Conserver le tissu testiculaire avant la puberté

1170 Revue Médicale Suisse
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29 mai 2013
actualité, info
… Aussi les techniques maîtrisées
pour les spermatozoïdes ne sont-
elles pas ici adaptées …
Dr Jacques Meizoz
Rue de lHôpital 11
1920 Martigny
jacques.meizoz@vtxnet.ch
avancée thérapeutique
Comment, en aval des progrès ac-
complis en matière de traitements
de certains cancers chez des enfants
prépubères, préserver la fertilité
de ces derniers ? Nous avons vu
ce qu’il pouvait en être pour les
petites filles (Revue Médicale Suisse
du 22 mai 2013). Qu’en est-il pour
le sexe masculin ? Une synthèse
actualisée de cette activité nova-
trice vient d’être faite devant
l’Académie nationale française de
médecine par le Pr Nathalie Rives
(Laboratoire de biologie de la
reproduction – Cecos, CHU
Charles Nicolle, Rouen).
La cellule germinale souche (sper-
matogonie souche) constitue une
cible de choix de la toxicité avec
un risque de stérilité inhérent à
certains traitements anticancéreux.
Il faut ici savoir que chez l’enfant
la congélation du tissu testiculaire
est un procédé récent et potentiel
de préservation de la fertilité
masculine. Si les cancers de l’en-
fant représentent moins de 1% de
l’ensemble des cancers, ils repré-
sentent aussi, avant l’âge de quinze
ans, la première cause de décès
par maladie. Les nouveaux cas
observés sont en plus forte pro-
portion dans le groupe d’âges des
0-4 ans avec une fréquence de
36%. Les traitements anticancéreux
ont une toxicité qui peut concerner
tous les organes ou tissus. Les go-
nades constituent toutefois une
cible de choix de cette toxicité, le
testicule étant plus vulnérable
que l’ovaire. Ici, le testicule peut
être atteint à la fois au niveau de
sa fonction exocrine, la spermato-
genèse (cellules germinales et cel-
lules de Sertoli) et de manière
plus exceptionnelle au niveau de
sa fonction endocrine (cellules de
Leydig).
La toxicité gonadique est dépen-
dante des modalités thérapeuti ques
mises en œuvre (radiothérapie,
chimiothérapie) ainsi que des
doses et des durées. L’âge du pa-
tient, sa susceptibilité individuelle
à la toxicité de ces traitements et
la qualité de la spermatogenèse
préalable à l’introduction des trai-
tements sont également ici des
paramètres à prendre en considé-
ration. On sait toutefois que cer-
tains schémas thérapeutiques sont
à risque très élevé d’altération
définitive de la cellule germinale
souche. Il en va ainsi des condi-
tionnements qui précèdent l’allo-
greffe de cellules souches héma-
topoïétiques (CSH) comme de
l’irradiation corporelle totale et de
la chimiothérapie aplasiante. Il en
va de même avec l’intensification
thérapeutique avec autogreffe de
CSH, des traitements utilisés pour
les tumeurs des tissus mous mé-
tastatiques et des protocoles de
chimiothérapie pouvant inclure
l’utilisation d’agents alkylants
pour traiter certains lymphomes.
Ainsi que de la radiothérapie pel-
vienne ou testiculaire.
Et en dépit d’un faible taux de
prolifération cellulaire observé au
niveau des spermatogonies, le
testicule prépubère n’est nulle-
ment protégé des effets toxiques de
la chimiothérapie ou de la radio-
thérapie. C’est ainsi qu’une
azoospermie peut être observée
chez près de 18% d’hommes guéris
d’un cancer traité durant l’enfance.1
«Des stratégies pour préserver
leur fertilité doivent être propo-
sées si un traitement à
risque majeur d’altéra-
tion définitive de la
cellule germinale
souche est envisagé»
souligne le Pr Rives.
La préservation de la fertilité est
actuellement envisageable pour
les hommes pubères et pour les
femmes pubères ou les filles pré-
pubères. Mais chez le garçon pré-
pubère cette préservation ne repose
que sur la possibilité de conserver
les cellules germinales souches.
Aucune autre stratégie de préser-
vation de la gonade n’est actuelle-
ment disponible, pas plus qu’un
traitement médical de protection
des cellules germinales souches.
Conserver le tissu testiculaire
avant la puberté
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en hâte auprès d’un confrère psychiatre, me
confie à ma collègue, dors mal et décide le
lendemain d’hospitaliser cet homme contre
son gré. Le médecin-chef de l’hôpital psychia-
trique contacté partage cette décision et se
dit prêt à accueillir et traiter ce patient malgré
sa normalité apparente. Inquiet du déroule-
ment de l’intervention, je demande l’aide de
policiers. L’intervention menée dans le
calme par des professionnels bien infors
au préalable par mes soins se déroule sans
violence. Présent à leurs côtés, je rassure et
informe mon patient de la décision prise et
des raisons qui la motivent. A notre grande
surprise, celui-ci accepte sans résistance,
avec un étrange détachement l’hospitalisa-
tion qui lui est imposée. Un grand soulage-
ment emplit chacun de nous. La tempête
dans mate s’apaise enfin.
