Faire des SES avec Star Wars

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Star wars et les relations familiales
« Vous vous souvenez de votre mère, votre vraie mère ? », Luke s’adressant à Leïa, épisode 6.
La famille est une institution universelle, au sens où l’on ne connaît pas de civilisations,
voir même de groupement humain, n’ayant pas organisé les relations entre ses membres en partie
sous la forme de règles familiales. Avec qui pouvons-nous avoir des relations sexuelles ? Avec qui
avons-nous le droit de nous marier ? A quelles conditions ? Qui doit-on considérer comme ses
parents ? L’être humain a fait preuve d’imagination dans les réponses apportées à ces questions.
Ainsi, certaines tribus nord-américaines considèrent que les enfants de la sœur de notre mère ainsi
que ceux du frère de notre père sont nos propres frères et sœurs, alors que pour nous ce ne sont que
des cousins. L’exemple le plus frappant pour nous autres occidentaux est celui donné par les
Nuers : dans cette tribu africaine, une femme stérile peut épouser une autre femme qui se fera
féconder par un homme qui sera payé pour cela, et cette femme stérile sera considérée comme un
homme dans le couple, tant et si bien que ses enfants l’appelleront… papa ! Si cela peut nous
sembler bien étrange, il ne faut pas oublier que nos propres règles matrimoniales semblent à ces
peuples au moins aussi étranges !
On retrouve dans Star wars quelques unes des interrogations liées à l’existence de relations
familiales.
Tout d’abord, avec qui avons-nous le droit d’entretenir des rapports sexuels ? Claude LéviStrauss, anthropologue français, a montré que l’interdit de l’inceste était central pour la
compréhension des relations humaines et familiales, et que cet interdit se retrouvait, dans des
formes qui peuvent cependant varier, dans toutes les sociétés humaines. Les biologistes justifient
cet interdit pour des raisons génétiques : les risques de malformation physique ou de retard mental
chez l’enfant étant plus important dans un couple déjà apparenté, les êtres humains auraient très tôt
compris que leurs chances de survie augmenteraient s’ils s’accouplaient avec des personnes non
apparentées. Et pour appliquer à l’être humain l’une des leçons du processus de sélection naturelle,
on peut se borner à dire que les groupes humains qui n’auraient pas érigé cet interdit en norme
fondamentale n’existent pas… tout simplement parce qu’ils ont disparu du fait de leurs faibles
chances de survie par rapport aux autres groupes humains ayant adopté cet interdit.
Ce n’est pas l’explication que donne Levi-Strauss, pour qui les compétences en génétique des
êtres humains étaient dans les époques plus reculées trop primitives pour qu’ils aient été en mesure
d’observer des régularités statistiques leur permettant d’élaborer des règles d’accouplement pour
raisons biologiques. Selon lui, la véritable raison en est sociale : s’il existe un interdit de l’inceste,
c’est parce que cet interdit force des familles différentes à passer des alliances, alliances sources de
liens sociaux et de relations pacifiées, alors que si les mariages se faisaient au sein de la cellule
familiale déjà existante, ces cellules auraient tendance à se refermer sur elles-mêmes, ce qui
engendrerait des risques de conflits plus importants. Il n’y a qu’à penser aux mariages royaux
arrangés pour saisir la portée de cette approche.
A dire vrai, Star wars ne nous permet pas de trancher cette question. Par contre, ce qui est
intéressant pour nous, c’est que l’on retrouve au sein de cette saga ce même interdit universel de
l’inceste. En effet, l’enjeu « romantique » de la trilogie originelle tourne autour du trio composé de
Luke, de Han et de Leïa. Dès le début de l’épisode quatre, il semble clair que Leïa ne laisse pas
Luke indifférent ; ainsi, la première fois qu’il la voit sous forme d’hologramme, il ne peut réprimer
un « comme elle est belle …» qui en dit déjà long sur les sentiments qu’il ressent pour elle. Il aura
par la suite droit à deux baisers de sa part : dans l’Etoile Noire tout d’abord, avant de s’élancer dans
ses bras au dessus d’un puit d’énergie afin d’échapper aux stormtroopers qui les pourchassent ; sur
Hoth ensuite, lorsque Leïa veut défier Han en lui montrant que ses préférences ne la mènent pas
Renaud Chartoire
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Contact : chartoire @aol.com
nécessairement vers lui… de même, dans l’épisode quatre, lorsque Leïa est déçue par l’attitude de
Han, elle dit à Luke : « votre ami est un mercenaire… en dehors de l’argent, il n’aime rien, ni
personne », ce qui amène Luke à lui répondre avec une confondante naïveté : « je ne suis pas
comme lui ! » qui, cette fois, en dit long sur son manque d’expérience avec les femmes !
