f^f^' >^^Nj fmm m ^i#v*' U dVof OTTAWA 39003000-10'16'19 ^b A %. or?—3f7 '?-:>- S'I BENOIT DE SPINOZA vs| LES GRANDS PHILOSOPHES Collection dirigée par CLODIUS PIAT Publiée chez Félix Alcan Volumes in-80 de 300 pages environ, chaque volume, Ont t»arw SOGRATE, KANT, par par Clodius 5 fr. g Piat. Th. Ruyssen, ancien élève de l'École normale, pro- fesseur de philosophie au Lycée de Bordeaux. AVIGENNE, par le Baron Carra de Vaux, ancien élève de l'École Polytechnique, professeur d'arabe à l'Institut catholique de Paris. SAINT AUGUSTIN, MALEBRANCHE, PASCAL, par lAbbé Martin. par Henri Joly. par Ad. Hatzfeld. SAINT ANSELME, par Ta GAZ ALI, J. par le le Comte Domet de Vorges. ftaraiit^e g Baron Carra de Vaux. Typographie Firmiu-Didot et C". — Mcsnil (Eure). LES GRANDS PHILOSOPHES BENOIT DE SPINOZA PAR PAUL-LOUIS COUCHOUD AGRÉGÉ DE PHILOSÛl'HIE ANCIEN ÉLÈVE DE L'ÉCOLE NORMALE Dieu, qui est amour, nous a donné l'amour, là que nous savons que tout en Dieu et que Dieu est en nous. et c'est par homme est (St Jean, Ép. I, ch. iv, 13. du Épirjraphe Tr. Théol.-Pol.) Cm uOttawa PARIS FÉLLX ALCAN, ÉDITEUR 108, BOUL. SAINT-GER3IAIX, 108 1902 3 A Messieurs Henri Bergson, Georges Lyon et F. Rauh, mes maîtres à l'École Normale, en hommaqe de reconnaissance. Digitized by the Internet Archive in 2010 with funding from University of Toronto littp://www.archive.org/details/benotdespinozaOOcouc PRÉFACE une histoire Je présente un exposé des œuvres de et me Spinoza. Dans les parties d'exposé je de penser à nouveau le l'auteur, sa concision mules. Dans suis efforcé texte et d'imiter la manière de un peu sèche, son les parties style à for- d'histoire j'ai suivi quelques règles que je crois applicables à l'histoire de la philo- sophie. La première a été de tenir compte de tout ce qu'a sans trier au préalable ce qui est propre- écrit Spinoza, ment philosophique. de VArc-en-ciel, à J'ai fait l'essai grammaire hébraïque. une place Sur le Je n'ai pas portance prépondérante qu'on et qu'elle doit Politique. Ce partager avec le même nilre et à donné lui au traité V Abrégé de à VÉlhique l'im- accorde d'ordinaire Traité de Théologie et de serait faire violence à l'œuvre de Spinoza que d'y voir essentiellement l'œuvre d'un métaphysicien ou même d^un métaphysicien et d'un moraliste, PREFACE. VIII puisque l'auteur se donne encore pour un exégète et pour un politique. On ne peut en déterminer le carac- tère général qu'à condition de n'y rien négliger. voulu étudier un philosophe plutôt qu'une J'ai philoso- phie. Ma seconde règle a été de suivre l'ordre chronolo- Deux méthodes gique des œuvres. que l'on se place, se présentent selon pour étudier une doctrine de vue du philosophe ou à celui de au point , l'historien. Le phi- losophe, qu'il veuille réfuter la doctrine ou la proposer, en fait dispose pour groupe et un exposé logique, systématique. la sous quelques chefs principaux la clarté les textes Il suivant cet ordre. Tel est le point de vue adopté, pour ne citer que deux travaux français récents, dans de M. Brunsvicg". ble possible. On Un regarderait qui a eu son évolution. La de ses recherches, vertes, A autre point de vue comme un événement sophe sion deviendraient l'ordre les lieu 1. et me sem- doctrine d'un philo- historique qui a sa date, progrès le de ses décou- principaux sujets d'étude. systématique devrait se substituer l'ordre de grouper et les textes Le Problème moral dans pour chaque ouvrage, sous des chapitres nou- ht philosophie de 189i. 2. la ' vie de l'auteur, la succes- chronologique des ouvrages au études de M. Delbos les belles Spinoza, Alcan, Paris, isOi. Spinoza. Alcan, Paris, IX l'RÉFACE. veaux, il faudrait suivre la marclie même de l'auteur, respecter ses divisions et donner à chaque idée l'im- portance qu'il lui a donnée lui-même. L'historien ne veut ni réfuter une doctrine ni la genèse. que C'est une la histoire des rajeunir; en suit il œuvres de Spinoza j'ai tentée. J'ai cherché, en troisième lieu, à rattacher l'œuvre aux circonstances qui l'expliquent. On mettra en première Hgne les lectures a subi l'influence. J'ai que l'auteur a aussi de connaître le milieu immédiat auquel il importe et l'au- s'adressait. J'ai essayé que Spinoza de dé- a traversés le milieu théologien et cartésien deLeyde, milieu stoïque et républicain de l'entourage de Jean de Witt à la Haye. fluence des lectures. L'action du milieu Elle explique précise vait lire Maïmonide et Léon Hébreu, Calvin cartes, Épictète et Hobbes. la Il l'in- pourquoi Spinoza avait dans sa bibliothèque et dans quel esprit de : milieu rabbinique et italianisant de la synagogue, à Amsterdam, le Il où l'auteur a vécu crire les milieux intellectuels le il donné une grande importance au catalogue de la bibliothèque de Spinoza. ditoire dont faites et de- il et Des- n'y a jamais, en histoire philosophie, d'action exclusive d'un philosophe sur un autre; il faut chercher l'action plus complexe des milieux philosophiques . Inversement les œuvres phi- losophiques, toujours représentatives d'un milieu, sont des documents historiques de premier ordre. J'ai re- X PREFACE. gardé comme de Spinoza celles telles pour la Hollande de 1670. J'ai réservé, enfin, la place la plus importante à l'é- tude technique des œuvres. Le reste n'est qu'une détermination par l'extérieur, une sorte de mise au point. L'essentiel est d'étudier le contenu exact de composition intime. Si et sa chaque livre ouvrages des philoso- les phes sont des documents historiques, ne ils le sont que secondairement. Ce sont essentiellement des constructions d'idées, dans lesquelles une part de génie. Nous n'avons pas à leté, mais nous pouvons prendre jusque dans que Spinoza la analyser patiemment et y ap- le style se soit arrêté cherché comment de les au : substance. Je me de la partie rale, aux J'ai été ressortir dans le détail la amené J'ai théo- de à admettre là, que pas unique dans cet ou- la partie purement mo- parties métapliysiques. J'ai voulu faire par quels efforts Spinoza essaie de concilier avec sa théorie de sa conception de cet mathématique. ne s'étend pas également, sans parler psychologique et de trois n'est pas indifférent suis efforcé, en partant la direction substantialiste n'est et qu'elle il style s'est constituée de désarticuler V Éthique. vrage les refaire, technique philosophique. L'intérêt est dans la le détail et rie entre une part d'habi- il la substance son intellectualisme et l'individu. ordre que l'histoire de tablement ramenée. Il ne la C'est aux questions de philosophie est suffit pas de lui inévi- appliquer PRÉFACE. les méthodes générales de littéraire. Elle ou de l'histoire spéciale. On peut l'histoire demande une méthode assez bien de l'histoire des sciences. rapproclicr la XI Les Éléments d'Euclide, même considérés au point de vue historique, ne peuvent pas être étudiés unique- ment par l'historien. La diflérence d'une science on peut extraire telle qu'elle est constituée impossible d'extraire de de l'histoire de davantage sur le que de l'histoire elle-même, la science aujourd'hui, et qu'il serait même façon une philosophie, philosophie. la est L'intérêt s'en reporte tour d'esprit et le tour de main de chaque philosophe, sur la facture particulière de cha- que système. L'œuvre de Spinoza, dans son ensemble et son loppement, dans sa signification historique structure de détail, tel est, et déve- dans sa en résumé, l'objet de cette étude. Spinoza est, pour sophe privilégié. Il vres complètes , ' le lecteur d'aujourd'hui, une édition critique de ses œu- un recueil critique de tous les do- et une existe cuments biographiques que l'on a sur lui bibliographie méthodique des ouvrages qui nent 1. ^ est 11 un philo- aussi le seul philosophe - le concer- dont nous Édition van Viotcn et Land, 2 vol. in-8\ La Haye, 1887; 3 vol. in-I2. La Haye, 1895. 2. Frendenthal. D.ie Lebensgeschichte Spinoza's, Leipsig, 1899. 3. Van der Linde, Bibliographie de Spinoza, La Haye, 1870. PREFACE. XII connaissions avec exactitude qui permet quelque sûreté la bibliothèque', ce clans les questions difficiles d'influence. 1. Inventaire de la hihliothèque de Spinoza. Édition van Roojen, La Uaye, 1889 (reproduit par Frendenlhal). BENOIT DE SPINOZA CHAPITRE PREMIER LA SYNAGOGUE Les premiers écrits que nous ayons de Spinoza sont les deux brefs dialogues insérés dans lis semblent antérieurs à sa rupture avec la synag-ogue. le « Court Traité ^ Ce sont deux exercices d'écolier, incomplets ». assez et obscurs, mais deux ébauches précieuses, venant d'un philosophe qui a peu livré sa façon de composer penser. — intellectuelle ~ 1. Partie I, ch. Les sources principales pour ' 2° de ? 2. 1 et Quelle avait été jusqu'alors sa formation ii. la vie de Spinoza sont : Les Lettres de Spinoza, 166MG7G. La Préface de ses Œuvres posthumes, attribuée soit à Schuller, soil à Meyer et Jarigh Jelles, Ainst., 1677. 30 Bayle, Dictionn., art. Spinoza, Kolterd., 1697. 4° La Préface de la T BENOIT DE SPINOZA. édition de Chr. KorthoU : De tribus iviposlo1 BENOIT DE SPINOZA. 2 dans C'est le quartier juif d'Amsterdam, à lombre de synagogue portugaise ^ qu'il faut nous représenter sa sérieuse jeunesse 2. Nous avons la vision de ce la vieille monde fermé étrange par Rembrandt qui et On imagine vers cette époque. hantait le les salles basses et pro- fondes, les éclairages fantastiques, les bizarres défroques, des vieillards. L'église bibliques attitudes les d'Amsterdam, formée surtout de de marranes fidèles et chassés d'Espagne en Portugal et de Portugal en Hollande, était très prospère. Jérusalem Elle ». On l'appelait la Nouvelle « moins savante que était rihus magnis, Hambourg, 1700. Cette préface est du celles de de l'auteur, fils Séb. Kortholt, qui vint recueillir en Hollande des traditions orales. La 5" ] ie de Spinoza par Jean Colerus, les Lettres, la 6° La Vie de Spi7ioza, Louckers, — ou Phil., IX, p. — Colerus a utilisé Anist., 1705. Préface de 1677, et Bayle. par un de ses disciples, Am&t., 1719 (Lucas — Voy. de Saint-Glain. Meinsma, Archiv. 208; elMeyer, ibid., 1898, p. 270). Les autres textes sont réunis dans Lebensgeschichte Spinoza Les références, pour les s, livre de le (2 Celle qu'on voit maintenant a été bâtie 2. Une question Land et (3 vol. : « iu-12, 1895). en 1670. a été soulevée sur l'origine de Spinoza. 1) Spinoza naquit à Amsterdam le — Colerus dit 24 nov. 1G32. Contrairement à ce témoignage, Graetz {Gesch. d. Juden, 1868, n. 1 , le p. vi) Die vol. in-12, 1842) qui est la plus cou- van Vlotcn 1. (p. : œuvres de Spinoza, seront données, autant que rante, et, à son défaut, à l'édition avec précision M. Freudenthal Leips.. 1899. possible, à la traduction Saissel sur — ou gesch. d. f. pense que Spinoza est né en Espagne, à Valladolid. texte suivant de Spinoza (Lell. 76, 1676) novi), entre beaucouj) d'autres, un : « J'ai 11 t. » X, se fonde connu, moi {ipse certain Juda-ie-Croyant, (|ui, élevant la voix au milieu des flammes où on le croyait consumé, entonna l'hymne Tibi, Deus, animam dernier souflle. » offero, et n'interrompit ce chant que pour rendre le Ce Juda-le-Croyant, de son nom de de Vero y Alarcon, est un martyr juif, « marrane », Lope qui fut brûlé, ù Valladolid, le 15 juillet 1644. Spinoza semble dire qu'il a assisté à l'auloda-fé. Graetz en LA SYNAGOGUE. Pologne de Bohème, mais oUe et orthodoxie jalouse. Les était célèbre excommunications extirpé » et qui se tua. de l'Église comme — Une sorte syndics Israélites, les soucieux des et étaient y épicurien en 1640, de concordat, conclu avec aux mains de magistrat, remettait toute autorité le pour son Spinoza put connaître Uriel da Costa qui fréquentes. fut « .'3 mœurs « Pharnasim Ceux-ci étaient ». des fidèles autant que de leur foi, une grande ferveur régnait dans la comnmnauté. — Elle avait à sa tête le vieil Isaac Aljoab, patriarche vénéré et redouté; Orobio de Castro, chargé de l'apocontre logétique les chrétiens Manassé-ben-lsraël, ; prédicateur éloquent, un peu illuminé, un peu suspect de préférer la Cabbale à la Bible grand cœur et àme et au ïalmud , mais pieuse, et enfin Rabbi Saûl Morteira, qui fut le maître de Spinoza i. C'était lui qui avait conclut qu'il était né à Valladolid, ou dans les environs, et qu'il y était resté au moins jusqu'à douze ans. Espinosa à Valladolid, Primera parte de au wii' On sait, siècle. par ailleurs, qu'il y avait des On trouve une anthologie, las flores de poêlas ilustres en la Espaùa, compilée par Pedro de Espinosa, imprimée à Valladolid, en 1605 (volume décrit dans le Catal. de la Bibl. de Salva, n° 210. — Rei\ d'Hist. litt. de la France, 1896, p. 435). Toutefois la conclusion de Graetz ne semble pas s'imposer. Spinoza dit seulement avoir connu Juda. On peut simplement supposer un voyage de Spinoza en Espagne, ou un voyage de Juda à Amsterdam. Une autre solution, plus simple encore est peut-être proposable. Le mar, tyre de Juda avec la circonstance de l'hymne entonné dans les tlammes. dans est raconté et , le livre de Manassé-ben-lsraël, Esperançade Israël (1G50) Spinoza avait ce livre dans sa Bibliothèque (Voy. Inventaire..., éd. van Rooijen, 1889, p. 184). Peut-être s'en hyperbole deux 1. : est-il inspiré. Ipse noL'i serait une d'Aubigné aurait pu dire semblablement frères lyonnais, les cinq écoliers de : J^ai vu brûler les Lausanne! Les six rabbins étaient Morteira, Aboab, les deux de Faro, Schalom- BENOIT DE SPINOZA. 4 marchands distingué dans une famille de cet enfant Après Mosé Zacout, ditatif et studieux. en il méson fit élève préféré et Téleva pour le temple. Morteira et Vénitien d'origine , , tempérament hautain dominateur, se distinguait des autres rabbins. En face de l'école traditionnelle et mystique, école d'exégèse plus hardie , par la raison en exclure et tendait à une existait il qui interprétait la Bible surnaturel. le C'est à elle qu'il se rattachait. Cette école remontait Guide des Indécis « resté suspect aux mis plusieurs de Maimonide, ouvrage fameux, » dénoncé souvent juifs orthodoxes, fois au et à l'index, conservé néanmoins par même des rabbins philosophes qui, avec le tionaliste, l'avaient interprété esprit ra- à son tour. La méthode ordinaire des philosophes juifs dans la recherche de la vérité n'est Ils pas la méditation personnelle, prennent un texte pour point de déjîart font et ils en un commentaire de plus en plus approfondi. Mais commentaire ne reste pas subordonné au le solitaire. dépasse et texte : il le devient texte à son tour. C'est ainsi que procédera Spinoza. Il pénétrera d'abord la Bible et plus tard ce seront ses propres ouvrages qu'il réduira aux propositions essentielles et qu'il approfondira sans cesse. Sous l'influence de Morteira, il prit en dégoût les rê- veries des cabbalistes, « ces sottises de charlatans », comme il les appellera dans la suite ibn-JosepIi et Jacob Gour-Arié. Jlev. des et. juives, 1. XXV, (Voy. une 207.) Tr. Th.-I'ol., trad. Saisset, p. 20(1. '. lettre Il s'émancipa rapi- cilée par KaufTniaiin, LA SYNAGOGUE. dcmcnt de l'autorité des rabljins il ; O vit leur ignorance et résolut de ne consulter que lui-même sur les difficultés de FÉcriture. Ilmettait ennote tout ce qui l'embarrassait et comptait sur ses réflexions pour en tirer la lumière. 11 médita Il relut de cette façon et le Vieux Testament. de le réduire à cpielques idées définies s'efforça et d'en tirer surtout une conception de Dieu fut le résultat de ses réflexions? Nous en savons quelque et de l'àme. Quel chose par une conversation qu'il eut un jour avec deux de ses amis Il ' d'abord une opposition entre l'Écriture vit système de la Cabbale qui explique toutes et le les choses par l'intervention d'esprits ou de démons. La BDjle ne justifie pas un tel système : les anges dont il y tion sont des visions de rêve, des fantômes tels , que Jacob en songe, monter vit, du ciel. ont pu nier leur Entre Ils et est ques- que ceux descendre l'échelle n'ont aucune substance et les Sadducéens l'homme existence sans être exclus de l'Église. et Dieu, il n'y a pas d'esprits intermé- diaires. Qu'est-ce que l'homme lui-même? Que doit-on en- tendre par l'âme? Nulle part nous ne voyons dans la Bible que l'âme soit immortelle, mais partout, au contraire, ce mot est pris périt avec le corps bêtes. 1. Il Lucas, Spinoza, ; pour synonyme de la même fin attend « vie ». l'homme n'y a point de vie future à attendre; L'âme et les il faut Vie de Spinoza; ap. BoulainTilliers, Réfut. des erreurs de p. 5. BEXOIT DE SPINOZA. 6 organiser la vie d'ici-bas pour elle-même, car elle n'a pas sa fin en dehors d'elle. que Dieu enfin? L'Ecriture l'appelle grand Qu'est-ce et infini, et, pour n'être pas des métaphores, ces mots supposent l'étendue. L'étendue, à son tour, ne se com- prend que pour rel; il les corps." Dieu est donc un être corpo- confond avec l'immepsité du monde. se Ces idées se dégagent-elles vraiment de l'Ancien Tes- tament? est difficile Il de le croire, l)ien cju'un rabbin l'ait pensé encore de nos jours devinrent, pour Spinoza, elles desquels il sortes de se fit i. c{u'il Quoi qu'il en soit, des principes à l'aide « jour à travers tous dogmes savant compléta et les nuages », des approfondit plus tard, mais qu'il ne renia pas. Après la Bible, il lut le Talmud, dont l'étude semble avoir été négligée à Amsterdam. difficile et profond. fiant. ne Il Il passait pour un livre Spinoza le trouva clair et insigni- s'y arrêta guère, se réservant toutefois d'en porter un jugement définitif. Il étudia aussi les œuvres des philosophes juifs. Deux surtout semblent avoir agi sur sa pensée, Mosé iMaimo- nide et Léon Hébreu. De Maimonide deux ouvrages étaient célèbres est un traité de philosophie et de théologie, le « l'un : Guide des Indécis », l'autre une sorte de traité de morale, divisé en huit chapitres, et qui sort de préface à son Com- mentaire de la Mise/ma. Spinoza connut certainement 1. A. Weill, Moïse ri le Tahmicl, Paris, 1864. le LA SYNAGOGUE. Guide dos Indécis^ « le réfuter. Il prophétie mais ce ne humaine colle et du miracle, colle de la création raffirmation de la liherté , Fidéo essentielle qu'on ne peut donner à et Dieu aucun attribut. Il probablement plus frappé fut même par nu adversaire de Maimonide et Hasdaï-ben-Creskas', dont curieux déterminisme. toute guère que pour fut en rejettera presque tout, la théorie de la de la Providence celle et », 7 il d'Aristote, parait bien avoir connu le En revanche, il semble avoir pris morale de Maimonide, morale originale qui la donne pour lin suprême à Pour atteindre telligence. noncer aux plaisirs, cette fin, il ne faut pas re- cest-à-dire à la satisfaction des désirs et des passions. Fhygiène du corps la vie la perfection de Fin- et le Il suffit de les ordoimer par bon gouvernement de la vie, de façon à rendre possible la liberté de Fesprit, nécessaire pour arriver à la connaissance de Dieu. La vie contemplative, mais non ascétique, est celle même que Spinoza se proposera de fonder. Les « Dialogues d'amour )> de Juda Abravanel ou Léon Hébreu, publiés en 1535, avaient révélé aux Juifs la phi- losophie platonicienne. Spinoza en possédait une traduction espagnole^. qu'il que viendra l'importance donnera toujours à l'amour. dra la 1. Il se C'est là qu'il trouve dans sa Bibliothèque {Inventaire, éd. van Rooijeu, dans sa Inventaire, p. pren- de l'amour de Dieu pour lui-même, théorie 2. Il le cite 3. C'est d'eux 29-= p. 132). Lettre. 152. Spinoza a saint Augustin {Invenf., p. 131). pu connaître aussi le Platonisme par BENOIT DE SPINOZA. 8 (le Dieu pour hommes les et de l'homme pour Dieu, Famour, l'étude minutieuse des causes de de l'amour et du sensuel, qui naît désir, et celle du l'homme Il n'en tirera pas seulement de est tout autant la perfection l'a- la perfection de l'intelHgence. La connaissance que Morteira taKen au mais aussi la conviction que cette psychologie subtile, la fin de de deux amours, l'un, désir, l'autre, intellectuel, qui, contraire, engendre le désir. mour que la distinction lui ouvrit aussi les lui avait donnée de œuvres des philosophes de li- la Renaissance, ces systèmes hardis et poétiques qui sont comme l'ivresse semblablement de la pensée spéculative. le lut vrai- Il dialogue de Giordano Bruno De la <( Causa, Principio e Uno », publié en 1584. Ses deux en sont tout pénétrés. essais de jeunesse distinction « cause » du principe « » Il y trouva la interne des choses et de leur extérieure, c'est-à-dire de leur essence intelli- gible et de leur existence particulière, de ce qui définit un homme en à tel moment. soi et Il de ce qui fait que tel homme laquelle Bruno explique pourquoi» tout chaque moment tout ce qu'il selon sa substance ^ » peut être dans ce ; ce qui est le De la Causa, III ; c'est l'intelligibilité éd. de Lagardc, p. 259. en soi et exis- du système. Spinoza en retiendra l'idée originale, que tout que moment problème des tences particulières. Ce sont les difficultés tré d'intelligence et par homme est dans précis, mais n'est pas tout ce qu'il peut être 1. existe s'inspirera de la théorie ingénieuse est péné- d'une chose LA SYNAGOGUE. îi qui en est la véritable cause, la cause se confondent cause gardera surtout « intérieure » cause finale'. efficiente et dernier que le postulat « le but Il où en même de la philosophie est la connaissance de Funité des choses^ ». La substance du monde immuable; en et elle se confondent l'ordre des essences Tordre des existences, elle enveloppe toutes germe les les contient la plante. dessinent et se constituent, il il se Rien n'existe individuel, principes et les causes; comme le membres se formes possibles « nouvelle, est unicpie, éternelle, Lorsque les ne naît pas une substance consomme un événement déjà accompli 3. » qu'en elle. « Quand on regarde un homme on n'aperçoit pas une substance particulière, on envisage la Substance sous des Les impressions traits particuliers. » des qui nous viennent conmie des sons musicaux disséminés ; il choses sont faut les multi- plier et les fondre afin d'entendre l'harmonie qu'ils composent. la même rique, — Dans un autre Dialogue de Bruno publié année ^, Spinoza put goûter nouveau encore pour fondeur infinie le sentiment ly- humain, de la pro- du monde, ce sentiment qui enchantait et effrayait Pascal, et le délire qu'il l'esprit il put connaître la joie donne à l'âme qui en et est pleine. presque Ces lec- tures italiennes furent sans doute la poésie de sa vie cléricale. 1. Ch. 2. Ch. V. 3. Ibid. 4. De IV. Vlnfinito, Universo e Mondi. BENOIT DE SPINOZA. 10 C'est quon rimpression de ces études de jeunesse retrouve dans les deux essais dialogues écrits probable- ment vers époque cette à-propos, dans et insérés plus tard, sans Court Traité « œuvre plus étendue partie d'une vois à des le on y trouve des ren- : développements qui manquent. Le premier est, dans la forme, une imitation de Léon Hébreu. Dans les père du désir, fils « Dialogues d'amour de la raison et », l'amour l'Amour, du Désir, de la Raison et quatre personnages par lesquels amants, Philon l'Amour entre et Sophie. le est elle est remplace est les deux de la dispute Désir et la Raison. Le Désir offre à de savoir la Nature est de fait de la Connaissance il Le sujet l'Amour des objets multiples, Le débat est de la connaissance. Pour mettre en lumière ces rapports, Spinoza si grand devaient faire Ils ». si la Raison un unique la réalité est multiple objet. ou une, composée de plusieurs substances ou Substance unique. est tranché à la façon Il si de Giordano Bruno. Ce qui empêche de voir l'unité de la Nature, c'est une fausse idée de la cause. Le Désir l'ima- gine <( transitive s'arrête à la distinction ». Il lectuel et du corporel parce une cause transitive les rapporte comme qu'il attributs à ses effets. — Dans ce contraire, une substance unique, comme petit écrit se l'intel- ne peut pas leur voir commune. La Raison, au parce qu'elle conçoit la cause de « immanente marque déjà tère propre de la pensée de Spinoza , » à le carac- son extrême con- densation. Déjà s'y trouve posée la question d'où sortira sa philosophie morale : où doit aller notre amour? Dans LA SYNAGOGUE, sons le ou dans celui de la raison?Et Ton pressent désir (lu 11 la réponse. Le désir doit être repoussé, parce qu'il mène à une fausse conception des choses, à une philosophie La philosophie d'erreur. c'est tout le spinozisnie. fondement du bonheur, vraie, comme Ce court Dialogue en est une annonce obscure ou un premier oracle. Le second Dialogue est plus explicite et plus impor- On y trouve déjà formée une des tant. de Spinoza, qui restera à la idées maîtresses base de son édifice intellec- tuel. Et si Ion pements qu'elle eut dans la suite, cela du cision se sert, texte, pour comprendre, des dévelop- la marque la con- mais non pas que Spinoza ne leùt pas dès cette époque fortement conçue. La forme de cet écrit est Théophile, qui désignait empruntée à Giordano Bruno. le philosophe lui-même, s'y retrouve et a pour interlocuteur Érasme, qui tient le rôle du Désir'. immanente Le sujet est de préciser comme on sait, et se la « « cause rend propre. une expression de théologiens, qui désigne la façon dont Dieu est cause de à la façon de Cette notion fut certainement entrevue par ». Rruno, mais Spinoza Féclaircit C'est, la notion transitive » dont tures. Théophile soutient il est soi; elle cause de ses créa- que cette opposition monde de fondée, et que Dieu est cause du façon que de lui-même, qu'il en est a s'oppose n'est pas la même cause immanente ». Dieu est intérieur au monde. Peut-on dire, avec Érasme, que le monde 1. "Epa(7|jLo;, s'ajoute à lui et Desiderius. augmente son essence? BENOIT DE SPINOZA. 12 Non, rapport des choses à Dieu doit être conçu de la le même manière cjue le rapport des idées à Les l'esprit. idées ne s'ajoutent pas à l'esprit, elles le constituent. On peut dire, indifféremment, que qu'il est formé par ne de cause à effet, elles, car il l'esprit les s'agit De même, Dieu de l'univers. Les choses ne est l'intime de Il suffit lui sont pour s'approcher marque Comme inaccessible. immédiatement de je veux il est éternel, tout, ce participe lui moi-même rendre git de le Toutes les esprit, morale l'importance Dieu, n'étant plus transcendant, doctrine. (( les pénétrer ne elles lui. Théophile « de d'in- l'esprit est le fond. peuvent pas accroître son essence, car pas étrangères. pas d'un rapport mais d'un rapport d'inhérence ou Les idées sont l'extérieur, tériorité. forme ou faire sans cette n'est plus qui dépend de son éternité. mon éternel esprit, il Si s'a- immédiatement de Dieu. dépendre idées, de doute, qui mon composent dépendent immédiatement de Dieu pour leur essence », c'est-à-dire pour leur possibilité, mais leur existence actuelle » culières, l'éducation auxquelles que je j'assiste, les est privilégiée, l'idée intermédiaire. « dépend de modifications reçois, même conversations les voyages que je parti- fais. Une seule de Dieu. Elle se produit sans Dieu est connu par lui-même. » L'idée de Dieu dépend immédiatement de Dieu. C'est à qu'il faut me rattacher; travailler à c'est travailler me elle rendre éternel, à acquérir une idée claire de Dieu. Mais à quoi reconnaîtrai-je que j'y suis arrivé? A ce que mon LA SYNAGOGUE. amour l-'J me cessera de se disperser et que je uni à Dieu, de manière qu'il aimer que me soit sentirai impossible de rien Ce sont les progrès de l'amour lui. ([ui lé- vèlent les progrès de l'intelligence. Tels sont les témoignages qui nous restent des tations de jeunesse de Spinoza. Il jet d'une pensée déjà personnelle. Plus tard, Court Traité « velles, puis » , elle s'enrichira dans Y minutieusement, Éthique « » Non, directe, à implique, s'il si ce progrès du — Faut-il mot s'applique à une une union intime avec Dieu. comme il est certain, un Dieu per- sonnel, sensible au cœur, par delà l'intelligence. l'homme s'unit à Dieu, le développée elle sera discours mis en saillie, mais l'âme est là. communication dans de connaissances nou- le détail sera éclairci et le parler de mysticisme? Oui, médi- faut y voir le premier mais ce n'est Ici, pas par un état de grâce, c'est par une idée pure. Et l'amour ne dépasse pas la connaissance, il en est l'autre face. C'est, si l'on veut, le mysticisme de l'entendement. A vingt ou vingt-deux ans, Baruch de Espinoza était encore un lévite, nourri da^ns la synagogue pour elle. Il lisait et de converser. Comme 1. il Ses méditait beaucoup, mais mœurs se livrait peu, Benedictus de Spinoza comme on sait, le forme portugaise. nom est étaient il ^ et évitait irréprochables. une sorte de respect l'entoula traduction latine. — Espinosa est, de plusieurs peintres espagnols. Espinoza est la BENOIT DE SPINOZA. ik- rait. Il passait et pour avoir une grande science de la Bible quelques connaissances étrangères. Les études théo- logiques avaient été base de sa formation intel- la Commenter librement lectuelle. éclairé, de la famille Creskas, plus la Bible, être de Maimonide profond qu'eux, et un rabbin de Hasdaï-ben- peut-être aussi plus attaché aux questions de morale, semblait devoir être sa destinée. La philosophie italienne lui avait ouvert Fesprit aux joies de la pensée spéculative, mais manquait du la connaissance latin pour entrer dans courant des idées contemporaines. Apprendre était lui le le latin son plus grand désir. Mais aucun des rabljins ne pouvait le lui enseigner. Manassé-ben-Israël, le seul d'entre eux, semble-t-il, qui sion auprès de Cromwell. été plus savante et eût il pu ne pas l'ait Si su, était alors en mis- Fégiise d'Amsterdam eût moins intolérante, peut-être Spinoza se séparer d'elle. On peut dire qu'il ne s'en sépara jamais d'esprit. Après son excommunication, il i, continua, nous dit son biographe à respecter les règles de la loi sur le travail manuel. Son Théologie et de Politique son expulsion de philosophe n'est et » l'église. 11 montre que fut œuvre rabbinique, et, celle y définit son idéal de rabbin « la liberté de jusqu'à la du « 1. Coleriis, tr. Saiss., p. Col., p. 58. 15. » Il . fin, il targoum des Livres Saints en langue vulgaire 2. Traité de une protestation contre pas incompatible avec la piété jamais, le rabbinage « ~. philosopher ne délaissa s'occupa d'une », la traduction CHAPITRE II CONVERSION Dans les premiers traités de Spinoza se marque une double influence, celle des théologiens chrétiens celle de Descartes. C'est logues » fond de pensée des le « i et Dia- élargi par des lectures latines, fortifié surtout par une profonde crise morale. Pour apprendre le latin, Spinoza avait été obligé de Un célèbre médecin, Frans van quitter le quartier juif. den Ende, renseignait alors aux geois. et mêlé à fils des riches bour- nom, au fond libre penseur, la politique la plus avancée. Sa répétitrice Il était catholique de était sa fille Claire-Marie, excellente latiniste, belle, paraît-il, mais pleine d'esprit et point fort d'enjouement; musique de chambre, dont elle enseignait aussi la le goût commençait à se répandre. La maison de van. den 1. On reconnaît surtout l'influence des Jeunes Scolastiques, en grande vogue alors aux Pays-Bas : Pereira, Mendoza, Eustachius Suarez, et les Martini, tants, Burgersdijck, Heereboort, s'en inspiraient metaphysica de Spinoza sont en Ihal, J. C. Scaliger, Toletus, Coïmbrois. Les professeurs protes- beaucoup. Les Cogitata partie dirigées contre eux. (Voy. Sp. unddie Scholastili,isinsles Pfi . Freuden- Ax fsdtze du JubilédeZeUer, 1887.) BENOIT DE SPINOZA. 16 Ende en vogue était fort <( au pair deux ou ainsi et le docteur Spinoza se présenta chez travail. reçu, , comme », était accablé de lui, et obtint second répétiteur. d'y être Il passa ans, ayant le vivre et le couvert, trois moitié apprenant le latin et moitié l'enseignant. C'est la période mondaine de sa fins, vie. Il prit contact avec ces gens discrets avec la société hollandaise, et qui ne mettent rien en façade, mais sont épris de luxe intime. Frans La Hais, vie était alors tout toujours Cuyp, Ostade, van embaumée d'art. debout, Rembrandt, Terburg, der Helst étaient dans leur vig-ueur. Paul Potter venait de mourir. Et d'autres, nés dans la même commençaient avec g-énération que Spinoza, lui leur gloire, Ruysdaël, Jean Steen, van de Velde et les deux jumeaux, Jean ver Meer, Pierre de Hooch. là vingt années uniques. Spinoza à cette révélation de beauté. rapporte qu'il faisait Il Il y eut ne resta pas étranger dessinait, et Colerus de fort belles esquises à la plume, rehaussées de fusain, ou plus probablement de sépia.. Plus tard, à Voorburg et à La Haye, chez des peintres sa i, et, il à sa mort, on trouvera, dans chambre, autant d'estampes que de Il ne se désintéressa pas, tiques. Le chouer 1. non livres. plus, des luttes poli- coup d'État du prince d'Orange venait d'é- devant d'Amsterdam l'appui prendra pension l'héroïque résistance (1650). Plus tard, du clergé, le des quand grandira, avec mouvement de réaction militaire, Daniel Tydeman et Henri van der Spijck. (Van Vlolen, plem., p. 298; — et Baylo, art. Spikoza.) bourgeois Ad fi.op.sïip- CONVERSION. 17 Spinoza restera un Ikju républicain. 11 Grand Pensionnaire. Le jour de son assassinat, verra comme affolé, on le pleurant, et voulant aller flétrir — Mais à la populace'. sera lanii du la tal)le de van dcn Ende, il dut avoir les oreilles pleines des projets de cet aventurier qui devait finir sa vie en France dans breuse conspiration. Eut-il lui-même de tions? se dessinait, Il nous dit-on, sous une téné- folles ambi- les traits de Masaniello, dont l'étrange destinée venait d'émerveiller l'Europe. nous Il datione fait entendre en fout cas, dans le plus », De Emen- le « personnel de ses ouvrages, qu'il fut séduit par la vie mondaine, par une vie entourée de luxe délicat, d'un peu de gloire et de voluptés fmes. Il avait nête bonne grâce, rien d'un pédant, tout d'un hon- homme. Son portrait le - montre avec le visage d'une finesse rare, le teint mat, une conjonction spirituelle des yeux tocratique. maître. — — Il et Il de la bouche, un air d'aisance aris- demanda la fut repoussé. sement l'isolement qui En même temps, il — main de Il lui venait la fdlc de son dut sentir douloureu- de son origine. touché des premières brûlures fut d'une phtisie héréditaire^. C'était sa vie bornée premier contact de comme 1. celles la mort prochaine. Ses Note inédite de Leibnitz, à En 3. 2' Lettre le réflexions, de Pascal, en furent certainement hâtées. la Bibliolh. de Caieil, Réf. de Sp. par Leibnitz, 2. et. frontispice du tome II de de Hanovre, citée par Fouclié p. 6i. l'éd. 8° van Vloten etLand. de Schviiler, ap. Stein. Leibnitz BENOIT DK SPINOZA. nnd Spinoza, p. 285. 2 18 BENOIT DE SPINOZA. rapidement s'agissait d'atteindre Il d acquérir sans retard que serait pas sûr fond de la quand même la vie éternelle fût possible, chercher encore. la le l'éternité. Et « Un malade, il \ie, il fallait attaqué d'une maladie mortelle, rassemble toutes ses forces pour chercher remède sauveur, quoique découvrir ' » . La mort ne incertain s'il un parviendra à est certaine et le seul espoir le d'un peut-être éternel, doit l'emporter sur la réalité ])ien, de biens certainement périssables. Pascal, transporté du bien de C'est le pari de l'autre vie à celui de la vie présente. La synagog-ue enfin grondait contre lui. une première fois avec à Morteira, qui faite le elle, du sortir théâtre. communauté On lui offrit Isaac lui «' l'église les fidèles. Elle une nuit, >), lui la celle Il refusa. Alors grande excommuni- que prononce toute et de la miséricorde de Dieu. Puis, pour môme d'Amsterdam, les « Pharnasim implorèrent l'appui des ministres luthériens et De Emendat., van prenne Pour la as&emblé<f ét~qui prive à jamais du secours rejeter de la ville i. au de ne pas tenir d'elle ses ressources. unej)ension très élevée. Schanmiatha hommes 2. « alla en voulait de vivre hors de Aboab fulmina contre cation des et rompu menaçait d'excommunication"^. attentat sur sa personne, On avait sur une réponse cavalière Lanimosité avait grandi parmi même jusqu'à un Il me le rituel le » déro- VI., p. i. reconnaître de vos bontés, voulez-vous que je vous ap- d'excommunkation. » Lucas, p. 14. 19 CONVERSION. enfin l>èrcnt aux magistrats une sentence de d'exil (juelques mois (1G5G). Cette tempête arracha définitivement Spinoza à ses espérances mondaines. Forcé de renoncer aux voluptés, à la réputation, aux richesses, — là des hiens équivoques, une (|ui est le désir quête d'un bien — et règle moins encore « que ce sont la volupté, de regret, que de richesses, qui n'admet point de lame indéfiniment '. 11 se mit en qui pût emplir seul l'àme tout en- qui lui donnât l'éternel et suprême bonheur- dirigea sa vie, nous Il réflexion oscillation de jouissance et de gloire relâche et assoiffé tière et il fit » et suivant une nouvelle reconnut que ce n'était possible qu'à con- rompre avec dition de dit-il, « ». hommes". La communes habitudes les vie singulière à laquelle il des était contraint devenait la condition de sa liberté d'esprit. L'enchaine- ment fatal des événements s'était trouvé d'accord avec l'ordre légitime de ses pensées. Il n'atteignit pas d'un seul Ce ne fut d'abord que des <( rares et de courte durée vinrent « ^ coup le bonheur espéré. moments de », consolation mais peu à peu plus longs et plus fréquents », ils de- jusqu'à ce que sa nature se fût tout entière transformée en une « nature supérieure ». Il revint alors aux spéculations phi- losophiques de sa jeunesse, mais 1. De EmendaL, 2. Ibid. 3. Ibid., p. 277. 4. Ibid., p. 278. tiad. Saîsset, p. 276. le ton était autre. Ce BENOIT DE SPINOZA. 20 n'était plus récho de Maïnionide et de Bruno, l'accent personnel d'une âme régénérée par c'était sa propre pensée. Descartes déclarait que sa principale régie avait été de ne consacrer que (( fort peu d'heures par an aux pensées qui occupent l'entendement seul consacra tout son temps. « Ilya ' Spinoza y ». certains métiers, dit Renan, qui devraient être les métiers réservés des phi- comme losophes, labourer la terre, scier des pierres, pousser la navette du tisserand et autres fonctions ne demandent absolument que main... Pour m'oifrait un ma tel le mouvement de part, j'ai souvent songé métier, je renoncerais à que mon si qui la on titre d'a- grégé de philosophie, car ce métier, n'occupant que mes mains, détournerait moins cessité de parler pensée que la pendant deux heures de ce qui point l'objet actuel de un ma mes nén'est réflexions-. » Spinoza prit métier de ce genre et refusa toujours de professer en public. 1. Éd. Cousin, IX, p. 131. 2. Avenir de la Science, \). 39G-397. CHAPITRE III FORMATION DE LA THÉORIE DE LA SUBSTANCE Nous aimerions savoir comment mciit ils les « concepts la » façon dont Spinoza méditait, naissaient en son esprit se développaient, comment ils com- , se « sériaient ». Nous avons pour cela un exemple privilégié. C'est la théorie contenue dans la proposition que est infinie ». Elle se retrouve différentes. Si « la substance dans cinq textes d'époques nous parvenons à en marquer les pro- grès, nous ne prétendrons pas comiaitre le fond de Spi- noza, ni avoir pénétré la structure de son intelligence, mais nous aurons, du moins, vu sa pensée à l'œuvre, nous aurons assisté en quelque sorte à son travail in- tellectuels Dans les « Dialogues subordonner Tune ture est infinie )> », deux idées cherchent à se à l'autre, la , première que la seconde cpie immanente du monde ». La Raison « Dieu croit <c est la Na- cause prouver que la BENOIT DE SPINOZA. 2i2 Nature buer est illimitée. « Sinon, il faudrait, dit-elle, attri- Tinfini non quelle ne mite, la limite. » — Mais, « répond l'argument prouve que la Nature est sans le Désir, Il au Rien qui sait pas composée de parties li- finies. s'applique aussi bien à la supposition de substances finies et distinctes. » reproduit. <( Infini », Aussi un tel argument ne sera pas pour Spinoza, exclut plus encore composition que la limite ; c la substance est infinie » veut dire avant tout « la substance est unique pas cette seconde proposition, il ». Il ne prouve cherche plutôt la mé- thode qui conduirait à une preuve. De la Nature à Dieu. 11 la faut voir en Dieu une cause « il passe immanente », qui ne produit rien en dehors d'elle, qui n'est pas avec le monde en rapport de cause à effet, mais en rapjDort de substance à attributs. Les substances que nous croyons voir dans la Nature seraient donc des attributs qu'il faudrait, comme tels, rapporter à Dieu. La multiplicité apparente se réduirait ainsi à l'unité. — 11 n'y a pas là une démonstration, mais seulement l'analyse de deux idées, Nature et Dieu, qui les fait converger, amener à pour les se confondre. II Dans le « Court Trai(é des preuves directes qu' finie 1. ^ ». », « au contraire, sont données il n'y a pas de substance Car par où une su])sfance serait-elle Trad. Janel, \k 9. u finie »? FORMATION Il LA JIIKOIUK I)K LA SLBSTANCE, 1)1-: est iniiitellig"il)lo qu'elle se limite soi-même. 23 — Uira- t-on qu'elle est iKJi-néc par une autre suljstance, finie par quoi, à son tour, cette suljstance elle aussi? Mais Le rait-elle l)ornée? sans fin. même — Elle sera se- raisonnement se poursuivrait donc bornée par une sulîstance par un Dieu supposé extérieur à elle? Mais ce infinie, Dieu manquerait soit de puissance, n'ayant pu lui don- ner plus qu'elle n'a, dans les deux cas il soit de bonté, ne l'ayant pas voulu; à sa définition. faillirait pas borner une substance. On ne peut pose la Nature, Dieu Si l'on doit être éliminé. Si, d'autre part, on pose Dieu, c'est la Nature, réalité extérieure à lui, qui s'évanouit. paraître <( ici, Nous voyons re- sous une autre forme, la doctrine de la cause immanente effet, est comme 1 ». La « nature » d'une chose, en son essence et non son existence. Or nération », les essences Dieu. Elles sont « exis- si les tences dépendent les unes des autres par voie de gé- « dépendent immédiatement de créées » éternellement en ne faut entendre par ce terme de « lui. Mais il création » rien d'autre qu'une participation éternelle à sa propre infinité. La de ces deux raisonnements est Nature rentre entièrement en Dieu. Le principe commun que l'on confère linfinité à une chose par qu'on la pose. ramener Dieu, On peut donc soit poser Dieu et — Spinoza hésite encore entre les 1. soit p. 11, note postérieure de Spinoza. le seul fait poser la Nature et y y ramener la Nature. deux partis. Il s'arrête 21 BENOIT DE SPINOZA. d'abord au second K C'est Dieu qu'il pose avant tout. met en tête du Court Traité « prouver l'existence de Dieu. 11 un chapitre « deux preuves qui avaient cours dans : les collèges preuve la « a priori », ou preuve ontologique, qui met et a poste- l'existence au nombre des perfections divines. Mais une démonstration la meilleure faite, il ne s'en sert pas. Il par conséquent, et que, fois cette s'aperçoit preuve de l'existence de Dieu se même-, définition les de l'existence de l'idée de Dieu, et la preuve riori » tirée (( destiné à y reprend simplement que Descartes avait renouvelées Il tire que de sa c'est cette définition qu'il faut chercher tout d'abord. Plus loin, il essaie, fait primitif l'existence au contraire, de prendre des choses. C'est par périence, l'union de l'àme et ver cj[ue suite, Mais il ne : d'ex- elles, que, distinctes ^. à le bien voir, les preuves de pas leur valeur de la certitude du tirent d'où elles partent, mais de la certitude précisément de où la notion cette notion elles l'on a tendent : l'unité de la substance. C'est qui est véritablement première. L'étude méthodique de que ne sont pas radicalement s'aperçoit de ceci cet ordre fait elles un fait corps, qu'il veut prou- substances communiquent entre les par du comme la Nature donné de la ne doit commencer qu'après Nature même une définition vraie Ainsi de ces deux tentatives infructueuses se dégage, non sans eflbiHs, une 1. Ch. 2. P. 4, note posléricurc. 3. I. P. 14,2", et note. même conclusion : ce n'est nil'e.xis- FORMATION I)K L.V ÏJIKORIK DK LA SUBSTAXCK. tcnco de Dieu, ni rexistcncc du d'abord sence ; », une ce n'est pas une monde existence « définition. C'est » , 2ô qu'il faut poser une « es- c'est la définition delà subs- tance. Établie, nous reconnaîtrons qu'elle est à la fois celle de Dieu bonne la de la Nature. et celle voie. 11 n'y a plus à se perdre dans les cultés de la théologie constituer la théorie Dieu et celle — Nous avons trouve ou de de la cosmologie. diffi- s'agit Il substance; la théorie la de de de la Nature en découleront ensuite né- cessairement. Une nouvelle élude est nécessaire, que le travail précèdent ne faisait que préparer. III En août ou septembre 1661, Spinoza joint à sa pre- mière Lettre à Oldenburg la démonstration de trois pro- positions relatives à la Substance. Cette démonstration a été perdue, mais elle paraît correspondre à celle qui est ajoutée en Appendice au des axiomes fois et Court Traité des proj)ositions est le ». L'ordre même. Toute- une quatrième proposition contenue dans l'Appen- dice, a été supprimée dans prudence sans doute (( « La Nature se ^, la Lettre à confond absolument auguste et bénie de Dieu-. raliirmation que Oldenburg, par à cause du corollaire trop direct « l'existence 1. Voy. LeU. dOld.. van Viot. 2. P. 129. » Elle est de Dieu se (éJ. in-12:, H, : avec l'essence remplacée par tire de sa seule p. 325, ligne 12 sqq. 26 BENOIT DE SPINOZA. définition' ». En revanche, dans la Lettre à Oldenbnrg' l'Appendice. — Quelle données les trois définitions ~ ne dans se trouvent pas est la théorie de la Substance exposée à cette date? Les éléments en étaient enveloppés dans le Traité 3 » : une proposition fondamentale tance est infinie , conséquences et trois Court La subs- : ne peut pas y avoir deux substances réellement 1° Il distinctes 2° » (( : « ; Une substance ne peut pas en produire une autre; 3" Il n'y a rien dans Fentendement infini qui n'existe réellement dans la nature. En méditant sur la valeur particulière de ces pro- positions, et sur leur ordre respectif, Spinoza s'aperçoit que la première, au lieu de fonder les deux suivantes, s'appuie au contraire sur elles. Il faut donc renverser l'ordre. parce qu'aucune substance ne peut être pro- C'est duite par (III) et une autre (II) que toute substance une substance ne peut pas est infinie être produite par une autre parce qu'elle ne peut pas être réellement distincte d'elle (I)*. 1. r" Lelt. à OlJenburg; Saiss., 2. IbicL, p. 328 et 329. II, p. 320. 3. P. 9. 4. Au vrai, l'argumeri talion n'est pas aussi simple. Elle ques propositions lêle. auxiliaires, qui, sous le nom Ces axiomes ne sont pas des notions de montrables. Ce sont siinplemcnl les composer. (Ainsi un argument des n est illimitée, devient suppose quel- A^axiomes, sont placées en fait, ni des principes indé- arguments qu'on juge inutile de dé- Dialogues» pour prouver que un a\iome de l'Appendice : Une chose la Nature (/ni est cause 27 FORMAÏIO.N DK LA TIIKOIUK DE LA SUBSTANCE. La Proposition IV (lire, elle ne se déduit pas des précédentes. réduire pour elle-même. « A embarrassante. est (3'') vrai faut la Il n'y a rion dans Fenten- Il denient infini qui n'existe réellement dans les choses peut s'exprimer d'une façon plus générale L'exis- « : tence appartient nécessairement à l'essence ^ » » ; à la condition toutefois d'entendre par là une essence pure, c'est-à-dire qui n'ait ])esoin de rion autre qu'elle pour mouvements ne peuvent être être conçue. Ainsi les conçus indépendamment de l'étendue; l'étendue. L'étendue, au « par par soi » et « en la substance '^ Dieu « : c'est-à-dire attrilnits, que par ^ est composée d'une la définition \']'.'tfii(/iie mêmes 1. , nous verrons les infinie, ^. » emploie d'ordinaire au scrupuleux de les pourraient être réduits à leur Ils axiomes de l'Appendice devenir dans 1 à V), et les axiomes eux- Lett. à Old., p. Ô35. Old Lelt. à Par opposition à , p. 328. Cf. Lett. à « ce qui existe cette autre chose » chose») qui est « tance. 5. substance reculer plus loin. 3. 4. les est plus clair et plus des propositions démontrées (Pr. 2. par et de Dieu, qui infinité à' attribut s iwimi^ au début et d'y renvoyer ensuite. tour, et, de fait soi et en d'autres termes, de de soi ne peut s'être limitée elle-mcme.) On il conçue conçu en une substance absolument cours du raisonnement, mais isoler est La différence entre attributs ne sera introduite suivra Ce qui « de ce qui existe nécessaire- soi 2 » est la définition ment, c'est-à-dire des sont dans contraire, peut être — soi ». ils (ou la définition « des dont « Simon d'Uriès, p. 35i. dads une autre chose le modes ». à S. d'Uriès Lett. à Old., p. 32y. ; est conçu (Lett. à Old.. p. 328.) J'entends par attributs exactement la » 'Lelt. et. concept enveloppe celui d'autre Saiss., p. 354.) même chose que par subs- 28 BENOIT DE SPINOZA. On que voit de Dieu n'est que la cette définition défi- nition de la Substance, à laquelle est jointe la princi- pale propriété qu'on a démontré lui appartenir, Tin- en finité (Pr. III). Elle est, même temps, la définition de la Nature (Corollaire^). On est ainsi frappé de l'importance capitale de cette Proposition IV Elle est donc faire L'existence appartient à l'essence. » qu'estprisela définition de la Substance. Faut- c'est d'elle il « : logiquement antérieure aux autres, puisque poser en axiome? Oui, car voyez la autrement. Si l'existence nécessaire de la Substance posée tout d'abord, avant n'est pas ne sera en cette définition même sa définition, dun concept soi cpie celle qiiod per se et in se concipittcr-, et Il danger de le : non d'une réalité. faudra prouver, par d'autres tliéorèmes, que l'exis- tence appartient à la nature de ce concept 3. Plus tard, Spinoza essaiera, dans puyant sur 1. p. Dans la van Hudde Vlot., Meyer Lettre à (Voy. la de cette proposition (1675), Notes marginales qu'on est dans », de le faire ens'ap- (Éth., Pr. VI). La produc- il la et dans admet qu'il faut [leiisée dernii-re ibi 7'railë à l'essence, les un axiome pre- J/je'oZog^ie (1670) (Saiss., p. 146) sur la faire reiioser de Spinoza de Tliéolofjie {^ole G; « est, comme d'autres dans je crois, Saiss., notions p.3il).Tant communes la » Subs- connaissance parfaite, l'essence envelop|ie l'existence façon que l'idée vraie enveloppe médiatement p. 358) et Saiss., Lett. 35, 1666; Saiss., p. 385), Spinoza fait prouver l'existence de Dieu (c'est-à-dire de Mais dans même 202. (1C63] (Lett. 12, connaissance confuse, on se sert de la pour arriver à tance). II iexiiitence appartient : notions plus évidentes. La delà 2-, II, p. Au contraire, dans le Traité de dans VÉthitjuc les Éthique 128. Lettres à mier. « la Proposition 2. Lelt. à Old.; 3. 1' sans preuve extérieure. la certitude, c'est-à-dire im- FORMATION LA TIIÉORIK DK LA SUBSTANCE. I)i: (ion d'ime substance étant inipossil)lc (Pr. VI de VÉth.), la sul^stance est comment « cause de soi » donc cause de le en soi. Mais mettra simplement en dcfiaition; ce sera la première ligne de Y là ce sera donc, de TApp., veut-il dire " dont resscnce enveloppe l'existence »? Spinoza Même II 20 « Éthique ». une existence né- définitive, non plus cessaire qui sera posée avant tout, celle' de Dieu, ni celle de la Nature, mais celle de la substance. En résumé, on trouve ici deux propositions, l'une : L'existence appartient nécessairement à l'essence, sur la place de laquelle y a hésitation il définition de la Substance, l'autre infinie, et d'où se tire la La substance : est qui se décompose en d'autres propositions et en axiomes. On a été amené, pour la clarté, à « numéroter propositions d'une façon analogue à celle des » les Géomè- tres [more Geometrico^). C'est une forme plus rigou- reuse que la forme littéraire, plus concise et plus com- mode pour débrouiller les pensées complexes. Il ne faut pas en laisser le privilège aux mathématiciens. Elle convient à toutes les études malaisées et qu'on veut rendre définitives. C'est un puissant instrument d'analyse qui, l'esprit. « une découvert, décuple les forces. de fois Spinoza le gardera. Ainsi, comme il dit, l'entendement se façoime des instruments intellectuels, au moyen desquels il de nouvelles œuvres1. Lelt. à Old. 2. De Etncndat-, ; vaii Viol., tr. acquiert de nouvelles forces pour ». Il, p. 197. Saiss., p. 284. 30 BENOIT DE SPINOZA. IV Le 20 est dans une Lettre à Louis Meyer qui avril 1663, un de ses plus forts écrits^, Spinoza reconnaît fran- chement que la proposition à l'essence est » première aliariim Propositioniwi- Mais tion : La Substance « nommer est infinie. » comme un sa Grande Proj)Osi- L'analyse cpi'il monuments de des donne considérée, malgré sa de ridée d'infmi devrait être concision 3, démontre absque ope approfondit surtout le il . contenu de ce qu'on peut L'existence appartient « : et se la philoso- phie. Il indique Fopposition classique de Finfîni défini; mais il ne s'y arrête pas. Il et de lin- veut mettre en lu- mière une autre opposition, d'où sont nés les fameux sophismes de Zenon d'Élée. C'est celle de « divisible lecture, à l'infmi La question infinie » (( 1. est, de la continu le « au fond, de savoir même claire la le sens de ce ». l'étendue est si façon que Dieu et dans le môme Lettre \2; Saiss., p. 357. Celte Lettre sur linlini devint classique au même titre «[ue l'Éthique parmi les amis de Spinoza. (Voy. de Tscbirnhausen (1676); où Pour rendre plus ». on doit entendre Infinitum dans qu'on appelle aujourd'hui infini » et « cl' Saiss., p. \').3.) — se trouve aujourd'hui l'original. D'après .\ms(cidam, en 1860, à la vente J.-J. 11 la Lelt. 80, serait intéressant de savoir van Vloten, van Voorst, par le il a été acquis à libraire parisien Durand. •2. 3. Van Vlot., ir, p. 230. Voy. une première esquisse dans et quelques compléments dans le scolie le de Court Traite, la Prop. XV p. 15 et suiv., de VÉthiqxie. FORMATION DE LA THÉORIE DE LA sens du mot, attribut de Dieu. peut môme par si, oUc pout être un consé({ii<'iit, — Diou est iiitiui 'M USTANCI.. SI de sa nature pas concevoir de division en — lui. on ne : L'éten- due, au contraire, nous apparaît connue divisible à — Mais notre gré. ce n'est là qu'une apparence. L'é- tendue réelle est indivisible tinue ». ', inlinie, c'est-à-dire « con- Nous avons un penchant naturel ' découper à la pour nos J)esoins, mais ces divisions que l'imagination suppose entre En réalité, la lons Nature l'imaginer, comme un corps ne sont pas dans les choses. les il est un bloc nous vou- indistinct. Si vaut mieux nous la représenter point indivisible que comme l'infiniment grand. Ce n'est pas Dieu qui s'étale le long de l'étendue De même, nous sommes portés à diviser parcelles sommes ; qui se concentre en Dieu. c'est l'étendue aussi petites jetés par là dans d'inextricables durée en la que nous désirons , et nous difficultés. Il nous devient impossiljle de comprendre comment une heure peut se passer, « car la moitié, la moitié l'infini 3 c'est ce « En ». il faut qu'il s'en passe d'abord de cette moitié réalité, une heure de suite à et ainsi est un « continu continu qui est donné. La durée entière est continu » » un aussi; le temps divisible n'est qu'une déter- mination pour la rendre accessible à l'imagination^. 1. Spinoza n'a pas varié sur Letl. 83. la dernit're '1. 3. i. ; ce point. Voy. que nous ayons de yaturx impxdsus., van la Lett. .59 Il (1675) et la lui il5 juillet 167G). VI., II, 231. P. 361. Tempus ad Durationem... fieri polest, eam tait modo determinandam facile imagineviur. (Van Vlot., II, p. 231.) ut, quoad 32 BENOIT DE SPINOZA. faudrait se la représenter où comme un moment miique, se pénétreraient et se fondraient le passé et le futur. comme Elle est une, l'éternité est quoi aux yeux: de la raison symbole de Elle est le une, elle rentre , et c'est pour- dans l'éternité l'existence précaire et relative des modes; c'est en l'éternel qu'est l'infinie joie d'exister, ou mieux, l'infinie joie d'être ^- Mais dans la Lettre à Meyer, l'Éternité n'absorbe pas tout. On nuité du voit surtout un effort pour dégager réel des divisions artificielles y introduit. L'Espace divisible, le dune façon la conti- que l'imagination Temps divisible, et, Nombre ne générale, toute Mesure et tout sont que des façons de penser, ou plutôt d'imaginer 2. La réalité est irréductible à eux. Les mathématiciens reconnaissent des rapports que les noml)res ne peuvent exprimer 3. Il faut en dire autant de tout ce qui existe. Loin d'être contradictoire, actu) est ce qu'on trouve partout. mouvement l'infini. Il L'infini 1. : 2. Une ligne tracée, un accompli, une heure qui s'écoule, réalisent n'y a multiplicité nulle part, infinité partout. des choses peut se greffer ainsi sur Infinitam- exislcndi, sive, invita M. PoUûck noie ce scrupule de 24 réalisé^ {Infinitum l'infini Cor... essendi. ut l'infini îalmilate, essendi fruitionem. latiniste [Spinoza.... p. i5!. termino scolastico de — Comp. Éih.,ï, ufar... Cogitandi seu polius imaginandi modos ^van Vlot.. \). 231). 3. Saiss., p. 361. i. Spinoza prétend que le ne repose pas sur l'absurdité l'inlini. lote, fameux argument d'Arislole dune : àvavy.r, cOTjvai régression de cause" en cause jusqu'à c'est-à-dire d'un infini réalisé. D'après les anciens interprètes d'A,ris- comme llasdaï-ben-Creskas, cet argument prouve moins la nécessité d une première cause que celle d'une première substance. (Lett. 29.) FORMATION Dieu, l'iic I)K LA TlIKORIK l)K LA SL'IJSTANCE. 