RACINES241 - mars 2013 21/02/13 15:41 Page44 RACINES. Vivre entre Sèvre et Loire Texte et dessins de René Seigneuret Héloïse et Abélard Une passion éternelle Cette histoire médiévale a traversé neuf siècles. Symbole de l’amour entre deux êtres qui ont fait de leur vie la preuve d’un attachement exemplaire. histoire d’Abélard et Héloïse ressemble à celle de Roméo et Juliette ou de Tristan et Iseult. Mais si ces deux dernières sont le fruit du légendaire ou de l’imaginaire, celle d’Abélard et Héloïse est bien réelle. Tristan et Iseult est une légende celtique du XIIe siècle et Roméo et Juliette une œuvre dramatique de William Shakespeare écrite au XVIe siècle. Elle se déroule dans la première moitié du XIIe siècle, deux siècles avant la Guerre de Cent Ans, alors que Louis VI règne sur le royaume de France : cinquième des rois capétiens, il fut l’initiateur des premières communes rurales. Le Royaume de France est une nation féodale. Malgré cela, elle évolue dans le domaine de ce que l’on appellerait aujourd’hui la culture des Arts et des Lettres, dans un climat de L’ ferveur religieuse très marquée. Mais revenons à Pierre Abélard. Il voit le jour au Pallet, à cinq lieues au sud de Nantes, à la fin du XIe siècle, en 1079 (c’est la date le plus souvent citée). Son père est un gentilhomme breton, seigneur du Pallet. Pierre est l’aîné d’une famille de cinq enfants, quatre garçons et une fille. On sait peu de choses sur sa jeunesse au Pallet. Comme aîné de la famille, il aurait dû embrasser une carrière militaire. Mais alors qu’il a vingt ans, il renonce à son héritage et part à Paris rejoindre Guillaume de Champeaux à l’École Saint-Victor dans l’île de la Cité, pour étudier la philosophie et la théologie pendant quelques années. Bientôt Abélard désire enseigner à son tour. C’est ainsi qu’il part pour Melun et Corbeil. À chacun de ses cours les auditeurs sont de plus en plus nombreux : Pierre Abélard devient célèbre ! Fort de sa notoriété, il revient à Paris, à l’École de Notre-Dame. Il fait également un long séjour à Laon pour y parfaire sa connaissance en théologie. Désormais Pierre Abélard fait partie des notables dans le domaine de la philosophie, de la théologie. Il enseigne aussi la dialectique. La rencontre Abélard qui dirige alors l’École de Notre-Dame, rencontre le chanoine Fulbert prêtre de la paroisse. Ce dernier lui demande de donner des cours particuliers à sa nièce Héloïse, âgée d’environ 15 ans. Fille d’une riche La reproduction ou l'utilisation sous quelque forme que ce soit de nos articles informations et photos est interdite sans l'accord du magazine RACINES 44 mars 2013 RACINES241 - mars 2013 21/02/13 15:41 Page45 RACINES. Vivre entre Sèvre et Loire Suger, est accueillie dans le nouveau monastère et en devient l’abbesse. Abélard, pour sa part, rejoint les moines de Cluny et intègre l’abbaye Saint-Marcel près de Chalonsur-Saône. Après quelques retours à Paris, c’est en ce lieu qu’il termine ses jours en 1142. C’est en 1139 que le Concile du Latran instituera le célibat des clercs de l’église. Héloïse qui est toujours l’abbesse du Paraclet, obtient de l’abbaye de Cluny, que le corps d’Abélard soit inhumé dans l’enceinte de son monastère. Il lui reste encore de nombreuses années à vivre et elle honorera celui qui fut son époux tant aimé, qu’elle rejoindra dans l’au-delà en l’an 1164. En 1792, le monastère est vendu comme bien national, puis détruit par les acquéreurs qui ont quand même le souci de sauvegarder les sépultures d’Abélard et d’Héloïse. Après un long parcours , leurs cendres seront finalement réunies pour l’éternité dans un même tombeau en 1817, au cimetière du Père Lachaise à Paris. Ainsi se termine la belle histoire d’Abélard et d’Héloïse qui ont laissé au monde l’image d’un amour parfait et une