Vivre avec un vocabulaire déglingué Yves Martin 05 octobre 2013 – Lomme Association des Aphasiques du Nord Introduction Parler est certainement l’une des activités humaines parmi les plus élaborées. Les processus mentaux à l’œuvre dans l’expression verbale de la pensée sont particulièrement complexes. Introduction Parler, c’est en effet exprimer linguistiquement une pensée au moyen de mots qui doivent être sélectionnés, combinés entre eux, puis articulés. Introduction A la suite d’une lésion cérébrale, la production orale des mots peut alors être atteinte à différents niveaux : 1. Au niveau lexical : c’est la sélection, le choix des mots 2. Au niveau syntaxique : c’est leur organisation dans la phrase 3. Au niveau articulatoire : c’est la prononciation et l’articulation Le manque du mot Le manque du mot est souvent la première plainte évoquée par les patients et/ou leur entourage. « Je cherche mes mots », « Je ne trouve pas mes mots », « Je le sais mais je n’arrive pas à le dire », « Il dit des mots pour d’autres … » Le manque du mot Il correspond à l’impossibilité ou à la difficulté de trouver un vocable (un mot) spécifique adapté à une situation donnée. En conversation, … lorsqu’on raconte une histoire, … en description ou … en dénomination. Souvent, il est manquant … Toutefois, il peut arriver que trop de mots se présentent à l’esprit du locuteur et que celui-ci ne sache comment choisir !!! Le manque du mot Le manque du mot est présent dans tous les types cliniques d’aphasies. S’il est important et que les stratégies de compensation sont peu efficaces, il peut être à l’origine d’un véritable handicap communicationnel car il y a des absences de production, des temps de latence, … des pauses, … Le manque du mot Ce handicap touche le patient mais aussi l’entourage, c’est donc un handicap partagé Il engendre également des difficultés importantes en conversation. Or, c’est justement en conversation que « l’individu manifeste ses connaissances, ses pensées, ses sentiments, ses opinions et qu’il entretient des relations interpersonnelles ». (M.P. de Partz, 2008). Le manque du mot En conséquence, vont apparaître frustration énervement colère anxiété repli sur soi perte d’intérêt dépression peur stigmatisation Le manque du mot Pour comprendre ce qui se passe, il faut savoir qu’au niveau de la sélection et de la production des mots, il y a 2 grandes étapes. L’étape de récupération des mots (sémantique). Je choisis le mot « pomme » parmi tous les mots que je connais. L’étape de récupération des sons (phonologique). Je choisis les sons « P », « O », « M » parmi tous les sons que je connais. Le manque du mot Les linguistes, neurolinguistes et orthophonistes ont l’habitude de distinguer alors 2 grandes catégories de troubles. Les troubles lexico-sémantiques (choix des mots) Il y a des difficultés pour la parole, l’écriture et des problèmes de compréhension. Les troubles lexico-phonologiques (choix des sons) Il y a des difficultés pour la parole mais aucun problème de compréhension. Les erreurs de choix de mots Les paraphasies lexicales un mot pour un autre, « poule » pour cafetière Les paraphasies lexicales sémantiques un mot proche pour un autre, « citron» pour orange Les paraphasies lexicales formelles un mot proche pour un autre, « radeau» pour râteau Les erreurs de choix de mots Les périphrases d’usage « c’est pour enfoncer les clous » pour marteau Les périphrases vagues ou erronées « c’est pour le jardin » pour bouilloire Les commentaires flous « ça se trouve dans la cuisine, non ? » pour peigne Les erreurs de choix des sons Les paraphasies phonémiques simples un son pour un autre, « biliklette » pour bicyclette Les paraphasies phonémiques multiples les bons sons mais mélangés, « tuvercoure» pour couverture Les conduites d’approche « une toi, … un roitu, … une voitrure » pour voiture Les erreurs de choix des sons Les néologismes les erreurs de sélection sont telles qu’il n’y a plus aucun lien entre ce que le patient veut dire et dit, cela conduit alors à la création de nouveaux mots : « delapwa » pour nénuphar Les stratégies Les patients qui ne trouvent pas le bon mot le recherchent avec beaucoup d’efforts : soit en s’appuyant sur la forme, « boire …un verre, non, c’est pas ça … c’est celui qui commence par un B » pour bouteille soit en s’appuyant sur le sens, « alors euh … pour le vélo, pour que les mains se posent » pour guidon soit sur le contexte, « ah … alors, ils s’en vont à la mer avec un, une …caravane » pour caravane soit en combinant plusieurs aides Les stratégies Parfois aussi, ils utilisent d’autres méthodes, nous avons déjà vu : la périphrase d’usage, « c’est pour se protéger de la pluie » pour parapluie les conduites d’approche, « c’est un pé, … péli, … oui, pélican » pour pélican Mais il y a aussi, le recours au terme générique, « ah ça, … c’est une fleur jaune » pour jonquille le recours à un associé proche, « ce n’est pas un tigre, … non, un puma, … non, c’est le roi des