Revue Médicale Suisse
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29 mai 2013 1171
en hâte auprès d’un confrère psychiatre, me
confie à ma collègue, dors mal et décide le
lendemain d’hospitaliser cet homme contre
son gré. Le médecin-chef de l’hôpital psychia-
trique contacté partage cette décision et se
dit prêt à accueillir et traiter ce patient malgré
sa normalité apparente. Inquiet du déroule-
ment de l’intervention, je demande l’aide de
policiers. L’intervention menée dans le
calme par des professionnels bien informés
au préalable par mes soins se déroule sans
violence. Présent à leurs côtés, je rassure et
informe mon patient de la décision prise et
des raisons qui la motivent. A notre grande
surprise, celui-ci accepte sans résistance,
avec un étrange détachement l’hospitalisa-
tion qui lui est imposée. Un grand soulage-
ment emplit chacun de nous. La tempête
dans ma tête s’apaise enfin.
Un mois plus tard, Pablo se présente au
rendez-vous fixé à sa sortie d’hôpital pour la
suite de son traitement. Son sourire n’a pas
changé. Il ne m’en veut pas, accepte son
traitement. Plus ouvert, il parle librement de
ses voix : depuis longtemps elles ordonnaient,
crachaient des injures, des injonctions diver-
ses… La dynamite bien sûr c’est elles…
mais n’ont pas eu l’occasion de dicter son
usage !
Cette histoire est une fiction adaptée libre-
ment d’une expérience vécue.
1 Romerius P, Ståhl O, Moëll C, et al. High
risk of azoospermia in men treated for
childhood cancer. Int J Androl 2011;34:
69-76.
2 Goossens E, Van Saen D, Tournaye H.
Spermatogonial stem cell preservation
and transplantation : From research to cli-
nic. Hum Reprod 2013;28:897-9 0 7.
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La conservation par congélation
des cellules germinales souches
peut s’envisager selon différentes
modalités. «Un prélèvement chi-
rurgical de tissu testiculaire doit
tout d’abord être effectué. Puis, le
tissu testiculaire ainsi prélevé sera
utilisé sous la forme de fragments
ou d’une suspension de cellules
testiculaires ou d’une fraction
enrichie en cellules germinales
souches, obtenue après dissocia-
tion mécanique ou enzymatique
du tissu» explique le Pr Rives. Par
la suite, les fragments de tissu tes-
ticulaire (ou la suspension cellu-
laire) pourront avant (ou après)
congélation être mis en culture de
façon à reproduire in vitro une
spermatogenèse (maturation in
vitro) – les spermatozoïdes ainsi
générés seront congelés en vue
d’une utilisation ultérieure dans
le cadre d’une PMA (procréation
médicalement assistée). Ils pour-
ront aussi être greffés ou trans-
plantés chez le patient après gué-
rison afin d’obtenir une
sperma togenèse in vivo (matura-
tion in vivo) et la restauration de
sa fertilité naturelle.
On pourrait aussi imaginer qu’ils
soient greffés ou transplantés chez
l’animal (xénogreffe ou xéno-
transplantation) afin, là encore,
d’aboutir aussi à une spermatoge-
nèse in vivo.2 Si les indications
sont envisageables (tumeurs pou-
vant métastaser et envahir le tissu
testiculaire) les maturations in vitro
ou in vivo chez l’animal présen tent
néanmoins un certain nombre
d’inconvénients, comme le sou-
ligne le Pr Rives : modifications
d’ordre génétique ou épigénéti que
pouvant être à l’origine de patho-
logies de la descendance et conta-
mination par des agents infectieux
d’origine animale. «On peut s’in-
terroger s’il est acceptable sur le
plan éthique d’utiliser en PMA des
spermatozoïdes humains obtenus
chez un animal» ajoute-t-elle. De
fait, on le peut. Peut-être même le
doit-on.
Ajoutons que la congélation
(-196 °C) et la conservation de
fragments de tissu testiculaire
permettent aussi de préserver
l’architecture des tubes sémini-
fères et plus spécifiquement le
micro-environnement propre à la
niche de la cellule germinale
souche. Comment congeler le tissu
testiculaire ou les cellules germi-
nales souches ? Le Pr Rives traite
dans le détail de cette question
complexe d’un point de vue
technique. Le tissu testiculaire
prépubère est en effet constitué
de cellules riches en cytoplasme
(cellules germinales souches, cel-
lules de Sertoli et cellules de Ley-
dig) comportant un risque accru
de formation de cristaux de glace
dans le cytoplasme de ces cellules
lors de la congélation. Aussi les
techniques maîtrisées (depuis
1953) pour les spermatozoïdes ne
sont-elles pas ici adaptées.
Les premières congélations effec-
tives commencent à être rappor-
tées dans la littérature spécialisée,
et ce dans et en dehors (orchidec-
tomies bilatérales) des indications
pour cancer. En France, la congé-
lation du tissu testiculaire s’inscrit
dans la loi de bioéthique de juillet
2011. Elle dispose que «toute per-
sonne peut bénéficier du recueil
et de la conservation de ses ga-
mètes ou de son tissu germinal…
lorsqu’une prise en charge médi-
cale est susceptible d’altérer sa
fertilité, ou lorsque sa fertilité
risque d’être prématurément alté-
rée». «Cependant, cette procédure
de préservation de la fertilité mas-
culine se met en place lentement
en France et en Europe, rapporte
le Pr Rives. Et ce, du fait de la né-
cessité de maîtriser la procédure
de congélation du tissu testiculaire
mais aussi de pouvoir mettre en
place un réseau pluridisciplinaire
associant les onco-hématologues
de l’enfant, les chirurgiens infan-
tiles et les médecins et biologistes
de la reproduction pour assurer
une prise en charge optimale des
jeunes patients.»
Pour l’heure, aucune utilisation
de tissu testiculaire humain dé-
congelé n’a encore été rapportée.
Cela ne saurait désormais tarder.
Jean-Yves Nau
jeanyves.nau@gmail.com
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