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INTRODUCTION
NOTION DE MODÈLE
Il n'existe pas de méthode scientique unique - dans le sens bien précis d'un ensemble de
lois rigides - qui serait suivie comme règle de travail par les chercheurs de toutes les disci-
plines et qui conduirait automatiquement à des découvertes. Cependant, il est possible de
décrire des procédés couramment utilisés dans une recherche et qui sont adoptés par la
plupart des scientiques. Il apparaît alors un cycle itératif de travail représenté ci-dessous.
De cet organigramme, il ressort que l'élaboration d'une théorie ou d'une hypothèse de tra-
vail (par exemple : « deux objets s'attirent proportionnellement à leurs masses »), joue un
rôle primordial dans la pensée scientique. En science la théorie sert à créer des liens logi-
ques et à concevoir de nouvelles situations, mais au moment de sa conception il est souvent
difcile d'interpréter les observations dans toute leur complexité ; c'est pourquoi les savants
ont très vite inventé des « modèles » qui décrivaient la réalité d'une manière simpliée.
Ainsi, un modèle est une description théorique simpliée de la réalité qui permet d'effec-
Poser clairement un probme
Etudier les connaissances existantes
sur le sujet (bibliographie)
Procéder à diverses observations
applicables au probme (expérience)
Elaboration dune hypothèse
(théorie, modèle)
Test de l’hypothèse par les observations,
les études, les expériences
L’hypothèse semble correcte? Publication dans une revue scientifique, afin
de soumettre l’hypothèse aux critiques et
vérifications des autres chercheurs
L’hypothèse est rifiée
et acceptée?
non oui
non
oui
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tuer des prédictions concernant des événements futurs. En physique, ces événements sont
des expériences ou des observations. Les modèles constituent un des outils fondamentaux
de la plupart des sciences (sciences naturelles, informatique, économie, histoire, etc.) Ce
cours a pour but d'initier à la conception, au perfectionnement et à l'utilisation de ces mo-
dèles tels qu'on les rencontre en physique.
LIMITES DES PRÉDICTIONS D'UN MODÈLE
Ce paragraphe introductif voudrait restituer l'idée de prédiction, qui est le but d'un modèle,
dans le cadre général de l'effort humain pour prédire l'avenir. N'est-ce pas d'ailleurs un
des rôles sociaux essentiels des économistes ? Prédire l'avenir économique d'une société et,
si cette prévision est peu engageante, donner les instructions qui permettront de rétablir à
terme la prospérité ou de provoquer les mutations sociales nécessaires.
Une telle prétention est-elle raisonnable ? L'ambition de ce cours est d'être en quelque sorte
une sonnette d'alarme qui prémunisse l'étudiant contre une foi trop aveugle et trop étroite
dans ses modes de représentation de la réalité. Les aspects de la réalité étudiés en physique
sont beaucoup plus simples que ceux qui occupent les économistes et pourtant l'histoire de
la physique est balisée par une foule de modèles abandonnés. Aujourd'hui encore, le rebut
est considérable car il est à la mesure des exigences qu'on leur impose : ne jamais décevoir.
Toutefois, chaque déconvenue permet un progrès dont bénécie le dernier modèle en date.
La critique est donc génératrice de progrès. C'est pour avoir écarté trop longtemps la criti-
que que la société intellectuelle a parfois été un frein plutôt qu'un moteur de l'évolution so-
ciale. Essayer de prédire est donc un facteur de progrès pour autant que l'on ne soit pas trop
conant dans les prédictions obtenues.
L'idée même de la possibilité d'une prévision remonte aux astrologues antiques et découle
de l'existence de phénomènes naturels cycliques : l'alternance du jour et de la nuit, le retour
des saisons. Point besoin d'être savant pour prédire le lever du soleil. Par contre, annoncer
à l'avance le lever des étoiles, la position des planètes au rmament et surtout la date des
éclipses a imposé un effort d'observation et de classement que l'on se doit d'admirer.
Qu'apportaient ces observations ? La preuve que les dieux célestes eux-mêmes étaient
soumis à des lois que l'homme attentif pouvait connaître. Si donc le comportement des
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dieux était prévisible, pourquoi ne pas tenter de prévoir le comportement des hommes
puisqu'ils étaient soumis à des inuences divines « connues » ?
La naïveté de ce modèle, car cela en est un, provient à la fois de l'ignorance des mages
quant à la nature exacte des inuences qui conditionnent en partie le devenir humain et de
leur désir d'apporter coûte que coûte des réponses aux questions pressantes de leurs maîtres
royaux.
Ce sont encore les mêmes écueils que rencontrent aujourd'hui les experts de tous genres et
la tentation est grande pour eux de masquer leur ignorance en formulant des avis trop peu
étayés.
La démarche suivie lors d'une prédiction se divise en plusieurs étapes :
1. l'avenir d'un système (physique, socio-économique, etc.) résulte des actions
auxquelles ce système est soumis ;
2. le mode d'action des inuences principales peut être décrit de manière simple ;
3. les agents responsables de ces inuences sont soumis à des lois qui permettent
de prédire leur comportement futur.
Ces trois étapes forment ce que l'on appelle un « modèle » de la réalité et elles constituent
la partie centrale de l'organigramme de recherche qui a été présenté plus haut. Il est donc
raisonnable d'espérer pouvoir effectuer des prévisions basées sur les connaissances acqui-
ses par les deux dernières étapes. La prédiction qui en résulte est déterminée de manière
aussi exacte que possible et les événements réels sont comparés avec les faits prédits. À
partir de cette confrontation, le modèle est éventuellement amélioré ou abandonné en fa-
veur d'un nouveau modèle plus apte à décrire la réalité dans sa complexité.
