Un casque de samouraï et des uniformes

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Date : 23/03/2016
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SAGA
Un casque de samouraï et des uniformes soviétiques ; des allusions chrétiennes et quelques contes
hindous ; des costumes de Flash Gordon, sérial des années 40 et des machines de Valérian et Laureline,
bande dessinée des années 70 ; la dramaturgie des duels de cape et d'épée, les acrobaties des arts martiaux,
la pompe des péplums ; le passage de la République romaine à l'Empire, la Guerre de Sécession, le conflit
entre le Tibet et la Chine ; Arthur et Lancelot, Charlemagne et Roland, Méphisto et Faust ; la course de chars
de Ben-Hur, le triangle amoureux d'Autant en emporte le vent, les vues aériennes de Métropolis, les
ressorts dramatiques de La Forteresse cachée… Les films de la saga Star Wars ont comme particularité
de mêler les inspirations et de superposer les modèles, puisant à la fois dans les Vedas et la Bible, le
cycle arthurien et la mythologie grecque, l'Histoire contemporaine et l'histoire du cinéma. C'est un festival
d'archétypes, une accumulation de standards, une orgie toujours plus allusive. Le septième opus, Le Réveil
de la Force, ne faillit pas à la règle, y ajoutant des sentences bouddhiques, les grand-messes du régime nazi,
quelques traits d'humour de Wall-E, etc...
On pourrait n'y voir que de l'opportunisme, mais le créateur de la série, George Lucas, semble également
obéir à une autre logique que celle, purement marchande, consistant à toucher, au travers de ces chasséscroisés culturels, le plus de spectateurs possible. Celui-ci ne fait pas mystère en effet de son adhésion aux
travaux de Joseph Campbell exposés dans Le Héros aux Mille et un visages (1949, version française en
2010 chez Oxus Paris), défendant la thèse du « Monomythe », c'est-à-dire d'une structure commune aux
différents mythes, relatant tous, peu ou prou, le périple d'un individu en plusieurs étapes obligées. D'Osiris
à Jésus, de Prométhée à Bouddha, d'Ulysse à Moïse, Campbell assure qu'un agencement similaire des
épreuves et des résolutions est organisé. Lucas développe le même raisonnement, amalgamant de multiples
traditions, donnant par exemple à un héros passant par des périls, des tentations et des hésitations puisés
chez Chrétien de Troyes, un enseignement issu de la Bhagavad-Gita… Lorsqu'on suppose ainsi que chaque
cycle mythologique recèle une même conformation de base, on part sur l'hypothèse de la source unique, que
celle-ci soit sacrée ou profane : Tradition Primordiale dont auraient dérivé la plupart des mythes et religions, ou
bien psyché humaine fonctionnant en tous temps et en tous lieux à l'identique. Quelle place est alors laissée à
la diversité des expressions culturelles ? Ne sont-elles que de simples variations venant colorer, agrémenter,
« folkloriser », un principe universel, ou bien doit-on les considérer comme des voies d'accès privilégiées,
livrant une clé spécifique, nécessaire à son appréhension ?
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Campbell (et Lucas à sa suite) choisit clairement la première option. Son point de vue est radicalement
universaliste, et c'est d'ailleurs l'un des principaux reproches qui peut lui être fait, car en rabattant tel
ou tel mythe sur de supposés invariants produits par la psychologie occidentale, en élaguant le contexte
ethnoculturel, il prend le risque de faire perdre aux récits mythiques la plurivalence de leurs significations.
C'est exactement le problème de la confusion syncrétiste qu'entretient Star Wars, neutralisant chacun des
mythes qu'il est venu piller, passant par pertes et profits leur précieuse différence. Or, il ne faut pas confondre
universalisme et universel, et on peut ici faire un détour par l'opposition entre syncrétisme fusionnel et
syncrétisme en mosaïque telle que théorisée par l'anthropologue Roger Bastide (Les Amériques noires,
L'Harmattan 1967). Dans le premier, les différentes traditions sont incorporées dans un mélange qui les
diluent et les affadit, les rendant ainsi inopérantes, alors que dans le second, cohabitant sans altération, elles
continuent d'offrir un mode particulier d'élucidation du monde.
Cependant, n'ayons pas de honte à le reconnaitre, ce syncrétisme fusionnel, ce mélangisme conceptuel,
ce maelstrom multiculti, continue de nous émouvoir. Comme un visage qui malgré le fard et la chirurgie,
les retouches et les défigurations successives, garderait un sens pour celui qui le regarde. En dépit du
fatras ésotériste qui le recouvre comme une suie, Star Wars continue d'être reconnu. Son charme tenace
tient justement à l'intrication de plusieurs degrés de reconnaissance. D'abord, à chaque nouvel opus,
l'émotion du souvenir et la nostalgie des images précédentes, puisque le tout premier date de 1977, soit
le temps d'une génération. Ensuite, l'identification des références -leur traque érudite comme leur mise en
commun-, le ludisme collectif étant bien l'aboutissement de la culture post-moderne. Enfin, troisième niveau de
reconnaissance, le constat d'affiliation, quand l'oeuvre et celui qui la reçoit, partagent des valeurs communes.
Contre toute attente, sous la surface du brouet universaliste, les fondamentaux de l'identité européenne
résistent. Si la quête de Perceval, la mort d'Hector, les velléités de Don Quichotte, continuent aujourd'hui
encore de nous bouleverser, en dépit de styles littéraires parfois sibyllins, c'est bien parce qu'elles touchent
des points névralgiques de ce qui nous constitue en propre, tout comme l'initiation de Luke Skywalker, la
gémellité d'Anakin et d'Obi-Wan, le dilemme de Dark Vador, la prise de pouvoir de la jeune Rey. Le
troublant paradoxe de Star Wars est alors de propager ce qui menace cette identité, c'est-à-dire à la fois la
présomption universaliste et la confusion nihiliste, tout en utilisant dans l'armature même de ses récits, comme
rouages essentiels, certaines de ses caractéristiques principales. Citons-en deux, d'autant plus en perdition
que règnent aujourd'hui fétichisme des formes et déracinement individualiste : la fidélité au rituel toujours
subordonnée au respect de l'idée inspiratrice ; les histoires familiales comme lieu d'opposition dialectique
entre pouvoir et connaissance.
Rien que pour cela, ce ronflant phénomène de société, ce lucratif stratagème commercial, mérite qu'on s'y
arrête une fois encore.
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