Franc tireur de la création contemporaine en périphérie, plasticien sniper habitué à l’âpreté des territoires de la banlieue parisienne, Dimitri Xenakis ouvre les portes des anciens établissements Michel à six artistes aux tempéraments différents, dont les créations sont nettement plus graciles, intimistes voire même discrètes. L’exposition les place dans le cadre de l’exploration des stratifications urbaines et de l’imaginaire de la ville, territoires qu’il continue d’explorer inlassablement. empilés jusqu'à constituer des volumes) et la formidable complication urbaine sociale et historique qui ont conduit à l’empilement bâti, raccordement de bâtisses approximatives sur cette parcelle en premier lieu maraîchère, puis relais de postes, et dernièrement atelier de mécanique, précisément les établissements Michel. Poladjinn, photographe compulsif, prend ici au pied de la lettre la juxtaposition de ces éléments, mais applique ce principe constructif Le point commun à ces artistes ? Leur directement à un portrait de chacun des rencontre au sein d’une association « l’art est membres de « l’art est public ». Mêlant instanpublic »[1], Mais surtout leur commune utilitanés des visages, clichés des habitations ou sation de processus de création communs : ateliers de chacun, il va les juxtaposer comme quelque chose qui tourne autant de parcelles cadasautour de la juxtaposition, «l’art est public» expose trales. Reprenant le fil l’empilement, la proliférad’un projet auquel il a partirue des postes au tion bref, autour de cipé au sein de « l’art est l’accumulation, quoique public » (les Rencontres à leurs médias ou matériaux Domicile), ses assemde prédilection soient très blages constituerons une diversifiés. sorte de géographie de l’association. Dimitri Xénakis propose en compagnie de Maro Hervé Fougeray, choisit Avrabou une installation de faire directement réféqui explore l’histoire rence au passé agricole même de leur propre lieu puis ouvrier du terrain, à de travail. Une mise en l’histoire d’abord maraîabîme du lieu lui-même, chère puis industrielle de sur lui-même. On connaît la banlieue nord. Xénakis pour avoir arpenté Poursuivant lui aussi un avec la même patience et ancien projet de l’associala même attention tant les friches et les usines tion (les arts potagers), il glisse subrepticement désaffectées de Montreuil, que les paysages parmi les plantes du 40 bis des végétaux bucoliques de la campagne anglaise. Le voilà violemment contre nature, assemblages en son lieu, sur son territoire, l’explorant d’aciers soudés, fausses imitations de ce qui comme un archétype de tout ce qui s’est formé a peut-être un jour poussé là, en tout cas sur ces territoires, le quartier comme la ville, façonnés avec les outils de ceux qui ont un dans ses plis et replis. jour travaillé dans ce qui était ici un atelier de mécanique de précision. Maryline Beauplet-Dornic a le chic pour monter en épingle les micro évènements de la Astrid Angelsen manie la prolifération de vie courante, qu'elle met en scène astucieu"blurbs" acidulés. Pièces gonflables tour à tour sement. Un problème capillaire devient gracieux dans les nuages ou oppressants dans mémorial de la seconde guerre mondiale, une une cabine téléphonique, ses aéronefs savent peinture ratée mute en strates géologiques, donner de belles leçons sur l’ambiguïté de la etc. Chez MBD, rien ne se perd, tout se transmatière. Rapprochant ici la stratégie du bâti de forme. Et justement, on la découvre ici la banlieue quand elle se répand sur le paysage, juxtaposant des fragments de peintures sur et la tendance naturelle de ses formes orgaune trame imaginaire, comme une sorte de niques à prendre possession de l’espace, il va dialogue entre les minuscules sédimentations lui falloir prendre d’assaut sa part de volume intimistes de ce qu’elle appelle ses empilede l’ancien relais de poste, en transformants ments (morceaux de peintures découpées et ses gonflables en autant de petits soldats. Marie Hélène Richard mesure quant à elle l’humeur du quartier. Elle prend la notion de tension à tous les pieds de la lettre. Prolongeant le vocabulaire industriel détourné