De ces différents échanges il apparaît clairement que Luke est charmé par Leïa, et que Leïa
n’est pas indifférente aux atouts de Luke, quand bien même ses penchants les plus secrets la pousse
en fait vers le « bad boy » Han Solo. Il serait intéressant de savoir jusqu’où ce petit jeu à droit
aurait pu mener… si Luke et Leïa n’avait eu connaissance du lien fraternel les unissant. Dès lors, il
leur apparaît clairement que leurs relations ne peuvent plus se jouer sur le mode de la séduction, ce
qui laisse le champ ouvert à Han qui, malgré un manque total de discernement à la fin de l’épisode
six quant à la nature des sentiments de Leïa à son égard (voir plus haut), saura en profiter pour faire
de Leïa sa compagne et la future mère de ses enfants dans les romans postérieurs à l’épisode six. Ce
soudain revirement de Luke et de Leïa ne peut se comprendre sans l’existence d’un interdit de
l’inceste : c’est parce qu’ils sont apparentés que leurs sentiments doivent évoluer. Cet interdit, à la
base des relations familiales existantes dans toutes les sociétés humaines, est donc bien à l’œuvre
même dans des galaxies lointaines, très lointaines…
Une seconde interrogation concerne la nature des liens entre les parents et les enfants. Qui sont
réellement nos parents : nos géniteurs, ou ceux qui nous ont élevés ? L’adoption permet-elle de
remplacer la force du « sang » comme lien existant entre parents et enfants ? Existe-t-il un
« instinct » maternel que rien ne saurait remplacer ? On trouve assez peu de liens filiaux dans Star
wars, mais à chaque fois ils vont nous donner matière à réflexion.
Le premier exemple nous est donné lors d’une discussion entre Luke et Leïa dans l’épisode
six. Luke, qui vient d’apprendre que Leïa est sa sœur, veut en profiter pour connaître un peu mieux
ses parents, et en particulier sa mère. Il va donc demander à Leïa : « Vous vous souvenez de votre
mère, votre vraie mère ? », ce à quoi elle va répondre : « Oui, un petit peu. Quand elle est morte,
j’étais toute jeune. Elle était vraiment très belle, douce, mais triste » Luke ajoute alors : « Je n’ai
aucun souvenir de ma mère, je ne l’ai jamais connue ». . Ce passage a fait couler beaucoup d’encre
dans la communauté des fans de Star wars, lorsque les premières rumeurs courant sur l’épisode
trois laissaient penser qu’il était possible que Padmé meure dans cet épisode. Impossible, répondait
certains, en se basant sur cette phrase : si Leïa a des souvenirs de sa mère, c’est qu’elle n’a pu
mourir dans l’épisode trois, qui est l’épisode où Leïa naît. Faux, rétorquaient d’autres : Leïa se
souvient de sa mère adoptive, et parle d’elle, celle qui l’a élevée… ce à quoi les premiers
répondaient que Luke parle de la « vraie » mère de Leïa, et n’a que faire des considérations de Leïa
sur sa mère adoptive : ce qu’il veut, ce sont des informations sur sa propre mère, c’est-à-dire sur la
mère biologique de Leïa.
