Thérapeutique étiopathogénique
de la carie dentaire
Y Haïkel
Résumé. La maladie de la carie dentaire a connu une diminution substantielle chez les enfants et les jeunes
adultes dans la plupart des pays industrialisés, mais reste la principale cause de l’édentation.
Jusqu’à ces dernières années, la dentisterie s’était focalisée sur le traitement mécanique et chirurgical des
séquelles de la carie dentaire par la réalisation de cavités ou par le remplacement des obturations.
Actuellement, une meilleure connaissance de la maladie permet d’anticiper sur l’établissement des lésions par
l’instauration des stratégies qui permettent de prévenir, de contrôler la maladie et, dans le cas où elle est
installée, d’arrêter ou de rendre réversibles les lésions initiales par des thérapeutiques non invasives. Le
diagnostic devient donc provisoire. Seules les lésions actives sont restaurées.
L’approche médicale individuelle et personnalisée du patient pratiquée au cabinet dentaire permet de
supprimer les causes de la maladie lors de la phase préventive, mais aussi d’évaluer le risque carieux à partir
de la détermination : de l’indice du taux de renouvellement de la plaque après prophylaxie mécanique, du
nombre de caries traitées et non traitées (bilan clinique et radiographique), des analyses microbiologiques de
la salive, de la motivation à l’hygiène buccodentaire et aux soins préventifs, et du mode alimentaire.
Des thérapeutiques non invasives sont mises en place. Il s’agit de prévenir le développement de la carie par
une information et une instruction du patient aux techniques d’hygiène buccodentaire visant à éliminer le
facteur étiologique, de prévenir les récidives des caries par un contrôle mécanique professionnel de la plaque,
de prévenir, ralentir, arrêter ou rendre réversibles les lésions carieuses infracliniques par l’application de vernis
à la chlorhexidine et/ou au fluor. Les observations épidémiologiques ont démontré que l’utilisation combinée
des agents de scellement des sillons dentaires et des agents fluorés topiques était efficace.
Par ailleurs, une harmonisation dans les méthodes combinées de fluoration s’impose pour éviter les
surdosages et l’apparition de la fluorose dentaire. Seuls les dentifrices fluorés sont recommandés dans les
communautés fluorées ou non fluorées.
©2001 Editions Scientifiques et Médicales Elsevier SAS. Tous droits réservés.
Mots-clés : carie, risque carieux, prévention, reminéralisation, fluor, fluorose, chlorhexidine, scellement de
sillons, analyse salivaire.
Introduction
Les objectifs de la thérapeutique étiopathogénique de la carie sont
d’empêcher l’initiation du processus carieux ou d’écourter celui-ci
dans les premiers stades de son développement. La carie dentaire
peut être prévenue par des thérapies connues et maîtrisées et par
des interventions précoces. Les stratégies d’intervention dans la
thérapeutique étiopathogénique reposent sur la connaissance de la
nature de la carie dentaire, la détermination des facteurs de
susceptibilité et l’évaluation du risque.
Facteurs de cariosusceptibilité
ÉPIDÉMIOLOGIE DE LA CARIE DENTAIRE
Plusieurs études attestent que la prévalence des caries dans les pays
industrialisés tend à diminuer. Les pays scandinaves, par exemple,
Youssef Haïkel : Professeur des Universités-praticien hospitalier, chef du département d’odontologie
conservatrice-endodontie, université Louis Pasteur, institut national de santé et de recherche médicale
(INSERM U-424), faculté de chirurgie dentaire, 1, place de l’Hôpital, 67000 Strasbourg, France.
montrent une importante réduction de l’activité carieuse durant la
dernière décennie, ainsi qu’une diminution de l’édentation. Mais,
parallèlement, dans certains pays de l’Europe du Centre et de l’Est,
la prévalence des caries reste élevée. Il existe en effet de grandes
variations entre les pays et il apparaît que certaines populations de
niveau socioéconomique défavorisé présentent encore des
prévalences de carie élevées. La fréquence des caries chez les adultes
est proportionnelle à l’âge ; chez les sujets plus âgés, on note une
nette augmentation des caries radiculaires.
Les effets bénéfiques d’une prévention bien appliquée sur la
réduction des lésions carieuses pour une tranche d’âge donnée d’une
population sont mis en évidence par la diminution de l’indice CAO.
L’indice d’un sujet est la somme de ses dents cariées (C), absentes
pour cause de carie (A) et obturées (O), alors que l’indice de la
population est la moyenne des indices des sujets.
