unique qui leur est propre. Par exemple, bien que le sébum serve généralement de
film antibactérien,
P. acnes
hydrolyse les triglycérides qui y sont présents, libère des
acides gras libres qui facilitent son adhérence et ensuite colonise ces unités sébacées.
Aussi les localisations anatomiques principales où l’on retrouve
P. acnes
sont le
front, le menton, le nez et le dos, en particulier au niveau des follicules pileux et des
glandes sébacées. Toutes ces régions sont d’ailleurs connues pour leur tendance
acnéique.
Propionibacterium
est, quant à lui, prédominant au niveau des régions
sébacées du visage, du cuir chevelu, de la poitrine et du dos. D’autres espèces,
comme
S. aureus
et
Corynebacterium
, sont prédominantes sur les zones humides telles
les narines ou les aisselles, et moins nombreuses sur les régions plus sèches telles le
dos, la poitrine, les avant-bras, les chevilles ou les pieds13,16,27. Le microbiote des zones
sèches comprend plutôt, quant à lui, des bactéries à Gram négatif. La variabilité
temporelle du microbiote cutané est toutefois dépendante du site corporel considéré.
Chez les adultes sains, les sites tels les narines, la glabelle et le conduit auditif
externe montrent une relative stabilité par rapport aux régions sèches telles la partie
interne de l’avant-bras et le talon.
La distribution spatiale et temporelle des composants du microbiote cutané ainsi
que leur densité varient également en fonction du sexe29. En effet, les hommes
présentent une densité microbienne plus importante comparée aux femmes6.D’un
point de vue composition, les communautés bactériennes présentes sur les mains des
femmes et des hommes semblent également varier de façon significative. Parmi les
micro-organismes présents à la fois chez les hommes et les femmes sont trouvés en
quantité plus importante chez les hommes
Proprionibacterium
et
Corynebacterium
,
et chez les femmes
Enterobacteriaceae
,
Moraxellaceae
,
Lactobacillaceae
et
Pseudomonadaceae
. En outre, il semblerait que les femmes aient un microbiote
cutané considérablement plus varié que les hommes au niveau de leurs mains. Les
raisons de cette diversité ne sont pas bien établies à ce jour. Les variations du pH
de la peau pourraient avoir une influence sur cette diversité, les hommes ayant
généralement une peau plus acide. La différence de production de sueur et de sébum,
la fréquence d’application de produits hydratants et/ou cosmétiques, l’épaisseur de
la peau ou la production d’hormone pourraient également être mis en cause.
Dr Catherine Laverdet - Dermatologue - Paris
Rôle du microbiote cutané pour
la santé de la peau
Les dernières avancées en microbiologie et en immunologie ont considérablement
changé la compréhension des mécanismes moléculaires de la virulence microbiotique
et des événements spécifiques qui ont lieu durant les interactions hôte-microbe. Les
divers et très nombreux micro-organismes commensaux vivants dans ou sur la peau
sont indispensables à la vie. Outre leur rôle dans l’apparition des odeurs corporelles,
ils sont en effet étroitement liés au maintien d’un bon état de santé de la peau1. Les
microbes résidents et transitoires ne causent ni maladie, ni dysfonctionnement,
dans les conditions normales, lorsque qu’une hygiène adéquate est assurée et
lorsque la flore résidente, les réponses immunitaires et la fonction barrière sont
intactes. La peau et sa microflore cutanée commensale permettent de prévenir un
certain nombre de colonisations et infections, par une large variété de pathogènes
microbiens14. Directement bénéfique, le microbiote cutané est capable de jouer un
rôle de barrière et de protéger son hôte.
L’hôte et son microbiote cutané peuvent coopérer pour lutter ensemble contre
l’invasion d’agents pathogènes et favoriser les guérisons11,14,30,31 :
•En effet, le
stratum corneum
fournit une formidable barrière protectrice empêchant
l’entrée des micro-organismes au niveau des tissus. Les bactéries transitoires sont
par ailleurs continuellement éliminées de la surface de la peau par desquamation.
