Éditorial s e 5 1 e Microbiota: the surprise! Q ui l’eût cru il y a 20 ans, il y a 15 ans, il y a 5 ans… Qui eût parié sur lui il y a 10 ans ? Or aujourd’hui les données explosent : il est partout, il est omniprésent. Au risque de lasser, voire de saturer… et de finir par le rendre peu crédible. Car il y a de quoi s'emballer, ou au contraire douter quand on le voit impliqué dans la survenue ou l’entretien de l’obésité, du diabète, des allergies, des maladies inflammatoires intestinales, des maladies auto-immunes, de la stéatohépatite alcoolique ou métabolique, du cancer du côlon, de la dépression, de l’anorexie… Ne va-t-on pas trop loin ? Il faudra peut-être calmer le jeu dans quelques années, mais, aujourd’hui, nous sommes encore dans la phase de progression ascendante des publications d’études… sans doute pour longtemps encore. Il faut dire que, avec le microbiote et le tube digestif, tout est dans la démesure : avec 400 m2 de surface – en mettant à plat toutes les villosités et microvillosités –, l’intestin est la plus grande interface de l’organisme avec le milieu extérieur ; avec 100 000 milliards de bactéries et plus de 500 000 gènes, la microflore comporte 10 fois plus de cellules que nous n’avons de cellules eucaryotes et 15 fois plus de gènes que nous n’en avons. Provocation ultime, ces micro-organismes qui nous habitent, comme des saprophytes, ne sont pas “nous”, mais sont étroitement liés à leur hôte avec une coévolution et des synergies étonnantes : ainsi certains font l’hypothèse que c’est notre flore qui se serait adaptée aux famines des temps anciens, devenant une flore économe et rendant compte d’une prise de poids en situation d’abondance pour les “bénéficiaires” ! C’est dire aussi que la complexité des mécanismes est considérable en interaction avec la nutrition, l’épi­ génétique, les entérohormones, le système immunitaire, le métabolisme, la perméabilité intestinale… On va ainsi de surprise en surprise : le tabac agirait sur le microbiote, ce qui expliquerait en partie la prise de poids à l’arrêt de celui-ci ; les édulcorants sont aussi suspectés, ainsi que, dernièrement, les émulsifiants… Les polyphénols du vin modulent l’activité du microbiote ; c’est le microbiote qui expliquerait le caractère athérogène de la viande en favorisant la formation de TMAO (Trimethylamine N-Oxide) à partir de la carnitine. Alors, sans succomber à la microfloramania, il ne faut pas manquer la révolution : les nutritionnistes doivent prendre le train en marche, afin d’éviter le syndrome des endocrinologues devant l’obésité, qui n’ont pas su voir, avant la découverte de la leptine il y a 21 ans, dans le tissu adipeux la plus grande glande endocrine de l’organisme et s’en sont désintéressés… à tort. Certes, on peut croire à un effet de mode, mais il y a des modes qui ne passent pas parce qu’elles n’en sont pas ! Il faut juste éviter les effets de style du type “le deuxième cerveau”, ce qui est plutôt désobligeant pour le siège de l’intelligence ! Mais on ne peut nier des relations réciproques et étonnantes autour de l’axe système nerveux central-intestin, en partie via cette microflore (ou plutôt ce microbiote pour paraître à la page). Espérons toutefois que l’on aille plus vite vers des pistes thérapeutiques que cela ne fut le cas à la suite des découvertes physiologiques relatives au tissu adipeux : pré- et probiotiques sont des pistes prometteuses ; peut-être le transfert de flore sera-t-il plus rapidement accessible, mais attention aux rêves et aux faux espoirs car la complexité est le maître-mot, voire le mot de la fin de ce champ nouveau. Attention aussi aux manipulations qui peuvent être dangereuses, à l’instar de cette observation où une mère, recevant par transfert, pour guérir une infection à Clostridium difficile, le microbiote de sa fille en surpoids, a grossi de façon spectaculaire par la suite (1, 2). Il fallait faire ce dossier maintenant, avec quelques sujets triés sur le volet. Gageons que d’ici à 3 ans, il faudra en écrire un nouveau. Jean-Michel Lecerf Service de nutrition, institut Pasteur, Lille Correspondances en Métabolismes Hormones Diabètes et Nutrition - Vol. XIX - n° 5-6 - mai-juin 2015 © Sam Bellat 5 Le microbiote, la surprise ! Références 1. Alang N, Kelly CR. Weight gain after fecal microbiota transplantation. Open Forum Infectious Diseases 2015; doi:10.1093/ofid/ofv004. 2. Weill AA, Hohmann EL. Fecal microbiota transplant: benefits and risks. Open Forum Infectious Diseases 2015; doi:10.1093/ofid/ofv005 L’auteur déclare ne pas avoir de liens d’intérêts. 125