En 1981, la Fédération dentaire internationale et l’Organisation
mondiale de la santé (OMS)
[27]
ont adopté comme premier
indicateur global de la santé dentaire une moyenne de l’indice CAO
inférieureà3àl’âge de 12 ans pour l’an 2000. En 1991, l’OMS a
ramené cet indice à moins de 1,5 à l’âge de 12 ans pour l’an 2015
(tableau I)
[98]
.
La comparaison des indices CAO à 12 ans dans les divers pays
d’Europe prouve qu’un certain nombre de pays ont d’ores et déjà
Encyclopédie Médico-Chirurgicale 23-010-F-10
23-010-F-10
Toute référence à cet article doit porter la mention : Haïkel Y. Thérapeutique étiopathogénique de la carie dentaire. Encycl Méd Chir (Editions Scientifiques et Médicales Elsevier SAS, Paris, tous droits réservés), Odontologie,
23-010-F-10, 2001, 21 p.
atteint les objectifs de l’OMS pour l’an 2000, notamment l’Europe
du Nord. En France, deux enquêtes épidémiologiques nationales ont
été entreprises en 1987 et 1991. Elles ont concerné un échantillon
représentatif de plus de 18 700 écoliers âgés de6à15ans
[16]
.La
comparaison des résultats entre 1987 et 1991 montre une importante
diminution de la prévalence de la carie à tous les âges, tant au
niveau des dents permanentes que des dents temporaires. L’indice
CAO à 12 ans est passé de 4,24 en 1987 à 2,59 en 1991, soit une
réduction de 38,91 %. Dans les pays scandinaves, en Angleterre et
en Suisse, les prévalences moyennes de la carie sont inférieures à 2,
grâce aux mesures de prévention collectives basées sur la fluoration
de l’eau de boisson ou du sel de table depuis de nombreuses années.
Les pays d’Europe de l’Est présentent des indices CAO
généralement moyens ou élevés et tendant à augmenter
[65]
.
La situation de la prévalence de la carie dentaire outre-Atlantique
montre de grandes disparités. On relève aux États-Unis un indice
CAO moyen de 1,4 à 12 ans. Cet indice très bas est le fruit de
mesures de prévention collectives basées principalement sur la
fluoration de l’eau de boisson, débutées dans les années 1950. Au
Canada, la prévalence de la carie est plus élevée qu’aux États-Unis.
Cependant, une réduction importante de la prévalence carieuse a
été observée ces 15 dernières années à la suite de la fluoration de
l’eau de boisson qui concerne la moitié de la population, de
programmes de prévention en milieu scolaire, de l’usage très
répandu de suppléments fluorés et des scellements des puits et
sillons dentaires.
Alors que les données disponibles sont abondantes pour les
populations jeunes, elles sont en nombre limité pour les adultes. Les
actions de prévention commencent à se concrétiser chez l’adulte
jeune. En effet, on observe une diminution des caries chez les adultes
jeunes dans les pays où le déclin s’est amorcé dans les années 1970.
Dans la tranche d’âge moyenne des 35-44 ans, la proportion de dents
obturées a augmenté. Plusieurs études menées aux États-Unis et en
Angleterre font apparaître, dans tous les groupes d’âge, une
réduction du nombre de dents cariées et de dents absentes, et,
parallèlement, une augmentation des dents soignées
[97]
. De façon
générale, bien que la prévalence des caries ait diminué de façon
notable chez les jeunes adultes dans plusieurs pays industrialisés, la
carie continue d’être la principale raison de l’édentation.
Dans les pays en voie de développement, à prévalence carieuse
basse, on note une tendance à l’augmentation des indices de carie.
Dans une enquête nationale effectuée aux États-Unis entre 1988 et
1991, sur 12 138 sujets âgés de plus de 18 ans
[97]
, il apparaît que les
caries radiculaires ou cervicales se développent dans les plus hautes
tranches d’âge. Pour l’ensemble de la population étudiée, on évalue
à 22,5 % la proportion de patients présentant des caries radiculaires,
6,9 % pour la tranche d’âge 18-24 ans, et 55,9 % pour la tranche
75 ans et plus.
Pour répondre à la question : « Quelles sont les raisons principales
qui font que les personnes âgées de 20 à 25 ans ont moins de caries
que celles d’ilya30ans,unquestionnaire de 25 items portant
sur l’alimentation, les fluorures, la plaque, la salive, les matériaux
dentaires, le praticien et les autres facteurs a été envoyé à 52 experts
internationaux de pays technologiquement développés
[13]
.