de la maison du 40 bis, elle superpose aux réseaux de plomberie et d’électricité un nouveau réseau de fils tendus, ne transportant en matière d’électricité que sa propre couleur minium. Tension électrique, sociale, visuelle, ou tension des câbles, remploi du vocabulaire déjà là, son réseau, en toute logique, devrait révéler l’espace et en souligner les accidents : plomberies tentaculaires, appareillages disproportionnés, autant d’éléments déjà domestiqués, mais rappelant par leur présence le passé chargé du bâtiment. Gaële Braun choisit, elle, le contre-pied, proposant d’exposer une pièce existante qu’on a déjà vue en d’autres occasions, notamment lors de l’exposition Gonflable ! (Lille capitale européenne de la culture). Cette fois ci elle propose de le montrer explicitement comme l’étranger qui s’installe ici, y apportant sa richesse et son altérité, montrant en quoi il va façonner l’espace du lieu. Assemblage de matériaux pauvres (sacs plastiques et ruban adhésif) Teddy Bunny va déteindre sur son environnement, occupant un mur de l’atelier par une mosaïque des mêmes matériaux. Après tout, les multiples vagues d’immigration du quartier n’en ont-elle pas fait autant ? Astrid Maro Maryline Gaële Angelsen Avrabou Beauplet-Dornic Braun Poladjinn Hervé Fougeray Marie-Hélène Richard Dimitri Xénakis Divisant les anciens établissement Michel, en autant de parcelles qu’il y a d’artistes, l’exposition choisit encore une fois la référence à la structure du paysage d’ici. À charge, maintenant, pour chacun d’investir ou d’y tisser sa trame. En somme à y inventer une urbanisation du lieu d’exposition, même si elle n’est que temporaire. C.T. [1] Autour, notamment d’un « annuaire critique » où sont répertoriés les liens vers leurs sites respectifs Astrid Angelsen «Aéronefs» Maryline Beauplet-Dornic : «Puzzle» 2004 col. de l’artiste 2004 col. de l’artiste Je m'attache à rendre visible et à étudier l'air et ses mouvements, le rayonnement des choses entre elles qui nous interpénètrent et nous constituent. Je crée des formes aléatoires, molles et arrondies, des structures gonflables en polyuréthanne ; parfois fragiles et flottantes, parfois plus présentes, mises en scène dans des installations éphémères. Faire et défaire, gonfler et dégonfler, déposer et déplacer, l'œuvre se fait itinérante et se métamorphose sans cesse au grès des Lieux et Milieux. Le souffle se déplace et ne se fige jamais. Tout est à construire et à repenser à chaque lieu rencontré. Il est l'élément déterminant et souvent déclencheur du processus d'installation. L'adaptation à l'environnement et le milieu qui nous entoure doivent participer à un échange et une communication pour donner à voir une perspective nouvelle, un volume, une géométrie particulière à appréhender pour le spectateur. Dans cet atelier, anciennement usine, en plein coeur de la ville, la rencontre sera intéressante et riche à explorer - la question de l'espace organique métallique à interroger! A.A. Puzzle est un ensemble de huit toiles ayant des formes et formats qui diffèrent. Quatre sont carrées, forme qui m’est familière. Quatre sont rectangulaires, leurs châssis provenant d’une poubelle de La Courneuve où Gaële Braun, Astrid Angelsen et moi-même en avons ramassés, le jour de notre première rencontre au sein de «L’art est public». Les toiles sont présentées côte à côte ou espacées, laissant alors apparaître le blanc de la cimaise. Pour juxtAssemblages et stratifica- pOsitions, Puzzle sera accroché sur un mur de parpaings, dont la surface irrégulière soumettra les toiles juxtaposées à ses saillies et ses creux. Une fois accroché, Puzzle occupe une surface plus grande que celle dont je dispose dans mon atelier. Peindre ses toiles selon le même agencement que lors de son exposition m’était donc impossible. Il m’a fallu utiliser comme «matrice» une grille orthogonale formant des carrés de 20 cm de côté à la surface des toiles, également dessinée à taille réduite, sur une sorte de plan me permettant de déterminer l’emplacement de chaque toile par rapport aux autres, de prévoir le débordement du champ d’une peinture hors de son cadre - d’un support à