Economie Conjoncture D’après le courtier Aon, les risques d’investissement ont augmenté dans de nombreux pays émergents. l La situation des Brics et celle de l’Ukraine inquiètent particulièrement les entrepreneurs belges. l L’Argentine s’enfonce, elle, dans la crise et le FMI critique la manière dont elle veut s’en sortir. l Les pays émergents inquiètent les entreprises belges “Le climat des affaires se dégrade dans les Brics” 12,5% EXPORTATIONS BELGES RISQUÉES D’après Aon, plus d’un huitième des exportations belges (12,5%) sont actuellement exposées à un “risque accru”. La situation qui se dégrade au sein des Brics et de l’Ukraine est surtout inquiétante pour la Flandre. Ces seuls pays représentent 8,2% de l’ensemble des exportations flamandes contre 3,6% des wallonnes. I l devient de plus en plus risqué pour les entreprises belges de faire du business avec plusieurs pays émergents. C’est ce qui res­ sort d’un rapport du courtier d’assurance Aon (voir ci­contre). Il y a quelques jours, Aon a sorti sa carte an­ nuelle des “risques politiques”, analy­ sant 163 économies émergentes au pei­ gne fin. L’assureur se base sur différents critères: violences politiques, insolvabi­ lité des pouvoirs publics, interférence de la politique dans l’économie, risque de change… Bref, selon Aon, la politique d’un pays a souvent un impact fort sur son écono­ mie. “Quand un entrepreneur veut acqué­ rir une entreprise ou faire de l’import­ export dans un pays, il doit être conscient que certains risques peuvent exister, expli­ que un analyste du courtier d’assurance. Les cas de nationalisation ou d’expropria­ tion ont, par exemple, dans le passé fait per­ dre beaucoup d’argent à certains entrepre­ neurs belges trop audacieux.” D’après Aon, par rapport à l’année der­ nière, les risques se sont accrus dans seize pays analysés, alors que la situation s’est améliorée dans six autres. “C’est un recul par rapport à l’année dernière, où le 22 16 PAYS EN ZONE ROUGE 6 PAYS QUI PROGRESSENT 5 BRICS À LA PEINE Les risques politiques sont les plus élevés dans 16 des 163 économies émergentes examinées. Parmi ces pays à “risque très élevé”, on retrouve notamment l’Ukraine, la République démocratique du Congo, la Corée du Nord, l’Iran ou le Zimbabwe. Dans seulement six pays émergents (Philippines, Ghana, Haïti, Laos, Ouganda, Surinam) la situation s’est améliorée pour les entreprises. Aon pointe toutefois du doigt les “problèmes considérables” en matière de droits de l’homme en Ouganda. Le pays vient de voter l’une des lois les plus strictes au monde contre les homosexuels. Les cinq pays “Brics” (Brésil, Russie, Inde, Chine, Afrique du Sud) ont vu leur climat des affaires se dégrader ces derniers mois. En cause, notamment, un rapatriement des capitaux vers les marchés développés. Sur l’ensemble des pays analysés, 16 économies régressent par rapport au dernier classement. nombre de pays en progression était supé­ rieur à celui des économies en régression”, explique le rapport. Un pays à l’économie ouverte comme la Belgique est évidemment (indirecte­ ment) touché par cette dégradation gé­ nérale des “émergents”, même si notre pays effectue l’essentiel de ses échanges commerciaux au sein de l’Union euro­ péenne. D’après Aon, “il n’est pas exagéré de dire que 12,5% ou plus d’un huitième des exportations sont actuellement expo­ sées à un risque accru”. ble.” Mais chaque pays des Brics est aussi touché à sa manière. L’organisation de la Coupe du monde de football ne semble pas être un atout pour le Brésil, dont la faiblesse de l’éco­ nomie est mise en avant, ainsi que l’in­ terventionnisme accru des autorités dans l’économie. L’Inde souffre d’une “corruption persistante” et d’un niveau “raisonnablement élevé” d’interférence du politique dans l’économie, sans compter les litiges territoriaux, le “terrorisme” ou les conflits régionaux. La croissance éco­ nomique est moins soutenue qu’aupara­ vant en Chine, tandis que les “grèves à ré­ pétition” ont un impact en Afrique du Sud. “La grève est devenue le principal mode de formation des salaires, ce qui en­ traîne un climat moins favorable pour les entreprises et un alourdissement des coûts de financement”, explique le rapport. tés politiques”, d’après Aon. L’évaluation du risque pour l’Ukraine est, elle, passée de “moyen” à “très élevé”, soit la catégorie la plus haute. “Les entre­ prises qui traitent des affaires dans ce pays courent un très grand risque de voir les paiements en devises fortes devenir impossi­ bles en raison des limitations du système fi­ nancier.” Il existe aussi une possibilité que “les autorités ne puissent plus honorer leurs obligations financières”. “L’instabilité de la situation en Ukraine a une influence sur les entreprises belges”, explique Jean­Louis Coppers, administrateur­délégué de Crion, une filiale d’Aon. “De manière géné­ rale, les primes ne peuvent qu’augmenter en raison de la forte demande d’assurances. Les assureurs approchent leur plafond maximal en termes de pays ou de débiteurs.” L’effet de contagion est redouté. En fait, la crise ukrainienne a déjà des réper­ cussions dans toute la région. “Les risques augmentent notamment dans d’anciennes républiques soviétiques comme la Biélorus­ sie, l’Arménie, la Géorgie ou la Moldavie”, concluent les analystes. Raphaël Meulders La Flandre plus touchée que la Wallonie Les seuls Brics (Brésil Russie, Inde, Chine et Afrique du Sud) et l’Ukraine re­ présentent 8,2% de la totalité des expor­ tations flamandes. Or, les risques ont augmenté dans tous ces pays. “Ce qui nous surprend, c’est surtout la dégradation du climat des affaires dans les pays Brics”, explique l’un des auteurs de la carte. Se­ lon le courtier, il y a un dénominateur commun à cette dégradation: la reprise économique sur les marchés développés fait que les capitaux sont “rapatriés” de­ puis les marchés émergents. “Cela met encore davantage sous pression des pays présentant une balance commerciale fai­ Le risque de contagion ukrainienne Mais parmi le club des Brics, c’est évi­ demment la Russie qui suscite le plus d’inquiétudes, en raison des très fortes tensions avec son voisin ukrainien. “Le climat des affaires, déjà morose, s’est en­ core détérioré. L’économie en Russie reste encore et toujours dominée par les autori­ U L’analyse complète, pays par pays, sur le site www.riskmap.aon.co.uk La Libre Belgique - vendredi 18 avril 2014 © S.A. IPM 2014. Toute représentation ou reproduction, même partielle, de la présente publication, sous quelque forme que ce soit, est interdite sans autorisation préalable et écrite de l'éditeur ou de ses ayants droit. Le FMI épingle la “méthode argentine” Teresita Dussart Correspondante à Buenos Aires N ous ne sommes rien venus cher­ cher.” “Nous n’avons rien d’extra­ ordinaire à annoncer. Nous n’avons pas d’accord avec le FMI.” C’est ainsi qu’Axel Kicillof, ministre de l’Eco­ nomie argentin, a conclu son voyage à Washington, vécu comme un voyage à Canossa, mais sans pardon à la clé. Le prétexte était la réunion annuelle des ministres de l’Economie du G24. Mais personne ne fait mystère du fait que la délégation argentine escomptait mettre à profit le sommet pour contre­ carrer le terrible effet des prévisions 2014 du FMI à l’égard de l’Argentine, annoncées mercredi dernier. Ces prévisions tombent au pire mo­ ment, alors que le pays austral met tout le poids de sa diplomatie pour arriver à un accord avec les créanciers du Club de Paris. Or ces derniers exigent que le FMI arbitre les négociations. La pro­ chaine réunion est prévue le 26 mai prochain. La résolution de cette dette est un passage obligé pour retrouver le chemin d’accès