Mode d allocation de ressources des hôpitaux : quels

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Mode d’allocation de ressources des hôpitaux :
quels retentissements sur la qualité des soins en pneumologie ?
● A. Bénard*, P.M. Ramon*, F. Gueuze**, H. Barbieux*
L’actuel mode d’allocation de ressources des hôpitaux pose plusieurs problèmes. En effet, les médecins à la source du recueil n’ont
aucune formation en matière d’optimisation du remplissage des résumés standardisés de sortie. Or ces résumés de sortie sont
directement à l’origine de l’attribution des points ISA (et donc du budget) qui correspondent à un séjour. Par ailleurs, les résultats
qu’ils en tirent reflètent difficilement leur activité au quotidien. Il existe une réelle inadéquation entre le coût de certaines prises
en charge en pneumologie et leur allocation en points ISA, et donc en budget. À partir de deux exemples d’activité en pneumologie,
la pathologie tumorale et les maladies obstructives, et de l’activité d’un centre hospitalier général, les aspects “pervers” du système sont illustrés. Deux grandes questions se posent alors : faut-il privilégier certains secteurs d’activité, refuser certaines prises
en charge ? Quelles sont les alternatives ?
e PMSI, ou Programme de médicalisation des systèmes
d’information, est actuellement un mode d’allocation de
ressources des hôpitaux.
Les médecins ont chaque jour à s’impliquer dans cette démarche,
pour laquelle ils n’ont reçu aucune formation. Pourtant, les budgets de service seront attribués d’après l’activité dont les médecins auront rendu compte dans les résumés d’unité médicale
(RUM) remplis pour chaque patient.
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1 RUM par séjour
par service
ISA
ISA
ISA
LOGICIEL
GROUPEUR
1 GHM
par
séjour
ISA
ISA
PRINCIPES DU RECUEIL
En tant que médecin, nous remplissons pour chaque séjour d’un
patient dans notre service un RUM reprenant des informations
administratives et médicales (diagnostic principal, diagnostics
associés) ainsi que les actes effectués, dont certains sont classants (figure 1). Lorsque l’hospitalisation d’un patient comporte
plusieurs séjours dans des unités différentes d’une même entité
juridique, ces RUM sont rassemblés dans un résumé standardisé
de sortie (RSS). Ils sont secondairement anonymisés. Chaque
RSS est analysé par un groupeur qui le classe en fonction du diagnostic principal, des complications majeures associées et de
l’existence ou non d’actes (chirurgicaux) classants dans un
Groupe homogène de malades (GHM). Il existe 594 GHM. Chacun est assorti d’un numéro compris entre 1 et 887. Cette classification a été définie par la mission PMSI du ministère. À chaque
GHM est attribué un certain nombre de points ISA (Indice synthétique d’activité), déterminé nationalement et qui varie chaque
année. Les GHM sont classés en Catégories majeures de dia* Fédération de pneumologie, hôpital Victor-Provo, Roubaix.
** Fédération médico-administrative, hôpital Victor-Provo, Roubaix.
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1 RSS par séjour
anonyme
Valorisation
en points ISA
Figure 1. Principes du recueil PMSI.
gnostic (CMD). Il existe une CMD par “appareil” ainsi qu’une
CMD (23) concernant les complications et une CMD (24) pour
les séjours de moins de 24 heures. La CMD 04 regroupe les affections de l’appareil respiratoire, mais certains diagnostics pneumologiques peuvent se retrouver dans des CMD différentes de
la CMD 04, notamment en cas de complications ou pour les chimiothérapies qui durent moins de 24 heures. Par exemple, une
ponction pleurale qui se complique d’un pneumothorax iatrogène
fait sortir le séjour de la CMD 04 si la complication est retenue
en diagnostic principal. Il est donc difficile pour les cliniciens
d’avoir le reflet exact de leur activité au quotidien. Dans le cadre
d’une aide à la codification, la Société de pneumologie de langue
française a proposé une segmentation de l’activité pneumologique qui permet de regrouper en son sein les principaux diagnostics de la discipline (1).
La Lettre du Pneumologue - Volume III - no 2 - avril 2000
SEGMENTATION EN PNEUMOLOGIE
L’activité en pneumologie peut se décliner en dix segments
parmi lesquels on retrouve les grandes orientations des services
(figure 2). Cette segmentation a, entre autres, l’intérêt de réintégrer sous un libellé de “lisibilité médicale” des patients qui sont
dans un GHM différent ou une CMD différente de la CMD 04.
● Tumeur (diagnostic, complications, traitement)
● Infection
● Tuberculose
● Plèvre
● BPCO
● SAS
● IRC
● Allergie
● Symptômes et divers
● Autres activités
Figure 2. Segmentation de l’activité en pneumologie.
Par exemple, le segment “Tumeur” regroupe toutes les prises en
charge qui y sont relatives, c’est-à-dire à la fois primo-diagnostics, traitements, complications. Il reprend donc à la fois des hospitalisations conventionnelles et des hospitalisations de moins de
24 heures correspondant aux chimiothérapies qui sont réintégrées
du GHM 681 et de la CM 24, où elles sont classées selon la règle
du PMSI.
