Depuis un mois donc, les soignants sont entrés en résistance, rassemblant à travers une
multitude d’actions toutes les disciplines (et notamment quelques cadres et médecins),
syndiqués (CGT, SUD et Union Syndicale de la Psychiatrie) et non-syndiqués : journée de
grève hebdomadaire avec paralysie de l’administration et pique-nique géant, actions de
sensibilisation du public, des élus, des familles de patients, occupation symbolique du CHS
par l’installation, 24 heures sur 24, d’une tente de résistance placée à l’entrée, lieu de
rencontre festif (cette tente a été récemment déplacée dans la salle de réunion de
l’administration, fraîcheur automnale oblige !).
Cette mobilisation sans précédent du personnel, dont la solidarité et la ferveur à
défendre leur outil de travail au service de la population se sont renforcés au fil des jours, a
contraint la direction de l’hôpital à des négociations, et à concéder un certain nombre de
points : réexamen de la situation des contractuels avec engagement à en embaucher un certain
nombre, maintien de la prise en charge des frais de déplacement en CMP… Cependant, après
plusieurs heures et deux séances de négociations, un accord n’a pas pu être signé sur la
nécessité de préserver un effectif de fonctionnement suffisant dans chaque unité
d’hospitalisation : la direction exigeant in extremis que l’accord mentionne que cet effectif
dépend « des contraintes financières pesant sur l’établissement (EPRD) », les représentants du
personnel ont alors accepté de faire référence à ces contraintes financières de la direction,
mais en soutenant jusqu’au bout qu’elles « lui sont propres ».
Cette simple locution représente bien un enjeu majeur : accepter de reconnaître le
primat de la logique financière sur la logique de soins, accepter que l’EPRD, susceptible
d’être révisé chaque année à la baisse, devrait dicter la politique médicale du service public de
secteur psychiatrique, c’est accepter une pénurie croissante, l’abandon inéluctable des
catégories les plus indésirables et coûteuses de nos patients, au nom d’impératifs gestionnaires
de rentabilité. Pire encore : c’est exiger des soignants qu’ils fassent leur, qu’ils intériorisent
cette contrainte financière supposée, qu’ils soient co-responsables de décisions économiques
injustes dont l’administration cherche ainsi à se décharger, en les faisant passer faussement
pour une réalité supérieure, intangible… On retrouve dans cette intention inavouable les
techniques du management par « la responsabilisation des acteurs », justement critiqué par
des auteurs comme Christophe Dejours ou Jean-Pierre Le Goff, qui ont comparé l’idéologie
du « réalisme économique » néolibéral au nazisme, dans la mesure où il induit également une
soumission pathologique de masse…
Et maintenant ? Bien évidemment, le mouvement continue ! Car nous ne
cautionnerons pas cette casse de nos métiers et de notre déontologie (au service du patient et
en toute indépendance !), cette perversion gestionnaire et sécuritaire de notre psychiatrie
publique, commanditées par un système politico-économique manifestement à bout de
souffle, et qui cherche à nous enrôler dans sa folle fuite en avant. Une médiation pourrait être
proposée pour sortir de la crise, mais elle reste soumise au bon-vouloir de l’ARS, dont le
nouveau directeur vient… de l’industrie des alliages spéciaux. Souhaitons qu’il découvre la
formule alchimique qui évitera la transformation des soignants du CHS d’A. en moutons
bêlants de la psychiatrie de marché !
Collectif des soignants du Centre Hospitalier Spécialisé d’A.