33 nicuie coiitiiiuitc eiiilîrassc tout. Les rapports des êtres ne sont pas des rapports de juxtaposition, mais des rapports d'intériorité. Nous pouvons nous représenter maintenant com- ment composé est début de le 1' « Éthique » (Pr. XVI). Rien n'y est bien nouveau, ni Jjien arrêté. encore beaucoup d'indécision un morceau rigoureux Il I à y a ne saurait y voir et l'on et définitif. D'autres portions de l'Éthique, sans contredit, sont plus achevées ou plus poussées. Nous y retrouvons les propositions de l'Appendice. L'hésitation subsiste sur la place de celle qui attribue l'existence à l'essence (Pr. VII). détour un peu gauche par où avant la Grande Proposition <( (Pr. VIII). Un Nous avons vu déjà elle essaie » : le de s'intercaler La Substance est infinie autre, à peine plus adroit, est indiqué i, qui a pour but de réduire cette proposition, comme en axiomes. Ni l'un ni l'autre ne satisfont l'esprit. l'autre, Les anciens Axiomes sont devenus des ^propositions démontrées (Pr. I à V) ; il en résulte que les sont à peu près vides de tout contenu. Sauf nouveaux un seul, ce sont des tautologies [Une idée vraie doit s'accorder avec son objet) ou des dilemmes trop incontestables [Tout ce j 1. Se. 2 de la Pr. VlII. ' BENOIT Di: SPINOZA. 3 BENOIT DE SPINOZA. 34 qiii est, est en soi ou en autre chose), et celui qui reste (Ax. IV) pourrait s'appeler l'Axiome scandaleux connaissance de l'effet dépend de et elle l'implique. » C'est cause : la connaissance « La de la une affirmation un peu lourde destinée à préparer une troisième preuve de de Dieu, une preuve l'existence définitive, et contre l'esprit du monde Nous « a posteriori » tirée, du système, de en l'existence ^ connaissons déjà tontes les définitions, sauf une, celle de la liberté (Déf. Vil), pierre d'attente pour le V" livre. De la théorie de la Substance, celle de Dieu est assez bien déduite, encore que les démonstrations auxiliaires obscurcissent le raisonnement. Puis vient une jjroposition, mal placée, sur F « indivisibilité tance-. La discussion de la Lettre àMeyer sommairement, mais ne porte pas de la Subs- » est reproduite En même temps, ^. Dieu est substitué, sans assez d'élégance peut-être, à la Substance, pour introduire ce qui suit, la la théologie. L'argumentation est peu en plusieurs sens, répétitions'*, Pr. XI, 3" 1. elle revient sur i)récise elle-même. des empâtements^, des Démonst. Voy. Max déduction de Friedriclis, « trous Der ; Il ». elle va y a des Plusieurs .'iub.sfaHzhcgriff Sp., GreifswaUl, 189G. 2. Pr. XIII. 3. Voy. bilis 4. 5. (se. se. 2 de la Pr. XV, ad finem suppo7iatur, diivi modo œtcrnael : ... tamelsi (substnnlia) divisi- in/inita conccdalur. Pr. VllI, se. 1. « de Si quelqu'un deinandc... la Pr. X). il n'a qu'à lire les Proposilions suivantes » FORMATION l>K scolics .s'interposent demment des LA Tlli:()Rli: i)i; LA SinSTANCK. un peu au hasard'. Ce notes ajoutées après coup. -i-i .sont évi- Ils font al- lusion, en termes obscurs, à d'autres parties de l'ou- vrage et trahi.ssent l'impatience, la devant les objections-. On fini. Tout cela mauvaise humeur manque de soin et de sent ([ue l'intérêt principal n'est plus là. VI Par ces exemples mis de suite, nous discernons les principaux qui pourraient servir à caractériser la traits pensée de Spinoza. Son génie est de sa pensée semble être de condenser. tion propre Elle en premier lieu de synthèse. La fonc- condense les livres et les elle-même sans cesse. Elle invente se condense elle peu, et c'est observations journalières, toujours à grands efforts. Elle combine plutôt des éléments étrangers. Mais elle tend surtout à tout réduire à des propositions claires, essentielles et denses. Elle n'y arrive pas d'emblée. Dans les scolies de 1. Le scolie 2 de laPr. VllI se rapporte à la Pr. VII, celui de la Pr. au Coroll. de la XV Prop. XIII. Ce sont probablement des notes ajoutées au bas des pages, et mal intercalées par le premier éditeur. 2. K Je ne doute pas que pour ceux qui jugent avec confusion de foutes choses... il n'y ait de difliculté à position VII... on fait Quand on comprendre la démonstration de la Pro- ignore les véritables causes..., on confond tout, parler indifféremment les hommes et les plantes sans la moindre Que ce soit des pierres ou de la semence qui servent à engendrer les hommes, peu importe... On attribue à Dieu les passions de l'humanité, surfout quand on ne sait pas comment se forment dans l'ànie difficulté. les passions. » (Se. 2 de la Pr. VIH.) BENOIT DE SPIXOZA. 36 premier jet, on âpre, trouble, la sent naître un peu courte. C'est par la tension continuelle, par l'eflort en dedans, par l'extrême surveillance de soi moindre et lumineuse. A 1' « du l'horreur peu à peu simple laisser-aller^ qu'elle se fait ce point de vue, et Éthique bonnes parties un ouvrage admirable. » est dans ses pur Si l'on était entendement, on en pourrait retrancher les trois quarts encore, les démonstrations qui ne font que mettre les On propositions en rapport les unes avec les autres. arriverait à concevoir le système la pensée de Spinoza, comme comme un il existait dans ensend)le d'axiomes purs en relations entre eux. Découvrir ces relations est le second effort, plus grand peut-être que le premier. C'est là qu'on trouve des hésitations, des essais, d'infinis scrupules. conditions, penser devient comme un Car, dans ces office religieux. Autant que de perdre la pureté de l'entendement, faut craindre de le l'intelligence mener vers moins troublé concepts vides, qu'il ne l'obscur. Le péché de au mystère ou à l'inconnu. est l'appel L'ordre dû serait il s'il l'est si l'on s'y intercalait y intercale des des faits inexpliqués. Spinoza fera entrer dans sa pensée les résultats acquis de l'expérience, mais il refusera de s'ar- rêter devant des expériences à faire, attitude commode pour nous dispenser de poursuivre notre œuvre intel- lectuelle. Et surtout, les propositions ne doivent pas être représentées sur un même plan, comme s'enchainant eu une série qui se poursuivrait indéfiniment. Cet indéfini est FORMATION la pire obscurité. Son but est, sitions les LA Di: TlIKORlIi: DE LA SUBSTANCE. 37 Plus que de tout, Spinoza en a horreur. au contraire, d' (( unes aux autres. Çà intérioriser » les et là, pressent des centres de pensée où le propo- dans l'Ethique, on raisonnement con- verge, et dans les dernières propositions tout le reste — vient s'intégrer. On ne peut pas que Spinoza à ce sentiment de F être plus étranger en largeur « infini » qu'ont souvent les gens qui vivent beaucoup par les sens. On ne peut guère haut degré fini le un plus avoir en revanche à sentiment qu'on pourrait appeler de en profondeur », qui naît surtout dune de l'âme. C'est à l'àme, ou plutôt à ce qui 1' « in- intense vie est pour lui l'àme de l'âme, l'Entendement, que sa pensée se rap- quHest porte sans cesse. C'est parce qu'elle a éprouvé un, qu'elle répugne invinciblement au discontinu et au composé. C'est parce qu'elle qu'elle conçoit et Ils On pour Spinoza l'expérience l'argument triomphant dont sera ses adversaires, « il me il repous- sera de dire en parlant d'eux ne se sentent pas eux-mêmes pourrait, aux idées, une substance intérieure aux choses. Cette expérience intime est même du vrai, l'a senti intérieur ! : » semble, rassembler ces traits en disant que Spinoza pense « en profondeur », c'est-à- dire tend à substituer à une pensée donnée, l'essence pure de cette pensée. Mais il a lui-même, plus rigoureu- sement, défini son propre entendement la certitude, c'est-à-dire l. De Emend., Saiss., p. 313. qu'il sait que ' : « Il enveloppe les choses sont BENOIT DE SPINOZA. 38 hors de lui ce qu'elles sont en lui-même... Il forme cer- taines idées absolument et d'autres en les tirant d'idées antérieures. Celles qu'il forme alîsolunient expriment l'infinité Il forme ; les autres sont déterminées par les premières. . les idées positives avant les négatives. » Et le perçoit les choses caractère dernier : sous la condition du temps que sous un d'éternité. » « Il non pas tant certain aspect CHAPITRE IV PREMIERS TRAITÉS Les premiers ouvrages de Spinoza sont des notes destinées à des professeurs de philosophie pour les aider dans leurs cours. Ceci doit en faire comprendre le ca- ractère et la portée. I En Amsterdam, Spinoza y avait laissé trois grands anus, Louis Meyer. Simon d'Uriès, Pierre Balling*. quittant C'étaient trois professeurs, juifs émancipés de où était la synagogue. Ils probablement, mais dirigeaient un collège enseignée la philosophie, c'est-à-dire la logi- que, l'éthique, la métaphysique ou science certaine^ et l'ensemble des sciences expérimentales, physique, chimie, anatoniie. Louis Meyer avait quelque notoriété. En surcroît de ses occupations de professeur de philosophie, médecine la le droit. Il protestant 1 . et est : « il était exerçait versé dans la théologie et dans connu par un Philosophia li'rta/e wijsbecieerle. il S. livre, dirigé contre le clergé Scripturac interpres » (1663). BENOIT DE SPINOZA. 40 Il attaque la maxime des Coccéiens que l'Écriture s'in- terprète elle-même. L'interprète de FÉcriture n'est ni l'Écriture rité même, ni, comme pour des confessions de foi, c'est la grands rabbins du moyen âge peut trouver dans le les Voétiens, l'auto- raison seule les : montré, mais on l'ont déjà Cartésianisme de nouveaux argu- ments. — Spinoza lant et un parrain philosophique. eut en Louis Meyer un ami C'est présenter au public ses ouvrages. Il par bienveil- lui qu'il fit paraît lui avoir porté une sorte d'amitié jalouse, où pouvait se mêler la dévotion du malade pour son médecin. Une cemment découverte ^ lettre, ré- que je crois adressée à Louis et Meyer 2, montre Spinoza inquiet de sa santé, inquiet 1. Van Vlot., Lett. 28 (juin l'éd. in-8", à la fin 2. Van p. 301. 1(3(15), II, Le fac-similé se trouve Vloleii pense qu'elle est adressée à l'Allemand J. Bresser, à qui suppose que se rapportent posthumes, initiales les nommé deux et qui est (Van Scliuller, VI., II, p. I. B. de la 42' Lettre des par Spinoza dans des Lettres à fois la crois adressée à Louis Meyer, pour les raisons suivantes 1" Spinoza demande un remède promis tierce «... J'a! tends aussi les feuilles bien que ma fièvre na qu'avant la saignée, à cause, bonne trois fois de diète... etc. » de Spinoza (Colerus, 2" 11 annonce La Lettre sa fièvre de roses rouges que tu m'as promises, es parti, je nie suis fait pas cessé. Je suis pourtant un peu mieux je crois, la fièvre tierce, du changement d'air. J'ai souffert mais j'en suis venu à bout par une — Or, nous savons que Louis Mejer était le médecin tr. Saiss., p. 46). qu'il enverra : (ertiam partent nostrx jyhilosophix « est de juin 1G65. Or, en 16(13, Louis Me3'er avait publié les premières parties des Principes au public : donne des nouvelles de et beaucoup mieux. Depuis que tu j'aille une saignée, mais qu'il n'a espère obtenir il Œuvres 408 et 40y.) Je deux ou clans du second volume. de Descartes, de son ami, en annonçant encore qu'un fragment de le reste ». deux (van Viol., II, \<. 110 la troisième partie, mais qu'il ad fin.). C'est de cette troi- sième partie qu'il est sans doute question. 3" Enfin l'envoi se fera soit directement, soit par rintennèdiaire de • PREMIERS TRAITÉS. ami ne aussi parce (|uc sou 41 pas aussi souvent lui écrit y perce une certaine nervosité que ne les Lettres philosophiques, tronquées qu'il a promis. Il trahissent pas d'ailleurs clans Fédition de 1G7T. Simon eu pour (VUriès un lui ' , plus jeune que Spinoza culte passionné. lui offrit sa fortune. [)ropre frère; dans la lutte contre tiens en il déshériter son était plein Il d'ardeur les juifs dévots et contre les chré- La philosophie de son ami lui donnait des armes, même temps un cours sait môme voulut Il plusieurs reprises, lobligea, du moins, par testament, à il fournir une pension à Spinoza. ^. A semble avoir -, quelle le ravissait d'anatomie ^ d'admiration. de chimie. et Il fai- C'est Pierre Balling qui semble avoir professé la métaphysique. Nous ne savons guère sur Pierre Balling qu'un assez étrange. un enfant avait Il fait qu'il chérissait. Or, l'en- fant étant eu pleine santé, le père entendit, la nuit, des gémissements de moribond. « noire ami d'Uriès Simon A cp^ielque Or nous voyons que ». d'Uriès cjuc Louis cipes de Descartes. (Lell. 15; van Vlot., 1. Et non Simon de Vries, ce qui cription latine DE VRIES. 2. Lelt. 9 et 10, en tête. « ... ut, te, est là l'en- par rinlermédiaire de épreuves des Prin- les 2î2.) II, p. une mauvaise lecture de Voy. sa signature, van Vlot., 3. duce c'est Meyer a envoyé à Spinoza temps de II, p. la trans- 221. contra sHpersdliose religiosos, vhristianosquc veri- talem defendere, tum(iiris comme synonyme de et dans la latinité de S. {= sustincre) possimus. » (Van Vi., : d'Uriès) totius impeluin inundi stare H. p. :?'20.) i. Collegium. « collèrje », — Le mot mais par « « course) collegiuin : fere aOsolvi, aOsolulo incipiom d'anatomie; j'en de chimie ai fait » {ibid., p. u » ne doit chimicum. — être traduit par inivi, médium commencé le cours commencerai le cours J'ai pres([ue la moitié. Ensuite, je 222). pas Collcgium analomUv BKNOIT DE SPINOZA. 42 fant mourut, en poussant les mêmes gémissements. Dans sa détresse, Pierre Balling- interrogea son ami sur ce Spinoza présage. Il une fit réponse surprenante d'abord que la fièvre lui rappelle du corps sont tions-. lui les causes ordinaires en décrit une, très vive, Il « Mais, autrement, continue-t-il à et d'après les sophie que je une idée, et, de mauvais eue lui-même, qu'il a peu principes état telles hallucina- On n'en peut évidemment l'hiver précédent. présage. et le près, il tirer aucun peut en être mêmes de la philo- communiquée. L'essence de l'âme t'ai quand un père pense à son en a peut devenir si complexe vient pas d'un trouble du fils. est fds, l'idée qu'il et si vive qu'elle se fonde presque avec l'essence du ^. con- Cette idée-là corps, mais de l'âme. Or, ne l'a- venir peut être confusément pressenti par l'âme. Nous sommes toujours obscurément avertis de notre propre mort; nous pouvons l'être aussi de la mort des êtres dont nous portons, pour ainsi dire, l'âme dans notre âme. » — Nous retrouvons ici ce mysticisme particulier dont nous avons déjà parlé. L'idée pure, lien mystique de l'homme à Dieu, peut devenir mystique entre des âmes humaines 1;\ 1. LeU. 17; van 2. Cf. les 3. Spinoza propose, à dans l'attitude qui dans l'oreille les de dans la (in, lien les spectres (Lelt. .M-ôfi). une troisième explication. 11 mémoire. Nous nous représentons la nous a le peut n'y avoir les personnes plus frappé. Si nous avons, en quelque sorte, gémissemcntsqu'elle poussait en mourant, nous entendons ces gémissements iiièino n'était pas un VI., II, p. 2if>. LeUres à Hugo Boxel, sur qu'une illusion aussi 2. la quand nous la revoyons en pleine santé. L'illusion iierception passée; elle est dans le souvenir actuel. PRKMIKRS TRAITKS. Eu rius avait, Sj)iiioza IGG.'i, ~, )) c'est-à-dire à VS MijusliurjU- un jeune élève à qui non sans quelque inq^atience, Simon partageait sa uiaison. ', il un <« casa- ensei.ii-uait, la philosophie, et ([ui d'Uriès enviait cet élève. Mais Spinoza recommandait à ses amis d'Amsterdam de bien se garder de révéler ses vraies opinions à ce jeune homme, dont l'esprit n'était pas assez mûr. se bor- Il nait à lui enseig-ner la philosophie courante, la philo- sophie cartésienne, qu'il mettait, selon sa méthode, en propositions. fut Il amené mières parties d'un cartes en ». Il fit deux pre- ainsi à rédiger les Exposé des Principes de Des- « part à ses amis. Nous verrons ceux-ci, un peu à son corps défendant l'année même, et comment s'empressèrent ^, bien que l'ouvrage fût incomplet, de publier (1663). le Mais à une époque antérieure d'autres écrits dont ^ Coleriis dit (p. 10) 1. ils que Spinoza ne vint pourtant depuis KiGl (Lettre était en avril 1663 (Lett. burg 13i, il leur avait envoyé se servaient dans leurs cours 1). mais revint à Rijnsburg qu'en 1G64. quitta Rijnsburg pour 11 l'hiver de i)asser Il ^. y Vooiburg 16G3-16G4 à Rijns- de ce second séjour seulement que Colerus aura eu (Lett. 17). C'est connaissance. Cette erreur lui municalion de Spinoza. H la fait retarder aussi de quatre ans lexconi- place en IGGO, alors que nous savons quelle a été prononcée en 1656. Un 2. texte porte « casearius », l'autre casarius lire « » (de «casa ». — Voj'. « élève, voy. Lett. 8, 9 et 13, et la Préface de cartes 11 ». On pense que passa, en 1G75, 1663, 3. il nm [Album et Lettre 13, p. 535. .ï. Lett. 8, dans le Je pense qu'il faut Meyer aux « — Sur cet Principes de Desla 74^ Lettre. voulut miMne convertir Spinoza. En sliidiosorum Acad. Lugd. Bat., Meyer; van Viol., 4. ». casarius). art. Albert Burgh, à qui est adressée au catholicisme avait quinze Prcf. de L. c'était casuarius duCange., texte com[ilet 111, p. ; van 110, Vlot., au début. II, i). 219. p. ."iiS). BENOIT DE SPINOZA. 4* Quels étaient ces écrits? — Deux ans auparavant, en 1G61, nous savons, par une lettre à Oldenburg^, qu'il peu près avait à fini un opuscule où traité « il était de Torigine des choses, du lien qui les unit à la première cause, et de la Purification de lEntendement [De » Emen- datione Intellectus). Louis Me ver publia, après la mort de Spinoza, un déclare « un être « De Emendatione Intellectus comme en témoignent partie, — L'autre le style et les idées- ». qu'Oldenburg désigne du terme vague de tata tua 3 physica », semble répondre aux )>, qu'il » des premiers ouvrages de l'auteur, « r (( il faut rapporter aussi à Exposé des Principes de Descartes Cogi- Cogitata meta- même qui furent publiés en <'- » temps que (1663). Enfin, une époque reculée le traité dont nous n'avons que deux traductions hollandaises dans l'une et qui est intitulé « Éthique », dans l'autre Court Traité sur Dieu, l'homme et le salut (( écrits doivent être étudiés ensend)le. Ils Ces trois ». embrassent un cours entier de philosophie, sauf la partie consacrée aux sciences expérimentales. Les pondent à métaphysique, la que, et le « pour le De Emendatione corps 1. Lett. 6, p. 2. « TractaUis le même » <( Court Traité Cr. Auclore 3. (I De corres- à l'éthi- ex piioribus noslri est » (Préf. des Œuvr. Pliilo- poslh.) Intellectus Enicndatinne iiuillos unie annos ab fuit conscriplus. » (Préf. Lelt. 8. p. 218. » de l'opuscule. ni. Cf. Lelt. 11, p. 228. De Emendatione Intellectus Tractatus » à la logique, au moins sophi operibiis, testibus et stylo etconceplibus... — Cogitata « du De Emendatione.) 45 PRK.MIERS TRAITÉS. II De ces trois ouvrages les « Cogitata » semblent être plus ancien K — On peut y voir un exemple de le vahissement de la théologie par salarmait l'Église de Hollande. même avait « len- la métapliysifjue » dont Émue du danger, elle adressé aux États deux requêtes synodales (1C5G et 1G57) pour obtenir la complète disjonction des études théologiennes et des études philosophiques. L'ou- vrage de Spinoza, écrit au point de vue cartésien, est dirigé à la fois contre les Jeunes Scolastiques tels que Suarez, et contre les théologiens protestants tels que Heereboort. Il forme ce qu'on pourrait appeler un cours supérieur de métaphysique. Le cours élémenest taire supposé connu-. Il — n'est traité 1. I. Il y a plusieurs indices que Court Traite. Par exemple l' Dans les : les Corjitata f'o^i/a^fl le 10, (II, Cogitata on trouve encore l'expression les 16011 alors Cf. Lett. 6, i. que dans constamiiient remplacée par celle de — Les II. la Lell. à annonce — III. dans t>, au les se, Oldenburg qu'il a à les accidents « » elle est ». qu'on y voit (p. 231) se trouve reproduite dans (Lett. 2, p. 198) antérieure à la peu près achevé le De Emendatione Lettre où Spinoza (Lett. 6, p. 217). Co(/i/a/a soient postérieurs à cet ouvrage, car on trouve aussi Principes des références aux Cogitata etc.). Les unes moment de 2. inodes d' Court Traite ne faut pas conclure des références aux Principes de Des- Il cartes que « le Cogitata semblent aussi antérieurs au De Emendatione. car critique de la volonté une Pensée la 20G\ tandis que [p. Court Traite, l'étendue est rattachée à Dieu, unique subslance. Dans 2" sont antérieurs du l'Étendue et sont encore données pour substantiellement distinctes dans que des ques- et les l'édition. P. 192, 207. (I, 7, se. ; — I, 19-11, autres de ces références ont pu être établies BENOIT DE SPINOZA. 46 fions difficiles ou plus controversées de physique g-énérale » et de la méta- métaphysique spéciale (c première portant sur FÈtre la la « et », ses modifications, la seconde sur les Êtres réels, — l'homme, car nous laissons anges aux théologiens les Sous la forme didactique, la pensée ironique. êtres fictifs, et '. hardie, est vive, de déblayer la métaphysique des s'agit Il Dieu c'est-à-dire des divisions artificielles qui l'encombrent. On en a c'est la plus simple de toutes. Elle devrait se borner à fait une science montrer une chose : « Il très compliquée, alors que n'y a rien en dehors des êtres réels, c'est-à-dire des êtres dont Texistencc est néces- ou possible, ou, en d'autres termes, qui existent saire éternellement, soit dans la durée. soit possibilité ou contingence-, la durée, » Et encore la ne sont que des représentations inexactes dues à l'imperfection de notre entendement. En soi. il n'y a que des substances et des modes, également nécessaires, également éternels. Il y a deux sortes de substances •^, et deux substances^ pensantes, la — l'Etendue et la Pensée, Pensée incréée, qui est Dieu, la Pensée créée, qui est l'homme. Ainsi le l'Espèce, Nombre, et, le Temps à plus forte et l'Espace, le Genre et raison, tout autre rapport. Opposition, Ordre, Convenance, Diversité, Sujet, Qualité, termes négatifs, Fin, Terme, tous ces et les une êtres de p. 228. 1. 2. « La « « possibilité » substance n 3. Ch. 'I. V. 20G. I, et » marquerait une «cause indéterminée m. (p. l'Jlt). Cf. » indoteriniiu'c, laconlingeiifo l'://i., IV, Déf. 3 et -i, cl note. PRKMIKRS TUAITKS. raison ou de » V7 ne sont que des laçons de conccvoii- dans la mémoire, ou de les imaginer les retenir Ce ne sont pas des modifications de lalcs ))^, ({uand les l'être. noinmo premières ou qu'on qualités « un, d'être vrai, d'être bon? L'unité Quant aux transcendan- l'hêtre, d'être n'est qu'une néga- d'une histoire, bon se tion. Vrai se dit dit d'un honmie, mais quel sens ces deux mots peuvent-ils avoir applique à 1' Ètre^ »? Rejetons tout ce « d'attributs péripatétiques attribut. : n'est pas ])esoin de lui il « si non parce qu'il fourrage^ défini >* comme donner d'autre ^ : Dieu est unicpie, ne peut pas y avoir plusieurs Créateurs, mais parce qu'il ne peut pas y avoir plusieurs gences infinies '\ de Dieu »? définit Aristote et les Ce qu'on appelle la Volonté divine se confond exactement avec l'Intelligence divine « vie on ! De môme, simplitions Dieu. Nous l'avons une Pensée i. métaphysiciens s'entendent-ils eux-mêmes, prétendent qu'elles sont pour ils les choses, : — Que S'agirait-il « la intelli- veut-on dire en parlant de par hasard de la vie la cpie permanence de l'âme nourricière de la chaleur' »? En réalité, la vie n'est que la force par laquelle une chose persévère en son essence, La vie de Dieu, son essence c'est 1. Ch. IV et V. 2. p. 202. 3. Ch. 4. Farraginem, 5. II, VI. ch. 6. Ch. 7. P. 215. II. viii, p. 214. IX. même. — Chcrchera-t-on BENOIT DE SPINOZA. 48 immense, dans d'autres qualités? Dira-t-on que Dieu est l'espace et dans la durée ^? Mais quelles étranges questions sera-t-on amené à poser! Comment Dieu être partout-? Comment Dieu aujourd'hui que le jour où telles cjuestions, c'est il pas plus vieux n'est-il a créé condamner peut-il Adam 2? Poser de la conception cpi'elles impliquent. Ailleurs, Spinoza déclare qu'elles dépassent l'entendement, ce qui est une autre façon de entendre la même chose Que sont : les miracles? sans doute, que Dieu nous tient cachées 4. lois, peut-il rendre faux ce que nous concevons demment faille vrai? Nous n'en pouvons juger ^'. Des Dieu comme éviComment se concilie la nécessité divine et le libre arbitre? Mystère — La conclusion est la boutade fameuse n'a pas plus de rapport avec la science : « '•. La théologie humaine que le Chien, constellation céleste, n'en a avec l'animal aboyant, peut-être Il beaucoup moins encore 'I y a dans tout le Traité » une ironie mesurée, mêlée une certaine outrance juvénile. Les hardiesses sont à tentantes quand on les écrit chargé de les professer. Sous à Spinoza, l'inspiration est L'autorité y est de ch. 1. II, 2. P. 210. 3. P. 207. 1. .-). P. 229. p. 221. 0. p. 201. 7. P. 227. m. peu de de loisir et les qu'un autre est arguments personnels presque partout cartésienne. poids, même l'autorité de la PRKMIKRS TRAITÉS. Bible. La Bible, dit l'auteur, est loin les sottises {nugas) contient, pourquoi nous rejetons le 49 qu'on de contenir toutes lui fait dire. Mais ne la rejetterions-nous pas Coran et le Talmud elle les si « comme )>? ' faut mettre à part le dernioi- chapitre, de l'Ame Il humaine-, où Ion pressent comment se fera le passage de ces discussions métaphysiques à une philosophie morale. Deux principes essentiels sont posés : le premier, que rinmiortalité de Tàme se confond avec son éternité le ; second, que l'âme est autonome. Ce dernier est établi à la fois contre les partisans du libre arbitre tels que Descartes, et contre les déterministes tels que Ileere- boort^. Les uns et les autres supposent une volonté séparée en quelque sorte de lame, tandis que la volonté c'est l'âme même {Vohintatein nihil esse prœter mentem ipsam). Liberté humaine veut dire liberté de l'esprit, c'est-à-dire, en somme, connaissance du vrai. Il y a là des germes féconds pour l'Ethique. m On espérerait trouver le losophie morale dans le « développement de Court Traité » ou « cette phi- Éthique ». qu'un ensemble de notes, Malheureusement ce n'est moins ordonnées que les « Cogitata », surchargées de corrections et qui n'ont pas reçu de forme définitive. Tout y parait confus, l'idée 1. p. 220. 2. II, 3. Cité p. 231, est rarement serrée, on ne ch. XII. niCNOIT DK Sl'INOZA. 4 BENOIT DE SPINOZA. 50 l'econnait guère la précision de Spinoza. J'inclinerais à un cours dont n'y voir que des notes d'élèves, prises à Sf)inoza aurait fourni la matière cas, attribuer à un que écrit n'ont publié, absolument la On ne '. peut, en tout ni lui-même, ni ses amis, même valeur qu'à ses ou- vrages authentiques. proprement L'Étlijque dite y précédée d'un ré- est naturelle. Après l'ébauche impar- sumé de théologie que nous connaissons déjà, de faite, et Substance (ch. i mal disposés deux : conservation du et ii), se trouve m (ch. monde par une la Théorie de la de chapitres série sur la création et la et v) Dieu; deux autres (iv et vi) sur l'action nécessaire de Dieu et la prédestination, établies sur des raisons obscures de perfection naturante et « » ; deux autres distinction scolastique de (vui et ix) sur la nature naturée - » « nature deux autres enfin ; (vu et x) contre les Péripatéticiens et surtout contre leur définition de Dieu et leur conception du bien et mal. (( Il y manque l'argumentation drue Cogitata Partout la pensée semble indécise, l'ex- ». pression imprécise. 1. Par exemple, mouvement le est Les formules de Spinoza sont souvent voilées par un langage conven- tionnel : géhenne Délivrons-nous » (trad. « Janet, p. des mauvaises passions qui ne sont toutes que 96V Écoutons Aimons de toutes nos forces « 2. S. Thomas, S. IhéoL, I, ph. epit., p. 9, éd. 15i3. Eckart (537, 29), S. I, 1), du et topique des le '.>., « notre bonne conscience » Seigneur noire Dieu qu. 85, art. — On a trouvé G. llonaventure (Lib. Sent., 9, 14, 3), Fr. IJarlli. III, 8, 2), 4), (p. 70). (p. G7). d'Usingen, Xal. aussi cette expression Vincent de Beauvais {Spec. quadr., XV, (lifferentiarnm, — » dans maître Averroës {De cœlo. Pietro d'Albano [Concil. Sanson (Qvesf. in Aristol., li9G. —11,5). (V. Freudenthal, Sp. u. die Scholasli/i.) PREMIERS TRAITÉS. 51 nom étrang-e de « Fils de Dieu »^ Il est concomme un « mode éternel » de Dieu, mais une appelé du sidéré note avertit que ce qui en est dit ne doit pas être pris sérieusement »~\ (( La seconde partie est appelée par Fauteur Traité des Passions « » chapitre de l'Amour le piré de trois Léon Hébreu. amours : Elle . (cJi. Il amour des objets incorruptibles, y me paraît môme un avoir pour centre qui est directement ins- iv) est reproduit la distinction objets corruptibles, amour de de amour des Dieu. Mais l'effort ori- ginal est de fondre la distinction des trois amours avec la distinction platonicienne des trois sances. — L'amour inférieur vient modes de connaisd'une connaissance imparfaite, les deux autres naissent de la connaissance raisonnéc et de la connaissance intuitive. Les progrès de l'entendement déterminent les plus l'amour s'accroît, plus nous mour est le progrès de l'amour sommes fondement de tout bien et parfaits 3. et L'a- de tout mal^, la seule passion dont nous ne puissions jamais nous affranchir absolument •* , que nous puissions sans laquelle exister**. même on ne conçoit pas La vertu consiste donc à bien diriger l'amour, ce qui revient à bien diriger l'entende- ment. 1. Trad. Janet, p. "2. P. 45, note. 'i. Spinoza distincts quelquefois du ouï-dire et de l'expérience deux modes de connaissance. V. 3. P. 84. i. P. 83. 5. P. 64. (•>. fait iG. P. 83. p. 8i. Cf. De EmemL. tr. Saiss., p. 280. BEXOIT DE SPINOZA. 52 Quels sont, au juste, les progrès de Fentendement, ou modes de connaissance? Spinoza point, compliqué sa pensée; sance Y opinion, : embrasse la importe d'en marquer la il —Hya signification première. a plus tard, sur ce trois modes de foi, la vi^aie science ^ connais- V opinion tout ce cpie nous avons appris par ouï-dire ou par expérience. C'est d'elle que naissent toutes les passions, car elles ont toujours pour fondement la repré- sentation d un objet nous a parlé ^. la distinguer plus — La réel que nous avons foi, cju'il de la croyance l'homme réel, vu ou dont on , nous mais l'homme fait connaître au lieu de rester enfermé en elles; nous présente un idéal extérieur à nous, d'homme parfait. une connaissance morale et du mal^. : non les pas- nous voyons La foi s'agit de celles qui sont bonnes, celles cjui sont mauvaises. réaliser, l'idée , tel qu'il devrait être 3. Sur cet exemplaire idéal nous pouvons juger sions, pour faut appeler foi vraie cj[u'il Elle est essentiellement c'est la connaissance du bien — Dans la vraie science enfin, l'union avec l'idéal est accomplie. La foi est remplacée par la con- naissance claire, par l'expérience vraie, bien supérieure à l'expérience des sens naissance du vrai et ^. Alors seulement on a la con- du faux, et ce sentiment de certitude intime, vrai réveil de l'âme, dont on ne saurait donner 1. Ch. II. 2. Ch. m. 3. Ch. IV. 4. Ch. IV, p. 02. .5. Ch. XV. PREMIKRS TRAITÉS. 53 l'idée aux gens qui vivent endormis ^ quer, comme le fait l'auteur — On peut mar- lui-même 2, rapport de le cette doctrine avec les doctrines théologiques qui dis- tinguent le péché, la et loi la grâce qui nous en qui nous afl'ranchit. de donner à ces mots un sens c'est l'irréflexion ; la loi c'est le , fait connaître le péché, Mais c'est à la condition intellectuel. Le péché jugement moral lagrâce ; c'est la certitude. Le développement donné par l'auteur à ce qui concerne les deux derniers modes de connaissance est fort inégal en intérêt. La détermination, d'après le second mode, de la valeur morale des passions est très sèche. Bien qu'on y trouve interprétées stoïciennes 2, c'est Descartes nombrement des l'esprit ^ certaines maximes qui est suivi pour le dé- passions. Mais, par une pente fatale de de Spinoza, l'ordre à mettre entre les passions tend à prendre une valeur en soi, en dehors des expli- cations physiologiques que donnait Descartes, en dehors des jugements moraux que lui-même il veut porter. L'on pressent déjà les divisions dichotomiques, toute l'algèbre des passions qui sera développée dans 1' «. Ce qui se rapporte au troisième mode*^ traire, la 1. Ch. XV, P. 9", note. 3. Sur les est, au con- p. 85. biens qui sont en notre puissance, p. 66; la colère, p. 68 ; — Épictète et Sénèque étaient — sur la 4. Traité des Passions. 5. LiF. III, Append. 6. A du ch. xv. maîtrise les seuls philosophes anciens que Spinoza eût dans sa bibliothèque {Inv., p. 172, 188). partir ». meilleure partie du Traité. Nous y touchons à 2. de Éthique^ BENOIT DK SPINOZA. 54 la vraie connaissance à ce qui nous intéresse surtout , connaissance de nous-mêmes. Alors se dissipe la sion, utile jusque-là, que Descartes du libre arbitre. Ce libre arbitre, daffirmer ou de nier, définit la puissance n'est évidemment qu'un nous est possible d'affirmer ce mots, mais non pas de l'illu- être de raison », puisqu'il « que nous voulons par sentir » intérieurement ce (c les que nous voulons. Notre expérience intime du vrai ne dépend pas de nous. Il ne faut pas dire que nous affirmons une chose, mais qu'une chose s'affirme en nous. Quand nous connaissons Dieu, Dieu seul est agissant. Vérité profonde, le dogme théologique que nous ne sommes de raccomplissement de notre salut parler exactement, les « i. rien dans La volonté, ou, pour volitions » ne sont que des affirmations, actes de la vérité en nous, c'est-à-dire actes de Dieu en nous —U 2. volition^. Le Désir est est vrai que le Désir une affirmation, dépasse la lui aussi, mais qui a égard, non à ce qui est vrai ou faux, mais à ce qui est bon ou mauvais. U tend à « obtenir » la chose que nous avons affirmée. C'est pourquoi l'union avec Dieu doit être, autant que connaissance par l'entendement, pos- session par l'amour. amour ne sont jamais — A dire vrai, connaissance et séparés. L'àme aime tout d'abord son corps, parce qu'elle ne connaît que lui; c'est en cela cjue consiste son union avec lui, et les passions vien- 1. Voy. dans Calvin. 2. Ch. XVI. 3. Ch. xMi. la Biblioth. de Spinoza (p. 13G) une édition espagnole de PREMIERS TRAITES. Descartes lient, OO montre, de ce que l'Ame veut agir l'a sur le corps, et que le corps résiste de son propre K « Il se produit ainsi, en nous, des mouvement combats dont nous avons conscience, sans avoir conscience de leurs Mais quand l'Ame connaît Dieu, elle est af- causes-. » franchie du corps affranchie des passions. Dieu s'est , véritablement substitué au corps humain. L'instant où l'âme avait été unie au corps ration « » ; l'instant régénération 3 De », où « géné- Dieu est celui de sa de sa seconde naissance. taines et qu'il faut opposer n'est pas immortelle » ». de sa dégagent deux propositions également cer- là se nelle'' était l'instant elle est unie à ; : la première, que la seconde, « que « l'âme l'âme est éter- Spinoza s'occupera de les démontrer minu- tieusement l'une et l'autre. — L'Ame est mortelle, parce a été prouvé qu'elle ne peut pas être une subs- qu'il tance. Elle n'est, par conséquent, pensée divine. Elle est l'idée, qu'un mode de la en Dieu, d'un corps dé- terminé. Elle procède donc de l'existence réelle de ce corps, elle tire son origine de lui mènent dans l'âme (|ui 6. dépend de les Si la ruf>ture est ruptures d'équilibre dans trop grande, si les lui 1. p. 100 et suiv. P. 101. a. Cb. 4. Ch. xxni. 5. P. 119. XXII, p. 113. P. 13i. le proportions constituaient le corps organisé n'existent plus, 2. ('.. elle Les sensations ne sont que les changements qu'a- seul'^. corps , si le 56 BENOIT DE SPINOZA. corps se dissout, l'âme s'anéantit ^ détail du problème de l'union de l'âme déjà divisées et ordonnées dans difficultés de du corps sont et un Appendice joint au une longue note, placée. à Traité-, et surtout dans suite — Les la de la Préface 3. On y trouve sériées déjà des pro- positions qui, développées, deviendront le Second Livre de r « Éthique — Quant à ». la proposition est éternelle » elle sera l'aboutissant , de 1' « que l'âme « Éthique » tout entière. Dans pensée dépouillée. s'est même tion de hommes les On « Court Traité » la rédac- est tenté d'y voir la Spinoza, — La conception ordinaire que se font Dieu aime-t-il les comme du les derniers chapitres* de Dieu hommes? est tinement critiquée. Oui, sans doute, mais non des objets séparés de lui-même. Leur donne-t-il des lois ? Il ne leur en donne pas qu'ils puissent transgres- Se révèle-t-il à eiLx? Oui, mais ce n'est ni par des ser. paroles, ni par des miracles tendement pur ^. valeur, faut prier il c'est — Le diable digne de toute cas, ; par lui-même existe-t-il? « Il est, pitié, et si les prières pour lui. (On sent il chose a de divinité en elle, moins après un chapitre qui me 1. P. 52, 144. Append. dans ce ont quelque l'ironie avons déjà observée.) Mais 2. et à l'en- n'existe pas, car que nous moins une elle a d'existence ''. » — II. 3. P. 51. 4. A partir (eh. xviii) et du où il ch. est \ix, donné un ensemble de raisons trer l'avantage de la doctrine de la prédestination. 5. Ch. x\iv. 6. Ch. \xv. « paiait intercalé à côté » pour mon- PREMIERS TRAITÉS. 57 L'ouvrage se termine par une véritable tentative de conversion L'auteur presse son auditeur de cliercher la i. paix qu'il lui offre, que ce soit sable, elle une paix même s'il n'est pas encore convaincu éternelle. iMènie Ijornée à la vie péris- vaut mieux que toutes les voluptés -. Il essaie de forcer son intelligence en mettant, suivant sa cou- tume, ses raisons les plus convaincantes en propositions Il '. veut l'amener à réaliser, avec lui-même et avec tous hommes, les il donne « La liberté s'il pour conclure , humaine, dont est possible, la liberté , est l'habitude cette admirable définition : que l'âme acquiert par son union immédiate avec Dieu, de ne produire en idées, hors de soi des actes, que sous soi des forme de Té- la ternel*. » Dans un fragment de lettre, inséré Spinoza prie les amis à qui il écrit à la fin du Traité'', de ne pas s'étonner trop de ces nouveautés, d'être extrêmement prudents à les enseigner, et de n'avoir pour but en le faisant que salut de leurs proches. — Quelles heures uniques ce être pour les disciples fervents, que celles où leur le dut fut révélée cette doctrine neuve et hardie d'un maître à peine plus âgé qu'eux, retenu loin d'eux par la vie contemplative et la persécution des 1. Ch. XXVI. 2. p. 121. 3. P. hommes ^^ 122. 4. P. 12i. 5. P. 125. ! ^ ,^^. .^'' rn-'X^ BENOIT DE SPINOZA. 58 IV Le « Traité de la Purification de mot réfutation ou plutôt (le rEntendement^ » estime revient forcément en parlant de Spinoza) un approfondissement du Méthode de Descartes. », de la Méthode », Discours de la — Comme dans forme personnelle la moins au début. Le « le Discours <( adoptée, au est Au style est pourtant très différent. lieu de la prolixité qui guette Descartes, la phrase est concise , tendue par des additions interca- faite à loisir, extrême, mais parfaitement nue, laires, d'une densité malgré, une ou deux A Fépoque où fois, de légers souvenirs de Sénèque'-. ce Traité fut écrit (1660 ou 1661) les questions de logique étaient les questions brûlantes d'un cours de philosophie. discréditée ment En cette matière, l'Ecole avait été le mouve- manuels eux-mêmes, comme celui de bien avant Descartes , ramiste. Les Keckermann , par tout (1600) que Spinoza possédait-', montrait la nécessité de fonder une logique nouvelle. C'est à ce be- soin qu'avaient prétendu répondre le (1620) de Bacon et le « « NovumOrganum » Discours de la Méthode L'ouvrage de Descartes avait été commenté à 1. «... et 2. et de la meilleure voie pour (D'wiViai)... fre(j tient er semper causa interitus le ronduiic à la vraie eorum qui ab lis possidcntur Inventaire, '\ connaissance. » 4. Voy., par exemple, Clauberg, Vijtn-eiding (van Vlot., 1, p. 4 1. p. 180. van Descarles {Pefcnsio Cartesiana adversns Jac. licrhnn), Amsterdam, Kmî, la (1637). l'infini sunt cuiisa interilus corumqxii capossidcn/. 3. dans » Bibliothèque de Spinoza {Inv., p. 185). livnî qui se trouve PREMIERS TRAITÉS. mais tous Gassendi ne les esprits s'efforçait philosophicum » 59 pas s'y étaient ralliés. Pierre de restaurer, dans son Syntagnia « (Lyon, 1658), la logique dAristote, qu'il avait passé sa vie à combattre. Thomas Hobbes tentait une voie nouvelle dans sa bizarre Logique (1655j. Clau- berg essayait de condjiner une Logique que allait De tous ces ouvrages (1650)^. » prendre le r cellent qu'est Novo-Anti- « enfin, Port-Royal meilleur pour en composer Art de Penser « le livre ex- (1662)-. Mais rien, » depuis Descartes, n'avait été écrit qui valût le petit traité de Spinoza pour l'originalité et pour la profon- deur. C'est un livre venu du fond de l'àme, une sorte de confession intellectuelle. Tout Spinoza est là. — Sa première recherche n'est pas celle de Descartes recherche de la vérité, car d'abord que la vérité est il , la faudrait qu'il ait été prouvé nécessaire à l'homme. C'est la recherche d'un vrai bien. Les biens ordinaires que l'on poursuit laissent l'âme inassouvie donc certain. Y périence intime, : voilà un a-t-il un bien qui puisse emplir l'infinité de l'àme? Une au cœur que toute autre. nous tient plus tion, pour Spinoza, n'est pas venue de telle « Tout notre bonheur dépendent de 1. et tout la nature des objets Clauberg, Logica, Déd., p. de Sp., 2. Bihliotli. 3. Saiss., p. 277. p. 187. 3. question — L'illuminala découverte d'une vérité abstraite, mais d'avoir compris l'amour. fait d'ex- le rôle de notre malheur que nous aimons ^. » 60 BENOIT DE SPINOZA, Tandis que tous les maux Vamour des choses suivent périssables, l'amour de l'éternel nourrit l'âme d'une — Mais l'amour de l'éternel joie pure. n'est pas naturel à l'homme. Le bien sera donc d'acquérir une humaine supérieure grandir. » On reconnaît du tresse ' « où ici, Court Traité place que Spinoza fait cet amour « nature puisse naître et approfondie, une idée maî- ». Mais est nouvelle la large aux autres hommes. « Il est né- mon propre bonheur que l'entendement des hommes et que leurs désirs soient d'accord avec mon entendement et mes désirs'-. » Si le « vrai bien » est d'arriver moi-même à la nature humaine supérieure, cessaire à autres le souverain bien (( hommes. Il » tende à ce but. Le devoir social est du devoir moral. — On avec les autres est d'y arriver faut chercher à établir une le société où tout développement dirait qu'à partir de ce moment l'âme de Spinoza reste moins enfermée dans sa soli- tude et commence à s'épanouir. Qu'est-ce que réformer ma nature ? Je sais que ma volonté n'est qu'un mot. Je n'ai prise en moi que sur mon entendement. A voir le fond des choses, réformer ma nature, c'est uniquement la connaître. Car la connaissance vraie que j'en aurai ne sera pas une idée morte, de la comme extérieure à sorte. Elle sera sera tout moi-même. rapidement ce 1. p. 278. 2. P. 279. qu'il a moi ; il n'y a pas d'idées rigoureusement — Spinoza ne démontré mon âme. fait ailleurs. elle qu'indiquer Il rappelle la PREMIERS TRAITÉS. distinction des trois 61 modes de connaissance'. considère que sous l'aspect particulier de la ception ne Il per- '< qui suit chacun d'eux. Le premier ne » les saisit des accidents, le second saisit la cause-, le troi- que sième seul perçoit l'essence. On pourrait se borner au second, si l'on ne cherchait que en nous unissant à l'objet de notre con- le troisième, donne la perfection. naissance, nous C'est au point de vue du troisième mode de connais- uniquement à ce point de vue, qu'est sance, et reste du Traité. C'est ce qui d'une lecture difficile. Il en méthode des sciences, un ouvrage fait 1. Ou ou avec 2. Il même la foi morale, sera du outdire et celle comme « Platon, dans l'opinion, qui Tient de l'expérience personnelle. n'y a pas contradiction entre ce deuxième mode de un La connaissance ordre que les sciences, ni quatre, en distinguant encore, celle qui vient et le pas du singulier, analogie établie avec principe de confusion et d'erreur. intuitive n'est écrit le nous défaire des façons faut habituelles de raisonner. Toute la mais seul la vérité^, deuxième mode de connaissance » « perception du Court Traité qui. » nous l'avons vu, est la connaissance morale d'un idéal humain. Cet idéal hu- main, par rapport à ce que nous sommes, est Le mot cause n'a précédant un pas, chez autre phénomène. façon analogue à l'idée et supérieure à phénomène. eux. C'est sa La cause chez Platon, L'essence « est, perçu Il » comme une comme est conçue par diflférente au contraire, la lui. sont venus après Dans — En particulier, le que conçoivent P. 283. les Empiriques. du l'absolu, ce faut bien se garder de donner aux lui. d'une réalité intime termes empi- déterminisme des essences ne doit pas être confondu avec le déterminisme des 3. lui des phénomènes sert Spinoza, le sens qu'ils ont pris chez les philosophes riques qui cause. sens moderne de phénomène cause devenue intérieure à point de vue seul existe. dont se Spinoza, le phénomènes BEXOIT DE SPINOZA. 62 même du d'unique : que ordre Elle la foi. quelque chose est on ne peut la comprendre qu'en se plaçant elle. Il est prescpie impossible d'en parler, car elle en n'admet pas, à vrai dire, de progrès. Nous sommes en possession d'une idée vraie unique. Si nous semblons tirer cette ment, idée d'autres idées semblalîles, pour réalité, les ramener à leur tour y a une seule idée, il qu'il s'agit d'arriver il dans le l'idée n'y a rien. Tout est dit d'un '. Exacte- de Dieu. C'est à plus bref délai mot : la -. en c'est, à l'unité Hors elle d'elle, connaissance intuitive est la possession intellectuelle de Dieu. On ne — pas une marche peut rien ajouter. progressive, dente, si si ne suit chac£ue page répète à peu près la précé- l'on n'a pas l'impression d'avancer, mais de s'enfoncer, c'est que rien ne peut être acquis de nou- même veau. L'idée seul fait Si le Traité de Dieu n'est pas acquise. Par le que nous nous trouvons dans le troisième mode de connaissance, nous sommes en possession de l'idée de Dieu. Nous ne la chercherions pas si nous ne l'avions déjà trouvée. Nous n'avons pas proprement à l'atteindre, mais à en prendre de plus en plus conscience. Comment le qu'il n'y a ferons-nous? Nous comprendrons d'abord pas de « méthode de cette idée. Nous vérité bitamus de nostra veritate; 1. Omnes ordinare 2. ... (p. 15). ideae » pour démontrer la la sentons v^raic il : non dn- n'y a pas d'autre signe ad %inam ut redigantur, conabiinur cas concalenare et (p. 28). ul quunto ocius ad cognilioncm Entis perfectissimi perveniainus 63 i»rkmii:rs tuaitks. que ce sentiment intime de certitude ^ Douter La discipline (( « serait ne pas se sentir soi-même 2. pcarler contre sa conscience, à suivre est, sans doute, l'habitude des méditations intérieures, qui, peu à peu, nous dé- gagent des prtgugés, qui surtout nous délivrent de la condition de toutes les choses humaines, c'est-à-dire du perpétuel changement-', mais la même, ou sentiment qui accom- pagne que la preuve, n'est l'idée vraie. Ou plutôt, car ce mot de pourrait nous tromper, elle vraie ^. Nous connaissons donnée avant tout; sons : le méthode''* « et est F voilà : « la sentiment » de l'idée première idée, idée « » elle- » nous savons que nous connais- voilà ridée de cette idée. sur ce point. Nous voyons qu'une Insistons même idée peut être ou connaissante ou connue, sujet ou objet de perception ou, en d'autres termes, idée ou chose''. La (( chose » devient idée en nous, et cette idée devient chose à son tour, pour une idée supérieure, et ainsi de 1. Conscientia. 2. Se ipsum non sentire. 3. Saiss., p. 289. 4. Le mot « —Cf. méthode Lett. 37; Saiss., p. 393. » n'a pas dans les philosophies rationalistes sens qu'il a chez les Empiriques, de signifie « moyen de démontrer que en tenir compte dans caries admet, comme 1 « voie pour atteindre la ce qu'on aflîrnie est vrai interprétation du Spinoza, que nous « Discours de sommes en la vérité ». ». — Il le 11 faut Méthode». Des- possession de la vérité, mais cette vérité n'a de valeur que lorsque nous l'avons prouvée, pour nous-mêmes et 5. P. 289. 6. Ou, selon pour le les autres. Spinoza supprime la nécessité de la preuve. langage du temps, essence objective (dans l'esprit) ou essence formelle (dans les choses). BENOIT DE SPINOZA. Gi suite à rinfîiii'. Les les choses « mêmes que au vrai, premiers objets de connaissance, proprement dites, ne sont sans doute » les « idées » dun entendement infini, car. n'y a qu'une chose réelle, la substance. Mais il en idée ne la transformation de la chose perdre de son essence. Dans l'absolu, formation, il ya identité. il idées est la même que lui fait rien n'y a pas trans- Au point de vue humain, nous pouvons traduire cela en affirmant que mes elles- choses la série des ainsi délivrés de la crainte, « la série des Nous som- ». en possédant nos idées, de ne pas posséder des choses. Aurons-nous les autres craintes que Descartes énu- mère? Craindrons-nous de former des idées fictives, fausses, ou tout au moins douteuses? Conunent rions-nous? Une idée d'une possibilité voyage pas : <' », ou bien : « fictive est Je suppose la suj)position un arbre parlant ». le ou pour- ou bien renonciation que Pierre fasse tel d'un être qui n'existe Mais, en fait, ni dans l'ordre des existences (premier cas), ni dans l'ordre des essences n'y a rien qui soit possible en dehors (^second cas), il de ce qui nécessairement réahsé. Un entendement infini est qui comprendrait la nécessité de toutes choses ne pourrait former aucune fiction est impossible d'en former, 1. N'oublions pas que, pour Spinoza, les fois qu'on aboutit à une série à Et à '. si il 2. P. 292. toujours réalisé. Toutes faut en conclure l'identité foncière des termes qui la composent dans l'unité commun. il notre entendement se l'infini est l'infini, nous-mêmes « continue » d'un terme PREMIERS TRAITÉS. porte, comme fait il dans la comiaissance du troisième genre, sur un objet à la — Dans simple. les 65 nécessaire et absolument fois mêmes conditions, l'idée fausse ne peut pas, non plus, se produire, car elle formée par l'imagination est, elle aussi, c'est l'idée fictive, : — conscience de l'avoir forgée soi-même. est Il la Le doute, qu'un passage de l'erreur à la certitude. n'est enfin, moins absurde de ressasser l'hypothèse du Dieu trompeur pour essayer de mêler du doute à même. la certitude elle- — Craindrons-nous encore de perdre la mémoire de nos idées certaines? Mais nous voyons que la mémoire d'autant mieux une retient intelligible ou plus idée qu'elle est ou plus forcément une idée extrêmement particulière telligible, donc particulière^. Elle retiendra comme est l'idée et très in- certaine. — Craindrons-nous de confondre l'imagina- enfin, d'une façon générale, tion avec l'entendement ?,I1 est facile de les distinguer. L'imagination est confusion et ment, au contraire, connaît réel, c'est-à-dire, comme les l'a L'entende- passivité. choses dans leur ordre bien compris la philoso- phie antique^, dans l'ordre qui va de la cause à mais surtout, ce qu'on n'a pas assez vu, de rien autre que de lui-même gination, et, mour si non l'ima- une spontanéité mentale iautoma est d'autre part, nous retenons nous n'avons un grand nombre de Montai van. 2. ne dépend Par exemple, nous retenons mieux une narration qu'une suite de 1. mots, lu cpii ; il c'est lui, et l'effet; lu mieux l'intrigue d'une qu'une comédie particulière, que (p. 304 et 305). — si Spinoza possédait comédie les comédies [£i/^;io</;., p. 160.) P. 306. nKNOIT DK SPINOZA. d'a- nous en avons 5 BENOIT DE SPINOZA. 66 i), spirituale une duire ses idées il : autonome. activité Il est seul à pro- peut donc en avoir une connaissance parfaite. Concluons que rien ne peut nous faire douter de l'idée vraie que nous possédons. Mais jusqu'ici nous sommes dans restés le sujet qui connaît. Qu'est l'objet connu? Est-il impossible d'en rien dire ? En unique. Mais nous savons que soi, cet objet est c'est-à-dire l'unité, la» continuité », infini actuel. Unité et infinité sont les un est toujours deux faces d'une chose, les deux manières dont on peut la considérer. Plaçons-nous donc au point de vue de Finfînité pour essayer de saisir l'objet de la suprême connaissance. Cet objet doit être l'essence intime et singulière de chaque être réel, et l'ordre véritable dans surtout nombre lequel se disposent ces essences en La infini. connaissance parfaite part de Dieu, qui est la cause de toutes choses, puis réel, sans va d'un être réel à un être elle jamais interposer de termes abstraits ni d'uni- versaux-. Elle reproduit, non la série des choses dans l'ordre où mais elles existent, « éternelles et particulières 1. La traduction toma veut dire « « automate spontanéité ». — spirituel ». la >> série des Tel est l'ordre véri- un contresens. est (... tanquam automataqux mente oublier que le « déterminisme dans ^4»- La spontanéité mentale s'oppose à spontanéité physique, la seule qu'ont les sceptiques leur gré essences quand ils carent..., p. 14). l'éternel » la nient tout à On ne doit pas de Spinoza admet la sponta- néité des êtres vivants. 2. Spinoza n'admet pas que la vraie science soit celle du général. Dieu ne connaît pas « l'homme » en général, mais les individus singuliers. PREMIERS TRAITÉS. table [debilus ordo). Mais, connue immédiatement 67 n'est il pas réalisé l'entendement humain, clans il faut bien admettre un autre ordre provisoire, qu'on peut appeler un ordre d'investigation. se réglera sur la Il aiature des choses à connaître. Elles sont à la lois indi- En viduelles et éternelles. l'ordre admettra duelles, une façon de tant qu'elles sont indivi- une certaine induction, ou se servir des sens, mais toute différente de celles des empiriques. Ceux-ci se laissent mener par leurs expériences, phénomènes. Il faut, et ne visent à atteindre que au conlraire, en faisant des ex- avoir pour seul guide l'idée, et périences, les pour but d'atteindre l'essence intime [jntima natura^) des indi- — vidus. Et en tant qu'on doit connaître des choses éternelles, de il l'activité faut se servir de la déduction, c'est-à-dire propre de l'entendement. un point de départ [fundamentiim) quelconque une départ peut plus être arrêté l'éternel. — ~. fois Il Il , s'agit car de trouver un point de posé, l'entendement ne spéculera indéfiniment dans Que ce point de départ soit, si l'essence intime de la chose qui nous est le l'on veut, mieux con- nue notre entendement lui-même. : 1. P. 31. 2. A'a»i (p. 32). ex nullo fundameaio cogitationcs nostrx tenninari queunt La traduction nequeunt est arbitraire. « fondement » est un contre-sens. La conjoclure BENOIT DE SPINOZA. 68 Ici se termine dement* ». Il — nouvelle. le « Traité de la Purification de l'Enten- semble ouvrir les voies à une philosophie Cette philosophie est annoncée en vingt un programme immense. endroits. Elle doit embrasser Autant qu'on en peut juger par de brèves allusions, elle sera, d'abord, une théorie complète de enveloppant toutes les sciences dites la nature 2, expérimentales. Mais la méthode des empiriques et des nouveaux philo- sophes sera critiquée '^ ; c'est sur un plan nouveau que seront recherchées les essences éternelles des choses^ et leurs lois infaillibles^. Il sera une théorie de Tétendue On comprendra est aussi innée en nous ^. '^ et comment — fait, par exemple, une théorie des corps la '^ première idée vraie On passera ainsi à une philo- sophie de Fesprit, où seront expliqués, entre autres 1. mots ... viam, qua iniellectus... pervenii'e ad rerum eeternum cognitionem, habita nimirum ratione virium se termine après les 11 poterit intellectns (p. 32). Le : reste ne regarde plus la forme seule de la connais- sance. C'est un fragment de philosophie proprement dite sur la nature de l'entendement. achevé : « J'ai — Le témoignage de Spinoza prouve que son Traité était composé un opuscule enlier [integrutn] sur ]& Purification de l'Entendemenl ; ]ii suisoccupéàle copier etàlecorriger» (van 2. P. 28G, n. 1. 3. P. 283, n. i. P. 291. 1. 5. P. 311. 6. P. 307. 7. P. 306. S. P. 280, n. 1. VI., II, p.217). PREMIERS TRAITÉS. 69 questions, ce qu'est pour l'esprit que chercher', l'activité propre qui en est lui la nature -, de ses œuvres les idées sont sujettes à la corruption^, les si préjugés l'esprit on causes des nature de nos sens et leur usage la •^, comme s'élèvera, de la nature de ^. — De Descartes, k Dieu, car c'est que sera l'esprit ^, tirée une preuve ori- ginale de l'existence de Dieu"; la conception vulgaire qu'on se de lui sera écartée ^ fait — l'infinité-' éthique. De l'ensemble s'y II naires de vivre les hommes ; il sera établi que ses comme on vrais attributs ne sont pas, croit, l'unité et entier, enfin, sortira trouvera une critique des façons ordi^^ et principalement de l'usage que font des richesses i'. Et persuadés alors que tout ce qui arrive est selon l'ordre éternel des choses entendrons ce l'homme la : C[u'est la l'a pas rempli. De ce qu'au- p. 286, n. 2. 2. P. 28i, n. 1. 3. P. 28», n. 2. P. 305. 5. P. 289. 6. P. 311. 7. P. 302, n. 2. 8. P. 300. 9. P. 302, n. Van de vraiment sa philosophie propre, non celle du rait été 10. » de l'union de l'âme avec ^3. Ce programme, Spinoza ne 4. nous ^~, nature supérieure « la pleine conscience Nature tout entière 1. une Vl., 11. P. 276, n. 1. I, p. 4, n. 1, 12. P. 278. 13. P. 279, n. 1. p. 278. 1 (omise dans Saiss.). 70 BENOIT DE SPINOZA. collège d'Amsterdam très court et , nous n'avons que inachevé sur la nature de Tentendemcnt, qui est inséré à la fin du « De Emendatione recherches scientifiques, dans le et dans F Éthique <( quelques parties de un ouvrage point culminant, tuel. Si ses », il traitera une valeur propre. Le n'est pas Dans Traité de Théologie » reste l'avant-propos d'une Il ». « mais en leur donnant un tour parti- cette philosophie, culier et fragment le Vxv.iJ.r, « De Emendatione œuvre en somme définitif, mais il » irréalisée. marque le d'un développement intellec- Spinoza a conçu au delà de ce qu'il a produit, quil avait trop compté peut-être sur ses forces c'est physiques, ou cju'il n'avait pas la même abondance que d'autres philosophes, la fécondité de Descartes, ni la puissance encyclopédique d'Aristote propre bien était c'est que l'entendement humain peut difficilement s'identifier lui suffise choses. — que son génie , de réflexion plutôt que d'expansion; ou à ce point avec l'entendement infini, qu'il de former des idées pour que ce soient des Il faut nous arrêter pourtant à cette préface trop belle, et la mettre à côté des derniers chapitres du « Court Traité ». C'est là veilleux d'un jeune que se marc|ue homme qui conçut, le dessein mer- à vingt-neuf ans, l'ambition silencieuse de fonder dès ici-bas cette vie éternelle que les honmies rejettent après la mort, et de la vivre lui-même sous ses doux aspects infini, connaissance parfaite. : amoui" CHAPITRE V LKS « PRINCIPES DE LA PHILOSOPHIE DE DESCARTES » Quelle position Spinoza a-t-il prise en face do Des- cartes? Est-il possible de la définir avec quelcpie précision? I Spinoza vivait en milieu cartésien. Sa demeure était aux environs de Leyde, l'université nationale de Hollande. Vers 1660, le cartésianisme y était en pleine vigueur. Auparavant, c'était encore la période de luttes; plus tard, en 1676, il y eut une réaction. Mais à cette époque on peut dire que tous cartésiens, non seulement les professeurs étaient les professeurs et lecteurs de philosophie, Frans van Schooten, Jean de Raei, Heereboort, Geulincx, mais ceux de médecine et de droit, chose rare, les Hoornbeck'. Le vieil et, Heidanus, Coccejus, trois théologiens, Heidanus avait connu personnel- lement Descartes. Jean Coccejus, esprit ardent et ori- ginal, était le maître le plus écouté des étudiants. L'existence de Spinoza n'était pas inaperçue. La singularité de sa vie méditative-, son urbanité et sa grâce-" 1. Album des étudiants de Leyde, 2. Lelt. 25; o. Jiumanitasei elecjanlia van VI., II, 1875, p. v. p. 297. morum (Letl. 1, d'Oldenburg, p. 195). 