La faible humidité cutanée des membres et du torse limite la croissance des micro-
organismes, en particulier des bactéries à Gram négatif, sur une peau intacte. La
température cutanée, plus basse que la température corporelle, ainsi que le pH acide
de la peau permettent également de prévenir la croissance bactérienne. L’épiderme
génère des lipides antimicrobiens, des peptides tels les β-défensines et la cathélicidine,
des récepteurs dédiés à la reconnaissance des pathogènes qui tous ensemble forment
l’immunité innée cutanée. Les kératinocytes sont ainsi capables de produire des lipides
permettant d’inhiber
S. aureus, Candida albicans
et les dermatophytes. De même,
la sueur apocrine et eccrine contient des protéines inhibitrices telles le lysozyme,
une enzyme capable d’hydrolyser les parois cellulaires des bactéries à Gram positif
et négatif (…)
•La microflore résidente permet de protéger l’hôte contre les infections tout
simplement par sa présence. Par un phénomène de saturation des sites corporels
et de compétition vis-à-vis des nutriments essentiels dérivés du sébum et de la
sueur7,8 les « envahisseurs » ne peuvent alors pas croître. Or, les micro-organismes
doivent être en mesure, pour devenir pathogènes, de contourner les systèmes de
défense de l’hôte, d’adhérer, de se multiplier et de l’envahir11. En se développant
et en se multipliant, les bactéries résidentes produisent par ailleurs des métabolites
toxiques permettant d’inhiber les autres micro-organismes et d’éviter l’oxydation
de la peau32. Le microbiote cutané est aussi capable de contribuer à la défense
de la peau en produisant des bactériocines actives contre les bactéries et/ou
levures pathogènes,10,11. Pour exemple, en se fixant aux récepteurs des kératinocytes,
S. epidermidis
inhibe l’adhésion de la forme virulente de
S. aureus
en empêchant
non seulement sa colonisation nasale mais aussi la formation du biofilm essentiel
pour protéger les bactéries pathogènes en division en facilitant leur adhésion et en
favorisant leur résistance vis-à-vis des agents antimicrobiens et des anticorps9,32,33.
En parallèle,
S. epidermidis
produit des peptides antimicrobiens ou «
lantibiotics
»
tout en amplifiant la réponse immunitaire des kératinocytes face à l’agent pathogène,
permettant ainsi d’interférer avec la colonisation de
S. aureus
et d’augmenter les
défenses cutanées contre l’infection1,10,34. Enfin, les bactéries commensales cutanées
contribuent indirectement à l’amélioration par l’hôte de sa production d’anticorps,
à la stimulation de la phagocytose et des mécanismes de clairance, et à
l’augmentation de sa production d’interféron et de cytokines, jouant ainsi un rôle
dans le processus de guérison31.Par exemple,
P. acnes
, en libérant des acides
gras par dégradation lipidique du film hydrolipidique, acidifie le milieu et inhibe
la croissance de
Streptococcus pyogenes
,11.
Néanmoins, dans un système immunitaire affaibli, les bactéries cutanées peuvent agir
de manière opportuniste et devenir pathogène. Même si ce phénomène reste rare, la
flore transitoire, comme la flore résidente peuvent avoir des effets négatifs sur l’hôte
et être à l’origine d’infections primaires et/ou secondaires35. L’acné, par exemple, est
associée à une combinaison de
P. acnes
dominant,
S. epidermidis
et
Corynebacterium
.
Les lésions psoriasiques sont, pour leur part, exposées à une plus grande diversité
bactérienne comprenant une quantité accrue de
Streptococcus
et une quantité
moindre de
P. acnes
, comparativement à la peau de sujets sains1,13,36. Les plaies
chroniques, qui affectent les sujets diabétiques, les personnes âgées et les patients
immobiles, peuvent être envahies par les micro-organismes commensaux cutanés
devenus pathogènes suite à la rupture de la barrière cutanée. Bien que ces bactéries
ne soient pas responsables de la plaie initiale, elles contribuent à en freiner la
guérison et à rendre persistante l’inflammation associée aux plaies chroniques.