La segmentation permet également de réintégrer des séjours pour
lesquels des actes techniques ont été nécessaires, par exemple
une thoracoscopie chirurgicale pour un diagnostic de tumeur
pleurale.
Il existe malgré tout un certain nombre de séjours qui, bien
qu’ayant lieu en pneumologie, ne sont pas comptabilisés dans
l’activité de cette CMD, et c’est là une faiblesse de la segmentation. On peut en effet avoir à retenir en diagnostic principal un
diagnostic non pneumologique pour des raisons de valorisation
en points ISA. Par exemple, si l’on prend le cas d’une septicémie survenant chez un patient en aplasie médullaire à la suite
d’une chimiothérapie pour un cancer bronchique, l’ordre “Septicémie” en diagnostic principal, puis “Aplasie”, “Chimiothérapie”, “Cancer” conduira au GHM 604 (2 479 points ISA version
V4 1997) ou au GHM 602 (4 768 points ISA version V4) si le
patient présente durant son séjour une comorbidité majeure associée (CMA) telle que “Pneumopathie SAI” ou “Bronchopneumopathie”. Le fait de retenir “Cancer” en diagnostic principal
puis “Chimiothérapie”, “Aplasie” et “Septicémie” en diagnostics secondaires conduira au GHM 122 (1 846 points ISA version V4 1997) pour une prise en charge et une dépense identiques
de la part du service. Nous avons donc à faire face à deux types
de problèmes : d’une part, sur un plan communautaire, le diagnostic principal et les diagnostics associés figurant sur chaque
RUM peuvent être codés dans un ordre le plus “valorisant” posLa Lettre du Pneumologue - Volume III - no 2 - avril 2000
sible, mais il est vrai que, si le diagnostic principal doit être celui
qui mobilise les coûts les plus importants durant le séjour, il n’est
pas toujours un diagnostic pneumologique au sens de la pneumologie pure, ce qui peut rendre une segmentation d’activité plus
délicate à réaliser, car plus discutable. Si la règle de codage du
diagnostic principal est assez précise, le RUM ne reflète pas toujours l’activité pneumologique telle que les pneumologues le souhaiteraient. Toutefois, le PMSI n’est pas une analyse d’activité
médicale, mais une base économique de répartition budgétaire à
travers les points ISA.
LE CENTRE HOSPITALIER DE ROUBAIX EN 1997
Roubaix est une ville située à une dizaine de kilomètres de Lille,
qui possède un hôpital général de 950 lits de court séjour. Il comprend 75 lits de pneumologie (60 en hospitalisation conventionnelle et 15 en hospitalisation programmée). L’effectif médical se
compose de 5 praticiens et de 2 assistants spécialistes. L’activité
1997 représente 47 650 RSS, dont 3 111 en pneumologie.
Gestion et comptabilité analytique
Le centre hospitalier de Roubaix est doté d’un logiciel ATHAC,
fruit de la collaboration avec deux sociétés spécialisées dans
l’ingénierie d’applications à caractère décisionnel (2). Ce logiciel permet de mettre en place une comptabilité analytique qui,
au même titre que le PMSI, constituera un outil de gestion et de
pilotage.
Selon le principe de la comptabilité analytique (figure 3), un
séjour se décompose selon six secteurs : l’hôtellerie, les charges
d’exploitation correspondant aux différents consommables et aux
dépenses de pharmacie courantes, les dépenses médico-techniques puis les postes budgétaires correspondant aux personnels
médicaux et non médicaux, et aux dérivés sanguins et médicaments coûteux, les commandes concernant ces produits étant
nominatives. Chacun de ces postes peut être partiellement réaffecté à chacun des RSS. En additionnant la fraction budgétaire
allouée à chaque RSS, on obtient donc le budget alloué à ce poste
de dépense.
Répartition par RUM
Budget de l’hôpital
Blanchisserie
Restauration
Charges
d’exploitation
Produits sanguins et
Dépenses
médicaments coûteux médico-techniques
Personnel
médical
Personnel
non médical
Figure 3. Comptabilité analytique : répartition des coûts liés à un séjour.
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RÉSULTATS EN TERMES DE COÛT DE SÉJOUR
Parmi les différents segments existant en pneumologie, nous
avons retenu deux exemples à partir de notre expérience : d’une
part, le segment “Tumeur”, d’autre part, celui des “Maladies obstructives”, totalisant respectivement 862 et 531 séjours en 1997.
Ces deux segments ont été choisis en raison de leur importance
en nombre de séjours et parce qu’ils illustrent de façon caractéristique la perversité du système.