L’évaluation de l’importance des facteurs expliquant la réduction
de la carie est réalisée à partir d’un score allant de0à4.L’évaluation
par les experts de l’impact des divers facteurs sur la diminution de
la carie présente de grandes variations. Seuls les fluorures sont
retenus par 40 experts sur les 52 consultés. Le fluor contenu dans les
pâtes dentifrices est retenu par 63 % des experts concernés comme
le facteur expliquant à lui seul la diminution de la carie dans une
proportion de plus de 40 % (score 4).
Le rôle de l’élimination de la plaque semble controversé ; personne
à l’heure actuelle ne peut affirmer avec certitude que le brossage des
dents réduit la carie dentaire. En effet, aucune corrélation n’a jamais
été établie entre la quantité de plaque et la carie, ce qui n’est pas le
cas pour les gingivites et les maladies parodontales. Par ailleurs, la
réduction de la carie de ces trois dernières décennies coïncide
également avec l’augmentation exponentielle de l’usage des
antibiotiques, mais ce facteur n’a pas été retenu par les experts.
Cependant, il existe des particularités, au Japon par exemple, où
depuis 1970 la carie dentaire décline, alors que l’usage du fluor reste
limité. La diminution de consommation des sucres dans ce pays
pendant cette même période constitue vraisemblablement le facteur
le plus déterminant
[63]
.
NATURE DYNAMIQUE DU PROCESSUS CARIEUX
La carie dentaire est un processus dynamique avec des périodes de
progression alternant avec des périodes d’arrêt ou de réparation.
Les périodes actives de la maladie varient considérablement dans
leur durée et leur intensité‚ entre différents groupes de population,
d’individus, et, pour un même patient, en fonction de l’âge et peut-
être selon les moments de la journée. Comme toute maladie,
l’évolution du processus dépend de l’équilibre instable entre
l’intensité des facteurs pathologiques et la réponse biologique de
défense. Il existe une multitude de facteurs influençant cet équilibre
tels que des facteurs génétiques, physiologiques, socioculturels,
alimentaires, salivaires
[38]
. L’évaluation de l’un de ces facteurs
pourrait constituer un marqueur biologique de prédiction de
l’initiation, du développement ou de l’arrêt d’un processus
carieux
[55]
. L’initiation de la lésion carieuse au niveau d’une surface
dentaire, l’émail au niveau coronaire ou le cément d’une racine
exposée, est souvent expliquée par des séries de phénomènes
physicochimiques dans lesquels les acides produits par le
métabolisme de la plaque bactérienne induisent une
déminéralisation de subsurface des tissus calcifiés de la dent.
L’évolution va dépendre de l’équilibre entre les facteurs
physicochimiques tels que la solubilité des tissus calcifiés et le pH,
la perméabilité et la concentration ionique dans l’environnement de
la dent. Cependant, ce phénomène biologique est modulé par les
cellules salivaires sécrétoires responsables de la qualité et de la
quantité de salive présente et par des cellules locales et distantes
intervenant dans les mécanismes de défense immunitaire. Ces
phénomènes montrent combien la carie dentaire, processus
biologique complexe et dynamique, ne peut être définie en termes
d’observation d’une perte de substance au niveau d’une surface
dentaire.
Le développement d’une lésion carieuse met en jeu des interactions
de nombreux facteurs entre l’environnement de la cavité buccale et
la surface des tissus calcifiés de la dent. Le processus carieux est
initié par la fermentation des hydrates de carbone par les bactéries
de la plaque qui vont produire une variété d’acides organiques et
faire chuter ainsi le pH. Dans un premier temps, le proton (H
+
) est
neutralisé par le système tampon de la plaque et de la salive mais
lorsque le pH continue à baisser, le milieu s’appauvrit en ions OH
et PO4
3–
qui réagissent avec H
+
pour former H
2
O et HPO4
2–
.
L’apatite de l’émail est dissoute lorsque la phase aqueuse devient
insaturée par rapport à la phase cristalline et que le pH descend en
dessous de la valeur critique de 5,7
[5, 6]
.
La dissolution de l’émail ou du cément est définie comme une
dissolution chimique des cristaux d’apatite par les acides produits
par le métabolisme des bactéries.
La lésion érosive et carieuse correspond à une dissolution acide de
la surface de la dent par des agents acides. La lésion carieuse est
Tableau I. Objectifs de l’Organisation mondiale de la santé pour
l’an 2015 en Europe.