au marché du crédit in­ ternational. Dans son rapport annuel “World Eco­ nomic Outlook” (WEO) 2014, le FMI prévoit pour l’Argentine une contrac­ tion de la croissance: 0,5%, proche de la nières semaines quelques tentatives de stagnation pour l’année en cours et de correction. Il y a d’abord cette sévère 1 % pour 2015. A titre indicateur, en politique de pression sur les prix, évo­ 2011, la croissance était de 8,9%. En­ quée par le rapport du FMI. Les méca­ tre 2003 et 2011 cette croissance tout nismes de contrôle de l’inflation ne entière basée sur les bons passent évidemment résultats de l’exportation pas par ces formules ru­ du soya n’a été qu’une dimentaires. Néanmoins seule fois en dessous de il en ressort que le gou­ 7 %, lors de la crise de vernement argentin est 2009. sorti du déni et consent Mais plus que les prévi­ à reconnaître (pas en­ sions – certes plus pessi­ core à la mesurer), que mistes que pour l’ensem­ l’inflation existe. ble du continent, mais Dans le même ordre suivant dans le fond, le d’idées, le gouverne­ LE RAPPORT DU FMI mouvement d’atterris­ L’organisation n’est pas tendre ment a diminué ses di­ sage de l’ensemble des verses subventions, dans avec l’Argentine. pays émergents, après certains cas de 500 %, des années de forte croissance –, ce qui dans le cadre d’une nouvelle politique fait mal, c’est le diagnostic sur la mé­ de contrôle des dépenses de l’Etat. Le thode. “Les méthodes adoptées pour gé­ gouvernement a même procédé en fé­ rer les déséquilibres internes et externes, vrier à une dévaluation de son peso de en incluant le contrôle des prix, le type de 30%. Axel Kicillof préfère admettre un change et le commerce, font encore plus “glissement monétaire” (NdlR : l’Ar­ de mal à la confiance et à l’activité écono­ gentine conserve le profil typique de mique”, indique le rapport. l’économie transitoire avec un contrôle monétaire direct du chef de l’exécutif, Une politique économique clientéliste plus encore que du directeur de la Ban­ C’est douloureux pour un gouverne­ que centrale). ment qui, après une décennie de politi­ C’est que les nuages s’amoncellent. que économique clientéliste, protec­ L’agence Moody’s a baissé la qualifica­ tionniste, dirigiste, a entrepris ces der­ tion de la dette argentine en mars der­ “Les méthodes adoptées […] font encore plus de mal à la confiance et à l’activité économique.” nier à “Caa1”, le cinquième opérateur de dette souveraine toxique d’une liste de 22. L’agence de notation réagissait à “l’inconsistance de la politique économi­ que” pour enrayer la chute des réserves. Le 16 avril 2014 ces réserves étaient de 27,6 milliards de dollars. A la même période en 2011, elles étaient de 52 milliards. Le scénario inéluctable du défaut? En période de vaches grasses, l’hé­ morragie des réserves avait déjà com­ mencé. C’était une croissance sans dé­ veloppement. Le service de la dette n’a cessé de croître en part du PIB. Selon un rapport du Centre d’étude sur l’Amérique latine et les Caraïbes (Ce­ lac) en conjonction avec l’OCDE, en 2013, cette proportion était de 67,1%. Un cumulonimbus assombrit davan­ tage le tableau: le verdict attendu dans les jours qui viennent de la Cour su­ prême des Etats­Unis, dans le cadre de l’affaire qui oppose un groupe de titu­ laires minoritaires de “holdouts”, qui n’ont pas accepté la restructuration de la dette des bons souverains argentins. Si la Cour suprême entérine le verdict du juge new­yorkais Thomas Griesa, le scénario inéluctable serait alors le dé­ faut, de l’aveu même du gouvernement argentin. vendredi 18 avril 2014 - La Libre Belgique 23 © S.A. IPM 2014. Toute représentation ou reproduction, même partielle, de la présente publication, sous quelque forme que ce soit, est interdite sans autorisation préalable et écrite de l'éditeur ou de ses ayants droit.