Un mois plus tard, Pablo se présente au
rendez-vous fixé à sa sortie d’hôpital pour la
suite de son traitement. Son sourire n’a pas
changé. Il ne m’en veut pas, accepte son
traitement. Plus ouvert, il parle librement de
ses voix : depuis longtemps elles ordonnaient,
crachaient des injures, des injonctions diver-
ses… La dynamite bien sûr c’est elles…
mais n’ont pas eu loccasion de dicter son
usage !
Cette histoire est une fiction adaptée libre-
ment d’une expérience vécue.
1 Romerius P, Ståhl O, Mll C, et al. High
risk of azoospermia in men treated for
childhood cancer. Int J Androl 2011;34:
69-76.
2 Goossens E, Van Saen D, Tournaye H.
Spermatogonial stem cell preservation
and transplantation : From research to cli-
nic. Hum Reprod 2013;28:897-9 0 7.
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La conservation par congélation
des cellules germinales souches
peut s’envisager selon différentes
modalités. «Un prélèvement chi-
rurgical de tissu testiculaire doit
tout d’abord être effectué. Puis, le
tissu testiculaire ainsi prélevé sera
utilisé sous la forme de fragments
ou d’une suspension de cellules
testiculaires ou d’une fraction
enrichie en cellules germinales
souches, obtenue après dissocia-
tion mécanique ou enzymatique
du tissu» explique le Pr Rives. Par
la suite, les fragments de tissu tes-
ticulaire (ou la suspension cellu-
laire) pourront avant (ou après)
congélation être mis en culture de
façon à reproduire in vitro une
spermatogenèse (maturation in
vitro) – les spermatozoïdes ainsi
générés seront congelés en vue
d’une utilisation ultérieure dans
le cadre d’une PMA (procréation
médicalement assistée). Ils pour-
ront aussi être greffés ou trans-
plantés chez le patient après gué-
rison afin d’obtenir une
sperma togenèse in vivo (matura-
tion in vivo) et la restauration de
sa fertilité naturelle.
On pourrait aussi imaginer qu’ils
soient greffés ou transplantés chez
l’animal (xénogreffe ou xéno-
transplantation) afin, là encore,
d’aboutir aussi à une spermatoge-
nèse in vivo.2 Si les indications
sont envisageables (tumeurs pou-
vant métastaser et envahir le tissu
testiculaire) les maturations in vitro
ou in vivo chez l’animal présen tent
néanmoins un certain nombre
d’inconvénients, comme le sou-
ligne le Pr Rives : modifications
d’ordre génétique ou épigénéti que
pouvant être à l’origine de patho-
logies de la descendance et conta-
mination par des agents infectieux
d’origine animale. «On peut s’in-
terroger s’il est acceptable sur le
plan éthique d’utiliser en PMA des
spermatozoïdes humains obtenus
chez un animal» ajoute-t-elle. De
fait, on le peut. Peut-être même le
doit-on.
Ajoutons que la congélation
(-196 °C) et la conservation de
fragments de tissu testiculaire
permettent aussi de préserver
l’architecture des tubes sémini-
fères et plus spécifiquement le
micro-environnement propre à la
niche de la cellule germinale
souche. Comment congeler le tissu
testiculaire ou les cellules germi-
nales souches ? Le Pr Rives traite
dans le détail de cette question
complexe d’un point de vue
technique. Le tissu testiculaire
prépubère est en effet constitué
de cellules riches en cytoplasme
(cellules germinales souches, cel-
lules de Sertoli et cellules de Ley-
dig) comportant un risque accru
de formation de cristaux de glace
dans le cytoplasme de ces cellules
lors de la congélation. Aussi les
techniques maîtrisées (depuis
1953) pour les spermatozoïdes ne
sont-elles pas ici adaptées.
Les premières congélations effec-
tives commencent à être rappor-
tées dans la littérature spécialisée,
et ce dans et en dehors (orchidec-
tomies bilatérales) des indications
pour cancer. En France, la congé-
lation du tissu testiculaire s’inscrit
dans la loi de bioéthique de juillet
2011. Elle dispose que «toute per-
sonne peut bénéficier du recueil
et de la conservation de ses ga-
mètes ou de son tissu germinal…
lorsqu’une prise en charge médi-
cale est susceptible d’altérer sa
fertilité, ou lorsque sa fertilité
risque d’être prématurément alté-
rée». «Cependant, cette procédure
de préservation de la fertilité mas-
culine se met en place lentement
en France et en Europe, rapporte
le Pr Rives. Et ce, du fait de la né-
cessité de maîtriser la procédure
de congélation du tissu testiculaire
mais aussi de pouvoir mettre en
place un réseau pluridisciplinaire
associant les onco-hématologues
de l’enfant, les chirurgiens infan-
tiles et les médecins et biologistes
de la reproduction pour assurer
une prise en charge optimale des
jeunes patients.»
Pour l’heure, aucune utilisation
de tissu testiculaire humain dé-
congelé n’a encore été rapportée.
Cela ne saurait désormais tarder.
Jean-Yves Nau
jeanyves.nau@gmail.com
D.R.
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