Benoît de Spinoza - University of Toronto

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dVof OTTAWA
39003000-10'16'19
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A
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or?—3f7
'?-:>- S'I
BENOIT DE SPINOZA vs|
LES GRANDS PHILOSOPHES
Collection dirigée par CLODIUS PIAT
Publiée chez Félix Alcan
Volumes
in-80
de 300 pages environ, chaque volume,
Ont t»arw
SOGRATE,
KANT, par
par Clodius
5
fr.
g
Piat.
Th. Ruyssen, ancien élève de l'École normale, pro-
fesseur de philosophie au Lycée de Bordeaux.
AVIGENNE,
par
le
Baron Carra de Vaux, ancien élève de l'École
Polytechnique, professeur d'arabe à l'Institut catholique de Paris.
SAINT AUGUSTIN,
MALEBRANCHE,
PASCAL,
par lAbbé
Martin.
par Henri Joly.
par Ad. Hatzfeld.
SAINT ANSELME,
par
Ta
GAZ ALI,
J.
par
le
le
Comte Domet de Vorges.
ftaraiit^e
g
Baron Carra de Vaux.
Typographie Firmiu-Didot et C".
— Mcsnil
(Eure).
LES GRANDS PHILOSOPHES
BENOIT DE SPINOZA
PAR
PAUL-LOUIS COUCHOUD
AGRÉGÉ DE
PHILOSÛl'HIE
ANCIEN ÉLÈVE DE L'ÉCOLE NORMALE
Dieu, qui est amour, nous a donné l'amour,
là que nous savons que tout
en Dieu et que Dieu est en nous.
et c'est par
homme
est
(St Jean, Ép. I, ch. iv, 13.
du
Épirjraphe
Tr. Théol.-Pol.)
Cm
uOttawa
PARIS
FÉLLX ALCAN, ÉDITEUR
108,
BOUL. SAINT-GER3IAIX, 108
1902
3
A
Messieurs
Henri Bergson, Georges Lyon
et
F. Rauh, mes maîtres à l'École Normale,
en
hommaqe
de reconnaissance.
Digitized by the Internet Archive
in
2010 with funding from
University of Toronto
littp://www.archive.org/details/benotdespinozaOOcouc
PRÉFACE
une histoire
Je présente
un exposé des œuvres de
et
me
Spinoza. Dans les parties d'exposé je
de penser à nouveau
le
l'auteur, sa concision
mules. Dans
suis efforcé
texte et d'imiter la manière de
un peu sèche, son
les parties
style à for-
d'histoire j'ai suivi quelques
règles que je crois applicables à l'histoire de la philo-
sophie.
La première a
été
de tenir compte de tout ce qu'a
sans trier au préalable ce qui est propre-
écrit Spinoza,
ment philosophique.
de VArc-en-ciel, à
J'ai fait
l'essai
grammaire hébraïque.
une place
Sur
le
Je n'ai pas
portance prépondérante qu'on
et qu'elle doit
Politique.
Ce
partager avec
le
même
nilre et à
donné
lui
au
traité
V Abrégé de
à VÉlhique l'im-
accorde d'ordinaire
Traité de Théologie et de
serait faire violence à
l'œuvre de Spinoza
que d'y voir essentiellement l'œuvre d'un métaphysicien ou
même
d^un métaphysicien
et
d'un moraliste,
PREFACE.
VIII
puisque l'auteur se donne encore pour un exégète et
pour un politique. On ne peut en déterminer
le
carac-
tère général qu'à condition de n'y rien négliger.
voulu étudier un philosophe plutôt
qu'une
J'ai
philoso-
phie.
Ma seconde
règle a été de suivre l'ordre chronolo-
Deux méthodes
gique des œuvres.
que
l'on se place,
se présentent selon
pour étudier une doctrine
de vue du philosophe ou à celui de
au point
,
l'historien.
Le phi-
losophe, qu'il veuille réfuter la doctrine ou la proposer,
en
fait
dispose pour
groupe
et
un exposé logique, systématique.
la
sous quelques chefs principaux
la clarté
les textes
Il
suivant cet ordre. Tel est
le
point
de vue adopté, pour ne citer que deux travaux français récents,
dans
de M. Brunsvicg".
ble possible.
On
Un
regarderait
qui a eu son évolution.
La
de ses recherches,
vertes,
A
autre point de vue
comme un événement
sophe
sion
deviendraient
l'ordre
les
lieu
1.
et
me sem-
doctrine d'un philo-
historique qui a sa date,
progrès
le
de ses décou-
principaux sujets
d'étude.
systématique devrait se substituer l'ordre
de grouper
et
les textes
Le Problème moral dans
pour chaque ouvrage,
sous des chapitres nou-
ht philosophie de
189i.
2.
la
'
vie de l'auteur, la succes-
chronologique des ouvrages
au
études de M. Delbos
les belles
Spinoza, Alcan, Paris, isOi.
Spinoza. Alcan, Paris,
IX
l'RÉFACE.
veaux,
il
faudrait suivre
la
marclie
même
de l'auteur,
respecter ses divisions et donner à chaque idée l'im-
portance qu'il
lui
a
donnée lui-même. L'historien ne
veut ni réfuter une doctrine ni
la
genèse.
que
C'est
une
la
histoire des
rajeunir;
en suit
il
œuvres de Spinoza
j'ai tentée.
J'ai
cherché, en troisième lieu,
à rattacher l'œuvre
aux circonstances qui l'expliquent. On mettra en première Hgne
les lectures
a subi l'influence. J'ai
que l'auteur a
aussi de connaître le milieu
immédiat auquel
il
importe
et l'au-
s'adressait. J'ai essayé
que Spinoza
de dé-
a traversés
le
milieu théologien et cartésien deLeyde,
milieu stoïque et républicain de l'entourage de Jean
de Witt à
la
Haye.
fluence des lectures.
L'action
du milieu
Elle explique
précise
vait
lire
Maïmonide
et
Léon Hébreu, Calvin
cartes, Épictète et Hobbes.
la
Il
l'in-
pourquoi Spinoza
avait dans sa bibliothèque et dans quel esprit
de
:
milieu rabbinique et italianisant de la synagogue, à
Amsterdam,
le
Il
où l'auteur a vécu
crire les milieux intellectuels
le
il
donné une grande importance au
catalogue de la bibliothèque de Spinoza.
ditoire
dont
faites et
de-
il
et
Des-
n'y a jamais, en histoire
philosophie, d'action exclusive d'un philosophe
sur un autre;
il
faut
chercher l'action plus complexe
des milieux philosophiques
.
Inversement
les
œuvres phi-
losophiques, toujours représentatives d'un milieu, sont
des documents historiques de premier ordre.
J'ai
re-
X
PREFACE.
gardé
comme
de Spinoza
celles
telles
pour
la
Hollande
de 1670.
J'ai réservé, enfin, la
place la plus importante à l'é-
tude technique des œuvres. Le reste n'est qu'une détermination par l'extérieur, une sorte de mise au point.
L'essentiel est d'étudier le contenu exact de
composition intime. Si
et sa
chaque
livre
ouvrages des philoso-
les
phes sont des documents historiques,
ne
ils
le
sont que
secondairement. Ce sont essentiellement des constructions d'idées, dans lesquelles
une part de génie. Nous n'avons pas à
leté,
mais nous pouvons
prendre
jusque dans
que Spinoza
la
analyser patiemment et y ap-
le style
se soit arrêté
cherché comment
de
les
au
:
substance. Je
me
de
la partie
rale,
aux
J'ai été
ressortir
dans
le détail la
amené
J'ai
théo-
de
à admettre
là,
que
pas unique dans cet ou-
la partie
purement mo-
parties métapliysiques. J'ai voulu faire
par quels efforts Spinoza essaie de concilier
avec sa théorie de
sa conception de
cet
mathématique.
ne s'étend pas également, sans parler
psychologique et de
trois
n'est pas indifférent
suis efforcé, en partant
la direction substantialiste n'est
et qu'elle
il
style
s'est constituée
de désarticuler V Éthique.
vrage
les refaire,
technique philosophique. L'intérêt est dans
la
le détail et
rie
entre une part d'habi-
il
la
substance son intellectualisme et
l'individu.
ordre que l'histoire de
tablement ramenée.
Il
ne
la
C'est
aux questions de
philosophie est
suffit
pas de
lui
inévi-
appliquer
PRÉFACE.
les
méthodes générales de
littéraire. Elle
ou de
l'histoire
spéciale.
On peut
l'histoire
demande une méthode
assez bien de l'histoire des sciences.
rapproclicr
la
XI
Les Éléments d'Euclide,
même
considérés au point de
vue historique, ne peuvent pas être étudiés unique-
ment par
l'historien.
La diflérence
d'une science on peut extraire
telle qu'elle est constituée
impossible d'extraire de
de
l'histoire
de
davantage sur
le
que de
l'histoire
elle-même,
la science
aujourd'hui, et qu'il serait
même
façon une philosophie,
philosophie.
la
est
L'intérêt s'en reporte
tour d'esprit et le tour de main de
chaque philosophe, sur
la
facture particulière de cha-
que système.
L'œuvre de Spinoza, dans son ensemble
et son
loppement, dans sa signification historique
structure de détail,
tel est,
et
déve-
dans sa
en résumé, l'objet de cette
étude.
Spinoza
est,
pour
sophe privilégié.
Il
vres complètes
,
'
le
lecteur d'aujourd'hui,
une édition critique de
ses
œu-
un recueil critique de tous
les
do-
et
une
existe
cuments biographiques que
l'on
a
sur
lui
bibliographie méthodique des ouvrages qui
nent
1.
^
est
11
un philo-
aussi
le
seul
philosophe
-
le
concer-
dont
nous
Édition van Viotcn et Land, 2 vol. in-8\ La Haye, 1887; 3 vol. in-I2.
La Haye,
1895.
2.
Frendenthal. D.ie Lebensgeschichte Spinoza's, Leipsig, 1899.
3.
Van der
Linde, Bibliographie de Spinoza, La Haye, 1870.
PREFACE.
XII
connaissions
avec
exactitude
qui permet quelque sûreté
la
bibliothèque',
ce
clans les questions difficiles
d'influence.
1.
Inventaire de la hihliothèque de Spinoza. Édition van Roojen, La
Uaye, 1889 (reproduit par Frendenlhal).
BENOIT DE SPINOZA
CHAPITRE PREMIER
LA SYNAGOGUE
Les premiers écrits que nous ayons de Spinoza sont
les
deux brefs dialogues insérés dans
lis
semblent antérieurs à sa rupture avec la synag-ogue.
le «
Court Traité ^
Ce sont deux exercices d'écolier, incomplets
».
assez
et
obscurs, mais deux ébauches précieuses, venant d'un
philosophe qui a peu livré sa façon de composer
penser.
—
intellectuelle
~
1.
Partie I, ch.
Les sources principales pour
'
2°
de
?
2.
1
et
Quelle avait été jusqu'alors sa formation
ii.
la vie
de Spinoza sont
:
Les Lettres de Spinoza, 166MG7G.
La Préface de ses Œuvres posthumes, attribuée
soit à Schuller, soil
à Meyer et Jarigh Jelles, Ainst., 1677.
30 Bayle, Dictionn., art. Spinoza, Kolterd., 1697.
4°
La Préface de
la
T
BENOIT DE SPINOZA.
édition de Chr.
KorthoU
:
De tribus iviposlo1
BENOIT DE SPINOZA.
2
dans
C'est
le quartier juif
d'Amsterdam, à lombre de
synagogue portugaise ^ qu'il faut nous représenter sa sérieuse jeunesse 2. Nous avons la vision de ce
la vieille
monde fermé
étrange par Rembrandt qui
et
On imagine
vers cette époque.
hantait
le
les salles basses et pro-
fondes, les éclairages fantastiques, les bizarres défroques,
des vieillards. L'église
bibliques
attitudes
les
d'Amsterdam, formée surtout de
de marranes
fidèles et
chassés d'Espagne en Portugal et de Portugal en Hollande, était très prospère.
Jérusalem
Elle
».
On
l'appelait
la Nouvelle
«
moins savante que
était
rihus magnis, Hambourg, 1700. Cette préface est du
celles
de
de l'auteur,
fils
Séb. Kortholt, qui vint recueillir en Hollande des traditions orales.
La
5"
]
ie
de Spinoza par Jean Colerus,
les Lettres, la
6°
La
Vie de Spi7ioza,
Louckers,
— ou
Phil., IX,
p.
— Colerus a utilisé
Anist., 1705.
Préface de 1677, et Bayle.
par un de
ses disciples, Am&t., 1719 (Lucas
— Voy.
de Saint-Glain.
Meinsma, Archiv.
208; elMeyer, ibid., 1898, p. 270).
Les autres textes sont réunis dans
Lebensgeschichte Spinoza
Les références, pour
les
s,
livre de
le
(2
Celle qu'on voit maintenant a été bâtie
2.
Une question
Land
et
(3 vol.
:
«
iu-12, 1895).
en 1670.
a été soulevée sur l'origine de Spinoza.
1)
Spinoza naquit à Amsterdam
le
—
Colerus dit
24 nov. 1G32.
Contrairement à ce témoignage, Graetz {Gesch. d. Juden, 1868,
n.
1
,
le
p. vi)
Die
vol. in-12, 1842) qui est la plus cou-
van Vlotcn
1.
(p.
:
œuvres de Spinoza, seront données, autant que
rante, et, à son défaut, à l'édition
avec précision
M. Freudenthal
Leips.. 1899.
possible, à la traduction Saissel
sur
— ou
gesch. d.
f.
pense que Spinoza est né en Espagne, à Valladolid.
texte suivant de Spinoza (Lell. 76, 1676)
novi), entre beaucouj) d'autres,
un
:
«
J'ai
11
t.
»
X,
se fonde
connu, moi {ipse
certain Juda-ie-Croyant,
(|ui,
élevant la
voix au milieu des flammes où on le croyait consumé, entonna l'hymne
Tibi, Deus,
animam
dernier souflle.
»
offero, et n'interrompit ce chant que pour rendre le
Ce Juda-le-Croyant, de son nom de
de Vero y Alarcon, est un martyr
juif,
«
marrane
»,
Lope
qui fut brûlé, ù Valladolid,
le
15 juillet 1644. Spinoza semble dire qu'il a assisté à l'auloda-fé. Graetz en
LA SYNAGOGUE.
Pologne
de Bohème, mais oUe
et
orthodoxie jalouse. Les
était célèbre
excommunications
extirpé
»
et qui se tua.
de l'Église
comme
— Une sorte
syndics Israélites, les
soucieux des
et
étaient
y
épicurien en 1640,
de concordat, conclu avec
aux mains de
magistrat, remettait toute autorité
le
pour son
Spinoza put connaître Uriel da Costa qui
fréquentes.
fut «
.'3
mœurs
«
Pharnasim
Ceux-ci étaient
».
des fidèles autant que de leur
foi,
une grande ferveur régnait dans la comnmnauté.
—
Elle avait à sa tête le vieil Isaac
Aljoab, patriarche
vénéré et redouté; Orobio de Castro, chargé de l'apocontre
logétique
les
chrétiens
Manassé-ben-lsraël,
;
prédicateur éloquent, un peu illuminé, un peu suspect
de préférer la Cabbale à la Bible
grand cœur
et
àme
et
au ïalmud
,
mais
pieuse, et enfin Rabbi Saûl Morteira,
qui fut le maître de
Spinoza i.
C'était
lui
qui avait
conclut qu'il était né à Valladolid, ou dans les environs, et qu'il y était
resté
au moins jusqu'à douze ans.
Espinosa
à Valladolid,
Primera parte de
au
wii'
On
sait,
siècle.
par ailleurs, qu'il y avait des
On
trouve une anthologie,
las flores de poêlas ilustres en
la
Espaùa, compilée par
Pedro de Espinosa, imprimée à Valladolid, en 1605 (volume décrit dans
le Catal.
de la Bibl. de Salva, n° 210.
— Rei\
d'Hist.
litt.
de la France,
1896, p. 435). Toutefois la conclusion de Graetz ne semble pas s'imposer.
Spinoza
dit
seulement avoir connu Juda.
On
peut simplement supposer
un voyage de Spinoza en Espagne, ou un voyage de Juda à Amsterdam.
Une autre solution, plus simple encore est peut-être proposable. Le mar,
tyre de Juda
avec la circonstance de l'hymne entonné dans les tlammes.
dans
est raconté
et
,
le livre
de Manassé-ben-lsraël, Esperançade Israël (1G50)
Spinoza avait ce livre dans sa Bibliothèque (Voy. Inventaire..., éd. van
Rooijen, 1889, p. 184). Peut-être s'en
hyperbole
deux
1.
:
est-il inspiré.
Ipse noL'i serait une
d'Aubigné aurait pu dire semblablement
frères lyonnais, les cinq écoliers de
:
J^ai
vu
brûler les
Lausanne!
Les six rabbins étaient Morteira, Aboab, les deux de Faro, Schalom-
BENOIT DE SPINOZA.
4
marchands
distingué dans une famille de
cet enfant
Après Mosé Zacout,
ditatif et studieux.
en
il
méson
fit
élève préféré et Téleva pour le temple.
Morteira
et
Vénitien d'origine
,
,
tempérament hautain
dominateur, se distinguait des autres rabbins. En
face de l'école traditionnelle et mystique,
école d'exégèse plus hardie
,
par la raison
en exclure
et tendait à
une
existait
il
qui interprétait la Bible
surnaturel.
le
C'est à elle qu'il se rattachait. Cette école remontait
Guide des Indécis
«
resté suspect
aux
mis plusieurs
de Maimonide, ouvrage fameux,
»
dénoncé souvent
juifs orthodoxes,
fois
au
et
à l'index, conservé néanmoins par
même
des rabbins philosophes qui, avec le
tionaliste, l'avaient interprété
esprit ra-
à son tour. La méthode
ordinaire des philosophes juifs dans la recherche de
la vérité n'est
Ils
pas la méditation personnelle,
prennent un texte pour point de déjîart
font
et ils
en
un commentaire de plus en plus approfondi. Mais
commentaire ne reste pas subordonné au
le
solitaire.
dépasse
et
texte
:
il
le
devient texte à son tour. C'est ainsi que
procédera Spinoza.
Il
pénétrera d'abord la Bible et plus
tard ce seront ses propres ouvrages qu'il réduira aux
propositions essentielles et qu'il approfondira sans cesse.
Sous l'influence de Morteira,
il
prit
en dégoût
les rê-
veries des cabbalistes, « ces sottises de charlatans »,
comme
il
les appellera
dans la suite
ibn-JosepIi et Jacob Gour-Arié.
Jlev. des et. juives,
1.
XXV,
(Voy. une
207.)
Tr. Th.-I'ol., trad. Saisset, p.
20(1.
'.
lettre
Il
s'émancipa rapi-
cilée
par KaufTniaiin,
LA SYNAGOGUE.
dcmcnt de
l'autorité des rabljins
il
;
O
vit
leur ignorance et
résolut de ne consulter que lui-même sur les difficultés
de FÉcriture. Ilmettait ennote tout ce qui l'embarrassait
et
comptait sur ses réflexions pour en tirer la lumière.
