13
LE PATRIOTE RÉSISTANT
N° 915 - janvier 2017 mémoire
L
e 22 août 1944, la Gestapo de
Rennes en fuite, commandée par le
colonel Pulmer, massacre à Creney,
49 résistants de la prison Hennequin. Ils sont
secondés par cinq, peut-être sept membres
du groupe fasciste breton du Bezen Perrot
(voir le Patriote Résistant de décembre).
Le 24 août 1944, à la veille de la Libération,
la 51e brigade SS du colonel Jöckel, investit
le village de Buchères, assassine 67 civils
(bébés, enfants, femmes, hommes et vieil-
lards) et incendie 50 propriétés.
Les tribunaux internationaux ont considéré
ces faits comme des crimes de guerre. Mais ils
sont demeurés impunis. La Gestapo fut pour-
tant déclarée ociellement « organisation
criminelle » au procès de Nuremberg.
Presque partout cependant, les procès faits
aux chefs de cette organisation aboutirent à
des condamnations non appliquées, partiel-
lement exécutées ou rapidement graciées.
Ce fut le cas à Troyes pour les dirigeants de
la Gestapo qui nous occupent dans cet article.
Les Allemands occupent
Troyes
Surnommé « Heinz le rapide » (Schneller
Heinz), le général major Guderian, inven-
teur de la Blitzkrieg occupe Troyes le 16 juin
1940. On retrouve huit cadavres de troupes
coloniales dans les bois de Saint-Mards le
18 juin. Un de ces crimes oubliés, y com-
pris des populations, fut le massacre sys-
tématique de soldats indigènes intégrés
dans larmée française (1).
Dès lentrée des troupes à Troyes, les
Allemands vont occuper de nombreux
bâtiments de la ville. La Geheime Staatspolizei
(Gestapo) occupe dabord le Conservatoire
de musique, appelé « Maison Fernand-
Doré » au 32, boulevard Gambetta, dont
ils ont chassé le directeur Amable Massis.
Les SS occupent un peu plus tard la maison
Marot au 34. La Feldgendarmerie (dont les
éléments sont appelés les « colliers de vache »
ou encore les « chiens enchaînés »), parfois
confondue avec la Gestapo car travaillant
dans le même but répressif, occupera aussi le
conservatoire sans doute depuis n 1942 (2).
Troyes sera pendant quatre ans sous ladmi-
nistration régionale de Clons-sur-Marne.
Le service de lAbwehr est également un
auxi liaire de la Gestapo dont t partie Henri
Dupré, agent inltré dans le groupe de Mutter.
La Gestapo de Troyes
La Gestapo de Troyes fut dirigée au
début par le major Schmidt à la tête de 30
hommes, ainsi quil ressort de l’interro-
gatoire de Rudolf Vetter
(3), un nazi venu
de la Feldpolizei (Gruppe Geheime Polizei
30 de Clons). Il explique qu« en
novembre 1942, la Feldpolizei est versée
dans la Gestapo. » (Au SIPO-SD, police de
curité allemande, en réalité). Schmidt est
remplacé par Klavonn, Untersturmführer
(sous-lieutenant) mais celui-ci n’a pas bonne
presse chez ses supérieurs. Le commandant
Lutke le juge « incomtent ». Klavonn se-
rait-il antinazi ? On peut le supposer. Il est
« emmené » à Reims. Vetter pense qu’on
lemmène en Russie. Il se tue accidentelle-
ment à Clons en 1943. Curieux !
Il est aussitôt remplacé par Joseph
Hellenthal, qui est tout sauf un tendre,
mais qui sait se cacher pour ses exac-
tions derrière ses collègues, surtout quand
juin 1944 arrive et que la défaite hitlérienne
est quasiment certaine. Il maîtrise bien
son comportement jusqu’à être qualié
de « gemütlich » (paisible) par Pfeer. On
lui « colle » un temps un supérieur hiérar-
chique, Heinrich Wiegand, dont on ne sait
pas grand-chose, sinon qu’il ne détestait
pas assister aux agressions contre les ma-
quis. Un certain Friedrich Ochs le seconde.
Celui-là veut sans doute faire mentir le
proverbe allemand « rester attaché comme
un bœuf [der Ochs, le bœuf] au rocher. »
Aussi en fait-il beaucoup et odieusement.
Le gardien Prause le décrit ainsi : « Il venait
journellement pour examiner les papiers des
détenus et les questionner. Il était accompa-
gné d’Hellenthal, Vetter, Schweyer et Jäger.
Ochs était particulièrement brutal envers
les détenus français. J’ai vu de mes propres
yeux Ochs en frapper cinq ou six, dont les
noms méchappent, de violents coups de
poings au visage dans la petite salle du bu-
reau. » C’est le « böse Geist », le « démon »
du groupe disent ses collègues.
Avec ces deux gradés SS, on trouve, Karl
Krell, policier très discipliné pour toutes les
besognes exigées, Rudolf Vetter, maître d-
tel dans le civil, Hans Pfeer (écrit parfois
Pfeifer), représentant dentaire, et tout un per-
sonnel policier ou administratif qui parfois
met la main à la pâte, certains pour se faire
bien voir et ne pas nir sur le front russe.