72 BENOIT DE SPINOZA. et la réputation secrète de ses écrits inédits lui attiraient des visiteurs de choix. n'être plus « sui juris » , mais doucement de plaignait se Il il se plaisait au commerce des honnêtes gens. C'est ainsi qu'au cours d'un voyage, Henri Oldenburg, secrétaire du célèhre chimiste phi- lanthrope anglais Robert Boyle, passa quelques heures avec lui, en 'entretiens sur Dieu, l'union de l'âme corps, sur Descartes et échangées sur Bacon ^ Quelques les « théologâtres » leur créèrent intimité. Cette visite fut le principe d'une qu'Oldenburg dira être un « et du jDlaisanteries une longue amitié. élément de son bonheur- ». Des étudiants venaient aussi, tout pleins de Descartes, proposer des difficultés qu'ils croyaient insolubles au- trement que par leur système 3. Spinoza leur montrait qu'on pouvait les résoudre d'autre façon. la superstition cartésienne. Il n'avait pas Il écrivait à OldenJjurg qu'il n'admettait, chez Descartes, ni la conception de Dieu, ni celle de l'àme, et qu'il était surtout théorie de la volonté d'où se donne de Il tire choqué par la l'explication qu'il l'erreur^. passa bientôt pour faire une sourde opposition à la philosophie régnante. Les théologiens, qui, instinctive- ment, lui étaient hostiles et entretenaient la réputation perfide d'athéisme, née autour de lui depuis sa jeu- nesse, saisirent cette occasion de tourner contre lui les esprits^. C'est alors rent de lui 1. Letl. 1. — 5. Lucas, p. 50. que ses amis d'Amsterdam demander 2. Leit. le li, p. s'avisè- résumé de philosophie carté- 240. — 3. Lucas, p. 'i9. — i. Lelt. 2. — « PRINCIPES DE LA PHILOSOPHIE DE DESCARTES. sienne qu'il avait fait seule était rédigée; et » 73 pour son élève. La seconde partie il fit la première en quinze jours avant qu'il eut achevé la troisième, ses amis embel- composèrent une Préface, lirent le style 2, août 1G63. C'était mettre en l'ouvrage, et publièrent Spinoza au nombre des commentateurs orthodoxes de Descartes ^. II Que vaut intéressante, (^est La seconde partie un exposé clair et ou de mise au net scientifique la plus est suffisamment re- Un travail d'épu- était nécessaire pour l'œuvre de la mécanique cartésienne. pensé, ration écrit? cet de Descartes. Un ensemble de découvertes était acquis, qu'il s'agissait d'exprimer sous forme im- personnelle et définitive. La forme géométrique avait été employée par Descartes lui-même*, mais il l'avait appliquée à des propositions métaphysiques qui semblaient peut-être moins l'appeler. D'autres que lui s'en étaient servis pour exposer, ou la philosophie d'école, ou leurs propres spéculations'^. Mais Spinoza s'en était rendu l'usage presque personnel et s'en faisait une sorte de coquetterie. Meyer, Préface. 1. Lett. 13; 2. P. 235. 3. Dans une Lettre de Leibnitz de 1669 on trouve Spinoza les cartésiens connus : Andreaî, Regius. (Voy. Slein, Leibn. u. Sp., aux cité parmi Clauberg, de Raei, Clerselier, Heereboort, Tobias sec. obj., tin. 4. fiép. 5. Préface de Meyer, p. 108. p. 32.) BENOIT DE SPIXOZA. /i Il omet la théorie des corps fluides i. Celle des corps élastiques est présentée de façon acceptable, bien que r enchaînement puisse être encore plus dégagé surtout d'affirmations ^ et strict-, plus de définitions méta- physicpes^. Les démonstrations de Descartes sont le plus souvent adoptées; d'autres sont données de principes simplement énoncés, qu'il avait veau l'exige soit cpie l'ordre ou pour ne pas grossir , nou- nombre des le axiomes. Spinoza cherche aussi de nouvelles démons- bonheur pour trations des tliéorèmes importants, sans du mouvement (Prop. celui de la conservation ingénieusement pour celui de Kepler, sur en ligne droite propres XV et XVI). la conservation « : (Pr. l'impossibilité des miracles, mêler de théologie se ou Descartes'', cartes la il : ». Il Descartes, Princ. de la Pli., Par exemple, la Pr. 'i. Déf. 5 mouvement mouvement II, ôr.-Gj. (le (Pr. produit de énonce XX;. I. 2, 6, 7, Ax. 2. Cf. Descartes, art. 37. 6. Pr. XIII, se. 7. Cf. I, Pr. VII, se. 8.Pr. XV, Si. la philosophie pouvait arguments de critique les Il essaie de (Voy. Préf.. compléter se. Lett. 1,118; Cousin, IX. i43. le la masse par théorème de p. 109.) nomme Proposition qui délinit ce qu'on est placée après celle qui 3. si voit qu'il s'agit de découvrir les postulats 1. quantité de ajoute des remarques sophismes de Zenon, indiquée par Des- 2. quantité de KIY)"", mouvement du mouvement prouverait les siens propres^. la réfutation des ^ "^ Il le aujourd'hui la vitesse) (Pr. la XXI), conservation de la impliqués {pi'cvjudicia deiego'e Il se garde bien de substituer expose. qu'il celle 1. Pr. VI. se. :>. Et moins reprend la qu'il •\ Mais il non pas mais ce qui n'a ne réussit lui-même lorsque, dans la Lettre à Meyer, », question plus librement. Lettre de Spinoza (Lett. lô ; van H, VI., 2 13) p. ce scolie n'a pas reçu Les sa forme définitive. n'auront pas pu éditeurs le corriger (Voy.Préf., 112, Je crois fin). remplacer à la ligne 10 lij^ne ad (p. 175) 1 faut qu'il la 174) at par (p. se.) « Nous savons par une 3. que même, scmble- fait définit la substance, Il no réus- il sa propre philosophie à ce qui existe nécessairement « toutefois de petites découvertes (Pr. XXVII, t-il, il i); pas mieux que son guide-. sit 75 PRINCIPES DE LA PHILOSOPHIE DE DESCARTES. « et qu'à faut tra- il quamprius movebntur partem » non duire «rersxis , par vers « elle se dirigeait ment la dans le Voici l<> Si précédem- mais par », même où l'endroit « dans direction que Xi x' cas précédent ». comme on C et A, opposées, après peut traduire ce scolie eu langage moderne de le même choc ils . masse, ont des vitesses égales et directement se séparent en gardant leurs vitesses respectives, mais dirigées en sens inverse. 2° Si la C se trouve en môme que posante de la B la vitesse et que la de C dans vitesse suivant kx composante de le que l'angle CAB'. 3" Si la suivant \y ne sera pas modifiée. C, après le choc, se dirigera vers .\B', l'angle ou bien BC composante de kx sera égale et de signe contraire à la posante primitive. La composante suivant résultera la vitesse cas précédent, après le choc, la BAC soil comcomIl en égalant = CB'. la vitesse de A. A est repoussée suivant S.x' suivant A.r' est supérieure à la vitesse avec une vitesse supérieure à sa vitesse 76 BENOIT DE SPINOZA. besoin que de Dieu pour exister^ sibilité réelle et à Finfini de La troisième partie devait de tous »; il la matière suppose la divi2. être l'explication détaillée phénomènes naturels par Ihypollièse des les tourbillons. Elle convenait à la méthode de Spinoza : donner d'abord l'explication rationnelle et ne faire qu'ensuite appel aux sens. Cette partie est comme noncée. Elle fut composée, mais, pas une seconde édition de l'ouvrag-e La première partie, » de et , , elle a été Réponses de Descartes aux Objections qui Spinoza résume, sans la tent. méthode de Descartes certitude. que c'est — Puis il : doute universel, s'y rappor- <( Cogito de notre existence propre qu'il faut partir, lassé, les axiomes, propositions et intercale, il Descartes lui-même^. en Amené les copiant humain, affirme, avec Descartes, au regard de Dieu, ne sont que des B 1. Déf. 2. 2. Uéf. 7, 3. Ferôo^e/Mw; suivra la même et, presque mot que « il que préfère y nos erreurs, négations'' » [error primitive, d'une quantité exprimée par le rapport de la ligne ligne CA, mais », démonstrations de ensuite à démontrer l'erreur suppose le libre arbitre Il la entreprend, sans goût, de prouver à mot renoncer. avec les , forme géométrique, comme ^, perdue. Principes de la Phi- « Troisième Méditation la ne parut il après coup, n'est qu'un faite rappel des premières pages des losophie seulement an- BA à la direction que dans le cas précédent. Pr. V, etc. les changements minimes sont indiqués dans la Préf.. ^1. Descartes, Princip. de la Ph., 5. Descartes, ibicL, art. 31. I, 31, fin. p. 1 10. PRIXCrPES DE LA PUILOSOPIIIE DE DESCARTES. » « non quid positiviim^), mais cal il s'clibrcc d'expliquer ce qu'est, en nous, la tiendi^ ». vainement potestas assen- « se rejette sur la théorie de Dieu, où Il 77 il a grand'peine encore à ne pas mêler sa pensée à celle de son auteur^. Tout cela est sec, hâtif, scolaire. III Spinoza veilla à ce qu'on ne lui attribuât pas la doctrine qu'il exposait. Il en rejetait une bonne part'. Les travaux de Huygens lui inspirèrent des doutes sur la vérité de la mécanique de Descartes Leibnitz, de la réformer tout cas du , Il il ; se ''\ proposa , avant ne pouvait accepter, en ni la théorie de la substance libre arbitre même 5. , ni surtout celle Le lecteur en est averti, on lui fait entendre que beaucoup de c[uestions qui, selon Descartes, dépassent l'entendement, pourraient être — Spinoza sem- résolues dans une autre philosophie"^. blait disposé à publier les autres écrits « qu'il recon- naissait pour siens s. 1. Spinoza, Pr. XV. 2. Ibid., se. 3. Voy. Pr. XVII, Cor.; Pr. XIX, Pr. XXI. 4. Lelt. 5. 13, p. 235. Préface des — Préf., de se iMais il craignit » faire des p. 111. Œuvres posthumes. — Cf. Lett. 59 et 60 (1675). Leibnitz prétend avoir montré à Spinoza par où péchait la mécanique de Descartes (V. Fouch. de Careil, Réf. inédite, p. xliv), mais son entrelien avec Spinoza Spinoza écrit en cette année ISTG « Je n'ai pas que de 167G. — n'est : craint de dire aiitrefoisque les Principes de Descartes sont inutiles pour ne pas dire absurdes. 6. Préf., p. 111. » (Lett. 81, — Cf. à Tschirnhausen, fin 1676; Saiss., p. i2i.) Lelt. 21; Saiss., p. 377. 7. /6»rf.,p. 112. 8. ... Cetera qnx scripsi atque pro meis agnosco. significative de Meyer, à la fin de la Préface d». 1 12) : — Cf. l'expression omnes hos (raclaius. BENOIT DE SPINOZA. 78 ennemis. On l'attaquait déjà aniis : il avait dû supplier de négliger, dans leur Préface, un ses homuncidus « » qui avait conçu contre lui une haine inexplicable. D'après Y on dire « Exposé des Principes de Descartes que Spinoza soit un « Cartésien )> entend par là que, né après Descartes, comme un si « Oui, ? il », peut- si l'on a considéré acquise une grande partie de son œuvre. Mais Cartésien » est plus précisément qui Descartes a transmis son esprit, un homme et l'on à peut dire sa flamme, en qui Descartes continue en quelque sorte de vivre et de penser, Spinoza n'est point ne tel; il l'est pas du moins en matière de ce que nous appelons philosophie. S'il s'exprime quelquefois en Cartésien^ « », comme d'autres fois réfuter un adversaire de peu d'importance, ou parce qu'il ne en Scolastique « celle ou pour tient pas à révéler ses sentiments propres. Sa philosophie est bien à lui; de Descartes l'était », c'est et il en il la sait aussi neuve que jaloux que Descartes est aussi de la sienne. IV C'est, de (( comme nous en revanche, en matière, science » mathématique qu'il est Cartésien. et pour C'est la chimie, Personne ne C'est 1. même Lett. 21 ; fut plus — proposé Descartes. curieux de toutes les sciences trop peu dire, car Saiss., p. 278. pour l'optique qu'il s'est un moment de poursuivre l'œuvre de disons, il Cf. Lett. iO ne prétendait pas sa; van Vlot., p. 830. « PRIXCII'ES 1)K LA tisfaire la curiosité l'IlILOSOPlIIE de son esprit, 1)F> DF.SCARTES. » 79 mais scruter la nature, faire des découvertes, les ordonner et en faire part à ses amis. C'est à cela qu'il occupa le meilleur de son temps'. C'est pour faire des expériences qu'il resta, une fois, jusqu'à trois mois presque enfermé dans sa cham])re2. des inconnus l'interrogeaient sur toutes les cpiestions et « acquis quelque renom. Des amis s'était Il philosophiques », non seulement sur l'unité de Dieu^. sur la méthode^, sur l'union de riiommc avec la nature^, mais sur les des liquides et la babilités^. Il vie était de « découvertes récentes de Pascal*^, ou loi la pression le calcul des pro- que l'œuvre de sa considérait lui-même promouvoir : la philosophie ^ » comme on sait, une grande pour l'optique. C'est comme opticien qu'il avait surtout, Il tion premiers rapports avec l'homme rope , Leiljnitz , le réputaeut ses plus curieux d'Eu- désireux de soumettre à un juge com- pétent ses propres recherches de haute optique (1671)^. De concert avec 1. Préf. des le bourgmestre Hudde Œuvr.posth. licrscrutenda, inventis « : in , Spinoza avait Pliirimum temporls in Xaiura rerum ordinem relUjendis, et amicis commuui- candis... insumpsil. » 2. Ibid. 3. Lelt. 34, 35, 86, à 4. Lelt. 37, à 5. Lett. 32, à Oldenburg. 6. Lell. 41, à van der Meer. 7. Lett. problèmes van Hudde. un inconnu. 38, à Jarigh Jelles. Spinoza a laissé la solution de quelques sur le calcul des VI., VII, p. 2i8 et suiv.). 8. Lelt. 48, à Fabiicius. 9. Lett. 45 et 40. probabilités [Reeckering van Kanssen, BENOIT DE SPINOZA. 80 entrepris de monter des microscopes pussent lutter avec qui les télescopes célèbres pour italiens. microscopes les Ses et des télescopes anglais et les plus lentilles étaient le poli. Il cherchait spécialement à faire des objectifs à grande ouverture pour les télescopes Beaucoup de savants étaient de ses clients Huygens, , entre autres, qui s'était vainement efforcé d'inventer une machine pour fabriquer ses verres. trouvé de nouveaux polissoirs-, mais l'habileté de la Il se fondait avait avait surtout main 3. Pourtant, par nature repoussait Tempirisme. il il Spmoza d'esprit, uniquement sur la théorie du télescope, telle cjuil l'avait établie en complétant les vues de Descartes la découverte du télescope et en s'inspirant de à réflexion c[ue venait de jeune Écossais Grégory (1665)^. C'est faire le qui lui faisait employât le calcul préférer les lentilles plan-convexes aux lentilles concaves-convexes'*, et qu'il '^, le calcul seul, Huygens non se plaignait^ l'expérience, pour déterminer les ouvertures. Il se tenait au courant des cpiestions astronomiques^, de celles surtout qui agitaient alors les esprits, la ques- tion des comètes et celle des apparences de Saturne. Sur l'un 1. 2. Lett. de Huygens, du 6 avril 1668, citée parvan Vlotcn, Scutellx, Lett. 30, à Hudde, 3. Lett. 32, à Oldenburg, 4. Dioptriq., T). 6. Lett. 39, à Lett. 36, à 7. Lett. 8. l'hypothèse cartésienne sem- et l'autre point, p. p. p. 315. 321. 311. Discours V, IX et X. .T. Jelles (1607;. Cf. Bibliolh. de Spinoza, p. 158. Hudde. de Huygens, du 2 déc. 1667 (van Vlot., p. 315). Voy. dans sa BibHoth.,p. 123, 130,134, 160, 165, 166, 168, etc. « PRIXCIPFS IJE en défaut. Uescartcs avait admis blait prise des comètes cité comète de 1GG5, l'idée LA PHILOSOPHIE DE DFSCARTKS. : la périodi- l'examen de or, d'après 81 » double la en la corrigeant, Ilévélius, reprenant, de Kepler, leur attribuait une trajectoire para- bolique , donc nul retour possiI)leL L'explication com- pliquée des apparences de Saturne n'avait plus de valeur depuis que Iluygens avait prouvé l'existence d'un anneau (1660). Sur ces points de détail, Spinoza plus grand intérêt les vicissitudes du suivait avec le cartésianisme'-. en retenait Il le fond : subordonner rience à l'idée claire et distincte. que la mathématique petit Traité est la clef de l'Arc-en-Ciel matheseosque connectionem théologiens qui est comme « » sa , de *. Il brique des deux pour certain avait Ig, physique. Il fit un ad majorem physicas non sans aux l'allusion Mais cet ouvrage, griflFe^. trop élémentaire, ne contenta ni ses amis et il le délaissa d'expé- le fait Il . ni lui-même, contient simplement le calcul algé- lois de réfraction que Descartes , à sa coutume, avait simplement démontrées^. Spinoza avait 1. L'étude de la comète de 1680 par Newton et de celle de 1682 par Halley, devait au contraire confirmer en partie les vues de Descartes. 2. — « Lett. 26 (van Vlot.. II, p. 299), Cf. Lett. 29 (p. 304; ; Œuvr. de Spinoza, 3. Suppl. aux 4. Préf. des Qluvr. poslh. jeta au feu ». fragm. de Lett. 30 31 (p. 307), d'Oldenburg; 33 Ce Traité (p. 305), (p. 314), à Oldenburg. à Oldenburg. éd. van Vlot. (1862), p. 260. — Colerus exagère cette indication en écrivant fut publié à La Haye en 1687, chez Levyn van Dijck. ."). En 1663, Vossius accusa Descartes d'avoir pris les lois de réfraction à Snellius, par l'intermédiaire d'un exposé d'Hortensius {Resp. Job. deBruyn, p. 32). Descartes ne s'attribue que BliNOIT DE SPINOZA. la ad obj. démonstration do ces 6 BENOIT DE SPINOZA. 82 beaucoup de goût pour l'algèbre; songeait à com- il poser une algèbre simplifiée ^ mais on croit reconnaître ; qu'il en avait plus comme le goût que l'usage. différentes et expose, très considère Il en indiquant leur source, des méthodes de solutions qui semblent fort voisines. prend Il vraiment auxiliaire de faire une construction la peine Presque partout ses dé- inutile'. monstrations sont lentes, ses calculs gauches 3. Tout l'ouvrage sent l'écolier, ou le pédant à la cavalière Si l'esprit de Descartes '^ est là, le ton n'y est pas, ni la science. En chimie, Spinoza suivit aussi Descartes, guide dan- gereux en la matière. de 161) (Voy. VII, lois {Dioptrtq., composa sur Il Korteweg le (( Rev. de Met., , Traité 18<.)6). Letude la réfraction était alors d'actualité. Œuv. 1. Préf. des 2. P. 266 3. Par exemple, (éd. posth., van Vlot., fin. III, p. 242). veut calculer l'angle il FCD qui est G de le complément de — FH est sinus pourrait d'incidence. — l'angle d'incidence l'angle GFC. le 11 donc au moyeu de ce sinus chercher d'incidence Gl gle y suite l'angle CFG de 90". FCD C el de \ l'angle il en retranchant FCD, respondant et les tables le il Voy. p. 262, calcul est exact. (Critique 1. 1 ; — calcule le sinus Ayant ce sinus, de Lansberg ou de van Schooten l'angle cor- communiquée par M. nery.) 4. l'angli' ce qui exige l'extraction inutile d'une racine carrée. cherche dans l'an- obtiendrait en- — Au lieu de cela, au moyen d'un triangle rectangle, il du p. 27i, 1. 4 ; — p. 28i, lign. 12. J. Tan- PRINCIPES DK LA PHILOSOPHIE DE DESCARTES. » « Nitre » de Robert Boyle (1661) qu'il envoya Oldenburg à H y 2. un examen ^ traite 83 critique de la formation mardi e prudente du nitre. Mais et sûre des memJjres de la jeune Société Royale, leur soumission au de suivre est loin il la leurs expériences scrupuleuses 2. fait, Fidèle à son princij)c, donne d'abord il l'explication rationnelle qui le satisfait lui-même et cherche ensuite des expériences pour sur un exemple prouver aux autres. On le précis, par où cette méthode voit, est courte, et d'où vient son échec. Spinoza pose a priori, contre Boyle même que le nitre (azotate de potasse) et le corps qui s'en dégage quand on le chauffe l'esprit , azotique) ne sont qu'un dit, , une même « substance lessive (potasse) n'entre de nitre ou eau-forte (acide même » que , corps, ou , comme on dans laquelle comme le sel impureté. de L'ex- plication est tirée de la physique, science plus simple Le nitre et plus claire. et l'eau-forte ne doivent avoir entre eux que des différences physiques du premier sont en repos, celles ment rapide. faire Si l'on l'eau-forte sur du sel peut de lessive, : les particules du second en mouvedu nitre en jetant c'est de que, par un mé- canisme compliqué, que Spinoza, après Descartes, ex- 1. DAns A physico-chiviical essay, Boyle Works, i. Lett. 2, Stein, p. 287) traité « p. 204 et suiv. mentionne parmi De Nitro ». C'est — les écrits laissés 359. ap. par Spinoza à sa mort un ou bien cette Lettre même, ou bien un ouvrage inédit et perdu. 3. I, p. SchuUer (Lett. du 29 mars 1677; Lett. 14, d'Oldenburg, p. 241. BENOIT DE SPINOZA. 8i plique en détail*, ce sel a pour vement des — Voilà la particules. première « Il effet d'arrêter le mou- y a simple action mécanique. peste des sciences positives » : le transport du principe propre d'une science déjà constituée à une autre qui ne Et voici la seconde moyen de preuve trois expériences-. et — l'est le comme l'expérimentation prise : non d'investigation, Spinoza fait La première doit prouver que l'eau-forte n'est autre chose du pas encore. que du nitre, l'embrase, et recueille nitre. Il fait chauffer dans un verre humide produit de la détonation. Le verre sec, des cristaux de nitre apparaissent. n'est, sans doute, chassé tel — Mais il s'aperçoit bien que ce qu'un peu de nitre non décomposé, quel par l'explosion. imagine donc de Il couvrir le feu d'une sorte de cornet ^\ et que ce qui franchira l'orifice. Mais il de ne recueillir met une telle quantité de nitre qu'il recueille, en poussière, le résidu même de la décomposition, tapotasse. Ce n'est pas du nitre. L'expérience est donc contre l'explication. Que fera Spinoza? L'explication ne peut pas avoir potasse n'est pas du nitre, c'est vrai, du nitre, si l'on jette sur elle « mais tort. La elle devient de l'eau-forte ». Par cet à-peu-près audacieux, on peut croire l'expUcation vérifiée <( dans une certaine mesure La seconde expérience^ 1. Van 2. P. 207. Vlot., II, p. 3. Figure, p. 208. 4. Aliquo modo, 5. l». 208. doit 205. Lctl. XIII, p. 257. * » prouver que le nitre peul « PRINCIPES DE LA PHILOSOPHIE DE DESCARTES. se volatiliser sans résidu de potasse. Or pas volatil. Mais Spinoza en lution ; fait le 85 » nitre n'est évaporer une disso- des cristaux de nitre se déposent sur les bords du verre. On admettra se sont qu'ils évaporés avec l'eau. La troisième expérience enfin ^ doit réduire une diffé- rence importante du nitre et de l'eau-forte. Le premier est inflammable, la seconde ne l'est pas. Il s'agit de trouver un détour pour faire croire qu'elle peut s'en- flammer. Spinoza, en enduisant une feuille de papier d'un mélange d'eau-forte sur un fourneau, est arrivé logues à celles du ticules de sable, et en la portant et à obtenir des étincelles ana- en nitre. C'étaient, réalité, des par- de noir de fumée qui crépitaient en absorbant l'oxygène de l'eau-forte. Mais il n'est pas besoin de faire la critique de l'expérience, puisque, de façon ou d'autre, la théorie doit être confirmée. On voit par là le les expériences, peu quand d'intérêt qu'ont, en définitive, elles sont vraiment une torture appliquée à la nature, non pour lui faire livrer son secret, mais pour la forcer à dire ce qu'on pense même. A quoi bon cette confirmation extérieure? pensée n'a-t-elle pas en à l'idée que soi- soi sa certitude? la connaissance On est La ramené par l'entendement se suffit à elle-même. Malgré son désir, Spinoza demeura, en somme, étranger à lons la i. « p. 209. science l'élaboration de ce que nous appe- moderne ». Il n'avait du savant ni la BENOIT DE SPINOZA. 86 patience, ni la modestie intellectuelle. sur et, le \iî, immédiatement, par delà ce mécanisme, Il pensait saisir le mécanisme des choses, il voulait toucher l'intime substance des êtres. La science moderne procède autrement. Elle est, si plus lent, plus pliie, Ton veut, un système de philoso- anonyme que d'autres, mais sur- ne prétend pas donner tout plus modeste, car il vérité profonde, valable au delà des phénomènes, mais rendre compte des apparences des choses est suffisante ! C'est , — la la tâche un système de philosophie qui admet au point de départ plusieurs logiques, au point d'arrivée plusieurs métaphysiques, parce qu'au fond il ne se soucie ni de logique, ni de métaphysique, parce qu'il ne prétend pas donner des explications ayant en leur soi mais simplement des explications qui vérité, réussissent. Spinoza ne pouvait faire grand état d'un Son dessein système. tel plus profond était de souder la logique le à la métaphysique, de les fondre ensemble dans l'unité et la certitude de l'idée vraie. Une telle pas applicable aux objets de la nature. cevoir; il il n'était teur ». Il méthode dut reconnaître qu'en matière de (( science », pas un ouvrier, mais seulement un L'intérêt qu'il j^orta n'est dut s'en aper- « ama- aux questions scientifiques dut lui paraître, à ses propres yeux, un intérêt extérieur. Nous le voyons causer avec Isaac Vossius de la trans- mutation des métaux, courir chez l'orfèvre Brechtelt montrer pour se faire ment l'alahimisteHelvétius, auteur pourtant peu authen- l'or fabriqué, consulter longue- « PRINCIPES DK LA PIIILOSOPHII. tique ^ C'est l'attitude dun I)K «ESCARTES. lioiimie curieux, » 87 non d'un savant. En résumé, linfluence de Descartes a contribué surtout à le jeter dans une voie à laquelle Les grandes espérances de son nouveau Méthode » il « dut renoncer. Discours de la durent être restreintes. On n'atteint pas aussi facilement qu'il pensait aux « des choses. Mais, d'autre part, du général. Que donc? essences particulières » il n'y a pas de science deux êtres sin- guliers, les seuls auxquels puissent s'appliquer la mé- reste-t-il thode de Spinoza 1. Lett. 4(1. : Dieu à J. Jelles. début. et Il reste moi-même. CHAPITRE VI TRAITÉS DE THÉOLOGIE ET DE POLITIQUE LA VIE RELIGIEUSE. I. Le « Traité de Théologie et de Politique » (1670) est, des ouvrages que Spinoza « reconnaissait pour siens le seul qu'il ait publié. C'est le et, à Il mon sentiment, plus achevé de ses écrits, son chef-d'œuvre. précédé d'une malencontreuse préface, est » dans un esprit agressif faite qui ne répond pas au et étroit ton du Traité lui-môme. Elle a pu détourner des gens de goût du ». « Traité de Théologie On peut penser n'a pas été écrite par Spinoza lui-même, mais, celle de 1' « Exposé des principes de Descartes Louis Meyer, sur de simples indications 1. de Voici mes raisons de la Préface le penser: — '. S'il qu'elle comme en La répétition singulière 1° des dernières lignes du Traité lui-même. A la fin de par », la est à la (in Préface de 1663, Meyer répète de môme, à peu près textuellement, une indication que 2» lui a Une envoyée Spinoza (Letf. particularité Par exemple, Spinoza copie (Préf. de 1663) ... : verae philosophiœ... même dans VU, p. 188) du 15). de Meyer, style écrit (Lelt. 15) ... ; veritatis Meyer : le redoublement d'expressions. ...veritatis propagandae...; : indagandx et Meyer propayandae... Spinoza ...verx ac sincerx philosophia?... : — De sa « Philosophia Scripturœ interpres » (p. 113; ap. van VI., on trouve en quei(iues lignes : ... inutiles el frustra exaratx... BENOIT DE SPINOZA. 90 ainsi, Spinoza a eu trop de défiance de lui-même, ou trop de contiance en son ami. Le Traité se compose de vingt l'ordre n'est pas très rigoureux. l'indique le titre, une dissertations « Il comprend, comme une partie théologique partie politique (ch. xvi-xx). mière, reportons-nous à dont » (ch. i-xv) et Pour éclairer de l'état religieux la pre- Hollande la de 1670. I L'activité qui y régnait alors religieuse étonnement. fait notre Pendant l'invasion de 1672, un colonel occasio vel incitanientum, qiio intellcttus erigifur ac inciucitur... con- templetur ac inter se conférât... coiviexis summam a/que conflnntur... disque. copulastique... — en est de nit-me dans la Préface de 1^63. 11 partie de la Préface de 1670 constant viaximamque... cognoscendis intelligen- Or dans la première on trouve ces mêmes redoublements, tout à jactabundus ac tumidus,... tam ineptum, tamque absurdum... deliria somnia ac puériles ineptias... fait étrangers au style concis de Spinoza : afflatu et instinctu... cJiarius nec dulcius... rem non ingrafam neque inutilem... corporis habitn etcultu, et bien d'autres. 30 L'esprit même de cette Préface. Elle développe superstition est née de la peur et qu'elle change commun que la hommes en brutes. le lieu les Cela est en opposition avec l'esprit du Traité, particulièrement avec la du ch. XV. — Certaines idées de Spinoza se retrouvent, il est vrai, sous une forme excessive. Par exemple, Spinoza craint que l'Église devienne une Académie ou une École de controverse « Le temple a dégénéré en théâtre. » Pourtant ». sophes... si Meyer » et la qu'il cite phrase : « « ne La préface affirme : on ne peut douter que des parties de la Préface ne soient de Spinoza, par exemple le qui y est intercalé, fin mais résumé du Traité, Je sais que je m'entends avec les philo- lui-même, dans une lettre (Lett. a rédigé cette Préface, Spinoza a certaines choses qu'il voulait qu'on y mît. i3). Il est clair que, dû indiquer, comme en 1003, TRAITÉS DE TIIÉOLOr.lK KT DK POLITIOIK. des armées de Louis XIV, Stoup, en fut j,''cnevois frappé que, restant aux apparences, un fameux quelle libelle « la si demanda dans il sous le fouillis des sectes, était, religion des Hollandais^ homme du ni 91 n'y avait ». Il marchand, peuple qui ne discutât théologie, qui n'eût son opinion sur la prédestination, sur l'interprétation de l'Écriture, sur le contenu de la révélation Pour chacun, choisir sa religion tante. Au premier et l'Église puis les luthériens et ; romains catholiques, divisés , les premiers seconds en (( s'étaient détachés les en molinistes nistes », ces derniers tout près Réformés Hollande les provinces de et wallonne, de langue française, son aînée en calvinisme et « réta])lis », les l'œuvre impor- était rang, se présentaient l'Église réfor- mée, Église d'État pour de Zélande, -. « libéraux » et « du schisme les ^. » jansé- — Des Remonstrants*, groupe plus ouvert et plus tolérant, dont avait été Grotius, et qui, avec Jean de Witt et la bourgeoisie républicaine, était alors au pouvoir. Il restait, dans peuple, beau- le coup d'anabaptistes^, campagnards puritains qui s'appelaient eux-mêmes ouïes les « raffinés » « grossiers », selon qu'ils étaient rigides ou modérés, et suivaient le 1. Cologne, 1673. — ayant protesté contre d'impudicité, 2. Voy. il en Il voit des sectes partout. la sévérité fait la secte les Lettres Un groupe de Mennonites d'un jugement ecclésiastique en matière des « Mammillaires » (Lett. 3, p. 61). importunes adressées à Spinoza par un marchand de Dort, Willem van Blijenberg (Lett. 18, 20, 22, 24, 27). 3. L'archevêché d'Utrecht se sépara de Rome 4. Ou Ou avaient répudié 5. en 17ol. Arminiens. plutôt de Mennonites », car ils le prophète Jean. 92 BENOIT DE SPINOZA. — Plus profond, pasteur Apostoo] ou le médecin Galen, on pouvait trouver encore des Sacramentaires, des Enthousiastes, des croque-morts lollards, des colporteurs vaudois, même, parmi les tisserands, des commune. Partout enfin on croyait j^eut-être Frères de la vie apercevoir la secte insaisissable des Sociniens, la seule vraiment persécutée, contre cpii fût monde se tournait i, parce que tout le tout le lacpielle monde avait peur d'être accusé d'en être. Parmi des « Remonstrants les Collégiens - )>, s'était formé le petit groupe chrétiens pieux, las des disputes, qui se bornaient au culte domestique et à des retraites de piété faites îles vertes vert, le en commun, deux de Rijnsburg. C'était le premier peut-être qui de croyance. Les catholiques, « même ait Collégiens les juifs, » fois l'an, groupe conçu le les plus ou- la pleine liberté admettaient même dans même les les sociniens. C'est chez eux que Spinoza avait été reçu, au sortir de la synagogue ses œuvres ^, et c'est dans leur orphelinat qu'on a trouvé inédites. La multiplicité des croyances religieuses grande encore que ne fait était plus supposer la division des églises. L'autorité des confessions de foi allait s'affaiblissant. Il s'y substituait de plus en plus Linfluence personnelle des théologiens. Pas un qui n'eût en quel- 1. Grotius et Spinoza cux-nicmes (Voy. Lell. 31 2. Collcctanten. 3. Van Vlolen, .!(/. B. sp. opcra svppl., p. VXi. ; van VI., 11, p. '.',81). — Au témoignage de Bayle, Spinoza fréquentait les églises des Remonstrants. TRAITÉS que manière sa TJIKOLOGIK ET DE POLITIQUE. l)K secte, l'ii [ji'overJjc 93 prétendait que « s'il prenait fantaisie au dial}le d'établir une école en Hollande, y trouverait des disciples il ». On se distinguait d'après le théologien qu'on suivait, d'après même de confiance qu'on lui accordait. On degré le était voétien vivant ou voétien mort, coccéien sérieux ou coccéien De vert. cun là naissaient d'interminables controverses. tirait l'Écriture probantia ». « à soi pour en extraire des Autant de têtes, un autre proverbe ^ Ou autant de textes sentit à « Chadicta », c'était la fin qu'à s'y bien prendre, on pouvait fonder sur l'Écriture à peu près toutes les thèses. La question capitale fut alors de savoir de quelle manière question donna il fallait interpréter l'Écriture. Cette lieu, entre 1660 et 1670, à plusieurs dissertations importantes, soit philosophiques, soit « pa- radoxales A » 2. Utrecht, vrai centre religieux des Provinces-Unies, Voétius, octogénaire, mais encore sur la brèche, défendait jalousement l'orthodoxie, vateur et formaliste. le point n'avait plus ses amis S'il de la belle lutte contre Descartes, son fils, vieillard lui-même, Régner de Mansvelt de vue conser- et le il était par son du temps soutenu par par petit-fils, pasteur patriote, Jocobus de Lodensteyn^. Mais les regards se détournaient d'Utrecht; 1. G een Kettcr sonder Letler, 2. C'est-à-dire non mises cité par Spinoza; ils allaie4it tr. Saiss.. p. 251. en forme; nous dirions aiijourdhui : litté- raires. 3. Voy. Gasp.Burmann,7'rayt'c;i<mer«(/j7«»i (Utrecht érudite),Utr., 1750. BEXOIT DE SPINOZA. 94 à Lcyde, l'université cartésienne et moderne, où Jean Coccejus avait inauguré une exégèse aventureuse duisante. Il avait et sé- décidément rompu avec la tradition, avec la scolastique dont les théologiens d'Utrecht et les anciens professeurs de Leyde ^ s'inspiraient encore. Une certaine connaissance de l'hébreu l'avait porté à établir une nouvelle économie, toute personnelle, des Livres saints. Il pouvait ainsi, et grâce à une parole chaude et persuasive, établir ses dans l'Ecriture a contracté avec est deux thèses, l'une que tout symbole et figure, l'autre Fhommc une famille avant Moïse, avec triple alliance, que Dieu avec une une nation du temps des Hé- breux, avec rhumanité entière depuis Jésus-Christ. Des disciples intelligents, tels daient cette théologie comme que François Burmann-, défen- « figuriste et fédérale ». D'autres, Jean de Labadie, la poussaient vers un mysti- cisme banal, cherchant, après tant d'autres, des symboles et des prédictions dans les deux livres qui ont le fait plus délirer l'humanité, le Cantique des Cantiques et l'Apocalypse. En 1663, parut le livre retentissant de Louis Meycr-^. L'auteur se déclarait plus cartésien que Coccejus. Il prétendait interpréter la Bible rationnellement, c'est-àdire d'après la philosophie. C'était la métliode de Mai- monide, à la différence que ce n'était plus Aristote qu il l.Burgersdijck, Heereboort, contre lesquels Spinoza avait écrit ses Coyilata. 2. 3. GendredeHeidanus. Philosophia S. Scripturx interpres, exercitatio paradoxa. TRAITÉS DE TJIKOLOGIE KT DE POLITIQUE. comme trouver dans la Bihle, mais Descartes, de s'agissait O.J ce seraplus tardla philosopiiic aiiemaiide. Cette doctrine, ainsi qu'il arrivait alors, fut reprise et soute- nue sous le voile un médecin Velthuysen ' d'une réfutation par un théologien et d'Utrecht, voétiens tièdes tous les deux, et Louis de Wolzogue àprement attaquée par Labadie était 2. Elle fut au contraire Une victoire définitive 3. impossible. Malgré ra[)parence, l'interprétation Rationaliste est à peine mystique : aussi arbitraire. un progrès sur l'interprétation pas plus acceptable, elle elle n'est Il fallait presque est trouver une méthode de cri- tique sur laquelle, sans distinction de croyances, pût se faire l'accord des intelligences, et, s'il était possible ensuite, quelques principes fermes sur lesquels se pût faire l'accord des bonnes volontés. objet que répond le « double C'est à ce Traité de Théologie » de Spinoza. II Il dépasse autant le point de vue de iMeyer que celui des Coccéiens. Spinoza évite de les leurs doctrines opposées sous les nommer; il réfute noms de Maimonide et de Juda-ibn-Alfachar, afin de rester suj)érieur aux po- léndques *, et parce qu'en ces discussions, les rabbins 2. De vsu rationis in interpretatione S. De S. Scripturarum interpretatione, 3. Écrit sur la prophétie, 1GG8. Spinoza possédait ces deux dissertations 1. Scripkiree, 1668. 1668. [Inv., p. I9r> et 191). 4. Dans une lettre à un filclieux, Spinoza se défend d'avoir songé aux 96 BENOIT DE SPINOZA. étaient de cinq Son on six siècles Il est le les chrétiens. pure substance de la science rab- livre contient la binique. en avance snr couronnement inespéré et la revanche contre Maimonide des vues de génie du grand rabbin nomade Abraham-ibn-Ezra, de et de Salomon de Troyes (Raschi) ^ l'école française, de David Qamhi de et Narbonne (Kimchi)^. Maimonide soutient, comme tant de théologiens, l'idée que tout passage de l'Écriture admet plusieurs Pour choisir entre eux, philosophique. « il faut se rapporter à Par exemple, dit-il, il sens. une doctrine résulte des plus claires démonstrations que Dieu n'est pas un être cor- porel ; il faut donc approprier à cette vérité tous les en- droits de l'Écriture qui Comme si y sont littéralement contraires criture leur était destinée, comme rents livres de la Bible présentaient et cohérente reuse tielle et » ! En opposition absurde ^ », loin une allusion très claire à une doctrine unique à cette méthode II, p. 350). paradoxus (Lett. 42, p. 339). KriUher u. ausleger des Alt. — Rauli, ; : Mais il fait — Sur Test., le Tr. Cité p. 223, et note Cilénote 20, 3. More Nébouchim, 4. P. 183. 1 ; un peu plus Tk.-Pol.,voj. Naumburg, 1867 — S(hmidt,.Çp. u. Schleiennacher, Berlin, Doctrina Sp. defidc, Toulouse, 1890; 1. dange- a cité sous le —Th. — Saissel, p. 339. p. 346. II, ch. xxv; cité ; — 18fi8 Maurer, Die Reli- fjionslehre Sp. ivi Th.-Pol. Tr., Strasbourg, 1898. 2. « soumission à la Meyer que son correspondant Tlieologus Joél,Sp. Tli.-Pol. Tr., 1870 si l'É- Spinoza définit la condition essen- théologiens contemporains (Lett. 43, nom de )> si, enfin, u les diffé- d'une méthode plus rigoureuse Siegfried, Sp. als comme philosophes s'entendaient, les "'. par Spinoza, p. 180. TRAITÉS DE TIIKOLOGIi: Tobjet. Il F.T l)K 97 l'OLlTlOLK. faut critiquer la Bible par la Bible môme, dé- terminer exactement ce qu'elle contient, ne demander d'explication qu'aux usages de la langue ou à des raison- nements fondés sur FÉcriturc elle-même. ple, Moïse a dit que Dieu « Par exem- un feu, que Dieu est jaloux. est Rien de plus clair que ces paroles, à ne regarder que la signification des mots. Je classe les passages clairs, bien qu'au regard de la raison parfaitement obscur. soit que Dieu soit un feu? donc ce passage parmi Il . doctrine est conforme ou raison il ; les autres opinions semblance avec se est un feu et comme en Dieu plu- que Dieu n'a aucune comme, res- d'autre part, prend aussi pour la jalousie (Job, xxxi, 12), la ou ne s'accorde pas de Moïse. Or, choses visibles, les moi feu, en hébreu, Dieu non conforme à faut voir si elle s'accorde sieurs endroits Moïse déclare le demander n'y a point lieu de se si cette avec il Moïse a-t-il cru, oui ou non, . la colère et nous pouvons conclure que est jaloux sont une mémo pensée. — Mais Moïse ayant expressément enseigné que Dieu est jaloux, sans dire nulle part qu'il soit passions, Dieu — il ne faut pas douter que Moïse soit jaloux, bien que ce n'ait soit contraire exempt de admis que à la raison ^ . » Grotius seul, avant Spinoza, avait aussi nettement défini la méthode philologique, mais Spinoza la déve- loppe et l'applique. La première connaissance requise gue des Livres est celle de la lan- Saints, l'hébreu biblique, et, pour les derniers livres, l'araméen. D'énormes difficultés se pré1. P. 1G5-160. BENOIT DE SPINOZA. 7 98 BEXOIT DE SPIXOZA. sentent. L'hébreu biJjlique est est presque impossible de une langue morte dont reconstituer l'histoire. il Le Livre de Job. par exemple, ou le Cantique des Cantiques demeureront toujours des énigmes grammaticales ^ Depuis les travaux de l'École espagnole (x* siècle), vulgarisées par Ibn-Ezra et les Kimchi, grammaire - c[ui même du néo-hébreu ; quanta on y peut trouver, à la rigueur, non une granmiaire de Ihc- ces anciens travaux, iDreu n'existe pas de sache distinguer l'hébreu biblique de l'hébreu rabbùiique, ni une grammaire il de la Bible, Ajoutez que la plupart des mots ne sont plus 2. compris, que la syntaxe est perdue l'ancien hébreu est *, et surtout que un continmim de consomies. Les voyelles et les points ont été intercalés par les Massorètes, souvent à l'arbitraire. En changeant deux voyelles, samt Paul qu'il ne cite se un texte de la Genèse tout autrement trouve dans la Massore ^. L'ordre même des consonnes a quelque chose de flottant qui est in- connu de nos langues modernes. Les particules n'ont pas de sens arrêté, les temps des verbes, le futur passé, se prennent l'un pour tion de savoir si les lettres l'autre, et c'est même, et le une ques- les gutturales par exemple, ne peuvent pas s'échanger*». 1. Pour le Livre de Job, Spino/a présente, d'après Ibn-Ezra, une hypo- thèse intéressante. Il serait la traduction en hébreu d'une œuvre écrite dans un autre dialecte sémitique 2. P. 172. 3. Gramm. hébi:, van VI., (p. III. p. 177, 217). 276. 4. P. 172. r>. Ad 6. P. Hebr., 173. xi, 21. — Spinoza, p. 174. TRA1H:S l)K Nous avons de la syntaxe. un S[)iiioz<i l)L'braï([ue ». Il heureusement TJIKOLOGIK ET « donna tous y ses soins. Il malgré son désir l'acliever, marque une Cet ouvrage 99 POLITIQUE. Sounnaire de Gramniaii-f excessive contre les Massorètes les I)F, manque un peu réaction et plus -, ne put mali; il encore contre grammairiens modernes, Abraham de Balmes"^, F^evita gaires ' Raschi et à voit Mosé Kimchi s'inspire Il matica ', et contre les Bibles vul- Spinoza revient aux rab])ins du ^. Ezra-'. On Buxtorf lui-même '', » **, J. moyen « De Arte gram- Vossius, l'ami de Grotius dans cette Grammaire un séparer l'hébreu de Faraméen '^ effort et Cr. hébr., van Vl., p. 1. 2. Gr. hébr., p. 3. P. 200. 4. 2(52, i'\ important pour du néo-hébreu y a noté des vues originales sur les accents altérations de voyelles âge, à cette fois, plutôt qu'à Ibn- certainement aussi du (1635) de Ger. Élie ^^, '^. On sur les ^''. 2{)0, 292, 306, 324, 325. 312, 317. P. 275, traduit par Séb. Munster (Voy. Bibl. de Spinoza, p. 176 et 180). Spinoza se rapporte pourtant à son Thésaurus, p. 257. (Cf. 5. P. 275. Biblioth., p. 175.) P. 275, 315, etc. 6. Spinoza possédait, entre autres, les Bibles de Junius etTremellius (citée Tr. Th.-PoL, p. 127), de Buxtorf, de Pagnino {Biblioth. p. 138, 119, 131, 139, 127). Il cite aussi celle p. 211). 7. P. 276. 8. P. 321. 9. P. 2.57, 311. 10. Biblioth., p. 753. 11. P. 257. 12. P. 259, 272, 27i, etc. 13. Cb. IV. 14. Ch. VI. de Bomberg {Tr. Th.-PoL, BEXOIT 100 SPINOZA. 1)E En môme temps qu'une grammaire, tionnaire, ques, ou plutôt comme celles (les faut il un dic- tables de concordances bibli- de Nathan ou de Buxtorf ^ indi- quant, pour chaque mot, tous les passages où ce mot est employé. Mais Futilité en est moins grande qu'on pourrait croire, car cj[uer chaque auteur soi-même, se soucie s'expli- de la Bible sont et les différents livres loin de concorder entre eux peu de 2. III ces deux instruments do travail En possession de grammaire et dictionnaire, on abordera difficultés considérables se présentent, les textes. Deux venant des alté- que nous ne savons rations qu'ils ont subies et de ce presc|ue rien de leurs auteurs, de leur âge respectif, de leurs destinées. est, à la fois, si — L'altération certaine et que aussi impossible de Toutefois si du texte de la profonde qu' s'y confier ou de « il est la et de modération Grammaire Schaarschmidt, Gramm. De>s'c. un modèle '*. hébr. de Spinoza, u.Sp., Pcnn, 1850. vo}'. — Beinays, l'rcface; ap. Chnje?, ÏJbvr die Sp., Breslau, I8f)9. 2. Tr, Th.-PoL, p. 164. 3. P. 175. 4. P. 185 5. ^ ». Spinoza n'en exagère pas l'importance. La de justesse Sur pres- le refaire critique qu'il fait des notes marginales est 1. Bible P. 207-213. — BibUolh. de Sp., p. 127 et 175. ebr. TRAITÉS DE TIIKOLOGIK ET DE POLITIQUE. Hicn plus grave est notre ignorance de Livres Saints. Presque tous sont, de ment interpréter un ouvrage si fait, 101 l'iiistoire des anonymes. Com- l'on ne sait rien de la vie de l'auteur, de ses opinions, de ses tendances? N'ex- pliquons-nous pas tout différemment une fable à peu près analogue, selon que nous la lisons dans l'Arioste, dans Ovide ou dans le Livre des Juges? D'après ce que nous savons ou supposons de l'auteur, nous voyons un souci artistique chez l'Arioste , des vues politiques chez Ovide, tandis que nous prêtons une intention morale à l'écrivain sacré. Il nous faudrait connaître aussi à quelle occasion, pour quel auditoire chaque chose a été dite. Par exemple car le mot de Jésus : Bienheureux seront consolés, s'applique ils qui s'affligent de ne pas posséder et (interprétation te et le plus contestable) le royaume de Dieu, mot Si quelqu'un : frappe à la joue droite , présente-lui n'est applicable sans doute qu'aux les affligés, uniquement à ceux la joue gauche, époques d'oppression dans un État où la justice est violée^. — Nous ne sa- vons guère enfin par quelles mains les livres sont passés, à quelle époque exacte on en a canon fait un corps, puis un ~. Telles sont quelques-unes des difficultés la méthode expliquer. historique. Il On ne reste, savoir ignorer, si l'on 1. •1. p. V. I7(). KiS-KiO. peut i)ar elle faut établir quelques points que soulève espérer tout et, pour ne veut corrompre ce le ([ui BENOIT DE SPINOZA. 102 en raccommodant à ce qui est clair, autres méthodes grale. Mais parce C[u'elle ni sur ne méthode fragmentaire"' s'apjDuie sur est Les inté- sûre, aucune théorie préconçue, aucune autorité. Elle n'a pas d'autres sources que les textes qui lui sont soumis tradition du elle ; ne comme pontificat hébreu, appel ni à la fait le font les du risiens, ni à la tradition plus récente main 3. i. une explication donnent, certes, seule la obscur est pha- pontificat ro- Elle est indépendante, impersonnelle; sans dis- tinction de croyances, elle — de collaborer. est Il permet à tous les esprits droits remarquable que Spinoza, qui ne soupçonna jamais la vraie méthode des sciences naturelles, ait trouvé poraine et l'ait la méthode de l'exég-èse bonheur applicfuée avec à une contemfoule de questions. Il qui , ne se livre à aucune de ces conjectures personnelles après lui ])ien comme et , ont tenté , par leur tour paradoxal artistique, des criticpes tels que Renan. Les points qu'il établit sont incomparablement plus fermes. L'attribution du Pentateuque admise presque commente six — 1. p. IGG. 2. P. 177, 22i. 3. P. 171, 183. 4. C'était, Spinoza relève et passages qui tendent à la mettre en doute un «dogme » récent. La question n'avait pas été tranchée par les même indifférente à saint Jérôme Sive Mosem auctorem sive Esdram inslauratorem operis, nonrecuso[Conlr. : Helv.,i; cité par Margival, la conteste ^ Moïse était h Cf. p. 22'». Pères. Elle paraît dicere voluerit, sans entier /?. Simon, 1900, Renaissance, l'évêquc espagnol Tostat (Comm. sur Daniel elsur p. 335). (l'iOl), le — Lorsqu'elle se posa à jésuite Bento Pereira la Gen., V>ù2], le jurisconsulle A. Macs {Jos. imp. TRAIÏKS I)K THIvOLOGlK Kl l)K 103 l'OLITiyLi:. et qu'Ibn-Ezra, le seul qui les ait aperçus, avait déjà notés (l'une manière sibylline i. Il en apporte d'autres, plus décisifs encore, et s'efforce d'établir que la rédac- du Pentateuque, auquel tion dre Josué^, Comment siècle est, de plusieurs il voit l)ien qu'il faut join- siècles, postérieure à Moïse faut-il se représenter cette rédaction? '. — Vu avant Astruc, deux siècles avant Wellliausen, et avant l'école liollandaisc de nos jours, Spinoza remarque le fait singulier que certains épisodes sont racontés donne à penser que plusieurs fois, ce qui d'après plusieurs sources fait ments, dont Spinoza fait : Une autre honneur à Raschi l'examen des chronologies nées par l'Ecriture ''. le récit est série d'argu^, est tirée de des généalogies don- et elles sont contradictoires, ce qui montre bien que plusieurs documents ont été compilés. Quels étaient ces documents perdus, qui ont passé dans la Bible? Presque tous ceux que nous .connaissons sont hisl., Aiiv., 1574) rère combattirent ratlribution à Moïse. [Prxadamitae , cohérence du 1655) récit biblique. furent condamnés par — Mais le livre le Saint-Office, et orthodoxe (Voy. Bossuet, Hist. univ., faisait remarquer que les ch. xi-xxvii par la Bible elle-même à Moïse. ci de La Pejrère 1. P. 18.5-188. :>. P. .{. P. 188-190. i. P. 199-202. P. 223 (van VI., H, le Isaac de,La Pey- — positif : l'in- de Macs et celui deLaPeyrère l'opmion contraire passa seule pour II, 28). — Hobbes (Lcviathan, 1652) du Deutéronome sont seuls attribués Spinoza possédait les livres de Pereira {Bibl., p. I5i et 179j. 19.3. 5. sous — apimya cette thèse d'un argument nom : « Babbi Sclomo p. 17^) sous le ». — C'est nom de de R. Schelomo Jai "hi. Salomon de Troyes, cité note R. Selomo Jarchi, et Gr. hébr. (p. 1 276) BENOIT UE SPINOZA. 101 indiqués ^ : Livre des Guerres le de l'Alliance ^ le Livre le très court Livre ~, de la Loi^, les Cantique de Moïse tiques, tels c[ue le gies, les Clironic[ues de Juda fragments poéles -*, Généalo- et celles d'Israël, et après Esdras, le Livre des Annales, les Chroniques perses, les Chronologies chaldéennes. — Un examen sagace con- duit Spinoza à l'hypothèse hardie, reprise de nos jours, que du prétendu Deutéronome a la législation digée avant celle de l'Exode Il marque, dans mal combinés ^. ". de plusieurs est fait chaque scrute Il livre. un point précis où l'auteur les Juges, compile un nouvel historien de Samuel *'. été ré- A ses yeux, le P' Livre récits parallèles, assez sont incom- Les prophéties d'Isaïe plètes; celles de Jérémie ont été recueillies, ou plutôt entassées, en désordre, mêlées à des Mémoires dictés à Baruch prophètes ne sont ; celle d'Ézéchiel et des petits que des fragments énigme. Les Job -K est à tous points six chapitres de vue une de Daniel écrits en chaldéen 'o. Le livre des le restreint à xx, 24-xxiii-19. sont tirés des chronologies chaldéennes 1. p. 190-192, 194, 197, 199,218-220, 223, 240. 2. Cité Nombres, xxi, 14. 3. Exode, XX, 22 à xxiv. Aujourd'hui on 4. Deutér., iv, 25 à xxviii, (in. Mayer Lambert., Rev. des 5. Deutér., XXXII. Voy. G. Cette opinion, combattue par Renan et. (Hev. des juives, 1898, I, 4(). Deux-Mondes, l"'"" marsl88G), semble avoirprévalu, grâce aux travaux de Wcllhausen, Kayser et Maurice Vernes. — Juges, cb. 7. P. 201. 8. Ibid. 9. P. 215-217. 10. P. 217-218. ii, vers. (i. ÏRAITFS rilKOUH.U: ET Dï: lOÔ POLITIOLK. I)K Proverbes ne peut pas être antérieur à Josias, ])i'obablement postérieur; il Tobie. et a être enlevé failli comme rabbins du canon héljreu, est parles l'ont été la Sagesse Merci de Tavoir conservé! « il » * — La com- pilation des Psaumes Macchabée, bien longtemps après, les Paralipomènes, Esdras, et Néhémie, Esther, — Daniel'-. place à l'époque de Judas se les chapitres hébreux de Quant au Nouveau Testament, Spinoza refuse de l'aborder, parce qu'il ne connaît pas assez le grec; d'autres, d'ailleurs, s'en occupent Sous la multiplicité des documents l'unité réelle 3, utilisés, lisait voir de la Bible, trop méconnue des critiques de nos jours, ou du moins de ceux qui les ont immédia- tement précédés. La compilation d'Esdras, par exemple, est visiblement faite avec une intention unique, sur un plan déterminé Les méthodes d'analyse ne doivent ^. pas faire perdre de vue ce Bible, concourt à fait un même aveuglant : tout, dans la dessein. Ces chapitres d'exégèse renferment des vues solides et suggestives. conduit. Ils Ils supposent un travail profond, bien n'en donnent que les résultats, de façon un peu sommaire peut-être, et malheureusement trop en- 1. p. 21'i. 2. Ibn-Ezra a pressenti que ces quatre derniers livres dérivent d'une source unique et perdue : le Livre des Annales (p. 213-2t4, 218-220 et note 23). 3. P. 225. Spinoza peut faire allusion à études sur S. I-r. Spanheiinjr, connu pour ses Matthieu, et qui en 1070, l'année miMne de Tr. Th. Pol., remplaça à Leyde Coccéjus, dont 4. P. 194-195. il la publication combattit rinlluence. du BENOIT DE SPINOZA. 106 chevêtrée. on admire un ensemble rare de hardiesse iMais de mesure dans l'expression, un souci constant de et en s'élevant au-dessus Sur terminer les disputes le point de s'emporter contre les rabbins sophistes les interprètes vulgaires, Spinoza se moi la pensée de les accuser leurs intentions sont pures propre de l'homme^. concorde ; on y sent partout reprend « : de blasphème. Je et Tout » d'elles. que se la sérénité Loin de sais tromper le Traite fait du et que est le œuvre de savant. IV Ce n'est pas seulement dans la question préliminaire de la critique des textes l'accord des esprits ; qu'une saine méthode doit faire c'est dans les questions même qui semblent les diviser irrémédiablement, celle de la révélation et celle des miracles. Ce sont les questions graves, et, chose étrange, ce sont qu'on abandonne celles généralement à la croyance arbitraire ou aux négations a iwiori. Il faut oser leur appliquer la vraie méthode ~. Renonçons à toute idée préconçue. Recherchons, non pas ce que nous entendons, mais ce que 1. P. 223. 2. L'ordre desrfisse;7«<70M,9 est embrouillé, ce qui atténue idées. Voici l'ordre que je suis VI, XI; 3° ch. iv-v, xii-xv. dans mon exposé : la la Bible portée des 1" ch. vii-x; 2" tli. i-iii, TRAITKS 1)K entend, par la révélation. ront d'abord évités, psychologie du moyennes; il recourt toujours à Dieu. Le Dieu » c'est un présent est se- de la (]o Dieu qui a parlé lui (juil fait ,i:aiii Dien ; y dispose son cœur; éprouve s'il s'il conçoit L'expression '. « de ne marque souvent dans sa langue qu'un haut degré d'excellence. Dans la Hible, des sont de très hautes montagnes, Dieu » Dieu » est de cèdres de Dieu « trait Le Juif ne connaît pas de causes désir, c'est Dieu qui une idée, Bien des contre-sens on prend garde à un si Juif. dans son commerce un 107 TIIKOLOGIK KT DK POLITIQUE. montagnes de « un sommeil <' de un sommeil très profond. Les Psaumes parlent » pour en exprimer hauteur. Dans la Genèse, des la prodigieuse hommes de grande de haute stature sont appelés « fds de Dieu », force et quoique impies, brigands et libertins-. Les miracles sont appelés « ouvrages de Dieu est », c'est-à-dire des choses très appelée « science de Dieu », c'est-à-dire science extra- ordinaire. Par conséquent, les expressions Dieu pli » de mer- La science purement naturelle de Salomon veilleuses. a été donné à « l'esprit tel de Dieu prophète », du « ; tel : « l'esprit de prophète est rem- Saint-Esprit », signitien souvent qu'on trouve à ce prophète une intelligence ou une vertu singulière, au-dessus du commun. <[u'un petit ment par nombre de cas où il soit là qu'il percevait la volonté Il n'y a indiqué formelle- ou les desseins de Dieu^. La prétendue élection des Hébreux n'est aussi 1. p. 2. P. 77. 3. P. 81. 6<). 108 BENOIT DE SPINOZA. qu'une figure de langage. Pour exjjrimer Salomon, on De même, dit « : la sagesse Nul ne sera aussi sage que lui^ les Juifs ont comme l'ignorance si des autres ajoutait à leur propre bonheur. Mais positif » prétendu que nulle autre nation ne pouvait recevoir la révélation, moignage de de la Bible montre que ples ont eu des prophètes, et, comme le té- les autres les peu- Hébreux, en ont eu de vrais et de faux. L'élection des Juifs n'était comme pas, spirituelle l'imaginent les Coccéiens, une alliance avec Dieu. Elle ne même, qu'en consistait, d'après la Bible révélation d'une législation avanta- la geuse. Elle n'avait rien d'absolu, ni d'éternel; les rabbins se trompent en croyant que la persistance des Juifs dans les pays où ils n'ont pas pu se fondre s'explique par une cause surnaturelle. La haine des nations a pour les Juifs, un principe de conservation. Et été, s'ils ve- naient aujourd'hui à reconstituer leur empire, on verrait, dans cet événement naturel, une seconde élection de Dieu 2. Examinons les cas où des prophètes juifs ont vraiment perçu une révélation. Comment Bible fait toujours tres prophètes. « une A la percevaient-ils ? distinction entre Moïse et les au- Moïse, je parle bouche à bouche, aux autres par images énigmatiques cil. P. 113-114 (Voy. 3. (Nombr., xii, 8). Il l'Ecriture^, m. 1. 