Il existe, dans la dénomination « modèle », une ambiguïté qu'il faut lever immédiatement.
Dans la vie courante, le modèle est considéré comme l'être accompli qu'il faut imiter ou
reproduire. En technique ou en sciences, le modèle est une schématisation de laquelle on a
éliminé toute une série de caractéristiques jugées inutiles pour le but qu'on se propose. De
plus - et c'est une remarque très signicative - le modèle est presque toujours choisi de ma-
nière à faciliter son étude à l'aide d'outils déjà disponibles ou faciles à créer.
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Il y a donc une grande part d'arbitraire dans le choix d'un modèle puisqu'il nous est difcile
de juger, avant étude, qu'un paramètre ne joue aucun rôle et aussi parce que les meilleurs
outils à utiliser ne sont pas nécessairement déjà connus.
Ainsi, les Grecs, pourtant excellents analystes en philosophie, refusèrent-ils d'envisager des
mouvements célestes autres que circulaires. Cet entêtement traversa le Moyen-âge et ne fut
brisé que par Johannes Kepler (1571-1630) qui montra au début du XVII
e
siècle que les
observations des planètes s'expliquaient simplement si l'on supposait qu'elles décrivent des
ellipses dont le soleil est un des foyers. Cette trouvaille décisive ne fut possible que parce
que les observations sur lesquelles se basait Kepler, et qui sont dues à Tycho Brahe (1546-
1601), sont encore considérées aujourd'hui comme remarquablement précises, surtout
quand on songe qu'elles furent faites à l'œil nu. La cause de cette forme elliptique a cepen-
dant échappé à Kepler. C'est Isaac Newton (1643-1727), un demi-siècle plus tard, qui l'at-
tribua à la forme d'attraction exercée par le soleil dont il donna la loi.
ORIGINES ET ÉVOLUTION DE LA THERMODYNAMIQUE
La thermodynamique, qui constitue une partie de la physique, se prête particulièrement
bien à l'étude de l'aspect logique de la démarche qui conduit à la conception d'un modèle, à
son évolution, et éventuellement à son abandon pour un modèle plus approprié.
Initialement, on pourrait dire que la thermodynamique était la science des bilans et du ren-
dement. En effet, la thermodynamique a été fondée au XIX
e
siècle pour augmenter le ren-
dement des machines à vapeur qui révolutionnaient la production industrielle et les trans-
ports. Il ne s'agissait donc pas d'une théorie académique et la thermodynamique est tou-
jours appliquée aujourd'hui par les ingénieurs qui s'occupent de moteurs et de production
d'énergie. Toutefois, on s'est rapidement aperçu que les lois de la thermodynamique débor-
daient de très loin le cadre des machines et même, d'un certain point de vue, qu'elles pou-
vaient prétendre à régir le fonctionnement d'un système quelconque : physique, biologi-
que…
et même parfois socio-économique !
Lors de la seconde guerre mondiale, on s'est en outre rendu compte que l'augmentation du
rendement des lignes téléphoniques passait par des raisonnements du type de ceux utilisés
en thermodynamique. C'est ce que l'on a appelé la théorie de l'information et qui est à la
base de toutes les techniques de transfert et de traitement des données.
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An de mieux comprendre par la suite cette évolution de la thermodynamique, il est bon de
situer dans le temps les étapes de la création des différents modèles thermodynamiques qui
seront étudiés dans ce cours.
Jusqu'au début du XVIII
e
siècle, on considérait que tout travail mécanique avait
pour origine une force mécanique (cheval, vent, eau, etc.)
XVIII
e
siècle : avec l'invention de la machine à vapeur en l7l2, par Thomas
Newcomen (1663-1729), du travail mécanique est produit à partir de chaleur.
Bien que les ingénieurs perfectionnent les applications de cette idée et qu'il en
résulte la révolution industrielle, on ne s'explique pas la relation qui peut exister
entre ces deux notions : chaleur et travail.
À la n du siècle, Benjamin Thompson, comte Rumford (1753-1814), quantie
la conversion de chaleur en travail, posant un jalon sur la voie menant au pre-
mier principe de la thermodynamique.
XIX
e
siècle : les physiciens essaient de sortir de l'empirisme, seul guide jusqu'à
présent des inventeurs qui ont amélioré le rendement de la machine à vapeur ;
ils veulent construire un modèle qui leur donnera les lois du rendement.
Quelques étapes importantes :
l824, publication par Sadi Carnot (1796-1832) d'un opuscule intitulé :
«exions sur la puissance motrice du feu et sur les machines propres
à développer cette puissance », il développe un modèle qui donne les
lois de la conversion de la chaleur en travail mécanique mais qui ne
conclut pas encore que la chaleur (feu) est une forme d'énergie (puis-
sance motrice), alors que cette équation était écrite implicitement dans le
titre de son ouvrage !
l843, James Prescott Joule (1818-1889) publie un article sur la « Théorie
dynamique de la chaleur » et il donne une base solide à une idée fonda-
mentale du modèle de ce que l'on a appelé depuis lors la thermodynami-
que classique : la chaleur et le travail sont des formes d'énergie.
Jusqu'à la n du siècle, succès croissant et perfectionnement du modèle
de la thermodynamique classique ; en conséquence on veut tout expli-
quer par ce modèle. Ainsi,
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