Revue
Maladie de Fabry : maladie systémique
Olivier Lidove
1,2
, Bernard Iung
3
, Eric Brochet
3
, Dominique Himbert
3
, Floriana Deliu
1
,
Jean-Pierre Laissy
4
, Emmanuel Andrès
5
, Thomas Papo
1,2
1
Service de médecine interne, hôpital Bichat-Claude Bernard, Paris
2
Centre de référence des maladies lysosomales (CRML), hôpital Beaujon, 100 bd du Général-Leclerc, 92118 Clichy Cedex
3
Service de cardiologie, hôpital Bichat-Claude Bernard, Paris
4
Service de radiologie, hôpital Bichat-Claude Bernard, Paris
5
Service de médecine interne, clinique médicale B, hôpitaux universitaires de Strasbourg, CHRU, Hôpital civil, 1, place de l’Hôpital,
67091 Strasbourg Cedex
Résumé.La maladie de Fabry est une maladie systémique dont le phénotype inclut souvent des manifestations cardiaques. Elle se transmet
par le chromosome X mais les femmes peuvent être atteintes parfois avec des atteintes sévères. Toutes les structures cardiaques peuvent être
atteintes. La reconnaissance de cette maladie chez les patients est importante car il existe depuis 4 ans une approche thérapeutique spécifique.
Le diagnostic d’un cas index nécessite de faire un arbre généalogique afin de dépister d’autres cas familiaux.
Mots clés : maladie de Fabry, cardiomyopathie hypertrophique, traitement enzymatique spécifique, arbre généalogique
Abstract.Fabry disease: a systemic disease. Phenotypes of Fabry disease usually include cardiac manifestations. This is an X-linked disease.
Females are not only carriers but they are also sometimes affected with severe organ involvements. All the cardiac structures may be involved.
To make a diagnosis of Fabry disease is important because a specific therapy has been available since 2001. A genealogical tree has to be made
when a proband is identified.
Key words: Fabry disease, hypertrophic cardiomyopathy, enzyme replacement therapy, pedigree
La maladie de Fabry est une mala-
die héréditaire du métabolisme,
due à un déficit en alpha galactosi-
dase A, enzyme lysosomale qui,
lorsqu’elle fonctionne normalement,
clive les sphingolipides et permet leur
dégradation et leur élimination. En cas
d’anomalie qualitative ou quantitative
de cette enzyme, le globotriaosylcéra-
mide (Gb3) se dépose à l’intérieur des
cellules et entraîne les atteintes d’or-
ganes qui seront décrites ci-dessous.
La fréquence de la maladie est estimée
à 1/117 000 naissances mais est pro-
bablement sous-estimée. Le gène co-
dant pour la synthèse de l’alpha galac-
tosidase A est situé sur le chromosome
X en position Xq22 et il comprend
7 exons. À ce jour, plus de 300 muta-
tions ont été identifiées.
La maladie de Fabry doit être
considérée comme une maladie systé-
mique et le cœur ne représente qu’un
des organes potentiellement atteints.
Elle conduit à une atteinte sévère de
plusieurs organes, avec une espérance
de vie moyenne en l’absence de trai-
tement voisine de 50 ans chez
l’homme et de 70 ans chez la femme.
On distingue schématiquement trois
phases chronologiques dans son évo-
lution. Les chiffres donnés ci-dessous
concernent les hommes. L’ensemble
des atteintes peut être rencontré chez
la femme, avec une moindre fré-
quence et en général un âge d’appari-
tion plus tardif d’environ 10 ans.