Âge Objectifs
- 6 ans 80 % ou plus indemnes de caries
- 12 ans Indice CAO inférieur à 1,5
- 18 ans Pas de dents absentes pour causes de carie
- 35-44 ans Indice CAO inférieur à 10
Moins de 2 % d’édentés
90 % des personnes dentées devraient avoir au moins 20 dents
naturelles
- 65-74 ans Moins de 10 % d’édentés
Indice CAO : somme, pour un sujet, de ses dents cariées (C), absentes pour cause de carie (A) et obturées (O).
23-010-F-10 Thérapeutique étiopathogénique de la carie dentaire Odontologie
2
caractérisée par la présence d’une lésion de déminéralisation de
subsurface recouverte par une couche de surface minéralisée.
L’érosion affecte directement la surface de la dent et résulte de la
consommation excessive d’agrumes et de nombreuses boissons et
jus de fruits acides.
Les modifications ultrastructurales peuvent rendre visibles les
lésions carieuses après une série de déminéralisations-
reminéralisations qui peuvent se dérouler sur quelques mois ou
quelques années.
Les interactions entre les propriétés de solubilité et de dissolution
de l’apatite d’une part et les réactions d’adsorption du fluor à la
surface de l’apatite d’autre part vont entraîner l’arrêt ou la
reminéralisation de la lésion. Le fluorure de calcium (CaF
2
) joue le
rôle de réservoir de fluor ; des globules de fluorure de calcium
recouverts de phosphate et de protéines ont été décrits
[66]
dont la
solubilité augmente lorsque le pH diminue. Après applications
topiques de fluor à des concentrations de1à2%(vernis, gels), le
CaF
2
précipite dans les micropores et microcanaux des lésions
carieuses de l’émail
[44]
, entraînant le blocage des voies de passage
vers la zone de déminéralisation de subsurface : on parle alors de
lésion arrêtée. Les apports de faibles doses de fluor sur des périodes
plus longues (dentifrices, bains de bouche) favorisent la
reminéralisation et la réversion des lésions
[87]
.
RELATION ENTRE PLAQUE BACTÉRIENNE
ET CARIE DENTAIRE
La carie dentaire est une maladie infectieuse transmissible,
provoquée par les bactéries cariogènes de la cavité buccale qui
colonisent la surface dentaire en formant un biofilm communément
appelé plaque dentaire. La déminéralisation acide des tissus calcifiés
de la dent est induite par des acides organiques qui sont produits
par le métabolisme des sucres des bactéries de la plaque dentaire.
La flore bactérienne buccale est constituée de plus de 250 taxons en
associations intragénériques ou intergénériques. Organisée sous
forme d’un biofilm multigénérique, elle est associée au
développement de la pathologie carieuse mais aussi parodontale.
Deux types de plaque définis en fonction de leur localisation
anatomique sont décrits : la plaque supragingivale impliquée dans
la pathologie carieuse et la plaque sous-gingivale associée aux
pathologies gingivales et parodontales. Certaines espèces telles que
Streptococcus mutans,S. sobrinus et Lactobacillus, identifiables dans
ce biofilm, sont cariogènes et constituent les espèces colonisatrices
primaires des surfaces dentaires par interaction avec des molécules
d’origine salivaire. Le dénominateur commun de ces bactéries
cariogènes est, d’une part que celles-ci sont susceptibles de coloniser
les surfaces dentaires selon des mécanismes saccharose-dépendants
et -indépendants, d’autre part qu’elles produisent des acides
organiques, notamment de l’acide lactique, capables de dissoudre la
fraction inorganique apatitique des dents à partir des glucides
alimentaires. La colonisation initiale des surfaces dentaires par les
bactéries cariogènes est une étape saccharose-indépendante au cours
de laquelle les micro-organismes se fixent sur la pellicule exogène
acquise, constituée principalement de glycoprotéines salivaires
[40]
.
La seconde étape de la formation du biofilm est saccharose-
dépendante. Grâce à leur équipement enzymatique en
glucosyltransférases (GTF), les bactéries cariogènes élaborent des
polysaccharides extracellulaires incorporés dans la matrice
interbactérienne de ce biofilm. Ces polysaccharides sont des
polymères solubles (dextranes) et insolubles (mutanes) du glucose.