11
médita
Il
relut de cette façon et
le
Vieux Testament.
de le réduire à cpielques idées définies
s'efforça
et d'en
tirer surtout
une conception de Dieu
fut le résultat
de ses réflexions? Nous en savons quelque
et
de l'àme. Quel
chose par une conversation qu'il eut un jour avec deux
de ses amis
Il
'
d'abord une opposition entre l'Écriture
vit
système de la Cabbale qui explique toutes
et le
les choses
par l'intervention d'esprits ou de démons. La BDjle ne
justifie
pas un
tel
système
:
les
anges dont
il
y
tion sont des visions de rêve, des fantômes tels
,
que Jacob
en songe, monter
vit,
du
ciel.
ont
pu nier leur
Entre
Ils
et
est
ques-
que ceux
descendre l'échelle
n'ont aucune substance et les Sadducéens
l'homme
existence sans être exclus de l'Église.
et Dieu,
il
n'y a pas d'esprits intermé-
diaires.
Qu'est-ce que
l'homme lui-même? Que doit-on
en-
tendre par l'âme? Nulle part nous ne voyons dans la
Bible que l'âme soit immortelle, mais partout, au contraire, ce
mot
est pris
périt avec le corps
bêtes.
1.
Il
Lucas,
Spinoza,
;
pour synonyme de
la
même
fin
attend
«
vie
».
l'homme
n'y a point de vie future à attendre;
L'âme
et les
il
faut
Vie de Spinoza; ap. BoulainTilliers, Réfut. des erreurs de
p. 5.
BEXOIT DE SPINOZA.
6
organiser la vie d'ici-bas pour elle-même, car elle n'a
pas sa
fin
en dehors
d'elle.
que Dieu enfin? L'Ecriture l'appelle grand
Qu'est-ce
et infini, et,
pour n'être pas des métaphores, ces mots
supposent l'étendue. L'étendue, à son tour, ne se com-
prend que pour
rel;
il
les corps."
Dieu
est
donc un être corpo-
confond avec l'immepsité du monde.
se
Ces idées se dégagent-elles vraiment de l'Ancien Tes-
tament?
est difficile
Il
de
le croire, l)ien cju'un
rabbin l'ait pensé encore de nos jours
devinrent, pour Spinoza,
elles
desquels
il
sortes de
se
fit
i.
c{u'il
Quoi qu'il en
soit,
des principes à l'aide
«
jour à travers tous
dogmes
savant
compléta
et
les
nuages
»,
des
approfondit plus
tard, mais qu'il ne renia pas.
Après la Bible,
il
lut le
Talmud, dont l'étude semble
avoir été négligée à Amsterdam.
difficile
et profond.
fiant.
ne
Il
Il
passait
pour un
livre
Spinoza le trouva clair et insigni-
s'y arrêta
guère, se réservant toutefois d'en
porter un jugement définitif.
Il
étudia aussi les œuvres des philosophes juifs. Deux
surtout semblent avoir agi sur sa pensée, Mosé iMaimo-
nide et Léon Hébreu.
De Maimonide deux ouvrages étaient célèbres
est
un
traité
de philosophie et de théologie,
le «
l'un
:
Guide
des Indécis », l'autre une sorte de traité de morale, divisé en huit chapitres, et qui sort de préface à son
Com-
mentaire de la Mise/ma. Spinoza connut certainement
1.
A. Weill, Moïse ri le Tahmicl,
Paris,
1864.
le
LA SYNAGOGUE.
Guide dos Indécis^
«
le réfuter. Il
prophétie
mais ce ne
humaine
colle
et
du miracle,
colle
de la création
raffirmation de la liherté
,
Fidéo essentielle qu'on ne peut donner à
et
Dieu aucun attribut.
Il
probablement plus frappé
fut
même
par nu adversaire de Maimonide et
Hasdaï-ben-Creskas', dont
curieux déterminisme.
toute
guère que pour
fut
en rejettera presque tout, la théorie de la
de la Providence
celle
et
»,
7
il
d'Aristote,
parait bien avoir connu le
En revanche,
il
semble avoir pris
morale de Maimonide, morale originale qui
la
donne pour
lin
suprême à
Pour atteindre
telligence.
noncer aux
plaisirs,
cette fin,
il
ne faut pas
re-
cest-à-dire à la satisfaction des
désirs et des passions.
Fhygiène du corps
la vie la perfection de Fin-
et le
Il
suffit
de
les
ordoimer par
bon gouvernement de
la vie,
de façon à rendre possible la liberté de Fesprit, nécessaire
pour arriver à la connaissance de Dieu. La vie
contemplative, mais non ascétique, est celle
même
que
Spinoza se proposera de fonder.
Les
«
Dialogues d'amour
)>
de Juda Abravanel ou Léon
Hébreu, publiés en 1535, avaient révélé aux
Juifs la phi-
losophie platonicienne. Spinoza en possédait une traduction espagnole^.
qu'il
que viendra l'importance
donnera toujours à l'amour.
dra la
1. Il se
C'est là qu'il
trouve dans sa Bibliothèque {Inventaire, éd. van Rooijeu,
dans sa
Inventaire,
p.
pren-
de l'amour de Dieu pour lui-même,
théorie
2. Il le cite
3.
C'est d'eux
29-=
p. 132).
Lettre.
152. Spinoza a
saint Augustin {Invenf., p. 131).
pu connaître aussi
le
Platonisme par
BENOIT DE SPINOZA.
8
(le
Dieu pour
hommes
les
et
de l'homme pour Dieu,
Famour,
l'étude minutieuse des causes de
de l'amour
et
du
sensuel, qui naît
désir, et celle
du
l'homme
Il
n'en tirera pas seulement
de
est tout autant la perfection
l'a-
la perfection de l'intelHgence.
La connaissance que Morteira
taKen
au
mais aussi la conviction que
cette psychologie subtile,
la fin de
de deux amours, l'un,
désir, l'autre, intellectuel, qui,
contraire, engendre le désir.
mour que
la distinction
lui ouvrit aussi les
lui avait
donnée de
œuvres des philosophes de
li-
la
Renaissance, ces systèmes hardis et poétiques qui sont
comme
l'ivresse
semblablement
de la pensée spéculative.
le
lut vrai-
Il
dialogue de Giordano Bruno
De la
<(
Causa, Principio e Uno », publié en 1584. Ses deux
en sont tout pénétrés.
essais de jeunesse
distinction
«
cause
»
du
principe
«
»
Il
y trouva la
interne des choses et de leur
extérieure, c'est-à-dire de leur essence intelli-
gible et de leur existence particulière, de ce qui définit
un homme en
à
tel
moment.
soi et
Il
de ce qui
fait
que
tel
homme
laquelle Bruno explique pourquoi» tout
chaque moment tout ce
qu'il
selon sa substance
^
»
peut être dans ce
;
ce qui est le
De
la Causa,
III
;
c'est l'intelligibilité
éd. de Lagardc, p. 259.
en
soi et
exis-
du système.
Spinoza en retiendra l'idée originale, que tout
que
moment
problème des
tences particulières. Ce sont les difficultés
tré d'intelligence et
par
homme est dans
précis, mais n'est pas tout ce qu'il peut être
1.
existe
s'inspirera de la théorie ingénieuse
est
péné-
d'une chose
LA SYNAGOGUE.
îi
qui en est la véritable cause, la cause
se confondent cause
gardera surtout
« intérieure »
cause finale'.
efficiente et
dernier que
le postulat
« le
but
Il
où
en
même
de la philosophie est la connaissance de Funité des
choses^
».
La substance du monde
immuable; en
et
elle se
confondent l'ordre des essences
Tordre des existences,
elle
enveloppe toutes
germe
les
les
contient la plante.
dessinent et se constituent,
il
il
se
Rien n'existe
individuel,
principes et les causes;
comme
le
membres
se
formes possibles
«
nouvelle,
est unicpie, éternelle,
Lorsque
les
ne naît pas une substance
consomme un événement déjà accompli 3. »
qu'en elle. « Quand on regarde un homme
on n'aperçoit pas une substance particulière,
on envisage
la
Substance sous des
Les impressions
traits particuliers. »
des
qui nous viennent
conmie des sons musicaux disséminés
;
il
choses sont
faut les multi-
plier et les fondre afin d'entendre l'harmonie qu'ils
composent.
la
même
rique,
— Dans un autre Dialogue de Bruno publié
année
^,
Spinoza put goûter
nouveau encore pour
fondeur
infinie
le
sentiment ly-
humain, de
la pro-
du monde, ce sentiment qui enchantait
et effrayait Pascal, et
le délire qu'il
l'esprit
il
put connaître la joie
donne à l'âme qui en
et
est pleine.
presque
Ces lec-
tures italiennes furent sans doute la poésie de sa vie
cléricale.
1.
Ch.
2.
Ch. V.
3.
Ibid.
4.
De
IV.
Vlnfinito, Universo e
Mondi.
BENOIT DE SPINOZA.
10
C'est
quon
rimpression de ces études de jeunesse
retrouve dans les deux essais dialogues écrits probable-
ment vers
époque
cette
à-propos, dans
et insérés plus tard, sans
Court Traité
«
œuvre plus étendue
partie d'une
vois à des
le
on y trouve des ren-
:
développements qui manquent.
Le premier
est,
dans la forme, une imitation de Léon
Hébreu. Dans les
père du désir,
fils
«
Dialogues d'amour
de la raison
et
»,
l'amour
l'Amour, du Désir, de la Raison
et
quatre personnages par lesquels
amants, Philon
l'Amour entre
et Sophie.
le
est
elle est
remplace
est
les
deux
de
la dispute
Désir et la Raison. Le Désir offre à
de savoir
la Nature est
de
fait
de la Connaissance
il
Le sujet
l'Amour des objets multiples,
Le débat
est
de la connaissance.
Pour mettre en lumière ces rapports, Spinoza
si
grand
devaient faire
Ils
».
si
la Raison
un unique
la réalité est multiple
objet.
ou une,
composée de plusieurs substances ou
Substance unique.
est tranché à la façon
Il
si
de
Giordano Bruno. Ce qui empêche de voir l'unité de la
Nature, c'est une fausse idée de la cause. Le Désir l'ima-
gine
<(
transitive
s'arrête à la distinction
». Il
lectuel et
du corporel parce
une cause
transitive
les
rapporte
comme
qu'il
attributs à
ses effets.
— Dans ce
contraire,
une substance unique,
comme
petit écrit se
l'intel-
ne peut pas leur voir
commune. La Raison, au
parce qu'elle conçoit la cause
de
«
immanente
marque déjà
tère propre de la pensée de Spinoza
,
»
à
le carac-
son extrême con-
densation. Déjà s'y trouve posée la question d'où sortira
sa philosophie morale
:
où doit aller notre amour? Dans
LA SYNAGOGUE,
sons
le
ou dans celui de la raison?Et Ton pressent
désir
(lu
11
la réponse. Le désir doit être repoussé,
parce qu'il
mène
à une fausse conception des choses, à une philosophie
La philosophie
d'erreur.
c'est tout le spinozisnie.
fondement du bonheur,
vraie,
comme
Ce court Dialogue en est
une annonce obscure ou un premier oracle.
Le second Dialogue est plus explicite et plus impor-
On y trouve déjà formée une des
tant.
de Spinoza, qui restera à
la
idées maîtresses
base de son édifice intellec-
tuel. Et si
Ion
pements
qu'elle eut dans la suite, cela
du
cision
se sert,
texte,
pour
comprendre, des dévelop-
la
marque
la con-
mais non pas que Spinoza ne leùt pas
dès cette époque fortement conçue.
La forme de
cet écrit est
Théophile, qui désignait
empruntée à Giordano Bruno.
le
philosophe lui-même,
s'y
retrouve et a pour interlocuteur Érasme, qui tient le rôle
du
Désir'.
immanente
Le sujet est de préciser
comme on
sait,
et se la
«
«
cause
rend propre.
une expression de théologiens, qui
désigne la façon dont Dieu est cause de
à la façon
de
Cette notion fut certainement entrevue par
».
Rruno, mais Spinoza Féclaircit
C'est,
la notion
transitive » dont
tures. Théophile soutient
il
est
soi; elle
cause de ses créa-
que cette opposition
monde de
fondée, et que Dieu est cause du
façon que de lui-même, qu'il en est
a
s'oppose
n'est pas
la
même
cause immanente
».
Dieu est intérieur au monde. Peut-on dire, avec Érasme,
que
le
monde
1. "Epa(7|jLo;,
s'ajoute à lui et
Desiderius.
augmente son essence?
BENOIT DE SPINOZA.
12
Non,
rapport des choses à Dieu doit être conçu de la
le
même
manière
cjue le
rapport des idées à
Les
l'esprit.
idées ne s'ajoutent pas à l'esprit, elles le constituent.
On peut
dire, indifféremment,
que
qu'il est
formé par
ne
de cause à
effet,
elles,
car
il
l'esprit les
s'agit
De même, Dieu
de l'univers. Les choses ne
est l'intime
de
Il suffit
lui sont
pour s'approcher
marque
Comme
inaccessible.
immédiatement de
je veux
il
est éternel, tout, ce
participe
lui
moi-même rendre
git de
le
Toutes
les
esprit,
morale
l'importance
Dieu, n'étant plus transcendant,
doctrine.
((
les pénétrer
ne
elles
lui.
Théophile
«
de
d'in-
l'esprit est le fond.
peuvent pas accroître son essence, car
pas étrangères.
pas d'un rapport
mais d'un rapport d'inhérence ou
Les idées sont l'extérieur,
tériorité.
forme ou
faire
sans
cette
n'est
plus
qui dépend
de son éternité.
mon
éternel
esprit,
il
Si
s'a-
immédiatement de Dieu.
dépendre
idées,
de
doute,
qui
mon
composent
dépendent immédiatement de Dieu pour leur
essence », c'est-à-dire pour leur possibilité, mais leur
existence
actuelle
»
culières, l'éducation
auxquelles
que je
j'assiste, les
est privilégiée, l'idée
intermédiaire.
«
dépend de modifications
reçois,
même
conversations
les
voyages que je
parti-
fais.
Une seule
de Dieu. Elle se produit sans
Dieu est connu par lui-même.
»
L'idée
de Dieu dépend immédiatement de Dieu. C'est à
qu'il faut
me
rattacher; travailler à
c'est travailler
me
elle
rendre éternel,
à acquérir une idée claire de Dieu. Mais
à quoi reconnaîtrai-je que j'y suis arrivé?
A
ce que
mon
LA SYNAGOGUE.
amour
l-'J
me
cessera de se disperser et que je
uni à Dieu, de manière qu'il
aimer que
me
soit
sentirai
impossible de rien
Ce sont les progrès de l'amour
lui.
([ui lé-
vèlent les progrès de l'intelligence.
Tels sont les témoignages qui nous restent des
tations de jeunesse de Spinoza.
Il
jet d'une pensée déjà personnelle. Plus tard,
Court Traité
«
velles, puis
»
,
elle s'enrichira
dans Y
minutieusement,
Éthique
«
»
Non,
directe, à
implique,
s'il
si
ce
progrès du
— Faut-il
mot s'applique à une
une union intime avec Dieu.
comme
il
est certain,
un Dieu per-
sonnel, sensible au cœur, par delà l'intelligence.
l'homme
s'unit à Dieu,
le
développée
elle sera
discours mis en saillie, mais l'âme est là.
communication
dans
de connaissances nou-
le détail sera éclairci et le
parler de mysticisme? Oui,
médi-
faut y voir le premier
mais ce
n'est
Ici,
pas par un état de
grâce, c'est par une idée pure. Et l'amour ne dépasse
pas la connaissance,
il
en
est l'autre face. C'est, si l'on
veut, le mysticisme de l'entendement.
A
vingt ou vingt-deux ans, Baruch
de Espinoza
était
encore un lévite, nourri da^ns la synagogue
pour
elle. Il lisait et
de
converser.
Comme
1.
il
Ses
méditait beaucoup, mais
mœurs
se livrait peu,
Benedictus de Spinoza
comme on
sait, le
forme portugaise.
nom
est
étaient
il
^
et
évitait
irréprochables.
une sorte de respect l'entoula
traduction latine.
— Espinosa est,
de plusieurs peintres espagnols. Espinoza
est la
BENOIT DE SPINOZA.
ik-
rait. Il passait
et
pour avoir une grande science de
la Bible
quelques connaissances étrangères. Les études théo-
logiques avaient été
base de sa formation intel-
la
Commenter librement
lectuelle.
éclairé, de la famille
Creskas, plus
la Bible, être
de Maimonide
profond qu'eux,
et
un rabbin
de Hasdaï-ben-
peut-être
aussi
plus
attaché aux questions de morale, semblait devoir être
sa destinée. La philosophie italienne lui avait ouvert
Fesprit aux joies de la pensée spéculative, mais
manquait
du
la connaissance
latin
pour entrer dans
courant des idées contemporaines. Apprendre
était
lui
le
le latin
son plus grand désir. Mais aucun des rabljins ne
pouvait
le lui
enseigner. Manassé-ben-Israël, le seul
d'entre eux, semble-t-il, qui
sion auprès de Cromwell.
été plus savante et
eût
il
pu ne pas
l'ait
Si
su, était alors en mis-
Fégiise d'Amsterdam eût
moins intolérante, peut-être Spinoza
se séparer d'elle.
On peut
dire qu'il ne
s'en sépara jamais d'esprit. Après son excommunication,
il
i,
continua, nous dit son biographe
à respecter les
règles de la loi sur le travail manuel. Son
Théologie et de Politique
son expulsion de
philosophe
n'est
et
»
l'église. 11
montre que
fut
œuvre rabbinique,
et,
celle
y définit son idéal de rabbin
«
la liberté de
jusqu'à la
du
«
1. Coleriis, tr. Saiss., p.
Col., p. 58.
15.
»
Il
.
fin, il
targoum
des Livres Saints en langue vulgaire
2.
Traité de
une protestation contre
pas incompatible avec la piété
jamais, le rabbinage
«
~.
philosopher
ne délaissa
s'occupa d'une
», la
traduction
CHAPITRE
II
CONVERSION
Dans
les
premiers
traités
de Spinoza se marque une
double influence, celle des théologiens chrétiens
celle
de Descartes. C'est
logues
»
fond de pensée des
le
«
i
et
Dia-
élargi par des lectures latines, fortifié surtout
par une profonde crise morale.
Pour apprendre
le latin,
Spinoza avait été obligé de
Un
célèbre médecin, Frans van
quitter le quartier juif.
den Ende, renseignait alors aux
geois.
et
mêlé à
fils
des riches bour-
nom, au fond
libre penseur,
la politique la plus avancée.
Sa répétitrice
Il était
catholique de
était sa fille Claire-Marie, excellente latiniste,
belle, paraît-il,
mais pleine d'esprit
et
point fort
d'enjouement;
musique de chambre, dont
elle enseignait aussi la
le
goût commençait à se répandre. La maison de van. den
1.
On
reconnaît surtout l'influence des Jeunes Scolastiques, en grande
vogue alors aux Pays-Bas
:
Pereira, Mendoza, Eustachius
Suarez,
et
les
Martini,
tants, Burgersdijck, Heereboort, s'en inspiraient
metaphysica de Spinoza sont en
Ihal,
J.
C. Scaliger,
Toletus,
Coïmbrois. Les professeurs protes-
beaucoup. Les Cogitata
partie dirigées contre eux. (Voy.
Sp. unddie Scholastili,isinsles Pfi .
Freuden-
Ax fsdtze du JubilédeZeUer,
1887.)
BENOIT DE SPINOZA.