Le tableau I reprend le nombre des séjours et la dotation totale
en points ISA pour chaque segment. La dernière colonne correspond à la durée moyenne de séjour (DMS) : elle est abaissée
pour le segment “Tumeur” en raison des durées d’hospitalisation
pour chimiothérapie inférieures à 24 heures. On peut voir que le
nombre de points ISA par séjour ou par RUM est d’emblée très
différent, deux fois plus élevé pour les maladies obstructives que
pour les tumeurs. Il n’existe pas de correspondance avec le rapport de 2 que l’on retrouve dans la dernière colonne (DMS) entre
ces deux segments puisque la durée de l’hospitalisation n’intervient que partiellement dans l’attribution des points ISA dès
qu’elle dépasse 24 heures. En effet, tous les postes de la comptabilité analytique ne sont pas ventilés en fonction de l’unité
d’œuvre qu’est la journée. Par conséquent, dès qu’une pathologie est traitée en moins de 24 heures dans le cas, par exemple,
d’une chimiothérapie, la dotation en points ISA est réduite.
D’autre part, la chimiothérapie n’est pas prise en compte à un
tarif ISA différent de celui d’autres soins, alors qu’une chimiothérapie engendre un coût beaucoup plus élevé, par exemple,
qu’un bilan d’évolutivité, que ce soit en termes de dépenses de
pharmacie, de consommation de médicaments coûteux, de personnel infirmier qualifié mobilisé. Le segment “Tumeur” représente donc un amalgame au sein duquel le PMSI ne prend pas en
compte la diversité des soins, et en particulier ceux durant moins
de 24 heures.
Tableau I. Répartition du nombre de points ISA totalisés dans les segments “Tumeur” et “Maladies obstructives”.
Segment
Séjour Total ISA /séjour Patients /patient Journées /jour DMS
Tumeur
862
641 769
745
221
2 903,9
3 161
203
3,67
Mal. obstr.
531
802 677
1 512
398
2 016,7
3 991
201
7,52
Les séjours pour “Maladies obstructives” représentent un groupe
relativement plus homogène, constitué essentiellement d’hospitalisations conventionnelles. Les prises en charge pour cette
pathologie sont sans comparaison avec une prise en charge pour
chimiothérapie. Il est donc étonnant que la valorisation en points
ISA dans ce segment soit le double de celle du segment
“Tumeur”.
En tant que médecins, il nous est particulièrement difficile de raisonner en termes de rentabilité financière et de points ISA, mais
jusqu’à quand pourrons-nous continuer à garantir une qualité des
soins et, par exemple, à privilégier la brièveté des séjours, notamment lorsque ceux-ci sont coûteux ?
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Pour reprendre l’exemple de la chimiothérapie, elle est le plus
souvent réalisée dans les secteurs d’hospitalisation programmée,
“géographiquement distincts” du secteur d’hospitalisation
conventionnelle, et dotés d’infirmières qualifiées dans ce
domaine. Or, une chimiothérapie en hôpital de jour se voit attribuer 239 points ISA dans le GHM 817, et 930 points ISA en hospitalisation conventionnelle de plus de 24 heures sans complication majeure associée dans le GHM 587 (version V4 en 1997).
Devrions-nous alors opter pour ce mode de prise en charge, et
donc non seulement hospitaliser un peu plus longuement des
patients déjà très éprouvés, mais aussi les exposer sur un plan
infectieux à des complications potentielles ?
Pour équilibrer un budget de service, nous pourrions par ailleurs
être incités à refuser certaines prises en charge coûteuses et dévalorisées, soit en refusant certains patients, soit en les privant des
traitements les plus récents ; il nous serait également possible de
garder une activité diversifiée et de modifier nos pratiques dans
les secteurs les moins rentables, au détriment d’une certaine qualité de soin.
Il est bien évident que ces deux éventualités sont peu satisfaisantes, et même peu éthiques. Par ailleurs, on voit mal comment
réaliser des économies toujours plus importantes, et sur quel poste
budgétaire, alors que les médicaments sont de jour en jour plus
coûteux, et que les dérivés sanguins sont soumis à toujours plus
de contraintes majorant leur coût. Il semble également hors de
propos d’économiser sur le coût des personnels, au risque de
mettre en jeu la sécurité des patients et de ne pas pouvoir satisfaire à la qualité de soins que l’on nous demande.
Puisque la comptabilité analytique nous permet d’évaluer un coût
moyen par patient dans un segment, on peut imaginer que l’attribution d’un “forfait patient” soit une réponse possible au problème. Plus largement, l’élaboration d’un coût par pathologie
pourrait permettre une valorisation plus juste.
CONCLUSION
Les médecins ont donc à se mobiliser et à argumenter pour une
valorisation exacte, s’ils veulent continuer à préserver leur façon
d’exercer la médecine. Le risque de nous voir imposer une modification de notre pratique nécessite d’être des acteurs attentifs,
capables de proposer des solutions alternatives pour que notre
pratique, tout en restant rentable sur le plan financier, le soit également pour notre éthique médicale et la qualité des soins. ■
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1. Vergnenègre A. et le Groupe d’évaluation de la SPLF. Codage PMSI. Thésaurus de codage de l’activité en pneumologie. Info Respiration, octobre
1998 ; 27 : 15-22.
2. Leclercq M., Gueuze F. ATHAC : une nouvelle approche du management
hospitalier. Gestions hospitalières, octobre 1998 ; 629-34.
La Lettre du Pneumologue - Volume III - no 2 - avril 2000
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