L`olfaction

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Echos de colloques…
L’olfaction
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Notes sur le colloque « Olfaction » à Paris, janvier 2009
Emmanuelle Prudhon Havard 1
n cycle de colloques ayant pour fil conducteur
« Sensorialité et handicap » s’est ouvert au mois
de janvier 2009 sur le thème « Olfaction, mémoire et apprentissages ». Ce colloque est né d’un partenariat entre l’INS-HEA (Institut national supérieur de
formation et de recherche pour l'éducation des jeunes
handicapés et les enseignements adaptés) et le centre
européen du goût à Dijon. Nous avons, durant ces trois
journées, bien sûr exercé notre odorat, mais également
notre ouïe et notre vue.
L’olfaction se développe très tôt. Elle contribue à la régulation physiologique et émotionnelle. Elle est l’un des
premiers moyens de connaissance de l’environnement.
Du point de vue physiologique, l’olfaction est à l’origine
des réponses proactives qui déclenchent la mobilité digestive. Il faut noter également que le nerf olfactif repousse
lorsqu’il est lésé et que le bulbe olfactif peut s’atrophier
ou se développer en fonction de stimulations répétées ou
de leur absence et ce, quel que soit l’âge. Les neurones
miroirs interviennent également au niveau de l’olfaction.
Sentir et penser à une odeur activent les mêmes zones
de notre cerveau. Le système olfactif est sensible à l’état
nutritionnel et métabolique des individus (une personne à
jeun et une personne avec une obésité ont un odorat plus
développé).
En ce qui concerne la régulation émotionnelle, l’émergence des affordances olfactives appartient au développement précoce et contribue à la sécurité affective (secure/insecure). Les phéromones régulent les échanges
émotionnels entre les partenaires. Les odeurs déclenchent
également des expressions faciales. Les odeurs participent à la régulation de l’équilibre émotionnel et des préférences sociales (attachement). Ainsi, les personnes qui
souffrent d’une perte durable de l’olfaction perdent aussi
de leur qualité de vie. L’expérience olfactive est avant
tout liée au jugement hédonique. Les odeurs ont également de puissants effets motivationnels.
Une étude à propos des émotions a été présentée. Dans
cette étude, des odeurs sont proposées à des personnes,
leurs réponses neuro-végétatives à ces perceptions olfactives sont enregistrées. Ensuite, avec l’aide d’un arbre de
décision, on relie à ces réponses neuro-végétatives une
émotion. Il est demandé à la personne d’exprimer verbalement ce qu’elle ressentait suite à la présentation de
l’odeur : notre corps ne dit pas toujours la même chose
que notre langage. Par exemple, pour la saveur amère, le
langage dit « dégoût » alors que notre corps exprime de
la colère. La réponse neurovégétative varie en fonction
du vécu personnel.
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Pour la cognition olfactive, il est intéressant de noter
que l’acquisition se réalise par simple exposition. Les
odeurs entraînent la formation de souvenirs durables par
l’association (souvent inconsciente et en dehors de toute
verbalisation) avec la situation. La verbalisation du nom
de l’odeur paraît entraver sa mémorisation. Les souvenirs olfactifs de l’enfance perdurent jusqu’à l’âge adulte.
Les effets de cette association inconsciente sont mis en
évidence dans l’expérience suivante : des enfants sont
sollicités pour résoudre un problème insoluble. Pendant
qu’ils cherchent, une odeur est diffusée dans la pièce. Il
leur est ensuite proposé une tâche facilement réalisable.
La même odeur est diffusée dans la pièce : leur capacité
à résoudre le problème est diminuée. Une seconde expérience est menée : une odeur est diffusée dans la pièce
alors que des enfants résolvent une tâche aisée. Dans un
second temps, une tâche plus difficile est proposée avec
la même odeur diffusée : la capacité à résoudre le problème compliqué est augmentée.
Le syndrome de dysoralité sensorielle (Senez, 2008) nous
a également été présenté. Ce syndrome concerne 80 %
des personnes avec un polyhandicap ou un trouble envahissant du développement contre 25 % des personnes au
développement ordinaire. Les symptômes observés sont
les suivants : manque d’appétit, refus de la nouveauté,
sélectivité alimentaire en rapport avec les textures des
aliments, comportements inadéquats au moment des repas, nausées, vomissements. Ces troubles sont identiques
dans la population ordinaire et celle avec handicap. Ils
surviennent au cours de la première année de vie lorsque la diversification alimentaire s’effectue. Des facteurs
associés peuvent aggraver ces troubles : allergie, reflux
gastro-oesophagien, problèmes digestifs.