16
Ende
en vogue
était fort
<(
au pair
deux ou
ainsi
et le
docteur
Spinoza se présenta chez
travail.
reçu,
,
comme
»,
était
accablé de
lui, et obtint
second répétiteur.
d'y être
Il
passa
ans, ayant le vivre et le couvert,
trois
moitié apprenant le latin et moitié l'enseignant.
C'est la période
mondaine de sa
fins,
vie. Il prit contact
avec ces gens discrets
avec la société hollandaise,
et
qui ne mettent rien en façade, mais sont épris de
luxe intime.
Frans
La
Hais,
vie était alors tout
toujours
Cuyp, Ostade, van
embaumée
d'art.
debout, Rembrandt, Terburg,
der Helst étaient dans leur vig-ueur.
Paul Potter venait de mourir. Et d'autres, nés dans la
même
commençaient avec
g-énération que Spinoza,
lui
leur gloire, Ruysdaël, Jean Steen, van de Velde et les
deux jumeaux, Jean ver Meer, Pierre de Hooch.
là vingt années uniques. Spinoza
à cette révélation de beauté.
rapporte qu'il
faisait
Il
Il
y eut
ne resta pas étranger
dessinait,
et
Colerus
de fort belles esquises à la plume,
rehaussées de fusain, ou plus probablement de sépia..
Plus tard, à Voorburg et à La Haye,
chez des peintres
sa
i,
et,
il
à sa mort, on trouvera, dans
chambre, autant d'estampes que de
Il
ne
se désintéressa pas,
tiques. Le
chouer
1.
non
livres.
plus, des luttes poli-
coup d'État du prince d'Orange venait d'é-
devant
d'Amsterdam
l'appui
prendra pension
l'héroïque
résistance
(1650). Plus tard,
du clergé,
le
des
quand grandira, avec
mouvement de
réaction militaire,
Daniel Tydeman et Henri van der Spijck. (Van Vlolen,
plem.,
p.
298;
— et
Baylo, art. Spikoza.)
bourgeois
Ad
fi.op.sïip-
CONVERSION.
17
Spinoza restera un Ikju républicain.
11
Grand Pensionnaire. Le jour de son
assassinat,
verra
comme
affolé,
on
le
pleurant, et voulant aller flétrir
— Mais à
la populace'.
sera lanii du
la tal)le
de van dcn Ende,
il
dut avoir les oreilles pleines des projets de cet aventurier qui devait finir sa vie en France dans
breuse conspiration. Eut-il lui-même de
tions?
se dessinait,
Il
nous dit-on, sous
une téné-
folles
ambi-
les traits
de
Masaniello, dont l'étrange destinée venait d'émerveiller
l'Europe.
nous
Il
datione
fait
entendre en fout cas, dans
le plus
»,
De Emen-
le «
personnel de ses ouvrages, qu'il fut
séduit par la vie mondaine, par
une vie entourée de
luxe délicat, d'un peu de gloire et de voluptés fmes.
Il
avait
nête
bonne grâce, rien d'un pédant, tout d'un hon-
homme. Son
portrait
le
-
montre avec
le visage
d'une finesse rare, le teint mat, une conjonction spirituelle des
yeux
tocratique.
maître.
—
—
Il
et
Il
de la bouche, un air d'aisance aris-
demanda
la
fut repoussé.
sement l'isolement qui
En même temps,
il
—
main de
Il
lui venait
la fdlc de son
dut sentir douloureu-
de son origine.
touché des premières brûlures
fut
d'une phtisie héréditaire^. C'était sa vie bornée
premier contact de
comme
1.
celles
la
mort prochaine. Ses
Note inédite de Leibnitz, à
En
3.
2' Lettre
le
réflexions,
de Pascal, en furent certainement hâtées.
la Bibliolh.
de Caieil, Réf. de Sp. par Leibnitz,
2.
et.
frontispice
du tome
II
de
de Hanovre, citée par Fouclié
p. 6i.
l'éd. 8°
van Vloten etLand.
de Schviiler, ap. Stein. Leibnitz
BENOIT DK SPINOZA.
nnd Spinoza,
p. 285.
2
18
BENOIT DE SPINOZA.
rapidement
s'agissait d'atteindre
Il
d acquérir sans retard
que
serait pas sûr
fond de la
quand
même
la vie éternelle fût possible,
chercher encore.
la
le
l'éternité. Et
«
Un malade,
il
\ie,
il
fallait
attaqué d'une maladie
mortelle, rassemble toutes ses forces pour chercher
remède sauveur, quoique
découvrir
'
»
.
La mort
ne
incertain
s'il
un
parviendra à
est certaine et le seul espoir
le
d'un
peut-être éternel, doit l'emporter sur la réalité
])ien,
de biens certainement périssables.
Pascal, transporté
du bien de
C'est le
pari de
l'autre vie à celui de la
vie présente.
La synagog-ue enfin grondait contre lui.
une première
fois
avec
à Morteira, qui
faite
le
elle,
du
sortir
théâtre.
communauté
On
lui offrit
Isaac
lui
«'
l'église
les
fidèles. Elle
une
nuit,
>),
lui la
celle
Il
refusa. Alors
grande excommuni-
que
prononce toute
et
de la miséricorde de Dieu. Puis, pour
môme d'Amsterdam, les «
Pharnasim
implorèrent l'appui des ministres luthériens et
De Emendat., van
prenne
Pour
la
as&emblé<f ét~qui prive à jamais du secours
rejeter de la ville
i.
au
de ne pas tenir d'elle ses ressources.
unej)ension très élevée.
Schanmiatha
hommes
2. «
alla
en voulait de vivre hors de
Aboab fulmina contre
cation
des
et
rompu
menaçait d'excommunication"^.
attentat sur sa personne,
On
avait
sur une réponse cavalière
Lanimosité avait grandi parmi
même jusqu'à un
Il
me
le rituel
le
»
déro-
VI., p. i.
reconnaître de vos bontés, voulez-vous que je vous ap-
d'excommunkation.
»
Lucas,
p.
14.
19
CONVERSION.
enfin
l>èrcnt
aux magistrats une sentence
de
d'exil
(juelques mois (1G5G).
Cette tempête arracha définitivement Spinoza à ses
espérances mondaines. Forcé de renoncer aux voluptés,
à la réputation, aux richesses,
—
là des hiens équivoques,
une
(|ui est
le désir
quête d'un bien
—
et
règle
moins encore
«
que ce sont
la volupté,
de regret, que
de richesses, qui n'admet point de
lame
indéfiniment
'.
11
se
mit en
qui pût emplir seul l'àme tout en-
qui lui donnât l'éternel et suprême bonheur-
dirigea sa vie, nous
Il
réflexion
oscillation de jouissance et
de gloire
relâche et assoiffé
tière et
il fit
»
et
suivant une nouvelle
reconnut que ce n'était possible qu'à con-
rompre avec
dition de
dit-il, «
».
hommes". La
communes
habitudes
les
vie singulière à laquelle
il
des
était contraint
devenait la condition de sa liberté d'esprit. L'enchaine-
ment
fatal
des événements
s'était
trouvé d'accord avec
l'ordre légitime de ses pensées.
Il
n'atteignit pas d'un seul
Ce ne fut d'abord que des
<(
rares et de courte durée
vinrent
«
^
coup
le
bonheur espéré.
moments de
»,
consolation
mais peu à peu
plus longs et plus fréquents
»,
ils
de-
jusqu'à ce que
sa nature se fût tout entière transformée en une « nature supérieure
». Il
revint alors aux spéculations phi-
losophiques de sa jeunesse, mais
1.
De EmendaL,
2.
Ibid.
3. Ibid., p. 277.
4.
Ibid., p. 278.
tiad. Saîsset, p. 276.
le
ton était autre. Ce
BENOIT DE SPINOZA.
20
n'était
plus récho de Maïnionide et de Bruno,
l'accent personnel d'une
âme régénérée par
c'était
sa propre
pensée.
Descartes déclarait que sa principale régie avait été
de ne consacrer que
((
fort
peu d'heures par an aux
pensées qui occupent l'entendement seul
consacra tout son temps.
«
Ilya
'
Spinoza y
».
certains métiers, dit
Renan, qui devraient être les métiers réservés des phi-
comme
losophes,
labourer la terre, scier des pierres,
pousser la navette
du tisserand
et autres fonctions
ne demandent absolument que
main... Pour
m'oifrait
un
ma
tel
le
mouvement de
part, j'ai souvent songé
métier, je renoncerais à
que
mon
si
qui
la
on
titre d'a-
grégé de philosophie, car ce métier, n'occupant que
mes mains,
détournerait moins
cessité de parler
pensée que
la
pendant deux heures de ce qui
point l'objet actuel de
un
ma
mes
nén'est
réflexions-. » Spinoza prit
métier de ce genre et refusa toujours de professer
en public.
1.
Éd. Cousin, IX, p. 131.
2.
Avenir de la Science,
\).
39G-397.
CHAPITRE
III
FORMATION DE LA THÉORIE DE LA SUBSTANCE
Nous aimerions savoir
comment
mciit
ils
les «
concepts
la
»
façon dont Spinoza méditait,
naissaient en son esprit
se développaient,
comment
ils
com-
,
se « sériaient ».
Nous avons pour cela un exemple
privilégié. C'est la
théorie contenue dans la proposition
que
est infinie ». Elle se retrouve
différentes. Si
« la
substance
dans cinq textes d'époques
nous parvenons à en marquer
les pro-
grès, nous ne prétendrons pas comiaitre le fond de Spi-
noza, ni avoir pénétré la structure de son intelligence,
mais nous aurons, du moins, vu sa pensée à l'œuvre,
nous aurons
assisté
en quelque sorte à son travail in-
tellectuels
Dans
les
«
Dialogues
subordonner Tune
ture est
infinie
)>
»,
deux idées cherchent à se
à l'autre, la
,
première que
la seconde cpie
immanente du monde
».
La Raison
«
Dieu
croit
<c
est
la
Na-
cause
prouver que la
BENOIT DE SPINOZA.
2i2
Nature
buer
est illimitée. « Sinon, il faudrait, dit-elle, attri-
Tinfini
non quelle ne
mite,
la limite. »
—
Mais,
«
répond
l'argument prouve que la Nature est sans
le Désir,
Il
au Rien qui
sait
pas composée de parties
li-
finies.
s'applique aussi bien à la supposition de substances
finies et distinctes. »
reproduit.
<(
Infini »,
Aussi un
tel
argument ne sera pas
pour Spinoza, exclut plus encore
composition que la limite
;
c
la substance est infinie » veut
dire avant tout « la substance est unique
pas cette seconde proposition,
il
». Il
ne prouve
cherche plutôt la mé-
thode qui conduirait à une preuve. De la Nature
à Dieu.
11
la
faut voir en Dieu une cause
«
il
passe
immanente
»,
qui ne produit rien en dehors d'elle, qui n'est pas avec
le
monde en rapport de cause à
effet,
mais en rapjDort
de substance à attributs. Les substances que nous croyons
voir dans la Nature seraient donc des attributs qu'il
faudrait,
comme
tels,
rapporter à Dieu. La multiplicité
apparente se réduirait ainsi à
l'unité.
—
11
n'y a pas là
une démonstration, mais seulement l'analyse de deux
idées, Nature et Dieu, qui les fait converger,
amener à
pour
les
se confondre.
II
Dans
le «
Court Trai(é
des preuves directes qu'
finie
1.
^
».
»,
«
au contraire, sont données
il
n'y a pas de substance
Car par où une su])sfance serait-elle
Trad. Janel,
\k 9.
u finie
»?
FORMATION
Il
LA JIIKOIUK
I)K
LA SLBSTANCE,
1)1-:
est iniiitellig"il)lo qu'elle se limite
soi-même.
23
— Uira-
t-on qu'elle est iKJi-néc par une autre suljstance, finie
par quoi, à son tour, cette suljstance
elle aussi? Mais
Le
rait-elle l)ornée?
sans
fin.
même
— Elle sera
se-
raisonnement se poursuivrait
donc bornée par une sulîstance
par un Dieu supposé extérieur à elle? Mais ce
infinie,
Dieu manquerait soit de puissance, n'ayant pu lui don-
ner plus qu'elle n'a,
dans
les
deux cas
il
soit
de bonté, ne l'ayant pas voulu;
à sa définition.
faillirait
pas borner une substance.
On ne peut
pose la Nature, Dieu
Si l'on
doit être éliminé.
Si,
d'autre part, on pose Dieu, c'est la Nature,
réalité extérieure à lui, qui s'évanouit.
paraître
<(
ici,
Nous voyons re-
sous une autre forme, la doctrine de la
cause immanente
effet, est
comme
1
».
La
«
nature
»
d'une chose, en
son essence et non son existence. Or
nération
»,
les essences
Dieu. Elles sont
«
exis-
si les
tences dépendent les unes des autres par voie de
gé-
«
dépendent immédiatement de
créées » éternellement en
ne faut entendre par ce terme de
«
lui.
Mais
il
création » rien d'autre
qu'une participation éternelle à sa propre
infinité.
La
de ces deux raisonnements
est
Nature rentre entièrement en Dieu.
Le principe
commun
que l'on confère linfinité à une chose par
qu'on
la pose.
ramener Dieu,
On peut donc
soit
poser Dieu
et
— Spinoza hésite encore entre
les
1.
soit
p. 11, note postérieure
de Spinoza.
le seul fait
poser la Nature
et
y
y ramener la Nature.
deux
partis.
Il
s'arrête
21
BENOIT DE SPINOZA.
d'abord au second K C'est Dieu qu'il pose avant tout.
met en
tête
du
Court Traité
«
prouver l'existence de Dieu.
11
un chapitre
«
deux preuves qui avaient cours dans
:
les collèges
preuve
la
«
a priori », ou preuve ontologique, qui
met
et
a poste-
l'existence
au nombre des perfections divines. Mais une
démonstration
la meilleure
faite, il
ne s'en sert pas.
Il
par conséquent,
et que,
fois cette
s'aperçoit
preuve de l'existence de Dieu se
même-,
définition
les
de l'existence de l'idée de Dieu, et la preuve
riori » tirée
((
destiné à
y reprend simplement
que Descartes avait renouvelées
Il
tire
que
de sa
c'est cette
définition qu'il faut chercher tout d'abord.
Plus loin,
il
essaie,
fait primitif l'existence
au contraire, de prendre
des choses. C'est par
périence, l'union de l'àme et
ver
cj[ue
suite,
Mais
il
ne
:
d'ex-
elles,
que,
distinctes
^.
à le bien voir, les preuves de
pas leur valeur de la certitude du
tirent
d'où elles partent, mais de la certitude précisément de
où
la notion
cette notion
elles
l'on a
tendent
:
l'unité
de la substance. C'est
qui est véritablement première. L'étude
méthodique de
que
ne sont pas radicalement
s'aperçoit de ceci
cet ordre
fait
elles
un fait
corps, qu'il veut prou-
substances communiquent entre
les
par
du
comme
la Nature
donné de
la
ne doit commencer qu'après
Nature
même une
définition vraie
Ainsi de ces deux tentatives infructueuses se dégage,
non sans
eflbiHs,
une
1.
Ch.
2.
P. 4, note posléricurc.
3.
I.
P. 14,2", et note.
même conclusion
:
ce n'est nil'e.xis-
FORMATION
I)K
L.V
ÏJIKORIK DK LA SUBSTAXCK.
tcnco de Dieu, ni rexistcncc du
d'abord
sence
;
»,
une
ce n'est pas
une
monde
existence
«
définition. C'est
»
,
2ô
qu'il faut
poser
une
« es-
c'est
la définition
delà subs-
tance. Établie, nous reconnaîtrons qu'elle est à la fois
celle
de Dieu
bonne
la
de la Nature.
et celle
voie.
11
n'y a plus à se perdre dans les
cultés de la théologie
constituer la théorie
Dieu
et celle
— Nous avons trouve
ou de
de
la cosmologie.
diffi-
s'agit
Il
substance; la théorie
la
de
de
de la Nature en découleront ensuite né-
cessairement. Une nouvelle élude est nécessaire, que le
travail précèdent
ne
faisait
que préparer.
III
En août ou septembre 1661, Spinoza
joint à sa pre-
mière Lettre à Oldenburg la démonstration de
trois
pro-
positions relatives à la Substance. Cette démonstration
a été perdue, mais elle paraît correspondre à celle qui
est ajoutée
en Appendice au
des axiomes
fois
et
Court Traité
des proj)ositions est
le
».
L'ordre
même. Toute-
une quatrième proposition contenue dans l'Appen-
dice, a été
supprimée dans
prudence sans doute
((
«
La Nature
se
^,
la Lettre à
confond absolument
auguste et bénie de Dieu-.
raliirmation que
Oldenburg, par
à cause du corollaire trop direct
« l'existence
1.
Voy. LeU. dOld.. van Viot.
2.
P. 129.
»
Elle est
de Dieu se
(éJ. in-12:,
H,
:
avec l'essence
remplacée par
tire
de sa seule
p. 325, ligne 12
sqq.
26
BENOIT DE SPINOZA.
définition'
».
En revanche,
dans la Lettre à Oldenbnrg'
l'Appendice.
— Quelle
données
les trois définitions
~
ne
dans
se trouvent pas
est la théorie
de la Substance
exposée à cette date?
Les éléments en étaient enveloppés dans le
Traité
3
»
:
une proposition fondamentale
tance est infinie
,
conséquences
et trois
Court
La subs-
:
ne peut pas y avoir deux substances réellement
1° Il
distinctes
2°
»
((
:
«
;
Une substance ne peut pas en produire une autre;
3" Il n'y a rien
dans Fentendement
infini
qui n'existe
réellement dans la nature.
En méditant sur
la valeur particulière
de ces pro-
positions, et sur leur ordre respectif, Spinoza s'aperçoit
que
la
première, au lieu de fonder les deux suivantes,
s'appuie au contraire sur elles.
Il
faut donc renverser
l'ordre.
parce qu'aucune substance ne peut être pro-
C'est
duite par
(III)
et
une autre
(II)
que toute substance
une substance ne peut pas
est infinie
être produite
par une
autre parce qu'elle ne peut pas être réellement distincte d'elle (I)*.
1.
r" Lelt. à OlJenburg; Saiss.,
2.
IbicL, p. 328 et 329.
II, p.
320.
3. P. 9.
4.
Au
vrai, l'argumeri talion n'est pas aussi simple. Elle
ques propositions
lêle.
auxiliaires, qui, sous le
nom
Ces axiomes ne sont pas des notions de
montrables. Ce sont siinplemcnl
les
composer. (Ainsi un argument des
n
est illimitée, devient
suppose quel-
A^axiomes, sont placées en
fait, ni
des principes indé-
arguments qu'on juge inutile de dé-
Dialogues» pour prouver que
un a\iome de l'Appendice
:
Une chose
la
Nature
(/ni est
cause
27
FORMAÏIO.N DK LA TIIKOIUK DE LA SUBSTANCE.
La
Proposition IV
(lire, elle
ne se déduit pas des précédentes.
réduire pour elle-même.
«
A
embarrassante.
est
(3'')
vrai
faut la
Il
n'y a rion dans Fenten-
Il
denient infini qui n'existe réellement dans les choses
peut s'exprimer d'une façon plus générale
L'exis-
«
:
tence appartient nécessairement à l'essence
^
»
»
;
à la
condition toutefois d'entendre par là une essence pure,
c'est-à-dire qui n'ait ])esoin de rion autre qu'elle
pour
mouvements ne peuvent
être
être conçue.