Les espèces bactériennes de la flore buccale expriment des facteurs
de virulence (tableau II) dont les effets sont observables localement
et certains à distance : facteurs de colonisation (adhésines), de
persistance (agressines, toxines, impédines, protéines de stress,
facteurs d’inhibition, effecteurs de l’immunité) et de destruction
tissulaire (agressines, acidogénicité, activités protéasiques, activités
pro-inflammatoires). Les streptocoques de la cavité buccale
colonisent les surfaces dentaires par l’intermédiaire des adhésines
(I/II, Lrals) qui sont des constituants protéiques de la paroi
bactérienne. S. mutans joue un rôle clé à la fois dans le
déclenchement et le développement du processus carieux grâce à
son métabolisme de type homofermentaire (fig 1), mais aussi à sa
capacité à produire des homopolymères de glucose à liaison 1-6
(dextranes solubles) synthétisés par des GTF. La plupart des souches
de S. mutans possèdent trois gènes codant pour des enzymes
synthétisant des polymères insolubles (gtfB, gtfC) et solubles (gtfD).
Les GTF participent aux capacités d’adhérence des streptocoques
cariogènes par l’intermédiaire des polymères de glucose qu’elles
synthétisent
[14, 67]
. Les enzymes impliquées dans le stockage
intracellulaire des polysaccharides seraient aussi des éléments de
cariogénicité.
La détermination du taux de S. mutans dans la cavité buccale ou à
un site dentaire présente une grande importance dans la prédiction
de la carie et le diagnostic des patients à haut risque carieux
[48]
. Les
énumérations des colonies se font facilement au cabinet dentaire par
le test CRT Bacteriat(Vivadent, France). Dans une étude prospective
sur 2 ans, 78 % des caries de sillons diagnostiquées avaient été
prédites. Une corrélation positive a été établie entre l’incidence
carieuse et le taux de S. mutans
[11]
.S. mutans associé à Lactobacillus
prend une autre signification. La mise en évidence de ces deux
espèces près d’une lésion proximale indique la progression de cette
lésion et, près d’une surface radiculaire, indique le risque de
développement d’une carie radiculaire
[11]
. Une étude récente montre
que le pronostic des caries de sillons peut être établi dans 78 % des
cas par la détermination du taux de S. mutans avec une valeur
prédictive positive de 29 % et négative de 92 %
[84]
.S. mutans et
Lactobacillus sont fortement associés à l’initiation et au
développement de la carie de l’émail. Par conséquent, l’utilisation
de la combinaison de plusieurs espèces en rapport avec un site peut
servir d’indicateur de l’état ou de l’initiation d’une lésion chez un
individu.
Par méthode télémétrique, Imfeld, dès 1978, a montré que le rinçage
avec une solution sucrée à 10 % entraînait une importante chute de
pH, en dessous d’un pH de 4 au niveau de la plaque interdentaire
de 3 jours
[52]
. Firestone
[29]
a mesuré l’évolution du pH sur différents
sites interproximaux par la même technique après rinçage avec une
Tableau II. Facteurs de virulence de « Streptococcus mutans ».
- Adhérence
- Agrégation interespèces
- Synthèse de dextranes
- Production d’acide lactique
- Synthèse de polyoside intracellulaire
- Survie en milieu acide
JT
Saccharose
Saccharose 6P
Scr B
glc6P + fru Glc1P + fru
GTF A
Glycolyse PSI
H+
Dex B
glc
Glycolyse
PTS msm msm
Isomaltotriose
Dextranase
DextranesMutanes
GTF B C D
PB
MC
1Métabolisme du saccharose chez « Streptococcus mutans ». GTF B, C, D : gluco-
syltransférase B, C, D ; PB : paroi bactérienne ; MC : membrane cytoplasmique ; PTS :
système de transport des sucres phosphotransférase-dépendants ; msm : système de
transport des sucres dépendant de l’opéron msm ; Scr B : saccharose-phosphorylase ;
GTFA : saccharose-polyphosphorylase ; Dex B : dextrane-glucosidase ; PSI : polymère
de glucose intracellulaire ; glc : glucose ; fru : fructose.
Odontologie Thérapeutique étiopathogénique de la carie dentaire 23-010-F-10
3
solution sucrée à 10 % (fig 2). L’élimination mécanique de la plaque
interdentaire paraît essentielle dans la diminution de la carie. Dans
les pays européens, ce contrôle de la plaque interdentaire par le fil,
les brossettes ou autres moyens est pratiqué par moins de 10 % de
la population.
La détermination de la quantité de plaque et de sa localisation chez
le patient ne donne pas d’information sur l’âge de la plaque et sur
son taux de renouvellement. L’indice de taux de renouvellement de
la plaque (ITRP) mis au point et validé par Axelsson
[4]
est un
élément de diagnostic important dans l’évaluation du risque carieux.