Manifestement, dans l’univers Star wars, ou du moins au moins dans la famille Skywalker, la
notion de parenté est clairement biologique, puisque seule la mère biologique est considérée
comme la « vraie » mère, ce qui rend la mère adoptive comme étant d’un second ordre. Il
n’empêche que dans ce cas, le mystère reste entier : comment Leïa peut-elle se souvenir d’une mère
qui est morte en couche ? La réponse des fans les plus acharnés, ne pouvant imaginer qu’il puisse
exister une faille dans la continuité chronologique entre les six films, est que Leïa, qui est reliée par
la Force à sa mère, se souvient des quelques instants qui ont suivi sa naissance… et précédé la mort
de sa mère, et que les images qu’elles gardent en tête sont ceux de cette courte période. Fort bien ;
mais alors, cela soulève deux nouveaux problèmes : pour Luke, qui manifestement n’est pas moins
reliée à sa mère par la Force que sa sœur, n’a-t-il aucun souvenir de ces moments ? Et surtout,
comment Leïa peut-elle se souvenir que sa mère était « douce » (kind dans la version originale) si
elle n’a eu aucun contact physique avec elle ? A moins… à moins que le lien biologique soit plus
fort entre les mères et les filles qu’entre les mères et les garçons, ce qui une fois de plus
renforcerait, dans l’univers Star wars, la dimension biologique des sentiments familiaux…
Renaud Chartoire
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Cette vision d’un lien biologique fort entre parents et enfants est renforcée par les passages
dans lesquels Anakin rêve de sa mère. Manifestement, malgré la distance les séparant, ce lien est
resté fort, et lorsque sa mère connaît une détresse importante, Anakin est capable de le « sentir »
par l’intermédiaire de ces rêves… on pourrait rétorquer que cette sensation n’existe que parce
qu’Anakin est sensible à la Force : c’est bien évidemment vrai, mais il n’empêche que la Force le
rend sensible à ce que ressent sa mère biologique, ce qui n’est peut-être pas le fait du hasard…
Anakin réalise certes des rêves concernant sa femme, avec laquelle il n’a pas de lien biologique :
c’est exact, mais ce sont des rêves prémonitoires, d’une nature différente, qui ne relie pas Anakin
avec une personne existante à un instant donné dans la réalité de son existence présente.
On peut aussi s’appuyer sur les liens existants entre Luke et son père : Luke devine
qu’Anakin n’est pas encore mort en Dark Vador, et que l’homme épris de bien qu’il a été survit
encore, étouffé au sein de ce corps machine qui symbolise la souffrance qu’il a dû endurer suite aux
choix qu’il a été amené à faire pour tenter de sauver sa femme, et qui vont mener à la mort de celleci… Anakin existe encore, et seul Luke est capable de le sentir ; il existe donc un lien particulier
entre les deux hommes, un lien biologique, qui lui seul est capable d’expliquer le comportement de
Luke, ainsi que le revirement final de Vador.
A l’inverse, nous avons un possible contre exemple en la personne de Bail Organa. A la fin
de l’épisode 3, lorsque Yoda décide de confier les deux jumeaux Luke et Leïa à deux familles
différentes, Bail Organa, représentant de la planète Alderaan, se propose spontanément pour
prendre la fille, dont il s’occupera avec sa femme. Afin de lever toute ambiguïté sur le traitement
qui lui sera réservé, il soutient qu’ « elle ne manquera pas d’amour chez nous ». Cette phrase peutêtre lue de deux manières différentes : d’une part, elle peut simplement signifier que pour lui il n’y
a pas de différence entre des parents biologiques et des parents adoptifs, et que donc par conséquent
le lien biologique n’est en rien fondamental dans les relations de parenté, car Leïa sera aimée
comme l’aurait été leur propre fille biologique. Cela peut s’expliquer par le développement
d’Alderaan : dans l’esprit de Lucas, cette planète est un havre de paix et d’harmonie, où la
civilisation a atteint son plus haut degré de perfection, ce que montre d’ailleurs la géographie du
lieu entraperçue à la fin de l’épisode 3. C’est d’ailleurs sans doute pour cette raison que l’Empire,
au moment de choisir une planète afin de montrer l’étendue de la force de destruction de l’Etoile
Noire dans l’épisode 4, va sélectionner Alderaan, véritable antithèse de ce que représente l’Empire.
Cependant, il est aussi possible de la lire autrement, en montrant que Bail Organa se sent le besoin
d’ajouter cette phrase qu’il ne lui serait pas venue à l’esprit de dire si Leïa avait été sa fille
biologique… et qu’il réalise donc une distinction entre filiation biologique et filiation adoptive, ce
qui nous ramène à nos propos précédents…
Dans toute la saga, nous sont présentés deux autres exemples de rapport enfants/parents,
mais qui tous deux sont bien particuliers… tout d’abord, il existe un lien de parenté entre Jango Fett
et Boba Fett, un lien très fort qui va amener Boba à prendre la succession de son père à sa mort, et à
traquer les Jedi qui ont été à son origine. Ici, le lien biologique est extrême, puisque Boba… est le
clone parfait de son père. Les kaminoans, qui réalisent le clonage, ont même développé une
technique particulière afin que Boba grandisse comme n’importe quel enfant, alors que les clones
connaissent normalement une croissance deux fois plus rapide que la croissance naturelle. Enfin, un
deuxième exemple nous est donné par Anakin, qui ne possède pas de père, et pas seulement au sens
littéral apparemment, puisqu’il aurait été créé directement par les midi-chlorians, qui sont à la
source de toute vie… comment s’étonner que par la suite qu’Anakin connaisse une postadolescence si perturbée ?