Ainsi les
conçus indépendamment de l'étendue;
l'étendue. L'étendue, au
«
par
par
soi » et «
en
la substance
'^
Dieu
«
:
c'est-à-dire
attrilnits,
que par
^
est
composée d'une
la définition
\']'.'tfii(/iie
mêmes
1.
,
nous verrons
les
infinie,
^.
»
emploie d'ordinaire au
scrupuleux de les
pourraient être réduits à leur
Ils
axiomes de l'Appendice devenir dans
1
à V), et les axiomes eux-
Lett. à Old., p. Ô35.
Old
Lelt. à
Par opposition à
,
p. 328. Cf. Lett. à
«
ce qui existe
cette autre chose »
chose») qui est
«
tance.
5.
substance
reculer plus loin.
3.
4.
les
est plus clair et plus
des propositions démontrées (Pr.
2.
par
et
de Dieu, qui
infinité à' attribut s iwimi^
au début et d'y renvoyer ensuite.
tour, et, de fait
soi et
en d'autres termes, de
de soi ne peut s'être limitée elle-mcme.) On
il
conçue
conçu en
une substance absolument
cours du raisonnement, mais
isoler
est
La différence entre attributs
ne sera introduite
suivra
Ce qui
«
de ce qui existe nécessaire-
soi 2 » est la définition
ment, c'est-à-dire des
sont dans
contraire, peut être
—
soi ».
ils
(ou
la définition
«
des
dont
«
Simon
d'Uriès, p. 35i.
dads une autre chose
le
modes
».
à S. d'Uriès
Lett. à Old., p. 32y.
;
est
conçu
(Lett. à Old.. p. 328.)
J'entends par attributs exactement la
» 'Lelt.
et.
concept enveloppe celui d'autre
Saiss., p. 354.)
même
chose que par subs-
28
BENOIT DE SPINOZA.
On
que
voit
de Dieu n'est que la
cette définition
défi-
nition de la Substance, à laquelle est jointe la princi-
pale propriété qu'on a démontré lui appartenir, Tin-
en
finité (Pr. III). Elle est,
même
temps, la définition de
la Nature (Corollaire^).
On
est ainsi
frappé de l'importance capitale de cette
Proposition IV
Elle est
donc
faire
L'existence appartient à l'essence. »
qu'estprisela définition de la Substance. Faut-
c'est d'elle
il
«
:
logiquement antérieure aux autres, puisque
poser en axiome? Oui, car voyez
la
autrement. Si l'existence nécessaire de la Substance
posée tout d'abord, avant
n'est pas
ne sera en
cette définition
même sa définition,
dun concept
soi cpie celle
qiiod per se et in se concipittcr-, et
Il
danger de
le
:
non d'une
réalité.
faudra prouver, par d'autres tliéorèmes, que
l'exis-
tence appartient à la nature de ce concept 3. Plus tard,
Spinoza essaiera, dans
puyant sur
1. p.
Dans
la
van
Hudde
Vlot.,
Meyer
Lettre à
(Voy. la
de cette proposition
(1675),
Notes marginales
qu'on est dans
»,
de le faire ens'ap-
(Éth., Pr. VI). La
produc-
il
la
et
dans
admet
qu'il
faut
[leiisée dernii-re
ibi 7'railë
à
l'essence,
les
un axiome pre-
J/je'oZog^ie (1670) (Saiss., p. 146)
sur
la faire reiioser
de Spinoza
de Tliéolofjie {^ole G;
«
est,
comme
d'autres
dans
je crois,
Saiss.,
notions
p.3il).Tant
communes
la
»
Subs-
connaissance parfaite, l'essence envelop|ie l'existence
façon que l'idée vraie enveloppe
médiatement
p. 358) et
Saiss.,
Lett. 35, 1666; Saiss., p. 385), Spinoza fait
prouver l'existence de Dieu (c'est-à-dire de
Mais dans
même
202.
(1C63] (Lett. 12,
connaissance confuse, on se sert de
la
pour arriver à
tance).
II
iexiiitence appartient
:
notions plus évidentes. La
delà
2-,
II, p.
Au contraire, dans le Traité de
dans VÉthitjuc
les
Éthique
128.
Lettres à
mier.
«
la Proposition
2. Lelt. à Old.;
3.
1'
sans preuve
extérieure.
la certitude, c'est-à-dire
im-
FORMATION
LA TIIÉORIK DK LA SUBSTANCE.
I)i:
(ion d'ime substance étant inipossil)lc (Pr.
VI de VÉth.), la sul^stance est
comment
«
cause de soi
»
donc cause de
le
en
soi.
Mais
mettra simplement
en dcfiaition; ce sera la première ligne de Y
là ce sera donc,
de TApp.,
veut-il dire " dont resscnce
enveloppe l'existence »? Spinoza
Même
II
20
«
Éthique
».
une existence né-
définitive,
non plus
cessaire qui sera posée avant tout,
celle'
de
Dieu, ni celle de la Nature, mais celle de la substance.
En résumé, on trouve
ici
deux propositions, l'une
:
L'existence appartient nécessairement à l'essence, sur la
place de laquelle
y a hésitation
il
définition de la Substance, l'autre
infinie,
et
d'où se tire la
La substance
:
est
qui se décompose en d'autres propositions et en
axiomes.
On
a été amené, pour la clarté, à
«
numéroter
propositions d'une façon analogue à celle des
» les
Géomè-
tres [more Geometrico^). C'est une forme plus rigou-
reuse que la forme littéraire, plus concise et plus com-
mode pour
débrouiller les pensées complexes.
Il
ne
faut pas en laisser le privilège aux mathématiciens.
Elle convient à toutes les études malaisées et qu'on veut
rendre définitives. C'est un puissant instrument d'analyse qui,
l'esprit.
«
une
découvert, décuple les forces. de
fois
Spinoza
le
gardera. Ainsi,
comme
il
dit,
l'entendement se façoime des instruments intellectuels,
au
moyen
desquels
il
de nouvelles œuvres1.
Lelt. à Old.
2.
De Etncndat-,
;
vaii Viol.,
tr.
acquiert de nouvelles forces pour
».
Il,
p.
197.
Saiss., p. 284.
30
BENOIT DE SPINOZA.
IV
Le 20
est
dans une Lettre à Louis Meyer qui
avril 1663,
un de
ses plus forts écrits^, Spinoza reconnaît fran-
chement que
la proposition
à l'essence
est
»
première
aliariim Propositioniwi- Mais
tion
:
La Substance
«
nommer
est infinie. »
comme un
sa
Grande Proj)Osi-
L'analyse
cpi'il
monuments de
des
donne
considérée, malgré sa
de ridée d'infmi devrait être
concision 3,
démontre absque ope
approfondit surtout le
il
.
contenu de ce qu'on peut
L'existence appartient
«
:
et se
la philoso-
phie.
Il
indique Fopposition classique de Finfîni
défini;
mais
il
ne
s'y arrête pas. Il
et
de lin-
veut mettre en lu-
mière une autre opposition, d'où sont nés les fameux
sophismes de Zenon d'Élée. C'est celle
de
« divisible
lecture,
à l'infmi
La question
infinie »
((
1.
est,
de la
continu
le «
au fond, de savoir
même
claire la
le sens
de ce
».
l'étendue est
si
façon que Dieu et dans le
môme
Lettre \2; Saiss., p. 357. Celte Lettre sur linlini devint classique
au même
titre «[ue
l'Éthique parmi les amis de Spinoza. (Voy.
de Tscbirnhausen (1676);
où
Pour rendre plus
».
on doit entendre Infinitum dans
qu'on appelle aujourd'hui
infini » et
«
cl'
Saiss., p.
\').3.)
—
se trouve aujourd'hui l'original. D'après
.\ms(cidam, en 1860, à
la
vente
J.-J.
11
la Lelt. 80,
serait intéressant de savoir
van Vloten,
van Voorst, par
le
il
a été acquis à
libraire parisien
Durand.
•2.
3.
Van
Vlot.,
ir,
p. 230.
Voy. une première esquisse dans
et quelques
compléments dans
le scolie
le
de
Court Traite,
la
Prop.
XV
p.
15 et suiv.,
de VÉthiqxie.
FORMATION DE LA THÉORIE DE LA
sens du
mot,
attribut de Dieu.
peut
môme
par
si,
oUc pout être un
consé({ii<'iit,
— Diou
est iiitiui
'M
USTANCI..
SI
de sa nature
pas concevoir de division en
—
lui.
on ne
:
L'éten-
due, au contraire, nous apparaît connue divisible à
— Mais
notre gré.
ce n'est là qu'une apparence. L'é-
tendue réelle est indivisible
tinue
».
',
inlinie, c'est-à-dire « con-
Nous avons un penchant naturel
'
découper
à la
pour nos J)esoins, mais ces divisions que l'imagination
suppose entre
En
réalité, la
lons
Nature
l'imaginer,
comme un
corps ne sont pas dans les choses.
les
il
est
un bloc
nous vou-
indistinct. Si
vaut mieux nous la représenter
point indivisible que
comme
l'infiniment
grand. Ce n'est pas Dieu qui s'étale le long de l'étendue
De même, nous sommes portés à diviser
parcelles
sommes
;
qui se concentre en Dieu.
c'est l'étendue
aussi
petites
jetés par là
dans d'inextricables
durée en
la
que nous désirons
,
et
nous
difficultés. Il
nous devient impossiljle de comprendre comment une
heure peut
se passer, « car
la moitié, la moitié
l'infini
3
c'est ce
«
En
».
il
faut qu'il s'en passe d'abord
de cette moitié
réalité,
une heure
de suite à
et ainsi
est
un
«
continu
continu qui est donné. La durée entière est
continu
»
»
un
aussi; le temps divisible n'est qu'une déter-
mination pour la rendre accessible à l'imagination^.
1.
Spinoza
n'a pas varié sur
Letl. 83. la dernit're
'1.
3.
i.
;
ce point. Voy.
que nous ayons de
yaturx impxdsus., van
la Lett.
.59
Il
(1675) et la
lui il5 juillet 167G).
VI., II, 231.
P. 361.
Tempus ad Durationem...
fieri polest,
eam
tait
modo determinandam
facile imagineviur. (Van Vlot.,
II, p.
231.)
ut,
quoad
32
BENOIT DE SPINOZA.
faudrait se la représenter
où
comme un moment
miique,
se pénétreraient et se fondraient le passé et le futur.
comme
Elle est une,
l'éternité est
quoi aux yeux: de la raison
symbole de
Elle est le
une,
elle rentre
,
et c'est
pour-
dans l'éternité
l'existence précaire et relative
des modes; c'est en l'éternel qu'est l'infinie joie d'exister,
ou mieux,
l'infinie joie d'être
^-
Mais dans la Lettre à Meyer, l'Éternité n'absorbe pas
tout.
On
nuité
du
voit surtout
un
effort
pour dégager
réel des divisions artificielles
y introduit. L'Espace divisible, le
dune façon
la conti-
que l'imagination
Temps
divisible, et,
Nombre ne
générale, toute Mesure et tout
sont que des façons de penser, ou plutôt d'imaginer 2.
La
réalité est irréductible à eux. Les
mathématiciens
reconnaissent des rapports que les noml)res ne peuvent
exprimer 3.
Il
faut en dire autant de tout ce qui existe.
Loin d'être contradictoire,
actu) est ce qu'on trouve partout.
mouvement
l'infini. Il
L'infini
1.
:
2.
Une ligne
tracée,
un
accompli, une heure qui s'écoule, réalisent
n'y a multiplicité nulle part, infinité partout.
des choses peut se greffer ainsi sur
Infinitam- exislcndi,
sive, invita
M. PoUûck noie ce scrupule de
24
réalisé^ {Infinitum
l'infini
Cor... essendi. ut
l'infini
îalmilate, essendi fruitionem.
latiniste [Spinoza.... p. i5!.
termino scolastico
de
—
Comp. Éih.,ï,
ufar...
Cogitandi seu polius imaginandi modos ^van Vlot..
\).
231).
3. Saiss., p. 361.
i.
Spinoza prétend que
le
ne repose pas sur l'absurdité
l'inlini.
lote,
fameux argument d'Arislole
dune
:
àvavy.r, cOTjvai
régression de cause" en cause jusqu'à
c'est-à-dire d'un infini réalisé. D'après les anciens interprètes d'A,ris-
comme
llasdaï-ben-Creskas, cet argument prouve moins la nécessité
d une première cause que celle d'une première substance. (Lett. 29.)
FORMATION
Dieu,
l'iic
I)K
LA TlIKORIK
l)K
LA SL'IJSTANCE.
33
nicuie coiitiiiuitc eiiilîrassc tout. Les rapports
des êtres ne sont pas des rapports de juxtaposition,
mais des rapports
d'intériorité.
Nous pouvons nous représenter maintenant com-
ment
composé
est
début de
le
1'
«
Éthique
»
(Pr.
XVI). Rien n'y est bien nouveau, ni Jjien arrêté.
encore beaucoup d'indécision
un morceau rigoureux
Il
I
à
y a
ne saurait y voir
et l'on
et définitif. D'autres portions
de
l'Éthique, sans contredit, sont plus achevées ou plus
poussées.
Nous y retrouvons
les propositions
de l'Appendice.
L'hésitation subsiste sur la place de celle qui attribue
l'existence à l'essence (Pr. VII).
détour un peu gauche par où
avant la
Grande Proposition
<(
(Pr. VIII).
Un
Nous avons vu déjà
elle essaie
»
:
le
de s'intercaler
La Substance
est infinie
autre, à peine plus adroit, est indiqué
i,
qui a pour but de réduire cette proposition,
comme
en axiomes. Ni l'un ni l'autre ne satisfont
l'esprit.
l'autre,
Les anciens Axiomes sont devenus des ^propositions
démontrées
(Pr.
I
à V)
;
il
en résulte que
les
sont à peu près vides de tout contenu. Sauf
nouveaux
un
seul, ce
sont des tautologies [Une idée vraie doit s'accorder avec
son objet) ou des dilemmes trop incontestables [Tout ce
j
1.
Se. 2 de la Pr. VlII.
'
BENOIT
Di:
SPINOZA.
3
BENOIT DE SPINOZA.
34
qiii est, est
en soi ou en autre chose), et celui qui reste
(Ax. IV) pourrait s'appeler l'Axiome scandaleux
connaissance de
l'effet
dépend de
et elle l'implique. » C'est
cause
:
la connaissance
«
La
de la
une affirmation un peu
lourde destinée à préparer une troisième preuve de
de Dieu, une preuve
l'existence
définitive, et contre l'esprit
du monde
Nous
«
a posteriori » tirée,
du système, de
en
l'existence
^
connaissons déjà tontes les définitions, sauf
une, celle de la liberté (Déf.
Vil), pierre d'attente
pour
le V" livre.
De
la théorie
de la Substance, celle de Dieu
est assez
bien déduite, encore que les démonstrations auxiliaires
obscurcissent le raisonnement. Puis vient une jjroposition,
mal placée, sur F
« indivisibilité
tance-. La discussion de la Lettre
àMeyer
sommairement, mais ne porte pas
de la Subs-
»
est reproduite
En même temps,
^.
Dieu est substitué, sans assez d'élégance peut-être, à la
Substance, pour introduire ce qui
suit, la
la théologie. L'argumentation est
peu
en plusieurs sens,
répétitions'*,
Pr. XI, 3"
1.
elle revient sur
i)récise
elle-même.
des empâtements^, des
Démonst. Voy. Max
déduction de
Friedriclis,
«
trous
Der
;
Il
».
elle
va
y a des
Plusieurs
.'iub.sfaHzhcgriff Sp.,
GreifswaUl, 189G.
2.
Pr. XIII.
3.
Voy.
bilis
4.
5.
(se.
se. 2
de
la
Pr. XV, ad finem
suppo7iatur, diivi
modo œtcrnael
:
...
tamelsi (substnnlia) divisi-
in/inita conccdalur.
Pr. VllI, se. 1.
«
de
Si quelqu'un deinandc...
la Pr. X).
il
n'a qu'à lire les Proposilions suivantes »
FORMATION
l>K
scolics .s'interposent
demment des
LA
Tlli:()Rli:
i)i;
LA SinSTANCK.
un peu au hasard'. Ce
notes ajoutées après coup.
-i-i
.sont évi-
Ils
font al-
lusion, en termes obscurs, à d'autres parties de l'ou-
vrage
et trahi.ssent l'impatience, la
devant
les objections-.
On
fini.
Tout cela
mauvaise humeur
manque de
soin et de
sent ([ue l'intérêt principal n'est plus là.
VI
Par ces exemples mis de suite, nous discernons
les
principaux qui pourraient servir à caractériser la
traits
pensée de Spinoza.
Son génie
est
de sa pensée semble être de condenser.
tion propre
Elle
en premier lieu de synthèse. La fonc-
condense
les livres et les
elle-même sans cesse. Elle invente
se condense
elle
peu,
et c'est
observations journalières,
toujours à grands
efforts.
Elle
combine
plutôt des éléments étrangers. Mais elle tend surtout à
tout réduire à des propositions claires, essentielles et
denses. Elle n'y arrive pas d'emblée. Dans les scolies de
1.
Le
scolie 2 de laPr. VllI se rapporte à la Pr. VII, celui de la Pr.
au Coroll. de
la
XV
Prop. XIII. Ce sont probablement des notes ajoutées au
bas des pages, et mal intercalées par le premier éditeur.
2.
K
Je ne doute pas que pour ceux qui jugent avec confusion de foutes
choses...
il
n'y ait de difliculté à
position VII...
on
fait
Quand on
comprendre
la
démonstration de
la
Pro-
ignore les véritables causes..., on confond tout,
parler indifféremment les
hommes
et les plantes
sans la moindre
Que ce soit des pierres ou de la semence qui servent à engendrer les hommes, peu importe... On attribue à Dieu les passions de
l'humanité, surfout quand on ne sait pas comment se forment dans l'ànie
difficulté.
les passions. » (Se. 2
de
la Pr.
VIH.)
BENOIT DE SPIXOZA.
36
premier
jet,
on
âpre, trouble,
la sent naître
un peu
courte. C'est par la tension continuelle, par l'eflort en
dedans, par l'extrême surveillance de soi
moindre
et
lumineuse.
A
1'
«
du
l'horreur
peu à peu simple
laisser-aller^ qu'elle se fait
ce point de vue,
et
Éthique
bonnes parties un ouvrage admirable.
» est
dans ses
pur
Si l'on était
entendement, on en pourrait retrancher les trois quarts
encore, les démonstrations qui ne font que mettre les
On
propositions en rapport les unes avec les autres.
arriverait à concevoir le système
la
pensée de Spinoza,
comme
comme un
il
existait
dans
ensend)le d'axiomes
purs en relations entre eux.
Découvrir ces relations est
le
second effort, plus grand
peut-être que le premier. C'est là qu'on trouve des hésitations, des essais,
d'infinis scrupules.
conditions, penser devient
comme un
Car, dans ces
office religieux.
Autant que de perdre la pureté de l'entendement,
faut craindre de le
l'intelligence
mener vers
moins troublé
concepts vides, qu'il ne
l'obscur. Le péché de
au mystère ou à l'inconnu.
est l'appel
L'ordre dû serait
il
s'il
l'est si l'on
s'y intercalait
y intercale des
des
faits
inexpliqués. Spinoza fera entrer dans sa pensée les résultats acquis
de l'expérience, mais
il
refusera de s'ar-
rêter devant des expériences à faire, attitude
commode
pour nous dispenser de poursuivre notre œuvre
intel-
lectuelle.