l’autre, etc. Chaque toile du Puzzle en est une pièce. Puzzle est une peinture constituée de plusieurs supports physiquement séparés. Chaque case peut aussi être envisagée comme une peinture à part entière. Ou encore une peinture peut «déborder» d’un support à l’autre. La peinture est hors-champ — hors du champ du tableau, dont les limites ne correspondent plus aux bords du cadre — hors-champ parce que la grille permet, dans l’absolu, d’étendre la surface du Puzzle à l’infini. Le gonflable ambigramme fait face à ce mur coloré, et s’y confond pour ceux qui veulent bien y prêter attention l’espace d’un moment et d’un endroit. Teddy-Bunny devient ici un caméléon, essayant de s’adapter à son environnement, il participe aussi à son changement. Demandant au regard de l’autre de chercher son anamorphose colorée, il fait sa vie et creuse son nid pour sa descendance déjà présente en face de lui. Sur le grand lé de couleur qui lui ressemble, les nouveaux nés fragilement gonflés occupent le damier de couleurs. Tantôt s’y confondant, tantôt sortant du lot, ils racontent leur place dans cette société, dans cette banlieue à leur image. G.B. 2004 col. de l’artiste Après Brighton puis Colmar et enfin Lille 2004, Teddy-Bunny se pose en banlieue, non loin de l’atelier où il a pris forme, dans un atelier d’artiste. Il s’agit d’une exposition du collectif « l’art est public » chez un particulier, mais aussi lieu symbolique de la périphérie parisienne. Cet endroit est encore marqué par les traces de son passé. L’ancienne existence du mur est reprise par un marquage au sol de feuilles de plastique de la même robe que le gonflable. Parallèlement à cette empreinte matérialisée, Teddy-Bunny est installé. Cette fois il est couché, suspendu dans le sens de ces bandes qui constituaient ce territoire, il fait front à un autre mur de mitoyenneté, pour l’occasion habillé d’un grand lé de feuilles de plastique. «L'art est public» n'attend pas le public. Elle va le chercher sur ses lieux de vie, de travail... D'esprit naturellement facétieux, j'inverse la proposition et vous donne à voir les membres du collectif. Une honnête maîtrise technique devrait permettre d'embrasser d'un seul cliché le sujet, son environnement, voire un peu de sa vie ( cf. les rencontres à domicile par exemple ). J'assume mes limites en la matière. Je juxtamêle donc les indices subjectifs, à vous de re-construire l'histoire qui va avec. Pourquoi "Mes lapins..." ? Juste pour rappeler que chez les artistes, du moins ceux de «l'art est public», il y a un coeur qui bat. Comme chez les lapins. P. 2004 col. de l’artiste Poladjinn «Mes lapins...» Gaële Braun «Teddy-Bunny» Passer d’un monde à un autre, d’un pays à un autre, d’une culture à une autre, d’une nature à une autre et l’accepter ? Le jeu des civilisations aujourd’hui n’est-il pas là ? Dans les grandes zones urbaines où toutes les cultures se côtoient, s’agglutinent et se mélangent, quels sont les niveaux d’acceptations qui régissent la vie de chacun et de tous ? Pour qui et pourquoi acceptons nous telle ou telle différence et refusons telle autre ? Par le côtoiement de vraies et fausses plantes, la question peut se poser, lesquelles sont regardées ? Lesquelles sont contre-nature ? Existe-t-il une différence importante entre les créations de l’homme et les transplantations de l’homme ? H.F. Marie Hélène Richard «Orange» 2004 col. de l’artiste Hervé Fougeray «Autre nature» 2004 col. de l’artiste Ça a turbiné, dans la ville, une ruche ouvrière! Ça turbine, dans cette rue, ça turbinera encore, dans cette baraque ! Maintenant, dans la rue, ça s’envenime, c’est plus la même énergie, trafic, speed speed, k’est s’ta toi, tire toi ! Alors, tu le tires ce fil orange ? T’as un plan ? Des tuyaux, des réseaux, au plafond, IPN droits, durs, oranges, de l’énergie en puissance, électrique, se croise, se décroise, chaud chaud, circulez circulez ! La lumière, ça pète de lumière ! Des fils et des fils et encore des fils, tirer des traits, les réseaux se brouillent, s’embrouillent, tous ces fils là peuvent passer par un petit trou de souris ? et oui ils le peuvent ! Ils vont le faire, y’a qu’a tasser