RELATION ENTRE ALIMENTATION ET CARIE DENTAIRE
Rôle des sucres dans la cavité buccale
Les étudiants qui avaient suspendu leur hygiène buccodentaire
pendant 3 semaines et qui se rinçaient avec une solution sucrée à
50 % neuf fois par jour développent des caries. Les lésions carieuses
sont arrêtées 1 mois après la reprise du contrôle de la plaque et
d’utilisation de fluor
[93]
. Loe et al
[59]
ont repris la même
expérimentation mais en associant un rinçage biquotidien à la
chlorhexidine (CHX) à 0,2 %. Aucune carie n’a été observée pendant
la durée de l’expérimentation menée chez des étudiants. Ces
résultats confirment que la plaque dentaire est le facteur étiologique
et que le sucre est un facteur de risque externe.
L’analyse des études cliniques montre que le contrôle chimique de
la plaque par la CHX peut entraîner plus de 46 % de réduction de la
carie
[91]
. Les dentifrices et les autres agents fluorés montrent une
réduction de seulement 25 % de la carie. La CHX agit directement
sur le facteur étiologique alors que le fluor est un facteur externe
qui modifie le risque carieux agissant sur la phase minérale.
Le développement de la carie dentaire est en rapport avec certains
constituants de l’alimentation. Cependant, la carie n’est pas
considérée comme une maladie de nutrition. Le processus carieux
est plutôt considéré comme une affection résultant des effets locaux
de la surconsommation par voie buccale de certains types
d’aliments. Ceux-ci sont essentiellement constitués par divers
glucides assimilables qui ont des potentialités cariogènes variables.
La consommation de glucides a progressivement augmenté depuis
le Moyen Âge. Jusqu’au XV
e
siècle, les sucres étaient surtout réservés
aux classes privilégiées et la consommation moyenne par personne
était de l’ordre de 1 kg par an. Actuellement, dans les pays
industrialisés, la consommation moyenne par personne est de l’ordre
de 40 kg par an (50 kg pour l’Australie et 30 kg pour l’Espagne).
Historiquement, les sucres ont connu un développement sans pareil :
la production totale annuelle de sucre qui était de 8 millions de
tonnes en 1900 est passée à 83 millions en 1973. Le sucre produit à
partir de la canne à sucre a connu le début de son extension en
Europe, surtout après les voyages de Christophe Colomb, alors que
l’exploitation du sucre de betterave s’est développée à partir du
XVIII
e
siècle. Dans l’alimentation humaine, les glucides proviennent
non seulement des sucres de betterave et de canne, mais également
des fruits et des produits amylacés, des céréales, pommes de terre et
légumineuses. Tous ces glucides peuvent être métabolisés plus ou
moins rapidement par les bactéries cariogènes pour couvrir leur
besoin en énergie
[38]
.
La corrélation entre consommation de glucides et carie dentaire
ressort également de l’étude de certaines populations qui, pour des
raisons de changements d’environnement, ont modifié rapidement
des habitudes alimentaires ancestrales.
Pendant des générations, l’alimentation des Inuits du Groenland se
composait principalement des produits de la pêche et de la chasse
et était pauvre en glucides. Ces Inuits ne présentaient pratiquement
pas de caries. L’implantation de bases militaires sur leur territoire
pendant la Seconde Guerre mondiale a entraîné une modification
spectaculaire de leurs habitudes alimentaires avec consommation de
glucides. La carie dentaire prit immédiatement des proportions
importantes.
Une illustration tout aussi édifiante est celle des habitants de Tristan
da Cunha, groupe d’îles anglaises situées dans l’océan Atlantique à
l’ouest du cap de Bonne-Espérance. Les autochtones de ces îles se
nourrissaient essentiellement de produits de la pêche. Leurs dents
étaient pratiquement indemnes de caries. Par suite d’éruptions
volcaniques, les habitants de Tristan da Cunha ont dû être évacués
en Angleterre où ils ont consommé une livre de sucre par semaine
et par personne. Les examens dentaires ont montré que 50 % des
molaires permanentes étaient cariées chez les sujets jeunes de moins
de 20 ans
[38]
.
Un autre exemple de corrélation entre la consommation de glucides
et la carie dentaire est fourni par une maladie rare, à savoir
l’intolérance héréditaire au fructose. Il s’agit d’un trouble du
métabolisme du fructose, conditionné génétiquement et lié à une
déficience en aldolase fructose-1, phosphate du foie. Chez les sujets
atteints de cette maladie, la consommation d’aliments contenant du
fructose ou du sucre de canne provoque des nausées, des
vomissements et une sudation excessive pouvant aller jusqu’à des
convulsions et au coma. L’ingestion de glucides étant donc très
fortement réduite chez ces malades, plus de la moitié sont indemnes
de caries et présentent une très faible prévalence carieuse
[38]
.