Et surtout, les propositions ne doivent pas être représentées sur
un même
plan,
comme
s'enchainant eu une
série qui se poursuivrait indéfiniment. Cet indéfini est
FORMATION
la pire obscurité.
Son but
est,
sitions les
LA
Di:
TlIKORlIi:
DE LA SUBSTANCE.
37
Plus que de tout, Spinoza en a horreur.
au contraire,
d'
((
unes aux autres. Çà
intérioriser » les
et là,
pressent des centres de pensée où
le
propo-
dans l'Ethique, on
raisonnement con-
verge, et dans les dernières propositions tout le reste
—
vient s'intégrer.
On ne peut pas
que Spinoza à ce sentiment de F
être plus étranger
en largeur
« infini
»
qu'ont souvent les gens qui vivent beaucoup par les
sens.
On ne peut guère
haut degré
fini
le
un plus
avoir en revanche à
sentiment qu'on pourrait appeler de
en profondeur
»,
qui naît surtout
dune
de l'âme. C'est à l'àme, ou plutôt à ce qui
1'
« in-
intense vie
est
pour
lui
l'àme de l'âme, l'Entendement, que sa pensée se rap-
quHest
porte sans cesse. C'est parce qu'elle a éprouvé
un, qu'elle répugne invinciblement au discontinu et au
composé.
C'est
parce qu'elle
qu'elle conçoit
et
Ils
On
pour Spinoza l'expérience
l'argument triomphant dont
sera ses adversaires,
«
il
me
il
repous-
sera de dire en parlant d'eux
ne se sentent pas eux-mêmes
pourrait,
aux idées,
une substance intérieure aux choses.
Cette expérience intime est
même du vrai,
l'a senti intérieur
!
:
»
semble, rassembler ces
traits
en
disant que Spinoza pense « en profondeur », c'est-à-
dire tend à substituer à une pensée donnée, l'essence
pure de
cette pensée. Mais
il
a lui-même, plus rigoureu-
sement, défini son propre entendement
la certitude, c'est-à-dire
l.
De Emend.,
Saiss., p. 313.
qu'il sait
que
'
:
« Il
enveloppe
les choses sont
BENOIT DE SPINOZA.
38
hors de lui ce qu'elles sont en lui-même...
Il
forme cer-
taines idées absolument et d'autres en les tirant d'idées
antérieures. Celles qu'il forme alîsolunient expriment
l'infinité
Il
forme
;
les autres sont
déterminées par les premières.
.
les idées positives avant les négatives. » Et le
perçoit les choses
caractère dernier
:
sous la condition
du temps que sous un
d'éternité. »
« Il
non pas
tant
certain aspect
CHAPITRE
IV
PREMIERS TRAITÉS
Les premiers ouvrages de Spinoza sont des notes destinées à des professeurs de philosophie
pour
les aider
dans leurs cours. Ceci doit en faire comprendre
le ca-
ractère et la portée.
I
En
Amsterdam, Spinoza y avait laissé trois
grands anus, Louis Meyer. Simon d'Uriès, Pierre Balling*.
quittant
C'étaient
trois professeurs, juifs
émancipés de
où
était
la
synagogue.
Ils
probablement, mais
dirigeaient
un
collège
enseignée la philosophie, c'est-à-dire la logi-
que, l'éthique, la métaphysique ou science certaine^ et
l'ensemble des sciences expérimentales, physique, chimie, anatoniie.
Louis Meyer avait quelque notoriété. En surcroît de ses
occupations de professeur de philosophie,
médecine
la
le droit.
Il
protestant
1
.
et
est
:
«
il
était
exerçait
versé dans la théologie et dans
connu par un
Philosophia
li'rta/e wijsbecieerle.
il
S.
livre, dirigé contre le clergé
Scripturac interpres
»
(1663).
BENOIT DE SPINOZA.
40
Il
attaque la
maxime des Coccéiens que
l'Écriture s'in-
terprète elle-même. L'interprète de FÉcriture n'est ni
l'Écriture
rité
même,
ni,
comme pour
des confessions de
foi, c'est la
grands rabbins du moyen âge
peut trouver dans
le
les Voétiens,
l'auto-
raison seule
les
:
montré, mais on
l'ont déjà
Cartésianisme de nouveaux argu-
ments.
— Spinoza
lant et
un parrain philosophique.
eut en Louis Meyer
un ami
C'est
présenter au public ses ouvrages.
Il
par
bienveil-
lui qu'il
fit
paraît lui avoir
porté une sorte d'amitié jalouse, où pouvait se mêler la
dévotion du malade pour son médecin. Une
cemment découverte
^
lettre, ré-
que je crois adressée à Louis
et
Meyer 2, montre Spinoza inquiet de sa santé, inquiet
1.
Van
Vlot., Lett. 28 (juin
l'éd. in-8", à la fin
2.
Van
p. 301.
1(3(15), II,
Le fac-similé se trouve
Vloleii pense qu'elle est adressée à l'Allemand J. Bresser, à qui
suppose que se rapportent
posthumes,
initiales
les
nommé deux
et qui est
(Van
Scliuller,
VI., II, p.
I.
B. de la 42'
Lettre des
par Spinoza dans des Lettres à
fois
la crois
adressée à Louis Meyer, pour les raisons suivantes
1"
Spinoza
demande un remède promis
tierce «... J'a! tends aussi les feuilles
bien que
ma
fièvre
na
qu'avant la saignée, à cause,
bonne
trois fois
de
diète... etc. »
de Spinoza (Colerus,
2" 11
annonce
La Lettre
sa fièvre
de roses rouges que tu m'as promises,
es parti, je
nie suis fait
pas cessé. Je suis pourtant un peu mieux
je crois,
la fièvre tierce,
du changement
d'air.
J'ai souffert
mais j'en suis venu à bout par une
— Or, nous savons que Louis
Mejer
était le
médecin
tr. Saiss., p. 46).
qu'il
enverra
:
(ertiam partent nostrx jyhilosophix
«
est de juin 1G65. Or, en 16(13, Louis Me3'er avait publié les
premières parties des Principes
au public
:
donne des nouvelles de
et
beaucoup mieux. Depuis que tu
j'aille
une saignée, mais
qu'il n'a
espère obtenir
il
Œuvres
408 et 40y.)
Je
deux ou
clans
du second volume.
de Descartes, de son ami, en annonçant
encore qu'un fragment de
le reste
».
deux
(van Viol.,
II,
\<.
110
la
troisième partie, mais qu'il
ad
fin.). C'est
de cette
troi-
sième partie qu'il est sans doute question.
3"
Enfin
l'envoi
se fera
soit
directement, soit par rintennèdiaire de
•
PREMIERS TRAITÉS.
ami ne
aussi parce (|uc sou
41
pas aussi souvent
lui écrit
y perce une certaine nervosité que ne
les Lettres philosophiques, tronquées
qu'il a promis.
Il
trahissent pas
d'ailleurs clans Fédition de 1G7T.
Simon
eu pour
(VUriès
un
lui
'
,
plus jeune que Spinoza
culte passionné.
lui offrit sa fortune.
[)ropre frère;
dans la lutte contre
tiens
en
il
déshériter son
était plein
Il
d'ardeur
les juifs dévots et contre les chré-
La philosophie de son ami lui donnait des armes,
même temps
un cours
sait
môme
voulut
Il
plusieurs reprises,
lobligea, du moins, par testament, à
il
fournir une pension à Spinoza.
^.
A
semble avoir
-,
quelle
le ravissait
d'anatomie
^
d'admiration.
de chimie.
et
Il fai-
C'est Pierre
Balling qui semble avoir professé la métaphysique.
Nous ne savons guère sur Pierre Balling qu'un
assez étrange.
un enfant
avait
Il
fait
qu'il chérissait. Or, l'en-
fant étant eu pleine santé, le père entendit, la nuit, des
gémissements de moribond.
«
noire ami d'Uriès
Simon
A
cp^ielque
Or nous voyons que
».
d'Uriès cjuc Louis
cipes de Descartes. (Lell. 15; van Vlot.,
1.
Et non Simon de Vries, ce qui
cription latine
DE VRIES.
2.
Lelt. 9 et 10, en tête.
« ... ut,
te,
est
là l'en-
par rinlermédiaire de
épreuves des Prin-
les
2î2.)
II, p.
une mauvaise lecture de
Voy. sa signature, van Vlot.,
3.
duce
c'est
Meyer a envoyé à Spinoza
temps de
II,
p.
la
trans-
221.
contra sHpersdliose religiosos, vhristianosquc veri-
talem defendere, tum(iiris
comme synonyme de et dans la latinité de S.
{= sustincre) possimus. » (Van Vi.,
:
d'Uriès) totius impeluin inundi stare
H.
p. :?'20.)
i.
Collegium.
« collèrje »,
—
Le mot
mais par
«
«
course)
collegiuin
:
fere aOsolvi, aOsolulo incipiom
d'anatomie; j'en
de chimie
ai fait
» {ibid., p.
u
»
ne doit
chimicum.
—
être
traduit par
inivi,
médium
commencé
le
cours
commencerai
le
cours
J'ai
pres([ue la moitié. Ensuite, je
222).
pas
Collcgium analomUv
BKNOIT DE SPINOZA.
42
fant mourut, en poussant les
mêmes gémissements. Dans
sa détresse, Pierre Balling- interrogea son ami sur ce
Spinoza
présage.
Il
une
fit
réponse surprenante
d'abord que la fièvre
lui rappelle
du corps sont
tions-.
lui
les causes ordinaires
en décrit une, très vive,
Il
« Mais,
autrement,
continue-t-il à
et d'après les
sophie que je
une idée,
et,
de
mauvais
eue lui-même,
qu'il a
peu
principes
état
telles hallucina-
On n'en peut évidemment
l'hiver précédent.
présage.
et le
près,
il
tirer
aucun
peut en être
mêmes de
la philo-
communiquée. L'essence de l'âme
t'ai
quand un père pense à son
en a peut devenir
si
complexe
vient pas d'un trouble
du
fils.
est
fds, l'idée qu'il
et si vive qu'elle se
fonde presque avec l'essence du
^.
con-
Cette idée-là
corps, mais de l'âme. Or,
ne
l'a-
venir peut être confusément pressenti par l'âme. Nous
sommes
toujours obscurément avertis de notre propre
mort; nous pouvons
l'être aussi
de la mort des êtres
dont nous portons, pour ainsi dire, l'âme dans notre
âme.
»
— Nous retrouvons
ici
ce mysticisme particulier
dont nous avons déjà parlé. L'idée pure, lien mystique de
l'homme à Dieu, peut devenir
mystique entre des âmes humaines
1;\
1.
LeU. 17; van
2.
Cf. les
3.
Spinoza propose, à
dans
l'attitude qui
dans
l'oreille les
de
dans
la (in,
lien
les spectres (Lelt. .M-ôfi).
une troisième explication.
11
mémoire. Nous nous représentons
la
nous a
le
peut n'y avoir
les
personnes
plus frappé. Si nous avons, en quelque sorte,
gémissemcntsqu'elle poussait en mourant, nous entendons
ces gémissements iiièino
n'était pas
un
VI., II, p. 2if>.
LeUres à Hugo Boxel, sur
qu'une illusion
aussi
2.
la
quand nous
la
revoyons en pleine santé. L'illusion
iierception passée; elle est dans le souvenir actuel.
PRKMIKRS TRAITKS.
Eu
rius
avait,
Sj)iiioza
IGG.'i,
~,
))
c'est-à-dire
à
VS
MijusliurjU-
un jeune élève à qui
non sans quelque inq^atience,
Simon
partageait sa uiaison.
',
il
un
<«
casa-
ensei.ii-uait,
la philosophie, et
([ui
d'Uriès enviait cet élève.
Mais Spinoza recommandait à ses amis d'Amsterdam de
bien se garder de révéler ses vraies opinions à ce jeune
homme, dont
l'esprit n'était
pas assez mûr.
se bor-
Il
nait à lui enseig-ner la philosophie courante, la philo-
sophie cartésienne, qu'il mettait, selon sa méthode, en
propositions.
fut
Il
amené
mières parties d'un
cartes
en
». Il
fit
deux pre-
ainsi à rédiger les
Exposé des Principes de Des-
«
part à ses amis. Nous verrons
ceux-ci,
un peu à son corps défendant
l'année
même,
et
comment
s'empressèrent
^,
bien que l'ouvrage fût incomplet, de
publier (1663).
le
Mais à une époque antérieure
d'autres écrits
dont
^
Coleriis dit (p. 10)
1.
ils
que Spinoza ne vint
pourtant depuis KiGl (Lettre
était
en avril 1663 (Lett.
burg
13i,
il
leur avait envoyé
se servaient dans leurs cours
1).
mais revint
à Rijnsburg qu'en 1G64.
quitta Rijnsburg pour
11
l'hiver de
i)asser
Il
^.
y
Vooiburg
16G3-16G4 à Rijns-
de ce second séjour seulement que Colerus aura eu
(Lett. 17). C'est
connaissance. Cette erreur lui
municalion de Spinoza.
H
la
fait
retarder aussi de quatre ans lexconi-
place en IGGO, alors
que nous savons quelle
a été prononcée en 1656.
Un
2.
texte porte « casearius », l'autre
casarius
lire «
»
(de «casa
».
— Voj'.
«
élève, voy. Lett. 8, 9 et 13, et la Préface de
cartes
11
».
On pense que
passa, en 1G75,
1663,
3.
il
nm [Album
et
Lettre 13, p. 535.
.ï.
Lett. 8,
dans
le
Je pense qu'il faut
Meyer aux
«
— Sur cet
Principes de Desla
74^ Lettre.
voulut miMne convertir Spinoza. En
sliidiosorum Acad. Lugd. Bat.,
Meyer; van Viol.,
4.
».
casarius).
art.
Albert Burgh, à qui est adressée
au catholicisme
avait quinze
Prcf. de L.
c'était
casuarius
duCange.,
texte com[ilet
111, p.
;
van
110,
Vlot.,
au début.
II,
i).
219.
p.
."iiS).
BENOIT DE SPINOZA.
4*
Quels étaient ces écrits?
—
Deux ans auparavant, en
1G61, nous savons, par une lettre à Oldenburg^, qu'il
peu près
avait à
fini
un opuscule où
traité «
il était
de
Torigine des choses, du lien qui les unit à la première
cause, et de la Purification de lEntendement
[De
»
Emen-
datione Intellectus). Louis Me ver publia, après la mort
de Spinoza, un
déclare
«
un
être «
De Emendatione Intellectus
comme en témoignent
partie,
— L'autre
le style et les idées- ».
qu'Oldenburg désigne du terme vague de
tata tua
3
physica
»,
semble répondre aux
)>,
qu'il
»
des premiers ouvrages de l'auteur,
«
r
((
il
faut rapporter aussi à
Exposé des Principes de Descartes
Cogi-
Cogitata meta-
même
qui furent publiés en
<'-
»
temps que
(1663). Enfin,
une époque reculée
le traité
dont nous n'avons que deux traductions hollandaises
dans l'une
et qui
est intitulé «
Éthique
»,
dans l'autre
Court Traité sur Dieu, l'homme et le salut
((
écrits doivent être étudiés ensend)le. Ils
Ces trois
».
embrassent un
cours entier de philosophie, sauf la partie consacrée
aux sciences expérimentales. Les
pondent à
métaphysique,
la
que,
et le «
pour
le
De Emendatione
corps
1.
Lett. 6, p.
2.
«
TractaUis
le
même
»
<(
Court Traité
Cr.
Auclore
3.
(I
De
corres-
à l'éthi-
ex piioribus noslri
est
»
(Préf. des
Œuvr.
Pliilo-
poslh.)
Intellectus Enicndatinne iiuillos unie annos ab
fuit conscriplus. » (Préf.
Lelt. 8. p. 218.
»
de l'opuscule.
ni. Cf. Lelt. 11, p. 228.
De Emendatione Intellectus
Tractatus
»
à la logique, au moins
sophi operibiis, testibus et stylo etconceplibus...
—
Cogitata
«
du De Emendatione.)
45
PRK.MIERS TRAITÉS.
II
De ces
trois
ouvrages
les « Cogitata »
semblent être
plus ancien K — On peut y voir un exemple de
le
vahissement de
la théologie
par
salarmait l'Église de Hollande.
même
avait
«
len-
la métapliysifjue »
dont
Émue du
danger, elle
adressé aux États deux requêtes synodales
(1C5G et 1G57) pour obtenir la complète disjonction des
études théologiennes
et
des études philosophiques. L'ou-
vrage de Spinoza, écrit au point de vue cartésien,
est
dirigé à la fois contre les Jeunes Scolastiques tels que
Suarez, et contre les théologiens protestants tels que
Heereboort.
Il
forme ce qu'on pourrait appeler un
cours supérieur de métaphysique. Le cours élémenest
taire
supposé connu-.
Il
—
n'est traité
1. I.
Il y a plusieurs indices que
Court Traite. Par exemple l' Dans les
:
les Corjitata
f'o^i/a^fl
le
10,
(II,
Cogitata on trouve encore l'expression
les
16011 alors
Cf. Lett. 6,
i.
que dans
constamiiient remplacée par celle de
— Les
II.
la
Lell. à
annonce
—
III.
dans
t>,
au
les
se,
Oldenburg
qu'il a à
les
accidents
«
»
elle est
».
qu'on
y voit (p. 231) se
trouve reproduite dans
(Lett. 2, p. 198) antérieure à la
peu près achevé
le
De Emendatione
Lettre
où Spinoza
(Lett. 6, p. 217).
Co(/i/a/a soient postérieurs à cet ouvrage, car on trouve aussi
Principes des références aux Cogitata
etc.).
Les unes
moment de
2.
inodes
d'
Court Traite
ne faut pas conclure des références aux Principes de Des-
Il
cartes que
«
le
Cogitata semblent aussi antérieurs au De Emendatione. car
critique de la volonté
une
Pensée
la
20G\ tandis que
[p.
Court Traite, l'étendue est rattachée à Dieu, unique subslance.
Dans
2"
sont antérieurs du
l'Étendue et
sont encore données pour substantiellement distinctes
dans
que des ques-
et les
l'édition.
P. 192, 207.
(I,
7,
se.
;
—
I,
19-11,
autres de ces références ont pu être établies
BENOIT DE SPINOZA.
46
fions
difficiles
ou plus controversées de
physique g-énérale
» et
de la
méta-
métaphysique spéciale
(c
première portant sur FÈtre
la
la «
et
»,
ses modifications, la
seconde sur les Êtres réels,
—
l'homme, car nous laissons
anges aux théologiens
les
Sous la forme didactique, la pensée
ironique.
êtres
fictifs,
et
'.
hardie,
est vive,
de déblayer la métaphysique des
s'agit
Il
Dieu
c'est-à-dire
des divisions artificielles qui l'encombrent.
On en
a
c'est la
plus simple de toutes. Elle devrait se borner à
fait
une science
montrer une chose
:
« Il
très
compliquée, alors que
n'y a rien en dehors des êtres
réels, c'est-à-dire des êtres dont Texistencc est néces-
ou possible, ou, en d'autres termes, qui existent
saire
éternellement, soit dans la durée.
soit
possibilité
ou contingence-,
la durée,
»
Et encore la
ne sont que des
représentations inexactes dues à l'imperfection de notre
entendement. En
soi.
il
n'y a que des substances et des
modes, également nécessaires, également éternels.