2. semble » moins de violenter le sens de faut admettre, à La faire allusion Lett. 3.5, d'Oldenburg, van VI., au mouvement « sioniste » Allusion sans doute à Maimonide. Voy. dont il II, p. 314). Spinoza fut question en KiGl. More Aeb.,u, (13; ii, 33. TRAITÉS quo Moïse a î\ lui TlIKOUXilK KT I)K une pcr(;ii voi.v réelle. Il parler partout où il 109 I'0LITlO( E. IH: trouvait Dieu prêt — voulait rcntendrc. Les vu Dieu. autres ont eu des visions. Quelques-uns ont Nulle part la Bible ne dit ([ue Dieu soit sans figure. Moïse, au moment où il entendait parler Dieu regarda sa , ligure et, sans être assez heurrux pour la voir, en aper- çut toutefois virent David postérieures. parties les un ange tenant une , .Josué épée. Isaïc, Miellée, Daniel virent Dieu, avec des vêtements, assis. Ézéchiol vit Dieu sous la forme d'un feu. que ce soient des récits sible de voir un ange A Maimonide veut toute force de songe, parce les yeux ouverts, qu'il est etc. impos- Laissons ces hypothèses inutiles à la critique rationaliste ^ . — Quant à Jésus, on est forcé par les textes de lui faire une place unique. visions. ne reçut sa révélation ni par paroles, ni par Il Il ne s'entretint pas avec Dieu « face à face » ; il communiqua avec Dieu « d'âme à âme^ ». Mais d'après l'Écriture même, personne autre ne fut tel. Par rap, port à lui, ses apôtres sont par rapport à Dieu. sa pensée, ils tions. Ils les Ils comme les anciens prophètes ne saisissent pas immédiatement entendent ses paroles, commentent ensuite. ils voient ses ac- Leurs Épitres déjà ne sont plus l'énoncé pur et simple d'une révélation, mais un premier essai de transcription en langage abstrait^. Ainsi, à part Jésus, la révélation faite aux prophètes 1. p. 72. 2. p. 74. 3. Ch. XI. BENOIT DE SPINOZA. ilO n'était pas une connaissance par la pensée, mais une connaissance par les sens, ou, clans la lanuue de Spinoza, parlimaeination. Pour être prophète, pas avoir, ainsi dont ne il était fallait prétend Maimonide', une âme plus cpie le prophéties ont-elles varié suivant la condition ne seulement une sensibilité plus vive. Aussi parfaite, mais les il tempérament, le de chaque prophète, suivant imbu. Si le prophète que victoires; lui était révélé était les opinions d'humeur d'humeur gaie, triste, il que guerres, supplices et malheurs. Amos,quiestun paysan, ne voit voit que bœufs et vaches; Isaïe, de cour, ne que trônes. Zacharie, faible imagination, eut des ré- vélations si obscures qu'il fut incapal^le de les compren- dre sans une explication, explication, ne put et l'astrologie, la Daniel, comprendre tion s'appropriait à chacun. à homme nativité même les siemies. avec une La révéla- Aux Mages qui du Christ croyaient fut révélée par l'image d'une étoile. Les augures de Nabuchodonosor virent la dévastation des victimes. phète plus nomène le de Jérusalem dans — Jamais la révélation n'a instruit. Elle n'a les entrailles rendu un pro- pas appris à Josué le phé- des parhélies, ni à l'architecte du Temple que rapport de la circonférence au diamètre n'est pas exactement de 3 à tants 1, ni à Noé qu'il y avait des habi- hors de la Palestine. Elle n'a même, remar- quons-le, jamais instruit personne de la vraie nature de Dieu. 1. Mort' Spinoza fait !Seb.. cli. \x\vi-\i.m. habilement la psychologie de TRAITÉS Moïse', ou, I)E coiiiiiic TIlKOLOGIi: KT nous (lisons 111 l'OLlTini K. I)K aujourd liui, du rédac- teur jéhoviste. Cet auteur ne sait de Dieu à peu prèfy qu'une chose, qu'il est jaloux. — Jouas espère échapper à la présence de Dieu. Tout ce qu'Ézéchiel dit de Dieu semble écrit pour réfuter Moïse. Samuel croit que Dieu ne se repent jamais, .lérémieque Dieu peut se repentir, Joël que Dieu ne se repent que du — tort qu'il a fait. Concluons provisoirement qu'on ne peut chercher dans aucune connaissance théorique, ni des choses la Bible naturelles, ni des choses spirituelles absurde d'en tirer -. Il n'est pas moins une théologie qu'une physique. Nous, verrons bientôt ce qu'on y doit chercher. V La connaissance par l'imagination n'a pas, comme la connaissance du troisième genre, sa certitude en elle- même. Elle a besoin d'un signe qui la confirme. ham, Gédéon demandent à Dieu un Abra- signe. Moïse ordonne aux Hébreux d'exiger des signes de tous leurs prophètes. si Ces signes, ce sont, en général, des miracles bien obscurci la question des miracles qu'il venu presque impossible de s'entendre. d'abord à ce qu'on a multiplié outre des miracles langue qui 1. p. , dit Ch. II. 3. Ch. VI. On est a de- Cela tient le nombre sans tenir compte des habitudes d'une : « Dieu a ouvert 03-%. •>. — mesure ^. Cf. Lellre 73 à OKIonburg. les fenêtres du Ciel », 112 BENOIT DE SPINOZA. a beaucoup plu; sans tenir compte surtout difficulté qu'ont les gens de médiocre culture à pour dire de la : il exprimer simplement un jour a été plus long- fait. Si le que de coutume, bien peu de personnes diront jour a été plus long c^ue de coutume diront « le soleil : poésie ^ ! On peut l'ait, elles le « le presque toutes Que sera-ce chantent Tjar la a suspendu son cours au lieu de raconter ce si, », : ^>. tenir en principe qu'il n'y a de vrais miracles que ceux qui servent à confirmer une doctrine. Mais voici surtout, selon Spinoza, d'où est sorti le dé- bat : ridée qu'on se fait du miracle jour où l'on a conçu des a été bouleversée lois naturelles. C'est du une con- ception récente. Les auteurs des Livres Saints y étaient parfaitement étrangers. comme ne considéraient aucun Ils nécessaire; tout pour eux était miracle, au sens moderne du mot. — Ce qu'ils appelaient miracles, c'é- taient des faits destinés plus l'imagination, parce analogues, des pas fait », le faits, cpi'on cjue d'autres à ne se en un mot, « rappelait frapper pas les qu'on ne comprenait vulgaire croyant comprendre suffisanunent une chose quand elle a cessé de l'étonner. De tels faits ser- vaient de preuves, car on les rapportait à une cause extraordinaire, à Dieu lui-même. ils — Mais, aujourd'hui, ont perdu pour nous leur force probante. de cjuelque façon qu'on le Un miracle, prenne, qu'on y voie une rupture des causes efficientes, ou l'introduction d'une finalité particulière, c[u'on 1. p. 153-158. l'imagine contraire à la na- TRAITKS DE THKOI.OGH: KT DK POLITIQUE. turc, ou supérieur à rationalistes, que ce elle', soit 113 nous ne disons pas, avec une chose inintelligible, les nous disons qu'il nous est impossible de l'attribuer à Dieu. C'est des faits ordinaires, naturels, que nous tirons maintenant notre meilleure preuve de l'existence de Dieu, depuis que nous les savons enchaînés par des lois universelles et nécessaires, où nous voyons comme une manifestation de l'éternité, de Finfînité, de l'immutabilité de Dieu^. Nous trouvons absurde de recourir à la puissance naturelle dune même 3. Dieu de Dieu, quand nous ignorons chose, Et si un cause dans la nature, effet limité, c'est-à-dire fait n'avait comme il la la cause puissance de réellement pas sa ne serait jamais qu'un nous ne pourrions l'attribuer qu'à une puis- sance limitée, à un démiurge, à un démon. Un miracle ne pourrait pas nous prouver l'existence de Dieu, mais nous en faire douter. Ce sont les sceptiques et les athées qui devraient maintenant tirer argument des miracles^. Rappelons-nous que, dans l'Écriture, les miracles n'avaient de valeur qu'en tant qu'ils atteignaient leur fin, l'édification des âmes. Or cette fin n'est plus atteinte. Jamais l'Écriture n'a donné aux miracles une imjDortance prépondérante. Après Moïse, Ézéchiel et Michée, Jésus 1. P. Ii9. Allusion qu. 110, art. évidente aux Scolastlques. Voy. S. Thoni., 4. 2. P. lis. 3. P. 82. 4. P. 14(5-149. BENOIT DE SPINOZA 8 p. I, BENOIT DE SPLNOZA. 114 nous avertit y a de faux miracles, destinés à aveu- qu'il gler les méchants miracles On peut donc moins 1. eux-mêmes qu'à les accomplit, car qui trompe jamais. Pour les les esprits la doctrine discerne les miracles. se sont tournés signes uq peu En un mot, en scandale. Il les mira- de la règle de vie ejui nous est qu'ils y avait autrefois deux de la révélation, les miracles » éclairés, mais à rejeter depuis qu'ils produisaient leur effet, (( les miracles des moyens d'édification, légitimes tant étaient cles de la vie de celui gens peu subtils, pour ; aux n'y a que les justes que Dieu ne il discernent la doctrine la sainteté se fier et l'excellence proposée. Nous ne som- mes plus frappés que du second. Si nous ne pensions pas que cette règle de vie fût la meilleure de toutes nous rejetterions la Bible comme le Coran '-. Nous ne verrions en elle aucun caractère de divinité. VI Quelle est cette règle de vie? Spinoza l'appelle, tantôt « loi divine tantôt « foi », parce qu'elle n'a rapport qu'au salut, catholique 1. P. 85-lGO. 2. P. 16i. 3. Ch. 4. 3 — '" » Cf. Lettre 73. IV, XII. P. 239, 2i0, 252, 255, 319. , parce qu'elle peut être acceptée TRAITKS DE TlIKOLOGIi: KT DE POLITiyLK. tous les (le « hommes. Elle est contenue dans le précepte Aimez Dieu comme votre souverain bien en faut joindre un second, qui fond, que le premier « : Aimez » les autres cette fm, sont des commandements de Dieu; pu lois humaines, est difierentc. Celui-là et mais parce n'est même, au Tous les moyens qui concourent à être sanctionnées aime Dieu, : il hommes autant » pas d'autres. Des auquel , est peut-être le que vous-mêmes. ont 115 comme il celles par la révélation : n'v en a de .Moïse, la loi divine seul observe la loi divine qui qui l'aime, non par crainte, ni par espoir, qu'il l'a connu. Cela est essentiel. Le reste que moyens j^our disposer l'âme. Quelle importance faut-il donner à la célébration du culte ^, à la lecture des Livres Saints 2, à la croyance aux dogmes 2? Les cérémonies du culte étaient pour les Hébreux des institutions politiques. dans le On avait introduit gouvernement pour que par dévotion. Mais les le la religion peuple obéit aux lois prophètes ont toujours distiagué la loi divine des cérémonies. Isaïe exclut toute espèce de sacrifices et de fêtes; dans la purification de l'âme il de la loi divine la fait consister et la charité. « Vous n'avez voulu, disent les Psaumes, ni sacrifices, ni présents, votre loi est dans mes du christianisme, entrailles. » elles sont les Quant aux cérémonies signes extérieurs de l'Église universelle, elles maintiennent l'intégrité de la 1. Ch. V. '2. Ch. 3. Ch. \iii-xv. VI, XII. BENOIT DE SPINOZA. 116 société chrétienne^. Ce sont des actions de soi indiffé- rentes, mais symboliques de biens nécessaires au salut Pas plus que la prière, on ne peut moyens d'amener sont des les ~. les rejeter, car elles hommes à aimer Dieu et à faire leur salut 3. Mais on ne peut pas davantage leur attribuer un caractère absolu d'obligation pas, dit fortement Spinoza, des tend ement^ le culte. Au ». La foi, <( : elles ne sont actions filles de l'en- en certains cas, peut suffire sans Japon, les Hollandais restent chrétiens, bien qu'ils soient forcés de renoncer à la profession extérieure de leur religion. Les Livres Saints sont presque tout entiers en récits, récits « édifiants, à vraie foi^ » coup sûr, destinés à donner la et à ceux qui ne peuvent saisir les choses par l'entendement, mais qui, pour cela même, ne sont pas tous nécessaires. Ils peuvent On peut entendre autres. sans connaître par le se suppléer les uns les la doctrine qu'ils enferment menu les troubles domestiques de la famille d'Isaac ni les conseils d'Achitophel à Absalon. — Pour le reste, en quel sens peut-on dire que ces livres contiennent la parole de Dieu? Il faut nous détacher résolument de la représentation grossière de lettres missives écrites par Dieu dans le Ciel, et envoyées do 1. r. 137. 2. p. 120. 3. Lelt. 21, àBlijenberg; Saiss., 4. P. 120. 5. Expression du logie, p. 13'J. 11, p. 379. Court Traité qui reparaît dans le Traité de T/iéo- HT TRAITÉS DE THÉOLOGIE ET DE POLITIQUE. aux hommes. La Bible a subi la condition de tous les là livres « un caractère soi sacré, parce que la vraie religion y enseignée. Sachons, en effet, ce que signifie le mot mais est humains. Elle n'a pas en elle sacré ». nous est sacrée Rien, considéré hors de l'ûmc, ne peut être appelé sacré ni profane. Cela est sacre et divin qui peut porter à la piété, et tout objet semblable restera sacré hommes tant que les s'en serviront dans une intention religieuse. Moïse jjrisa les tables de la loi, parce qu'elles avaient perdu leur caractère sacré n'étaient plus observées. du jour où elles La Bible ne demeure sacrée que pendant qu'elle inspire des sentiments de piété elle cessait de que du papier Mais si les inspirer, elle et de l'encre on prend ne serait plus ; si pour nous ^. l'Ecriture pour ce qu'elle guide de la \de morale, sous cet aspect est, un elle n'est plus ni trompeuse, ni corrompue, ni mutilée. Les objections de l'exégèse, graves dans le point de vue opposé, sont ici si insignifiantes. Car à qui demi-mot suffit. Dans l'ordre comprendrions encore même la comprend à moitié, de Tintelligence, nous géométrie d'Euclidc, quand nous ignorerions presque tout de l'auteur fortunes diverses de rouvrage"^. De du cœur, il un même, dans et des l'ordre y a en nous quelque chose qui répond aux paroles de l'Écriture, qui les pressent et obscurément les devance. « Aimez Dieu ne peut être apocryphe, 1. p. 23G-'>38. ;>. P. 177. et le prochain elle ne peut résulter d'une », cette parole BENOIT DE SPINOZA. 118 erreur de plume, ni d'une trop grande précipitation i. Il en est de même des maximes morales qui en découlent immédiatement. Je les trouve dans la Bible, mais je les trouve en moi. Accumulons posons de la Bible mille le texte qu'il n'est en les fautes, dit Spinoza, réalité, fois plus sup- corrompu sur quoi, en définitive, pourront porter les altérations? A mettre les choses au pis, sur quelcjues circonstances ajoutées à une histoire, à une prophétie, pour exciter davantage la dévotion populaire ter , sur quelques miracles inventés pour déconcer- les pour philosophes, sur justifier telle porte peu altérées ou au salut que ou non quelc[ues dog-mes imaginés telle théorie particulière. de telles Il im- choses aient été dogmes la ' ! VII Il faut avoir le courage de dire des chose que des cérémonies et des lectures sacrées. sont pas tous essentiels à la foi. sont pas tenus de les connaître. sance de Dieu est un don de Dieu, 1. P. 242. 2. P. 243-244. 3. Cf. LeUre 21, à BlijenberR ; Ils ne On ne trouve dans FÉcriture aucun des attributs éternels de Dieu hommes ne même et Sais>., II, p. 381. 3, et les La connais- non pas un com- TRAITKS r>E THK()LO(;iE ET DE mandomcnt de Dieu^ Ce don iiiènie l'enseigne. est rare, TÉcrituie elle- Ce que les lidèles ont en commun, ce n'est pas la comiaissancc de Dieu, Dieu. — Dira-t-on mais de 110 POUTIOIE. qu'ils c'est l'obéissance à ne sont pas obligés de connaître, croire, ce serait ici uii simple jeu de mots, car pour percevoir les choses visibles nous n'avons que les yeux, pour percevoir les choses purement spéculatives que les démonstrations. A la vérité, l'Écriture ne cherche pas à donner la science, mais l'esprit d'obéissance. Obéir à Dieu consiste à aimer les hommes. Aimer les hommes est la seule voie chrétienne d'aller à Dieu. Tout chrétien devrait se pénétrer de la doctrine de Jean, de cette grande doctrine d'amour connais Dieu, et menteur. . . cpii : n'aime pas Personne n'a l'idée du prochain. Celui qui aime Celui qui dit « les hommes, est : je un de Dieu que par l'amour le prochain connaît Dieu, celui qui ne l'aime pas ne connaît pas Dieu... Dieu, qui est amour, nous a donné l'amour nous savons que tout est en nous. taux. moyen La est en Dieu par là que et que Dieu » La vie d'amour le seul homme et c'est est l'unique règle d'en déterminer les foi consiste à savoir de la foi catholique, dogmes fondamen- sur Dieu ce qu'on n'en peut pas ignorer sans perdre tout sentiment d'amour, ce qu'on en sait nécessairement par cela seul qu'on a ce sentiment. Elle ne porte pas sur des attributs méta- physiques, démontrables, de Dieu. ). p. 2i8. On croira simplement BENOIT DE SPINOZA. 120 qu'il y a un Père qui aime la justice et la charité. On y ajoutera, j)ar exemple, qu'il est unique, qu'il est présent partout, qu'il a sur toute chose que une qu'on lui doit ne consiste qu'en l'amour le culte du prochain, que ceux qui vivent les autorité suprême, ainsi sont sauvés, c[ue péchés sont remis à ceux qui se repentent vérités cpi'il n'est pas besoin de savoir par ^ : toutes la raison, mais d'éprouver par la pratique car il n'y a pas d'abord ; des dogmes chrétiens, entraînant un certain genre de vie, il y a d'abord une vie chrétienne, appelant cer- taines croyances. Sans doute ce petit nombre de dogmes fondamentaux , ne peut pas être rait introduire laissé à l'arbitraire, car dans la religion ce prétexte que c'est un moyen qui chacun pour- qu'il voudrait, sous le dispose Mais pour le reste, la liberté est entière. à la piété 2. — Qu'est-ce que Dieu? Est-U feu, esprit, lumière, pensée? Comment estil partout? Y a-t-il La récompense ne regarde pas la indifférent en nous libre arbitre ou nécessité? est-elle naturelle foi 2. ou surnaturelle? Cela Pascal dit de même au cœur de l'homme de croire personnes en la Trinité ^ » trois : « Il est ou quatre Chacun peut, chacun doit mettre ces dogmes à sa portée, pour embrasser la foi sans répugnance, ni hésitation. Chacun peut, sur ces questions, se tromper pieusement, sans aucun mal. Les 1. P. 255-256. 2. p. 253. 3. P. 256-257. 4. Autographe, p. 'lO'.i. TRAITKS TIIKOLOGIK KT l)i: Livres Saints donnent l'exemple I)i: attribuent à Dieu ils : des pieds, des yeux, une âme, un 121 l'OLITIQUK. mouvement des local, passions, et c'est gratuitement qu'on suppose que co sont là des métaphores, car où finira la métaphore, où commencera le mystère i? Tant que je ne puis pas con- un Dieu personnel, cevoir la vie chrétienne sans que je ne la puis pas concevoir sans libre arbitre, ni iumiortalité temporelle, ce sont là des dogmes pour moi, jusque-là seulement. sont des moyens — Les dogmes secondaires moins grossiers que d'édification, accommodés à des miracles, tant esprits culture, utiles tant qu'on ne les les de plus grande met pas en doute. Mais dès qu'ils n'atteignent plus leur fin et veulent néan- moins s'imposer, ils deviennent causes de déchirements dans l'Église, de malheurs, de guerres, d'atroces absurdités. Il faut alors que des esprits droits et pieux rendent à la sereine philosophie foi son domaine sa fin divine, le salut. vérité, il n'y a pas de question, suppose, où elle si théologique qu'on la puisse être gênée par la a pas un dogme pouvant donner parmi les D'autres opinions, La plus foi, P. 25r). car il n'y lieu à controverses de son coté, n'est pas une communes encore, paraîtront singulières quand on y réfléchira, par exemple, que Dieu hommes. Voy. Lettre 19, Saiss., II, p. 3G9. 2. foi, « honnêtes gens, qui appartienne vraiment à la foi catholique- ». 1. et rappellent à la — La philosophie cherche la puisse être olTensé par les BENOIT DE SPINOZA. 122 vérité, mais une pratique. Ce n'est pas celui qui expose meilleures raisons, qui les fait preuve de la foi la œu- meilleure, c'est celui qui accomplit les meilleures vres. Les fidèles d'impiété ; les ne peuvent pas accuser les philosophes philosophes ne peuvent pas accuser les Une opinion prise en fidèles d'absurdité. sans soi, et rapport à la pratique, ne j)eut avoir ni piété, ni impiété n'est hérétique que ce qui porte à la rébellion, aux dis- putes et à la haine, — n'est pas absurde, qui Croyez mille vérités serez : : un soutien de est si la vie morale. votre vie est mauvaise, vous damné. Croyez mille erreurs tienne, vous serez une croyance Et, d'autre part, : si votre vie est chré- sauvée La pensée dernière de Spinoza est qu'on peut faire son salut par deux voies, par la connaissance ou par l'obéissance. La comiaissance du troisième genre tout aussi divine que certitude, elle la révélation. Elle émane immédiatement de est implique Dieu. « appelle à l'expérience de tous ceux qui l'ont goûtée la J'en 2 ! » Elle est sainte, elle est suffisante, elle régénère l'âme, elle est spéculation et pratique, elle est vie nouvelle. — combien peu y atteignent! Le principe propre est que l'obéissance, à elle seule, peut ^lais de la révélation sauver les hommes. Sans lui nous douterions du salut de presque tout montrable 1. P. 250. 2. p. 69. 3. P. 269. : le genre humain^. Ce principe la révélation était est indé- donc absolument néccs- TRAITÉS DE THÉOLOGIE KT DE POLITIOI sairc^ Non (les A un ce principe seul Spinoza fait more mathemalico scio raisons morales : sed credo-. , K. croit source de consolation pour les humbles, ce la société, ce une est procure y aurait il à le folie par ce seul prétexte que cela ne peut être dé- montré mathématiquement 3. » Allons au fond des choses. l'une c[ui le que nous pouvons croire sans aucun risque intellectuel, rejeter pour Ce qui a été confirmé par « 2.'J acte de foi. Il témoignage de tant d'hommes inspirés, ce qui de grands biens à 1 pour les philosophes, n'y a pas deux lois, Il l'autre pour le peuple. Il n'y a que deux points de vue, ou, selon l'expression que nous connaissons, deux modes de connaissance. précepte : « Aimez Dieu éternelle pour » est loi l'homme qui pense immédiatement cette révélation seignant les choses révélées, non comme peuple, vérité le et qui, par en là, reçoit de Dieu, Jésus, en en- comme des lois, mais des vérités éternelles, a délivré les la servitude de la loi, et, loi pour Le même hommes de temps, a établi la plus jDrofondément dans leur cœur^. La façon la plus parfaite d'obéir à la d'elle. Il y a un loi est état supérieur n'apparaît plus que de s'élever au-dessus de l'âme où la comme un moyen. <( loi même Celui qui pos- sède la charité, la joie, la patience, la douceur, la bonté, la foi, la mansuétude, la continence, je dis de 1. P. 268. 2. Lettre 21; van VI., 3. P. 267. 4. P. 121-125. II, p. 281. lui, avec BENOIT DE SPINOZA. 124- Paul, que la loi de Dieu n'est pas écrite contre lui'. 11 peut se dire vraiment rempli du Saint-Esprit, car » le ce Saint-Esprit, c'est la paix parfaite de l'àme^ », VIII Telle est cette sorte d'Apologie de la religion chré- même tienne. Elle parut la mois 3, que celle ressemlDlent Spinoza est année, on peut dire le même de Pascal. Les deux ouvrages ne se pas pour la composition. œuvre de raison sereine. Il Le Traité de sans art, de documents soigneusement vérifiés tériaux éprouvés, pris même presque est fait, ; de made à des adversaires'^; raisonnements, trop appuyés parfois, mais exposés en toute probité; de développements sommaires, impersonnels, où la force de la pensée se retient toujours de jaillir en éloquence. Les notes de Pascal portent bien plus à l'effet se rap- qu'elles doivent produire. Les matériaux sont moins sûrs, la mise en valeur plus 1. p. 1Î2. 2. P. 2G8. 3. Le Trailé de Spinoza est antérieur au 8 mai date de la première ir>70, réfutation qui en fut faite (Thomasius, Progr. adv. anonymum de lib. philosopJiandi). La première édition des Pensées de Pascal est antérieure au 23 mars, date d'une Lellre d"Arnauld à Périer où 4. Page 260-268, Spinoza p. 186-188); II, — p. IôT-ITjO, 28-29, cité par Joi'I, fait il en est question. des emprunts textuels à Meyer (van VI., des emprunts textuels à Jdiùmonide Sp. Th.-Pol. 7V., Breslau, 1870). II, {M 07-é Neb., TRAITKS KT i)K TllKOLO(;iH 125 POLITIOLi:, IJi: grande. La préparation du cœur, l'appel aux sentiments intéressés, la mise à profit de nos doutes, rien négligé. n'est une œuvre, de quelque faveur qu'elle C'est auprès des philosophes, aussi oratoire que philoso- soit phique. Elle est inquiétante, persuasive. L'Apologie de Spinoza est rude, franche, évidente. diffèrent aussi veut « par le — L'une et l'autre but qu'elles se proposent. Spinoza en montrant qu'elle n'a raffermir la religion, nul besoin des vaines parures de la superstition il réglementation de frontière entre la fait la la philosophie. Pascal tente du lecteur. deux les Le fond des pensées et tout ils est ; et la conversion bien près d'être pour Pascal, opposent » de deux âmes qui s'accordent. la religion plus qu'une croyance intellectuelle. tacles, foi ces oppositions, on sent dans Mais sous livres l'accent Pour Spinoza proprement ^ le même le est même. une vie Aux mêmes obs- principe : l'àme avant : Spinoza fut-il chrétien? Les témoignages extérieurs ne sont pas concordants. La réponse terrible à la provocation d'Albert Burgh, pour l'attirer au catholicisme-, permet d'affirmer que non. C'est un chef-d'œuvre de polémique serrée, où chaque mot porte « Provinciale le Traité h ». de Théologie; elle est des arguments de combat. 1. P. 235. 2. Lett. 7G. : c'est une Mais la pensée est moins large que dans subordonnée visiblement « Comment savez-vous. BENOIT DE SPINOZA. 126 (lit Spinoza, que votre religion est la meilleure de toutes? L'examen peut-il être jamais considéré achevé? Seul, le vrai évident échappe infinie. traire, « à l'hésitation Mais le Traité de Théologie montre, au con- que la certitude mathématique peut être placée par l'adhésion morale, appuyée sur des mais non complètement pour l'entendement, les autres, mais qui différent, est, « rem- signes » par eux. Spinoza se justifiée heurte surtout à TEucharistie, sacrement « scandaleux » par l'essence, de tous à le bien voir, la pierre de touche de la vie chrétienne. qu'il comme C'est, y a de plus inintelligible dans la religion, ce et ce qui est postulé le plus nécessairement par la pratique. La connaissance du troisième genre ofTre, certes, à quelques élus la possession intellectuelle de Dieu admettre une autre ; communion, mais ne faut-il comme pas le croit Spinoza, la vie religieuse est accessible à tous, si la si, soumission peut remplacer la raison? IX Son ouvrage fut moins lu que réfuté. Il fit scandale, en Allemagne d'abord, plus encore qu'en Hollande Dès son apparition, on 1. Il se donnait faussement fit contre lui, à Leipzig, des ha- comme imprimé à Hambourg. TRAITÉS DK TIIKOLOGH: ET rangucs publiques'; POLITlOLf;. 1)K et la tiadition se '2' ] garda dans les universités allemandes, à Tubingue, àléna,à Marbourg. à Altdorf, à Francfort-sur-lOder, à Kiel, à Ilerljorn, à Rostock, à Greifswakl^, de réfuter Spinoza en con- le fondant, au hasard, avec Jacob Boehme^, avec Hobbes Cherbury*, avec avec les « simplement, les Cabljalistes'', ou, plus déistes » qu'avait inventés le P. Mersenne'' après la publication de lEthique, on changea souvent l'appellation» déiste » en attendant —A interdit contre lui des velt pit s. panthéiste « dès 1671 « et un : Lettres à », contre celle d' T'trecht, « le : plus athée », le livre fut certain Jean Melchior un ami' », et écrivit Régner de Mans- en prépara une réfutation que la mort interromMais cette opposition ne se changea en haine qu'a- près la Révolution de 1672, au moment de l'atroce réaction contre les républicains. L'appel à l'intolérance vint d'un étranger, de Stoup , un homme qui avait au- paravant demandé l'amitié de Spinoza; Blijcnberg- 1. Jac. Thomasius, maître de Leibnitz, le et l'r. fut Rappolt, 8 niai et 1" juin 1670. 2. Voy. van der Linde, Bihlincjrajie van Sp., La Haye, 1871. 3. Gust. Herwegh, Tr. quo... Bouinii naturalismum et spinozismiDii cndt. Leipzig, 1709. 4. Chr. Kortholt, Gerh., 5. I, 3i. Lett. De tribus impostoribus magnis, du 23 déc. (?) Kiel, 1680. Cf. Leibnilz, 1670. Wachtcr, De recondita Ilebrxorum philosophia, 1706, ouvrage sur lequel Leibnitz écrivit des notes. 6. Velthuysen (van VI.. Lett. 'j2, p. 336). Leibnilz. Op. tlic'ol.. éd. Du- tens, I, p. 690. 7. J. M. V. D. M., Epistola ad amicum. 1671. qua ad examen vocalur, Tr. Th.-PoL, 1672. 8. — Joh. Melchior. LpisioJa Publiée après sa mort en 1674. Voy. Spinoza, Lettre 50. BKNOIT DE SPINOZA. 128 le premier à y répondre. En 1G73, de Théo- le Traité logie fut interdit dans toutes les Provinces-Unies et ne circula plus que sous des titres supposés. Frans Ku^"per et, • avec plus de décision, Jean Bredenburg'2 essayèrent, selon l'usage, de le défendre sous le couvert d'une réfu- ou sociniens. tation; ils furent accusés d'être athées, Contre Spinoza se trouvèrent d'accord les voétiens-^ les coccéiens*, les labadistes^, les luthériens tholiques les juifs '', (Orobio de Castro) comme exégètes les plus libres, hôte des « Collégiens comme Toutefois, il » s, et même Richard Simon ^, de Rijnsburg, un et — ne pouvait manquer d'arriver en nom de y eut des « spinozistes » comme il y avait labadistes » ou des « galéniens ». Cette église Spinoza. (( les le P. Poireti*^'. Hollande, une petite secte se forma sous le des les ca- 6, Il minuscule eut son ère des persécutions, son âge théologique, ses confessions de schisme. Les 1. foi, verschoristes « » ses hérésies, son Tinclinèrent vers le for- Arcana Atheismi revelata, philosopliice RoU., 1G76, tiré 2. Enervatio Tr. Th.-PoL Saldenus, Olia théoL, 1684. van Het voorhof der Heidcnen..., Saloni. 5. Yvon, Impietas convicta, 1681. 6. Spitzelius, Infelix liUeralor, 7. Huet, Til, paradoxe 1, refuiala, 563-635. Rot., 1675. 4. De et en partie d'Henri Morus. Op. ph., 3. grand 1690. 1675. concoi'dia rritionis et fidei, 1690; Spinoza en attendait la — le luibUcation des 1676. Voy. Lett. 83, à Tschirnhausen (Saiss., p. 428); r. Lanii, Le ISoutel Athéisme renversé, 1696. 8. Certamen philosophicum, 9. L'inspiration des Livres Sacrés, 1687, omis dans 1684. de van der Linde. 10. Fondamenla athris)ni eversa, 1685. la Bibliographie TRAITÉS malismc; (les l)K TlIliOLOfilE KT DE POLITIQL'K. dominés par linflucnce les « hattéiiiistes », femmes, vers un mysticisme illuminé tout ce que moi qui 129 : « Je crois que je pense, dis, fais, et souffre, ce n'est pas le fais, mais celui qui est en moi... Je crois qu'il y a en moi une vie cachée, dans laquelle je vivais avant de vivre... que et .le crois que je je ressusciterai suis quand mort quand je je mourrai K.. » suis né, Encore aujourd'hui, on trouverait, paraît-il, à Rijnsburg ou à La Haye, quelques douzaines de personnes qui gardent le culte de Spinoza et pensent se faire un privilège de son nom. Ses vrais disciples ne sont pas 1. là. Credo rapporté par van der Linde {Sp., seine Lelire, BENOIT Di: SPINOZA. etc., 18C2). LE LIBERALISME AUTORITAIRE. I. Les opinions politiques de Spinoza sont exposées dans deux écrits, la fin du Traité de Théologie (1670) et le Traité de Politique, et de Politique'^ son dernier ouvrage, interrompu par la mort (1677). Dans riutcrvallc eurent lieu événements de 1672, coup d'État les réaction cléricale, blicains, substitution à militaire, ou massacre des chefs répu- exil Fancienne oligarchie fédérative d'un gouvernement à tendances monarchiques taires. En 1670, Spinoza du doctrinal une sorte de manifeste fait parti républicain et uni- ; en 1677, il donne des avertissements au stathoudérat. Comme doctrinaire, il semble avoir tenu, avant Révolution, un rôle presque officiel. eu pour auxiliaires deux publicistes, Court, le 1. Ch. xvi-xx. 2. La Prospérité de Lcyde Hollande, C'est, o. 1(362. les frères chargés de développer, Pierre économique 2, Jean — Les programme la Jean de Witt avait le programme politique (inédit jusqu'en 1845). de la ^ du — L'intérci parti de la xxx sont de Jean de Witt lui-même. bien avant A. Smith, un exposé de la théorie du libre-échange. l(i()2. cli. xxix Considérations sur lÉtal, — et 10(30. — Discours politiques (posthume), Spinoza possédait ces deux livres [Uibl., p. 142 et 174). — Il cite BENOIT DE SPINOZA. 132 républicain. Mais Jean de la Court mort, tout était jeune, en 1660. C'est Spinoza qui paraît avoir pris sa place. venu habiter aux environs de La Haye était Il dès 1663, à la Haye même en 1669, des savants cartésiens. Il était entré dans bourgmestre sait, accepta de lui une pension de deux cents florins K Nous le il du Grand Pensionnaire, ami, comme on l'intimité avec et savons aussi en rapports le cV Amsterdam, son intime ami, avec le Pensionnaire de Gorkum, Hugo Boxel-, avec d'autres personnes d'importance, à qui pour raisonner sur les afTaires de il l'État 3. rendait visite Il passait pour prévoir assez bien le train c[ue prendraient les choses. 1676, Leibnitz, dans un voyage, vint le voir à La En Haye, lui et Pierre de la Court ^; ils ne s'entretinrent que de politique. Le renom de bon poHtique auquel Spinoza tenait plice il aurait accepté le sup- eux son nom''. pohtique"^, à sa coutume, Spinoza invente peu, premier [Tr. roi., vui, 31) sous le ; des frères de Witt, à condition cVùnmortaliser comme En le plus était celui les initiales V. II. (Van Hove, do la Court). 1. Lucas, p. 67. 2. Lettr. 51 à 5G. 3. Séb. Korlliolt, Pré/'., ap. Chr. Kortholt, De trib. iinpost., 1700, cité par Bavle. 4. Lettre à l'abbé Gallois, et Théodicée. § 37G. 5. Politici, nomen affectabat... Cum Wittiis, amicis suis, modo ylorix cursus foret sempilcrnus, dilaccrari oplavit, tholt, p. 6. G. Voy. sur 18G3 — — Cf. J. ; Colerus, p. 25; la politique — crudeliler Séb. Kor- Tr. Th.-PoL, Saiss., p. 335. de Spinoza. J.-E. Horn, Sp. Staatslebre, Dresde, — Kriegsmann, Die Redit unU Staalsl/ieorie Sp., Wandsbeck, 1878; Hoir, Die Staatslehre Sp., Prague, 1895. TRAITKS niKOLO(;iK KT UK POLITlOli:. I)i: mais approfondit. On trouverait éléments de sa les Thomas Morus, dans théorie propre dans dans Hobbes surtout ^ Le « De Cive 133 », Machiavel, paru en 16i7 -, réédite chez Elzévir en 1669, avait frappé les esprits. posait pour la première fois le Il problème politique dans ses vrais termes, opposés l'un à Fautre, naturel, c'est-à-dire individuel, cest-à-dire le droit du souverain le contrat social, mais la solution était et ; le droit grossière encore, inadmissible. Hobljes déchaînait l'a- narchie pour appeler absolu. l'État, Il comme établissait assez sauveur un monarque fermement les droits de spécialement en ce qui touche les choses sa- crées, mais ses principes devaient être éclaircis pour ne pas fournir d'armes au parti césarien. On en pourrait faire sortir le libéralisme bien entendu, en mon- trant que, dans le conflit des passions humaines, la paLx durable n'est pas homme, passionné amenée par comme les le despotisme d'un autres, vraie liberté, c'est-à-dire par l'autorité mais par la suprême de la raison. Doit-on chercher un compromis entre le droit indivi- duel et le droit de l'État ? Doit-on les subordonner l'un à l'autre? La solution de Spinoza est plus hardie. Admet- 1. Morus, Bibl.de Sp., Machiavel. — Bibl., p. Hobbes [De p. 156. 144 et 172, cilé Tr. Vol., v, 7; x, Cice), Bibl., p. 188. Hobbes. Berlin, 1873. — Gaul, — Cilé Lett. 50. — V. 1. Gaspary, Sp. v Die Staatslehre v. Hobbes u. Sp. — G. Lyon, La philosophie de Hobbes, Paris, 1893. 2. Amsterdam. peu d'exemplaires. — Une V éd. avait été tirée, à Paris, en IGi2, à très BENOIT DE SPIXOZA. 134- tons-les tous les deux, sans restriction, et poussons-les à l'extrême. Allons d'abord jusqu'au bout du droit naturel de l'individu 1, car par quoi pourrions-nous le borner? Soyons un instant indifférents aux sociétés humaines, regardons la nature. Nous voyons et parce que c'est leur parce que c'est leur nature. hommes convoiter ils , nature ; les poissons nager, gros manger les petits, les De même, nous voyons les acquérir tout ce qu'ils peuvent cjuand ; n'ont pas la force, employer la rnse ou la prière : c'est leur nature. Querelles, luttes, mensonges, et les passions qui les produisent, et des passions, sont des de vivre le désir faits naturels. c[ui est le Un fond spectateur ex- térieur, tel c[u'on suppose Dieu, n'y peut voir ni injustice, ni péché. mots de droit, de loi morale, de Avoir ignore tout cela. quelque chose, cache quelque mystère sous les Si l'on c'est le loi religieuse, la droit (( naturel uniquement pouvoir » nature de faire le faire. Tout ce qu'on a pu vous prendre appartient, de droit naturel, à celui qui vous vous-même, servir vous lui restez, vous, l'a pris, si soit quelqu'un a pu vous as- par la force ou par les Jjionfaits, appartenez, de droit, aussi longtemps que vous de corps ou d'àme, en son pouvoir. Révoltez- vous pouvez. — Cet état anarchique raisonnable sans doute, raison n'ont en vue que la et si il est naturel. l'utilité des Les hommes n'est lois ; pas de la les lois de nature em])rassent l'ordre éternel du monde, dans 1. Tr. Th.-l'oL, cli. xv. — 7r. Pol, <li. ii. TRAITKS DE THÉOLOGIE ET lequel riiomiiic est une petite pièce, mais Le droit naturel mencé son œuvre sociétés? aux est-il et Non point; collectivités. comme deux ils se lui. aucun le servir A que hommes les est reculé; trompent, loi ont ils '. com- fondé des des individus, il passe l'autre -. Ils se violent les traités, suprême son propre intérêt et en tenant pour ennemi tout ce qui n'est de choses, cet état naturel droit mystérieux à opposer, il ny a encore mais seulement mieux compris. raison, c'est-à-dire l'intérêt dividus, fin aboli parce que la raison a Deux États sont à l'égard l'un de chacun ayant pour pas non une individus dans l'état de nature font la guerre, pensant il 135 l'OLITl^LE. I)K eux-mêmes, perdent-ils proprement dans société leur droit naturel? Non encore. S'ils la — Les inla veulent se réserver quelques droits, qu'ilsprennent des précautions pour et les défendre, qu'ils créent de franchises. Mais apparent. ]>erté S'ils ils un régime de privilèges n'ont, à le faire, raisonnent, ils qu'un intérêt comprendront que la li- de chacun est bien moins protégée par ses propres privilèges qu'aliénée par les privilèges des autres ne raisonnent pas, l'expérience le ; s'ils leur montrera à la longue. Travailler raisonnablement à sa propre IDDcrté, c'est travailler h réaliser l'égalité de tous sous une commune. Vous pouvez, au nom du vous insurger contre l'État, loi droit individuel, au risque de vous briser contre une force plus grande. Vous pouvez aussi, et bien 1. 2. Tr. Th. -Vol., p. 271. Tr. Pol.. ii\, 11. 136 BEXOIT DE SPINOZA. plus justement, au nom du même droit, absolument à la loi, afin vous soumettre de multiplier presque à lihfini votre force par toutes celles qui seront d'harmonie avec elle. — n'est Il pas question de devoir en cela. Les bases de la société seraient plus fermes, si l'on passionné; pour Thomme ne s'occupait pour pas de devoir. Loi civile, c'est contrainte Ihomme raisonnable, c'est condition de liberté ce n'est devoir pour personne. Nous ne faisons ; appel qu'au droit individuel en son achèvement, : il est le droit d'être libre, c'est-à-dire d'agir selon la raison. Passons au droit de aussi, absolu l'État ^ Il faut le faire absolu, lui mais non forcément monarchique. au contraire, au nom du principe doit préférer im même C'est, d'autorité qu'on gouvernement oligarchique à la mo- narchie pure, parce que l'État aura plus de chances d'avoir toujours à sa tête un corps d'hommes gents, vigoureux, sans minorité, sans vieillesse préférer encore le — Mais on doit le souverain, c{uel cpi'il soit, tant qu'il faut admettre ceci garde plus absurde. On ne peut droit civil, ni droit religieux : le même a le droit d'ordonner ce qui lui plait, le il gouvernement démocratique, seul gouvernement absolu 2. trouvera ; intelli- : pouvoir, ce qu'on lui opposer ni qu'il puisse, en tant que souverain, commettre une injustice, ou un péché, cela n'a pas de sens. Son droit n'est pas en question, mais son pouvoir ou son intérêt. Peut-il faire tout ce qui lui plaît sans risquer 1. 2. de perdre Tr. Th.-Foh, ch. xvi(fin). Tr. Pol., VIII, 3, fin. — Tr. les sources PoL, «h. iii-v. de son pouvoir? TRAITKS THEOLOGIE ET 1)K I)K iM l'OLITIQlT.. Dire que j"ai le droit de faire de cette table tout « ce que je veux, ce n'est pas dire que même cours ivre et nu, avec des filles, qui est la source de sujets, faut tenir De et si je sur la place publi- que, je ne peux pas prétendre garder mes — » monarchie je suis souverain d'une « si droit j'ai le de faire qu'elle se mette à brouter Tberbe. mon compte des conditions de le respect de pouvoir ». Il ^ humaine. la nature Je n'abuserai pas de la force, car la violence appelle la violence; j'enchaînerai plutôt mes sujets par la recon- naissance, par la crainte, par l'espérance ou quelque autre passion. Et comme il s'en trouvera qui résisteront à ces passions, j'aurai grand intérêt à ce qu'il se répande des théories complaisantes, étabHssant.je suppose, mon : parla, j'enchaînerai les intelligences elles- mêmes. Mais je ne puis faire que quelques-unes de ces droit divin ^ intelligences n'arrivent à se libérer. Viendra certains de mais les prement mon mes sujets n'accepteront plus un jour où leurs idées, formeront eux-mêmes, c'est-à-dire seront prolibres. Je n'aurai plus qu'un moyen de garder pouvoir sur eux, gouverner selon la raison. C'est ainsi qu'agir selon la raison devient cessité pour l'État comme pour peu à peu une né- l'individu, non pas en vertu d'une obligation morale, mais parce que pour l'un et pour conservation. A l'autre, la condition la limite, le droit même suprême de de leur l'individu et le droit absolu de l'État se trouvent d'accord. 1. 2. Tr.Pol., IV, i. rr. Th.-Pol.. p. 38G-387. c'est, BEXOIT DE SPINOZA. 138 II Telle est la théorie pure. Mais pour bien des esprits, il est une question qui, en obscurcira l'évidence, la ques- tion des rapports de la religion et de l'Etat. Nulle part il n'a été accumulé plus de fausses interprétations his- toricpies, plus On a de sophismes. lu d'abord la Bible sans critique et rien n'a été si funeste. Au xvii^ siècle, le gouvernement des Hébreux plus actuel de tous, celui est le cj^ue tout le monde a en vue, que plusieurs ont cru restaurer. Après les Gueux du Taciturne, après les soldats Puritains d'Angleterre peuple élu de de Gustave- Adolphe, se sont crus, de Dieu, et se sont nourris, bonne foi, les le à leur tour, de la lecture meurtrière de l'Ancien Testament. Et c'est le même fanatisme cjue le clerg-é orangiste cherche à ra- nimer en Hollande. cjua été, chez Il importe donc de dire au juste ce les Juifs, la théocratie, les conditions elle s'est établie, les où causes de sa ruine ^ D'après les idées des Juifs, le peuple juif avait conclu avec Dieu un pacte de Dieu, : révélées il s'engageait à n'obéir qu'aux lois formellement aux prophètes, confirmées par des signes. Il de Dieu, ses ennemis étaient les ennemis de Dieu, droits de l'État des était de la piété, générale le droit 1. commandements de l'injustice civil se Tr. Th.-l'ol.. (h. x\ii et wiii. et devenait ainsi le royaume les Dieu, la justice de l'impiété, d'une façon confondait avec la religion. TRAITKS — En fait, l)K ce ])acto 130 TIIKOLOGIE KT DK POLITIOL'E. une sorte de démocratie, ôtaljlissciit où chacun obéissait également, non à un homme, mais à Dieu, sans médiateur, où chacun avait le droit de consulter Dieu, ce qui ne diffère pas essentiellement de consulter sa raison. — Une seule fois, on admettait qu'un médiateur eût été désigné par consentement le général, Moïse, qui consultait Dieu, seul, dans sa tente; il avait transmis successeur. une loi explicite et n'avait pas eu de — A l'époque historique, nous trouvons une confédération de tribus, ayant en commun temple'. le Les chefs de tribu ont un pouvoir a])solu, sauf cas le où un prophète a reçu de Dieu une mission spéciale mais si le prophète n'a pas de signes, est il ; condamné à mort. Nous ne voyons pas qu'un tribunal pût juger les chefs s'ils violaient la Loi. Ainsi les décrets formels de Dieu ordonnaient d'exterminer Siméon les violèrent : Juda et en recevant des soumissions; cette infraction fut blAmée, ait ennemis les mais nous ne voyons pas qu'on appelé en jugement les deux tribus coupables. La force de cette constitution était dans l'absence de noblesse; dans l'armée sans mercenaires; dans la séparation de ceux qui interprétaient la loi et de ceux qui l'exécutaient : le chef évitant toute situation nouvelle pour n'avoir pas à consulter sance sans examen à la 1. loi ; le pontife; dans dans l'obéis- la dévotion pour le sol Le souverain pontife, qui y réside, n'a pas de pouvoir exécutif. terprète la Loi, comme il reçoit les réponses nouvelles de Dieu Moïse, interroger Dieu quand militaire. il veut; il -, faut la mais il 11 ne peut demande d'un inj'as, cliel" BENOIT DE SPINOZA. 140 de la patrie fane, : foiife immonde autre terre était on condamnait à mort, mais on dans Tamour pour le n'exilait et jamais; compatriote et surtout dans la haine débordante de l'étranger, amour religion nourrissait inépuisablement. cipe de dissolution, ce n'était pas, et haine que la — Quant au prin- comme on prétend, le caractère particulièrement séditieux de la race nature ne fait pas des nations, n'y a pas de races, Nous le il pro- elle fait n'y a que des la : des individus; mœurs et des lois il *. trouvons dans un texte curieux d'Ézéchiel. Le prophète affirme que mauvaises lois, les lois terribles de Dieu sont de imposées par Dieu pour se venger Juif était accablé par l'idée d'un 2. Le péché originel, non seulement de chaque individu en Adam, mais de la nation qui, hormis les Lévites, avait tout entière adoré le veau d'or. Les lois étaient des châtmients. Les privi- lèges des Lévites, la nécessité de racheter les premiersnés, l'impôt par tête étaient pour rappeler au peuple son impureté primitive et sa réprobation. D'où la haine contre les Lévites, les tentatives pour substituer des cultes nouveaux à ce culte qui, bien que divin, était ignominieux à la nation, l'appui demandé parles rois aux faux prophètes, les dissensions qui lachute des deux royaumes. 1. P. 302. 1. « amenèrent enfin — Quant au second enqoire, Je leur ai donné de mauvaises institutions et des lois qui ne laissent à la nation aucune chance de durée; je les sents, lorsqu'ils offraient je voulais consommer (Ézéch., XX, 25). ai souillés de leurs propres pré pour leurs péchés leurs premiers-nés, parce que leur ruine et leur apprendre que je suis Jéhova » TRAITKS DE TirKOLOdli: KT l'OLITIOlF. I)K 1 VI son histoire se réduit à celle de lusurpatioii du pouvoiipolitique par les pontifes. De des Hébreux, la première conclusion à l'histoire tirer est qu'il est impossible de rétablir la théocratie, puisqu'elle suppose un pacte formel avec Dieu, Dieu a déclaré ne qu'il La seconde nation^. ferait plus alliance est le danger que et que avec aucune fait courir à la religion le pouvoir politique des pontifes, qui, portés à faire sans cesse de nouveaux décrets, multiplieront par là les sectes; le tes, danger pour TÉtat des excès des prophè- ou plutôt des gens qui, sans avoir reçu mission expresse de Dieu, s'arrogent de trancher du juste et de l'injuste le ; danger enfin (l'allusion perce ici) pour une démocratie de se donner un gouvernement monarchique. Ce gouvernement fera de nouvelles lois qui empê- cheront longtemps le peuple de reprendre ses droits; le meurtre d'un l'Etat sera roi ne suffira pas"; l'équilibre môme de pour longtemps troublé. On peut trouver des exemples récents de ces tentatives prétoriennes, tout près de nous, en Hollande l'on veut, du comte de arrête l'allusion au lèvres le 1. nom même, l'essai d'usurpation, si Leicester^. Le nom moment même où de celui qui de Leicester l'on a est véritaljlement La constitution des Hébreux ne convenait sur les désigné d'ailleurs qu'à ^. un peuple séparé du reste du monde. 2. Voy. dans \aiBibl. de Sp.. 198, une Histoire de la Restauradon de Charles IL 3. P. ;315. Cf. Tr. roi., ix, l'i. — Rob. Dudley prétendit exercer voir absolu, de 1586 à 1588. Voy. Grotius, i. Voy. une allusion plus directe, p. Anual. Bebjic, V, 278-279. |>. le pou- 9i, fin. BENOIT DE SPINOZA. 142 III Les fausses raisons tirées de THistoire sainte écartées, il de déduire rationnellement les droits de est aisé Spinoza reprend en matière religieuse. gramme (le le ici républicain, tracé déjà par Grotius ^ l'État : pro- liberté la foi, soumission des actes extérieurs. La soumission des actes doit être complète 2. On dira la liberté d'agir de la liberté on ne peut pas séparer : de croire. Supprimez-les ensemble, ou bien admettez-les toutes deux, et dans ce cas, admettez les actes qui dé- coulent de la foi, les lois de l'État. même si ces actes sont défendus par — Cette opinion sophismes. Voici le premier : repose sur plusieurs on s'imagine que la reli- gion peut acquérir force de droit autrement que par le décret de elle-même. violer une ne l'État. Elle Il ne loi, suffit que je le faire ma la juge contraire à la raison, ni 1. faut que je fasse par- soit la loi. mon En attendant, je dois lui obéir, sentiment; sinon je suis considéré à De Imperio summanivi poiesladtm circa sacra, de Sp., 2. Il conviction au législateur, et que j'arrive à changer quel que la raison pas, pour que j'aie le droit de contraire à la foi religieuse. tager peut pas plus que p. 183). Ch. XIX. lCi7 (dans la Bibl. TRAiTKS 1)011 i)K thkol()(;ih: droit coiniuc factieux. kt dk iM)i.nioi — Mais, lui-môme qui donne force de k. vu dit-on, c'est Dieu commande- droit à ses hommes. ments; sa volonté doit être préférée à celle des — 1 Sans doute, mais, d'après l'Écriture, les prophètes seuls peuvent passer outre les lois humaines, parce dans qu'ils savent, circonstance particulière, la telle volonté formelle de Dieu. La savez-vous? Votre mission a-t-elle été confirmée par des signes? Avez-vous le pouvoir de faire des miracles? Sinon, vous êtes en présence de quelque chose de très obscur, les intérêts de hommes. Dieu, et de quelque chose de clair, l'intérêt des commune aux qui est dans l'obéissance Vous ne pouvez pas pécher, en assurant hommes. « Si à celui qui s'efforce de neste à ; mais la société, l'appeler en plus tenace. On porel le pouvoir dit ». ^. » a appelé simplement politiques entre serait pieux, il jugement , et un c'est est fu- au contraire, de — Voici enfin « bien des reconnu que cela était s'il le l'État. marracher ma mon manteau, tunique, j'abandonne encore acte de piété de lois spirituels » le sophisme le des pouvoirs on a imaginé une opposition « spirituel » et le pouvoir « tem- Cette distinction n'existe pas. Administrer les choses du culte, choisir les ministres, retrancher c|uel- qu'un de la communauté des fidèles, pourvoir aux besoins des pauvres, ce sont des attributions politiques. En certains États, elles sont réservées au d'autres, elles sont partagées 1. P. 320. monarque ; en par un Concordat entre BENOIT DK SPINOZA. 14i souverain et la papauté. Mais le un Concordat n'est tel pas conclu entre deux pouvoirs de nature différente. La papauté de en cela, qu'un pouvoir politique, n'est, nous voyons que, par une fait, — mesures, par rois d'être prêtres et les de prudentes suite célibat ecclésiastique, le et, empêchant de s'emparer du pouvoir du clergé; par sa théologie compliquée, confondue avec la philosophie et les sciences pour être inaccessible à que d'autres de s'établir les âmes. A — l'Église a eu les clercs, comme pouvoir politique que de convertir ce pouvoir aux autres, tant des mots que de autant de soin nous donnons obéissance qu'il se maintient, le faire mais c'est comme abuser d'essence supérieure, de con- fondre l'autorité en matière politique avec l'autorité en matière de mais le foi. La souveraineté souverain est, est parfois partagée, en tant que souverain, maître absolu en matière religieuse pour tout ce qui n'est pas la foi intérieure. Quant à peut la foi intérieure, la contraindre 1. Les aucun pouvoir politique ne mêmes gens qui réclament aujourd'hui la liberté d'agir contre l'État, ont réclamé autrefois, par un abus contraire, l'appui de violenter les consciences. Ils l'ont tenté , il l'État pour y a cinquante ans, quand, au synode de Dordrecht, les théologiens ont pensé imposer des croyances. Les bons citoyens se 1. Cl). \.v. TRAITKS DE TUÉOLOGIK FT DE POLITIQUE. 145 comme Grotius, sont soumis, jusqu'à la prison et à comme jusqu'à la mort neveldt, mais cœur grand pensionnaire Bar- le pu ne pas n'ont pas ils croyaient ce qu'ils l'exil croire en leur L'àme véritablement. irréductible. Si de pareils jours revenaient, terait, avec auraient des cessité joie, le lois même est on accep- martyre i. Quelle stabilité qui mettraient l'État dans la dure né- de ne pouvoir tolérer d'hommes libres dans son sein, des lois qui ne sauraient être violées que par ceux qui ont l'amour du bien et de la raison? A la liberté de la foi religieuse, la liberté de la phi- losophie est liée. Elles parce qu'elles sont des sont l'une et l'autre des droits, faits. Il forme en moi une se croyance sur la façon dont je dois vivre un jugement sur les choses et il forme se que je vois; je consentirais à l'abdication la plus complète de ce cju'on appelle volonté que ce serait encore ainsi. L'État m'empêcher d'exprimer térêt de l'État n'est ce liberté de taine loi tous. « Si répugne à doit être, pour un citoyen démontre qu'une s'il d'établir et d'abolir les lois, temps, il l'État le n'agit en rien contre meilleur citoyen-'. » 1. P. 335. passage traduit par Renan, 2. P. 330-331. BEiNOIT DE Sl'INOZA. hommes l'État, c'est la la saine raison, et qu'il ce motif, abrogée, Xouv. soumet son seul et si, l'État a et. cer- pense qu'elle il senti- appar- pendant ce la loi. celui-là est Car à certes, l'in- pas de transformer les ment du jugement du souverain, auquel tient a-t-il intérêt jugement? Non raisonnables en automates; l'intérêt de ma dans besoin des d'kist. relig., p. 513. 10 BENOIT DE SPINOZA. Ii6 lumières des citoyens autant que do leur soumission. Qu'on laisse dire à chacun ce qu'il croit devoir dire! Les abus seront peu dangereux, les avantages immenses , car les opinions passiomiées se remplacent, l'idée rai- sonnable demeure. Mais on a essayé de faire croire que l'Etat a peur de la raison. Quelle fausseté ! L'État n'a pas de plus sur appui que la raison. Et qu'on ne prétende pas que ce sont là des vues de l'esprit il : suffît de comparer aux misères, voisines encore de nous, des querelles religieuses et politiques, la prospérité de la ville d'Ams- terdam, où, tout en étant ouvertement divisés de sentiments, les citoyens de toute confession, de tout parti savent collaborera C'est sur l'éloge de la grande ville de initiatrice liberté, que se termine le Traité de Théologie et de Politique, vraie charte philosophique d'un pays où chacun conmiençait à comprendre que la liberté de pensée ne ruine ni la religion ni l'État, qu'elle peut seule, au contraire, leur mais donner un solide fondement. Mais, deux ans après, l'œuvre républicaine était in- terrompue ; on revenait au temps du synode de Dor- drecht. Tant de déceptions et tant de malheurs, Jean et 1. L'ami de Spinoza, rorde entre p. 287.) le bourgmestre Hudde, avait su établir Voéliens et Coccéiens. (Lelt. 3 de SchuUer. ap. la «on- Stein, TRAITÉS DE TIIÉOLOGIK ET DE POLITIOLE. l'iT Corneille de Witt assassinés, Pierre de la Court exilé, Hugo Boxel destitué, Spinoza lui-même désigné aux fureurs de la foulo, ne purent faire de Spinoza un vais citoyen. mau- ne crut pouvoir se retirer ni dans Top- Il position, ni dans le silence. appliqua son précepte Il qu'on doit aider de sa ])onne volonté et de son intelli- gence même un gouvernement n'était pas de ceux qui jugent des formes politiques qui vous déplaît. par sympathie ou répugnance i. Dans examine impartialement litique, il nouvel état de les avanta- même point de perfection Traité de Théologie. La théorie du droit na- le turel de Po- tirer. Cet opuscule n'est pas au que le humeur, choses, et cherche, sans mauvaise ges qu'on en peut le Traite Il et du manière droit de l'État s'y retrouve 2, en d'introduction , non pas développée , mais , c'était le danger pour Spinoza, exténuée, trop mise en forme, trop déduite. Le commence. « numérotage L'argumentation » est, des démonstrations à la vérité, plus souple que dans Y Éthique, mais, sans être réduite à un simple squelette, elle est poussée du point où elle serait vivante. un peu au D'autre part, encore des scories que la seconde main aurait il delà reste fait dis- paraître, des antithèses à la Sénèque, des pensées justes laissées sous veillante , forme paradoxale, une interprétation bien- mais hâtive, de Machiavel^. 1. Tr. Pol., ch. 2. Ch. II-V. 3. V, 7. I. BEXOIT DE SPINOZA. 148 Venons à Quel la partie est l'état neuve du Traité. des P^o^dnces-Unies , en 1677? La mo- narchie n'a pas été établie. Guillaume d'Orange n'a été nommé ni duc de Gueldre ni comte de Hollande , ; il est simplement stathouder héréditaire, capitaine général et amiral de cinq provinces. Mais quelles seront les ten- dances du nouveau régime ? Inclinera-t-il de plus en plus vers la monarchie reviendra-t-il graduellement à l'an, cienne oligarchie, ou bien ira-t-il par des voies nouvelles, que l'ancien régime a préparées, vers la démocratie? Considérons ces trois hypothèses. Monarchie, Pérezius la montré monarchie constitutionnelle pour la volonté éternelle particulière^. Il du , la roi. ne peut signifier que ', constitution passant supérieure à sa volonté ne saurait être question dune monar- chie à la française, simple oligarchie déguisée, car le roi ne peut suffire à la peine, et les vrais ce sont, aujt)urd'hui ses ministres tresses ou ses favoris points divin , : le roi 3. — Il demain ses maî- faut s'entendre sur quelques ne verra pas dans son hérédité un droit mais uniquement un certain caractère d'éternité donné à son élection*; il ne s'autorisera pas de ce qu'il a été élu à cause de la guerre pour nement prétorien où l'armée seule 1. , gouvernants Ant., Pérez. Jus Amst., 1657, 2. VII, 3. VI, 5. 4. VII, 25. 1. cité publicum qiio arcona par Spinoza, Vlli, li. établir un gouver- serait libre et tout le et Jura principis exponuntur. TRAITKS reste esclave'; secret d'État 2; ces conditions , THKOLOGIE ET 1)K il il le POLITIQUE. I)K 1 Vî) irallég-ucra pas, à tout propos, le A n'épousera pas une étrangère 3. régime monarchique peut avantages, en ce qu'il est le offrir des plus propre à amener l'égalité''. Le roi devra abolir derniers privilèges les de la noblesse terrienne, les franchises municipales, créer une armée exclusivement nationale sans solde , ciée pendant la paix, faire Thomas Morus , certain communisme en se fondant sur le ; loyer"^. pourra il agraire, genre principe que le sol immeubles sont censés appartenir au et tous les prend l'impôt comme licen- une répartition nouvelle des citoyens, plus fragmentaire, plus égalitaire'' même introduire un , roi, qui La religion ne devra pas être un principe de division et toute subvention donnée aux cultes sera abolie". Les États de province seront supprimés. Les États généraux deviendront, sous le nom de puissante Conseil du roi, une assemblée suprême, touteelle : exercera en corps le pouvoir législatif, par commissions, l'exécutif et, choisira, sur des 1. et le judiciaire. membres du Le roi Conseil et il VII, 22. 2. VII, 29. 