M. Soussignan a traité la sensorialité olfactive dans les
troubles du spectre autistique. Tout d’abord, il rappelle
que la sensorialité olfactive commence seulement à être
explorée chez les personnes avec un TED. En interrogeant
les bases de données, nous ne retrouvons que 7 références bibliographiques (3 sur l’olfaction, 3 sur anomalies
sensorielles et chimioperception et 1 sur un programme
d’intervention). Des anomalies du comportement olfactif, de type hypo ou hyperréactivité sont relevées chez les
personnes avec autisme. Des anomalies du même type
ont déjà été objectivées dans d’autres domaines sensoriels : audition, somesthésie… Les personnes avec autisme montrent des comportements de préférence sélective,
de flairage, d’évitement. Les mécanismes sous-jacents à
ces symptômes sont mal connus. Différentes hypothèses
ont été proposées : celle de Dunn (2007) lie ces dysfonctionnements à des seuils bas ou élevés de traitement de
Orthophoniste, ADAPEI 44 de Nantes
le Bulletin scientifique de l’arapi - numéro 23 - printemps 2009
Licence Creative Commons Attribution - Pas d'Utilisation Commerciale - Pas de Modification v.4.0 Internationale (cc-BY-NC-ND4.0)
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l’information, celle reprise dans les travaux de Mottron
et Burrack (2001) lie ces dysfonctionnements à une attention sélective exagérée aux détails qui ne sont pas les
plus pertinents ; celle de Iarocci et Mc Donald (2006)
reprend le déficit d’intégration intermodale et enfin, celle
de Just (2004) insiste sur les altérations de la connectivité des systèmes corticaux qui entravent les traitements
perceptifs de haut niveau. Différentes questions se posent
quant aux particularités olfactives observées chez les personnes avec un TED : ces particularités sont-elles spécifiques ? Y a-t-il des différences spécifiques de sensibilité et
d’identification ? Le traitement hédonique des stimuli olfactifs est-il fonctionnel ? Existe-t-il des difficultés dans
la transmission et la régulation de l’expressivité émotionnelle dans certains contextes sociaux en réponse à des
odeurs ? Une étude de Rogers et al. (2003) utilisant le
Short Sensory Profile (questionnaire renseigné par les parents) montre que les enfants avec un trouble envahissant
du développement présentent des anomalies spécifiques
de la sphère olfactive et gustative. M. Soussignan nous
rappelle que le questionnaire peut contenir un biais (jugement subjectif) et qu’il serait intéressant de valider ces
premières données par l’observation dans des situations
standardisées. Une étude de Suzuki et al. (2003) permet
de répondre à la seconde interrogation. Il n’y a pas de
différence significative du seuil perceptif entre personnes
avec un syndrome d’Asperger et personnes ordinaires.
Par contre, il y a une baisse de l’identification chez les
personnes avec un syndrome d’Asperger. Ce déficit de
l’identification pourrait être expliqué par un dysfonctionnement du cortex orbito-frontal. Les résultats d’une autre
étude, celle de Bennetto et al. (2007), vont également
dans le sens d’un déficit de l’identification mais même
s’il existe un déficit, le niveau d’identification reste malgré tout élevé. Dans une autre étude, celle de Brewer
et al. (2008), on ne retrouve pas de différence quant à
l’identification mais on trouve une corrélation négative
entre la performance à l’identification et l’âge. Ceci serait
un argument en faveur d’un dysfonctionnement croissant
du cortex orbito-frontal.
Deux études de Soussignan et al. (1995) et Soussignan et
Schaal (1996) montrent que les personnes avec TED sont
aptes à traiter la valeur hédonique de l’odeur mais présentent un déficit dans l’intégration des normes sociales
de l’expressivité émotionnelle.
Pour M. Soussignan, les prochaines études devraient
s’attacher à :
- valider les questionnaires,
- effectuer des tests de discrimination olfactive,
- effectuer des tests d’apprentissage et de rappel mnésique,
- comprendre pourquoi les personnes avec un trouble
envahissant du développement refusent la variété alimentaire (présentent-elles une réactivité exagérée à
certains stimuli, une difficulté d’intégration intermodale ou une réaction néophobique ?),
- explorer par l’IRMf l’hypothèse d’un dysfonctionnement du cortex orbito-frontal…
Un travail d’expérimentation débute au Centre Alfred
Binet à Paris sous l’impulsion de Laurent DanonBoileau. Des personnes du CEW (Cosmetic Executive
Women) proposent un atelier olfactif à des enfants avec
autisme. Lors des ateliers sont utilisées des mouillettes et
des images. L’hypothèse de travail est que l’olfaction sert
à rassembler l’information. Une vignette clinique nous
est présentée : l’enfant, suite à un travail d’association
entre le mot oral, l’image et l’odeur (mouillette) est sollicité pour donner l’image. L’enfant en question n’a pas
donné l’image mais la mouillette. Ce travail vient seulement de débuter et ne permet pas de tirer de conclusions
définitives.
Bibliographie
Bennetto, L., Kuschner, E. et Hyman, S. (2007). Olfaction and
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Issue 9, 1015-1021
Brewer, WJ., Brereton, A., Tonge, BJ. (octobre 2008).
Dissociation of age and ability on a visual analogue of the
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Iarocci, G., McDonald, J. (janvier 2006). Sensory integration
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