animaux …. ah oui, un lion » pour lion Les stratégies Enfin, il y a aussi ceux qui font des gestes, qui écrivent ou réalisent un petit dessin !!! Ou qui malheureusement renoncent et alors se taisent !!! La rééducation Elle sera différente suivant les types de difficultés que présente le patient : S’il ne retrouve pas le bon mot des exercices de désignation parmi plusieurs images « montrez-moi l’éléphant » un travail sur le sens des mots « quelle différence entre le balai et le plumeau ? » des tâches de catégorisation « mettez d’un côté les fruits, de l’autre les légumes » relier un mot à sa définition « montrez l’objet qui sert à mettre du ciment sur un mur » …… La rééducation Elle sera différente suivant les types de difficultés que présente le patient : S’il ne trouve pas la bonne forme du mot dénomination avec aides orales ou écrites « le mot commence par ch … cha …. chap … » lecture puis répétition du mot « lisez papillon puis répétez-le 5 fois » fin de phrases à compléter « le matin, je me brosse les … » présentation de l’article « c’est une …, une … salade » …… Les troubles de la syntaxe A la suite d’une lésion cérébrale, la production orale des mots peut alors être atteinte à différents niveaux : 1. Au niveau lexical : c’est la sélection, le choix des mots 2. Au niveau syntaxique : c’est leur organisation dans la phrase 3. Au niveau articulatoire : c’est la prononciation et l’articulation Les troubles de la syntaxe La syntaxe : correspond à l’organisation des mots dans la phrase et en particulier aux rapports possibles entre ceux-ci. Par exemple, après « Les enfants … le verbe « jouer » sera à la 3° personne du pluriel : « Les enfants jouent ». La syntaxe : c’est aussi ce qui nous permet de dire quel est le rôle des éléments de la phrase. Ainsi dans « Les enfants jouent », Les = article enfants = sujet jouent = verbe Les troubles de la syntaxe Ces règles s’acquièrent automatiquement lors de l’enfance. D’ailleurs, les enfants font parfois des erreurs : « Tu as ton tabouret, je prend mabouret » « il a peinturé » au lieu de « il a peint ». Chez les patients aphasiques : 2 grands troubles peuvent exister : L’ agrammatisme La dyssyntaxie Les troubles de la syntaxe L’agrammatisme : c’est une réduction du nombre de mots de liaison, l’utilisation incorrecte des accords, des temps et l’emploi des verbes à l’infinitif => style télégraphique. Par exemple, « Nice : non! … 3 semaines … à côté … des paniers … euh, il y a du monde… casino aussi … à Noël… » La dyssyntaxie : c’est une déstructuration de la construction des phrases « La route dont je repars » ou « l’enfant que je tendais un bonbon vient par la prendre » La rééducation de la syntaxe Elle consistera surtout - à travailler l’organisation de la phrase, « La pomme tombe de l’arbre » - à réapprendre l’utilisation des mots de liaison, « Pierre et le loup » « le vase est sur la table » - à revoir toutes les règles d’accord, « Les éléphants sont roses » - revoir la conjugaison des verbes, « Hier, Elle riait » …… Les troubles articulatoires A la suite d’une lésion cérébrale, la production orale des mots peut alors être atteinte à différents niveaux : 1. Au niveau lexical : c’est la sélection, le choix des mots 2. Au niveau syntaxique : c’est leur organisation dans la phrase 3. Au niveau articulatoire : c’est la prononciation et l’articulation Les troubles articulatoires La prononciation et l’articulation peuvent être perturbées, on appelle généralement cela : Le syndrome de désintégration phonétique. C’est une perturbation de l’expression orale en lien avec la difficulté de bien prononcer les sons et leur enchaînements. On peut aussi retrouver : - une apraxie bucco-faciale : impossibilité de réaliser le geste - une paralysie faciale - des mouvements articulatoires excessifs Les troubles articulatoires : rééducation Il s’agira essentiellement de réapprendre comment réaliser les bons mouvements et les bons gestes pour pouvoir ensuite prononcer correctement les sons; d’abord de façon isolée puis en association. Conclusion Cette rééducation devra se poursuivre plusieurs fois par semaine, pendant de nombreuses semaines, voire plusieurs mois et années, avec, si possible, un travail individuel de la part du patient en plus de ce qui est fait en séance. Attention, toutefois, à la fatigue et l’exagération !!! Il est aussi très important de garder l’envie de parler, de communiquer et de se faire comprendre. Conclusion Ces troubles de la production orale des mots sont très invalidants et constituent un véritable handicap communicationnel, à la fois pour le patient mais aussi pour son entourage. Ils engendrent frustration, colère, anxiété, …, peur !!! Ils sont souvent présents dans les différents types d’aphasie mais il y a, heureusement, de bonnes méthodes de rééducation qui permettent d’en atténuer les effets. Toutefois, il est nécessaire d’effectuer un travail long et parfois répétitif pour arriver à un bon résultat. Conclusion Merci de votre attention