3. Huit mois après épousa la fille VII, 18-20. 5. Au « la publication du duc d'York 4. par listes, les du Traite de Politique, Guillaume (15 nov. 1G771. lieu de la division par provinces, familles ». Spinoza demande une division : chacun de ces group milice et quatre ou cinq députés au Conseil VI, t2; 7. V, 40. III 36; VII, 24. Ce sont des groupes bien plus importants que ce qu'on entend en général par familles 6. —VI, —VII, 8. du roi. s doit fournir une BENOIT DE SPINOZA, 150 pourra ajouter un appoint à la minorité Il , rien de plus. sera une sorte de président privilégié. Le Conseil aura la tutelle des enfants du roi et le droit C'est en cette assemblée suprême, et de rég-ence. non en la per- sonne du monarque, qu'est Fessence du gouvernement unitaire. — Une dans l'histoire monarchie n"a guère d'analogue telle Spinoza : cite pourtant, non pas la monar- chie anglaise, mais l'ancienne constitution du royaume d'Aragon^, avec son Conseil suprême des Dix-Sept. Par opposition à la monarchie, que sera la forme pure de tiel : l'aristocratie^? Faisons varier l'élément essen- l'Assemblée suprême ne sera pas élue par un monarque, mais se renouvellera par cooptation ne sera pas unique. Le second point tralisation, Comme c'est dans ordonné à à la vraie est capital gouvernement unitaire tout le lil3erté, décen- gouvernement aristocratique. tout le l'égalité, : elle ; était sub- dans celui-ci tout est subordonné c'est-à-dire à la raison 3. Mais, pour rpi'en toute question l'opinion la plus raisonnable puisse se faire jour, il faut de nombreuses assemblées, com- membres nombreux. Aucun gouvern'est simple, ni à bon marché*. Au gou- posées chacune de nement libércJ vernement unitaire on ne demande que des décisions 1. vu, '2. Ch. Vlll, IX et X. 31. 3. VIII, i. Tilre; VIII, 31. — — VIII, 7. En 1672, élevés en Hollande qu'en tesquieu : « les impôts et la dette publique étaient plus aucun pays d'Europe. C'est le principe de Mon- Règle générale, on peut lever des impôts plus forts à pro- portion de la liberté des sujets. » TRAÎTÉS DE THÉOLOGnî ET DK POLIÏIQUK. promptes, rection ol>éics de tous; le frein est le droit Au gouvernement i. libéral, — ne 11 à l'insur- on demande la dé- cision la plus sage, la plus élaborée. aucune révolution-. 151 Il s'agirait ne doit craindre donc pas de res- taurer purement et simplement l'ancien régime mauvais, puisqu'il est on prétend, parce bérer, mais parce Il tombé. est Il il était tombé non comme , , trop de temps à déli- (pi'il ])assait (pi'il ; avait trop peu de gouvernants'^. faudrait éliminer les tendances monarchiques qui le pervertissaient, renoncer à une capitale, laisser les villes à peu près autonomes''', partager la fonction de grand pensionnaire entre un collège de syndics-'. Le pouvoir serait aussi divisé qu'il se pourrait nombreux de patriciens, ; il y aurait un corps presque uniquement occupé à g-ouverner le reste du pays. On lâchement possible dans pouvoir central admettre une armée rait le laisserait le plus stipendiée'^', une ; de re- on pour- église domi- nante', la liberté de l'enseignement^. A ces deux types de gouvernement, la démocratie de- vrait être préférée, car elle en réunit les avantages Elle seule assure à la fois et concilie l'égalité et la 1. IV, 6; 2. Ch. X. 3. IX, 14, Ch. IX. 5. VIII, 20. 6. VIII, 9. fin. — En 1(572, il y avait dans l'armée levée par Jean de NVilt des Suisses, des Allemands, des Danois, des Suédois. VIII, 46. 8. VIII, 49. 9. li- — VII, 30. 4. 7. '. Ch. XI. BENOIT DE SPINOZA. 152 berté. Elle participe de la monarchie en ce que tous citoyens sont égaux étend le principe de Faristo- cratie. elle ; en ce qu'ils sont tous gouvernants. confiance dans le peuple K démocratie est tout le : vaient se mettre à les juger mour le « Traité Que vaut ce Traité? de Spinoza pour monde comme Il est alourdi La et -. hommes pou- se jugent entre ils » est l'a- interrompu. de démonstrations, son grand défaut est défiance, et vraiment l'horreur les idées générales l'ont ici n'a rien Il l'être , si les de Politicpie de répétitions, de naïvetés, d'être trop précis. trompé. électeur, tout le rapport de rintelligence, et non de le 3... Ici Le principe propre de la monde femmes même pourraient eux, sous faut avoir conditions déterminées par la loi éKgiljle, clans les Les Il les pu un peu laisser à l'état de principe : le «venu». Mais reporté à répocjue où Bos- détail est trop suet ne faisait encore, dans sa Politique % qu'un centon de textes, c'est un morceau précieux de politicjue appli- quée, science délicate où doivent se doser avec justesse l'empirique, le rationnel et le praticj[ue. de trouver des institution politiques est où lois, Il ne s'agit pour déterminer qu'en soi telle bonne ou mauvaise, mais des cette institution entre pas ti/pes ou n'entre pas natu- rellement. De ces types, lequel préférer? Spinoza a mis en lumière 1. la maxime qui doit guider le choix. Il a dé- VII, 72. 2. XI, 1-2. 3. XI, /i. Politique tirée des propres paroles de l'hcriture Sainlr, 1G79. 4. TRAITÉS DE THÉOLOGIE ET DE POLITIQUE. fini une attitude politique vrainiont peut l'appeler dun nom apparence, « formule le pliiiosopliiquo. 153 On qui n'est contradictoire qu'en libéralisme autoritaire »; elle a pour ce n'est qu'en donnant un pouvoir sans limite à la raison, qu'on peut fonder la liberté. : CHAPITRE VU L'ÉTHIQUE INTRODUCTIOA VÉthique de Spinoza résunio tous vrages, les achève, les dépasse, et, ses autres ou- en une certaine me- sure aussi, les compromet. C'est un livre justement populaire, bien qu'on Tait souvent admiré C'est pour ses défauts. une œuvre philosophique de premier ordre, qui en grande partie manquée. est Elle n'a pas été écrite pour les pour le puljlic, mais on peut dire gens du métier, pouf un petit cercle de doctes Ce cercle, nous pouvons, en partie, saisissons l'existence, vers 1670 le reconstituer. ou 1680, entre la '. Nous Hol- lande, l'Angleterre et la France, d'une sorte de franc- maçonnerie philosophique lettres mômes de pour y entrer, le secret nication des doctrines. 1 . c< Quand on : nous devinons, par qu'on gardait dans la A commu- Londres, Boyle, Oldenburg", s'attache à enchaîner ses raisonnements et à disposer ses définitions dans l'ordre le plus convenable à la liaison des idées, plus que pour les Spinoza, les démarches qu'on faisait les doctes, àla masse de l'humanité. pour un nombre d'individus » on n'écrit très petit par rapport {Tr. Th. pol., éd.Saiss., p. 138.) BENOIT DE SPINOZA. 156 Collins à Paris membres de d'autres et Huygeiis , Leibnitz , de l'Académie des sciences '; Société Royale la quelques et ; membres en Hollande, un ou deux professeurs, Graevius et Velthuysen, le bourgmestre Hudde. Pierre de la Court, de Spinoza liers : deux autres amis singu- médecin allemand Schuller le Jarigh Jelles, d'autres Allemands et Bresser, Kraft, Bec- : cher, le savant libraire Rieuwerts. le danois Mohr, qui un manuscrit de possédait — nous voyons Descartes, ces personnes, les unes par les autres, en relation entre en relation avec Spinoza. En 1675, Schuller elles, et un jeune homme allemand introduisit dans la société comte de Tschirnhausen^, épris de philosophie, le obtint pour lui communication de YEthique qui peu près achevée. Ce jeune homme passa de alors à à Londres et à Paris; là deur qui dun disciple. Il fît il y célébra Spinoza avec pourrait la part de YEthique à Oldenburg, Leilniitz, communiquer « les sciences et les questions et demanda à cet homme de morale à Spinoza très versé : « s'il dé- Spinoza Je crois connaître ce Lijbnitz par des lettres. était conseiller à Francfort; je est Paris. Je »; il dans et tout à fait gagé des préjugés vulgaires des théologiens^ répondit l'ar- d'en distribuer quelques exemplaires^; offrit en parla aussi à Il et était ne ne tiens pas à ce qu'on sais lui pas pourquoi communique mes 1. Fondée en 2. Ehrenfried Wallher von Tsrliiriihausen, seigneur de KissingswalJe KKîG. Slolzenberg. 3. LeU. 62.— V. VI, II, p. 389. —V. VI, II, p. 407. 4. Lell. 70. il et LÉTHIQLE. écrits '. » Lcibiiitz, 1Ô7 toutefois, vit l'Étliiquc, 1 aniiôc sui- vante, entre les mains de Spinoza lui-même, puis, après, quelle (lès fut éditée il . reeut de un an SchuUer un exemplaire tout neuf'. VEl/iique fut composée entre (1670)^ fjie dans morale qui phie. serait En 1665. que ou Spinoza avait conçu une l'aboutissant de toute la philoso- songe déjà à réformer sa petite Éthi- il Court Traité « de l'héolo- Traité de Politique (1C77). Dès lOOl. et le De Emendatione, le le Traité en », dement une métaphysique lui donnant pour fon- une physique et ^. En 1670. ajoute à son plan une politique 5. L'ouvrage fut écrit il pendant les En cinq années troublées qui suivirent. juillet 1675, il était prêt pour l'impression. Spinoza avait retranché de l'exposé de sa doctrine la politique, physique la 1. et la se réservait il ; de les traiter V. Leibnilz, Gesprùch mit Tscliirnliaus ùbcr Sp. Elhih (ap. Stein, Leib.u. Sp.,i). 282 2. logique . — Lettre 70 et 72. Lettres de SchuUer, 31 déc. 1677 '25 janv. 1078) ap. Stein., p. 290 et 291). 3. Elle contient une allusion au pourquoi quiconque cherche « Traité de Théologie les véritables », I .\pp. aussitôt pour hérétique et pour impie et proclamé tel par les le vulgaire adore i. comme les interprètes Lett. 27 à Blyenberg (3 juin — Quant à la démonstration dont (1661^, c'est celle qui est .">. « Quelle est notre tin? la règle Comment il donnée dans de Dieu. quae, ut cuivis nolum, se rapporte à la petite Éthique. Appendice de conduite qui nous l'État y trouve-t-il hommes que — L'allu.sion de la Lett. 23 '18 mars est question 1 C'est « » Elhices... l(;(j5) Metaphysica et P/tysica fundari débet. 665) in mea Ethica {necdum édita), : causes des miracles... est tenu est dans les Lettres t à i I. imposée pour atteindre son plus sur fondement.^ Ce sont là des questions qui embrassent l'AY/uf/îte tout entière. »{Tr. Th. pol. ,ch. IV, Saiss.. p. 118). — Lisez toute la page qui précède. BENOIT DE SPINOZA. 158 séparément La métaphysique seule i. était conservée. Nous savons, par l'entretien de Leibnitz avec Tschirnhausen^, que la rédaction de 1675 pour était différente, Tordre, de celle que nous avons. Elle comprenait d'a- bord deux parties métaphysiques — puis De l'Ame ; le d'homme — Médecine de ïâme. L'auteur porta le livre qui, atliée, que les théologiens si der l'édition 3. nom Il » ; le libraire non s'émurent mêmc^ : car » ils : un livre poussèrent se décida à retar- anonyme, pour que son est il : bien secondés par si que Spinoza la voulait faire plus, la Rieuwerts; coup sur un était à ne nuisit pas à son ouvrage, pour servit pas De parfait enfin le détail hauts cris et furent stupides cartésiens « III. suait sous la presse venant de Spinoza, d'avance de de (( : II. Médecine du corps. V. manuscrit chez mais à peine apprit-on que — De Dieu. principe de la morale Béatitude, ou de lidée IV. \. : ne qu'il lui dans V Ethique écrit celui qui veut le salut de ses semblables pro- pose sa doctrine, mais n'y attache pas son nom. Pendant sa mort, 1. les ^ingt il Il V. Lettres 59 et GO (janvier 1675). É(/i.,U. 40, VII, se.; IV, 37, se. 2. pour conduire « mois qui s'écoulèrent de remania son manuscrit. — la raison Tschirnliausen dans la demande là jusqu'à en élagua cer- se. 1. — Cf. à Spinoza sa II, « découverte des vérités inconnues Lemme Méthode », et ses Principes généraux de Physique». Spinoza répond que cesdeux écrits ne sont pas encore 2. « Gesprûch... conscripta in ordine ». (Letl. etc., ap. (Stein p. 282). Oldenburg [août 3. Lett. 68, à 4. IV. App. ch. 25. 1675). 59 et 60.) l'ktiiiolk. ir>9 taines considérations sur la transmigTation des àmcsi, sur du le rôle prement à la Mais le coup de g-énie fut de ^. séparer du second livre, dont suite naturelle, le livre à la fin il semljle pourtant de la Béatitude, de le la mettre de l'ouvrage, de l'opposer aux deux livres sur les Passions et De qui se rapportait pro- Clirist -, et tout ce médecine de donner à chacun son vrai Vhomme. la Servitude de — V. Avant d'examiner chacun des De nom : IV. la Liberté. que penser de livres, composition d'ensemble de l'ouvrage? Tout n'est pas la envahi par la forme géométrique. Près d'une moitié — une centaine de pages sur deux cent trente — est occupée par des préfaces, des appendices et surtout de long"S scolies ; cette partie est en style simplement phi- losophique. Un « fait même annotations 1. », est frappant. bien que dispersées, l'Appendice de la Gesprûcli... etc., ]). '!S:!. cité par Leibnitz. Réf. inéd. 2. Gespràch... 3. V. Etii. V. Préf. Médecine ou la Quelques-unes de ces Cf. Wachter {De recondita Hebr. V. pourtant iY/^ IV, 48, p. 283. : — de Sp., éd. F. de Careil « Logique. (t86'2), p. se. vers pli.) 211-212. la (in. Cela n'est pas dans notre sujet, et rentre dans » — Ce serait une question d'examiner que pourrait avoir Spinoza dans le livre de Tschirniiausen, Medicina mentis, sive ais inveniendi prxcepta generalia, Anist,. 1G89 1695 avec, en plus, Medicina corporis). bliothèque de l'Académie de Leyde. l;i la part Un exemplaire (2 éd. Leips., s'en trouve à la bi- BENOIT DE SPINOZA. 160 1" partie, la Préface de la 1Y^ deux ou trois scolies semblent se suivre entre Tune à Et à les lire l'autre-. on y découvre de elles, et, renvoient de de suite attentivement, morceaux d'une les fait, ', sorte de logique, logique concrète, ayant pour but de chercher Forigine mentale des erreurs, et telle que Spinoza l'annonçait dans le De E7nendatione^, la promet dans Y Éthique même En mettant bout ^. vraiment rait pher la préparation de l'Ethique, en premier est, à bout ces morceaux, on au- usage de ces deux que des mots l'Homme passeront pour une fois c'est tels le véritable que l'Être quelque chose signifier une imagination plus funeste que est se disputera outils à forger des idoles, l'abstrac- tion et le langage, tant il — On que chacun n'aura pas éprouvé tant fin, philoso- désapprendre. lieu, Voici quelle en serait la substance. sans si ^. ou Mais les autres, qui, entrée dans l'esprit, le corrompt tout entier : de supposer, de façon avouée ou intime, que nous sommes causes finales dans la nature. On bien comment se développe cette illusion voit assez ignorance : primitive des lois naturelles, habitude utile de consi(2« partie); 1. II, 40, se. 2. La Préf. de la partie la Pr. IV, 37 3. De 1 II, 47, se. (2* partie); III, 29, se.; IV, 37, se. IV renvoie à renvoie à l'App. et au Ein., trad. Saiss.. p. 289 de procéder avec ordre dans la : « se. l'App. de la Partie I. — Le se. de III, 29. Quant aux raisons qui nous empêchent recherche de la nature, ce sont d'abord les préjugés dont nous examinerons les causes plus lard dans notre Philosopiiie.» i. que Etii., les « U, 40, se. notions 1, où à propos communes », de l'origine de toutes les autres notions Spinoza dit Traité cet ordre de considérations. » 5. II, 40, et 47, se. : « J'ai destiné à un autre Kil LITlIiyLE. ce (Icrer nous (j[ui moyens, hypothèse ces entoure comme un liardic d'un système de Dieu qui aurait (Hsposé moyens en vue de notre commodité quand puis, ; se présentent des choses nuisibles, pour sauver l'hypothèse à tout prix, supposition désespérée dune colère divine, prières, conjurations et, en dernier recours, mystère. Le tout est d'une évidente absurdité. supposer que Dieu poursuive une une chose dont il est est puéril Il désire fin, c'est-à-dii'c privée Le mal n'a pas J)esoin un pur d'être expliqué, parce qu'il n'existe pas. C'est jeu de métaphysique de mettre d'abord dans de les choses beauté ou laideur, ordre ou confusion, perfection ou imperfection, bien ou mal, puis de ne savoir plus com- ment les expliquer. Hugo Boxel choses aient en soi leur beauté. rable, la plus belle effroyable, seront si si veut, de force, que les <( Mais, homme admi- main du monde vous semblerait vous la voyiez au microscope ^1 charmés par musique, la qu'ils cevoir l'harmonie des sphères célestes » D'autres voudront per- ^1 D'une façon générale, les mots de perfection ou de bien n'ont de sens que pour l'homme lection sont la rite et même péché, justice dans la nature, réalité et per- chose^. Quant aux termes de mé- : et injustice, ils pliquer qu'à l'homme en société 1. Spinoza discute digence » et de « fin V-VI, •1. Lett. 53, 3. I, 4. IV, Préf. 5. IV, p. 37, se. la di.slinclion d'assimilation II, p. 370. — scolaslique de » (I. ne peuvent s'ap- ^. « fin poursuivie par in- App.). Cf. Lelt. 32 à 01denburg{I6G5). App. BENOIT DE SPINOZA. 11 BENOIT DE SPINOZA. 162 même nous trouvons la scolies, que toujours en vue les autres façon. Spinoza y a pres- ou les opinions vulgaires, parmi sont répandues Dans est alerte et ironique. La discussion les philosophes. celles qui en donne une Il expression brève et les rejette, tantôt avec une pointe d'impatience 1 tantôt d'un air de hauteur-. , On non sent pas le métaphysicien systématique qu'on a voulu voir, ni, comme on a grand par paradoxe, un compilateur^, mais un dit a pris, par l'habitude de liseur, qui des développements goût pour la sobriété le , lire, le du excessive, de la pensée et style. Il dédain même , condense en quel- ques lignes pressées la matière de livres entiers; résume propres écrits. ses De Emendatione , lettre à Meyer", ciens 1. Que « les faiseurs la vie ; il utilise ses an des bètes... s'ils le veulent, des choses détestent à leur gré, que les mélancoli- », IV, 3i. se. siège de l'âme prêtent à rire ou font pitié », 35, se. M. Freudenthal. 4. Une 5. IV, 37, se. 6. I, seule fois de Théologie 8. 9. se contente d'y renvoyer, I, l«,», se. — Voy. aussi I, Co(jit(ila 17, se. yeux de l'âme (( dans I, App., Saiss.. p. ^2, ». sur — Le le « Chien constellation céleste mol du Tr. Th. pol. sur poule démon les « Tr. Th. pol., Saiss., p. 247. l'uh., V. Je viens d'entendre crier à un la une allusion au «Traité ». Le mot des 114; tlh., tions, il 15, se. 7. II, 17, se. « de satires se moquent, les théologiens les 3. II, '' vulgaires au besoin-', prises Il Ceux qui parlent du « à Balling- lettre d'observations, ques vantent II, Principes de Desca?'t€s^, Politique^, comme documents, un grand humaines, que 2. il Cogitata, ajoute, mots^. nombre Court Traité^ voisin ! » II, homme 47, se. : « Ma maison Cog., ». démonstra>;?, s'est se. envolée 163 L'ÉTJIiyLE. dans la couranto, vie description osée do si qu'on vou- et rappelle des anecdotes Il même des proverbes-'. On a cite souvent' fines drait moins sommaires. 2, il voulu voir, dans sa la jalousie*, la notation d'une expérience personnelle^^; on pourrait plus justement remarquer les faits aime à prendre qu'il ses comparaisons dans de rêves ou de somnandjulismc ''. Tout est écrit mot par mot, sans remplissage. On devine en ce philo- sophe un tempérament littéraire bien défini, qu'on serait tenté d'appeler naturaliste « » ces trois caractères essentiels faits et en faisant exprimer au mot g-oùt : du positif dans les idées affirmation que tout ; est dans les également intéressant"; ironie, ou horreur de tout sentiment de pitié ^. 1. Pourquoi on ne plaint pas Comment les enfants d'être des enfants, V, 6, se. des jeunes gens s'engagent au service militaire en pensant punir leurs parents, VI, App., 13. 2. L'amnésie singulière d'un poète espagnol, IV, 39, nèque, IV, 20, se. — Cf. Lelt. prise dans Plinele J., Lett. XVII, CL, 20 [Bihliotli 3. « mente Ce qui aaît aisément périt de même... sa science augmente ses douleurs — ibid. (Cf. Lett. 58). 4. » 11, se. IV. 57, se. — « p. 192;. Qui aug- — Video meliora..., 57, se. le souci de précision, ou, somnamhuU Ulsunt ea qux part des passions (IV, 39, maladies mentales. VanVlot, II, p. III. Préf. : .se.) Il était, in somniis (III, 2, allons Pour Spi- (111, 2(;, se.) et la plu- sont des sortes de somnambulismes, ou de lui-même, sujet aux hallucinations (Lett. 17, 246-247). « connaissance a Il a(/uiit...,Ul, 2, se. sc), l'orgueil Les passions ont des propriétés déterminées tout aussi dignes d'être connues que les propriété? de 8. « comme nous de Spinoza. noza, la croyance au libre arbitre la de sp., Pl.leJ., », I, Voy. un autre proverbe. IV, que faut voir dire, le « naturalisme 7. La mort de Sé- 111. 35, se. ô. 11 n'y 6. », se. une anecdote sur Thaïes 44, à Jarigh Jelles, le faut venir privilège de telle nous charmer. ou telle autre chose dont » au secours des autres, non par une vaine pitié de BEXOIT DE SPIXOZA. 164 En résumé, dans la partie déjà la concision excessive d'haleine mais du moins, ; non géométrique, on trouve les propositions importantes ne sont pas encore détachées, le vif; elles restent comme découpées et écrite Théologie, ou dans entourées d'un certain développe- ment^. On peut se représenter par YÈthique manque la sécheresse, le , même de la même là ce qu'aurait été façon que le Traité de dans un style plus serré, mais encore vivant. II Venons au gros de l'ouvrage, c'est-à-dire à purement géométrique, aux propositions et la partie démonstra- tions. On ment qu'elle enlève à l'ouvrage toute valeur littéraire doit dire de la forme géométrique, non seule- mais qu'elle en compromet gravement la valeur philosophique. Elle n'est que le développement extrême du principe de l'argumentation scolastique. Il est aisé de s'apercevoir que, dans une controverse, femme..., mais par l'ordre seul de la raison... » larmes, les sanf;lols, tous ces signes d'une 2). « La pitié de femme que sur la saine Rien ne serait plus facile 1. loi qui défend de tuer les lions à démontrer séparément perfection n'ôte àiiie animaux raison JU, dern. sc.,fin)«... les impuissante... » (VI, 37, se. que de trouver, dans : par exemple dans [las l'existence, elle la fonde. » (IV, 45, se. est fondée bien plus sur » une 1). les scolies, le scolie 1, des i>roposi11, 2 : a La 165 i/ktiiique. tout ce qui est dit n'est pas également fort, et qu'une amener l)onnc part est destinée à ])aux, à les faire agréer, quences. De là vient ridée, ces d'extraire les arguments prinei- ou à en développer arguments si les consé- l'on s'adresse à des doctes, les et de; mettre en forme, c'est-à-dire de les dépouiller de tout ce qui ne servait que de préparation ou d'explication. Les scolastiques usaient jusqu'à l'abus de ce procédé, mais, à cause de la théorie du syllogisme, du raisonnement marche assujétissaient la ils un rythme constamment à ternaire, ce qui laissait subsister encore des propositions inutiles. On pouvait rompre les ce rythme et simplement juxtaposer propositions dans leur enchaînement logique. C'est ce qu'avait fait une fois Descartes, pour résumer sa réponse aux « Secondes Objections ». Spinoza qui, dans le Court Traité et jusque dans certains scolies de Y EtInqupA, était encore tenté par la forme scolastique, avait adopté sa nouvelle forme pour envoyer ses démonstrations à ceux de ses amis qui étaient déjà au courant de sa doctrine, à Oldenburg, à Jean Hudde. Mais nouveau et forme un livre tout était entier. Un premier danger avec la il dangereux d'entreprendre d'écrire sous cette était d'être trompé par l'analogie méthode des géomètres. Spinoza prétend bien y échapper. fondamentale veut laisser subsister une distinction Il : sa métaphysique a de commun avec la géométrie certains caractères extérieurs, l'impassibilité 1. Par ex. I, 8, se. 2 'i" pari/. —II, 11, tiém. Sel 3. BENOIT DE SPINOZA. 166 devant l'objet^, la prétention de forcer la conviction unanime-, mais lui en elle en ce qu'elle atteint , diffère essentiellement, d'après même et non des le réel idéales construites dans l'espace ^. Il figures répète que ses défi- nitions ne sont pas des définitions géométriques mais des définitions de choses'^. Et cependant, il ne paraît pas avoir évité complètement la confusion. Bien qu'il refuse d'assimiler le réel au donné géométrique, il fait cesse de l'un à l'autre des comparaisons, qui, , quer à; faire même prétend il de ses définitions le usage que des définitions géométriques, avec les- quelles elles n'ont aucun rapport. les cette ne peuvent rien expli- assimilation n'est pas admise et surtout, si sans les place, Il comme géomètres, avant la suite des propositions, alors qu'elles sont elles-mêmes de vraies propositions, plus A moins pleines encore que les autres. pour axiomes, comme il c'est le a fallait les il fini de les donner placer non pas en tête, mais, par s'en apercevoir^, tout à la se tromper sur les fin. Sinon, mots, c'est vouloir transporter cadre de la géométrie là où il n'a que faire. Mais l'irrémédiable défaut de cette méthode est de présenter les propositions nues, sans y joindre d'explication naturelle. Quand on connaît pas votre doctrine, 1. III, Préf. 2 I, s'adresse à quand il un lecteur qui ne ne s'agit pas de la App., Saiss., p. 44. 3. Lelt. 83. à Tschiriihausen, 4. Lelt. 4 (1CG1), 17, se. 5. I, 6. III, App. ; — 9 (16(13), II, 8. se. ; 34 (IfifiG), 83(1676). — II, iO, SC. '.i; —IV, 57, SC, clc. l'ktiiioi 167 i:. résumer, mais bien de Texposer, se borner à annoncer des ou des thèses de conclusions sortes faire ensuite le discours coup sûr, c'est s'exposer, à , ne pas et quelque intelligence qu'on prête au lecteur, à n'être pas compris. Et renqilacer monstrations » n'est pas démonstrations dans F par des « dé- — Que valent les les explications un remède. Éthique »? D'abord, elles « ne sont pas toujours topiques. Plusieurs s'appliquent mal, ayant probablement été faites après coup. Ainsi la Proposition 5, a l, pour sens nécessaire « : peut pas y avoir deux substances identiques », Il ne et sa ne peut pas y avoir deux démonstration établit qu' « il substances difierentes^ Plus souvent encore, les dé- ». monstrations sont embarrassées faire : appel à des axiomes auxiliaires. selon les cas, les besoin de elles ont Il arrive même que, axiomes soient tout opposés. Pour prouver que deux substances absolument différentes ne peuvent pas se produire l'une l'autre, on admettra l'axiome : deux choses nayant rien de commun ne peu{^ vent être cause et effet gence divine n'a ~ ; et aucun pour prouver rapport avec cjue l'intelli- l'intelligence humaine, on s'appuiera sur l'axiome formellement contraire : la cause n'a rien de commun avec son effet -^ — Ces axiomes, en d'autres cas, sont intercalés parmi les autres, 1. démontrés Uc même I, 31 I, 6. 3. I, 17, se. —Cf. des propositions où l'énoncé prend sens, la démonstration 2. comme dans un autre. Lelt.Cli (lOTJ). le mot « ; ils enlendcnienl » inter- dans un BENOIT DE SPIXOZA. 168 ainsi l'ordre des propositions essentielles et rompent même peuvent introduire de graves confusions. sieurs reprises, par exemple, axiomes : La connaissance de i. plu- appel à deux est fait il A la cause précède la connaissance de l'effet (T, ax.,4). La connexion des idées 2. même que est la connexion des la choses (II, 47). Ces axiomes sont justes, nous l'avons vu, dans la connaissance intuitive, telle qu elle est décrite dans le Emendatione, c'est-à-dire, en sance divine. Mais si on somme, dans les transporte De la connais- comme arguments dans un raisonnement ordinaire, ils perdent leur portée ou si Ton eux, car veut, de force, les conserver, ils Y Éthique sont ou à peu près force. Quelquefois, démonstrations de les , inutiles, ou sans grande pour des propositions identiques, la démonstration est répétée à satiété, alors qu'il de l'avoir donnée une fois^. Mais, d'ordinaire, suffirait la démonstration n'est démontrée. tant ; faut s'en tenir à rendent inutile toute autre démonstration. D'une façon plus générale même il pour Il que peut arriver, le rappel d'une proposition et c'est le cas prescfuc cons- le IIP et le IV*' livre, que nous ayons présente le simple énoncé pourrait alors suffire. Si nous prenons de même comme à l'esprit cette proposition antérieure exemple 1. 19j. 3. cette suite de propositions Par exemple — 2. : 1. L'àmc ne connaît pas L'àme ne connaît pas L'àmc ne connaît pas la les durée du parties cori)s le : : corps humain lui-même du corps humain humain (II, 30). (II, 24). (II, — IGÎ) L'irriMOi'F. n'y a pas deux substances (I, 5). 1. 11 2. Dieu est Tunique substance 3. Tout ce qui 4. Dieu ne peut pas être contraint par une cause extérieure il nous importe médiocrement qu est, est H). (I, en Dieu (I, l'une après l'autre, mais il lo). elles soient si ITi. prouvées nous importerait beaucoup de bien comprendre une seule d'entre comme propositions sont, en effet, il, elles. Certaines des têtes de lignes; parfaitement éclaircies, nous passerions elles étaient sur toutes les autres. Or, elles le sont rarement. Quelque- un exemple fois rable, est donné même si l'exemple ^ et c'est le cas le plus favo- doit être indûment généralisé-. Mais le procédé habituel est de réduire la proposition à la négative et de la démontrer par l'absurde^. On sait que de la sorte la conviction On dirait que l'auteur système que de qu'il vise est forcée, sans être éclairée. est plus le faire préoccupé de prouver son comprendre, ou plutôt encore seulement à enqiêcher qu'on mure défensive prend surchargent , le réfute. L'ar- toute la place. Les énoncés se les propositions purement auxiliaires se multiplient, jamais les démonstrations ne sont assez nombreuses, au point même que très souvent lorsqu'une démonstration doit en corriger une autre, la première néanmoins pour plus de est laissée tel sûreté. Sous amas, la doctrine ne peut se développer; 1. Par ex. I, 2. Par II, 3. Spinoza déclare que c'est -i. 1, ex. 8, se. un elle reste 21. 2; i'.i. — I, 11 ; — là sa I, '2'i, méthode cor. et I, ordinaire. Lettre 64 (1675\ 25; — II. 1 ; — II. 5. 170 BE>01T DE SPINOZA. proprement à létat de formules. Spinoza par la forme scolie, de Il semble s'en être lassé se plaint très proprement, dans un qu'il a lui-même, car il est accablé la prolixité adoptée. de Tordre géométrique i. nous reste ainsi une œuvre peu vivante, mélange Il de concision déconcertante Ce n'est pas un livre, et c'est le de prolixité fastidieuse. plan d'un livre. Rien n'est plus facile que d'y trouver les éléments d'un système cohérent. Rien, à des sens monde non plus, n'est facile comme d'adapter nouveaux des formules sur lesquelles tout le a droit puisc[u'elles n'ont pas été développées. Cette part forcée de reconstitution personnelle est l'un des principaux attraits de l'ouvrage Mais . se si quelqu'un propose simj)lement de faire œuvre de critique faudra qu'il suive l'ouvrage pas à pas , , il en marquant autant qu'il est possible, les sources de la doctrine et ses progrès, sans supposer d'avance plus de cohésion qu'il n'en verra, et sans prétendre éclaircir les rités que l'auteur, de son gré ou malgré lui, obscua laissé subsister. 1. Sed anlequam liaec prolixo nostio geonielrico more clenionslrare iacipiam, liibet ipsa Rationis dictamina hic prius breviter ostendere (IV, 18, se). LIVRE I LA CAUSALITÉ DIVINE. Le livre I", été le plus « de Dieu »>, est celui dont les sources ont sûrement retrouvées. Les minutieuses recher- ches de M. Freudenthal ont montré qu'il faut le considérer comme un sommaire, autant qu'une reprise per- sonnelle, de tout l'essentiel de la théologie scolastique. La distinction de la substance, des buts, les modes et des attri- formes savantes de l'argument ontolog-ique la , théorie de la création continuée, cela, comme le reste, ne vient pas de Descartes, mais de la jeune scolastique, à qui Descartes l'avait lui-même emprunté. Le vieux fonds théologique, modernisé par la nouvelle École, fortement simplifié par Descartes, remanié déjà dans les premiers ouvrages de Spinoza, arrive dans le li- vre l" de ï Éthique à un plus haut degré d'unification, sans être encore parfaitement clarifié. Ce fonds n'étant lui-même que le développement extrême de physique d'Aristote, ce n'est pas seulement nisme immodéré mais « » «piil aristotélisme la méta- « cartésia- faut dù-e en parlant de Spinoza, immodéré », Tout est substance ou accident, et la substance est. BEXOIT DE SPINOZA. 172 SOUS tous les rapj)orts, antérieure à ses accidents, tel est le principe même de la scolastique. Tel quel, Spinoza sans chercher de tout le réel en substance et accidents est la seule possible. Il l'accepte , cette réduction si borne à remplacer, avec Descartes, se accidents d' « marquer £v ~.r^ modes « qu'il s'agit d'êtres réels tion entre -7. par celle de » modes cj7''a l'expression pour mieux », Quant à la distinc- '. et attributs, c'est celle d'Aristote entre cvTa et -à ou celle des Sco- (TJSJ.6c6-/;y,iTa~, lastiques entre essentialia et accidentia. Et la doctrine même du « où l'on a pensé spinozisme que », « trouver quelquefois l'essence les attributs en Dieu ne sont pas séparés en réalité, mais seulement pour notre entende- ment fini », était elle courante parmi les doctrine théologiens, et Spinoza pouvait la prendre, par exemple, dans saint Augustin"'. Quelle est donc la part propre qui lui revient? C'est d'abord, et d'une façon générale, d'avoir transposé au- dacieusement une théorie de de l'être. la Un des principes de connaissance en théorie philosophie aristoté- la licienne est que nous ne connaissons pas les choses par leur être individuel, mais par ce qu'elles ont de général, -^ c'est-à-dire obtient 1. par leur en éliminant On trouve encore sage des Cogilata, 2. II, « essence intelligible « les Arist., Mel., 30, 1025 a, 30. que caractères individuels. accidents» au lieu de 10, 4, et », « modes dans une Lettre de 16«1 De anim., I, :>, 643 » l'on Par dans un pas- (Lett. IV, p. 202). a, 27, cité par Freu- denlbai. 3. De tin, p. Trin., VI, 131. c. 7, cilé par rroudenlhal. Cf. liibl. de Sp., St Augus- 173 l'éthique. conséquent, une chose, vue de tion et écrit : même « si on la considère au point de ne peut pas être distinaufie d'une la science, autre chose do si on espèce. Spinoza efface la restricla considère en soi^ ». s'appuie Il de ce principe pour abolir entre les choses toute distinction réelle. substance. dire, un 11 Il confond, volontairement, essence avec y a là un vrai paraloiiisme, ou, pour mieux postulat. Ce n'est pas pourtant un simple retoui* à l'ancien Réalisme, car Spinoza refusera toute réalité | aux universaux; à toute force, individus existent. les il maintiendra que seuls n'y a pas Il d'intermédiaires entre la Substance unique et les individus. C'est une déformation originale de laristotélisme, comparable, non identique aux grands systèmes du moyen âge Pour deux parties — premier détail, le le : I. livre peut se diviser en Théorie de la Substance (Pr. 1-16). Théorie de la causalité en Dieu (Pr. 16-36) II. •. Nous avons déjà vu que la théorie =^ de la Substance consiste à mettre en rapport deux propositions essentielles et c( : « La Substance la Substance 1. 7» 5e considerala, 2. Bayle appelle non développé 3. le existe I, 5, unique est infinie, c'est-à-dire nécessairement ». » Plusieurs dém. système de Guillaume de Champeaux un « spinozisme ». Celle seconde parlie esl dislinguéepar Spinoza lui-mOnie, II, 3. à la lin. ^^ BENOIT DE SPINOZA. 174 solutions peu que l'auteur scolie, satisfaisantes sont indiquées à la fois, sans décidément choisi entre ait évidemment postérieur^, dans une même définition mation de l'existence De définition de l'éternité. dans fait, par opposition au cinquième, condensant même en » C'est là, -. les à est l'absolue affir- « L'infinité : Dans un arrive pourtant il de la façon la plus simple, en les unifier elles. le temps, la premier livre, éternité se est entrecoupée de infinité et trouvent toujours unies. La théorie de la causalité divine fragments du Court Traité ^ des Cogitata interca- et de ne rien perdre. Elle arrive lés avec le souci constant pourtant à une assez grande unité. par une proposition cardinale sidérait « est introduite que Tscliirnhausen con- la plus importante du premier livre ^ : Dieu est cause, parce que, d'une définition infiniment riclie « comme ^, — Elle , un entendement infini peut déduire une infinité de 8, se. 1. 1, 2. Dans la Une chose 1. dém. de infinie la Pr. II, que, à deux propositions où 3. nous trouvons comme nition. Spinoza i-envoie à faux, 23 du 11. doit exister nécessairement, m il la définition inverse En donnant : cette défi- arrive quelquefois dans VÉthi- ne se trouve rien de semblable (Pr. 21 et liv. I). Par exemple, le Court Traité énumère, d'après les scolastiques. et sans explication, huit façons dont Dieu ]teut être appelé cause (I, eh. 3). Llifhiqueles reprend avecquelques corrections, mais avocmoinsde déve- loppement encore — Pr. même, 17, cor. le 1 : Pr. IG, cor. 1, et 2 [5" et 7°, 3 scolie de ] 2el.i[Coiirt Traité, ; la proposition Court Traité, première partie. 16. i. I. :,. Lelt. 82., - V. VI, II, p. 428. — Pr. 18 [^°] ;— l. ch. ui,J\ Pr. 28, se. 29 reprend les chapitres 4". [S-]. viii et G»]; —De ix du l'kthique. Ou propriétés. » 175 de réduire l'idée voit dès icilc parti pris obscure de volonté à une pure nécessité intellectuelle. Deux questions se posent ininiédiatenieut. Dieu est- cause libre? De cpioi \ 1 ^il Dans premiers les Dieu écrits *? cause est-il de Spinoza, dans les Cogi- tata et le Court Traité, ê tre cau se libre d'une chose était l'opposé d'e n être la créer Spinoza 2. d'admettre, avec Descartes, que Dieu n'est était forcé cause purement naturelle du monde, car pas l'exis- de la durée ne s'expliquerait pas. Dieu étant tence monde éternel, si le de Dieu, faut 11 cause nature lle, c'est-à-dire de par la seule nécessité de sa nature découlait uniquement de la nature serait éternel il donc que monde le comme ce qui n'est pas. lui, par un acte libre de soit créé V Éthique, Dieu, puisqu'il est hétérogène à Dieu. au contraire, unifie hardiment l'ancienne opposition en une Dieu définition relle, sa 1. (( : du monde. est cause libre, c est-à-dire natu- Être déterminé par la nécessité de propre nature devient la définition de Voici (Pr. 16-18); (2i-25); — le — plan que paraît suivie Spinoza 2° \° et des actions (26-33); (34 et proposition auxiliaire Cogil., II, non naturelle ch. X. ». : r Dieu est cause des existences (19-23); il deux propositions 2. » (Sfi) 35) — extraites 5" Notes du — Cf. Court Traite, I. Cette opposition venait de (34-36). la déni, cb. la m : 3. Sur iJieu cause 73), 3° cause libre des essences Ces notes sont ( de Dieu et une la Pr. II, 13. est cause libre, Jcuno Scolaslique qui sur ce point s'était écartée de l'ancienne doctrine. Spinoza, souvent (Voy. Lett. est qui précède, scolie destinée à préparer — la liberté^. comme il s'en llatle reviendra aux anciens. libre, il y a une sorte de première rédaction qui a subsisté parallèlement à l'autre. Elle se compose de deux longs qui se font suite, bien (jne séparés (Pr. 17, sc; — Pr. scolies 33, se. 2). Elle pré- BENOIT DE SPINOZA. 176 Comment ment et expliquer alors la durée? Elle sera niée pure- simplement. Les choses sont, en l'éternel, réalité, dans nous apparaissent seulement dans elles le temps. Le mystère à résoudre ne sera plus en Dieu, mais dans monde. Par un progrès le décisif, l'éternité envahit tout. Que Dieu cause des soit « essences », c'est-à-dire des choses telles qu'elles sont conçues par l'entendement en dehors de toute existence dans fait pas rait comme seraient des « cela ne tracés sur le existent » et, à nos yeux, commencent , triangles qu'on au- conçus mais qu'on n'aurait jamais tahleau. Elles elles le durée choses ne sont pas de pures difficulté. 3Iais les essences, la d'exister à un moment durée, elles cessent d'exister à un dans l'intervalle, elles deviennent, autre du moins, précis de la moment, elles « agissent et, ». Dieu peut-il être cause de cette existence particulière et de ces actions? Il est nécessaire ici de tenir compte d'une distinction de points de vue. Nous savons que la multiplicité indéfinie et L'unité « réel, et continue » sont toujours unies dans le que ce ne sont là que deux aspects par où considérer. Nous sommes forcés de le le prendre tantôt par l'une, tantôt par l'autre de ces faces. Toutes les fois donc que nous pourrons considérer une chose sous l'aspect de l'unité , cest-à-dire de l'infinité ou de l'ab- sence de limitation, nous pourrons dire qu'elle dépend sente une étape inlermédiaiie de la pensée de Spinoza. Dieu pourrait élre cause naturelle d'un monde hétérogène à lui. 177 L KTIIIOLE. immédiatement de Dieu, ou plutôt encore, qu'elle n'est pas réellement distincte de Dieu. Elle participera de son éternité et de sa limiter par aucune autre idée Nous Dieu. : la limitation. par exemple, une idée que nous ne pouvons est, libre l'éternité et que l'absence de liberté ne sont précisément Il puisque liberté, la dirons elle n'est donc à c'est l'idée : même de la fois infinie, éternelle et pas distincte en efïet de Dieu lui-même. Quandcertaineschoses, au contraire, nous apparaîtront comme dans multiples, monde le — mouvements, par exemple, les des corps , l'ordre ordinaire de devrons exprimer le nos — nous pensées et de nos désirs en notre propre esprit, lien qui unit ces choses par enchaînement indéfini de causes un et d'effets. Nulle part, nous ne pouvons mettre un commencement absolu, libre arbitre divin pas plus qu'un libre arbitre le humain. Les choses s'expliquent par les choses; aucune d'elles ne s'explique par Dieu. Il faut complètement éliminer Dieu de l'ordre des causes transitives. Mais, sous cha- cune des nente, séries déterminées. Dieu car, vue d'autre façon, toute résout en unité. La causalité vraie l'éternel, c'est-à-dire, et de dans imma- multiplicité est la causalité se dans en somme, l'identité de la cause déterminisme n'en l'effet; le le reste cause est que la réfraction devenir. Cette étonnante théorie de la causalité, plus encore que la théorie de la Substance, fait la force du premier livre de V Éthique. BENOIT DE SPINOZA, 12 LIVRE 1 . II THÉORIE DE LINDIVIDU. Sous la forme où nous Tavons plus obscur de Y Éthique, est une connaissance. la Spinoza, Mais dans la pure théorie , le de primitive de pensée devait traiter de l'homme, ou du moins de il l'âme humaine. Il aurait dû, pour cela, englober une physique entière, car la connaissance suppose celle du corps humain, humain corps second livre le , de et la celle des autres corps i. Tàme humaine connaissance du Spinoza se pro- posa d'écrire cette Physicjue nouvelle que réclamaient ses amis cartes, ses 1. ^ qui devait réformer la Physique de Des- et mais il II, 13, Il ne nous en reste qu'un Se. Spinoza renonce à traiter de l'àine humaine, ce poserait l'étude complète lui temps de mettre en ordre n'eut pas le pensées sur cet objet ^. du corps humain. accorde deux postulats: plus 11 qui sup- demande seulement qu'on corps est capable d'affections simul- le tanées, plus l'àme est capable d'idées simultanées, et plus le corps a d'affections spontanées, plus l'àme est propre 2. Lett. 50, de Tschirnhausen : Physicis quando impetrabimus? (V. V!ol, 3. Lett. CO, Molli, Rép. à Tschirnhausen nondum in aux idées Methodum : II, distinctes. tuam... ut et Generalia in p. 384). Cœtcrum de ordine conscripta sunt (V. Viol, reliquis, II, niminnn de p. 38G-387). 179 l'étiiiouf.. résumé très soiniuaire, de deux ou trois pages, intercalé au milieu du second livre K Ce court fragment mérite d'être étudié en lui-même. Il noyau paraît former le scientifique de la construc- tion métaphysique qui Tenserre; cas, une des pièces essentielles il représente, en tout du système. comme donnée mouvement, Tespace comme Descartes acceptait, en mécanique, première, l'espace, non le masse en repos. Seul l'espace ment cement absolu, puisqu'il ciente, et une avait absolue, car fin était indéfini. Le mouve- commen- compris entre un était toujours fini, il en Dieu sa cause revenait nécessairement sur lui-même, de manière à fermer le circuit ou F neau » ment le C'était Spinoza rompt cet anneau -. et étale le long d'une ligne indéfinie en les les hypothèses sur l'origine « an- mouve- deux sens un progrès important de supprimer mécanique, effi- ^. ainsi, en et la fin du mouvement, de considérer le mouvement comme donné absolument, au 1, Entre •2. Princ. de la Pli.. 3. LomnielII. 4. Voy. titre que l'espace*. Mais de là, les Pr. 13 et 11. !a critique Tschirnhausen, livre môme fin. 33; cf. Spinoza, Pr. Pli. Carf., II, par Spinoza de — Il la Déf. 9. mécanique cartésienne, est certain, cependant, se rapporte à la conception II. Lett. 81, à qu'une partie du second ancienne de Spinoza, par exemple, la Pr. 2: «L'étendue est un attribut deDiou, en d'autres termes. Dieu est chose étendue. » Du moment, que l'Étendue, but de Dieu. il en effet, que le Mouvement est mis au méine rang n'y a plus de raison de faire de l'Étendue seule un attri- BENOIT DE SPINOZA. 180 une notion neuve, de surtout, pouvait sortir très grande portée, la notion d'individu. Tant qu'on regarde les corps quement par l'espace, il qu'aucun d'eux forme un En 1665 cette raison, rejetait abstractions où comme ques d'étendue un bloc homo- lymphe dans le les individus ne sont le seraient corps humain, machine universelle. le corps machine : la humain dans la — Mais dès qu'on reg-arde vement comme premier, dès qu'on mouvement des faisceaux de que des des portions quelcon- tout est pièce dans une ; même encore, Spinoza expose àOldenburg la doctrine cartésienne^: la nature est gène, indistinct, constitués uni- « tout » spécial, irréductible, un individu. Descartes, pour les atomes. comme est impossible de reconnaître dans voit plutôt que des le les moucorps morceaux d'espace, une définition mécanique de l'individu devient possible. Spinoza le qusedam spécial [certa par un rapport constant, définit ratio) entre un certain nombre de mouvements. Quelques changements de vitesse ou de direction que ces mouvements subissent, séparément ou dans leur ensemble, l'individu subsiste, tant que le rapport qui les unit reste essentiellement un tel le rapport; même il ~. L'individu est faut plut(M le com- parer à un nombre qu'à une substance. Spinoza, toutefois, ne renonce pas entièrement à la conception cartésienne. Par désir de ne rien perdre, il la juxtapose 1. Lett. 32. 2. Lemmcs VI cl simplement à la sienne. VII et la Déf. qui précède le A côté des indi- Lemine 111. 181 l'éthique. vidus il garde des eorps inorganisés, lioniogèncs, conçus à la façon de Descartes ^ Il de ces corps fait les éléments premiers de l'individu, dont la définition dès lors se complique. L'individu n'est pas seulement un rapport mouvements, mais spécial entre certains Que aussi entre certains éléments matériels. ces élé- ments augmentent, diminuent de volume, soient remplacés par d'autres, l'individu subsiste tant rapport qui les unit reste constant 2. De tels que corps inor- ganiques n'ont pas entre eux de distinction réelle enveloppent tous un même attribut, proprement à eux que s'applique le ; ils l'étendue. C'est la réduction néces- saire à la substance unique. même C'est à eux seuls, peut-on affirmer, et cela est de conséquence grave dans effet, les le système. Comment, en individus, entant que singuliers, pourront-ils se réduire à la Substance, fondement général des êtres? C'est On un problème le mais latent dans la philosophie de Spinoza. pressent dès les premières lignes de YEthigue, se pose il maintenant d'une façon pressante, iné- luctable, depuis que l'individu est clairement défini. Les êtres inorganiques sont des portions d'étendue ho- mogène, mais l'individu est d'autre nature ; il est un rap- port, quelque chose d'aussi singulier, d'aussi imma- tériel qu'un nombre. de l'étendue lui , Comme la théorie de il échappe à l'attribut la substance reste devant sans application. Faudra-t-il donc s'arrêter devant 1. Voy. 2. Lemmes IV la note qui suit et V. l'ax. i. BENOIT UE SPINOZA. 182 rirréductible clistinction des individus, renoncer à les ramener, par quelque autre tour, à Funité le système, le moment d'une dans '? C'est, véritable crise. Spinoza en sort par une invention décisive, que lui inspirent certaines recherches scientifiques contemporaines. Entre 1660 et 1675, une conception nouvelle de l'or- Un ganisme humain tendait à se faire jour. d'Amsterdam, Leeuwenhoeck, avait découvert, au croscope, que les globules voyait que des globules opticien mi- du sang, où Malpighi ne graisseux, étaient de petits organismes vivants, de vrais indi\idus dans l'individu. L'étude de la génération, rendue d'actuahté par le De Generatione du grand Harvey (Londres, livre posthume de Descartes De (Leyde, 1662), avait amené ^ la la 1651) et le formation du fœtus découverte d'autres in- dividus microscopiques, les spermatozoaires. dam enfin, son Histoire dans des Swammer- Insectes (Utrecht, 1669), généralisait ces observations et admettait chaque organe d'un animal même, pouA'ant être semblables à lui. est une que sorte d'animal lui- composé à son tour d'organes On trouve déjà dans notes de les Pascal (1662) l'annonce de cette conception à lequelle dans un Lèibnitz donnera son expression populaire passage fameux de la Monadologie (1714). portion de la matière peut être conçue 1. Contrairement aux Tues de Descartes. 2. Autogr., p. 347. des parties « Qu'un ciron incomparablement plus lui offre dans petites, des « Chaque comme un jardin la petitesse de son corps, jambes avec des jointures, des veines dans ces jambes, du sang dans ces veines, des humeurs dans ce sang, des gouttes dans ces humeurs, des vapeurs dans ces gouttes... » 183 L KTIIIQUE. plein de plantes et iMais comme un chaque rameau de chaque membre de est encore un s'inspire de ces vues ranimai, chaque goutte de ces humeurs tel jardin ou un tel étanpr. » Spinoza, fort curieux d'anatomie nouvelles, et, un autre comme sens. de poissons. étang- plein la plante, ', Leibnitz,les généralise, mais dans ne songe pas à poursuivre l'analyse 11 de l'individu pour trouver l'organisation à admet, au contraire, que ses éléments, puisqu'il éléments premiers sont inorganiques. Mais l'individu de formé fois il comme membre membre lui-même individu, ainsi une considère d'un individu supérieur, jusqu'à embrasser, par voie de synthèse, suite, un les d'un autre l'Individu suprême, qui est la Nature entière. ture est de l'infini « La Na- seul individu, dont les parties, c'est-à-dire tous les corps, varient d'une infinité de façons sans que l'Individu lui-même, dans changement'. » aucun sa totalité, reçoive Telle est l'idée nouvelle de la Nature- Individu, opposée à l'ancienne idée de la Nature-Substance. On peut chercher 1. Voy. dans sa Bibliothèque, l'Anatomie de Riolan (162G), Bartholia (1651), p. 177; — de Slenon, p. 196; une Lemine VI, se. Animal de » p. 139; la Theod., la théorie g lor» moindre parcelle de la {iP.bl). 11 qui les contient ttn » y a matière, mais comme un Animal, ou comme une (Leibnitz rapproche ainsi la théorie de l'unique de l'unique Substance). — « Comme un étang peut fort bien être plein de poissons, ou autres corps organiques, quoiqu'il ne point lui-même — Observations médi- : l'Univers ne peut pas être considéré Substance. les le de créatures dans infinité — — De gcnerutione de Vellhuysen — Leibnilz se refusait de faire celte synllièse « cales de Tulp (1672), p. 177; 2. retentissement de l'invention le soit, animal ou corps organique mais seulement une masse {Tlicod.. Préf. — Gehr., p. 44). — Pascal, au contraire, BENOIT DE SPINOZA. 18i sur le système entier. Nul doute qu'il ne soit très grand. — entités, seront traqués Les êtres vagues, généraux ou universels, — ou d'imagination, êtres de raison avec plus de rigueur que jamais. Tout être à la réel, seule exception des éléments inorganiques, sera tenu, pour un individu encore. Au sera Flndividu total, mais lieu Dieu lui-même exister, d'être original, singulier. de tributs substance , s'offrira degrés d'existence trois seuls : , — une toute , — modes échelle , at- nouvelle éléments inorganiques, individus, individus d'individus, etc. L'ordre des idées suivra l'ordre des choses. La simple distinction des idées en adéquates et inadéquates ne suffira plus; à reml30Îtement des individus dans la nature devra correspondre un jeu complexe d'enveloppements des idées à leur suite, et, des passions. Les descriptions de la première du Court c'est-à-dire C'est le Traité^ « ne seront plus Éthique », suffisantes. système entier qu'il faudra reprendre sur une trame plus riche. De là vient la désharmonie que confusément l'on sent entre YÉthique et les propositions sur la Substance qui un sorte, qu'il y état plus ancien ait avait adopté en 11 de pensée. Ce n'est pas dire eu de changement réel dans pensants » d'un la même organes vivants, individu, Jésus-Cbrist, et morale chrétienne. (Voy. dans rale chrétienne » qui est à 473-'j8'j.) pensée de la matière religieuse une vue anaiosue à celle de Spinoza. considérait les chrétiens coinine les propre de en quelque Ces propositions représentent, l'ouvrent. il les « membres voyait en cela tout le la copie peu près rassemblée dans A la l'éd. liasse « Mo- Brunschvicg 185 l'kthique. Spinoza, ni de progrès au sens propre. Laffirination que essentielle le Tout est un et éternel n'est pas abso- lument liée à une théorie particulière. Au lieu de la conception néo-scolastique d'une'substance unique d'où ruisselle le nombre infini aurait pu s'approprier esjîace unique où tous un des modes apparents, Spinoza la conception cartésienne d'un mouvements reviennent en les inévitable cercle, et à ces deux conceptions il en pouvait aussi substituer une autre, celle d'un animal unique, dont les éléments sont emportés dans un tourbillon perpétuel, sans que, lui-même, trois il évolue. C'étaient façons d'afiirmer l'unité des choses et d'en nier le devenir gement passer de l'une à l'autre n'était pas un chan- ; A supposer réel. complètement même que Spinoza eût rayé la théorie de la Substance, il n'y eût pas eu là proprement un progrès, mais une pure substitution d'expressions. Pourquoi ne l'a-t-il pas fait? Pourquoi, à côté de la théorie de l'Individu, de la Substance et a-t-il laissé même, si subsister la théorie l'on tient compte des corps inorganiques, les vestiges d'une théorie intermédiaire que Descartes aurait inspirée? trait Il faut reconnaître là de son tempérament intellectuel que nous avons déjà observé, l'hésitation intmie, qui retarde et un une certaine avarice même sacrifier. Le Avant de définir, port l'avait constant d'esprit, trait le choix, qui empêche de rien se retrouve dans le détail. par exemple, l'individu, par un rap- entre certains conçu grossièrement mouvements, comme un Spinoza asrésat matériel BENOIT DE SPINOZA. 186 qu'une pression extérieure empêche de se dissoudre'. Renoncera-t-il à cette première idée? D'aucune façon. Sa définition mettra les deux conceptions sur plan, sans choisir l'une, sans sacrifier l'autre même le « Lors- qu'un certain nombre de corps sont ainsi pressés, qu'ils : s'appuient les uns sur les autres, ou lorsqu'ils se com- nmniquent leurs mouvements suivant un rapport déterminé, nous disons qu'ils constituent un individu 2. » Cette indécision est constante dans YÉihique, et c'est un défaut du système de n'être pas assez pur, trop composite, en un mot pas assez systématique encore. 1. Cf. Entret. av. Tschirnhausen (1675), Sleln, p. 281 xinioncm corporum a pressione quadam. 2. Déf. après l'ax. 2. : Piitat oriri LIVRE 2. II THÉORIE DE LA CONNAISSANCE. Dans Y Éthique^ second livre le est, par excellence, un morceau de connaisseurs, à entendre par la main de l'ouvrier y semble plus admirable vrage lui-même. C'est un travail profond réflexion sur dès 1665 ^ « Il ; l'àme humaine, l'ou- était arrivé y a une puissance dépenser perçoit toute la nature que confus de et une formule à laquelle Spinoza que là infinie c'est cette qui même pensée, en tant qu'elle perçoit une partie de la nature, humain. le corps poussée à bout la fois ; » La formule est fouillée, pénétrée, elle est ensuite « essayée », ajustée à à plusieurs systèmes d'idées. Cela donne un ensemble, malaisé, verrons-nous, à mettre entièrement d'accord, maison y peut tient de la sorte, 1. étudier du moins l'eflbrt pensée spéculative, y prendre, en quelque une leçon de technique métaphysique. Lcll. 3'>, pa- à Oldeiiburg. BENOIT DE SPINOZA. 188 L'âme perçoit le corps. En d'autres termes, au corps est unie la connaissance, Fidée du corps. Descartes, poser cela en au delà? Quelle fait Il faut, avec K Mais ne peut-on remonter est la nature de ce rapport? A deux reprises, Spinoza essaie de l'approfondir. Le vice d'ex- position à la fois et l'intérêt second livre ^ est « technique » du début du de présenter, sans choix, le résultat de ces deux tentatives. Dans toute difficulté, le premier recours La méthode propre dont Spinoza se vante jours remonter à la cause première. ^ est à Dieu. est de tou- L'âme humaine n'étant qu'une partie de Dieu, nous ne devons pas dire « l'âme perçoit le corps », mais : u Dieu, en tant qu'il constitue l'âme humaine, perçoit le corps Mais le corps attribut , humain n'est, humain attributs divins ; ^. » lui-même, sous un autre qu'une partie de Dieu. L'union de l'âme corps n'est ainsi qu'un : et du épisode du parallélisme des l'unité dernière se fait en la Subs- tance. Cette première solution ne contente pas l'esprit. Elle élargit le problème sans la relation soit 1. II. 2. Pr. ax. 4. 1 à 13. 3. II, 10, se. 1. beaucoup l'éclaircir. mise entre deux modes , — âme Que hu- 189 l'kthiqul. luaine corps , — Étendue même et — ou entre deux Pensée, — peu importe; humain, attributs, c'est la de cette relation ([u'il s'agit nature de préciser. Faire appel à l'unité de la Substance n'est pas décisif; prit veut remonter aux raisons pour lesquelles, jus- ici tement, la Substance est une. Spinoza y remonte. un principe d'explication supérieur à pour lui tance même, c'est l'es- l'Entendement absolu. le Il Il ya la Subs- réclame plusieurs fois. Pourquoi de la Substance, par exemple, les modes découlent-ils? Parce que d'une définition l'Entendement déduit certaines propriétés-. Qu'embrasse au juste Substance? Elle embrasse exactement tout la ce qu'un Entendement L'Entendement domine infini peut concevoir en la Substance. Spinoza elle 3. était ainsi porté à réunir l'âme et le corps, non seulement en la Substance, mais pour l'Entendement absolu; plus rement, à chercher entre eux par delà physique un le lien clai- méta- lien logique, analytique, par delà l'identité de substance une identité absolue. D'où la seconde solution. Le corps et l'idée du corps sont donnés dans le môme comme deux comme un dire : l'âme perçoit « impersonnel 1. 