La barrière cutanée et l’immunité innée permettent le maintien d’une peau en bonne
santé. L’équilibre du microbiote de la peau, ainsi que l’expression des conditions
écologiques du milieu (température, pH, teneurs hormonales, en lipides ou en
protéines, exposition aux UV, absence de lumière, type de muqueuse, teneur en
eau etc.) sont également essentiels à ce maintien. Tout dérèglement de ces équilibres
peut prédisposer l’hôte à un certain nombre d’infections cutanées et d’affections
inflammatoires10.
Impact de l’environnement sur le microbiote
de la peau et sa santé
Le microbiote cutané a su s’adapter aux conditions de rigueurs spécifiques à la vie
présentes au niveau des différentes régions corporelles telles la desquamation, les
défenses antimicrobiennes de l’hôte, l’exposition à des savons et des détergents au
cours du lavage, les rayonnements UV ou encore la faible humidité cutanée29. La
colonisation persistante découle de la capacité de la flore résidente à adhérer à
l’épithélium, croître sur un milieu relativement sec et acide, et rapidement ré-adhérer
au cours du processus normal de desquamation11. Néanmoins, la peau est un
écosystème microbien complexe et dynamique, dépendant des interactions microbe-
microbe et microbe-hôte37. Outre les facteurs intrinsèques tels l’âge, le sexe, la
constitution génétique et la réactivité immunitaire, les facteurs extrinsèques tels
le climat (température, humidité ambiante, UV), les traitements médicamenteux
(antibiotique, corticoïde), une hospitalisation, le type de vêtements portés, l’utilisation
de lotions, crèmes, nettoyants, déodorants ou antitranspirants, la fréquence de
lavage, la présence d’un traumatisme (…) peuvent avoir un impact important sur
la composition des communautés microbiennes cutanées1,13.L’application de fond
de teint, par exemple, peut provoquer une augmentation de la diversité bactérienne38.
La variabilité du microbiote cutané humain peut alors entraîner une altération de
sa structure et avoir des conséquences sur la santé en engendrant la survenue de
pathologies39
via
la colonisation et la prolifération de la flore résidente et transitoire1,3.
S. epidermidis
peut ainsi devenir un pathogène opportuniste chez des hôtes
immunodéprimés et
S. aureus
peut réveiller sa pathogénicité chez des porteurs
asymptomatiques.
Impact de l’hygiène
Suite au lavage, les communautés bactériennes se rétablissent rapidement29,40.
Néanmoins, une fréquence excessive de lavage peut avoir un effet négatif sur l’état
de la peau (détérioration de ses protéines, délipidation…). La dégradation cutanée
en résultant peut entraîner une diminution de la fonction barrière et une augmentation
de la desquamation. L’irritation cutanée provoquée par ces lavages fréquents peut
aussi être associée à des changements de la flore microbienne, tels une augmentation
de la quantité des micro-organismes et/ou une plus grande présence d’agents
pathogènes41,42. L’utilisation de façon répétée de savon ordinaire à pH élevé peut ainsi
favoriser la présence de
S. epidermidis
43
. Toutes ces perturbations peuvent ultimement
augmenter le risque d’infections44.
Impact des agents antibactériens
Malgré les effets indiscutables sur l’incidence des infections cutanées, l’utilisation
prolongée de savon antibactérien peut entraîner une augmentation de la flore totale,
réduire ou éliminer certains micro-organismes résidents tels les corynébactéries, et
favoriser la présence d’autres espèces qui ne sont pas présentes habituellement sur
la peau telles
Acinetobacter calcoaceticus
ou
Micrococcus luteus
43
. L’utilisation
intensive de ce type d’agents peut aussi être associée à une susceptibilité accrue aux
infections cutanées causées par la prolifération de bactéries à Gram négatif ou de
levures, du fait des emplacements laissés vacants suite à l’éradication des bactéries
à Gram positif telles
S. epidermidis
et à la disparition concomitante des peptides
antimicrobiens endogènes
45,46
. Une sur-utilisation de ces agents peut donc perturber
le fragile équilibre de la microflore cutanée et rendre la peau sensible aux agents
pathogènes qui étaient tenus jusqu’alors à distance par le microbiote résident10.