Il
y a deux sortes de substances
•^,
et
deux substances^ pensantes,
la
—
l'Etendue et la Pensée,
Pensée incréée, qui
est
Dieu, la Pensée créée, qui est l'homme.
Ainsi le
l'Espèce,
Nombre,
et,
le
Temps
à plus forte
et l'Espace, le
Genre
et
raison, tout autre rapport.
Opposition, Ordre, Convenance, Diversité, Sujet, Qualité,
termes négatifs, Fin, Terme, tous ces
et les
une
êtres de
p. 228.
1.
2.
«
La
«
« possibilité »
substance
n
3.
Ch.
'I.
V. 20G.
I,
et
»
marquerait une «cause
indéterminée
m.
(p.
l'Jlt).
Cf.
»
indoteriniiu'c, laconlingeiifo
l'://i.,
IV, Déf. 3 et
-i,
cl
note.
PRKMIKRS TUAITKS.
raison
ou de
»
V7
ne sont que des laçons de conccvoii-
dans la mémoire, ou de les imaginer
les retenir
Ce ne sont pas des modifications de
lalcs
))^,
({uand
les
l'être.
noinmo premières ou
qu'on
qualités
«
un, d'être vrai, d'être
bon? L'unité
Quant aux
transcendan-
l'hêtre,
d'être
n'est qu'une
néga-
d'une histoire, bon se
tion. Vrai se dit
dit
d'un honmie,
mais quel sens ces deux mots peuvent-ils avoir
applique à
1'
Ètre^ »? Rejetons tout ce
«
d'attributs péripatétiques
attribut.
:
n'est pas ])esoin de lui
il
«
si
non parce
qu'il
fourrage^
défini
>*
comme
donner d'autre
^
:
Dieu est unicpie,
ne peut pas y avoir plusieurs Créateurs,
mais parce qu'il ne peut pas y avoir plusieurs
gences infinies
'\
de Dieu »?
définit Aristote
et
les
Ce qu'on appelle la Volonté divine se confond
exactement avec l'Intelligence divine
« vie
on
!
De môme, simplitions Dieu. Nous l'avons
une Pensée
i.
métaphysiciens s'entendent-ils eux-mêmes,
prétendent qu'elles sont pour
ils
les choses,
:
— Que
S'agirait-il
«
la
intelli-
veut-on dire en parlant de
par hasard de la vie
la
cpie
permanence de l'âme nourricière
de la chaleur' »? En
réalité, la vie n'est
que
la force
par laquelle une chose persévère en son essence, La vie
de Dieu,
son essence
c'est
1.
Ch. IV et V.
2.
p. 202.
3.
Ch.
4.
Farraginem,
5.
II,
VI.
ch.
6.
Ch.
7.
P. 215.
II.
viii,
p. 214.
IX.
même.
—
Chcrchera-t-on
BENOIT DE SPINOZA.
48
immense, dans
d'autres qualités? Dira-t-on que Dieu est
l'espace et dans la durée ^? Mais quelles étranges questions sera-t-on
amené à poser! Comment Dieu
être partout-?
Comment Dieu
aujourd'hui que le jour où
telles cjuestions, c'est
il
pas plus vieux
n'est-il
a créé
condamner
peut-il
Adam 2?
Poser de
la conception cpi'elles
impliquent. Ailleurs, Spinoza déclare qu'elles dépassent
l'entendement, ce qui est une autre façon de
entendre la
même
chose
Que sont
:
les miracles?
sans doute, que Dieu nous tient cachées 4.
lois,
peut-il rendre faux ce que nous concevons
demment
faille
vrai? Nous n'en pouvons juger ^'.
Des
Dieu
comme éviComment se
concilie la nécessité divine et le libre arbitre? Mystère
— La conclusion
est la
boutade fameuse
n'a pas plus de rapport avec la science
:
«
'•.
La théologie
humaine que
le
Chien, constellation céleste, n'en a avec l'animal aboyant,
peut-être
Il
beaucoup moins encore 'I
y a dans tout
le Traité
»
une ironie mesurée, mêlée
une certaine outrance juvénile. Les hardiesses sont
à
tentantes
quand on
les écrit
chargé de les professer. Sous
à Spinoza, l'inspiration est
L'autorité y est de
ch.
1.
II,
2.
P. 210.
3.
P. 207.
1.
.-).
P. 229.
p.
221.
0.
p. 201.
7.
P. 227.
m.
peu de
de
loisir et
les
qu'un autre
est
arguments personnels
presque partout cartésienne.
poids,
même
l'autorité
de la
PRKMIKRS TRAITÉS.
Bible.
La Bible,
dit l'auteur, est loin
les sottises {nugas)
contient, pourquoi
nous rejetons
le
49
qu'on
de contenir toutes
lui fait dire.
Mais
ne la rejetterions-nous pas
Coran
et le
Talmud
elle les
si
«
comme
)>?
'
faut mettre à part le dernioi- chapitre, de l'Ame
Il
humaine-, où Ion pressent comment
se fera le
passage
de ces discussions métaphysiques à une philosophie
morale. Deux principes essentiels sont posés
:
le
premier,
que rinmiortalité de Tàme se confond avec son éternité
le
;
second, que l'âme est autonome. Ce dernier est établi
à la fois contre les partisans
du
libre arbitre tels
que
Descartes, et contre les déterministes tels que Ileere-
boort^. Les uns et les autres supposent une volonté
séparée en quelque sorte de lame, tandis que la volonté
c'est
l'âme
même {Vohintatein
nihil esse prœter
mentem
ipsam). Liberté humaine veut dire liberté de l'esprit,
c'est-à-dire,
en somme, connaissance du
vrai.
Il
y a
là
des germes féconds pour l'Ethique.
m
On
espérerait trouver le
losophie morale dans le
«
développement de
Court Traité
»
ou
«
cette phi-
Éthique
».
qu'un ensemble de notes,
Malheureusement ce
n'est
moins ordonnées que
les « Cogitata »,
surchargées de
corrections et qui n'ont pas reçu de forme définitive.
Tout y parait confus, l'idée
1.
p. 220.
2.
II,
3.
Cité p. 231,
est
rarement serrée, on ne
ch. XII.
niCNOIT
DK
Sl'INOZA.
4
BENOIT DE SPINOZA.
50
l'econnait
guère la précision de Spinoza. J'inclinerais à
un cours dont
n'y voir que des notes d'élèves, prises à
Sf)inoza aurait fourni la matière
cas, attribuer à
un
que
écrit
n'ont publié, absolument la
On ne
'.
peut, en tout
ni lui-même, ni ses amis,
même
valeur qu'à ses ou-
vrages authentiques.
proprement
L'Étlijque
dite
y
précédée d'un ré-
est
naturelle. Après l'ébauche impar-
sumé de théologie
que nous connaissons déjà, de
faite, et
Substance (ch.
i
mal disposés
deux
:
conservation du
et
ii),
se trouve
m
(ch.
monde par
une
la Théorie
de
la
de chapitres
série
sur la création et la
et v)
Dieu; deux autres (iv
et vi)
sur l'action nécessaire de Dieu et la prédestination, établies sur des raisons obscures de perfection
naturante
et «
»
;
deux autres
distinction scolastique de
(vui et ix) sur la
nature naturée
-
»
«
nature
deux autres enfin
;
(vu et x) contre les Péripatéticiens et surtout contre
leur définition de Dieu et leur conception du bien et
mal.
((
Il
y manque l'argumentation drue
Cogitata
Partout la pensée semble indécise, l'ex-
».
pression imprécise.
1.
Par exemple,
mouvement
le
est
Les formules de Spinoza sont souvent voilées par un langage conven-
tionnel
:
géhenne
Délivrons-nous
» (trad.
«
Janet, p.
des mauvaises passions qui ne sont toutes que
96V Écoutons
Aimons de toutes nos forces «
2. S. Thomas, S. IhéoL, I,
ph. epit., p.
9, éd. 15i3.
Eckart (537,
29), S.
I, 1),
du
et topique des
le
'.>.,
«
notre bonne conscience »
Seigneur noire Dieu
qu. 85, art.
— On a trouvé
G.
llonaventure (Lib. Sent.,
9, 14, 3),
Fr.
IJarlli.
III, 8, 2),
4),
(p. 70).
(p. G7).
d'Usingen, Xal.
aussi cette expression
Vincent de Beauvais {Spec. quadr., XV,
(lifferentiarnm,
—
»
dans maître
Averroës {De cœlo.
Pietro d'Albano [Concil.
Sanson (Qvesf. in Aristol., li9G. —11,5).
(V. Freudenthal, Sp. u. die Scholasli/i.)
PREMIERS TRAITÉS.
51
nom étrang-e de « Fils de Dieu »^ Il est concomme un « mode éternel » de Dieu, mais une
appelé du
sidéré
note avertit que ce qui en est dit ne doit pas être pris
sérieusement »~\
((
La seconde partie est appelée par Fauteur
Traité des Passions
«
»
chapitre de l'Amour
le
piré de
trois
Léon Hébreu.
amours
:
Elle
.
(cJi.
Il
amour des
objets incorruptibles,
y
me paraît
môme un
avoir pour centre
qui est directement ins-
iv)
est reproduit la distinction
objets corruptibles,
amour de
de
amour des
Dieu. Mais l'effort ori-
ginal est de fondre la distinction des trois amours avec
la distinction platonicienne des trois
sances.
— L'amour inférieur vient
modes de connaisd'une connaissance
imparfaite, les deux autres naissent de la connaissance
raisonnéc et de la connaissance intuitive. Les progrès
de l'entendement déterminent
les
plus l'amour s'accroît, plus nous
mour
est le
progrès de l'amour
sommes
fondement de tout bien
et
parfaits
3.
et
L'a-
de tout mal^,
la
seule passion dont nous ne puissions jamais nous affranchir absolument
•*
,
que nous puissions
sans laquelle
exister**.
même
on ne conçoit pas
La vertu consiste donc à bien
diriger l'amour, ce qui revient à bien diriger l'entende-
ment.
1.
Trad. Janet, p.
"2.
P. 45, note.
'i.
Spinoza
distincts
quelquefois du ouï-dire et de l'expérience deux modes
de connaissance. V.
3.
P. 84.
i.
P. 83.
5. P. 64.
(•>.
fait
iG.
P. 83.
p. 8i. Cf.
De EmemL.
tr.
Saiss., p. 280.
BEXOIT DE SPINOZA.
52
Quels sont, au juste, les progrès de Fentendement, ou
modes de connaissance? Spinoza
point, compliqué sa pensée;
sance
Y opinion,
:
embrasse
la
importe d'en marquer la
il
—Hya
signification première.
a plus tard, sur ce
trois
modes de
foi, la vi^aie science ^
connais-
V opinion
tout ce cpie nous avons appris par ouï-dire
ou par expérience.
C'est d'elle
que naissent toutes
les
passions, car elles ont toujours pour fondement la repré-
sentation d
un objet
nous a parlé
^.
la distinguer
plus
— La
réel que nous avons
foi, cju'il
de la croyance
l'homme
réel,
vu ou dont on
,
nous
mais l'homme
fait
connaître
au lieu de rester enfermé en
elles;
nous présente un idéal extérieur à nous,
d'homme parfait.
une connaissance morale
et
du mal^.
:
non
les pas-
nous voyons
La
foi
s'agit
de
celles qui sont bonnes, celles cjui sont mauvaises.
réaliser, l'idée
,
tel qu'il devrait être 3.
Sur cet exemplaire idéal nous pouvons juger
sions,
pour
faut appeler foi vraie
cj[u'il
Elle est essentiellement
c'est la
connaissance du bien
— Dans la vraie science enfin, l'union avec
l'idéal est accomplie.
La
foi est
remplacée par
la con-
naissance claire, par l'expérience vraie, bien supérieure
à l'expérience des sens
naissance du vrai
et
^.
Alors seulement on a la con-
du faux,
et ce
sentiment de certitude
intime, vrai réveil de l'âme, dont on ne saurait donner
1.
Ch.
II.
2.
Ch.
m.
3.
Ch.
IV.
4.
Ch.
IV, p. 02.
.5.
Ch. XV.
PREMIKRS TRAITÉS.
53
l'idée
aux gens qui vivent endormis ^
quer,
comme
le fait l'auteur
— On peut mar-
lui-même
2,
rapport de
le
cette doctrine avec les doctrines théologiques qui dis-
tinguent le péché, la
et
loi
la grâce qui nous en
qui nous
afl'ranchit.
de donner à ces mots un sens
c'est l'irréflexion
;
la loi c'est le
,
fait
connaître le péché,
Mais c'est à la condition
intellectuel.
Le péché
jugement moral lagrâce
;
c'est la certitude.
Le développement donné par l'auteur à ce qui concerne les deux derniers modes de connaissance est fort
inégal en intérêt. La détermination, d'après
le
second
mode, de la valeur morale des passions est très sèche.
Bien qu'on y trouve interprétées
stoïciennes 2, c'est Descartes
nombrement des
l'esprit
^
certaines
maximes
qui est suivi pour le dé-
passions. Mais, par
une pente
fatale
de
de Spinoza, l'ordre à mettre entre les passions
tend à prendre une valeur en
soi,
en dehors des expli-
cations physiologiques que donnait Descartes, en dehors
des jugements moraux que lui-même
il
veut porter. L'on
pressent déjà les divisions dichotomiques, toute l'algèbre
des passions qui sera développée dans
1'
«.
Ce qui se rapporte au troisième mode*^
traire, la
1.
Ch. XV,
P. 9", note.
3.
Sur
les
est,
au con-
p. 85.
biens qui sont en notre puissance, p. 66;
la colère, p.
68
;
— Épictète
et
Sénèque étaient
— sur
la
4.
Traité des Passions.
5.
LiF. III,
Append.
6.
A
du
ch. xv.
maîtrise
les seuls philosophes
anciens que Spinoza eût dans sa bibliothèque {Inv., p. 172, 188).
partir
».
meilleure partie du Traité. Nous y touchons à
2.
de
Éthique^
BENOIT DK SPINOZA.
54
la vraie connaissance
à ce qui nous intéresse surtout
,
connaissance de nous-mêmes. Alors se dissipe
la
sion, utile jusque-là,
que Descartes
du
libre arbitre. Ce libre arbitre,
daffirmer ou de nier,
définit la puissance
n'est
évidemment qu'un
nous
est possible d'affirmer ce
mots, mais non pas de
l'illu-
être de raison », puisqu'il
«
que nous voulons par
sentir » intérieurement ce
(c
les
que
nous voulons. Notre expérience intime du vrai ne dépend
pas de nous.
Il
ne faut pas dire que nous affirmons une
chose, mais qu'une chose s'affirme en nous.
Quand nous
connaissons Dieu, Dieu seul est agissant. Vérité profonde,
le
dogme théologique que nous ne sommes de
raccomplissement de notre salut
parler exactement, les
«
i.
rien dans
La volonté, ou, pour
volitions »
ne sont que des
affirmations, actes
de la vérité en nous, c'est-à-dire actes
de Dieu en nous
—U
2.
volition^. Le Désir est
est vrai
que
le Désir
une affirmation,
dépasse la
lui aussi,
mais qui
a égard, non à ce qui est vrai ou faux, mais à ce qui est
bon ou mauvais. U tend à
«
obtenir
» la
chose que nous
avons affirmée. C'est pourquoi l'union avec Dieu doit
être,
autant que connaissance par l'entendement, pos-
session par l'amour.
amour ne sont jamais
—
A
dire vrai, connaissance et
séparés. L'àme aime tout d'abord
son corps, parce qu'elle ne connaît que
lui;
c'est
en
cela cjue consiste son union avec lui, et les passions vien-
1.
Voy. dans
Calvin.
2.
Ch. XVI.
3.
Ch. xMi.
la
Biblioth. de Spinoza
(p.
13G)
une édition espagnole de
PREMIERS TRAITES.
Descartes
lient,
OO
montre, de ce que l'Ame veut agir
l'a
sur le corps, et que le corps résiste de son
propre K
« Il
se produit ainsi, en nous, des
mouvement
combats dont
nous avons conscience, sans avoir conscience de leurs
Mais quand l'Ame connaît Dieu, elle est af-
causes-.
»
franchie
du corps
affranchie des passions. Dieu s'est
,
véritablement substitué au corps humain. L'instant où
l'âme avait été unie au corps
ration
«
»
;
l'instant
régénération 3
De
»,
où
«
géné-
Dieu est celui de sa
de sa seconde naissance.
taines et qu'il faut opposer
n'est pas immortelle »
».
de sa
dégagent deux propositions également cer-
là se
nelle''
était l'instant
elle est unie à
;
:
la première,
que
la seconde,
«
que
«
l'âme
l'âme est éter-
Spinoza s'occupera de les démontrer minu-
tieusement l'une et l'autre.
— L'Ame
est mortelle, parce
a été prouvé qu'elle ne peut pas être une subs-
qu'il
tance. Elle n'est, par conséquent,
pensée divine. Elle
est l'idée,
qu'un mode de
la
en Dieu, d'un corps dé-
terminé. Elle procède donc de l'existence réelle de ce
corps, elle tire son origine de lui
mènent dans l'âme
(|ui
6.
dépend de
les
Si la ruf>ture est
ruptures d'équilibre dans
trop grande,
si les
lui
1.
p. 100 et suiv.
P. 101.
a.
Cb.
4.
Ch. xxni.
5.
P. 119.
XXII, p. 113.
P. 13i.
le
proportions
constituaient le corps organisé n'existent plus,
2.
('..
elle
Les sensations ne sont que les changements qu'a-
seul'^.
corps
,
si le
56
BENOIT DE SPINOZA.
corps se dissout, l'âme s'anéantit ^
détail
du problème de l'union de l'âme
déjà divisées et ordonnées dans
difficultés
de
du corps sont
et
un Appendice
joint au
une longue note, placée. à
Traité-, et surtout dans
suite
— Les
la
de la Préface 3. On y trouve sériées déjà des pro-
positions qui, développées, deviendront le Second Livre
de r
«
Éthique
— Quant à
».
la proposition
est éternelle » elle sera l'aboutissant
,
de
1'
«
que
l'âme
«
Éthique
»
tout
entière.
Dans
pensée
dépouillée.
s'est
même
tion
de
hommes
les
On
«
Court Traité
»
la
rédac-
est tenté d'y voir la
Spinoza, — La conception ordinaire que
se font
Dieu aime-t-il les
comme
du
les derniers chapitres*
de Dieu
hommes?
est
tinement
critiquée.
Oui, sans doute, mais
non
des objets séparés de lui-même. Leur donne-t-il
des lois ?
Il
ne leur en donne pas
qu'ils puissent transgres-
Se révèle-t-il à eiLx? Oui, mais ce n'est ni par des
ser.
paroles, ni par des miracles
tendement pur
^.
valeur,
faut prier
il
c'est
— Le diable
digne de toute
cas,
;
par lui-même
existe-t-il? « Il est,
pitié, et si les prières
pour
lui.
(On sent
il
chose a de divinité en
elle,
moins
après
un chapitre qui me
1.
P. 52, 144.
Append.
dans ce
ont quelque
l'ironie
avons déjà observée.) Mais
2.
et à l'en-
n'existe pas, car
que nous
moins une
elle a d'existence
''.
»
—
II.
3. P. 51.
4.
