Correspondances en Onco-Théranostic - Vol. II - n° 2 - avril-mai-juin 2013
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Vocabulaire
Correspondances en Onco-Théranostic - Vol. II - n° 2 - avril-mai-juin 2013
* © Le Courrier de la Transplantation 2002;1(2):4.
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UN MOT À FACETTES :
TOLÉRANCE* Par Alain Rey, directeur de la rédaction
du Robert, Paris
“Tolérance zéro !” clament, avec un fier mou-
vement de menton, les apôtres de la sécu-
rité totale dans la société. La tolérance, vertu
pour l’esprit, n’a pas forcément bonne réputation. On
se souvient du mot méprisant de Paul Claudel : “La
tolérance, il y a des maisons pour cela”. Ainsi, la foi
n’exclut pas la mauvaise foi.
À l’origine, l’idée de tolérance se fonde sur un exploit
physique. Le verbe latin tolerare, comme son origine
tollere, apparenté à une riche série indo-européenne,
transmet la notion de “porter”. Qui porte doit sup-
porter. Alors que tollere s’est dirigé vers l’action de
soulever et d’emporter, tolerare a pris en charge – c’est
le cas de le dire – le poids qui pèse sur les épaules.
Le tolerator, mot de saint Augustin, n’est pas un doux
supporteur, c’est un Atlante et un athlète.
Avec tolérer et tolérance, la langue française a choisi
d’exprimer d’un côté la résistance physique et morale,
de l’autre l’indulgence et l’ouverture d’esprit, qui per-
mettent, c’est vrai, du fond de l’universel égotisme
humain, de supporter autrui. Quand tolérer est passé,
vers 1850, au domaine physiologique, on n’avait pas
oublié un emploi vieux de trois siècles, qui exprimait
la résistance de l’organisme à une épreuve physique.
Avec la physiologie moderne, Xavier Bichat ou Claude
Bernard, par exemple, on put envisager l’acceptation
ou le refus par un être vivant, puis par un organe
ou un tissu, d’un facteur pathogène : intolérance a
suivi rapidement tolérance – qu’on rencontre dans
les années 1830 – dans cet usage. S’il est un domaine
où l’acceptation et le rejet, la compatibilité ou son
contraire, conditionnent toute action, c’est bien celui
qui fut nommé, en référence à la botanique, greffe,
transplantation. Survint alors le besoin de désigner
la propriété, pour un organisme, d’être réfractaire à
une action perturbatrice, idée qui s’installa (le diction-
naire de médecine de Charles Robin, revu philologi-
quement par Littré, en porte témoignage en 1867)
dans un mot ancien, immunité. Immunitas exprime
l’exemption du munus, de la charge, de l’impôt, une
sorte de “franchise” qui fut d’abord celle des villes et
des bourgs (franches et francs), origine médiévale
de la bourgeoisie. Dans le royaume des organes et
des tissus, l’immunité est aussi protection, garantie,
exemption des violences et des attaques. Les deux
métaphores anciennes, celle de la résistance (tolé-
rance) et celle de l’exemption (immunité), se sont enfin
conjuguées pour engendrer la tolérance immunitaire.
Son contraire n’est plus intolérance, mais rejet. Elle ne
concerne pas seulement la lutte contre les maladies
proliférantes et la protection des organes transplan-
tés, mais aussi la propagation de l’espèce, en rendant
le petit étranger désiré, le fœtus, tolérable à l’orga-
nisme maternel. Après le détour par la morale et les
idées, la tolérance physique, cet effort pour survivre
sous la contrainte et résister à des forces hostiles, se
manifeste à nouveau dans la mécanique de la vie et
sa résistance aux agressions. La médecine montre
que la tolérance est ambiguë : c’est son objet qu’il
faut choisir, au nom d’une bioéthique.