avec un bonimenteur. Celui du Chat
Noir s'appelait Rodolphe Salis et était fameux. De 1887 à 1897, Rivière et lui jouèrent les pièces
du répertoire traditionnel, mais aussi certaines pièces plus contemporaines. Les décors et les
découpages de ses ombres étaient merveilleux. Tous ceux qui assistèrent à des représentations
en gardèrent un souvenir inoubliable. On dit que c'était le plus beau moment de Montmartre. Le
Chat Noir ferma ses portes en février 1897 et les ombres furent dispersées.
Par la suite d'autres théâtres d'ombres virent le jour mais aucun ne fut aussi connu que le
Chat Noir. On jouait de l'ombre aussi dans les cabarets.
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Le pe tit thé â tr e
Pour finir avec les théâtres en France durant le XIXe siècle, on se doit de parler du Petit
Théâtre qui s'ouvrit le 28 mai 1888. Sa particularité tenait au fait qu’il s’agissait du premier
théâtre de marionnettes littéraires. Malheureusement, il ne resta ouvert que quelques années.
Pour commencer, se sont les grands classiques du théâtre qui furent représentés, tels que Les
oiseaux d'Aristophane, La tempête de Shakespeare.... Cette tentative était des plus intéressantes
puisque cela plaçait les marionnettes sur un autre plan. Elles n'étaient plus une simple
distraction mais aussi un plaisir d'intellectuels. M. Signorait souhaitait faire découvrir par le biais
des marionnettes les perles du théâtre, éveiller les esprits des contemporains. Pour cela et pour
la beauté du travail effectué, Paul Marguerite fit des conférences à travers le monde pour
expliquer les mérites rares du Petit Théâtre. Il tenta de faire entendre que la marionnette est
capable d'exprimer toutes sortes de sentiments, de passer du tragique au comique et de faire
sienne la poésie.
Très vite le succès est considérable. Et certains s'expriment sur ce qu'ils ont vu en disant que
contrairement aux comédiens, les marionnettes ne gâtent pas le spectacle et permettent de
s'approcher au plus près de ce que devaient être les spectacles de la Grèce ancienne, par
exemple.
Le théâtre fut construit par un des meilleurs élèves des Beaux Arts de l'époque, M. Baille, dans
une salle d'environ 250 personnes. La peinture, le rideau, les poupées furent fabriquées par
d'autres artistes encore. Les poupées étaient faites de bois et de papier. Une planchette avec
des bras et des jambes accrochés servait de base de fabrication. Les membres étaient reliés à
des pédales par des ficelles. A chaque pression de pédale correspondait un mouvement. Le corps
des poupées était fait en papier mâché et collé à la planchette de bois ainsi qu'aux bras et
jambes. Les pieds étaient en plâtre et en étoupe tout comme la tête. La marionnette était posée
ensuite sur un socle, et avec l'aide des machinistes, des comédiens, des musiciens, des
décorateurs, etc., on faisait vivre ses poupées et l’œuvre qu'elles jouaient.
En 1894, Maurice Bouchor publia sa dernière pièce et le Petit Théâtre ferma ses portes. Et
comme il le dit à l'époque, il fut fort probable que, étant donné le public très limité de ces
spectacles, peu de personnes se rendirent compte de sa fermeture et que d'autres même s'en
réjouirent.Mais la grande époque des marionnettes n'était pas encore arrivée et entre 1890 et
1900 des spectacles de Guignol de salon apparurent, des spectacles d'ombres se jouèrent et les
formes connues continuèrent d'exister puor le plus grand plaisir du public.
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Co ncl usi o n
Nous arrivons au terme de ce résumé et pour reprendre les mots de M. Chesnais : « Fasse que
cette histoire, dépouillé de toute littérature, aide à mieux faire connaître et par cela même à
faire aimer cette forme populaire de l'art dramatique qu'est la marionnette. »
L'ouvrage de M. Chesnais date de 1947 et depuis cette époque la marionnette a eu le temps
d'écrire une autre partie de son histoire. D'autres hommes ont tenté d'exprimer le monde à
travers elle, de l'inventer et de le décortiquer tout en faisant fasse à sa réalité. Aujourd'hui, il
existe à travers ce monde de nouvelles formes ainsi que de nouvelles utilisations de la
marionnette et cela prouve qu'elle est encore aujourd'hui un instrument des possibles de l'art
vivant.
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