Maladie de Fabry :
maladie systémique
Une première phase, dite précoce,
touche les patients de0à20anset
comporte des acroparesthésies, qui
sont des douleurs présentes dans plus
de 80 % des cas masculins, sous
forme de brûlures récurrentes des ex-
trémités, débutant parfois dans l’en-
fance, pouvant être déclenchées par
une exposition au chaud, une poussée
m
t
c
Tirés à part : O. Lidove
mt cardio 2006 ; 2 (3) : 355-65
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de fièvre, un manque de sudation, le stress, la fatigue. Ces
douleurs sont parfois associées à des douleurs abdomina-
les, parfois pseudo-chirurgicales, et à des diarrhées. Le
diagnostic en est difficile puisque l’examen clinique est le
plus souvent normal avec des réflexes normaux, une ana-
lyse des sensibilités normale ou difficile à interpréter et un
électromyogramme souvent normal. Un deuxième signe
présent dès la phase précoce est l’existence d’angiokéra-
tomes, situés habituellement aux lombes, au scrotum,
entre l’ombilic et les genoux avec, classiquement, une
disposition en caleçon. Les lésions sont en général symé-
triques mais peuvent être à distance de cette région, par
exemple sur le visage ou les membres supérieurs. Il existe
d’importantes variations d’un patient à l’autre dans la
répartition et la densité des angiokératomes. Les lésions
sont parfois isolées (figure 1). Elles sont maculeuses ou
maculopapuleuses, violacées, non prurigineuses, ne s’ef-
façant peu ou pas à la vitropression. Elles sont parfois
confondues avec des tâches rubis. Elles sont parfois asso-
ciées à une hypohidrose ou à une anhidrose, synonyme de
diminution ou d’abolition de la sudation, touchant 80 %
des hommes. Ce symptôme est responsable d’une intolé-
rance à la chaleur, à l’effort physique et à la fièvre. Le
dernier signe de la phase précoce est la cornée verticillée
qui correspond à des dépôts épithéliaux grisâtres diffus ou
linéaires et d’aspect tourbillonnant (figure 2). Lorsque
cette atteinte est périphérique, elle est uniquement visible
à un examen à la lampe à fente qu’il faut demander à
l’ophtalmologiste. Il est à noter que cette atteinte ne reten-
tit pas sur l’acuité visuelle et qu’elle n’est donc pas source
de plainte de la part du patient. Des traitements au long
cours par amiodarone ou antipaludéens de synthèse peu-
vent donner un aspect identique. Au total, le maître symp-
tôme à cette phase est la douleur sous forme d’acropares-
thésies, qu’il faut savoir rechercher à l’interrogatoire.
La deuxième phase de la maladie est appelée phase
quiescente ; elle concerne les patients âgés de 20 à
30 ans. La plupart des symptômes vus précédemment
persistent ou progressent. En revanche, les acroparesthé-
sies peuvent diminuer progressivement et spontanément,
voire disparaître. Il est donc très important à cette phase de
demander au patient s’il a des douleurs et s’il avait des
douleurs dans le passé. En général, l’atteinte rénale appa-
raît à cet âge avec une protéinurie habituellement asymp-
tomatique. Il n’existe en général pas d’hypertension arté-
rielle à ce stade.
De nouvelles atteintes ont été plus récemment décrites
au cours de la maladie de Fabry et complètent le phéno-
type : hypoacousie de perception (figure 3), ostéonécrose
aseptique de la tête fémorale, syndrome obstructif chroni-
que non lié au tabac, douleurs abdominales, diarrhées,
troubles psychiatriques, ostéoporose et des signes
dermatologiques (télangiectasies, lymphœdèmes, faciès
ressemblant parfois à celui de l’acromégalie).
La troisième phase, ou phase tardive, concerne les
patients âgés de plus de 30 ans. Le premier symptôme
chronologiquement à apparaître est une atteinte neurolo-
gique centrale sous forme d’accident vasculaire cérébral
(AVC) du sujet jeune, qui touche de façon préférentielle le
système artériel vertébrobasilaire particulièrement sensi-
ble à l’artériopathie de la maladie de Fabry puisque
concernant les trois quarts des AVC.
Abréviations
AVC : accident vasculaire cérébral
CMH : cardiomyopathie hypertrophique
Gb3 : globotriaosylcéramide
HVG : hypertrophie ventriculaire gauche
TES : traitement enzymatique substitutif
Figure 1.Angiokératomes de l’ombilic chez un homme de 30 ans.
Figure 2.Cornée verticillée : un examen à la lampe à fente est
souvent nécessaire pour faire le diagnostic.
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Il s’agit le plus souvent d’une occlusion thrombotique
directe. Il peut s’y associer en imagerie un mégadolicho-
tronc basilaire. Ces AVC sont la plupart du temps ischémi-
ques et ont tendance à récidiver. L’âge moyen lors du
premier AVC est de 35 ans chez l’homme [1]. Parallèle-
ment à cette atteinte neurologique, la néphropathie glo-
mérulaire spécifique progresse, avec évolution vers l’in-
suffisance rénale chronique. On peut retenir de façon
schématique que 50 % des patients sont dialysés à l’âge
de 50 ans, et cela en l’absence de traitement spécifique.