11, U. i. I, 16, 3. II, 7, termes, : « il se le corps perçoit seul. », mais un corps ». non pas ne faudrait pas Il se servir Dire : il y a d'un telle cor. dém. se. : Quicquid ab Iiiliiiito subslantiac essenliamconstituens, perlinet. acte de pensée, Intelleclu idomne ad percipi potest tanquani unicain tantum substanliain BENOIT DE SPINOZA. 190 chose, ne il suffit pas à poser rexistence de cette chose; faudrait dire rigoureusement y Il telle chose, a. y a Il sait qu'il telle Il sait qu'il sait qu'il chose, y a telle chose, En traduction grossière, par sente Dieu, sait » l'idée « il sait substantifs, » objet inanimé » est « Tout a une son tour, se comporte <( âme ^ » ; au corps-. comme un y a une idée de Il l'âme qui est unie à l'âme absolument de la il le corps véritablement un non-sens dans objet pour une idée supérieure. est unie repré- sait qu'il il (( )> accompagné nécessaire- est ou de son âme. les termes. Et l'âme, à que l'âme « il de l'âme, ainsi de suite. Tout objet, ment de son « idée « etc. représente Tâme, )> humain par conséquent, un : même façon Pour chaque objet donné, » y a ainsi une superposition d'âmes à l'infini ^. L'iden- moment de tité du corps tité absolue qui embrasse tous les termes de cette série à l'infini. et de l'âme n'est qu'un Elle peut s'exprimer ainsi ne sont qu'une même chose. : l'iden- être et être conçu L'ordre des objets l'ordre des idées ne sont pas parallèles, et mais identiques^. Omnia, quamris diversis (jradibus, anima ta sunt (Cf. III, 57, se). Cf. Lcihn. ,Lntret.nv. Tschii-nh., Stein, p. 282: [l'utal] sensum quendam in 1. II, 13, se. : omnibus donc une âme (lU, esse rébus 57, sc; — pro gradibus existendi. IV, 37, se. ad fin.). — Les — Les bétes ont degrés dans les âmes correspondent aux degrés de perfection des corps. 2. II, 21. 3. Lettr. 6G, à Tschirnbausen res exprlmitur, 4. II, 7. unam Mentein '1<>7.)) : Infinitœ idete. quibus unaqusequc conslituere neciueunt, sed inlinitas. Celte Proposilion est absolument indépendante de la théorie de Nous touchons Spinoza ici ù la racine suprême la réalité : de nom : de substantialistc, Tune que nous désignerons du rattache l'âme et le corps f[ui à deux attributs parallèles de que nous appellerons l'autre identifie un Entendement, où est deux solutions du problème de l'union du corps l'clme et de la pensée de de ces idées se confondent ^. les idées et les objets Telles sont les même Substance la divine, intellectualiste, qui les au regard de l'Entendement ab- d'emblée solu. Ces deux solutions sont-elles compatibles? Aucune- ment. Selon la première, le corps chacun leur essence; selon la seconde, tous les deux. Précisons encore à'esse?îce qu'il faut : d'être des modifications de c'est sur le un chacun pour essence 2. Leur on se formerait d'eux vraie. L'existence inutile surcroît. périr sans que l'essence de Le mot essence est pris la même terme même ont la deux attributs divins N'existeraient-ils pas, une idée tout aussi rien; c'est ils gardent d'aucune manière qu'ils existent essence n'implique 3. l'cune de toute force opter. En conception substantialistc, le corps et l'âme ont réellement et ici, Tous les ne leur ajoute hommes peuvent l'homme en soit atteinte. en définitive, au sens clas- Substance. Elle s'appuie uniquement sur un axiome avec qui elle confond 1. (I, se ax. 4). II, 7, se. : « C'est ce qui parait avoir <^lé aperçu par quelques Juifs, qui soutiennent que Dieu, l'Entendement de Dieu, et les choses qu'il conçoit ne font qu'un. 2. II, 3. I, » 10, cor. 2i, se; — II, ax. 1. BENOIT DE SPINOZA. 192 sique essence intelligible »; cV « a dans les êtres de Dans commun, de même êtres de exprime ce qu'il y général^. au contraire, l'essence n'ex- l'autre conception, prime plus l'unité, sous il même attribut, un de plusieurs espèce, mais l'identité du corps et de l'àme d'un être singulier. Elle est spéciale à cet être. A vrai dire, le terme scolastique d'essence ne convient plus comme à moins de créer, ici, terme paradoxal, contradictoire Mais l'essence particulière, doit plus avoir si , le fait Spinoza, le à^essence particulière. l'on emploie ce mot, ne aucun des caractères de l'essence scolas- tique. Elle n'est plus indépendante de l'existence. Elle n'appartient, au contraire, qu'à des êtres réels, existant en acte « ne peut pas 2. Sa définition est ». exister, : et qui n'existe ce sans quoi pas si une chose la chose n'existe Spinoza consacre un scolie à opposer cette défini- tion à l'ancienne notion : ce sans quoi une chose ne peut être conçue 3. Mon essence particulière somme, mon est, en individualité, réelle, inintelligible peut- mon moi. La conception intellectualiste peut aussi nommer individualiste. Elle se soudera sans peine à être, se la théorie de l'Individu. Entre les deux acceptions d'un était nécessaire. choix. 1. Il Spinoza, met en axiome que Spinoza emploie clans essence formelle 2. II, Déf. 2. 3.11, 10, se. 2. (I, le même ternie, le choix cependant, n'a pas l'essence de môme sens les termes 17, se. fin); verilas fait l'homme de nalure, forme extra inlellectum (I, 8, le n'ini- [11, 10) se. 2j. ; l'ktiiiol'e. pliquc pas rcxi.stcncc de riioiniiic 193 il ' ; au contraire, que resscncc d'une exister sans sitions que la chose existe du second cliose définition, ne peut pas Les premières propo- ~. livre répètent la met en même contradiction '. Elles se rattachent tantôt à l'une, tantôt à l'autre des deux conceptions opposées ^, même à ou l'une et l'autre, à la fois, par pur rapprochement verbal^, ou grAce à terme à double entente qui, pour passer de l'une à l'autre, comme de sert une pivot '•. en résulte, Il il le faut bien dire, On ne peut parler simplement de réelle confusion. mode tendances divergentes. Le d'exposition qu'a choisi l'auteur ne laisse pas d'arrière-plan; tout est également 1. H, av. 1. 2. Il, Déf. 2. 3. II, 10, cor. : L'essence de riiomine ne consiste qu'en certaines « dificalions des attributs de Dieu. — » II, 11 « : L'être de l'âme mo- humaine consiste en l'idée d une cliose particulière existant en acte. » première se rattachent 4. .\ la les Proposit. à la seconde les Proposit. 7, cor. groupe la Proposit. 9 tantielle. l'idée de unique de Dieu, pour 3, 4, en effet, à 0, 8, 10, cor. de 11, 13; 1 12. Il faut joindre qui combat sur un point Cette théorie tendait, Substance (Pr. 9, 11, la théorie de au deuxième l'unité subs- à confondre toutes les idées en faciliter ainsi la réduction de toute idée à la La Proposit. 9 substitue à cette idée unique une 3). On peut comparer changement série discrète et indéfinie d'idées. réforme mécanique dont a été question, qui remplaçait le circuit il ce de mouvements, par une suite linéaire, indéfinie, de mouvements. uni([ue de Dieu n'embrassera plus que les idées à la unique — L'idée des objets qui n'existent pas (Pr. 8 et cor.). 5. II. ~. se. 6. II, 11, effet, soit : eliam. liée doit observer » est le comme une pure analytiquement On « Sic dém. Le pivot terme A'idée. L'idée peut être prise en modification de l'attribut Pensée, soit comme à l'existence d'un objet réel. que l'individuel, se prêtent les propositions moins que BENOIT DE SPINOZ.V. intellectualistes, restant les autres à des démonstrations. 13 dans BENOIT DE SPINOZA. 19i affirmé. Il y a concurrence, collision cVélémcnfs incom- patibles, de double venue. II L'opposition s'étale dans le reste du livre. Le fonde- ment métaphysique de Il peut être ou la connaissance n'apas été choisi. le parallélisme de la Pensée et de l'É- tendue, ou l'identité logique du corps et de l'âme d'un même individu. L'ambiguïté subsistera quand il va s'agir d'approfondir les connaissances mêmes, non certes dans le détail, mais pour trouver du moins par où nous atteignons l'idée de Dieu, c'est-à-dire le souverain bon- heur. Deux solutions, d'inégal intérêt, vont être proposées, l'une ne faisant appel qu'à l'individu, l'autre faisant appel à la Substance. Spinoza s'en tient d'abord à l'individu. Atteindre Dieu, atteindre même d'une inouïe la moindre idée légitime parait difficulté. Chaque individu est un composé d'individus, en d'autres termes, corps et qu'un, son l'idée âme est aussitôt un composé d'âmes i. âme ne Il faisant n'a donc pas d'ensemble de lui-même, de son âme'^ ni de son 1. Pr. 15. 2. Pr. 23, 29. 195 Lïrriiiorr. corps 1, Il })artios, n'a pas même l'idée complète d'aucuno do ses car cette partie est composée à son tour d'élé- ments individuels simples, il ^. Pour trouver des idées pleines, faut reculer en deçà de l'individu premier. L'individu premier est entre certains un rapport spécial et constant mouvements élémentaires. Les idées complètes, bien que confuses, que idées de ces affections du mouvements élémentaires, j seules aie, sont les c'est-à-dire des corps. Tout est là; rien autre n'est donné. Quelle que soit la connaissance à laquelle j'aspire, des objets extérieurs, de extraire du affection Rude moi-même, ou de Dieu, ou composer de ceci seulement : la faudra il l'idée d'une corps. nécessité! Comment néanmoins, à la arriver, connaissance de Dieu? — car du reste je puis sans doute me passer. Le moyen de faire sortir la connaissance de Dieu de la simple idée d'une affection corporelle Pourra-t-on tirer parti de ce fait : mon pas un mouvement spontané de l'affection n'est corps, mais choc transmis d'un corps voisin? L'idée de est, par suite, présentation perçois des corps étrangers ! d'un objet, perception, : y a-t-il un l'affection moyen de .le trouve i' Dieu au fond de cette perception? Non, apparemment. Il senter le corps étranger que lui-même, gible, un comme faudrait, comme pour 1. Pr. 19, 27. Pr. 24. me repré- contenant antre chose enveloppant une essence attribut c[ui envelopperait 2. cela, lui-même intelli- la Subs- BENOIT DE SPINOZA. 19G une conception qui n'a que tance. C'est perception dont s'agit fait il faire La ici. connaître l'existence de au delà^. l'objet, rien même, ne Sans doute. Mais dans l'existence trouver Dieu? L'existence n'est pas puis-je donnée dans un éclair. Elle persévère, elle est continuation d'existence, durée. Or on convient, d'une bouche unanime, que cette continuation même est proprement la création divine, création immanente, qui n'est pas simple génération. Ne saisirai-je qui les fait Non pas dans les choses ce Dieu, force intime durer? encore. Ce n'est pas l'existence des choses au me sens métaphysique, ce n'est pas leur durée cpie fait connaître la perception, mais seulement leur existence « en acte », c'est-à-dire leur simple présence n'implique rien sur leur réalité vent m'être <( présents » même. Des Elle 2. objets peu- sans être réels. C'est le cas de l'imagination et de la mémoire; Spinoza en décrit le mécanisme, d'une façon trop brève, schématique^. 1, ne met guère de différence entre la Pr. 25. 2.Pr. 3. Il d'ailleurs, toute 17. Voici comment on peut noza explique Soit molle AB un (le animaux en A. — la possibilité se fait Mais S'il en BA comme et lui a fait prendre BA' et la ; se produit la la un choc en A, xy xy une est molle, le choc le même surface choc a l'a une autre position, xy' par exemple. Dès la réilexion S[)i- la réilexion des esprits perception du corps qui a produit surface où 17, cor.): cours de parties lluides (esprits animaux), cerveau). second choc, cxpliciucr le corollaire, assez obscur, de l'iinaginalion (Pr. lieu modiliée lors, à un des esprits animaux sera changée, elle se fera en perception du corps aura lieu en A'. Ainsi la seconde perception lî>' Li-:ruiQUE. <lans perception scnsil)lc et rinia.çination; de Théologie, les mes i. nmn deux termes sont [involvunt) mais qu'elles enveloppent la sans épaisseur. Il est vain Dieu ni quoi que ce me faut n'expli- présence des choses extérieures. Le rideau des affections corporelles les TrmU' synony- Perception, imagination, mémoire, ont de com- quent pas [explicant) Il le même impénétrable, est de chercher, derrière lui, soit. replier encore sur ce qui m'est seul donné, idées des affections un nom, mes passions que nous avons d'un objel de mon corps; donnons-leur [affectus). Mais la tentative précé- n'est déjà plus absolument la intMne que la être première. Si la première est appelée « réelle», la seconde déjà doit (2) (1) appelée imaginaire « ». — Dès lors on comprend que le mouvement spon- tané des esprits animaux produise une perception imaginaire semblable, à condition qu'une première perception ait eu lieu. C'est qu'on peut dire que nos perceptions expriment bien plus de noire corps (les traces de notre cerveau) que la en ce sens aussi la constitution nature du corps perçu (Pr. 16, cor. 2). Spinoza ne donne cette explication que pour (Pr. 17, se). On remarquera quelle difTéreiice « aussi il bonne qu'une aulre y a entre une cation purement abstraite et sclièmatique, et celles de Descaries toujours pour base des observations physiologiques. f. Cil. I et il. » telle expli([ui ont BENOIT DE SPINOZA. 198 dente m'a pressentir fait un nouveau moyen (V atteindre Dieu, le saisir au fond de l'existence d'une chose, dans même l'acte de création qui que fait cette existence per- sévère. Sans doute, je ne puis l'atteindre ainsi dans les choses extérieures, mais moi-même. La voie est tracée. fond de mes passions le peut-être l'atteindrai-je en faudrait montrer que Il est la force même par laquelle je persévère dans l'être, puis rattacher à Dieu la per- sévérance dans l'être, éternité. C'est à un je serai conduit. en essayant de la greffer sur son Traité des passions que tout d'abord Comment passer ensuite à l'éternité i? Spinoza pousse jusqu'au bout sa critique de notre connaissance. Dans deux propositions hardies-, il nie que nous ayons la notion claire de la durée, pas plus en nous-mêmes que dans que « l'existence les choses. Mais la durée n'est conçue d'une façon abstraite, comme une forme de la quantité*^ »; ce n'est que l'image de l'existence appel évident au dernier livre de 1' « Éthique : où il » apparaîtra que la vraie forme de l'existence est l'éternité. Spinoza s'y fera gloire d'avoir trouvé Dieu dans l'individuel, par une méthode bien préférable à celle qui recourt à la substance et 1. A la définition classique de tendi (Burgersdijck, Inst, nat., ajoute indefinita ment. 2. Def. 5). duralio la durée I, c. 27. cité Durer : est conlinuilas exis- par Freudenthalj, Spinoza sera, par définition, — C'est un intermédiaire pour passer 45, se. V, 36, : tanquam quxduni se. fin. durer indéfini- de la durée à l'éternité. Pr. 30 et 31. 3. II, 4. (II, au général^. Au point quantilalia species. 199 l'éthique, où nous en sommes, la théorie semble prête [)our le merveilleux couronnement que lui donnera le cinquième livre. III Mais c'est alors que s'introduit une sorte de variante K Prématurément, sans attendre serait trouvé, et par une voie la fm de FÉthiquc, Dieu si facile que tout le reste ne semblerait plus que peine inutile. Il suffit de renoncer à la conception de l'individu et de ramener la théorie de la Substance, avec son cortège en : modes enveloppés, effet, tout va de soi. seul attribut, l'Étendue. quelque chose qui leur attributs parallèles. Dès lors, Les corps sont les modes d'un Il est y a donc, par définition, commun à tous, qui se re- trouve également dans leur ensemble et dans chacun d'eux; c'est l'Étendue elle-même. Il y correspond, par conséquent, en vertu du parallélisme des attributs, une idée qu'on pourra appeler, d'un terme cartésien dé- tourné de son sens, une notion comnuine 1. ~. Une telle Pr. 3'2-i8. — Dans Doscartes une « notion commune est proprement un axiome, par exemple « on ne peut faire quelque chose de rien » [Princ. de Ph., I, 48-50). Dans le premier livre de l'Éthique, Spinoza em2. Pr. 38 et cor. ploie encore ce terme au nit^me sens que Descartes >; (I, 8, se. 1). BENOIT DE SPINOZA. 200 que idée, bien de partiel; attribut soi, même l'idée i. cVun corps particulier, n'aura rien elle s'appliquera complète en que tirée adéquate. Et ce ne sera rien autre de Dieu, considéré sous un certain vous éliminez l'individuel, Si pas difficile n'est le Tout, c'est-à- évidemment. dire Dieu, s'impose trop Le à l'attribut entier, elle sera ici d'atteindre l'idée de Dieu, mais de former correctement une seule idée adéquate. s'agit Il commune de séparer la notion ralisations, des Chose, et des « termes des autres géné- transcendant aux « universaux », l'Homme, », l'Être, la le Chien, le Cheval, termes qui ne sont dus qu'à l'obscurcissement à la confusion des images. C'est tout un et de traité logique génétique que Spinoza recomiait qu'il devrait écrire-. Il se borne à reprendre, en manière d'indica- tion, sa théorie des trois modes de connaissance 3. Mais cette théorie, qui avait sa Court Ti'aité, pleme un sens déjà moins Emendatione, devient ici dans signification précis dans assez obscure. Il le s'agit le De moins modes de coimaissance que des moyens de former des des notions universelles. Nous les formons, soit d'après une expérience vague ou des signes (premier genre), 1. au Coinjiliquons méine les données. Mettons le même rang que l'Étendue. Qu'il ne seulement de « propriétés moins de chacune de ces que ces propriétés communes ])ropriétés » une se trouvent unies Mouvement, par exemple, soit plus question d'Attributs, des choses. « dans notion 11 commune le corps, les mais ne se formera pas », et notions de même communes s'uniront entre elles, jusqu'à être embrassées par l'idée totale, l'idée de Dieu. 2. Pr. 40, se, 3. Vr. /jO. 1. se. 2. 101 l'kthique. soit « par les notions comnuincs « » (second genre j, soit en allant de l'idée adéquate de l'essence formelle de certains attributs de Dieu à la connaissance adéquate de La place l'essence des choses » (troisième genre). médiaire entre la connaissance sensible sance intuitive est occupée ici inter- et la connais- par la notion comnmne. La connaissance par notions communes semljlo sopposer à la connaissance sensible en ce qu'elle serait non passive active et ' , à la connaissance intuitive en ce qu'elle saisirait les propriétés universelles, même sence des objets 2. non l'es- Mais ce n'est pas clairement indiqué. Spinoza, d'ailleurs, remplace bientôt le terme de commune « notion suffît alors » par celui d' « idée vraie de mettre en propositions le en s'arrêtant parfois pour montrer lione, aux objections classiques certitude : il 3. ». Il lui De Emendaqu'il répond L'idée vraie enveloppe la n'y a pas de règ'le de vérité plus claire qu'une idée vraie ^. L'idée vraie nous est seule donnée : l'erreur n'a rien de réel, c'est une connaissance incomplète par excnqile, connaître mes actions sans en con- : naître les causes et l'éternité 1. Dans : 5. L'idée vraie enveloppe la nécessité la notion de futurs contineents est l'Entretien avec. Tschirnhausen, elle est (Stein, p. 281). 2. Cf. V, 3r,, 3. Pr. 43, se. 4. Pr. 43 5. Pr. 43. : se. Veritas se. nonna sitiei falsi est. une nommée pragmativa 202 BEXOIT DE SPLXOZA. notion tout imaginaire dont on voit aisément la genèse L'idée vraie, eofin^ ou même ^ d'un objet quel- l'idée conque, enveloppe l'essence éternelle-infinie de Dieu. C'est la proposition essentielle, celle la contradiction des Dans l'énoncé, acte de » deux méthodes suivies par l'auteur. n'est question il l'objet. où fmit par éclater que de La démonstration en l'existence « su]3stitue à l'exis- tence en acte, l'essence de l'objet, entendue au sens substantialiste, l'esseiice qui envelopperait Comment divin. en l'existence un attribut acte, c'est-à-dire la un at- difficulté est l'essence de cette chose, et, j)ar delà l'essence, même? La tribut divin et la Substance insurmontable, Spinoza il pure simple présence d'une chose, peut-elle envelopper et l'a montré plus haut. Il la sent; propose en note une solution intermédiaire serait atteint à travers l'existence proprement 2. Dieu dite des choses, à la condition d'entendre l'existence au sens de persévérance dans faudra reconnaître, l'être. On ne peut comme le fera il s'en tenir là. Il plus tard, qu'en- tendue en ce sens, l'existence n'est pas perçue dans les choses, mais seulement en nous. Je sens, en moi- même, mon éternité; je ne sens pas dans les choses la leur. On est ramené à la théorie précédente, avec laquelle le reste de Y Éthique est en continuité, et la série des propositions que nous venons d'examiner semble ainsi décidément un épisode inutile, En façon d'appendice au second 1. Pr. 'i4, ses corollaires et sou scolie. 2. Pr. iS, se. une surcharge. livre, et presque 203 l'ktiiioi'k. sans la forme géométrique, s'ajoute une J>rèvo lliéoiie (le la volonté, qui, sans se trouver nécessaire ici, in- « téresse toutefois la vérité de la spéculation et la sagesse de la pratique ' La ». d'un mot. La volonté se vcjici confond avec l'entendement. Une volition n'est autre chose qu'une idée que concevoir un triangle, et affirmer ses trois angles sont égaux à deux droits, c'est une même chose. Encore faut-il prendre soin de distinguer les idées des images et des mots. L'on images des choses dère On : comme sont les idées que l'on consi- et ce de pures habitué aux est fictions, fruits de la les croit des figures muettes, tracées sur On ne prend pas garde fantaisie. un tableau. à leur réalité agissante. D'autre part, on croit opposer la volonté à la pensée, on oppose seulement les quand mots je veux, je décide, à : pensée. Agir, c'est penser, — Pour défendre contre de la les objections diverses des cartésiens l'identité mo- volonté et de l'entendement, Spinoza retrouve un ment la verve la courte et pressante des Cogitata. — La volonté s'étend-elle plus loin que l'entendement? La volonté s'étend plus distinctes, loin mais non que toutes sentir, l'une après l'autre, que nous ne pouvons pas par aucune volition. une que les idées claires et les idées. infinité sentir, Nous pouvons de choses; celles nous ne les atteignons — Pouvons-nous suspendre notre jugement? Non, suspendre son jugement, c'est sim- plement ne pas percevoir d'une façon adéquate. C'est atf'airc de perception, non de volonté. Il est impossible do percevoir sans affirmer; en rêve, nous sommes cer- BENOIT DE SPINOZA. 20i tains, nous ne doutons que rêvons. nous rêvons que nous si Nous affirmerions sans hésitation d'un cheval ailé, si — Faut-il opposait. l'existence aucune autre perception ne même s'y puissance pour affirmer le faux que le vrai? Non, affirmer le faux est un état négatif de l'âme, affirmer le vrai Eh il qu'il n'a mourra de soif et un il enfant, comme un homme comme un fou. sera qui se pend, Tel est, en son ensemble, ce second livre, si sommaire. re^'irement, que de faim! Pourquoi non? Ce ne sera pas un homme, mais un àne, ou, voulez, — Que absolument aucune raison de choisir? et soif, bien, état positif. Buridan? Vous supposez fera l'âne de faim et un marque dans II ou de crise. On le si si vous comme complexe, système une sorte de le dirait composé de deux rédactions concurrentes qui tantôt se pénètrent, tantôt se succèdent. On l'imaginerait imprimé, comme l'Hexa- teuque de Lenormant, sur deux encres de couleur diverse. C'est ainsi, peut-être, qu'on entrerait le dans sa structure intime, qu'on assisterait mieux presque à sa composition, au travail minutieux et double de Fauteur, à ses elForts, à ses angoisses spéculatives, à la joie de ses inventions. et le 1. On pourrait suivre dans le détail la lutte heurt des deux tendances irréductibles de son Pr. 48, 49 cl se. 205 L'iiTiiroun. esprit, le puissant licsoin d'unité qui lui a fait i'orgcr la théorie <lc l'unique Substance, et le sentiment profond de riiidividu, (jui le ramène toujours à ce qu'il y a singulier dans la personne humaine. Et si. d*' la lecture achevée, l'on n'en voulait retenir que l'essentiel, c'est au morceau qui forme drait sans doute ^, le cœur du livre qu'on revien- à ce fragment mémorable où l'ana- lyse la plus sévère de nos ignorances laisse intact en nous 1. le fondement de Pr. Il à 32. la vie éternelle. LIVRE LES m PASSIONS. Les deux livres des Passions une moitié de l'Éthique. 1677 forment (livres III et IV) C'était pour lecteurs de les la moitié la plus importante. Les éditeurs insis- tent sur elle seule dans leur préface, et l'ouvrage entier a pris de ces deux livres Spinoza invite à j)résentent, même du cinquième Le mot « cartes. si l'on n'y ajoute pas le livre sur l'éternité Éthique pour V. il. ». type un les complément fin du xvii*' siècle traité des passions. On peut Passions de l'âme de Des- la moralité, l'obliga- conscience morale. La distinction n'était pas faite entre 1. Ethique de l'ànie^ jusqu'à la » Aucun développement sur tion, la d'c< considérer en soi la doctrine qu'ils désigne d'ordinaire prendre nom le la morale et ce que nous appelons la psy- LKTHioi non plus chologic, logie. 207 i:. qu'ciitro la psychologie et la physio- Le progrès accompli sur l'École avait été de re- noncer à réternellc division de l'éthique pour fhi, « c'est le tout le les vertus pour moyens. bon et le des passions avait de était malheur de le que déclarait la vie remplacé l'étude « ses naïves descriptions thique à Nicomaque- ». ». ^ L'étude Le Rhétorique que de 1' s'agissait d'expliquer la Il fait des vertus. de cas de la faire plus d'Aristote et de On mauvais usage des passions qui bonheur ou bon goût la béatitude : » É- " na- ture des passions, leurs causes, leurs effets, d'en dé- terminer d'en l'usage, connaître, c'était déjà nous remèdes. Les les les vaincre. « Maintenant que les connaissons toutes, dit Descartes, moins sujet de une chercher les craindre » Il 3. nous avons nous reste ainsi toute littérature pleine d'observations fraîches et d'ana- lyses délicates le : Tableau des Passions humaines de Coëffeteau (1615, IGSi), \q^ Caractères des Passions de La Chambre vol. (4 in-4°, de 16i0 à 1662), ï Usage des Passions de Senault (1641), les Passions de l'àine de Descartes (1650)^. Spinoza se rattache à cette dition. 1. Il Fnss. déclare lui-même qu'il doit beaucoup à ses (le iàiiie, TU, art. 211. La Chambre, Caraclères dex passions,!. Avis au Descartes, Pass. de l'dme, III, art. 212. 2. — tra- 3. Spinoza possédait 4. Voy. encore un la Rhétorique d'Aristote (Inventaire, TiepiTiaOwv publié faussement attribué par lecteur, vers la lin. lui à p. 157). en 1593 par David Hoeschelius et Andronicos de Rhodes. (jcntili et physiolocjia cJirisliana de Gehr. tient aussi une théorie des passions. J. — Le De theologia Vossius (1G41, 2 vol.] con- 208 BENOIT DE SPINOZA. prédécesseurs 1. Que Chambre eux, La doit-il aux deux principaux d'entre et Descartes? W La Chambre, médecin de habile écrivain. morale la decine Il eut, le premier, le dessein médecine. et la la philosophie et A l'autre 3. » le Chancelier^, « Il faut, dit-il, morale tous les caractères un est de souder que mé- la secourent Tune se moraux d'une passion il prétend faire correspondre des caractères corporels et par mouvement du dehors connaître le au dedans. ment, L'entendement ne saurait agir « que dit-il, triomphe ce qu'il y a les sens si secrète- ne s'en aperçoivent^ est la description ». Son des signes extérieurs des passions. Malgré la gêne d'un style oratoire à la fois pompeux et précieux à la Balzac, il arrive à décrire, à rendre concret ce qu'il y a de plus insaisissable, Yair, par exemple, d'une personne. Pour étudier l'amour, à merveille décrira homme amoureux. gique reste, sang il tout ce qu'on observe L'explication est vrai, assez proprement physiolo- vague et III, (( Il n'y a que qui cause cette chaleur douce vaporeuse qui se répand dans tout 1. : le plus doux et le plus pur qui s'agite ordinaire- le ment dans l'amour et il dans un Praef. Non : le corps ^. defiierunt viri prxslantissimi « quorum et Pour labori induslrix nos multiun debere fatemur, qui de recta Vivendi ratione prxclara multa scripserunt. 2. St'guier. Séguier, 3. — Yoy. 2° édit., sur La Chambre, Kervilcr, Les caractères des passions, tome lin. 4. Tome 5. P. 77. I, p. ?.. Le Chancelier Pierre 1873. I (1640). Avis au lecteur, vers la 209 l'étiik^ik. touto la partie d'explication théorie complète existait il des passions. dans IKoolc une Le médecin peut l'a- dopter, en laissant la chicane. Les passions sont les mouvements divers d'une puissance obscure, La Joie une effusion de est vement d'union, l'appétit '. l'amour un mou- l'appétit, le désir, la hardiesse des élancements, l'espérance, la constance des roidusements, la colère une agitation turbulente. La Chambre bon cœur de voit que volonté, la la volonté dit-il, aime, hait, se réjouit, môme espère de la ment mental, se représente est d'avoir un moment et .!. aime à le montrer^. dégagé « où môme ils se l'ap- lieu, qui se endroit et ne sor- forment^ », — notion se diviser en appétit concupiscible et appétit irascible. Avis au lecteur. Par exemple tome Tomel, maintenu qui ne demandent I, p. 'j8 : « L'union qui se p. 58-59. — BENOIT DE SPINOZA. Voy. aussi dans ri4;-/ par l'appétit est lait plus parfaite que celle qui se fait par la connaissance. 4. et changement de en un tent point de la puissance I, donne mouvements de de mouvements ni succession de temps, ni Qui peut Il ou d'un paquet de sang. flot pétit, c'est-à-dire Tome » toute affection de l'àme par l'image Son principal mérite I. La aux jugements qu'elle im- contre l'École la notion curieuse de •?. n'y en médecin, de façon toute matérielle; voit l'âme il font en « s'attriste, craint, façon que l'appétit-. c'est-à-dire Il vague d'un Il dit. à ce qui est dans la passion propre- n'est pas intellectualiste et il intellectuel. doublure de l'appétit proprement peu d'importance plique; ou appétit se passerait de » de connaître les hommes. Il BENOIT DE SPINOZA. 210 comme bâtarde d'où sortira pourtant d'un germe la conception du devenir intérieur. Avec La Chambre cette notion entre dans la tradition philosophique. Descartes la gardera en changeant seulement le terme de motus par celui de commotio pour marquer qu'on ne peut isoler l'appétit tière. bien de Fànie tout en- qu'il s'agit Spinoza lui-même, bien à immobiliser cpie porté maintiendra que la joie n'est pas une posses- l'esprit, sion, et que la une privation, mais n'est pas tristesse qu'elles sont l'une et l'autre des passages, des altéra- mentis mutationes^. tions, Iransitiones, Dans les Passions de Ichne, Descartes maîtrise la tentative exemple dans La médicale de lieu de simples descriptions il reprend avec Chambre. Au sur le pouls par fait, les diverses passions 2, des expériences précises transformées aussitôt en hypothèses. Les ressorts les plus ingénieux sont imaginés, avec une in- croya])le fécondité d'invention. Ils se tant à l'unité. Au ramènent pour- lieu de faire venir la tendresse cœur, la colère du l'envie foie, de la rate. du Descartes rapporte tout au système nerveux. Passions, mémoire, imagination, attention, effort musculaire ne sont produits que par l'action des nerfs et gulier du vent très subtil qu'on par le nomme pouvoir les sin- esprits animaux, qui peuvent reproduire, singer chacune des (1" partie, (liv. I, ch. 1659) tout un chafiitre consacré aux niouvemonls 3). App. 1. Elh., 2. Pass. de l'âme, III, 3, cxplicat. ; — art. ït" el suiv. III. 11, se. do l'ûine LKTIIIQUK. actions fies nerfs. Toutes 'lli puissances du corps se les trouvent centralisées dans un orpane, une glande de cerveau, dans glande pinéale. cet orgaiio, la Ce système neuf et simple le fait tomber les explications lÉcole. Ouvertement Descartes les dédaigne. de même que le corps, simplifie largement l'esprit. il lieu d'opposer n'y a pas De les appétits l'âme sensitive à l'Ame raisonnable. « Il aux volontés, La même qui est sensitive est raisonnable et tous ses appétits sont des volontés 1. » L'âme est une. Pourquoi la partager entre deux seules facultés de désirer les N'a-t-elle pas encore la d'espérer, de craindre? et de se fâcher? faculté d'admirer, A la vérité, si l'on des passions, ce n'est pas une tendance appétit qu'on rencontrera, c'est idée. Descartes se Aristote même va au fond obscure, un une représentation, une retrouve avec les stoïciens contre pour faire naître les passions de l'opinion, par le désir qu'il a de les mettre au pouvoir de l'Ame. ne faut pas dire, Il d'aimer, comme altèrent les jugements, mêmes il Aristote, que les passions faut dire qu'elles sont elles- des jugements confus. La tristesse et la joie se réduisent à des idées plus ou moins obscures. Toute l'utilité des passions est de faire subsister en l'Ame les jiensées qu'il est Ijon qu'elle conserve, tout leur de les faire l'Ame d'idées pensées; tout 1. Art. 2. Art. 74. i7. danger subsister trop longtemps ou d'occuper insignifiantes'-^. le reste est Il n'y a en l'Ame que puissance occulte, sans réalité. BEXOIT DE SPINOZA. 212 Pour expliquer toutefois on a conscience dans les combats intérieurs dont Descartes suppose passion. la une action du corps sur l'âme, réciproque de de l'âme sur corps. le l'action Tout ce qui est passion dans l'âme doit être action dans un autre sujet, c'est-à-dire dans Le combat n'est pas entre deux puis- corps. le sances de l'âme, raison et passions, mais entre la force de l'âme et la force du corps. Pour que l'analyse soit complète il faut donc reconnaître un autre élément dans la passion que la pensée : un ébranlement ou changement [commotio), causé, entretenu et fortifié par quelque mouvement des nerfs ^ II De la doctrine de Descartes Spinoza retient la réduction de la passion â sacrifie il tion ne le reste, l'hypothèse du corps sur lui un l'esprit. semble pas fondée ; l'essentiel, état intellectuel, physiologique mais et l'ac- L'hypothèse physiologique la glande pinéale n'est pas placée dans le cerveau de façon à recevoir facilenient tant d'impulsions diverses et « tous les nerfs n'aboutissent même pas aux ventricules du cerveau' ». Il se désintéresse aussi bien des recherches sur l'expression des passions, tremblements, pâleur, sanglots, 1. Art. 27-29, cité par Spinoza, Eth.. V, Prœf. 2. Eth., V, Praef. ienduntur. — ^onomnex nervi ad cuvilates rire, xisque cerebri pro- 213 LJ:riiic>LK. autres signes corporels*, et de tout ce qui se rapporte spécialement à la médecine 2. Quant à l'action du corps sur elle l'esprit, Traité^ où ne viennent pas du corps sions Court le ni de ses mouvements, du corps en tant que représenté dans tout au i^lus prit, dans répugnait déjà lui enseignait contre Descartes que les pas- il toujours en somme l'es- d'une idée^. Maintenant il déclare hautement que l'action du corps sur l'esprit une hypothèse plus occulte qu'aucune de est dont Descartes de s'est passé* et tout autant que l'action l'esprit sur le corps. Le corps nent pas de relations entre eux comme ou identiques ou les distingue, l'esprit C'est par le celles et l'esprit n'entretien: comme il faut les considérer indépendants. Si on corps doit s'expliquer par le corps, l'esprit. donc dans l'esprit seul que seront étudiées la naissance et la croissance des passions. La part de construction métaphysique et d'invention en sera diminuée, la part d'ohservation accrue. Spinoza aura moins que Descartes l'esprit d'hypothèse, mais plus lin il aura un sens de la délicatesse des analyses intérieures. Sans la bien dégager, Descartes avait appliqué cellente méthode de comparer plutôt même sions chez la chez des personnes 1. m, 'î. Voy. Prœf. 5',t, se, personne qu'une difl'érentes, différentes pas- même : ... Court Traité, 4. i:th., V, Prœf. hoc enim ad inedicinam spcctat. II* part., cli. — III, l'.), Pr. 2. se. fin. passion méthode qui lin. 3. l'ex- por- BENOIT DE SPIXOZA. 214 met de suivre chercher transformations des les passions, de' certaines d'entre elles ne sont pas l'étoffe si Spinoza (les autres. montre à de Descartes la suite qu'un grand nombre de passions sont les aspects di- vers d'une seule passion fondamentale. Son classement, mais est vrai, n'est qu'ébauché, il lui-même grande importance dans le même Descartes. En i. il n'y donne meilleur parti tire Il pas sens d'une observation singulière de romans lisant des spectacles, Descartes avait et en assistant à des admiré que nous pussions éprouver des émotions pénibles tout en gardant plus intérieurement une émotion tout autre, le plaisir intellectuel de les sentir exciter. un homme peut perdre De femme sa même qu'il encore, dit-il, ne voudrait pas voir ressusciter et cependant l'appareil des funérailles, la privation restes d'une conversation habituelle, quelques d'amour ou de piété peuvent lui tirer de bonne des larmes 2, Ainsi des émotions sincères et oppo- foi peuvent se disposer dans un sées plans différents ; il même esprit à des seulement de savoir quelle est s'agit V émotion intérieure. La règle de Descartes est justement même qu'au-dessous de l'agitation de faire des passions particulières, la paix intérieure reste une disposition constante, 1. 11 comme une note rapporte indifféremment Ai)p. 32, Expl., et 27). Il fait le de musicale continuelle- regret à la tristesse ou au désir la (III. miséricorde une forme de l'amour (App. 2i), et de la pitié une forme de la tristesse (App. 18), ot cependant la miséricorde n'est que la manifestation extérieure de Explic). 2. Pass. de l'âme, art. 147. la pitié (App. 18, 215 l'éthique. ment Une tenue'. thode de Spinoza telle conception convenait à la mé- d'allci" à Fintérieui' des choses. se Il montrer que deux passions que l'École oppose, plait à la pitié et l'envie par exemple, peuvent manifester une même tendance jjrol'onde, la tendance à la sympathie, de même que rire et pleurer chez les enfants expriment même impulsion à faire ce qu'ils voient faire'. De môme encore il n'y a pas de crainte sans esl;i pérance, pas d'espérance et l'envie sont jointes ; un fond commun l'humilité ont pentir ou le sans crainte 3; l'émulation malgré leur différence l'orgueil : l'ignorance '* ; et le re- contentement de soi révèlent surtout le fond de sentiments moraux qu'on a reçu de son éducation première 5. En allant toujours plus profond, on qui est pour Spinoza le fond rencontrera à la fin ce dernier de l'âme, le désir. Entre Descartes et Spinoza la différence est dune observation isolée à une méthode suivie. Par cette mé- thode plus de nuances sont perçues dans de plans s'y disposent. Si la l'esprit, passion est, plus comme le veut Descartes, une idée qui persiste, l'idée doit être aussi une passion qui idées comme d'elles a nait. Art. 148. App. 13, oxplic. 4. IV, 55. 5. ; une coloration fuyante d'émotion. Les 2. II, 32, se. 3. ne faut pas imaginer incolores ou peintes sur la toile tions des scolastiques sont 1. 11 App. 27, explic. les chacune distinc- moins à rejeter qu'à fondre BENOIT DE SPINOZA. 216 ensemble dans la continuité de l'esprit. Il faut dire sans doute, avec Descartes, que l'âme est une, qu'elle agit et par pâtit le même principe ^ mais on peut parler, mal- lame même gré Descartes, d'une lutte dans entre la raison et les passions, à condition de voir par quels sions. pour vaincre fait passion degrés la raison se les pas- parler de la puissance propre en On peut de l'entendement, mais la liberté intérieure, On choses mentales. ici il Tâme surtout, dans la question de faut sentir la complexité des comme ne peut admettre, les pre- miers stoïciens, que nous ayons un pouvoir immédiat sur nos passions, ni comme Plutarque, suivi par Des- que nous disposions sur cartes, dressage d'une sorte de elles Nous ne sommes pas plus maîtres de nos 2. passions que de nos rêves ^. La passion a une vie propre; la vie de raison et d'amour est plus intérieure et tout autre. La passion Elle n'est pas en créé artificiel âme est comme un être dans l'être. moi mais autour de moi, véritable être non dans mon âme, mais entre mon et les objets de ma passion^. cartes la jouissance large de On sent dans Des- l'homme qui fait corps avec ses passions; dans Spinoza, au contraire, le senti- ment plus 1. V, 2. Voy. fin de ce qu'il y a de tristement extérieur 4, se. la fable des deux chiens (Esope, f. 92 et 394); dans Plutarque, De liber, educ. art. 50 (renouvelée), et dans Spinoza. E(h., V, Prœf. Fable, VIII, 2'j.) 3. III, 2, aC. 4. III, 3, se. et Apopht. lacecL; dans Descaries, Pass. — (Cf. de l'âme, La Fontaine, 2n l'kthique. nous-mêmes dans à passion qui nous la emporto. Mais l'appoit nouveau et capital de Spinoza est du théorie commun On désir. avait cherché avant lui la un fond aux passions, Descartes l'admiration, La Ho- chefoucauld Tamour-propre. Mais l'admiration n'est pas une passion, une nuance particulière que peut c'est prendre toute passion quand ne elle est nouvelle et qu'on pas encore imaginé de cause*. L'amour-propre lui a peut être accepté, mais à condition de ne pas l'entendre avec malveillance de voir en comme font les misanthropes, mais tendance invincible de la personne à lui la persévérer dans l'existence. Cette tendance, Spinoza l'appelle le désir. Nous avons être au contre de sa doctrine fondement à l'éternité dégagée dans naissait pas même de l'âme. Elle : le premier n'était pas encore Spinoza n'y recon- mais des désirs particuliers, de désir, ne reconnaissait pas une volonté, mais des qu'il volitions un donner et Court Traité le montré qu'elle devait Exemple d'une exigence logique du ~. tème qui conduit à une analyse j)lus fine sys- de la réa- lité. Le désir est l'essence même de la personne, non son essence intelligible, mais son essence donnée, actuelle'', la racine de son individualité. Ce qui tend à subsister, c'est l'individuel 1. III, 52, se. — de nous-mêmes. Le désir n'exprime Cf. III. 2, .se. Les hommes 2. il Court Traité, est abstrait 3. III, 7 de dém., tel II, ou ch. 17 tel : « ignorant la véritable cause Le désir pris en général nest rien de réel, : (( d'une action en sont réduits à l'admirer. » désir particulier, a — data sive actualis esscntia. BENOIT DE SPINOZA. 218 pas en nous prime l'effort Fàme dans l'âme et le de la Nature universelle, l'effort de notre nature propre. seule il corps il est volonté, si est on Si on ex- prend le prend dans le appétit', en soi il il n'est que ridée spéciale qui constitue notre âme. en tant que cette idée — Le persiste. Comment indéfinie. désir enveloppe la dissolution du corps elle?Une idée ne peut être détruite non par l'abolition de l'objet Le désir dépasse la mort de la cjue nous souvenons. Le bien biens. homme même façon que sou- dont nous l'éclielle des que nous désirons -^ Chaque a une nature donnée voilà : cette nature et ce qui se rapporte^ plaire, l'appelle bien il spécial à chacun qui est primitif. : le ou non à ou mal. Le bien bonheur cet exem- est, à l'origine, est essentiellement singu- Suivre sa nature propre est en quoi consiste toute lier. la vertu un même le forme pour lui-même un exemplaire idéal de se Il ce par une idée, elle se rapporte'^. Le désir enfin crée c'est l'atteindrait- auquel venir subsiste après qu'est aboli l'objet — une durée '. C'est pour l'individu un droit imprescrijDtible, droit naturel et sacré, le plus sûr fondement, au morale reste, de toute La théorie du noza la théorie 1. IH, 2. III, 11, St. 9, dominatrice se; —111. 3. III, 9, i. Ibid. et III, 37, se. IV, 18, se. IV, 37, se. 2. ; 39, se. — Déf. ô. - désir est dans les derniers écrits de Spi- se. 6. sociale'*. 8. ; il la reprendra dans le Traité 219 l'éthique. (h Politique. Par oUc, à côté de l'explication cartésienne des passions semble il laisser une place à l'explication scolastique, puisque le désir peut être appelé avec la conscience de lui-même c'est de la ' qu'on doit rapprocher sa théorie ; Plus justement, ». conception stoïcienne de la « l'appétit « nature propre » ce serait' dans Grotius dans une inspiration stoïcienne plus profonde que et chez faudrait chercher l'origine. d'admettre plusieurs explica- soit, le fait tions, le souci de n'en sacrifier aucune, où nous avons vu un défaut dans ici la en Descartes qu'il Quoi qu'il en les parties grande valeur de la de construction pure, font méthode en une matière où l'analyse ne peut risquer d'être trop riche. qu'aux stoïciens, aux scolastiques prend l'essentiel — De même et à Descartes, Spinoza aux écrivains récents qui parlaient de mouvements de Vàme. joie et de la tristesse Il : tire d'eux sa conception de la la passion ne persévère pas sem- blalde à elle-même, elle est instable, changeante, elle a des hauts, des lias, qui se (lu marquent dans une partie corps par une titillation agréable ou au contraire une douleur, dans l'ensemble du corps par un senti- ment général de bien-être joyeux [hilaritas) ou d'abat- tement qu'on appelle de façon générale la joie ou : c'est ce la tristesse -. — Par un tel soin de ne rien perdre d'essentiel de la tradition philosophique, Spinoza par- vient le premier à donner une analyse entière de la passion, en en distinguant les trois éléments fondamen- 1. Appelilus cton ejusdem conscientia, 2. III, II, se. III. 9, il. 220 BENOIT DE SPINOZA. taux durable, les états intellectuels qui lali- le désir : mentent, rémotion agréable ou pénible qui le colore. m Suivons à partir de là le développement d'une passion, de l'amour par exemple. Ce qui sera dit de l'amour pourrait se dire de la haine, en faisant la transposition. Sous la sécheresse des monstrations énoncés et la prolixité des dé- faut sentir la délicatesse de l'analyse. il Toute passion se nourrit d'images. Le début de l'amour est une merveilleuse précipitation de pensées. On a mage l'i- constante et vive de la personne que l'on aime, de mille circonstances qui l'entourent, de mille scènes où elle figure Un monde . factice se crée où l'on vivra désormais K L'amour ne s'attache pas à une seule image, il se diffuse; symboliques. comme la dévotion, Un rapprochement passion. il a besoin d'objets L'homme passionné rapporte tout à sa accidentel, une blance puérile ont un sens pour lui ~. Là ressem- se trouve l'ex- plication des étranges sympathies qu'il éprouve, sans qu'il faille recourir cartes 3. Les choses perdent pour lui leur indifférence, chacune d'elles 1. 2. :}. m, m, m, aux explications physiques de Des- 12, 13, et se. 15, IG. 15, se. — le blesse ou Cf. Descartes, Pr. le fait jouir, et, de la Phil., IV, comme — Le mot faits réputés 187. de sympathie avait été récemment créé pour designer des occultes qui, surtout depuis Bacon, préoccupaient les esprits. le 221 l'éthique. mômes peuvent lui sembler tour à tour favorables funestes, sou Anic est vérital)lement ballottée K II et a en outre la triste manie de se représenter grossièrement le futur; des images contraires lui apparaissent comme égiilement possil>les; l'espérance et la crainte, toujours unies, entrent dans son âme dont la fluctuation aug- mente -.Une contagion existe enfin entre lui et la personne qu'il aime. Il et le lot Après prend ses passions, il lui transmet les siennes de chacun se grossit de celui de l'autre les ^. — causes qui ont peu à peu enflé la passion vien- dront celles qui vont la transformer. Le souci d'aljord de l'opinion. L'idée vague d'être loué ou ])lâmé se mêle à la passion. Les hommes passionnés ne vivent pas uniquement dans leur passion les autres et, Ils chose étrange, '''. ils Ils se regardent les uns veulent se ressembler. ont un féroce sentiment de communauté. Si l'un d'eux se complaît à la possession d'un jouir, les autres feront effort plus On ^. pour dont lui seul peut qu'il ne le possède La même exigence s'applique à la personne aimée. la veut semblable à et fait soufl'rir. soi, la moindre différence choque Vous voulez que toutes ses pensées se vous apercevez qu'un autre y une part, une doulîle passion se met à vous em- rapportent à vous, et ait o])jct si poisomier, l'envie pour le rival et la haine pour la personne que l'on aimait, haine 2. m, m, 3. III, 21. î. III, 20. .-). III, 32. 1. 17 et se. 18 et scolics. que les plus sales BEXOIT DE SPINOZA. 222 imaginations nourrissent. C'est la funèbre jalousie où s'achève la destinée banale des amants K Certaines propositions de Spinoza ressemblent aux « maximes table finesse les mêmes : « littérature mo- Celui qui se souvient d'un objet qui charmé désire fois l'a circonstances . aimé d'une personne et sujet cl amour, on aucun la Quelques maximes sur Famour ont une véri- raliste. une en vogue alors dans » — Mais le » le — posséder encore et Quand on imagine « avec être qu'on croit ne lui avoir donné est porté plus souvent toute soi-même à l'aimer. » subtilité est bannie. Ce sont des vérités simples, des théorèmes qu'on pourrait saturer d'expériences particulières, mais qui restent énoncés nûment. Voyez les théorèmes qui se rapportent à la haine. — La — La haine saccroit de tout l'amour aboli pitié l'entrave 3. — Celui qui -. a quelque objet de haine s'etforcera de lui faire du mal, mais tant seu- lement grand qu'il '*. ne craindra pas de sa part un mal plus — Celui qui s'imagine qu'une persoime qui lui était indifférente a été poussée par la haine à lui causer un certain mal, s'etforcera incontinent de lui causer ce même mal '\ — Les haines de nations ne sont possibles que grâce à des mots ", une collection d'individus sous un 1. •>.. 3. m, m, 35 et se. 38. III, 27, cor. 2. 4. III, 39. 5. III, 40, G. III, 4G. cor. 2. parce qu'on désigne môme nom : Anglais, l'ktiiioue. — La joie Juif. ([uc donne -l-l'-i haine n'est jamais pure K la — La haine s'augmente quand elle est réciproque, mais elle peut être vaincue par lamour. Vaincue par l'amour, devient de l'amour et cet elle que s'il amour n'eût pas été précédé de la haine une passion largement comprise, par et est plus les -. — grand On grands sent traits vue à plein. Mais Spinoza ne veut pas s'arrêter à ces analyses. suffit que l'essentiel soit retenu. 11 La caractéristique des passions est une certaine manie de rechercher des causes. Si nous avons de la joie, nous voulons lui trouver une cause spéciale. Il nous répugne de trame universelle des causes dissiper^. Toute : la rattacher à la cette pensée suffirait à la passion est superstitieuse. Elle attribue à certains objets ou à certaines personnes le privilège de distribuer joie et tristesse. Il faut un effort rebutant de réflexion pour comprendre que l'unique cause de nos passions c'est nous-mêmes, que nos passions ne suivent pas les variations des choses mais nos propres variations '^ attrister et Reste à chercher si cette pensée doit nous nous humilier ou assurer au contraire notre paix intérieure''. Qu'il suffise de savoir maintenant qu'une passion révèle seulement la nature propre d'un individu. Dans la passion tous 1. III, 47. ?.. III, pr. 43, 44. que ce n'est pas III, 5. III, 50 et .")(, se. se. entièrement nouveaux. Spinoza démontre, avec trop de sérieux peut-êlie, une méthode 3. III, 49. 4. — les cas sont ;\ suivre pour arriver à l'amour (ill, 44, se). BENOIT DE SPINOZA. 22i même passion diffère suivant Fobjet pas le même pour une femme, pour un La : telle femme ^; l'amour n'est pour enfant, surtout suivant les sujets. elle diffère Elle révèle l'essence irréductible, singulière de l'indi- vidu, sa personnalité absolument unique le ^. La passion, bonheur, la vertu, autant de choses purement indi- \iduelles, autant de l'individu ^. Le troisième livre passions mots qui nont de sens que pour ^; c'est se termine par des définitions de la partie la plus faible. Ces définitions sont abstraites, sèches, elles taillent arbitrairement des types de passions trop simples. Bien qu'il s'en défende l'auteur y explique plutôt la signification des mots la nature des choses. n'est 5, que La définition générale des passions guère qu'une ingénieuse combinaison de termes. Les deux défauts spéciaux du livre ressortent ici da- vantage, la discontinuité des propositions et la crainte d'aller au Politique détail. est Ce qui en défaut est ici. d'un plan très riche auquel l'exécution. 1. III, 56, se. 2. III, 57. — 3. IV, Def. 8; 4. Appendice. 5. App. 20, explic. 18, se. de trop dans le Traité de On garde l'impression manque le prix que donne LIVRE IV LE STOÏCISME. Spinoza dans ter le troisième livre n'a des passions pour elles-mêmes. éléments essentiels dont il indique certains faudrait tenir compte dans une théorie complète des passions, ple, qui, Il pas voulu trai- pour dissoudre l'amour, la satiété, par exem- est aussi sure que la jalousie^. L'étude qu'il a faite des passions reste subor- donnée à la détermination morale du nous disposons sur les deux derniers engagé par leurs deux livres en elles-. livres A pouvoir dont cet objet sont consacrés de Y Éthique. Bien qu'on y titres, il soit ne faut point disposer ces une sorte de double tableau passions, puissance de l'entendement; : force des esclavage, li- berté. Ils traitent l'un et l'autre de la liberté morale, r plus exactement de livre est « l'homme libre » complet par lui-ineme; il . Mais le quatrième fait entendre de façon pleine et suffisante ce qu'est l'homme libre. Le 1. III, 59, se. 2. III, 56. — Ad id quod intendimus, nempe ad affectum vires et mentis in eosdem potenliam, determinandum, nobis sudicil uninscujus- quc afïectus generalein iiabcre BENOIT DE Sl'IXOZA. detiiiilionein. 15 BENOIT DE SPINOZA. 226 cinquième livre est un approfondissement non une , contre-partie Rappelons dans quel courant moral ^^[vait Spinoza. Plus que les autres, ce sont les idées morales qui for- ment le Leibnitz fond commun d'une génération d'hommes. accuse Spinoza de renouveler le stoïcisme i. Rajeunie, c'est en stoïque que nous effet l'inspiration allons trouver en lui. On pourrait de la doctrine tes ». suivre depuis le xvi^ siècle le progrès aux Pays-Bas, au mépris des choses confite « En France, les gens d'Église les philologues : fortui- Charron, du : V'air, Juste Lipse, Scioppius, s'employèrent à la répandre. En 1606, la Manuductio ad stoïcam 2^hiloso2:)hiam, lation tout de Juste Lipse, mit en circu- un paquet de paradoxes stoïciens, maximes brèves, portatives. « Le sage est pareil à lui-même et toujours dans la joie. Le sage est sans passion, imper- turbable. se suffit ne Il lui arrive rien à il ne s'attende. il en remuant le petit doigt cable. Seul il : seul est libre, les autres sont esclaves. riche. Seul est il est vertueux. Il est il Il est Même impec- beau, seul noble, seul citoyen, magis- trat, poète, orateur. folie, l'ivresse. Il 1. quoi à lui-même. Tout lui appartient Il ne subit jamais ne pardonne pas, Les deux Sectes de naturalistes, ai". il l'injustice, n'a pas pitié. la Il Slein, LeiOn. u. Sp., p. 308. 227 l'éthique. a le droit, niort^ de l'obligation (quelquefois Le nouveau stoïcisme n'est pas, tant s'en » Avec tout point authentique. confond F^ipse les comme stoïciens, sur la faut, Juste de Jo- foi mêle Tertullien, Lac- leur Cicéron, les poètes latins, les orateurs latins. propre Le Il les môme, cyniques et sèphe, les pharisiens. tance, de se donner la nouveaux stoïques sera de des fera Spinoza, les que grecs. Ce des xvu^ siècle a appelé stoïcisme est en le grande partie ce l'antiquité mettre, latins bien au-dessus qu'il a reconnu de lui-même dans latine. Deux ans après Juste Lipse, Gaspar Scioppius donna des « Éléments de philasophie stoïque ». Mais c'étaient encore d'assez pauvres hères que ces philologues. Juste Lipse, caractère fantasque et superstitieux, Scioppius, cuistre et malhonnête homme. La fortune pour cisme fut d'être adopté par la société polie. le stoïIl se ré- pandit par la conversation et les exemples. A l'époque de Balzac, de Corneille et de Descartes, devient en France l'école des grandes âmes, Balzac donne le et il en matière morale, ton à ses correspon'clants étrangers, Descartes à la princesse Elisabeth. Les stoïques constituent en chaque pays une sorte de parti moral. Des variétés nationales subsistent pourtant. vertu stoïque garde tificiel. un 1. Manuductio..., 2. Aulogr., p. 255. la santé liv. III, la caractère oratoire, tendu, ar- Pascal en pourra dire ments fiévreux que En France, 3 à fin. : « ce sont des ne peut imiter- mouve», et Ma- BENOIT DE SPINOZA. 228 lebranche « : donne dans ce n'est que la du fard et du plâtre qui ne vue que de ceux qui n'étudient connaissent point la nature ^ ». En Angleterre, et ne le stoï- cisme, tout parfumé encore dans Bacon^ du miel de Montaigne, s'aigrit et se renfrogne dans le pauvre Gataker^ et devient décidément morose et cynique dans lugubre Hobbes. La pousse le en Espa- est plus forte gne, dans la patrie de Sénèque. Francisco de Quevedo^ fut salué clair, comme « un un Zenon moins dur, un Antipater plus Cléanthe vivant, un Sénèque chrétien^ commenta, imita un Chrysippe Epictète espagnol, les lettres ». de Sénèque. sa prison ses œuvres stoïques, où il Il Il bref, un traduisit, écrivit veut faire, de dit-il, de son bourreau son instituteur, défier la divinité sans crime, sans orgueil et sans colère, suivre la doctrine des stoïciens aussi loin qu'elle est compatible avec la foi chrétienne. Mais son stoïcisme se réduit, peu s'en faut, à la glorification de la souffrance acceptée avec dédain; l'orgueil stoïcien se confond avec la morgue castillane. C'est dans 1. Rech. de la 2. Sermones le pays des Académies de belle humeur, Te/-., liv. III, 3= part., ch. 4.' fidèles (1597-1625), le seul ouvrage de Bacon que Spinoza eut dans sa bibliothèque [Inventaire..., p. 193). De disciplina stolca Un des auteurs favoris de Spinoza. (Voy. Inventaire..., les seclis aliis collata, 1G53. p. 143 et 144, œuvres de Quevedo en double.) 5. et cum 3. 4. Le P. J. Eusebio les iruv. Nuremberg de F. de Quevedo, cité par E. p. 277. tonio de Guevara avait écrit son ~ Un Mérimée, Essai sur la vie siècle Marco Aurelio avant Quevedo, An- (1529), avant m(^me la découverte à Heidelberg des pensées authentiques de Marc-Aurèle (1558). 