un peu. De quoi je me mêle, j’m’emmêle. Une araignée au plafond, excitée, certainement ! De l’orange, des oranges, mmhhh les bonnes vitamines. Y’en a bien’bsoin au mois de janvier. M-H.R. Maro Avrabou Dimitri Xénakis «Tissu urbain» 2004 col. de l’artiste «juxtAssemblages & stratificapOsitions» : Installation évolutive. "Tissu urbain" consiste en un maillage de fragments de bâtiments, dans lequel circulent et dérivent plusieurs circuits électriques apparents qui alimentent des sources lumineuses variées. L'ensemble se présente ici comme dans un effondrement suspendu. Il est appelé à se plier et se déplier, à se disperser ou s'agréger. Il évoque non seulement des métamorphoses du bâtiment que nous avons investi et travaillé, mais aussi des profondes mutations du périmètre géographique dans lequel nous nous situons. Les convulsions de la ville. Au mur, en vis à vis, un second dispositif lumineux et photographique fait apparaître sous des miroirs sans teint, des images des transformations de l'usine. Le flux électrique séquencé propose une image alternative des destructions et de l'environnement immédiat, y compris celle du spectateur. "Rue des quatre chemins", "Carrefour des quatre routes": tout indique ici, à quelques pas du périphérique, un réseau de circulations et d'échanges complexes. M.A & D.X Aux anciens Éts. Michel 40 bis, rue des Postes 93300 Aubervilliers Vernissage en présence des artistes le samedi 29 janvier 2005 à partir de 19h00. Ouvert les 29 et 30 janvier, les 5 et 6 février de 15h00 à 21h00, ou sur rendez-vous au : 01 48 39 19 07 Crédits photographiques : Astrid Angelsen : Maryline Beauplet Dornic : Gaële Braun : Poladjinn : Hervé Fougeray : Marie-Hélène Richard : Dimitri Xénakis : © Astrid Angelsen © Maryline Beauplet Dornic © Gaële Braun © Poladjinn © Gaële Braun © Marie-Hélène Richard © Dimitri Xénakis Exposition : Coordination générale, Communication visuelle, Presse: Remerciements : Avec le soutien de : Association «L’art est public» Maro Avrabou, Astrid Angelsen, Maryline Beauplet Dornic, Gaële Braun, Poladjinn, Hervé Fougeray, Marie-Hélène Richard, Dimitri Xénakis Unanimes Architectes, Lyon, D.L.S.I. Intérim Catalogue : Rédaction, rewriting : Christophe Tesson Mise en page : Studio l’art est public Ce catalogue est tiré à 200 exemplaires. Il est autofinancé par l’association L’art est public. Sites Internet et contacts : L’art est public : http://www.lartestpublic.fr.st Maro Avrabou : Astrid Angelsen : http://www.astrid-angelsen.com Maryline Beauplet Dornic : http://www.marylinebeaupletdornic.com Gaële Braun : http://gaele.braun.free.fr Poladjinn : http://www.lomohomes.com/poladjinn Hervé Fougeray : http://www.lartestpublic.fr.st Marie-Hélène Richard Dimitri Xénakis : http://www.dimitri-xenakis.com [email protected] [email protected] [email protected] [email protected] [email protected] [email protected] [email protected] [email protected] [email protected] « Ouvrir le lieu » Nous ouvrons notre lieu de vie et de travail à « L’art est public », association d’artistes présentant l’exposition «juxtassemblages & stratificapositions». En investissant ce lieu pour s’y installer, nous avons opéré des transformations qui matérialisent un partage et une structuration de l’espace vital. Collaborer avec « L’art est public » qui défend un élargissement des territoires artistiques et permettre à six artistes de questionner formes et échelles dans un site encore en devenir révèle à notre avis une portée plus large que le champ d’une simple exposition : déceler la structure d’un édifice, les tissages relationnels internes ; ancrer des interventions artistiques dans le tissu urbain, donc social. Mais aussi confronter ces réseaux à des perceptions extérieures pour ne pas en figer le sens. M.A & D.X. Association L’art est public Siège social Chez M. Hervé Fougeray 9, Cour des Maraîchers 93120 La Courneuve Acquise il y a quatre ans, cette ancienne fabrique des établissements Michel est le résultat de l’évolution de parcelles maraîchères vers une structure citadine industrielle. Sa morphologie exprime les ajouts et les coupes qui en ont modelé contours et le volume.