N’oublions pas que tout service ecace ne
peut se passer dauxiliaires autochtones. Il
y a bien sûr les autorités mises en place par
Vichy. Elles font tout à fait correc-
tement le travail demandé avec
quelques nuances dans le com-
portement. De rares fonction-
naires aideront la Résistance
ou freineront les mesures
darrestation. Ce fut le cas
du juge Buthiau, et sur-
tout du procureur Robert
Vassart qui sortira
daffaires Eugène
Kilian, les frères
Milési ainsi que 11
autres terroristes
suspects qui seront
« élargis » à la barbe
des Allemands. Ce
procureur avait en
outre permis à 17
jeunes suspectés de
résistance de ne pas
être jugés par lauto-
rité judiciaire allemande, mais française, ce
qui aboutira à de légères peines. Il organisera
également lévasion du Dr Ma. Bien sûr,
après un tel coup, le procureur dut plonger
dans la clandesti nité. Il deviendra membre
du « Front national judiciaire. »
Les plus ecients des agents étaient des
civils embauchés pour faire de la délation,
de la surveillance et même pour arrêter
les résistants, les torturer et les abattre à
loccasion. Deux exemples fameux, Robert
Debeaune et Marcel Pigné, qui eurent des
procès retentissants à la Libération
(4)
. Juste
châtiment, on les fusilla à Creney, sur le lieu
même où périrent 53 résistants (5).
Pour nétudier quun exemple caractéris-
tique, prenons le cas Pigné, « lhomme au
chapeau vert ». Il est né le 31 octobre 1917
à Champlost (89). Il s’est marié en 1938,
il est père dun enfant. Paresseux, mais
malin, il multiplie les délits de droit com-
mun. Il pratique divers métiers, boulan-
ger, garde-pêche à Fouchères. Il voit tout
de suite qu’avec les Allemands, le pain de
tous les jours peut être assuré. Fin 1943,
il se rend à la Gestapo. Il ne manque ni de
courage, ni dastuce et nhésite pas à s’en-
rôler dans les maquis pour repérer ses fu-
tures victimes. Ce fut le cas aux Boulins.
Le 15 août 1944, quand la Gestapo démé-
nage, il part avec ses éléments et continue
de les aider dans un service despionnage.
A la Libération, il est arrêté à Strasbourg.
Jugé le 24 mai 1945, il est fusillé le 26 juin.
D’autres agents français, soit fascistes,
soit vénaux, donnaient des renseignements.
Quelques civils sont employés à la Gestapo,
dont des femmes. On ne les imagine pas ni
les unes, ni les autres, antinazies.
Les crimes de la Gestapo
La Gestapo se conduit de façon brutale avec
tous les ennemis du régime ajoutant le vol, le
pillage, le rançonnement à ses méfaits. Lors
des perquisitions et arrestations, les familles
se plaignent de la disparition dargent, bijoux,
montres, bicyclettes, marchandises diverses,
y compris les biens mobiliers.
Maurice Roussineau de Bar-sur-Seine
se fait voler sa montre, des bijoux et son
portefeuille contenant 10 000 francs, Il
sera envoyé à Neuengamme. M. Prestat
de Chessy se fait ponctionner 24 vaches.
La Gestapo pille sa maison. 55 000 francs
disparaissent chez M
me
Tripognier, dont le
mari est recherché (groupe Keyser, résis-
tant fusillé à Crenay le 22 février 1944). Les
témoignages sont nombreux de ces vols et
personne ne se risquera à porter plainte.
Mais le pire, c’est encore les meurtres et
les incendies sont commis surtout dans les
trois ou quatre mois avant la défaite alle-
mande, dont le terrible mois daoût 1944. La
soldatesque s’en prend indiéremment aux
habitants et tue sans distinction. Buchères
en est lexemple le plus eroyable. Comme
Oradour-sur-Glane ou Maillé. Les gens
qui prétendent que ce crime de guerre
fut causé par un maquisard imprudent,
devraient étudier de plus près la pensée
nazie et la réalité historique de ses méfaits.
Près de 400 personnes furent massacrées
dans lAube selon le bilan réalisé par Roger
Gallery
(6)
. Les troupes en défaite, Gestapo
aux avant-postes, laissèrent derrière eux
jusqu’à Mussy, une longue traînée de sang.
Jean Lefèvre
(1) Lhistorien Olivier Pottier donnera une confé-
rence le 24 avril 2017 à 18 h 30 sur ces tirailleurs
oubliés, massacrés dans lAube. Renseignements
au 03 25 49 35 40.
(2) Nous le savons en fonction des lettres adressées
à lune ou lautre structure à ces deux adresses.
(3) Né en 1898, maître dhôtel à Vienne, membre
de la NSDAP (parti nazi)
(4) Dossiers complets des procès aux Archives
de lAube.
(5) Outre les 49 fusillés du 22 août, 4 martyrs
furent exécutés auparavant le 22 février 1944.
(6) Le Combat des obscurs : Héroïsme de la
Résistance Auboise, 1996.
Le pros de la Gestapo de Troyes
Les crimes de la Gestapo de Troyes et de ses supplétifs français sont inscrits dans la mémoire du département de l’Aube. Creney et Buchères
restent deux symboles de cette sauvagerie. Récit, premier volet, les faits.
La « Maison Fernand-Doré » au conservatoire de
musique occupée devient sge de la Gestapo, puis
des « colliers de vache ».
Notre numéro de février accueillera la
suite de cet article : le procès de Metz.
Ici, Libération-Champagne, juillet 1951,
Ochs entre deux gardiens.
1 / 1 100%
La catégorie de ce document est-elle correcte?
Merci pour votre participation!

Faire une suggestion

Avez-vous trouvé des erreurs dans linterface ou les textes ? Ou savez-vous comment améliorer linterface utilisateur de StudyLib ? Nhésitez pas à envoyer vos suggestions. Cest très important pour nous !