229 l'éthique. chez les Hollandais, fleur. Il que second stoïcisme porta sa le donna à ces braves gens une grande noblesse sans leur ôter rien de leur bonne grâce. Après la génération roide et têtue de la guerre d'indépendance, une génération plus vint fine d'hommes qui, avec Gro- Barnevcldt et les Remontrants, se relâcha des tius, préoccupations militaires pour faire pénétrer un peu de justice entre les peuples, un peu de tolérance entre les sectes. Et plus tard, quand la foule s'avilit et courut à la servitude, au milieu de la société bouleversée et de la religion en délire, leurs successeurs montrèrent quelle peut être la force d'un idéal moral. dans leurs portraits, manteau noir On les voit et collerettes blan- ches, tête haute, mains maigres, regard droit, maintien La morale stoïque ne cessa pas fier. gnée à l'université de Leyde, mais dans les cœurs. et désirer le avait un sa prison. Aux uns d'être ensei- elle était elle faisait avant tout braver la populace martyre civique, mais chez d'autres sourire. Grotius sut Ne suffisait-il elle échapper avec grâce de pas de ne pas penser à la mort sans encore la souhaiter? Jean de Witt disait simple- ment qu'il est indifférent d'être ou par morceaux ^ Spinoza mis au cercueil entier disait que la sagesse n'est pas la méditation de la mort, mais la méditation de la vie"-. Dans l'entourage immédiat de Spinoza, 1. le Le mot se trouve en réalité dans une lettre qui la famille lui est adressée par député Kayser, compagnon de captivité de son père. Voy. Lefèvre-Pon- talis, 2. Jean de Witt Eth., IV, G7. , I, p. 110. 230 BEXOIT DE SPINOZA. de Witt nous montre ce qu'étaient alors des âmes de stoïciens. — Le père, Jacob de Witt, à ses enfants humeur de sa prison J'attends avec patience, je suis en bonne « : me ei je écrit trouve fort bien... Soyez courageux également, vous autres, et ne vrance que ce qui est convenable enfants refusent, en et ma pour faites rien honnête déliet ses », de faire aucune démarche, effet, ne voulant pas, en intercédant pour leur père, paraître faire ses de lui un coupable. écrivit fils, timents un livre, « 11 simple expression de ses sen- compléta par des sentences », et le son repas du soir; vait tous les jours après nua jusqu'au jour de sa opiniâtre, cassant, altier, priser la mort juges. lut 11 survécut à l'assassinat de ; il mort. dans sa prison Britannicus de Racine, il les conti- Corneille de Witt, mettait son montra à le — qu'il écri- la flotte et devant ses les poésies d'Horace, pendant une heure et, mé- orgueil à et et demie de torture, la tête étreinte entre quatre che\dlles de fer, les jambes emboîtées dans deux plomb, serrés par une jusqu'à vis balancé au ])out d'une corde, le vous êtes le frances'. » : « mon les : il os, se plut à Justu7n et te- Dieu, je proclame que grand Dieu, car je ne sens plus mes souf- — Jean de Witt fut un sage accompli. pour Spinoza plus qu'un ami, 1. briser livres, pouvoir réciter quelques vers d'Horace en ajoutant doublés de gros orteil presque arraché par un poids de cinquante nacem.. ais I-rfùTif-ronlalis, II, p. 511-.M2. il lui montra Il fut réalisé son 231 l'étiiiouk. idéal moral. L'ambassadcui' de Franco dit de lui, qu'en nulle circonstance personne ne femme s'enthousiasme rae vu en colère'. Sa l'a et lui écrit : « Je travaillerai à montrer calme en toute circonstance en apprenant de plus en plus à vous imiter 2. qu'il » Ayant ne recevrait jamais aucun présent, serment fait le il refuse gra- même un souvenir que lui offre une amie. Inébranlable comme un rocher', admirablement décieusement que sa bibliothèque, préoc- sintéressé, n'ayant de luxe cupé de sa santé, mais s'inquiétant peu de sa vie*, sa noblesse extraordinaire en impose à ses ennemis qu'elle rend hésitants. Le jour de son assassinat, frappé der- dun coup de pique qui fait jaillir le sang, enlève son chapeau, bande sa blessure de son mou- rière la tète il choir, dit : « ma Vous en voulez à — tranquillement sa poitrine. Spinoza vécut; c'est la mort C'est vie? » et découvre parmi ces gens que qu'il envia pom* lui-même. II Il put tirer parti du contenu moral de L'excellent usage était poraine. morale, au lieu de donner des conseils de détail, de tracer 1. IMd., I, un la vie contem- alors en philosophie lois formelles ou des portrait, c'est-à-dire un p. 13G. 2. Ibid., I, p. 5HI. .i. Temple, Mémoires, tome 4. Temple, Œuv. II, p. diverses, tome 506. — Lefi'vre-Pontalis, — Lel'.-Ponlalis, 111, p. 24't. I, p. 135. I, p. 53 i. BENOIT DE SPINOZA. 232 Combien type. stoïque dans La Chambre La Chambre, hardi », c'est le et dans Descartes? type tout physique de « — Dans l'homme dents serrées, narines ouvertes, taille dressée, marcher superbe, âme lancer. type du sage le ! Qu'est-il ^ dans Spinoza s'affine Les sourcils roidie ou resserrés, élevés assuré, quelquefois de travers, paupières. Il foudre prêt à le : il ne cille le s'é- regard jamais les reste silencieux ou pousse des éclats de voix courts et pénétrants. grands espoirs et du Il se nourrit en lui-même de de l'honneur. La vertu culte stoïque n'est encore qu'une posture héroïque, l'idéal espagnol d'une génération de matamores. — Toutefois dans ce portrait grossier, un trait essentiel se rencontre déjà, le mépris des de toute rêverie « mélancoliques humble ou sous ce », et nom tendre, de tout sentiment vague d'enfant ou de femme. Dans les Passions de pouvons éclairer par Vamoiir de lame de le la jeunesse prendra Spinoza est déjà Descartes, que nous Discours sur de Pascal, fixé. C'est les le « passions de type que re- l'homme géné- reux »,sa marque est d'avoir une grande passion, une passion de feu, c'est-à-dire sans mélange, qui emplit seule la capacité de son cœur autres ploient et obéissent. et à laquelle toutes les Il lui faut une plénitude de passion qui ne laisse en lui aucun vide. doctrine I pédante de l'École, que Les Caracrcres des Passions, ir vol, ch. la 1. Il rejette la grande passion capable d'excès. est grande 1 ! L'amour ne saurait « Dans une grande âme, tout » demande une remplir. La passion sera porté aux grandes choses et pour vie d'action qui il n'en est pas de plus grande que de faire du bien aux autres il n'aura pour la misère des extérieure, Il et Il en événements nouveaux. L'homme généreux éclate fois trop grand. une inondation de passion pour l'ébranler faut la être est comme celle misérable, mais il aura hommes qu'une qu'on éprouve n'aura pas la compassion qui pitié Toute- -. le pitié au théâtre. rendrait lui-même du manque de constance des cœurs que les passions ennemies déchirent en mille morceaux. La grande passion, pour Descartes, ne s'oppose pas à la raison. Elle est tout intellectuelle. C'est une préci- pitation do pensées qui se porte d'un côté sans bien examiner deur est mais tout, c'est de la pensée encore pénétrée de lumière la netteté de ^. A mesure que ; son ar- s'accroît passion grandit. Elle n'est donc l'esprit, la point une puissance obscure et presque fatale qui s'im- pose à nous ; ce sera la Phèdre de la présenter plus 1. stoïquc, Pass. de l'âme, elle nouveauté de Racine dans ainsi, mais l'inspiration ne sera sera purement II, art. chrétienne. Pour 139. 2. 111, art. 156. 3. L'émolion physique elle-même enveloppe une idée et Pascal veut jus- tement qu'on laisse naître pleinement l'émotion pour suivre aussitôt lidée qu'elle projwse. Descartes pense au contraire il conseille d'user d'industrie que cette idée pour en divertir l'esprit; conliance à la passion constante qu'à l'émotion actuelle. il « exagt-re » ; donne idus de BEXOIT DE SPINOZA. 23 Descartes, avoir une grande passion, c'est avoir pleine conscience de soi-même. La générosité consiste à (( s'es- timer au plus haut point qu'on se puisse lég-itimement estimer L'orgueil et l'humilité sont de fausses vues ». ^ sur soi-même, la générosité donne la maîtrise de soi et est une idée permet par là dérèglement des choses^. Pourvu qu'on on ne désire jamais trop^! soi, rien. « Tirer de la joie de tout le traité des Passions^.] U de jouir sans ait l'estmie de ne faut renoncer » est le Tant que juste. Elle à mot qui termine l'esprit reste limpide, ne peut y avoir de péché, car en celui qui a l'estime il de toutes les passions s'ennoblissent. soi, moral d'un grand seigneur français Louis XIII de : C'est l'idéal du t?mps de avoir l'esprit net et jouir magnifiquement la vie. Comment se transforme en Hollande ce type superbe d'iiumanité? Le apaisés, mais le remuement et la tempête fond en ressort davantage : se l'unité la vie, l'empire de soi, la paix intérieure, d'un l'homme « A première vue, les traits distinctifs subsistent, la cisme sans renoncement r homme « 1. Pass. de l'âme, 2. m, 3. II, 4. m. art. 156. art. 14 col. la libre » de Spinoza. grande passion réduite à une idée adéquate, sion de mot de làmc. L'homme généreux de Descartes de- liberté de vient sont 4. 212 fin. III, et sans abstention. le stoï- La pas- libre » reste la générosité, c'est-à- art. 153. 235 l'éthioi'K- dire l'amour'. monde il le seul n'ait forts, où un tel sera le homme puisse non plus qu'il est affaiblis parvenu à vaincre, l'idée juste joyeuse °. "\ Dans soi de Être en possession de soi par *. c'est la condition de l'action L'aversion de Spinoza pour les mélancoliques instant. Ils n'arrivent à se dégoûter des choses que parce qu'ils ont introduit par la par la le si- la paix intérieure qui vient de soi-même, chaque éclate à plus Et la générosité est à la pro- 2. donne à l'âme contemplation de la et où vulgaires ou sous leur agitation lence des 2)assions elle nouveau la fortune et portion de la connaissance de soi-même même, le vaincre une foule, aucun besoin des secours de joyeux ceux laisse il géncrosit<; on lui no peut avoird'excès, haine par la générosité, la combat, où La déborde de sou Auie infrôpidc Vaincre dans elle humilité le triste mêmes. Toutes les pitié ou doute à l'intérieur d'eux- formes de la mélancolie sont mau- vaises, dégoût, envie, mépris, pitié, humilité, repentir. C'est la joie qui est bonne, réserve : Spinoza dirait joie vaudrait bonne sans exception, sans comme Descartes qu'une fausse mieux qu'une juste tristesse^», s'il n'était absurde de trouver justes ou fausses 1. Amor sive generosilas (Etii., 2. IV, 46, se. 3. Voy. dans le long scolie de IV, la la tristesse et la i6). Pr. V, 20, le passage sur les marjnï aU'ecdis. 'i. IV, 52 et se. 5. Bene agerc et Ixtcri, maxime 50, se. 6. Pas-.?, de l'âme, II, art. 142. stoïcii^nne, citée par Spinoza, IV, BENOIT DE SPINOZA. 236 \ joie arbitraires impassibles. que nous éprouvons devant En les choses tout cela on reconnaît l'écho de Des- cartes renforcé encore plutôt qu'affaibli. III Mais à voir le détail, l'idéal de Descartes est singu- lièrement précisé. Dans la passion, prenons-y garde, seul élément est bon et ne craint pas d'excès, un le désir. Le mal est l'autre élément, la rêverie vague, l'âme livrée à l'enchaînement fortuit des rêverie est l'essence de images confuses. La mélancolie la toutes les et passions mauvaises, l'avarice, l'ambition, l'amour des femmes se réduisent à des rêves qui obsèdent jusqu'au délire mauvaises, mais l'invincilDle i. qu'on fait debout et Les passions ne sont pas vague des passions; Spinoza en a le horreur. S'il dit que la joie est bonne, il ne l'entend pas au sens large et quasi mystique, mais au sens clair et précis de gaité, de franc rire, de bonne humeur hollandaise hilarité, la pleine d'ordinaire lades -. Rien n'est plus rare que la vraie santé de l'âme; les hommes n'ont que des joies partielles de rêveurs ma- 3. Au fond de la rêverie et de toute maladie de l'âme se trouvent l'image du passé et l'image du futur, aussi 1. IV, 4i, se, 2. Risiis, 3. fin. jocus, hilaritas, IV, 45, IV, 44, se. se. 2; — 42. 2:n L'ÊTHIQUh. trompeuses rime que doublures toutes l'autre, tristes deux du présent. L'homme qui se repent après coup, l'homme qui deux craint d'avance, sont fois misérables impuissants ^ Et Fespérance est aussi funeste que la et nous met également dans crainte; elle de la fortune-. Il faut vivre, au la dépendance lieu d'espérer perpé- En amour par exemple, tuellement de vivre. bonheur qu'on doit rechercher ce n'est bonheur pas le fait d'espérances d'avenir et de regrets du passé, de rêveries; : le n'a rien d'actuel et s'évapore sans cesse il dans l'insaisissable de la durée. Ce n'est pas davantage le : plaisir n'est tanée d'une partie du corps. que la sur la gaîté^ qui est total. Le difficile est l'égard des quille et maux un bonheur momen- être fondé du bonheur, mais ou un actuel plaisir de jouir du présent avec plénitude. futurs et passés, un désespoir une paisible impénitencc sont Ce n'est pas que l'homme libre la sagesse sacrifie un moindre bien présent^. bien futur à le plaisir titillation L'amour ne doit ni sur le plaisir, ni sur l'espérance A est tran- même. un plus grand Il ne fait pas la difierence entre le futur, le présent, le passé, mais entre le réel et passée, l'imaginaire^. Pour lui, une une chose réelle à venir, ont autant d'existence qu'une chose présente. Mais qu'un moment de 5i;— 1. IV, 2. IV, 47. 3. IV, 43, 44. 47. 4. IV, 66. 5. IV, 62 et se. chose réelle la mort, par exemple, n'est la durée apparente, ce n'est pas une 238 BENOIT DE SPINOZA. chose. La mort est à quoi moins K L'homme sain homme un se nourrit avec plaisir; mort son.qe pas en cela à se préserver de la L'homme libre a de pensée de la mort. nul homme Il Hbre pense même le désir : le ne il a faim il -. de la vie sans la a le désir irréductible de vie que n'abdique, puisque jamais on ne se suicide par un acte autonome mais ce sont : Sénèque peut tenir couteau, le choses extérieures, victorieuses de les lui, qui seules l'enfonceront-^. Ainsi Spinoza dégage de la passion l'unique élément crainte, le désir de vivre, qu'on puisse exalter sans pur, le désir saisi dans le présent, avant qu'il se soit réfracté en imaginations. Un autre est-il point est j^récisé encore : dans quelle mesure vrai que la passion ne s'oppose pas à la raison, à la loi d'unité c'est-à-dire homme et Là encore, les deux éléments de les que le flot ne voit dans des images confuses, possible de trouver rien de hommes? la passion, le désir et la rêverie, doivent être distingués. Si l'on les passions de chaque dans la vie au principe d'union entre tous commun il est im- entre elles. Que, chez toutes, les images soient confuses, ce n'est pas une ressemblance*. « Dire que le blanc et le noir n'ont d'autre conformité que de n'être ni l'un ni l'autre le rouge, ou dire qu'une pierre et un homme en ce seul point que tous deux sont 1. IV, 07. 2. IV, 63, se. 3. IV, 20, se. 'j. IV, 32, se. finis, conviennent impuissants, 230 LKTIIIOLK. que c'est (lire le blanc et n'ont aucune conformité, sions n'ont le noir, la pierre et l'iiomnio » Les l'èves fuyants des pas- même aucun (le semblance. L'esprit qu'ils occupent varie et diffère sans cesse aucune res- lien entre eux, et qu'ils dispersent, de lui-même rendent les hommes dissemblables. ne doivent j)as nous tromper. ce sont eux ([ui D'apparents accords se Il ; forme entre les gens passionnes de fausses associations. L'homme passionne loir nous a, qu'on le savons, la manie singulière de vou- ressemble, sans toutefois lui le vouloir com- plètement, à la façon de l'amoureux qui vante aux autres sa maîtresse et serait désolé de les persuader Mais en réalité c'est un paradoxe de prétendre que de '. la dissemblance profonde puisse naître autre chose que la haine couverte^. Et la haine est imaginatif de la passion. autre homme homme, il formée par l'élément Quand un homme parce qu'il désire la même la chose, lui-même en commun, est privé, parce qu'il se représente cela en imagination. le hait un chose que cet n'a pas pris conscience de leur désir mais l'autre possède hait il — Tout au contraire, l'élément fondamental de la passion, le désir fois un de vivre, se confond avec Il est à la principe d'unité dans la vie de chaque homme, la raison. d'union entre tous. Vouloir vivre n'est pas une image confuse, mais une idée concrète, adéquate même l'essence de l'àme individuelle. Et les désirs humains se 1. IV, 2. IV, 3i. 3. IV, '^ ;{7, Pr. se. 1. 23, 25. BENOIT DE SPINOZA. 2iO trouvent d'accord de propre, que suivre son désir juste façon si bien des autres hommes. Plus c'est faire le chacun désire ce qui lui est utile, plus les réciproquement uns aux autres utiles les sont c'est la doc- ; que Spinoza veut établir contre Hobbes. Elle trine seulement esquissée dans YEthiqiie; loppée dans Ce me ressemble le plus utile le plus hommes me moi, et échange de précieux services le domaine de culation, ils même me même le est, déve- à le bien voir, ~. servir d'instruments. s'établit il un perpétuel Tout ce qu'ils inventent la pratique et peuvent nous sommes de sera Les animaux d'autre race ^. que moi peuvent tout au plus Mais entre les elle est de Politique. le Traité peut m'ètre c|ui ce qui dans hommes dans celui de la spé- communiquer, parce que race. Si nature viennent à se joindre, deux individus de ils composent, par leur union, un individu deux fois plus puissant que chacun d'eux. Les hommes doivent donc tendre à qu' « un l'utilité seul homme de chacun choses qui fait « ^ » ; qu'un amour de tous en toutes que toutes les âmes et tous les corps forment, pour ainsi dire, qu'une seule corps ''*)). hommes — Le sentiment est n'être rien n'est plus conforme à amc et un ne seul aussi vif de la parenté des nouveau dans Spinoza. Il se substitue au sentiment plus vague d'une union de l'homme avec la 1. IV, 29. 2. IV, 35, cor. 3. IV, App. 12. 4. IV, 18, se. 1. 2 VI l'éthique. nature entière que nous avons rencontré dans Emendatione cond livre nature et ^ suit il De dans l'esquisse de physique du se- et L'homme 2. le est sans doute une partie de la nécessairement Tordre universel, mais s'il trouve autour de lui un certain nomlirc d'individus de même race que se trouve autant rité lui, de fois sa puissance contre la nature multipliée La 2. ne s'étend point aux animaux. La môme solida- de notre in- loi térêt ne nous ordonne, en aucune façon, de conserver quelque être que ce soit, excepté l'homme. Elle nous ordonne de conserver ou de détruire les autres à notre gré, selon l'usage que nous en voulons approprier complètement à notre service humaine nité ^. est toute spéciale et n'a rien une façon rieux; c'est de les faire, positive, intelligente, La frater- de mysté- pour chacun d'entendre son intérêt propre. De du quatrième là suit la théorie essentielle l'accord de la vertu, c'est-à-dire du livre, désir avec la raison. La vertu ne doit pas s'entendre au sens vague. Elle consiste à faire effort pour se conserver et pour vivre selon les lois de sa nature propre doit être désirée ment pour elle-même, qu'elle est la s'oppose à l'impuissance 1. Voy. plus haut, IV, App. 3. IV, App. 26. 4. IV, 18, 5. IV, 22, cor.; 35. j). Dire que la vertu c'est exprimer juste- tendance la plus profonde de rien n'est plus désirable 2. ^. que ; le désir l'être elle consiste à agir au lieu de 69. 20. BENOIT DE SPINOZA. : lui-même. La vertu 7. se; ^ 16 BENOIT DE SPINOZA. 'lï^ pàtir Juger de ce qui est bon ^. et mauvais, veiller à son intérêt particulier suivant sa constitution particulière, se venger, conserver ce qu'on aime, détruire ce qu'on hait, voilà la vertu, en d'autres termes, le droit naturel. Si les hommes comme étaient intelligents, premier lieu ils sentiraient en humaine, chacun jouirait la solidarité sans danger pour les autres de tout son droit naturel. Mais les hommes images qui même se sont leurrés et mis en conflit par les mêlent à leurs passions et la société elle- n'a pas été fondée sur l'intelligence, elle a été fon- dée sur une passion, la crainte du châtiment. De que Ton a imposé certaines conventions sur qui, de droit primitif, appartenait même la propriété on a con- à tous, venu que certaines choses, diversement déterminées, mal dune façon seraient réputées bien ou indépendamment des sance à la loi ainsi clarée méritoire. de justice et désirs particuliers. abstraite, La désobéis- forgée a été punie, l'obéissance dé- La vertu compliquée des notions s'est de péché, notions extrinsèques, de seconde venue, et qui n'expriment point la nature de l'ànie^. l'homme Mais Sa raison que les intelligent se passe de la loi extérieure. lui suffit, en d'autres termes son commandements de ceux de sa nature propre ticulier le bien de la pour lui, 1. IV, 37, se. 1. IV, 37, se. 2. 3. IV, 17, se. ^. Il ne sont autres que cherche par intérêt par- communauté. Tout ce du même coup 2. la raison il désir, puis- le désire qu'il désire pour les autres l'étiiiqce. non lioiiimcs', par* secrète 2V.i ambition ni par bonté de cœur, mais par intelligence. Suivre la raison, c'est né- gliger le pacte social dont l'appareil de précautions et de contraintes s'applique aux esprits sans éducation fonder d'emblée la société des hommes cation est ainsi la plus haute fonction et L'édu- libres. humaine - : elle a pour but de remplacer la loi par l'intelligence. Cha- cun comprendra que chacun est spécial à bien deux fait, les pétuellement duelle 3, : le souverain bien des le commun et définitions à tous. En tout esprit du bien s'échangeront per- bien est ce qui enrichit la vie indivi- bien est ce qui resserre le lien de la société le Le premier, Spinoza retrouve L'homme stoïcienne. liJjre n'est ici dans la cité, dans la solitude où ont apporté au où il il vit plus le sage solitaire sous la loi le Il est plus commune, que n'obéit à personne monde ^. toute l'inspiration de Juste Lipse qui se suffisait à lui-même. libre hommes '. Les stoïciens sentmient de la communauté comme les pieds, les mains, les paupières. L'idéal stoïcien est un des êtres raisonnables, nés pour sentr'aider idéal républicain. L'« 1. le homme généreax » de Descartes IV, 37. 2. IV, App. 3. IV, 39. corps, car î). — Il d'amnésie, ou ne faut pas dire strictement : le bien est ce qui y a des morts successives du corps il quand l'enfant devient être changé en cadavre (IV, 39, se). : on le voit conserve dans les cas homme. Le corps peut mourir Le bien est ce qui rend sans la vie plus intense. 4. IV, 40. — Spinoza se sert indifféremment de deux définitions pour déterminer la valeur des passions. 5. IV, 73. BENOIT DE SPINOZA. 244 restait encore trop gentilhomme'; lu de Spinoza dans est pris blicains de Hollande. A flatteurs qui entourent tardent pas à en faire donner sur l'accent dont Spinoza parle des un grand un fou ~ », lui Il et non « répugne magnitique envers Descartes, qui on sent les autres la supériorité l'obligé. Etre maxime de libre » masse des bourgeois répu- la des égaux. société libre homme sot ne goût de la même de se du bienfaiteur sur hommes les celle de d'un le est la Spinoza, qui. à la magnificence des grands, préfère la magnificence ano- nyme lières de : contre les largesses particu- l'État. Il s'élève le soin des pauvres est l'affaire de la société tout entière ^; faite d'individus à individus, l'aumône a des dangers. Le sage ne cherche pas à s'attacher les hommes par la reconnaissance discrètement les bienfaits qu'un lien factice ^ remplace eux les êtres raisonnables, un bienfaiteur de voir en être et lui-même il refuse parce qu'il n'a pas besoin le lien et naturel qu'ont entre parce cpie prétendre être moins beau que de sa- stoïcisme de Spinoza, il la société est un membre. IV Pour achever de définir le faut s'arrêter enfin aux traits les plus individuels. Dans 1. « ]1 n'y a point de vertu à laquelle contribue tant qu'à 2. IV, 57, se. 3. IV, App. 37. 4. IV, 70 et se. la générosité. » il semble que la bonne naissance {Pass. de l'âme, 111, art. KU.) 2V5 l'étiiiolk. une rame (locfrinc morale, personnelle transparait pres- Sénèque, est oratoire chez que toujours. Le stoïcisme ascétique chez Épictète, tendre et mélancolique chez Marc-Aurèle, pédant chez Juste Lipse, magnifique chez Descartes. Chez Spinoza, de tout, Spinoza met il est intellectuel. l'intelli.iience. « Il Au-dessus n'y a pas, de vie raisonnable sans intelligence et les dit-il, choses ne sont bonnes qu'autant qu'elles favorisent l'exercice de la pensée. Le » plaisir fort, aigu parfois, celui dont Descartes disait parti gence ))^ dont Spinoza est le seul est son goût Tàme « : le plus soit de la pensée, a des plaisirs à avide. L'intelli- passion de sa jeunesse \if, la de sa vie entière, due à son tempérament, à son et éducation rabbinique, à l'influence de la morale de Maïmonide. Dans qui use bien de son intelligence l'homme futur portrait de tione Court Traité le portrait de l'homme le faisait de la libre purification était l'esquisse •'^. de du Le De Emendal'intelligence le fondement de la morale. Maintenant encore, après avoir pris soin de définir le bien par l'harmonie du désir dividuel et de l'intérêt social, Spinoza ajoute est, au surplus, l'intelligence; les choses, mauvais de ne les il est un IV, App. 5. de l'âme, 2. l'ass. 3. Court Traité, 4. IV. 26 et 27. II, III, art. 212. ch. 6 et 7. bien *. N'est- désir particulier parce qu'on est philosophe, exiger de tous les 1. le bonde comprendre pas comprendre ce pas ériger en règle universelle et. : in- hommes BENOIT DE SPINOZA. 2i6 l'amour de la pliilosophie? Non, la vertu essentielle l'acte le plus demandée humble de l'intelligeiicc est bien pour mieux dire, à tous A'ertu est ; un acte dintelli- gence. L'accord entre le plus g-rand bien de chacun et le plus grand bien de tous, à mesure qu'on est plus intelligent, on le sent davantage. Spinoza, ainsi que grands penseurs du les de l'intelligence comme siècle^ xvii'' d'une véritable Être intelHgent à l'égard de rale. parle toujours mo- vertu soi-même, c'est, selon Descartes, de la générosité; être intelligent d'une façon absolue, il faut pour Spinoza, du courage K Oui, c'est, du courage, quand les choses semblent fasti- dieuses ou répugnantes, horribles, injustes, impies, pour reconnaître qu'on les conçoit avec trouble et confusion; il faut de la force d'âme pour les comprendre qu'elles sont. C'est l'exercice de la vertu stoïque. nous est telles Il ne pas demandé de travailler à changer l'ordre universel, mais de travailler à le comprendre. Quelle sérénité entre dans l'âme qui l'a compris nous délivre à jamais de pitié, de toutes les la haine, tristesses. ! L'intelligence du dégoût, de Elle est sainte, elle est joyeuse. La colère et l'indignation n'étaient que fausses vues de l'esprit, des agitations obscures et bles. raît, La majesté triomphale de nous absorbe et la la nature de risi- nous appa- nous apaise. Spinoza pourrait traduire en termes d'intelligence sa doctrine entière. La solidarité humaine, l'accord des 1. IV, 73. LKTHIQL'E. 2V7 intérêts sont des laits; le désir, la vertu, la raison sont des idées a<léquates. Et quoi d'étonnant (|u*une morale fondée à l'origine sur l'exaltation du désir, coninie de l'élément le plus permanent de nous-mêmes, aboutisse au culte de rintelligencc? Le désir de vivre se confond pour Spinoza avec le désir aspire à subsister sans ni arrêt, fin, de comprendre. Ce qui en lui ce qui ne craint ni lassitude, ni défaillance, ce qui le soutient et lui suffit, c'est la joie de penser. L IVRE V L ETERNITE. Pouvons-nous atteindre à dire à la maîtrise des la liberté morale, c'est-à- passions? Telle est la question théorique que la dernière partie de Y Ethique va résou- prend soin de dire dre. L'auteur moyens pratiques qu'il d'arriver au but trent dans la logique ; ne les traite moyens médecine^»; et la pas des le « ren- but seul l'occupe. Le livre V peut avoir pour nymes : de la béatitude, de titres trois la liberté, termes syno- de l'empire de l'intelligence sur les passions. L'auteur le partage en deux étapes. Après le scolie de la proposition 20 se termine, dit-il, ce qui concerne la vie dans le : « Ici temps. Passons à ce qui concerne la durée de l'âme considérée sans relation avec le corps nelle. Dans la », c'est-à-dire première partie, il à la vie éter- vient d'estimer, du point de vue stoïque et chrétien, tous les remèdes qu'on peut, au cours de la vie, opposer aux passions. Il a con- clu que la suprématie de l'intelligence et par suite la liberté et le 1 . Préfiice. bonheur sont, de ce point de vue, théori- 2V9 l'éthique. qucment vue possibles. Dans la seconde partie le point de définitif est abordé. La vie ne doit pas être déroulée dans la durée mais ramassée en un Si la elle total, hors du temps. suprématie de l'intelligence n'est que passagère, ne compte pas. Tout ce qui est provisoire s'efface; rien n'est réel qui ne soit éternel. Que reste-t-il donc de nous? Pouvons-nous atteindre à une liberté éternelle, à un bonheur éternel? Question suprême que reste Ici surtout, dans ce bréviaire destiné à l'exaltation de l'intelligence nous tout le de \ Éthique servait à préparer. est dure. et de l'amour, l'exposition géométrique Le lecteur n'a sous fisante réduction de la doctrine les yeux que l'insuf- en propositions. Il lui faut se rendre assez maître de toutes les relations des propositions les unes aux autres pour pouvoir éveiller à la vie la pensée tombée à mort apparente du formu- la laire. I Que peut-on retenir de la doctrine néo-stoïque et cartésienne en faveur de la liberté? Le fatras physiologique est, bien entendu, à rejeter tout entier. Ni les nerfs, ni les esprits, ni la glande pi- néale ne peuvent nous apprendre non. Le débat est intérieur. lement Il si l'àme est libre ou se pose entre termes éga- spirituels, les idées passives, les idées actives. Quel remède intérieur avons-nous contre les idées passives? Le corps n'est pas en question. Tout se déduira BENOIT DE SPINOZA. 250 d'un fait purement spirituel, la connaissance par elle-même^. Pour le reste, il suffît de Tâme d'énoncer, au début, qu'il y a concordance entre l'action de l'âme et l'action du corps 2. On ne peut dire plus. Pour conclure des mouvements cérébraux à la liberté de l'âme, faudrait supposer une commune mesure il entre ces deux termes. Cela ne peut pas être une idée claire. Meilleur parti peut être tiré du « remède cartes de Des- » dissocier la passion de l'idée fictive de sa cause, : plus simplement, penser à autre chose, a Si nous dé- gageons une passion de la pensée de sa cause, sion disparaît aussitôt^. » Si la pas- vous avez peur, ne luttez pas contre la peur, mais pensez à autre chose. Vous aimez bassement, gardez l'amour, pensez à une autre personne. La première partie du conseil est juste. On ne peut pas détruire une passion. la diriger sur un suffirait de pouvoir objet choisi. Mais la direction d'inten- tion est précisément le difficile. tient sous Il son empire, si Quand la passion nous nous sommes capables de penser à autre chose, la cause de la liberté est gagnée d'avance. Le remède de Descartes suppose des esprits déjà en possession de leur liberté. Le remède de Spinoza n'est pas de se distraire, mais au contraire de se replier sur soi-même, de penser à sa propre passion. sive sitôt 1. Préface. 2. Pr. 3. Pr. 2. 4. Pr. 3. 1. « Une all'ection passive cesse d'être pas- que nous nous en formons une idée claire ^. » L ÉTUIOLK. 251 nous préoccupe moins à mesure qu'elle nous Elle mieux connue. Une passion qui s'éclaircit est nous intéresse moins. Et nous former une idée claire, au moins de fa- çon de nos passions, introduire un peu de lu- partielle, mière dans ce domaine de pénombre, nous et d'analyse pouvons toujours. le réduit à penser', la détruire, » « Toute puissance de la Comprendre lame se la passion, ce n'est pas car pourquoi la détruire? « une passion n'est mauvaise qu'en tant qu'elle empêche de penser^ c'est pourtant lui faire la place plus petite. Car c'est de la substance même agit et qu'elle pâtit la pénètre la passion « Par exemple, le ^ même est appétit que A mesure que ». la lumière pure peut se transformer en vertu. désir instinctif de voir les autres gens suivre votre humeur propre est s'il ; de nos passions que se forment nos idées claires, puisque « c'est par le Tâme » obscur; charité, s'il est réfléchi Avant de pouvoir réduire ainsi '^. folie d'org^ueil, » en mécanisme cons- cient le jeu obscur d'une passion, c'est une force déjà de nous attacher à une seule idée En des moments claire. de colère, ou seulement d'indignation, ayons en mé- moire quelque formule simple dont nous ayons éprouvé la certitude, par lidarité, ou il : Donnons à une 1. Pr. 4, se. 2. Pr. 9, déni.; 3. Pr. 4, se. 4. 5. llnd. Pr. 10, se. exemple : notre intérêt est dans la so- faut vaincre loi intérieure — Pr. 10, déni. la haine le par l'amour"'. caractère d'obligation 252 BENOIT DE SPINOZA. tant que nous ne sommes pas encore dans La la liberté. loi morale ainsi le formée n'a en règne de soi aucun caractère mystérieux ni sacré; elle a la valeurd'une idée juste. Une idée philosophique peut jouer le rôle C£u'un précepte moral. Par exemple nable se recomiait à la sérénité, ou : les sent par la nécessité de leur nature '. pensée est particulièrement la choses sont nécessaires efficace affaiblit ; : même la vie raison- hommes agis- Cette dernière pensée c[ue les beaucoup nos passions 2, à mesure que la notion de la nécessité s'étend à plus et « d'objets, notre puissance sur les passions grandit Il ^ ». importe de distinguer les pensées proprement dites de ces réflexions passagères qui naissent du cours des passions et ne donnent liberté. « Un homme qui a même quune fausse apparence de mal reçu de sa maîtresse été n'a plus l'âme remplie que de l'inconstance des femmes, de leurs trahisons en est-il ; mais revient-il chez sa maîtresse bien reçu, tout cela est et oublié-^, » Les réflexions d'un amant déçu ne sont pas des pensées. Seule la pensée désintéressée est une force. C'est peu, sans doute, que quelques pensées de cette sorte les passions occupent. C'est une force dans une âme que peu, mais les pensées ont C£ue les passions n'ont pas, la cohésion. Elles s'enchaînent et se fortifient lentement. La passion se plaît 1. •î. aux images singulières, Ibid. Pr. 6. 3. Pr. 6, se. 4. Pr. 10, se. isolées, fortuites, inexpli- 253 l'étiiiquk. la multitude des circonstances nouvelles cables; toune et l'affaiblit. L'expérience, l'autorité de la Té- au contraire, ajoute à pensée juste. Le progrès du temps qui épuise les passions affermit les pensées i. Dans la sul)stance même des passions qu'elle analyse et qu'elle ex- œuvre de plique, l'intelligence fait lentement son mière lu- de joie et fonde la liberté. et II Mais Spinoza ne veut pas que l'intellig-ence seule soit ouvrière de liberté. A l'intelligence pure il joindra un sentiment religieux, intellectuel encore, l'amour de Dieu. Unie, comme il était fréquent, nous reconnaissons à l'inspiration stoïque, ici l'inspiration que Pascal n'eût distingué chrétienne. Avant le chrétien du stoïque Malebranche n'eût décidément rompu avec un que le stoïcisme, christianisme stoïque fut en faveur. Juste Lipse est préoccupé de mettre d'accord les deux doctrines mo- en substituant à la Nature des stoïciens rales chrétiens '. Quevedo mêle constamment le Dieu des saint Paul, saint Pierre Chrysogonc, saint François de Sales teurs du Portique, et chez les stoïques Corneille de Witt par exemple, tinguer 1. et le il aux au- de Hollande, serait difficile de dis- sentiment stoïque du sentiment chrétien. Pr. 7 elPr. 20, se. — Manuduclio ad stoïcam philosophiam. Pncf. Aemo finein et felicitatem cum istis {stoïcis) in Natura poimt 7iisi interprétât ione 2. quam dedi, id est, Deo. : BENOIT DE SPINOZA. 25* L'œuvre de Spinoza est dans ce courant moral. Dans la préface des OEuvres posthumes (1677), ses aniis donnent une esquisse curieuse de la façon commune alors d'entendre christianisme. le chrétiennes de VÉthique. Ils « insistent sur En les parties ce livre, disent-ils, tout ce que le Sauveur et les Apôtres ont enseigné est con- tenu summatim. » Dans la résistance aux passions, le sentiment chrétien n'était certes pas négHgeahle. Spinoza trouva autour de le lui, le réduisit à son essence et rassimila à sa doctrine en condensant la pensée et en concentrant fortement tous les mots. l'Éthique du Traité de 11 faut rapprocher théologie. L'un des deux ouvrages présente surtout le côté stoïque de la doctrine, parce que l'autre en a présenté le côté chrétien. Ce n'est pas légèrement, ni certes pour céder à ses ennemis, que Spinoza prononce avec respect les noms de piété et de rehgion. particulier. Il lem' donne toutefois Pour valoir contre la religion soit les passions, il un sens veut que pure elle-même de toute passion. La piété ne doit être mêlée ni de crainte, ni de remords, ni d'humihation. Il n'y a pas de bonne crainte. Mauvais pré- dicateurs, ceux qui éveillent la crainte; tissent qu'à mêmes^ tristes que ». Le repentir, riiumihté, les autres passions hommes ne d'après la raison, 1. n'abou- rendre les autres aussi misérables qu'eux- ne valent pas mieux. « les « ils IV, Pr. 63, se. il Il faut reconnaître toutefois dirigeant c|ue rarement leur vie arrive que ces deux passions de L KTIIIQrK. rhumilité 2.J.> du repentir, comme aussi rcspérance et crainte, qui en dérivent, soient plus utiles et (avec ironie) puisque enfin les hommes et la que nuisibles, doivent péc lier, vaut mieux encore quils pèchent de cette manière il L'auteur ajoute, sous de 1672 : craint plus. jîhètes aient le ne faut donc point s'étonner que Il si ». coup peut-être des événements Le vulgaire devient terrible dès « ^ qu'il les pro- fortement recommandé l'humilité, on pentir, la subordination. Car hommes dominés par ces doit convenir ne le re- que les passions sont plus aisés à con- duire que les autres et plus disposés à mener une vie raisonnable, c'est-à-dire à devenir grande portée, puisque, sous libres''-. «Concession sans la livrée religieuse, les passions restent ce qu'elles sont et ne peuvent rien avoir commun de avec de liberté. l'état C'est une idée profonde de la Bible que le péché ori- ginel ait consisté pour laisser entrer l'homme à craindre la mort, à en son cœur la première passion triste^. Bien d'autres passions tristes et déprimantes régnent aujour- d'hui sous les noms les plus saints. Défions-nous de la dé- formation du sentiment religieux en certaines consciences douloureuses. La douleur transformée en sentiment de faute et en châtiment, le corps émacié, la contrition, la torture de soi-même, la peine muette, la peur affreuse, l'agonie du cœur martyrisé, salut, tout cela n'est 1. IV, 54. IV, 08. désespéré vers le pas la vie religieuse, c'est la crise, exagérée par l'imagination, 2. le cri que traversent certaines BENOIT DE SPINOZA. 256 âmes passionnées avant de conquérir l'apaisement. La religion ne doit pas être souffrants, elle uniquement une religion des une religion pour les opprimés et ne doit pas abattre les robustes rendre suspecte la santé. La et pas de toute indépendance ; elle n'est est possible, pourquoi libre, être fort, c'est toute la vertu. religieux d'un type haut, dur, où il sacrifier à plus forts? La faiblesse ne saurait les un mérite. Être Un sentiment triomphants chrétienne n'est pas esclavag'e, insulte à soi-même, mutilation de soi, car être ; de toute liberté, de toute gaîté, sacrifice, sacrifice Dieu nos instincts et les foi les infirmes n'y ait autonome plus inquiétude, renoncement ni misère. L'erreur vulgaire est de croire qu'on ne peut être fort qu'en dominant les barbare! Être fort, force la solidarité autres nous qu'il le savons, c'est sentir avec humaine. Se sentir membre de niverselle association des ment hommes. Quelle idée de hommes l'u- et le sentir si vive- devienne impossible de distinguer son bien propre du bien de tous, désirer naturellement pour tous la même vérité sans effort les et le même bonheur hommes que pour d'un amour mule soi, aimer et nécessaire, sans orgueil et sans humilité, c'est la force d'âme. Et c'est la première vertu chrétienne, {pietasy. Ce n'est pas dérive d'aucun la piété ou charité une passion. La vraie charité ne mouvement de l'instinct, mais d'une idée juste; son prosélytisme est sans impétuosité et sansfa- 1. IV, 3G et se. L FUI loi F. natisme^; elle 2") 7 est sereine et discrète gence. Elle n'est pas non plus un comme riritolli- commandement, au- dessus de tout droit à lacritique. L'esclave seul. Jusqu'en morale, ne comprend que foi, non à la le liberté qui est charité est aussi libre tyrannique. Il s'élève à la un degré plus haut. La vraie l'intelligence, dont die est que fille. La religion proprement dite [religio) est « l'ensemble des désirs et des actions qui dérivent de l'idée de Dieu ou, ce qui revient au Dieu. Le même 3, » qui dérivent de l'amour de mot idée de Dieu prend un signe pas - sens large. un Dieu personnel, mais une Il ne dé- idée extrêmement générale, pour mieux dire, l'idée totale de l'univers et de nous-mêmes. Tous les hommes font un l'affirmation essentielle de la charité. une unité plus haute, La religion conçoit l'unité dernière L'idée de Dieu est l'idée de cette unité. aisément « seul corps, voilà de tous les êtres. L'âme peut faire que toutes les images des choses se rapportent à l'idée de Dieu ^ » ; c'est les ramener simplement à leur unité naturelle. Pour étrangère qu'elle soit au langage courant, cette conception nous est familière. L'idée de Dieu, répétons-le, est essentiellement la pensée de l'unité, cpie cette pensée s'applique à l'univers entier, à l'ensem- ble des objets, ou seulement à tel objet particulier, par exemple à une conscience individuelle. Sentir en moi- 1. IV, 36, 2. Ibid. se. 3. V. Pr. 15 déni. 4. Pr. 13. BENOIT DE SPINOZA. BENOIT DE SPIXOZA. 258 même ma propre de mes miité, comprendre l'essence commune passions, c'est avoir l'idée de Dieu. Et comme l'aniour de Dieu n'est rien de plus, essentiellement, que Dieu. « Celui qui comprend lui-même clairement même du c'est avoir de Dieu, l'idée coup l'amour de ses passions et se et distinctement, comprend aime Dieu, et aime Dieu d'autant plus qu'il comprend ses passions comprend lui-même de façon plus se tincte. » Cette livre. il et claire et plus dis- proposition extraordinaire est la clef 1 du L'idée de Dieu est incomparable. Elle n'est pas une idée claire parmi d'autres, de toute idée qui s'éclaircit. elle est le fond commun Point n'est besoin de la chercher hors de nous-mêmes. Travaillons à rendre transparente la substance obscure de nos passions, le fond divin de toutes choses nous apparaîtra. Travailler à éclaircir son âme, c'est aller à Dieu, c'est aimer Dieu. Le mot amour de Dieu doit être dépouillé de toute signification humaine ; il a, lui aussi, un sens incompara- ble. Sentiment unique, auquel rien de corporel ne peut être mêlé, pur acte d'intelligence, on ne lui conçoit pas de contraire, pas plus qu'à lintelligence. sonne ne peut haïr Dieu personne et -. » Il « Per- ne s'adresse pas à une ne demande pas de réciprocité. « Celui qui aime Dieu ne peut faire effort pour que Dieu l'aime à son tour. » Il est la joie pure de l'intelligence en face de son oljjet. De la réalité rer; hors d'elle, 1 Pr. 15. 2. Pr. 18 il ne il ne peut rien déplo- jîeut rien souhaiter. Il ne se ré- 259 L'irniioi'K. signe pas à ce qui a été, à ce qui est ; il veut avoir cet état de choses, tel qu'il a été, tel qu'il est, éternité. de la ne peut pas Il tristesse. « même En tant que nous concevons Dieu comme cause delà tristesse, nous éprouvons de mour de « il pour toute être attristé de l'existence Dieu, enfin, n'est point la joie'. un sentiment » L'a- jaloux; entretenu en nous avec d'autant plus de force est que nous nous représentons un plus grand nombre d'hommes comme unis avec Dieu de mour- ». L'amour de Dieu achève ce même lien la charité. Nous d'an'ai- hommes pour l'amour de aimons comme nous aimons Dieu, mons pas précisément Dieu, mais nous les les par intelligence. Sous les noms de c'est l'intelligence les détails, piété, de religion, d'amour de Dieu, que partout nous trouvons. Négligeons une interprétation intellectualiste du christia- nisne est-elle possible? Les éditeurs de V Éthique^ fidèles sans doute à la pensée de l'auteur, l'ont soutenu dans leur préface. Saint Paul appelle la religion chrétienne rationalis religio et on peut lire dans ses Épîtres que la vraie soumission desprit, la joie, la vérité, la justice, la bonté sont les fruits de l'intelligence. Conmient un idéal de pureté de l'entendement serait-il contraire à l'Écriture? L'Écriture entière résonne des mots d'intel- ligence, de vérité, de connaissance, et la nouvelle loi n'a consisté qu'à substituer à la lettre l'esprit , c'est-à- dire l'intelligence. Saint Jean prend soin de dire 1. 2. Pr. 18, se. Pr. 20. que BENOIT DE SPINOZA. 260 Moïse a apporté la répond à et le loi, mais Pilate qu'il est nom venu témoigner de qu'on lui donne A chaque page, mène à Dieu^. son. est celui Jésus la vérité de Logos, de Rai- la vérité sanctifie, régénère, Hbère, La religion, triomphe de l'intelligence, achève ce que premier exercice de l'intelligence, l'analyse intérieure, le a le Christ la vérité. commencé : elle nous donne l'empire de nous-mêmes la liberté. Étouffée à l'origine sous les passions, « la li- berté a été recouvrée par les patriarches guidés par l'esprit du Christ, c'est-à-cUre par Vidée de Dieu, qui que l'homme soit libre et qu'il désire seule peut faire pour les autres le bien qu'il désire pour lui-même- L'idée de Dieu est le signe de notre même que de la première idée des passions en était l'espoir liberté conquise, claire naissant et le ». au milieu fondement. III Parlons mieux, La liberté n'est pas fondée, elle n"est pas conquise. Ce langage est imparfait, puisque Spi- noza ne reconnaît pas en nous de vouloir croit pas rée. 1. Il que qu'il dans Préface des IV, 67, se. Œuvres posthumes. Comparer ce que dit ne la du- nous faut considérer enfin la liberté sous cet thal, p. 21), 2, les choses soient réellement et as- Lucas (Freuden- L KTHIQUE. j)cct d'éternité 2G1 qui ré])ugne tant à l'imagination et au langage. Toutes les choses peuvent être conçues de deux ta- « rons comme réelles [acluales). Ou bien nous les conce- vons en relation avec un temps ou un lieu déterminés, ou bien nous les comme concevons second le nité^. » telle si cas, elles sont Il Dans conçues sous l'aspect de l'éter- y a deux manières, en etfet, de rechercher moment où disparu ; de calculer est quand la chose est réelle ou non. La première est de pointer le elle a contenues en Dieu nature divine. de et résultant de la nécessité le elle est les sens calcul est complet, chose qui se peut si plus exactement l'échéance est indifférente réelles, telles tain le ; : peu lui importe premier des deux cas les choses qu'on les représente, ont existé à un cer- moment, non à un ; : pour l'astronome une con- certain autre ; elles sont entrées en scène, se sont succédé, se sont détruites autres Une exactement, une chose qui sera est, Dans moment où elle est nécessaire. joncture future est parfaitement réelle d'y assister. le nous l'apprennent. La seconde est possible, elle si apparue, la plus forte a cune à son tour supprimé s'est levée les unes la plus faible les cha- ; d'on ne sait quel néant, pour y rentrer ensuite-. Dans le second cas, chaque chose, passée ou future il n'importe, est rendue présente et éternisée par la pensée; la scène étroite du temps avarement mesuré à chaque acteur, 1. Pr. 29, se. 2. Voy. IV, as. unique, et V, Pr. 37 et se. réel, la le durée BENOIT DE SPINOZA. 262 et l'espace, deviennent des comme Il contenues en Dieu « toutes les choses fictions; comme réelles sont représentées coexistant ensemble, ». n'y a pas là de mystère. C'est la simple distinction de l'imagination sensible et de l'intelligence. La repré- sentation des choses dans la durée s'impose invincible- ment à l'imagination sensible, mais l'intelligence s'en passe. L'intelligence embrasse d'un vant. Elle ne s'attache coup l'objet mou- que provisoirement aux ques- tions de genèse. Suivre l'évolution du mouvant, ce n'est pas le comprendre. Le comprendre, l'essence. c'est en connaître LintelHgence embrasse dans l'éternel des es- sences particulières, en relations intelligibles entre elles. Elle défait Tordre dans lequel les choses se présentent et refait un ordre logique. Même quand un ordre de elle détermine succession entre les choses, cet ordre de suc- cession ne saurait être confondu avec la durée sensible. Si la durée sensible, par miracle, venait à être déme- surément accélérée ou démesurément ralentie, l'astro- nome n'aurait rien à changer à ses calculs. Le temps dont il parle est un temps idéal, relation tout intelligible. Il est commun, malgré l'imperfection de l'expression, de considérer dans l'éternel même une succession de faits. Voir les choses dans l'éternel n'est donc rien d'extraordinaire , c'est la seule façon que nous ayons de les voir intelligiblement. Ces principes sont applicables à la connaissance de nous-mêmes. Nous connaître, c'est atteindre notre es- sence, j)ar-dessous l'écoulement de la vie. Et l'essence 2G3 l'ktiiique. d'un homiiio, pour complexe qu'elle sidérée dans l'éternel aussi bien géométrique. Le lig^ure soit, peut être con- que les propriétés d'une pas de difficile n'est dérer ainsi, mais de comprendre pourquoi moment de la durée, non à tel autre, été tracé sur le tableau. L'éternité que la consi- c'est à tel le triangle a de l'homme n'est pas obscure; c'est la naissance, la vie et la mort qui le sont. La question, dans même tenqos mes encore dans toutefois, n'est pas aussi simple les autres cas; elle est plus que l'intelligence qui connaît, l'objet l'éternel, ici que haute d'un degré. En nous som- connu. Que nous puissions nous voir y sommes-nous pour cela? N'avons-nous Même pas conscience de durer? si la durée n'est pas la vraie loi des autres choses, ne la sentons-nous pas réelle en nous? Non, c'est, au contraire, le témoignage seul de la cons- cience que Spinoza invoque en faveur de l'éternité. sacrifie, il est vrai, en nous tout ce qui sensible et mémoire. imagination Pour ces parties de nous-mêmes, ne revendique ni éternité, ni certes immortalité. il (( est 11 L'âme ne peutricn imaginer ni passée qu'à condition que le se souvenir d'une chose corps continue d'exister i. » Concession dure pour l'homme de passions, presque indifférente pour le philosophe. Se souvenir, imaginer no sont pas le tout de l'homme. Notre tout est de penser. Et dans la pensée la plus haute nous 1. Pr. 21. dominons la cons- BENOIT DE SPINOZA. 264- du temps. cience un C'est fait d'expérience que Des- cartes a mis en lumière. Les pensées pures ne s'altèrent pas avec le temps. Aussi souvent que nous les avons, nous les retrouvons identiques et nous sentons n'importe quel moment de qu'à la durée, elles seraient iden- tiques encore. Ce sentiment de présent éternel est un sentiment intellectuel aussi réel qu'est réel, dans la mé- moire, le sentiment du temps écoulé. Évidemment, ce n'est pas à la mémoire qu'il faut demander cette cons- cience de l'éternité, qui est le contraire de la mémoire. « Il absurde que nous nous souvenions d'avoir serait existé avant le corps, temps ni avoir avec surer par le lation. Et puisque l'éternité ne peut le me- cependant nous sentons, nous éprouvons que nous sommes éternels. ses qu'elle conçoit Lame ne sent pas moins par l'entendement que a dans la mémoire. Les yeux monstrations^. d'écoulement » Il n'est loi différente. penser les cho- celles qu'elle de l'âme, ce sont les dé- pas juste de dire que la soit l'unique loi intérieure, telligence, qui fait bien partie de jet, se temps aucune re- puisque l'in- nous-mêmes, a une Penser n'est pas seulement éterniser l'ob- c'est être éternel. Et si nous pensons notre propre essence éternelle, nous réunissons en nous ternité A ({ui de l'objet la place nous loi et l'éternité l'é- de la connaissance. de l'antique illusion d'immortalité, voici ce reste : l'éternité de notre essence, l'éternité des parties les plus hautes de notre pensée. Des deux 1 . Pr. 23, se. 205 l'ktiiiquk. côtés, du moins, c'est une éternité personnelle. Notre es- sence éternelle est singulière, individuelle, et notre pensée se rend éternelle sans cesser d'être notre pensée. Spinoza rappelle bien que, tout originale quelle notre pensée autre mode est « il fait éternel, déterminé par modes constitue la pensée de Dieu' remarquer combien un que rensem- éternel et ainsi à l'infini, tant ble inûni de ces Mais un mode soit, cette façon ". de nous rat- tacher à Dieu est difierente, malgré les termes, de celle qui a été exposée dans il, combien le premier livre. « On voit, dit- connaissance des choses particulières est la préférable et supérieure à la connaissance des choses universelles, car, bien que j'aie niontré dans le premier livre, dune manière générale, que toutes choses, et par conséquent l'âme humaine, dépendent de Dieu dans leur essence et dans leur existence, cette démonstration, solide et si parfaitement certaine qu'elle preuve bien moins pourtant l'essence de chaque chose particulière pour chacune à la l'esprit même cju'une conclusion-. de l'attribut universel qu'il part lier, rie ; c'est soit, » si frappe tirée de et aboutissant Ce n'est plus du mode singu- de l'individuel. Après s'être partagé avec la théo- de la substance le reste de \ Ethique, la théorie de l'individu l'emporte, à la fin. L'originahté de l'auteur, dans le cinquième livre, est moins d'avoir défini l'éternité nité à l'idée de l'individuel. 1. Pr. 40, se. 2. Pr. 36, se. que d'avoir conféré Dans le premier l'éter- livre, éter- 266 BENOIT DE SPIXOZA. nité et universalité étaient jointes sels de Dieu étaient tenant les les attributs univer- types de choses éternelles. Main- l'éternité est attribuée, les sens, : non tout à fait et dans tous au corps particulier, à l'individu physiologique, mais pourtant à l'idée du corps particulier. « Ilyanécessai- rementen Dieu une idée qui exprime l'essence ào tel ou tel corps humain sous le que nous sommes périssable. : caractère de l'éternité i. Voici ce » l'idée éternelle d'un corps individuel Nous sommes éternels et mortels à la fois. Gardons-nous cependant de trouver en nous une double nature. Notre corps lui-même, deux façons d'être réel : il comme est réel toutes choses, a dans la durée, il est réel aussi dans l'éternel, et là, son éternelle essence ne diffère pas de Tidée éternelle que nous en avons. Négligeons d'apparentes vicissitudes. Une intime union d'individuel et d'éternel meilleur de nous liers : dans la connaissance est le la connaissance des individus singu- dans leur essence éternelle. Nommons-la, d'un terme dont le sens a été plusieurs fois élargi, connais- sance du troisième genre. (Spinoza semble revenir sur la critique du second livre et admettre que nous puissions connaître dans leur essence d'autres êtres mêmes^.) En la connaissance du troisième genre vent vertu, repos, perfection, bonheur. prême de l'âme, sa que nousse trou- « L'eOl'ort suprême vertu sont de connaître sules choses d'une connaissance du troisième genre ^... De ce 1. Pr. 22. 2. Pr. •i. Pr. 25. 2^1, 28. LÉTHIOIE. 2G7 genre de connaissance naît pour lùnie repos dont elle puisse jouir '... le plus parlait A mesure que chacun de nous possède à un plus haut degré ce genre do connaissance, il a de soi-même et plus pure, en d'autres termes, heureux 2. » En de Dieu une conscience il est plus parfait et plus cela consiste enfin notre li}>ortc, dont nous comprenons maintenant qu'elle cement ni fin, qu'elle soit n'ait ni donnée dans commen- l'éternel. IV Dans les dernières propositions de l'Éthique noms théologiques de reçoit les de salut 3, la liberté béatitude, de gloire et la doctrine intellectualiste prend un accent religieux. Connaissance pure, ce n'est pas assez dire. croît s'ajoute à la vie intellectuelle titude. « sur- pour en faire labéa- Plus l'àme est propre à connaître les choses d'une connaissance du troisième genre, plus les connaître ainsi comme un « Un désir. Il ^. » Il elle désire faut entendre la connaissance fautl'entendre aussi comme une joie. Tout ce que nous connaissons d une connaissance du troisième genre nous fait éprouver un sentiment de joie, accompagné de lidée de Dieu connue cause de notre 1. Pr. 28. 2. Pr. 31, se. .3. Pr. 36, se. 4. Pr. 2fi. BENOIT DE SPINOZA. 268 joie^. Appelons ce désir » et cette joie de leurs noms mystiques, amour de Dieu, béatitude. L'amour de Dieu, nous le savons, est un sentiment sans analogue, sans attache aux passions, pure lumière, flamme de l'intelli- gence, amour-intelligence [amor intellectualis). La béatitude est une joie incomparable. Elle n'a pas de cause antérieure à elle-même. Non, elle ne vient pas du temps; elle est la joie dans léternel. « Si la joie consiste dans le passage aune perfection plus grande, la béatitude consiste pour Fàme dans la possession de la perfection elle-même. L'âme a possédé éternellement cette perfection que nous avons supposé qu'elle commençait d'ac- quérir-. » Cette éternelle perfection, cette béatitude sont appelées par les théologiens l'état de gloire, le salut. A sa théorie propre, Spinoza peut fondre ainsi le meilleur des doctrines religieuses et, à l'exemple de son vieux maître, Léon Hébreu, couler dans sa doctrine rationnelle la philosophie L'amour d'amour qui intellectuel la gonfle et l'épanouit. nous mêle à l'infmi de Dieu, au point qu'il n'est pas possible de distinguer en cet ce qui vient de Dieu, ce qui vient de nous. « amour L'amour intellectuel de l'âme pour Dieti est une partie de l'a- mour infini que Dieu a pour soi-même 3... L'amour de Dieu pour les hommes, l'amour des ne sont qu'une seule 1. Pr. 32. 2. Pr. 33, se. 3. Pr. 36. 