A
partir
(eh. xviii) et
du
où
il
ch.
est
\ix,
donné un ensemble de raisons
trer l'avantage de la doctrine de la prédestination.
5.
Ch. x\iv.
6.
Ch. \xv.
«
paiait intercalé
à côté
»
pour mon-
PREMIERS TRAITÉS.
57
L'ouvrage se termine par une véritable tentative de conversion
L'auteur presse son auditeur de cliercher la
i.
paix qu'il lui offre,
que ce
soit
sable, elle
une paix
même
s'il
n'est pas encore
convaincu
éternelle. iMènie Ijornée à la vie péris-
vaut mieux que
toutes les voluptés
-.
Il
essaie
de forcer son intelligence en mettant, suivant sa cou-
tume, ses raisons les plus convaincantes en propositions
Il
'.
veut l'amener à réaliser, avec lui-même et avec tous
hommes,
les
il
donne
«
La liberté
s'il
pour conclure
,
humaine, dont
est possible, la liberté
,
est l'habitude
cette
admirable définition
:
que l'âme acquiert par son
union immédiate avec Dieu, de ne produire en
idées, hors de soi des actes,
que sous
soi
des
forme de Té-
la
ternel*. »
Dans un fragment de
lettre, inséré
Spinoza prie les amis à qui
il
écrit
à la fin du Traité'',
de ne pas s'étonner
trop de ces nouveautés, d'être extrêmement prudents à
les enseigner, et
de n'avoir pour but en
le faisant
que
salut de leurs proches. — Quelles heures uniques ce
être
pour
les disciples fervents,
que
celles
où leur
le
dut
fut
révélée cette doctrine neuve et hardie d'un maître à
peine plus âgé qu'eux, retenu loin d'eux par la vie contemplative et la persécution des
1.
Ch. XXVI.
2.
p. 121.
3. P.
hommes
^^
122.
4.
P. 12i.
5.
P. 125.
!
^
,^^.
.^''
rn-'X^
BENOIT DE SPINOZA.
58
IV
Le
«
Traité de la Purification de
mot
réfutation ou plutôt (le
rEntendement^ » estime
revient forcément en parlant
de Spinoza) un approfondissement du
Méthode
de Descartes.
»,
de la Méthode
»,
Discours de la
— Comme dans
forme personnelle
la
moins au début. Le
«
le
Discours
<(
adoptée, au
est
Au
style est pourtant très différent.
lieu de la prolixité qui guette Descartes, la phrase est
concise
,
tendue par des additions interca-
faite à loisir,
extrême, mais parfaitement nue,
laires, d'une densité
malgré, une ou deux
A Fépoque où
fois,
de légers souvenirs de Sénèque'-.
ce Traité fut écrit (1660
ou 1661)
les
questions de logique étaient les questions brûlantes d'un
cours de philosophie.
discréditée
ment
En
cette matière, l'Ecole avait été
le
mouve-
manuels eux-mêmes, comme
celui de
bien avant Descartes
,
ramiste. Les
Keckermann
,
par tout
(1600) que Spinoza possédait-', montrait
la nécessité de
fonder une logique nouvelle. C'est à ce be-
soin qu'avaient prétendu répondre le
(1620) de Bacon et le
«
«
NovumOrganum »
Discours de la Méthode
L'ouvrage de Descartes avait été commenté à
1. «... et
2.
et
de
la
meilleure voie pour
(D'wiViai)... fre(j tient er
semper causa
interitus
le
ronduiic à
la vraie
eorum qui ab lis possidcntur
Inventaire,
'\
connaissance.
»
4.
Voy., par exemple, Clauberg, Vijtn-eiding
(van Vlot.,
1,
p. 4
1.
p. 180.
van Descarles {Pefcnsio
Cartesiana adversns Jac. licrhnn), Amsterdam, Kmî,
la
(1637).
l'infini
sunt cuiisa interilus corumqxii capossidcn/.
3.
dans
»
Bibliothèque de Spinoza {Inv., p. 185).
livnî qui se trouve
PREMIERS TRAITÉS.
mais tous
Gassendi
ne
les esprits
s'efforçait
philosophicum
»
59
pas
s'y étaient
ralliés. Pierre
de restaurer, dans son
Syntagnia
«
(Lyon, 1658), la logique dAristote, qu'il
avait passé sa vie à combattre.
Thomas Hobbes
tentait
une voie nouvelle dans sa bizarre Logique (1655j. Clau-
berg essayait de condjiner une Logique
que
allait
De tous ces ouvrages
(1650)^.
»
prendre
le
r
cellent qu'est
Novo-Anti-
«
enfin, Port-Royal
meilleur pour en composer
Art de Penser
«
le livre ex-
(1662)-. Mais rien,
»
depuis Descartes, n'avait été écrit qui valût le petit
traité
de Spinoza pour l'originalité
et
pour
la profon-
deur.
C'est
un
livre
venu du fond de l'àme, une sorte
de confession intellectuelle. Tout Spinoza est
là.
— Sa
première recherche n'est pas celle de Descartes
recherche de la vérité, car
d'abord que la vérité
est
il
,
la
faudrait qu'il ait été prouvé
nécessaire à l'homme. C'est la
recherche d'un vrai bien. Les biens ordinaires que l'on
poursuit laissent l'âme inassouvie
donc certain. Y
périence intime,
:
voilà
un
a-t-il
un bien qui
puisse emplir l'infinité de l'àme? Une
au cœur que toute autre.
nous
tient plus
tion,
pour Spinoza, n'est pas venue de
telle
«
Tout notre bonheur
dépendent de
1.
et tout
la nature des objets
Clauberg, Logica, Déd., p.
de Sp.,
2.
Bihliotli.
3.
Saiss., p. 277.
p.
187.
3.
question
— L'illuminala
découverte
d'une vérité abstraite, mais d'avoir compris
l'amour.
fait d'ex-
le rôle
de
notre malheur
que nous aimons
^.
»
60
BENOIT DE SPINOZA,
Tandis que tous les
maux
Vamour des choses
suivent
périssables, l'amour de l'éternel
nourrit l'âme d'une
— Mais l'amour de l'éternel
joie pure.
n'est pas naturel
à l'homme. Le bien sera donc d'acquérir une
humaine supérieure
grandir.
»
On reconnaît
du
tresse
'
«
où
ici,
Court Traité
place que Spinoza
fait
cet
amour
«
nature
puisse naître et
approfondie, une idée maî-
».
Mais est nouvelle la large
aux autres hommes.
« Il est
né-
mon propre bonheur que l'entendement des
hommes et que leurs désirs soient d'accord avec
mon entendement et mes désirs'-. » Si le « vrai bien »
est d'arriver moi-même à la nature humaine supérieure,
cessaire à
autres
le
souverain bien
((
hommes.
Il
»
tende à ce but. Le devoir social est
du devoir moral.
— On
avec les autres
est d'y arriver
faut chercher à établir
une
le
société
où tout
développement
dirait qu'à partir
de ce moment
l'âme de Spinoza reste moins enfermée dans sa soli-
tude
et
commence
à s'épanouir.
Qu'est-ce que réformer
ma
nature ? Je sais que
ma
volonté n'est qu'un mot. Je n'ai prise en moi que sur
mon entendement. A voir le fond des choses, réformer
ma nature, c'est uniquement la connaître. Car la connaissance vraie que j'en aurai ne sera pas une idée
morte,
de la
comme
extérieure à
sorte. Elle sera
sera tout
moi-même.
rapidement ce
1.
p. 278.
2.
P. 279.
qu'il a
moi
;
il
n'y a pas d'idées
rigoureusement
—
Spinoza ne
démontré
mon âme.
fait
ailleurs.
elle
qu'indiquer
Il
rappelle la
PREMIERS TRAITÉS.
distinction des trois
61
modes de connaissance'.
considère que sous l'aspect particulier de la
ception
ne
Il
per-
'<
qui suit chacun d'eux. Le premier ne
»
les
saisit
des accidents, le second saisit la cause-, le troi-
que
sième seul perçoit l'essence. On pourrait se borner au
second,
si
l'on
ne cherchait que
en nous unissant à l'objet de notre con-
le troisième,
donne la perfection.
naissance, nous
C'est
au point de vue du troisième mode de connais-
uniquement à ce point de vue, qu'est
sance, et
reste
du
Traité. C'est ce qui
d'une lecture
difficile. Il
en
méthode des
sciences,
un ouvrage
fait
1.
Ou
ou avec
2.
Il
même
la foi morale, sera
du outdire
et celle
comme
«
Platon,
dans
l'opinion,
qui Tient de l'expérience personnelle.
n'y a pas contradiction entre ce
deuxième mode de
un
La connaissance
ordre que les sciences, ni
quatre, en distinguant encore,
celle qui vient
et le
pas du
singulier,
analogie établie avec
principe de confusion et d'erreur.
intuitive n'est
écrit le
nous défaire des façons
faut
habituelles de raisonner. Toute
la
mais seul
la vérité^,
deuxième mode de
connaissance
»
«
perception
du Court Traité
qui.
»
nous
l'avons vu, est la connaissance morale d'un idéal humain. Cet idéal hu-
main, par rapport à ce que nous sommes, est
Le mot cause n'a
précédant
un
pas, chez
autre phénomène.
façon analogue à l'idée
et
supérieure à
phénomène.
eux.
C'est sa
La cause
chez Platon,
L'essence
«
est,
perçu
Il
»
comme une
comme
est
conçue par
diflférente
au contraire,
la
lui.
sont venus après
Dans
—
En
particulier,
le
que conçoivent
P. 283.
les
Empiriques.
du
l'absolu, ce
faut bien se garder de donner aux
lui.
d'une
réalité intime
termes
empi-
déterminisme des
essences ne doit pas être confondu avec le déterminisme des
3.
lui
des phénomènes
sert Spinoza, le sens qu'ils ont pris chez les philosophes
riques qui
cause.
sens moderne de phénomène
cause devenue intérieure à
point de vue seul existe.
dont se
Spinoza, le
phénomènes
BEXOIT DE SPINOZA.
62
même
du
d'unique
:
que
ordre
Elle
la foi.
quelque chose
est
on ne peut la comprendre qu'en
se plaçant
elle. Il est prescpie impossible d'en parler, car elle
en
n'admet pas, à vrai
dire, de progrès.
Nous sommes en
possession d'une idée vraie unique. Si nous semblons
tirer
cette
ment,
idée d'autres idées semblalîles,
pour
réalité,
les
ramener à leur tour
y a une seule idée,
il
qu'il s'agit d'arriver
il
dans
le
l'idée
n'y a rien. Tout est dit d'un
'.
Exacte-
de Dieu. C'est à
plus bref délai
mot
:
la
-.
en
c'est,
à l'unité
Hors
elle
d'elle,
connaissance
intuitive est la possession intellectuelle
de Dieu. On ne
—
pas une marche
peut rien ajouter.
progressive,
dente,
si
si
ne
suit
chac£ue page répète à
peu près
la précé-
l'on n'a pas l'impression d'avancer, mais de
s'enfoncer, c'est
que rien ne peut être acquis de nou-
même
veau. L'idée
seul fait
Si le Traité
de Dieu n'est pas acquise. Par
le
que nous nous trouvons dans le troisième mode
de connaissance, nous sommes en possession de l'idée
de Dieu. Nous ne la chercherions pas
si
nous ne l'avions
déjà trouvée. Nous n'avons pas proprement à l'atteindre, mais à en prendre de plus en plus conscience.
Comment le
qu'il n'y a
ferons-nous? Nous comprendrons d'abord
pas de
«
méthode
de cette idée. Nous
vérité
bitamus de nostra veritate;
1.
Omnes
ordinare
2.
...
(p. 15).
ideae
»
pour démontrer la
la sentons v^raic
il
:
non dn-
n'y a pas d'autre signe
ad %inam ut redigantur, conabiinur
cas concalenare et
(p. 28).
ul quunto ocius ad cognilioncm Entis perfectissimi perveniainus
63
i»rkmii:rs tuaitks.
que ce sentiment intime de certitude ^ Douter
La
discipline
((
«
serait
ne pas se sentir soi-même 2.
pcarler contre sa conscience,
à suivre est, sans doute, l'habitude
des méditations intérieures, qui, peu à peu, nous dé-
gagent des prtgugés, qui surtout nous délivrent de la
condition de toutes les choses humaines, c'est-à-dire
du perpétuel changement-', mais
la
même, ou
sentiment qui accom-
pagne
que
la preuve, n'est
l'idée vraie.
Ou plutôt, car ce mot de
pourrait nous tromper, elle
vraie
^.
Nous
connaissons
donnée avant tout;
sons
:
le
méthode''*
«
et
est
F
voilà
:
«
la
sentiment
»
de
l'idée
première
idée,
idée
«
» elle-
»
nous savons que nous connais-
voilà ridée de cette idée.
sur ce point. Nous voyons qu'une
Insistons
même
idée peut être ou connaissante ou connue, sujet ou objet
de perception ou, en d'autres termes, idée ou chose''.
La
((
chose
»
devient idée en nous, et cette idée devient
chose à son tour, pour une idée supérieure, et ainsi de
1.
Conscientia.
2.
Se ipsum non sentire.
3. Saiss., p. 289.
4.
Le mot
«
—Cf.
méthode
Lett. 37; Saiss., p. 393.
»
n'a
pas dans les philosophies rationalistes
sens qu'il a chez les Empiriques, de
signifie «
moyen de démontrer que
en tenir compte dans
caries admet,
comme
1
«
voie pour atteindre
la
ce qu'on aflîrnie est vrai
interprétation
du
Spinoza, que nous
«
Discours de
sommes en
la
vérité ».
».
—
Il
le
11
faut
Méthode». Des-
possession de la vérité,
mais cette vérité n'a de valeur que lorsque nous l'avons prouvée, pour
nous-mêmes
et
5.
P. 289.
6.
Ou, selon
pour
le
les autres.
Spinoza supprime
la nécessité
de
la
preuve.
langage du temps, essence objective (dans l'esprit) ou
essence formelle (dans les choses).
BENOIT DE SPINOZA.
Gi
suite à rinfîiii'. Les
les
choses
«
mêmes que
au
vrai,
premiers objets de connaissance,
proprement dites, ne sont sans doute
»
les «
idées
»
dun entendement infini,
car.
n'y a qu'une chose réelle, la substance. Mais
il
en idée ne
la transformation de la chose
perdre de son essence. Dans l'absolu,
formation,
il
ya
identité.
il
idées est la
même
que
lui fait rien
n'y a pas trans-
Au point de vue humain, nous
pouvons traduire cela en affirmant que
mes
elles-
choses
la série des
ainsi délivrés de la crainte,
«
la série des
Nous som-
».
en possédant nos idées,
de ne pas posséder des choses.
Aurons-nous
les autres craintes
que Descartes énu-
mère? Craindrons-nous de former des idées
fictives,
fausses, ou tout au moins douteuses? Conunent
rions-nous?
Une idée
d'une possibilité
voyage
pas
:
<'
»,
ou bien
:
«
fictive est
Je suppose
la suj)position
un arbre parlant
».
le
ou
pour-
ou bien renonciation
que Pierre fasse
tel
d'un être qui n'existe
Mais, en fait, ni dans l'ordre
des existences (premier cas), ni dans l'ordre des essences
n'y a rien qui soit possible en dehors
(^second cas),
il
de ce qui
nécessairement réahsé. Un entendement
infini
est
qui comprendrait la nécessité de toutes choses ne
pourrait former aucune fiction
est
impossible d'en former,
1.
N'oublions pas que, pour Spinoza,
les fois
qu'on aboutit à une série à
Et à
'.
si
il
2.
P. 292.
toujours réalisé. Toutes
faut en conclure l'identité
foncière des termes qui la composent dans l'unité
commun.
il
notre entendement se
l'infini est
l'infini,
nous-mêmes
«
continue
»
d'un terme
PREMIERS TRAITÉS.
porte,
comme
fait
il
dans la comiaissance du troisième
genre, sur un objet à la
— Dans
simple.
les
65
nécessaire et absolument
fois
mêmes
conditions, l'idée fausse ne
peut pas, non plus, se produire, car elle
formée par l'imagination
est, elle aussi,
c'est l'idée fictive,
:
—
conscience de l'avoir forgée soi-même.
est
Il
la
Le doute,
qu'un passage de l'erreur à la certitude.
n'est
enfin,
moins
absurde de ressasser l'hypothèse du Dieu trompeur
pour essayer de mêler du doute à
même.
la certitude elle-
— Craindrons-nous encore de perdre la mémoire
de nos idées certaines? Mais nous voyons que la mémoire
d'autant mieux une
retient
intelligible
ou plus
idée
qu'elle est ou plus
forcément une idée extrêmement particulière
telligible,
donc
particulière^. Elle retiendra
comme est l'idée
et très in-
certaine. — Craindrons-nous
de confondre l'imagina-
enfin, d'une façon générale,
tion avec l'entendement ?,I1 est facile de les distinguer.
L'imagination est confusion et
ment, au contraire, connaît
réel, c'est-à-dire,
comme
les
l'a
L'entende-
passivité.
choses dans leur ordre
bien compris la philoso-
phie antique^, dans l'ordre qui va de la cause à
mais surtout, ce qu'on n'a pas assez vu,
de rien autre que de lui-même
gination,
et,
mour
si
non
l'ima-
une spontanéité mentale iautoma
est
d'autre part, nous retenons
nous n'avons
un grand nombre
de Montai van.
2.
ne dépend
Par exemple, nous retenons mieux une narration qu'une suite de
1.
mots,
lu
cpii
;
il
c'est lui, et
l'effet;
lu
mieux
l'intrigue d'une
qu'une comédie particulière, que
(p.
304 et 305).
—
si
Spinoza possédait
comédie
les
comédies
[£i/^;io</;., p. 160.)
P. 306.
nKNOIT DK SPINOZA.
d'a-
nous en avons
5
BENOIT DE SPINOZA.
66
i),
spirituale
une
duire ses idées
il
:
autonome.
activité
Il
est seul à pro-
peut donc en avoir une connaissance
parfaite. Concluons
que rien ne peut nous
faire douter
de l'idée vraie que nous possédons.
Mais jusqu'ici nous
sommes
dans
restés
le sujet qui
connaît. Qu'est l'objet connu? Est-il impossible
d'en
rien dire ?
En
unique. Mais nous savons que
soi, cet objet est
c'est-à-dire
l'unité,
la» continuité
»,
infini actuel. Unité et infinité sont les
un
est toujours
deux faces d'une
chose, les deux manières dont on peut la considérer.
Plaçons-nous donc au point de vue de Finfînité pour
essayer de saisir l'objet de la suprême connaissance.
Cet objet doit être l'essence intime et singulière de
chaque être
réel,
et
l'ordre véritable dans
surtout
nombre
lequel se disposent ces essences en
La
infini.
connaissance parfaite part de Dieu, qui est la cause
de toutes choses, puis
réel, sans
va d'un être réel à un être
elle
jamais interposer de termes abstraits ni d'uni-
versaux-. Elle reproduit, non la série des choses dans
l'ordre
où
mais
elles existent,
« éternelles et particulières
1.
La traduction
toma veut
dire
«
«
automate
spontanéité
».
—
spirituel
».
la
>>
série des
Tel est l'ordre véri-
un contresens.
est
(...
tanquam automataqux mente
oublier que le
«
déterminisme dans
^4»-
La spontanéité mentale s'oppose à
spontanéité physique, la seule qu'ont les sceptiques
leur gré
essences
quand
ils
carent..., p. 14).
l'éternel »
la
nient tout à
On
ne doit pas
de Spinoza admet
la
sponta-
néité des êtres vivants.