Lorsqu’une biopsie rénale est pratiquée, elle affirme le
diagnostic, sous forme d’inclusions dans les cellules épi-
théliales glomérulaires (figure 4). L’atteinte cardiaque re-
présente la troisième complication grave et tardive de la
maladie ; elle sera détaillée ci-après.
Atteintes cardiaques au cours
de la maladie de Fabry
La maladie de Fabry a une présentation pléomorphe,
comme cela a été montré précédemment, et l’ensemble
des structures cardiaques peut être atteint.
L’atteinte cardiaque mime une cardiomyopathie hy-
pertrophique (CMH) [2, 3]. En général, l’épaisseur de la
Figure 3.Audiogramme : noter l’hypoacousie de perception bilatérale chez cette patiente de 48 ans.
Figure 4.Histologie rénale : les podocytes glomérulaires sont char-
gés de dépôts de sphingolipides.
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paroi postérieure et du septum interventriculaire est aug-
mentée. Il a par ailleurs été montré que l’hypertrophie
ventriculaire gauche (HVG), évaluée en échographie, était
un bon reflet de la sévérité de la maladie [4]. La maladie
de Fabry est à rajouter aux causes possibles de CMH [5],
bien que la fréquence exacte de la maladie de Fabry parmi
les populations étudiées et ayant une CMH soit variable
d’une étude à l’autre, allant de0à12%selon les travaux
[6-8]. Dans notre expérience, plus de la moitié des pa-
tients atteints avec CMH n’a pas d’hypertension artérielle.
La prévalence de la maladie de Fabry chez des patients
masculins avec CMH tardive a été évaluée par une équipe
londonienne. Les auteurs ont trouvé que 5 sur 79 hommes
âgés de plus de 40 ans avaient une maladie de Fabry, alors
que seulement 1 sur 74 patients âgés de moins de 40 ans
en étaient atteints (6,3 et 1,4 % respectivement) [9]. Dans
une cohorte de 75 patients consécutifs non apparentés et
ayant une cardiomyopathie hypertrophique, 40 patients
étaient porteurs d’une mutation d’une protéine du sarco-
mère. Chez les 35 patients restants, aucune mutation de la
maladie de Fabry n’a été identifiée. Dans cette même
étude, aucune maladie de Fabry n’a été identifiée chez 20
patients ayant une CMH majeure avec une épaisseur de la
paroi postérieure égale ou supérieure à 30 mm [8].
La caractérisation de l’HVG répond aux méthodes
habituelles et est fonction du rapport masse du ventricule
gauche/diamètre télédiastolique du ventricule gauche. Le
remodelage concentrique et l’hypertrophie concentrique
sont fréquemment constatés en échographie (37 et 50 %,
respectivement). En revanche, les hypertrophies excentri-
ques (10 % des cas) et l’hypertrophie asymétrique (3 %)
sont beaucoup plus rares. Cela est illustré en échographie
(figures 5-9). Il a été noté que le volume télédiastolique du
ventricule gauche diminuait avec la progression de la
maladie. On sait par ailleurs que les patients avec remo-
delage concentrique sont en général de8à10ansplus
jeunes que ceux ayant une hypertrophie concentrique.
L’IRM permet de quantifier l’HVG plus précisément que
l’échocardiographie et semble utile pour évaluer le degré
de fibrose du cœur [10]. L’imagerie par résonance
Figure 5.Échographies cardiaques. Coupe parasternale grand axe (G). Coupe apicale 4 cavités (D). Hypertrophie ventriculaire gauche
concentrique, femme de 57 ans.
Figure 6.Insuffisance mitrale minime centrale, femme de 57 ans.
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Figure 7.Anomalie de remplissage avec élévation des pressions de remplissage. Rapport E/A = 1,5, rapport E/Ea = 11.
Figure 8.Hypertrophie ventriculaire gauche sévère, calcifications
valvulaires mitrales, homme de 40 ans.
Figure 9.Calcifications mitro-aortiques, homme de 40 ans.
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