Star wars, dans la même lignée, nous permet aussi de nous interroger sur la nature des
liens existants entre frères et sœurs. Là aussi, ces liens doivent-ils être pensés uniquement en terme
biologiques ? L’on sait qu’aujourd’hui le sens des termes « frères » et « sœurs » a beaucoup
évolué ; on peut employer ses termes en un sens religieux, mais aussi amical (« t’es un frère pour
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moi »), ou encore fraternels, comme les membres de certaines congrégations, tels les francsmaçons, qui se nomment ainsi.
Une fois de plus, nous retrouvons dans Star wars les différents points de vue existant dans
le monde contemporain ; Star wars développe clairement des approches archétypales de ce qu’est
devenu l’homme moderne, ceci expliquant sans doute la facilité avec laquelle le public s’est
approprié et identifié à la saga. Ainsi, lorsque Leïa apprend qu’elle est la sœur de Luke, sa première
réaction est de dire : « Je sais… je ne sais pas pourquoi, je l’ai toujours su… », attestant l’idée d’un
lien biologique si fort entre frère et sœur que, même si deux personnes ne connaissent pas les liens
de parenté les unissant, elles les devinent inconsciemment, telle la force de l’évidence… d’ailleurs,
le choix amoureux de Leïa, donnant clairement la priorité à Han Solo, ne peut-il pas s’expliquer par
cette prescience inconsciente lui intimant de ne pas s’unir à Luke, nous ramenant alors à
l’universalité de l’interdit de l’inceste développé plus haut ? A l’inverse, lorsque Obiwan regarde
Anakin après leur duel à la fin de l’épisode 3, il lui lance un déchirant « nous étions comme des
frères ! », expression d’ailleurs atténuée dans la version française, puisque dans la version originale
Obiwan lance : « you were my brother ! », montrant à quel point, dans son esprit en tout cas, il
n’était nul besoin de lien biologique pour considérer quelqu’un comme son frère… cela peut en
grande partie s’expliquer par l’histoire particulière des Jedi, arraché à leur famille dès leur plus
jeune âge en fonction du taux de midi-chlorians présent dans leur sang, et trouvant dans l’ordre Jedi
une véritable famille de substitution.
Il nous reste encore un dernier point à traiter ici, celui de l’origine sociale des membres
d’un couple. Longtemps, les couples ont été caractérisés par une homogamie assez stricte : les deux
membres du couple provenaient du même milieu social, les histoires où un prince se mariait avec
une fille du peuple ne correspondant en rien à la réalité… cette homogamie est encore restée forte
aujourd’hui, alors même que les mariages arrangés ont tendance à disparaître et que l’on se marie
« par amour ». Comme le disent les sociologue, le « coup de foudre » ne tombe pas « au hasard »,
puisque nous sommes statistiquement amenés à tomber bien plus facilement amoureux d’une
personne provenant de notre milieu social ! Cela s’explique avant tout par le processus de
socialisation qui détermine en grande partie nos goûts et nos préférences, processus différencié en
fonction de notre milieu social d’origine et d’appartenance.
Dans Star wars, nous assistons à la rencontre de deux couples : Anakin et Padmé d’une
part, et Han et Leïa de l’autre. Or, ces deux couples ont un point commun : ce sont des couples
hétérogamiques. En effet, Anakin, fils d’esclave et Jedi, se marie avec Padmé, ex-reine de Naboo et
nouvellement sénatrice, provenant d’un milieu aisé si l’on en croit la splendeur de la demeure
familiale aperçue dans des scènes coupées de l’épisode 2. De même, Leïa provient elle-même d’un
milieu aisé puisqu’elle est princesse, alors que Han, qui est contrebandier, n’est manifestement pas
issu du même milieu si l’on doit en croire ses manières et son vocabulaire… Nous sommes là dans
l’un des archétypes des contes de fée, qui permettent à tout un chacun de rêver à une possible union
qui ne serait pas prédéterminée par des influences sociales, mais qui serait le seul fruit de
l’amour… et Star wars ne faillit pas à la règle !
Renaud Chartoire
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