Potentiel cariogénique des aliments
L’alimentation joue un rôle essentiel dans la formation et le
développement de la carie dentaire. Les observations réalisées in
vitro, chez l’animal et chez l’homme, ont mis en évidence une
relation entre la fréquence de consommation des sucres
fermentescibles et la fréquence carieuse
[12]
. L’alimentation agit
localement sur le métabolisme de la plaque et particulièrement sur
sa capacité à produire des acides. Le pH est le facteur déterminant
dans la balance déminéralisation/reminéralisation de l’émail (fig 1).
Le principe des mesures intraorales du pH est l’une des méthodes
les plus simples pour déterminer la cariogénicité potentielle des
aliments
[24, 52, 79]
. Le potentiel cariogénique est lié à leur contenu en
sucres. Les sucres le plus fréquemment rencontrés dans
l’alimentation sont le glucose et le fructose (monosaccharides), le
saccharose, le maltose et le lactose (disaccharides), l’amidon
(polysaccharide). Le saccharose est considéré comme le plus
cariogénique :
il constitue la forme sucrée la plus courante ;
il est facilement fermentescible en acides organiques par les
bactéries de la plaque ;
il favorise la colonisation de la cavité buccale par S. mutans ;
il augmente la quantité de la plaque en servant de substrat par
production des polysaccharides extracellulaires.
Cependant, plusieurs travaux montrent que le glucose, le fructose et
le sucre inverti sont également fortement cariogéniques
[12, 52]
.Le
lactose a le potentiel cariogénique le moins élevé par rapport au
saccharose, au glucose et au fructose. Tous les tests de mesure du
pH de la plaque interdentaire montrent dans tous les cas une chute
JT
Temps
Plaque
pH
1
2
3
4
4321
2Baisse du pH de la plaque à quatre niveaux interproximaux différents après rin-
çage avec une solution de glucose à 10 %
[29]
.
23-010-F-10 Thérapeutique étiopathogénique de la carie dentaire Odontologie
4
de pH, mais plus prononcée pour le fructose, le glucose, le maltose
et le saccharose. Le pH considéré comme critique est de 5,7
[52]
.En
ce qui concerne l’amidon, les résultats semblent dépendre de la
forme sous laquelle il est consommé. L’amidon naturel, non cuit, est
nettement moins cariogénique que les autres sucres. Firestone et al
[29, 30]
montrent que l’amidon associé au saccharose seul devient plus
cariogénique et cette cariogénicité augmente avec la fréquence de
consommation. La fréquence carieuse basse enregistrée est plus en
rapport avec la fréquence réduite de consommation qu’avec le type
de sucre dans l’alimentation. La figure 3 montre les fréquentes
chutes de pH en corrélation avec le nombre de repas ou de collations
dans la journée
[23]
. Par ailleurs, la réduction de la fréquence des
repas potentialise l’effet anticarie du fluor.
Concentration en sucre
La chute de pH et sa durée sont plus prononcées avec
l’augmentation des concentrations en sucre. Cependant, les tests
télémétriques intraoraux ne montrent pas de différences très
importantes entre des solutions de concentrations de 2,5 à 10 %. Les
différentes solutions font chuter le pH pour une longue durée. Le
pH critique peut être atteint dans la plaque interproximale, même
avec des solutions sucrées de 0,1 à 1 %
[52]
. Les teneurs en sucre
dépassant 10 % ne provoquent pas plus de baisse de pH. Cependant,
le saccharose est également un facteur important dans la synthèse
des polysaccharides extracellulaires de la plaque ; par conséquent,
la consommation fréquente d’aliments à haute teneur en sucre est à
déconseiller.
Rémanence des sucres dans la cavité buccale
Les propriétés physiques et organoleptiques des aliments telles que
la taille des particules, la solubilité, l’adhérence, la texture et le goût
influencent les habitudes alimentaires, le flux salivaire et le séjour
des sucres dans la cavité buccale. Pendant et après la mastication,
les aliments sont éliminés sous l’effet de la salive, grâce à l’activité
des muscles masticatoires de la langue, des lèvres et des joues. La
durée d’élimination est prolongée par des facteurs propres à la
denture ou par une forte viscosité de la salive ou par une faible
activité musculaire.
