La Lettre d’ORL et de chirurgie cervico-faciale • n° 331 - octobre-novembre-décembre 2012 | 29
MISE AU POINT
Altération (dysbiose)
du microbiote et association
avec la survenue des allergies
Le microbiote et son altération
L’ensemble des muqueuses accessibles de l’organisme
humain est colonisé par des populations microbiennes
abondantes et diversifiées, appelées microbiote (5).
On estime que le microbiote humain est constitué
de 400 à 1 000 espèces bactériennes différentes, et
que la totalité de ce microbiote représente environ
10
14
cellules pour un individu qui, lui, ne comporte
que 10
13
cellules. Le microbiote colonise le tractus
gastro-intestinal, la cavité orale, le nez, la gorge, les
yeux, la peau et le tractus urogénital. La majorité du
microbiote est localisée dans l’intestin, plus parti-
culièrement au niveau du côlon, où l’on dénombre
jusqu’à 1012 micro-organismes par gramme de contenu.
Le séquençage du microbiote intestinal (3,3 millions
de gènes) a montré que celui-ci était 150 fois plus
grand que le génome humain (6). Si l’on ne considère
que les grands groupes microbiens et leur abondance
relative, le microbiote est sensiblement le même au
sein de l’espèce humaine. Cependant, si l’on observe la
diversité des espèces bactériennes, chaque individu a
un microbiote qui lui est propre. Celui-ci est constitué
en partie de micro-organismes résidents qui sont
tolérés par le système immunitaire. Le microbiote
“normal” et “équilibré”, appelé “eubiose”, est celui qui
est présumé remplir toutes les conditions pour nous
faire bénéficier de ses effets positifs sur la santé. Il joue
un rôle crucial dans l’établissement de la tolérance
aux antigènes. Malheureusement, dans certains cas,
on rencontre des microbiotes “déviants”, ou dysbiose,
qui ont pu être modifiés par différents facteurs, parmi
lesquels : le mode d’accouchement (voies naturelles
ou césarienne), la prématurité, l’alimentation, l’envi-
ronnement, l’administration d’antibiotiques ou les
traitements antiacides. Outre les infections oppor-
tunistes, diverses pathologies ont été corrélées à des
modifications caractéristiques de la composition du
microbiote. La plupart de ces affections sont associées
à des phénomènes allergiques ou inflammatoires et
comportent donc vraisemblablement une compo-
sante immunitaire. Parmi les pathologies associées
à une dysbiose, les plus fréquemment décrites
sont l’obésité, les cancers colorectaux, les maladies
atopiques (AA, asthme, etc.), le syndrome du côlon
irritable et les maladies inflammatoires chroniques
de l’intestin comme la rectocolite hémorragique et
la maladie de Crohn. L’étiologie de ces manifestations
est multifactorielle, impliquant des facteurs immuni-
taires, génétiques, environnementaux, alimentaires et
microbiens interconnectés.
Le rôle du microbiote altéré
dans la survenue des allergies
Aujourd’hui, les scientifiques tentent de déterminer
les relations entre les changements de nos modes
de vie depuis ces dernières décennies, notre micro-
biote, et la forte augmentation de la prévalence des
allergies dans les pays développés (7). Pour expliquer
ces relations, D.P. Strachan a proposé l’“hypothèse
de l’hygiène” (8). Cette hypothèse est fondée sur
différentes observations évidentes :
➤
les citadins sont exposés à une gamme plus
étroite de microbes que les personnes vivant dans
les zones rurales et ils développent plus d’allergies ;
➤
les enfants vivant en milieu rural au Burkina Faso,
où les allergies sont rares et le régime alimentaire
riche en fibres, ont un profil microbien fécal très
différent des enfants vivant en Europe ;
➤
l’augmentation rapide des maladies allergiques
dans les pays occidentaux pourrait coïncider avec
l’utilisation généralisée des antibiotiques. Ceux-ci,
en détruisant une grande partie du microbiote intes-
tinal, pourraient favoriser la survenue d’allergies.
K. Wickens et ses collaborateurs ont en effet montré
que l’utilisation d’antibiotiques pouvait être associée
à une augmentation du risque de développer un
asthme (9) ;
➤
les microbiotes des patients allergiques et des
individus sains sont différents. En effet, B. Björksten
et al. (10) ont mis en évidence une faible coloni-
sation par des bactéries anaérobies (bifidobactéries)
et une proportion élevée de certaines espèces
aérobies (coliformes) chez les enfants développant
une tendance allergique à l’âge de 2 ans. Il semble
donc y avoir un lien entre le microbiote intestinal
et la survenue d’allergies.
Notre sensibilité aux allergies n’est pas seulement
façonnée par le microbiote intestinal mais peut
aussi être modulée par d’autres microbiotes,
comme le microbiote cutané (11). L’épithélium
bronchique possède un microbiote très caractéris-
tique, différent chez les individus sains et chez les
asthmatiques (12). Certaines infections bactériennes
pulmonaires peuvent aggraver les AR. En effet, les
nourrissons, dont les poumons sont infectés par des
bactéries pathogènes peu après la naissance, sont
plus susceptibles de développer de l’asthme. De plus,
les poumons des adultes asthmatiques contiennent