correspondance sous forme de poèmes dont chacun de nous peut s’inspirer. Lettre d’Héloïse à Abélard Dans ces lieux habités par la seule innocence, Où règne, avec la paix, un éternel silence, Où les cœurs, asservis à de sévères lois, Vertueux par devoir, le sont aussi par choix ; Quelle tempête affreuse à mon repos fatale, S' élève dans les sens d' une faible vestale ? De mes feux, mal éteints, qui ranime l'ardeur ? Amour, cruel amour, renais-tu dans mon cœur ? Hélas, je me trompais ! J'aime, je brûle encore ! Ô nom cher et fatal ! ... Abailard ... je t'adore ! Cette lettre, ces traits, à mes yeux si connus, Je les baise cent fois, cent fois je les ai lus. De sa bouche amoureuse Héloïse les presse ; Abailard ! Cher amant ! Mais quelle est ma faiblesse ? Quel nom, dans ma retraite, osé-je prononcer ? Ma main l'écrit ! ... Eh bien, mes pleurs vont l'effacer ! Dieu terrible, pardonne, Héloïse soupire. Au plus cher des époux tu lui défends d'écrire, À tes ordres cruels Héloïse souscrit... Que dis-je ? Mon cœur dicte... et ma plume obéit (…) Extrait : traduction de Charles-Pierre Colardeau, poète (1732-1776). Orthographe modernisée Le Pallet se souvient En septembre 2011, une statue d’Héloïse et Abélard a été érigée sur le site de la Chapelle Sainte-Anne au Pallet, œuvre de Sylviane et Bilal HassanCourgeau (notre photo). Quant à Astrolabe, fils d’Héloïse et Abélard, né en 1117 et recueilli par Denise, sœur d’Abélard, il passe, selon toute vraisemblance, son enfance au Pallet. Puis il se fait moine dans une abbaye près de Nantes, à la mort de son père, en 1142. (Photo : René Seigneuret) famille parisienne, elle a fait toutes ses études au monastère d’Argenteuil. Au bout de quelques temps s’établit entre le maître et l’élève un amour passionnel… Toujours est-il qu’Héloïse attend un enfant. Le chanoine Fulbert informé de la chose, chasse Abélard. Celui-ci, avant de s’exiler en Bretagne, entraîne avec lui Héloïse, sa bien-aimée. Quelques mois plus tard la jeune femme accouchera d’un garçon qu’ils prénommeront Astrolabe. Pensant que la colère du chanoine Fulbert s’est apaisée et laissant leur enfant aux bons soins de la sœur d’Abélard, les deux amants repartent à Paris. Héloïse accepte, à contrecœur d’ailleurs, d’épouser Abélard, mais par un mariage secret. C’est sans compter sur le chanoine, bien décidé à punir celui qui a trahi sa confiance. Quelque temps après et avec la complicité d’un serviteur, Fulbert engage des hommes de mains qui s’introduisent chez Abélard, le capturent et l’émasculent. Pour cet acte contre nature, ses agresseurs seront condamnés par le roi Louis VI, et le chanoine Fulbert démis de sa charge. Désormais Héloïse et Abélard en sont réduits à s’aimer de façon platonique, mais tout aussi passionnelle. Héloïse se fait religieuse au monastère d’Argenteuil et Abélard, après s’être remis de sa blessure se fera moine à l’abbaye de Saint-Denis. C’est alors que va s’établir entre les époux une correspondance secrète, ou se mêle la ferveur religieuse, l’amour encore plus fort sur fond de béatitude. Si Héloïse reste fidèle au monastère d’Argenteuil, Abélard parcourt les abbayes. Il y crée des oratoires où il dispense ses enseignements, comme celui du Paraclet près de Nogent-sur-Seine. Quelques années plus tard, Abélard devient le prieur du monastère de Saint-Gildas-de-Rhuys, près de Vannes, en Bretagne. Vers 1129, il rencontre Pierre le Vénérable, prieur de l’abbaye de Cluny. Celui-ci lui demande de fonder un monastère près de l’oratoire du Paraclet. Un an plus tard, Héloïse qui vient d’être chassée, avec d’autres moniales, du monastère d’Argenteuil par l’abbé La reproduction ou l'utilisation sous quelque forme que ce soit de nos articles informations et photos est interdite sans l'accord du magazine RACINES 45 mars 2013