Les sucres contenus dans les fruits, les légumes et les boissons sont
normalement éliminés de la cavité buccale en 5 minutes. Ceux
apportés par les chewing-gums, les caramels et les bonbons
subsistent dans la cavité buccale pendant 20 à 40 minutes.
La grande résistance à la mastication de certains aliments et la
consommation de certains corps gras réduisent le temps de présence
des sucres en bouche. La mastication, après consommation de
saccharose, de produits fromagés, de cacahuètes, de chewing-gums
sans sucre, neutralise très rapidement le pH de la plaque
[10, 52]
.
Les variations individuelles dans la vitesse d’élimination des sucres
et les habitudes alimentaires sont des facteurs aussi importants que
le choix des aliments pour établir la cariogénicité d’un régime
alimentaire.
Composants alimentaires protecteurs
Les aliments qui réduisent activement les effets des sucres
alimentaires en inhibant la déminéralisation, en réduisant ou en
prévenant la formation ou l’accumulation des acides dans la plaque
sont considérés comme ayant une action thérapeutique. Des
inhibiteurs naturels de la déminéralisation sont présents dans
plusieurs aliments tels que l’acide phytique dans les céréales, l’acide
glycyrrhizinique dans les produits de réglisse et un facteur non
identifié dans le cacao. Certains facteurs sont supprimés par le
raffinage des produits. Des effets bénéfiques sont également
attribués aux fromages, en raison de leur teneur élevée en calcium
et en phosphates et de leur action inhibitrice de la glycolyse
[50]
.
La stimulation salivaire par les chewing-gums sans sucre induit un
effet favorable sur la reminéralisation, le métabolisme de la plaque
et l’élimination des lactates de la plaque
[50, 57]
.
Des inhibiteurs de la dissolution acide de l’émail ont été également
proposés comme additifs dans les aliments, tels que des phosphates
organiques et inorganiques
[23]
.
Substituts du sucre
De nombreuses recherches ont été entreprises pour trouver des
substituts de saccharose. Les nombreux édulcorants disponibles,
caloriques ou non, sont utilisés de façon restreinte et réglementée.
Les substituts non caloriques du sucre, classés non cariogéniques, la
saccharine, le cyclamate et l’aspartame, sont utilisés comme
édulcorants dans les boissons, le café et le thé.
Le fructose, le galactose et le sucre inverti gardent un potentiel
cariogénique élevé. Les alcools de sucre, tels que le sorbitol et le
lycasin, possèdent un potentiel cariogénique faible, alors que celui
du xylitol est considéré comme nul.
Le xylitol est préférable au sorbitol et au lycasin dans les produits
fréquemment consommés. Ces édulcorants sont utilisés dans les
chewing-gums, les pastilles, les bonbons et les médicaments. Leur
consommation doit être réduite en raison de leur effet secondaire
laxatif. En prévention, le but principal consiste à réduire la
consommation des produits sucrés et particulièrement leur
fréquence. Toutefois, les édulcorants sont recommandés pour des
produits de quantité réduite consommés fréquemment
[10]
.
RELATION ENTRE SALIVE ET CARIE DENTAIRE
Facteurs organiques non spécifiques
La cavité buccale est protégée contre la carie dentaire par des
facteurs immunitaires et non immunitaires. Les facteurs non
immunitaires, synthétisés localement dans les glandes salivaires,
sont essentiellement des protéines enzymatiques (tableau III).
Le lysozyme a des propriétés antimicrobiennes déterminantes qui
laissent supposer une corrélation avec l’activité carieuse
[89]
.
Cependant, toutes les études cliniques ne confirment pas cette
hypothèse.
JT
8,0
7,0
6,0
5,0
8 9 10 11 12 13 14 15 16 17 18 19 20 21 22 23 24 heures
pH plaque
petit
déjeuner café déjeuner thé dîner café
figues
café
biscuit
chocolat banane JT
8,0
7,0
6,0
5,0
8 9 10 11 12 13 14 15 16 17 18 19 20 21 22 23 24 heures
pH plaque
petit déjeuner café déjeuner thé dîner café
3Corrélation entre la fréquence des repas et collations par jour et les chutes de pH
chez deux sujets A et B ayant deux modes alimentaires différents (d’après Edgar
et Higham
[23]
).
*
A
*
B
A. Repas + collations + boissons sucrées.
B. Repas + boissons non sucrées.
Odontologie Thérapeutique étiopathogénique de la carie dentaire 23-010-F-10
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