4. Pr. 30, se. et hommes pour même chose'*.» Qu'on le Dieu rapporte 2G0 l'étiiiolj:. à Dieu ou à l'ànic, c'est une paix, une plénitude, une joie qui est une chose de mettre en notre fond de l'Ame et l'existence à âme de son L'amour que. infinité lui 2. » Du point de vue de l'essence « ; résultent de la nature divine ^ » intellectuel de Dieu est éternel. d'amour éternel que la Dieu s'unit au s'efface. en découlent continuellement et moment où en Dieu, au Dieu et et la remplit de notre iuiporte peu, ù la limite, il me ou nous distinction entre qu et Là Il n'y a sommet de V Éthi- est le de l'amour, la doc- l'éternité et trine entière s'illumine. C'était « pour réserver l'éternité que l'auteur, au quatrième livre, a condamné l'espérance aussi bien que passé. C'était le repentir, l'imag-e du futur pour réserver l'amour et celle du qu'il a fait accueil à l'inspiration chrétienne. Et son effort singulier nous apparaît maintenant : chasser de la morale l'image du temps. Les vieilles métaphores de lutte et de récompense, de dette et de paiment, d'offense à Dieu tion, ces et de répara- métaphores qui ont pénétré à fond notre mo- rale, reposent sur l'image Elles représentent d'un passé et d'un avenir. en morale la part de l'imagination. Tout calcul moral qui escompte la réalité de l'avenir mal fondé. Il est inutile soient punies autrement d'espérer qu'une âme est de craindre que les passions que par elles-mêmes triste et d'un coup en possession de la misérable félicité ; il ; soit il est vain mise tout est superflu de souhaiter pour l'amour intellectuel de Dieu une autre 1. 2. Ibid. Pr. 33, 3'», cor. BENOIT DE SPIXOZA. 270 récompense que lui-même. Dieu ne peut pas vue de Ton l'attrister. Si s'est venge pas et on ne mis une on a compris l'éternité, se fois au point de la doctrine, qui tient un mot pour qui Ta comprise et en qu'aucune démons- tration ne fera sentir à qui n'en a pas le pressenti- ment. A ceux pourtant qui ne sont pas aisément si généreux et si intréj)ides qu'il leur suffise d'être éternels, à ceux dont l'imagination a besoin encore de quelque prolond'un peu d'immortalité, ne laissera-t-on rien? g-ation et (( examine l'opinion du Si l'on on verra mais qu'ils ont conscience qu'ils commun des de l'éternité de leur âme, confondent cette éternité avec la durée la conçoivent et par l'imagination ou la mémoire, per- suadés que tout cela subsiste après la mort importe de hommes, i. » Que nous ou non? La longueur de subsister l'exis- tence n'a qu'un rapport incertain avec la richesse de l'essence. Des êlres médiocres durent sans fin. Qu'avons- nous besoin de l'immortalité des pierres? Pourtant, à Spinoza lui-même « L'âme du il n'est sujette corps-... arrive de parler de survivance aux passions que pendant la durée L'âme humaine peut que ce qui périt i. d'elle avec le être d'une nature telle corps ne soit d'aucun prix en comparaison de ce qui continue d'exister après la mort^. » C'est la partielle, théorie qui 1. Pr. 3i, se. 2. Pr. 34, cor. 3. Pr. 38, se. théorie connue de l'immortalité remonte à Aristote et que Spinoza prend dans Maïnionidc'. Un corps mieux adapté Ame plus parfaite. « niênic un pas de plus. Il lait est le symbole nécessaire dune L'onfant dont le corps est frêle et dépend surtout des causes extérieures, l'enfant qui est encore tout mélangé aux choses, a une moindre conscience de lui-même, des choses et de Dieu. Notre principal etfort en cette vie, c'est de transformer le corps de l'enfant en un autre corps adapté à un grand nombre de fonctions"^... Celui dont le corps est adapté à un grand nombre de fonctions a une âme dont grande partie l'on si y pour l'âme corps. Il est éternelle réfléchit. Elle la •'. » Proposition met en lumière la plus étrange, l'impossibilité plus spiritualisée d'être séparée d'un répugne â Spinoza que la partie la plus par- de l'âme puisse survivre sans être jointe à un faite corps plus parfait. Là se rapportaient sans doute les considérations sur la transmigration des âmes jugées caduques et retranchées de YÉthiqiie. pas allé qu'il a Il n'est jusqu'à la théosophie de Léon Hébreu. Peu importe, en tout cas, de nier l'immortalité, pourvu qu'on se détache de l'énorme intérêt qu'elle inspire. L'immortalité n'est pas à ranger parmi les choses impossibles, que il suffit de la ranger parmi les choses pres- indifférentes. Spinoza, en terminant, prie le lecteur qui ne convient 1. venu « La chose qui reste séparément après la mort est ce qui est de{More Aeb., I, f o28, cité par 0. Hamelin, Année intellect en acte » philos., l'JOO). •2. Pr. 39, se. 3. Pr. 3".). BENOIT DE SPINOZA. 272 pas de réternité de l'ûme de ne pas rejeter le reste cela. L'intrépidité et la générosité, la charité, la pour religion, tout le quatrième livre et la moitié de celui-ci composent une morale sûre, indépendante de nité '. L'incertitude à son tour de la \'ie l'éter- future ne doit pas nous faire hésiter devant ces iDiens certains. Nous ressemblerions à des hommes qui s'empoisonneraient parce qu'ils n'espèrent pas jouir à perpétuité d'une bonne nourriture-. Si enfin de la morale de l'éternité nous voulons retenir une seule maxinie en mémoire, rappelons-nous qu'il n'y a pas dans la vie intérieure de lutte suivie de repos; la métaphore nous trompe, c'est le repos, la paix intérieure qui précède, c'est en que nous trouvons elle sion. faisons le bien, mais nous sommes heureux. de la vertu, 1. le pouvoir de dominer la pas- Nous ne sommes pas heureux parce que nous Pr. 41. 2. Pr. 41, se. 3. Pr. 42. c'est la le bien parce que La béatitude n'est pas le prix nous faisons « vertu elle-même 3. » CHAPITRE VHI SPINOZA demeure prit Il à La Haye, la ville aristocratique et discrète, où la vie se passe tiens, le délicat. en lui assurant Des personnes de qualité que l'air ; il et en entre- y s'y faisait apporter à dépensait un peu trop, Van der Spyck, peintre il et l'y pour avaient attiré est plus sain qu'aiUeurs. logea d'abord au second sur son visites séjour de Néerlande le plus plaisant un Il en le derrière d'une mai- manger. Puis voyant prit pension chez militaire, qu'il le sieur dans une claire maison vernissée, en face d'un canal silencieux où coulaient, à fine l'ombre des petits ormes, les barques à la mâture. L'antichambre, ornée d'un portrait, avait pour meubles la bibliothèque de sapin à cinq rayons, où s'alignaient vingt-six taine d'in-quarto et in-folio, surmontés d'une cen- d'in-octavo et d'une quarantaine d'in-douze, une table de chêne à trois pieds, peint, un vieux dans un sachet, coffre et un coffre contenant un jeu d'échecs noué deux tables de sapin sur lesquelles on trouva, à sa mort, une meule à émoudre, des lunettes astronomiques en réparation, BEiNOIÏ DE SPINOZA. une autre en bon 18 274 BENOIT du verre, des tuyaux de fer-hlanc, un entonnoir état, quelques et SPINOZA. 1)E rouges, le A outils. côté, dans une chambre à rideaux avec deux oreillers, deux couvertures, lit couvre-lit rouge courte-pointe. Enfin, et lette, le linge, les dans la toi- vêtements d'intérieur (habit de cou- leur et vieil habit de serge, camisole de cuir, cravate de coton, souliers gris) et les vêtements de un manteau habit turc noir, turc noir, ville un manteau : un turc de couleur, une paire de bas en sayette noire, des souliers noirs à boucles d'argent, deux chapeaux noirs, un manchon noir, dix paires massé 11 et une paire de gants, dix-neuf rabats, de poignets à la mode, un mouchoir da- une signette de clef pendant de la pochée. vivait d'une pension de deux cents florins que lui donnait Jean de Witt, d'une rente de trois cents florins que Simon d'Uriès (quinze cents francs lui avait laissée peut-être de notre monnaie) et , vail. Il était désintéressé. deux cents florins ayant du produit de son Une personne qui fait faillite, il tra- lui devait ne s'en plaignit pas et retrancha en souriant sur son ordinaire. Simon d'Uriès lui avait laissé cinq cents florins; sit lui-même à trois il les rédui- cents parce qu'il n'avait pas be- soin de plus et que posséder, disait-il, c'est être possédé. De sa famille à la vérité, et Il le il n'avait hérité qu'un tour de faut penser à ces « lit cpii lit, fort bon en dépendait. philosophes » de Rembrandt qui ont pour conversation quelques in-folio et passent 1. Inventaire..., Freudcntbal, p. 158. 275 SPINOZA. la journée à les relire et à les gens qu'on appelait méditer, ou hien aux chimistes « », sortes de pharma- ciens à face fiévreuse qui tenaient boutique d'objets rares, sans se soucier du gain, avaient chez eux des livres peu communs et passaient pour s'occuper de recherches étranges ou pour avoir trouvé un système philosophique. Les savants dédaignent, ou s'ils ignorent ou les officiels les leur rendent visite, c'est dans l'es- poir secret de tirer d'eux quelques idées qu'ils sauront mettre à profit; mais ils en imposent aux gens de peu, qui ne comprennent guère les savants officiels et s'en- gouent facilement pour eut en lui du aussi en lui « chimiste » du cordonnier à qui, de son temps, on vouloir, Son une inventeurs dédaignés. les Brechtelt, son ami. « le philosophe compara. » Il Jacob Il Il y y eut Boehme fonda, sans le secte religieuse populaire. au contraire de prendre rang parmi désir était les savants officiels. Il en fut empêché par le défaut de recommandation, par sa santé, par son tempérament. Rabbin manqué, professeur sans barrette, d'état social bien défini. lecteur de à l'Université de l'Université, mal vues des alerte, Il Il le Geulincx, donnait, à côté philosophie se hâtait, rang n'eut jamais et assez à la première de faire preuve n'eut pas l'audace d'élever chaire con- tre chaire, ni d'être, comme professeurs en une Cautc il des répétitions de professeurs. de rentrer dans d'orthodoxie. Leyde; il comme ne fut pas, Il titre, fut bien la Descartes, au milieu des sorte d'officier devise de ce timide. Il de fortune. v eut de la BENOIT DE SPINOZA. 276 timidité dans crainte de la discussion et dans sa sa iaçon de couvrir sa pensée de la cuirasse mathématique. Il membre honoraire fut d'une chrétienne, église sans baptême, sans affiliation, mais assidu aux offices et d'un zèle irréprochal>le d'un athée il : eut cependant la réputation Il excita l'indignation et la curiosité. La Haye voyageurs qui cherchent à voir ce n'est jamais sans qui mérite d'être vu leur voyage '. plus avisés auraient perdu les ; ne l'avaient pas vu. Hénault, poète s'ils français, qui se piquait d'athéisme, exprès fit le voyage. Sébastien Kortholt, qui vint trop tard de Hambourg, fut presque déçu d'apprendre qu'on pût être athée même gratuitement; Bayle laisse percer la Gratuitement donc on ment typique qui Amsterdam, Pour augmenter ses ressources, 1. Praef. le « : amen profesaus Set Il chimiste Voyez, dans un sens, à vie, La Haye. d'instruments d'optique. cément dans déception. Ce fut l'événe- constamment dans sa revint à Leyde, à persécuta. le Séb. est il dut tenir fabrique retombait ainsi presque for». Il comme Des- [De tribus impost., 1700, n'eut pas, Kortholt. Christianum et vel Refonnatorum vel Lutheranorum cœtibus non modo ipse adfuit, sed et aliis nuctor sœpenumero et hortator extitit, ut templa freqiientarent), et Bayle {Dictionn., 1702, que depuis [>. 2767 qu'il eut : Je viens d'apprendre une chose assez curieuse, c'est renoncé à profession du judaïsme, la les terdam. approuva aussi une confession de Il (Jarigh Jellis) lui communiqua); des Hollandais, 1673, embrassé la il professa ou- assemblées des Mennonites ou celles des Arméniens d'Ams- vertement p. 65 : 11 et foi qu'un de ses intimes amis dans l'autre sens, Stoup {La Rclig. n'a point abjuré la religion religion chrétienne), et Colerus [Vie na jamais embrassé le des Juifs ni de Sp., 1705, ch. 3 : 11 christianisme, ni reçu le saint baptême, et ne s'est jamais déclaré pour aucune secte). SPJXOZA. 277 cartes et Leil>nilz, la fortune suffisante pour voyag^er, avoir des relations. De sa naissance à sa mort, d'Amsterdam à La Haye, alla il un arrêt en dix lieues avec route. Les savants authentiques qui le connurent, Leibnitz, Huygens, ils le regardent d'assez haut sance. nitz somme tinrent en le Quand on publiera les en petite estime; parlent de lui avec ai- et œuvres posthumes, Leib- ne se souciera pas d"y avoir son nom couché toutes lettres. Ses amis le déchiraient sous faire leur cour et, main pour aux puissances. Oldenburg, licat d'entre eux, en le plus dé- ne comprit rien au Traité de Théologie sachant qu'il voulait publier Y Éthique, le supplia de n'y rien mettre « qui puisse servir d'excuse aux ^ices ». Le meilleur de sa vie fut d'avoir eu l'amitié du grand pensionnaire, Jean de Witt, homme simple de manières et sans fortune, qui n'avait pas de carrosse pour aller à Scheveningue. Cette noble amitié fermir par l'exégèse la société, que lui fixa foi religieuse, un but armature de les disputes théologiques ébranlaient; ner pour fondements solides à l'État la le rendit son essai d'exégèse par que, et son un à sa petite vie. essai de programme pour été sans influence, la et ([ui don- Il mort compléta grammaire hébraï- République, qui avait par un programme pour dérat qu'il ne put achever la neutralité con- fessionnelle et le libéralisme autoritaire. Mais la de Jean de Witt raf- : le stathou- passa inaperçu. Il dé- mêla certains principes élémentaires sur lesquels reposait la scolastiquc et avaient dirigé sa vie il donna les règles morales qui sous une forme qui les rendait BENOIT DE SPINOZA. 278 f>resque Personne n'entendit illisil^les. incommodé par une ce solitaire qui, fièvre lente, traî- nant sa vie modique, voulait affirmer qu'il pour un de Colerus, lui, ce c'est sa beau comprenait pas. esprit bizarre qu'on ne Ce qui resta de est auprès des plus bienveil- d'être fort et d'aimer. Il passa lants de la voix faible qui survit encore dans la notice bonté, sa douceur, le charme de sa personne. Vingt ans après, le pasteur luthérien est encore sous le charme et, écrivant la vie de ce réprouvé, obligé de résister à la tentation. le Seigneur te ferme la bouche ! est Arrière, Satan, que <( » il Ses manières avec ses hôtes étaient exquises. Certains traits sont inoubliables. « S'il lui arrivait de témoigner son chagrin par quelques gestes ou quelques paroles, tirer aussitôt, pour ne rien séance. Il était affable et il ne manquait pas de se re- faire qui fût contre la d'un commerce souvent à son hôtesse, jmrticidièi'ement dans bien- parlait aisé, le tem^js de ses couches, et à ceux du logis lorsqu'il leur survenait quelque affliction fants combien ils ou maladie. devaient être obéissants et soumis à leurs parents. » Mais Colerus l'a un sins virent simple en lui affadi. et chaste, ils ne tarent pas la Ses voi- et sérieuse, grande passion de l'intelligence. mérite qu'on parle de lui autrement que d'un ton confit. Ce fut un esprit entièrement dur, sans humilité, sans tendresse. « Il peu une nature de prêtre, douce l'homme qui cherche Il enseignait aux en- Il y a des hommes Il positif, un homme ne fut pas résigné. ainsi faits, dit-il, qu'il n'y a rien qu'ils supportent avec plus d'impatience que de se voir 279 SPINOZA. reprocher des opinions qu'ils considèrent comme imputer à crime ce qui, au contraire, anime et vraies et sou- tient leur piété envers Dieu et envers leurs semblal)les. » Il riposta violemment sur mouvements effort dans est l)on d'athéisme ^ colères et méi^risants. les vices des honmics qui les rend supporta])]es. il l'article Il par intelligence. Il Il a des ne voit qu'après la nécessité intérieure n'est pas tendre de nature, déteste la pitié pour les Il animaux, l'aumône, toutapitoiment, tout sentiment de femme. sique <( méprise Il les rêveries, la mélancolie, bonne pour un mélancolique soi-même ». (|ui se Il ne fait l'enthousiasme, à l'instinct, au cœur. ; il veut comprendre a les Son regret d'avoir il fait Peu de philosophes les croyances reçues. communes Il est sans homme été enfant n'est adouci c'était inévitable rieur à l'intelligence, nions aucune place à ^. stupide- ». que par la De tout ce qui est infé- bon marché. l'ont pris d'aussi haut Il que lui avec s'affranchit de toutes les opi- sur Dieu et l'àmc, sur le bien et sur l'inmiortalité. « admi- choses naturelles en philosophe, au lieu de les admirer en pensée que mu- Rien de ce qui peut être traduit par la mu- sique ne trame dans son âme. ration la lamente sur le mal, L'humilité n'est pas une vertu. Le repentir n'est pas une vertu. L'espérance n'est pas une vertu. Quiconque naît libre et reste libre n'a aucune idée du bien ni du mal 1. Lettre à J. Ooslen. 2. Éth., 1, App. 3. Élfi., V, a se. » : on ferait un catalogue de ses né- BENOIT DE SPINOZA. 280 gâtions tranchantes. naire par morale 11 méprise ce qu'on entend d'ordi- mère de la crainte, : christianisme n'implique ni croyance voir n'est pas d'un de l'infini, homme ») ni Dieu sensible tradition. C'est une atï'aire sentiment très clair, très (« Son croire sans sa- ni mystère, ni sentiment , au cœur, ni espérance, ni de philologie l'entend, n'est pas foi, telle qu'il la morale. de et une croyance foi, et la un c'est ; une plus haute intellectuel, tension de l'intelligence, qui devient amour. En politi- que, n'a pas de sentiment, pas de scrupule, pas de il parti pris. tives : ne Il l'intérêt tient compte que de deux choses posi- de chacun, l'intérêt de l'État. Il ne pro- testa pas contre la révolution césarienne; il acceptait toujours un il rogne la fait. Autour du donné moindre frange de sentiment ou d'un d'idéal. En présence ou d'une idée claire, que commun des auteurs ou des hommes fait certain sentiment positif, les raisons dont ture, ne sont se sert le vulgaire lui importe ! (( le Toutes pour expliquer que des modes de l'imagination i. la na» Les auteurs délirent, Aristote et l'antiquité délirent. Descartes et Ilohbes presque entière est délirent fréquemment. L'humanité il a ou des rêves roidi. Il n'a aucun orgueil démente. Lui aussi, et des hallucinations. Il s'est personnel, ce qui serait la pire démence, dur de l'intelligence. « il a l'orgueil Je ne suis pas tenu, dit-il, de débattre tous les songes que chacun peut faire. opinions courantes n'excitent en 1. Êlh., I, App. lui que le rire » Les ou le 281 SPTXOZA. dégoût, vel risiim vel Jiauseam movcr(; soient K Cest à La réponse à Albert l'ironie qu'il s'en tient d'ordinaire. Hugo Boxel Burgli, les lettres à d'une ironie méthodique et froide, sur les spectres sont qui atteint par écl;its à l'évidence frappante ou à une sorte d'éloquence ten- due et contenue. quand sa façon qui lui conq^assé, des formules denses, il expose ses idées. demande comment chose par les « Un ton à la première objection, l'ironie qui apparaît, voilà et, chose par Jacob le nom , d'Uriès peut entendre la il noms de substance Par Israël, j'entends A Simon et d'attribut, il même répond troisième patriarche, et la : même qui fut donné à ce patriarche parce qu'il tenait en naissant le pied de son frère ce », qui ressemble Inen à une raillerie aggravée d'érudition. Soyons en éveil. Il se serait moqué de ceux qui le li- sent d'enthousiasme et ne sentent pas la pointe d'ironie hautaine. Le ton bénin de certains de ses biographes lui aurait donné la nausée ou Par certains côtés, il franc rire. bien un néerlandais joyeux, est ennemi de l'imagination. le Il a le réalisme de ses conci- toyens et leur gaité, affinée par l'optimisme des lades. fumait délicieusement la pipe hollandaise, Il jouait aux échecs ou, d'autres fois, araignées son les âme et, k les voir, claire. Il il il faisait battre éclatait d'un rire aimait la société et la mélancoliques vantent de leur mieux, grossière des champs... 1. Éth., ma- II, 35, se. » des où sonnait \ille. « dit-il, la La nature porte à il Que vie la tristesse. BENOIT DE SPINOZA. 282 Dans ce pays de sables, de dunes, de routes herbes sèches, les mousses tendent à détruire tout les ce grisâtres, que l'homme élève chaumières, à percer joindre briques; les : piquets de barrières, murs et le toit, à faire fuser le bois, à dis- il y avait place pour une race ré- signée, concentrée, isolée; y eut au contraire une il race joviale et entreprenante, qui relève infatigable- ment les digues, entretient les maisons, tou- les murs, jours vieilles, toujours neuves, et dont la propreté est la poésie. est Il voir de la emporté du bomie humeur croit à l'heureux même de et élan. pou- bonne entente. la accord de tous les Il sait le Il intérêts. Mais déjà la bonne entente a cessé. D'un côté, le peuple épais, têtu, qui ne peut surmonter le patriotisme atavic[ue, l'attachement à la dune, et résiste qui veulent lamener à cratie républicaine qui de l'autre, l'aristo- ne s'asservit pas aux intérêts de la nation hollandaise, mais veut être étroits et la la raison; aux hommes le sens haute justification de la société, représenter en Europe les idées de tolérance, de liberté, un type plus élevé d'homme. La nue la triste et incessante guerre contre l'Angleterre, le : faute des circonstances était surve- manque d'écho en Europe, tout le malaise cju'ex- ploita l'agitation césarienne, le parti fanatique enrayé à force de courage et de raison mais non abattu, renais- sant et grondant dès cjue la force qui le maintient se relâche. Dix ou douze visages graves passent dans la foulo hostile, phes, et, hommes et énergiques d'État, philoso- à quarante ans d'intervalle, deux couples : SPINOZA. Barncvcldt ol Grotius, Jcaii de 28)5 \Vit( et lui. connut Il le stoïcisme d'action. Dans cette atmosphère, la simple du courage. tolérance devenait Il d'un sémi- partie lit naire héroïque contre la foule. Qu'il n'ait pas été dé- concerté par le meurtre de Jean de Witt, par la ruine de tout son programme religieux, politique, moral, pu garder, malgré quelques qu'il ait nité de sa vie tion à être qui et qu'il un bon ait été faite ait ressauts, la séré- recommencé sans récrimina- citoyen, c'est la plus belle épreuve de sa force d'âme. au groupe aristocratique que de toutes façons C'est son goût le rattache, et non à la foule rustique des bons compagnons courtauds, balourds « Il avait, et jargonnant. nous dit-on, une politesse plus approchante de la cour que d'une devait sa naissance i. » ville Son de commerce à laquelle perruque déjeune homme, son latin, sa sobriété et désintéressement tranchaient parmi il son élégante teint olivâtre, son rosées et les faces gros mangeurs et les courtiers en- bouffies, parmi richis. avait le goût de la toilette; la négligence est, Il disait-il, « la les marque d'une âme basse parvenus qui lésinent sur sait aux le soin ~ du corps 3. arts et prenait des croquis des lui rendaient visite. La »; Lucas Freudcnthal, Ibid. 3. Élli., IV, App. p. IG. s'intéres- personnes qui saumon avaient succédé, et toute l'élégance nouvelle 1. Il raille les vie polie s'était développée. cabillaud et au hareng, le brochet, le 2. il : et le les Au bar hautes BENOIT DE SPINOZA. ^Sï cheminées à colonnes de marbre, les leçons de musique, prétextes à réunions galantes, la musique partout, aux repas intimes, dans Fatelier des peintres, à la toilette des dames, les robes de soie pâle, les corsages de velours, les bijoux, les perles, les tapis d'Orient et tout le luxe de la table du Neckar et le gibier, les fruits rares, les vins : de France, les verres de Venise, les por- celaines de Chine, les Ijuires d'argent et partout quel- que mandoline. Aux très rapprochés, yeux bleus vieillards à petite tête, grandes oreilles, têtes de gens qui ont toute leur vie obéi à la consigne et fait leur devoir, se mêlaient des jeunes gens plus délicats, plus hautains, au visage Ils éclairé, campés fièrement en regardant élevaient plus haut leur gaîté à mesure que foule s'assombrissait dans-le fanatisme. pur sentiment de joie; soi droit. il est bon. S'il est il à moi, et j'ai du moins, disposé Le rire est et un de légitime de satisfaire sa faim et sa soif, en quoi le serait-il colie? Telle est, « ne peut avoir d'excès la mon moins de chasser ma manière de mélan- voir, quant en conséquence. Au- esprit cune divinité ni qui que ce la ne peut m'imputer soit à bien les larmes, les sanglots, la crainte, tous ces signes dune âme impuissante. Il est dun homme d'user de tout et d'en jouir le plus possible. homme et la le jeu, est sage d'un sage de se refaire et de se récréer par une nour- riture et fum Il une boisson légères et délicieuses, beauté des fleurs, par la le théâtre. par toilette, la le par- musique, Chaque organe du corps humain a continuellement besoin d'aliments nouveaux et variés, 285 SIM.NOZA. que <ifîii corps lo t(jut entier soit ég-alcment propre à toutes ses fonctions, afin que Tespi-it à son tour soit propre ù comprendre plus de choses à n'eut rien d'ascctifiue, à moins que la cétique toute vie d'indépendance et de pensée. recommande pas un rire; état sans » fois'. l'on appelle rire ni Il Il as- ne larme, mais le ne conseille pas la destruction des passions, il mais l'exaltation du désir. Il ne conseille ni l'indilfé- rence des stoïciens aux passions, puisque les passions un seront toujours en nous, ni leur abaissement à veau inoft'ensif ne Il jusqu'à l'amour de Dieu. sentit pas condition. de disproportion de ses goûts à sa La source de sa joie exceptionnelle jeunesse sa pensée. ni- mais elles puissent être satisfaites, des passions volontairement spiritualisées la jouissance et aiguisées où Il il était avait plus haute. De son gardé s'échappait des sables de courbure de la La Haye ; il vivait secrètement avec ses livres, avec Maïmonide et les rabbins espagnols, avec Léon Hébreu et Machiavel. une intelligence juive, épanouie dans lande et l'Italie. dit-il les la et par Hollande l'inquiétait, guerres contre l'Angleterre. en parlant de est joyeuse Hol- élevée au grand style par l'Espagne La destinée morale de mais non la Il « J'attends, la guerre, qu'ils aient leur saoul de sang et se reposent pour mieux travailler. Pour un ironiste notre temps est à périr de rire. Moi, je ne ris ne pleure, j'observe. La nature humaine n'est pas ni 1, Élh., IV, 45, se. 2. BENOIT DE SPINOZA. ^86 risilîle ni, certes, lamentable, elle fait partie de la Autrefois, je ture. mal arrangées, absurdes. Aujourd'hui vivre à son naturel, et mourir, plaisir, pourvu Il sée ni du qu'il me s'il je laisse le veut, pour laisse vivre pour délivrer son àme n'eut besoin na- trouvais certaines choses inutiles, chacun pour son la vérité ^ » et apaiser sa pen- luxe matériel, ni des éloges des autres phi- losophes, ni de l'amour d'une épouse. fut ébranlé par l'intelligence, a.ux passions dont il il il renonça allègrement comme sentait Du jour où monde en tout le lui-même des sources vives et déceptions de sa jeunesse, y eut une place d'attente il en son cœur; lintelhgence s'y profondes. Après les logea et le transforma tout entier. Il fut passionné d'intelligence plus sance. Il que de connais- n'eut pas la curiosité de Descartes, l'intérêt large, magnifique, porté à tout, ni l'esprit objectif de Leibnitz,la complaisance habituelle envers toute chose, l'hospitalité rayomiante et large de l'assimilatem* indif- férent à ce qu'il apprend. Les objets qui l'intéressèrent sont en petit nombre : l'exégèse du Vieux Testament, la politique pure, la morale et, par rapport à la morale, la métaphysique spéciale pour résumer, le salut et la théorie des passions, public et particulier. Comme il confondait le salut avec l'exercice de lintelhgence, la pureté de la connaissance lui importait bien plus que son étendue. Quand on lui proposa un voyage en France, 1. Lettre 30, à Oldenburg (1665). il ^ se défendit « de faire cette comme voyait pas, 287 SPINOZA. folie ». Dans le monde ne il Descartes, des sujets d'étonm^ment, mais des discussions, des disputes, des haines qu il faudrait vaincre par l'aniour. Lorsqu'on lui offrit une chaire à lUniversité de lleidelberg, manie de contredire, qui « la et condamner môme fait il refusa à cause de prendre de travers ce qu'on dit de plus juste. Comme j'en ai déjà fait l'épreuve, moi, simple particulier qui vis dans la solitude, j'aurais bien plus à je m'élevais à une si haute dignité^ ». la redouter si N'est-ce pas le langage d'un honmie qui tient à la sagesse, qui est individuelle, plus qu'à la connaissance, qui est générale et s'impose par la discussion? Pour mieux dire, la con- naissance, telle qu'il l'entend, est individuelle aussi. Elle n'est pas abstraite, froide, impersonnelle, elle est par impossible, vie, jouissance et joie. Si, salutaire de la connaissance n'était pas identique au caractère de vérité c'est , préférerait renoncer. cice le caractère de l'intelligence, dre l'erreur, me au caractère de vérité Le profit que « même s'il j'ai tiré qu'il de l'exer- m'arrivait d'y surpren- rendrait heureux, car il fait ma jouis- sance et je m'étudie à ne passer point la vie dans désenchantement et la plainte la liesse et l'hilarité-. lité, resse comme une pièce dans la construction sérénité intérieure 1. Rép. à Fabricius. 2. T lettre à Blijenberg. de foiiunaliim. Une connaissance « : attitude Saisset lit le mais dans la tranquil- tout opposée à l'inté- de sa ce qui sans raison iufortunadim au lion BENOIT DE SPINOZA. 288 pour nous est singulière l'esprit scientifique et à cette époque. Il ébauche seulement mène S'il même métaphysique parce que cela et sa théorie des passions qu'il se propose. sa suffit au but plus loin son exégèse bibli- que, c'est qu'il faut, en cette matière, pour que la religieuse soit sauvée, bout. Bien soit cju'il tures, personne n'a foi pousser la critique jusqu'au nourri plus qu'un autre de lec- moins cherché que lui la connais- sance pour elle-même. Le tiers d'exégèse le reste de sa bibliothèque est occupé par les livres et de linguistique, le tiers par les savants, se partage entre les écrivains politiques, les philosophes, les historiens et les poètes. C'est la bi- bliothèque d'un hébraïque et que homme qui s'occupe de philologie la politique, la philosophie, l'astro- -nomie, la médecine, l'histoire ancienne, la poésie latine et la littérature espagnole intéressent. Elle tient presque rien pour Leibnitz en ont fait les peu de bibliophiles cas-. livres étaient chers; acheter les celles de Descartes, était le temps où tin et 1. A cette : ne con- SchuUer et époque, les œuvres de Gongora ou une véritable déci^on. C'était Isaac Vossius pouvait à la fois éditer Jus- se faire connaître en physique, où Velthuysen Lellrc de Schuller du 5 nor. 1G77 (Freudenthal, p. 205). I 289 SPixozA. était tlicologicn où ariatomiste, et Iludde joignait la réputation lo d'homme ]jour,i:iiiosti-e politique à celle de géomètre. L'histoire remlait l'honnête prudent, la poésie plus spirituel, les homme plus mathématiques plus pénétrant, la physique plus profond, la morale plus réglé, la rhétorique plus fort dans la dispute. Il un rabbin honnête homme. fut La première partie du Traité de Théologie litique ne serait pas refaite de Po- de nos jours, à moins d'une d'années de préparation. Voici les textes dizaine deux textes le texte et, latins vulgaires de l'Ancien Testament catholique in-folio de Pagnino (Cologne, et le texte protestant in-quarto (Francfort, 1575) (Bâle, 1619) en — , de Tremellius et : — \')%i) du Jon puis le texte hébreu de Buxtorf deux précieux in-folio où, par-dessous la vulgate, on touche la masore, et que tout le âge rabbinique enrichit^ Puis les outils moyen de travail: les indispensables Concordances de Xathan, le Thésaurus hébreu de Buxtorf, hébreu de Philippe le Dictionnaire Aquinas de Carpentras et deux ou trois autres ouvrages plus spécialement rabbinicjues. Mais la masore elle- même, malgré l'enthousiasme de pas le texte primitif; les viennent des masorètcs. texte tout vait les 1. p. Comment le atteindre le vieux pourrait si on retrou- de la langue hébraïque, mais Sans mentionner une traduction espagnole pour pides, ni ne donne voyelles et la ponctuation en consonnes? On principes Buxtorf, les il recherches ra- un autre texte hébreu impossible à désigner. Voy. Freudealbal, iGO-lGi et 27r.-:>88. BENOIT DE SI'INOZ.V. 19 290 BENOIT DE SPINOZA. n'existe à ce sujet que les deux pauvres grammaires de Mosé-ben-Joseph Kimclii (Ortona, 1519) d'après Élia Levita (Bâle, Miinster, maire de l'ancien hébreu Il avait sous les yeux la il J. de Tremellius. mal deux ou (il fait lisait Il un textes trois commença. De grammatica de arte A propos du Nouveau Testament, Vossius (1635). qu'assez 15 il). Une gram- Grammaire philosophique de déclarait ne pas savoir le grec. latin de Sébastien était à faire. Il la Scioppius (Milan, 1628) et le Ger. et le Il se servait du grec cependant, bien contre-sens sur Josèphe); grecs, texte un il avait dictionnaire et trois grammaires. Puis la foule c[uerelleuse des commentateurs. mier rang le Au pre- vieux Maïmonide, père des exégètes in- nombrables C£ui ment. Voici les prétendent tout explic^uer rationnelle- commentaires du P. Pereira sur Daniel (1562), la fantaisie récente d'Isaac de la Peyrère sur les hommes antérieurs à plus récentes encore Adam (1655), les dissertations de Velthuysen [De iisu ralionis in theologia, 1668) et de \yolzogue [De scriptiirarum interprete, 1668) nées de la controverse soulevée Louis Meyer sur l'interprétation de l'Écriture*. chappe à la fantaisie et de l'autre. « damental du Traité de Théologie 1. par n'é- des coccéiens que pour tomber dans l'interprétation rationaliste. Le philologue lement gardé de l'une On est éga- Le principe fon- est que VÉcriture La Clavis Tahnudica de Conslanlin L'Empereur (Leyde, 1G34) et le» rêveries cabalisliques de Joseph del Medigo [Abscondita sapienlia:, Amst., 1G29) sont ici pour !a curiosilé. 291 SPINOZA. doit être interprétée comme une par elle-même hypothèse, je l'ai je ne lai pas posé : établi sur une démons- tration concluante et régulière'. » Les recherches plii- lologiques, toutefois, n'ont pas leur but en elles-mêmes; préparent elles les études critiques qui conduisent elles-mêmes à comprendre ce que signifie mot le ré- vélation et ce qu'enseignent au juste les livres saints. Il ne faut pas s'imaginer qu'une bien grande partie des livres saints puisse être éclaircie. « Je professe, sans restriction et sans détour, que je n'entends pas l'Écri- ture sainte, bien que j'aie passé quehjues années à l'étudier'. tain le que » Presque tout l'essentiel, la doctrine courage de chacun est conjecture; libre il d'amour. n'y a de cerfaut avoir Il faire l'accord sur le certain et pour de laisser le conjectural. La bibliothèque sacrée est complétée par un petit nombre d'ouvrages théologiques, où le principal doctrine de la grâce est enfermé De : tinatione de Jean de Bononia, le le De seterna predes- Satisfactione de Grotius contre Socin, saint Augustin dans in-folio, et un al^régé Y Institution chrétienne de Calvin, en duction espagnole. Prédestination éternelle de la grâce, de la la grâce supérieure à la loi, seul, , tra- gratuité ce chris- tianisme supérieur passera dans YEthique et sera rationalisé. Grâce, salut, état de gloire, amour de Dieu, béatitude, liberté, sous tous ces est affirmée, l'éternité de l'âme. 1. Rép. à A. Burj^h. 2. 2' lettre à Blijenberg. noms une même chose Il y a une jouissance BENOIT DE SPINOZA. 292 dans un l'éternel, incomparable que état Traité de le Théologie rend presque indépendant des miracles, des cérémonies et des dogmes, que Y Éthique épure de et toute passion d'humilité et de toute métaphore prise au langage du temps. C'est le au-dessous de lui y a est il un pur sentiment religieux. Et autre sentiment religieux qui ennoblissement de l'obéissance, source élevée de sympathie entre les hommes. Chrétienne, l'œuvre, con- çue en pays calviniste, lest au sens de calviniste. Le salut individuel reste la préoccupation suprême. Il faut penser toutefois à un calvinisme sans épines, mitigé par l'esprit philologique qui préserve des ratiocina- par l'influence arminienne qui préserve de tions, tolérance et par le tempérament même du Malgré la dureté de son intelligence, caractère d'amour dans le mesure que son cœur qui il est né avec un s'est développé à esprit s'est élargi. C'est à une religion intellectuelle, proportionnée aux habiles, qu'il a songé, mais à une religion cependant de concorde comme versalité, « catholique » mot est l'in- philosophe. il dit, et dont et d'uni- le dernier amour. Les historiens antiques forment un autre groupe Salluste, César, Tite-Live in-folio; le Juste Lipse, un autre grand Tacite de Tacite in-douze, Arrien, Josèphe in-folio i. On : Quinte-Curce, y peut voir jusqu'à quel point l'antiquité est l'âge de la superstition et de la crainte. 1. On Pour l'eut leur le droit romain, les Institutes, en une joindre trois notices archéologiques. 293 si'iNozA. petite édition. L'histoire tés moderne n'a que des pauvre- deux recueils anecdotiques, en espagnol, une his- : contemporaine satirique, en toire de Charles une italien, histoire d'Angleterre, en hollandais. L'histoire ec- II clésiastique est représentée par l'ouvrage scandaleux de Sandius (Amst., 1668), où l'on apprend combien de « faussetés les auteurs ecclésiastiques nous débitent et par quelle suite d'événements et d'artifices le pontife de Rome a mis la main, six cents ans après Jésus-Christ, sur gouvernement de le de ces livres, l'histoire Pour l'Église' ». semble être le possesseur un recueil d'anec- dotes bonnes à jeter dans les disputes. Les ouvrages proprement politiques ont une autre importance. Voici Y Utopie de Thomas Morus, fondement — de la science politique moderne, — les pîiblicarum de Clapmaier, le De arcanis rerum Considérations politi- ques de Jean de la Court (1661) et les Discours politiques de Pierre et trois tin, — et Jean de la Court (1662), en hollandais. ouvrages capitaux Machiavel en italien et en la: le De cive de Hobbes (Amst. 1646) , summarum jiotestatum circa 16+8). Machiavel de Politique- montrent traiter droit — , est , — sacra de Grotius (Paris, lettre à la façon sèche et réaliste dont la politique de confondre le 1. Ilép. à A. lUirgli. 2. Ch. V, 7. De imperio apprécié dans un passage du Hobbes dans une du souverain, le et ils 7'/'rtî/t* Schuller. Us il convient de débrouillent à merveille le c'est-ù-dire souverain avec de le l'État. Ils ont le tort monarque et de fai- BENOIT DE SPINOZA. 29i blir sur le droit naturel de l'individu. — Grotius explique du souverain en matière le droit ecclésiastique. programme, que Pierre de la Court a repris dans jure ecclesiasticorum, est le blicain de la liberté : programme du Son le De parti répu- soumission des actes; un foi, pouvoir politique puissant, n'ayant pas d'église pour rivale, duelle. une vie religieuse intense restant chose importe de faire la part de ce qui Il indivi- est indi- viduel, la part de ce qui est social. La foi religieuse, la spéculation philosophique sont individuelles et libres, mais tout ce qui ment doit est social est être civique, soumis à l'Etat non religieux ». « le ser- : Le droit de l'individu et le droit de l'État sont aussi absolus l'un que l'autre. L'un et l'autre seront pour faire triompher la raison. invoqués tour à tour Car la raison suprême souveraine. On peut discuter sur le le est la régime plus favorable à la manifestation de la raison, mais une la raison fois manifestée, on ne contre elle ni l'intérêt de ticuliers, car l'obéissance l'État le peut invoquer l'État, ni la liberté des par- à la raison est à la fois pour plus haut intérêt et pour particuliers le les plus haut degré de liberté Le grec gnol et le français sont représentés et le latin dominent. L'anglais et cart, 1. mais l'espa- l'allemand sont absents. Le hollandais semble méprisé. la rusticité des Chainl)res de ' , Rhétorique Non seulement est tenue à l'é- mais aucun des nouveaux poètes hollandais n'a Homère et Lucien en grec; La Locjique ou Art de penser de Portle Voyage cVF.spafjnc de M"" d'Aulnoye, en français. Royal et 295 SPINOZA. pu forcer do ce le seuil latiniste, aucune tragédie, aucun iiics, aucun pof'.'me livre d'emblè- religieux, aucune jmstorale, rien de Hooft, ni des italianisants, ni de Huy- §ens, ni de Cats, ni de l'école de Dordrecht, ni de Von- d'Amsterdam del, ni des poètes le pays dont il '. Mais voici l'Espagne, parlait la langue et qu'il n'avait jamais vu, la vraie patrie de son imagination. La voici toute vive dans le Voyage d'Espagne de JP® d'Aulnoye. Et la voici dans sa littérature contemporaine : Nou- les velles de Cervantes, les Relations d'Antonio Pcroz, une comédie de Montalvan, un poème du juif Pinto Algado, un opuscule religieux de la Cuna, une anthologie de poètes et les œuvres complètes de Gongora et de Que- vedo en plusieurs avec joie. groupe éditions. Ce sont les livres dans un autre Et, plus chéris encore, voici les latinistes anciens et récents déjà mentionnés, : les historiens, — les Lettres de Cicéron — — ses tragédies, Lettres de Pline panégyriques, — Plante, — Virgile en d'un thésaurus ciceroniamis^ les lettres les et maniés le accompagné de Sénèque Jeune et ses trois éditions, Ovide, le mode poète à la (il est cité deux fois — dans 1'^- — Mar— Pétrone en une édi- thique , où ce sont à peu près les seules citations), tial, avec les notes de Farnabe, tion variorum toute récente, Pétrarque où I. dans il est — bibliothèque. Il s'y vita solitaria Un do épistolier hollamlais se trouve trouve des dictionnaires latin-hollandais, français-espaj^nol, espagnol-italien, langues de Calepino. De élégamment démontré que l'homme Peut-être savait-il mal le hollandais. la le latin-grec, et U^ dictionnaire des lalin- neuf BENOIT DE SPINOZA. 296 est supérieur solitaii^e de la journée : aux autres à toutes les heures à la pointe du jour, à déjeuner, après déjeuner, à midi, au coucher du soleil, à souper, en se couchant et la nuit, que la sérénité et la liberté ne se trouvent que dans la soKtude, mais qu'il faut être lettré pour goûter Baudius la vie solitaire, l'homme le Drôle, — les Épîtres grotesques de le plus débraillé des Bas, mais celui qui parlait le plus joli latin, Pays- — enfin un précieux poète Johannes Secundus, dont les dix-neuf Baisers recèlent à la fois la volupté d'amour et la vo- du bien lupté Il dire. lui-même un fut latiniste : que l'on compare sa langue, je ne dis pas au latin scolastique. mais au latin de Descartes et de Leibnitz emploie peu de mots d'école, telier. ne raffine pas sur il consiste, les 11 il peut dire, d'a- ni, si l'on s'excuse devant essendi. Il termes, Même dans V Éthique ! n'invente pas de synonymes. Sa méthode au contraire, en des assimilations puissantes et extraordinaù'es, faites au moyen de l'adverbe sive : Deiis sive natura, verus sive realis, libertas sive beati- De deux termes courants, opposés tudo. un seul mot neuf tache à supprimer les vérités l'eau — et spacieux. Dans parfois, le style, il il fait s'at- moyennes qui sont comme mêlée à une liqueur trop forte : le « titre >> philoso- phique ne peut être plus élevé que dans une page de retranche toutes les circonstances de la pensée, lui. Il les distinctions, les exphcations même paquets de faits, atténuations, sommaires, les les les transitions, les amas de raisons, les comparaisons, les citations, tout 297 siMXOZA. duu co qui fait le succès livre au moment où en compromet plus tard la durée. et de pensée, dont l'idée pure, l'essence est pesée avec scrupule. les idées il ne garde que tact logique. Son — Les ternité. De tous le style en il paraît Il ne retient que la valeur relative les liens plus tenace, qui unissent le simple con- prend un certain aspect d'é- idées sont sous une lumière froide et égale presque aucune n'est éclatante, parce qu'un excès ; A de tension en arrête l'expression complète. même il où nous le l'instant devinons qui s'exalte en lui-même, appauvrit, amincit l'expression de la joie intérieure d'où une forme si maigre donnée à une de sentiment. Dans V Éthique telle : plénitude le défaut s'exagère encore sous l'influence des lectures scientifiques. L'aspect de la mathématique tude et est donné à une doctrine de béati- d'amour, ce qui nous gêne un peu. Il y a en outre en cet ouvrage une inégalité de démarche qui équivaut à l'obscurité. Tantôt on avance doucement, on piétine, et tantôt claires, on enjambe. Les propositions sont généralement liicn disposées, mais la distance logique qui les sépare est tantôt insignifiante, tantôt démesurée. est d'une matière dure, peu Speremus jmriter, pariter metuamur, amantes, coulante. il — La phrase cite ce vers d'Ovide et il aime parler où les mots ont une cette façon avare valeur de position. s'élargissant trop, sa phrase rencontrerait le style de En symé- trique plutôt que le style oratoire, mais elle est incom- parable pour donner, dans un petit espace, l'impression du plein, du métallique. C'est un style forgé. Il BENOIT DE SPINOZA. 298 reste fruste plutôt jamais à que la fluidité. légère redondance, flou. Il atteint à la flexibilité, Tout au plus comme sous il y sonne parfois une un marteau joyeux qui rebondit. Une partie importante de la bibliotlicque scientitique se rapporte naturellement à l'optique et à l'astronomie. Sans parler d'un traité technique de la taille du d'une astrologie rustique, ni de l'astronomie du nge de Jean de Holywood, pler, lisait, moyen de Fépoque de Ke- l'astronomie de Métius (1608, 3 vol.) elYAstro- labiwn du les il verre, même auteur, dirigés contre l'astrologie, Eclogœ chronicœ de Kepler (1615) destinées à dé- terminer la date de la naissance de Jésus-Christ, les Refractiones cœlestes du P. Scheiner (1617) sur la forme elliptique traité — du soleil quand il arrive à l'horizon et un de Snellius sur la direction des navires (1627) ; de l'époque de Descartes, outre les œuvres de Des- cartes, celles de Philippe de Lansberghe, qui défend système de Copernic, gomontanus (16i0, et le Y Astronomie danoise de Lon- in-folio); — de l'époque raine, VOjitique de Grégory (1663) où contempo- est décrit le télescope à réflecteur que l'auteur a inventé et YHoro- logium oscillatoriiim de Huygens (1673, approfondir l'astronomie ques pures. Il il possédait, in-folio). Pour avait étudié les mathémati- de l'antiquité, Diophante, en traduction latine, et parmi les Euclide et modernes, Viète complet (in-folio), la Géométrie de Descartes en deux éditions, les Principia matheseos universalis et les Exercitationes mathematicœ de van Schooten (1651 et 299 SPINOZA. 1G57), une arithmétique, une ali^c]>re, une géométrie et une trigonométrie en hollandais des équations d'Érasme Bartholin sique, burg les Délerminatioîis et (IGO.'ij. Pour la phy- avait quelques o{)Usculcs de Boyle qu'Oldoii- il adressés lui avait aeris (1003) et les le : Paradoxa De elasticilate et fjravitate liydrostatica (10G9;. Cette collection délivres scientifiques s'est substituée à la collection des jeunes scolastiques, IIeerei>oort. Hur- gersdijck, Suarez, Martini, Scaliger, Toletus tainement maniés (ju'il Cogitata mctajthi/sica et le pre- (les mier livre de VÉthique en contiennent Tessence citations textuelles Giordano Bruno qui et à ^) Dialogues a cer- des et lui avait de sa jeunesse. Des philosophes inspiré les « italiens n'a rien gardé, à parties Dialogues d'amour il » de Léon Hébreu, en traduction espagnole; rien de scolastique, à part le (IGOO) et un gros comme dit il ; Systema logicx de Kekkermann Aristote, en dire, 2. De homine et le Ton compte que Paraphases à le goût de Mon- Logique novo-antique, la Voy. Freudenthal, En 16G1, il la premier volume dos du même méthode, .S/k u. d. et que le Clauberg les et auteur, font suite Manuel d'Épictète Scholastik (Fcstgabe v. Ed. ZelIor\ iiossédait, semblc-l-il, le denburg un aphorisme textuel L(>t- Logique de Port-Koyal, la philosophie cartésienne de au Discours de 1. dans aux œuvres de Descartes (édition de 1661, com- tres), si 2. aristotclicas, rien de Bacon, à part les Sennones fidèles, Sa bibliothèque philosophique se borne, peut-on plétée par le la nugas latin, recueil de réflexions morales taigne la (!'" lett. à ynvum orgunum. Old.). Il citait à 01- 300 BENOIT DE SPINOZA. de Sénèque sont pour expliquer et les Lettres à la princesse Elisabeth, tres et, en partie, les let- Pas- les sions de l'âme. Cette renonciation tardive à la philoso- phie courante et cette adhésion à la science nouvelle correspondent à l'évolution la plus sensible de sa mé- taphysique, je veux dire au passage de la théorie de la substance à la théorie qui se fonde sur le seul indi- vidu. La théorie de la substance unique, le panthéisme substantialiste, a été l'aboutissant de toute la philoso- phie précartésienne. Pour y arriver, sumer les et de conclure. trois Il il lui a suffi de ré- a voulu mettre de Tordre dans de la substance que définitions différentes Descartes avait acceptées une chose qui n'a besoin que : de soi-même pour exister', une chose qui n'a besoin que de Dieu pour exister-, une chose dans laquelle sident certains attributs dont nous avons idée tiré au clair et 3. ré- Il a brutalement simplifié une doctrine com- plexe et subtile. La métaphysique du premier livre de l'Ethique, qui a "tant frappé les esprits et sur l'originalité de laquelle on que cipe, le s'est trompé, résumé scolaire n'était, dans le prin- et elle est restée la sim- plification élémentaire d'une philosophie courante. Elle existait confuse dans les philosophes italiens de la Re- naissance et vers elle tout un courant issu de la scolastique dérivait. 1. Principes, 2. Abrégé des Médit. 3. 2""- I, Rép., déf. 51 5. ; Que reste-t-il — Médit., III. pour nous de la scolas- SPIXOZA. Pays-Bas et des philosophes italiens? ti([ue (les le 301 premier de V Éthique. Lisez-le, livre le reste Il reste n'aura plus qu'un intérêt de détail. De la philosophie ment des docteurs antérieure à Doscartes, spéciale- juifs, a recueilli encore, de son il propre aveu S la théorie de l'identité de rintelligcnce à son objet, ce qu'on peut appeler le panthéisme intellectualiste. Il lisait dans Maïmonide, qu' « telligent, l'intellect et l'intellig-ible sont môme lect chose toutes en acte^ les fois ». Il lisait en nous une seule que nous possédons dans Léon Hébreu l'in- : et l'intel- « L'intelli- gence n'a point une essence circonscrite. Elle contient en degrés d'être, de forme et d'acte de soi tous les l'u- nivers, tous ensemble, en essence, en unité et en j)ure simplicité, de sorte que, qui peut la connaître connaît en une seule vision toutes semble '. » les choses de l'univers en- a accepté la théorie de l'intelligence Il unique concurremment avec la théorie de la substance unique. de Il a fait une ingénieuse application de l'identité l'idée à la chose pour éluder le problème de l'u- nion de l'àme et du corps. Quant à l'incompatibilité des deux théories, il ne jamais rien des attributs a voulu la pallier, sa marque étant de sacrifier même de a il : fait de l'intelligence un substance, artifice simple la d'apparence, mais qui laisse subsister, dans le détail, toutes les difficultés. 1. Éth., H, 7, se. 2. More..., t. 1900. 1, p. 311, cité par (). llaiiitlin, .innce philosophique, BENOIT DE SPINOZA. 302 A deux théories CCS il a même voulu, à la de VÉ- fin thique, en combiner une troisième encore, une sorte de panthéisme de l'amour, inspiré, hreu : « lui aussi, de Léon Hé- les hommes et l'amour hommes pour Dieu ne sont qu'une même L'amour de Dieu pour intellectuel des chose. L'amour intellectuel de l'âme pour Dieu est une partie de l'amour infini cpie Dieu a Qu'il s'agisse de l'identité ou de l'aimant à l'aimé, identité. Du Juif il pour soi-même ' » . de l'intelligent à l'intelligible c'est en Dieu qu'il met cette a gardé l'habitude d'esprit qu'il a finement analysée lui-même de tout rapporter à Dieu par deux dans fois le : second livre de VÉthique un recours précipité à Dieu interrompt la déduction. Un procédé donne à la construction une unité appa- tel rente, mais les disparates se retrouvent en ce Dieu com- plexe, situé au confluent de la Pensée universelle, Dieu substance des scolastiques et de l'universel du Amour des théosophes italiens, La construction, sans doute, détail, est admirable dans La technique philosophique n'a jamais le été plus consciencieuse ni plus habile. Mais de la perfection même du chef-d'œuvre naît à certains moments timent de sa vanité : on sent parfois la gratuite, le jeu d'échecs métaphysique. Le le sen- combinaison remède était de mêler, conmie Descartes, aux spéculations générales les recherches scientifiques. 1. ou y songea; il Dialogues d'amour, traduits par du Parc (La philosophie d'amour de M. Léon Hébreu, 2. Il le fit, Élh., Y, 36 et Paris, 1577), p. se. iiO. SPINOZA, 303 remplaça sos livres de philosophie des livres de p.n- science et le cours de sa pensée fut change. môme pas en science le d'élargir, de transférer « » , choses physiques et sensibles. losophes Il u'.ipptjrtaif que Descartes, esprit la crainte S'il le g-oût de quitter les ne revint pas aux phi- la Renaissance, à la conception poétique (le d'âmes, de forces vivantes, de répugnances et de sympathies, d'un amas de puissances croire qu'il ait tes, eu instinctives, rien la large vision pièces les n'était pas d'accrocher les unes aux autres, mais de faire rentrer les unes dans corps matériels à un fond commun, deux corps, La réduction des l'espace, fut le salpêtre et l'eau-forte, un seul corps : il : car- En présence de il voulait que ce lun à unique des choses. cela à côté de cela. A supposer deux indi^idus irréductibles (Descartes les eût laissés tels), il du pensait les ramener aisément l'autre et toucher sans effort l'étoffe refusait de dire de les les inclure, les autres. tésianisme ce qu'il comprit le mieux. Il fait de poulies, de leviers, de chocs, de machines aux rouages engrenés. Son goût fût ne mécanique de Descar- comme leur cherchait de force une autre unité, en les supposant membres d'un individu supérieur. Désintéressée, cette tendance eût pu être féconde. Mais s'occupait pas de science en savant; enrichissement de son système. Il il ne il y cherchait un s'appro^iria, nous l'avons vu, une vue hâtive de l'anatomie naissante : la théorie de l'endjoîtement à l'infini des individus les uns dans les autres. Elle lui permit de supposer un individu unique, quand l'unique substance ne suffisait pas. Ella BENOIT DE SPINOZA. 304 non moins que le satisfit, car, l'unité, il le hesoin impérieux de avait le sentiment vif de l'individualité de lame humaine. en spectateur; Il comme ne se plaçait pas Descartes ne cherchait pas une explication du il monde dont lame humaine fût à peu près exclue. Les de sympathie s'expliquaient pour lui par faits l'état mental de l'amoureux, non par des rouages corporels subtils. Ce qu'il trouvait de plus haut en lui-même, en du monde faire l'étoffe : voilà la démarche la plus cons- tante de sa pensée. Si c'est rintelhg-ence, le l'amour, le monde monde amour, est intelligence, si c'est c'est l'intérêt personnel, l'intérêt général est merveilleu- sement d'accord avec cet fait partie intérêt. de l'univers jamais ; le est si Toujours l'homme sentiment d'un désac- cord, ni d'une rupture de continuité ; c'est au fond de l'individu qu'est trouvée l'essence de l'univers et de Dieu. Les sulîtilités de la psychologie et celles de l'exé- gèse et de la politique l'intéressaient plus, en somme, que celles les sciences de l'algèbre et de la médecine. C'est dans morales qu'il a apporté un esprit a retranché la médecine de Y Éthique, S'il il positif. y a intro- une théorie des passions, rudimentaire, homogène duit du moins. L'affirmation du parallélisme absolu du corps et de l'esprit lui mentaux, de tard, permettait même de s'en tenir aux états qu'elle permettra à d'autres, plus de s'en tenir aux états corporels. Il y a joint une morale positive, indépendante, sans attaches nécessaires à sa métaphysique, un portrait du sage inspiré spixoz\. :U).'> de la vie nioralo contcmporninc, une qu'on sent efficace et l'ensemble, mais dans chacun des détails, pour nous l'héritage moral de caine. stoïfjue rè^'-le éprouvée non seulement dans qui est et Hollande républi- la La théorie psychologique des passions morale stoïque se joignent à la plexe que nous avons vue pour conqioser un où perfection de la la méconnaître le nombre et livre main-d'œuvre arrive à et la la métaphysique com- faire dissemblance des maté- riaux accumulés. Nous aimons à croire qu'il avait à ses yeux réalisé son essence, lorsque à quarante-quatre ans et quelques mois il quitta l'existence. Sa dernière année fut occupée au Traité de Politique, à la seconde édition du Traité de Théologie et au remaniement décisif de l'Éthique. Il n'attendait pas dès celle-ci, Il prit une seconde disait-il, la vie, parce qu'il avait eu résurrection d'entre les morts. quelques précautions en vue de ceux qui allaient bientôt faire le récit pieux de la mort d'un athée; voulut que leur imagination eût toute de dettes ce que pouvait payer et de ses hardes. rosses et A la il la tâche. 11 laissa vente de ses livres son enterrement il y eut six car- presque autant de gens de qualité qu'à len- terrcmcnt d'un professeur. Quelques gens du peuple s'y trouvaient aussi est au ciel. qui disaient : « Sûrement celui-là » FIN r.ENÛIT Di; SPINOZA. 20 TABLE DES MATIÈRES Pages. — Chap. I". Chap. Chap. Chap. Chap. La Synagogue 1 — Conversion — Formation de la théorie de la Substance — IV. Premiers Traités V. — Les Principes de la Philosophie de Descartes 13 II. .. III. « Chap. VI. 1 . ti. — Traités de Théologie et de Politique — La — Le libéralisme Chap. VIL — Livre P"". Livre LnnE 133 Livre Chap. VIII. La causalité divine 111 — Théorie de Tindividu — Théorie de connaissance — Les passions IV. — Le stoïcisme V. — L'éternité — Spinoza III. 89 ioa L'« Éthique » 1. 2. 71 131 autoritaire Introduction LunE IL 39 ». 89 vie religieuse — 21 la c 1"8 187 206 *22o 248 273 iÉ^&^ The Library La Bibliothèque Université d'Ottawa llDiversity Celui qni rapporte nn volame apris dernière date timbrée d-dessons la devra date stamped below there will son pour chaqae jour de retard. charge of one cent be a 6ne of five cents, for 13 Ji iiONOVl 3 2(m 168 ilAft-i4 2e 09tô8è 198â 10 OEC;i^20(W Ottawa For failnre to retnrn a book on or before the last payer ane amende de cinq sons, plus on jkt^'i of Date due Echéance and an extra each additional day. ftr IIMIIII B 3998 «068 COUCHOUDi BENOIT DE I 19 2 PPUL-LOUIS SPiNOZfi» T.i.--a» 3<398 CE B .C68 1902 CCICHOUC, COC F/ r»--. 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