2.
Spinoza n'admet pas que la vraie science soit celle du général. Dieu
ne connaît pas
«
l'homme
»
en général, mais
les
individus singuliers.
PREMIERS TRAITÉS.
table [debilus ordo). Mais, connue
immédiatement
67
n'est
il
pas réalisé
l'entendement humain,
clans
il
faut
bien admettre un autre ordre provisoire, qu'on peut
appeler un ordre d'investigation.
se réglera sur la
Il
aiature des choses à connaître. Elles sont à la lois indi-
En
viduelles et éternelles.
l'ordre admettra
duelles,
une façon de
tant
qu'elles sont indivi-
une certaine induction, ou
se servir des sens,
mais toute différente
de celles des empiriques. Ceux-ci se laissent mener
par leurs expériences,
phénomènes.
Il
faut,
et
ne visent à atteindre que
au conlraire, en faisant des ex-
avoir pour seul guide l'idée, et
périences,
les
pour but
d'atteindre l'essence intime [jntima natura^) des indi-
—
vidus.
Et en tant qu'on doit connaître des choses
éternelles,
de
il
l'activité
faut se servir de la déduction, c'est-à-dire
propre de l'entendement.
un point de départ [fundamentiim)
quelconque une
départ
peut plus être arrêté
l'éternel.
—
~.
fois
Il
Il
,
s'agit
car
de trouver
un
point de
posé, l'entendement ne
spéculera indéfiniment dans
Que ce point de départ
soit,
si
l'essence intime de la chose qui nous est le
l'on veut,
mieux con-
nue notre entendement lui-même.
:
1.
P. 31.
2.
A'a»i
(p.
32).
ex nullo fundameaio cogitationcs nostrx tenninari queunt
La traduction
nequeunt
est arbitraire.
«
fondement
» est
un contre-sens. La conjoclure
BENOIT DE SPINOZA.
68
Ici se
termine
dement*
». Il
—
nouvelle.
le « Traité
de la Purification de l'Enten-
semble ouvrir
les voies à
une philosophie
Cette philosophie est annoncée en vingt
un programme immense.
endroits. Elle doit embrasser
Autant qu'on en peut juger par de brèves allusions,
elle sera, d'abord,
une théorie complète de
enveloppant toutes
les sciences dites
la nature
2,
expérimentales.
Mais la méthode des empiriques et des nouveaux philo-
sophes sera critiquée
'^
;
c'est
sur
un plan nouveau que
seront recherchées les essences éternelles des choses^
et leurs lois infaillibles^. Il sera
une théorie de Tétendue
On comprendra
est
aussi
innée en nous
^.
'^
et
comment
—
fait,
par exemple,
une théorie des corps
la
'^
première idée vraie
On passera
ainsi à
une philo-
sophie de Fesprit, où seront expliqués, entre autres
1.
mots ... viam, qua iniellectus... pervenii'e
ad rerum eeternum cognitionem, habita nimirum ratione virium
se termine après les
11
poterit
intellectns
(p. 32).
Le
:
reste ne regarde plus la
forme seule de
la
connais-
sance. C'est un fragment de philosophie proprement dite sur la nature de
l'entendement.
achevé
:
« J'ai
— Le témoignage
de Spinoza prouve que son Traité était
composé un opuscule enlier [integrutn] sur
]&
Purification de
l'Entendemenl ; ]ii suisoccupéàle copier etàlecorriger» (van
2.
P. 28G,
n. 1.
3.
P. 283, n.
i.
P. 291.
1.
5. P. 311.
6.
P. 307.
7.
P. 306.
S.
P. 280, n.
1.
VI., II, p.217).
PREMIERS TRAITÉS.
69
questions, ce qu'est pour l'esprit que chercher', l'activité
propre qui
en
est
lui
la nature
-,
de ses œuvres
les idées sont sujettes à la corruption^, les
si
préjugés
l'esprit
on
causes des
nature de nos sens et leur usage
la
•^,
comme
s'élèvera,
de la nature de
^.
— De
Descartes, k Dieu, car c'est
que sera
l'esprit
^,
tirée
une preuve
ori-
ginale de l'existence de Dieu"; la conception vulgaire
qu'on se
de lui sera écartée ^
fait
—
l'infinité-'
éthique.
De l'ensemble
s'y
II
naires de vivre
les
hommes
;
il
sera établi que ses
comme on
vrais attributs ne sont pas,
croit, l'unité et
entier, enfin, sortira
trouvera une critique des façons ordi^^
et
principalement de l'usage que font
des richesses
i'.
Et persuadés alors que tout
ce qui arrive est selon l'ordre éternel des choses
entendrons ce
l'homme
la
:
C[u'est
la
l'a
pas rempli. De ce qu'au-
p. 286, n. 2.
2. P. 28i, n.
1.
3. P. 28», n. 2.
P. 305.
5. P. 289.
6.
P. 311.
7.
P. 302, n.
2.
8. P. 300.
9. P. 302, n.
Van
de
vraiment sa philosophie propre, non celle du
rait été
10.
»
de l'union de l'âme avec
^3.
Ce programme, Spinoza ne
4.
nous
^~,
nature supérieure
«
la pleine conscience
Nature tout entière
1.
une
Vl.,
11. P. 276, n.
1.
I,
p. 4, n.
1,
12. P. 278.
13. P. 279, n.
1.
p. 278.
1
(omise dans Saiss.).
70
BENOIT DE SPINOZA.
collège d'Amsterdam
très court et
,
nous n'avons que
inachevé sur la nature de Tentendemcnt,
qui est inséré à la fin du
«
De Emendatione
recherches scientifiques, dans le
et
dans F
Éthique
<(
quelques parties de
un ouvrage
point culminant,
tuel. Si
ses
», il traitera
une valeur propre. Le
n'est pas
Dans
Traité de Théologie »
reste l'avant-propos d'une
Il
».
«
mais en leur donnant un tour parti-
cette philosophie,
culier et
fragment
le
Vxv.iJ.r,
«
De Emendatione
œuvre en somme
définitif,
mais
il
»
irréalisée.
marque
le
d'un développement intellec-
Spinoza a conçu au delà de ce qu'il a produit,
quil avait trop compté peut-être sur ses forces
c'est
physiques, ou
cju'il
n'avait pas la
même
abondance que
d'autres philosophes, la fécondité de Descartes, ni la
puissance encyclopédique d'Aristote
propre
bien
était
c'est
que l'entendement humain peut difficilement
s'identifier
lui suffise
choses.
—
que son génie
,
de réflexion plutôt que d'expansion; ou
à ce point avec l'entendement
infini, qu'il
de former des idées pour que ce soient des
Il
faut nous arrêter pourtant à cette préface
trop belle, et la mettre à côté des derniers chapitres du
«
Court Traité
».
C'est là
veilleux d'un jeune
que se marc|ue
homme qui conçut,
le dessein
mer-
à vingt-neuf ans,
l'ambition silencieuse de fonder dès ici-bas cette vie
éternelle que les honmies rejettent après la mort, et
de la vivre lui-même sous ses doux aspects
infini,
connaissance parfaite.
:
amoui"
CHAPITRE V
LKS
«
PRINCIPES DE LA PHILOSOPHIE DE DESCARTES »
Quelle position Spinoza
a-t-il
prise en face do Des-
cartes? Est-il possible de la définir avec quelcpie précision?
I
Spinoza vivait en milieu cartésien. Sa demeure
était
aux environs de Leyde, l'université nationale de Hollande. Vers 1660,
le
cartésianisme y était en pleine
vigueur. Auparavant, c'était encore la période de luttes;
plus tard, en 1676,
il
y eut une réaction. Mais à cette
époque on peut dire que tous
cartésiens,
non seulement
les professeurs étaient
les professeurs et lecteurs
de
philosophie, Frans van Schooten, Jean de Raei, Heereboort, Geulincx, mais ceux de médecine et de droit,
chose rare,
les
Hoornbeck'. Le
vieil
et,
Heidanus, Coccejus,
trois théologiens,
Heidanus avait connu personnel-
lement Descartes. Jean Coccejus, esprit ardent
et ori-
ginal, était le maître le plus écouté des étudiants.
L'existence de Spinoza n'était pas inaperçue. La singularité de sa vie méditative-, son urbanité et sa grâce-"
1.
Album des étudiants de Leyde,
2.
Lelt. 25;
o.
Jiumanitasei elecjanlia
van
VI.,
II,
1875, p. v.
p. 297.
morum
(Letl.
1,
d'Oldenburg,
p.
195).
72
BENOIT DE SPINOZA.
et la
réputation secrète de ses écrits inédits lui attiraient
des visiteurs de choix.
n'être plus « sui juris
»
,
mais
doucement de
plaignait
se
Il
il
se plaisait
au commerce
des honnêtes gens. C'est ainsi qu'au cours d'un voyage,
Henri Oldenburg, secrétaire du célèhre chimiste phi-
lanthrope anglais Robert Boyle, passa quelques heures
avec
lui,
en 'entretiens sur Dieu, l'union de l'âme
corps, sur Descartes et
échangées sur
Bacon ^ Quelques
les « théologâtres » leur créèrent
intimité. Cette visite fut le principe d'une
qu'Oldenburg dira être un
«
et
du
jDlaisanteries
une
longue amitié.
élément de son bonheur-
».
Des étudiants venaient aussi, tout pleins de Descartes,
proposer des
difficultés qu'ils croyaient insolubles au-
trement que par leur système 3. Spinoza leur montrait
qu'on pouvait les résoudre d'autre façon.
la superstition cartésienne.
Il
n'avait pas
Il
écrivait à OldenJjurg qu'il
n'admettait, chez Descartes, ni la conception de Dieu,
ni celle de l'àme, et qu'il était surtout
théorie de la volonté d'où se
donne de
Il
tire
choqué par
la
l'explication qu'il
l'erreur^.
passa bientôt pour faire une sourde opposition à la
philosophie régnante. Les théologiens, qui, instinctive-
ment,
lui étaient hostiles et entretenaient la réputation
perfide d'athéisme, née autour de lui depuis sa jeu-
nesse, saisirent cette occasion de tourner contre lui les
esprits^. C'est alors
rent de lui
1. Letl.
1.
—
5. Lucas, p. 50.
que ses amis d'Amsterdam
demander
2.
Leit.
le
li, p.
s'avisè-
résumé de philosophie carté-
240.
—
3.
Lucas,
p.
'i9.
—
i.
Lelt. 2.
—
«
PRINCIPES DE LA PHILOSOPHIE DE DESCARTES.
sienne qu'il avait
fait
seule était rédigée;
et
»
73
pour son élève. La seconde partie
il fit
la
première en quinze jours
avant qu'il eut achevé la troisième, ses amis embel-
composèrent une Préface,
lirent le style 2,
août 1G63. C'était mettre
en
l'ouvrage,
et
publièrent
Spinoza au
nombre des commentateurs orthodoxes de Descartes ^.
II
Que vaut
intéressante,
(^est
La seconde partie
un exposé
clair et
ou de mise au net
scientifique
la plus
est
suffisamment re-
Un
travail d'épu-
était nécessaire
pour l'œuvre
de la mécanique cartésienne.
pensé,
ration
écrit?
cet
de Descartes. Un ensemble de découvertes
était acquis, qu'il s'agissait
d'exprimer sous forme im-
personnelle et définitive. La forme géométrique avait
été
employée par Descartes lui-même*, mais
il
l'avait
appliquée à des propositions métaphysiques qui semblaient peut-être moins l'appeler. D'autres que lui s'en
étaient servis
pour exposer, ou
la philosophie d'école,
ou leurs propres spéculations'^. Mais Spinoza s'en était
rendu l'usage presque personnel
et
s'en faisait
une
sorte de coquetterie.
Meyer, Préface.
1.
Lett. 13;
2.
P. 235.
3.
Dans une Lettre de Leibnitz de 1669 on trouve Spinoza
les cartésiens
connus
:
Andreaî, Regius. (Voy. Slein, Leibn. u. Sp.,
aux
cité
parmi
Clauberg, de Raei, Clerselier, Heereboort, Tobias
sec. obj., tin.
4.
fiép.
5.
Préface de Meyer, p. 108.
p. 32.)
BENOIT DE SPIXOZA.
/i
Il
omet
la théorie des corps fluides
i.
Celle des corps
élastiques est présentée de façon acceptable, bien que
r enchaînement puisse être encore plus
dégagé surtout d'affirmations ^
et
strict-,
plus
de définitions méta-
physicpes^. Les démonstrations de Descartes sont le plus
souvent adoptées; d'autres sont données de principes
simplement énoncés,
qu'il avait
veau l'exige
soit
cpie l'ordre
ou pour ne pas grossir
,
nou-
nombre des
le
axiomes. Spinoza cherche aussi de nouvelles démons-
bonheur pour
trations des tliéorèmes importants, sans
du mouvement (Prop.
celui de la conservation
ingénieusement pour celui de Kepler, sur
en ligne droite
propres
XV
et XVI).
la conservation
«
:
(Pr.
l'impossibilité des miracles,
mêler de théologie
se
ou
Descartes'',
cartes
la
il
:
». Il
Descartes, Princ. de la Pli.,
Par exemple,
la
Pr.
'i.
Déf.
5
mouvement
mouvement
II, ôr.-Gj.
(le
(Pr.
produit de
énonce
XX;.
I.
2, 6, 7,
Ax.
2.
Cf. Descartes, art. 37.
6. Pr. XIII, se.
7. Cf. I,
Pr. VII, se.
8.Pr. XV,
Si.
la philosophie pouvait
arguments de
critique les
Il
essaie de
(Voy. Préf..
compléter
se.
Lett. 1,118; Cousin, IX. i43.
le
la
masse par
théorème de
p. 109.)
nomme
Proposition qui délinit ce qu'on
est placée après celle qui
3.
si
voit qu'il s'agit de découvrir les postulats
1.
quantité de
ajoute des remarques
sophismes de Zenon, indiquée par Des-
2.
quantité de
KIY)"",
mouvement
du mouvement prouverait
les siens propres^.
la réfutation des
^
"^
Il
le
aujourd'hui
la vitesse) (Pr.
la
XXI),
conservation de
la
impliqués {pi'cvjudicia deiego'e
Il
se garde bien de substituer
expose.
qu'il
celle
1.
Pr. VI. se.
:>.
Et moins
reprend
la
qu'il
•\
Mais
il
non pas
mais
ce qui n'a
ne réussit lui-même lorsque, dans
la
Lettre à Meyer,
»,
question plus librement.
Lettre de Spinoza (Lett. lô
;
van
H,
VI.,
2 13)
p.
ce scolie n'a pas reçu
Les
sa forme définitive.
n'auront pas pu
éditeurs
le corriger
(Voy.Préf., 112,
Je crois
fin).
remplacer à
la ligne
10
lij^ne
ad
(p. 175)
1
faut
qu'il
la
174) at par
(p.
se.)
«
Nous savons par une
3.
que
même, scmble-
fait
définit la substance,
Il
no réus-
il
sa propre philosophie à
ce qui existe nécessairement
«
toutefois
de petites découvertes (Pr. XXVII,
t-il,
il
i);
pas mieux que son guide-.
sit
75
PRINCIPES DE LA PHILOSOPHIE DE DESCARTES.
«
et qu'à
faut tra-
il
quamprius
movebntur partem » non
duire «rersxis
,
par
vers
«
elle se dirigeait
ment
la
dans
le
Voici
l<>
Si
précédem-
mais par
»,
même
où
l'endroit
«
dans
direction
que
Xi
x'
cas précédent ».
comme on
C
et A,
opposées, après
peut traduire ce scolie eu langage moderne
de
le
même
choc
ils
.
masse, ont des vitesses égales et directement
se séparent en gardant leurs vitesses respectives,
mais dirigées en sens inverse.
2° Si
la
C
se trouve en
môme que
posante de
la
B
la vitesse
et
que
la
de C dans
vitesse suivant
kx
composante de
le
que
l'angle CAB'.
3" Si la
suivant
\y ne
sera pas modifiée.
C, après le choc, se dirigera vers .\B', l'angle
ou bien BC
composante de
kx
sera égale et de signe contraire à la
posante primitive. La composante suivant
résultera
la vitesse
cas précédent, après le choc, la
BAC
soil
comcomIl
en
égalant
= CB'.
la vitesse
de A. A est repoussée suivant
S.x'
suivant
A.r' est
supérieure à
la vitesse
avec une vitesse supérieure à sa vitesse
76
BENOIT DE SPINOZA.
besoin que de Dieu pour exister^
sibilité réelle et à Finfini
de
La troisième partie devait
de tous
»;
il
la matière
suppose la divi2.
être l'explication détaillée
phénomènes naturels par Ihypollièse des
les
tourbillons. Elle convenait à la
méthode de Spinoza
:
donner d'abord l'explication rationnelle et ne faire qu'ensuite
appel aux sens. Cette partie
est
comme
noncée. Elle fut composée, mais,
pas une seconde édition de l'ouvrag-e
La première partie,
»
de
et
,
,
elle a été
Réponses de Descartes aux Objections qui
Spinoza résume, sans la
tent.
méthode de Descartes
certitude.
que
c'est
— Puis
il
:
doute universel,
s'y
rappor-
<(
Cogito
de notre existence propre qu'il faut partir,
lassé,
les axiomes, propositions et
intercale,
il
Descartes lui-même^.
en
Amené
les copiant
humain,
affirme, avec Descartes,
au regard de Dieu, ne sont que des
B
1.
Déf.
2.
2.
Uéf.
7,
3.
Ferôo^e/Mw;
suivra la
même
et,
presque mot
que
«
il
que
préfère y
nos erreurs,
négations'' » [error
primitive, d'une quantité exprimée par le rapport de la ligne
ligne CA, mais
»,
démonstrations de
ensuite à démontrer
l'erreur suppose le libre arbitre
Il
la
entreprend, sans goût, de prouver
à mot
renoncer.
avec les
,
forme géométrique,
comme
^,
perdue.
Principes de la Phi-
«
Troisième Méditation
la
ne parut
il
après coup, n'est qu'un
faite
rappel des premières pages des
losophie
seulement an-
BA
à la
direction que dans le cas précédent.
Pr. V, etc.
les
changements minimes sont indiqués dans la Préf..
^1.
Descartes, Princip. de la Ph.,
5.
Descartes, ibicL,
art. 31.
I,
31, fin.
p.
1
10.
PRIXCrPES DE LA PUILOSOPIIIE DE DESCARTES. »
«
non
quid positiviim^), mais
cal
il
s'clibrcc
d'expliquer ce qu'est, en nous, la
tiendi^
».
vainement
potestas assen-
«
se rejette sur la théorie de Dieu, où
Il
77
il
a
grand'peine encore à ne pas mêler sa pensée à celle
de son auteur^. Tout cela
est sec, hâtif, scolaire.
III
Spinoza veilla à ce qu'on ne lui attribuât pas la doctrine qu'il exposait.
Il
en rejetait une bonne part'. Les
travaux de Huygens lui inspirèrent des doutes sur la vérité
de la mécanique de Descartes
Leibnitz, de la réformer
tout cas
du
,
Il
il
;
se
''\
proposa
,
avant
ne pouvait accepter, en
ni la théorie de la substance
libre arbitre
même
5.
,
ni surtout celle
Le lecteur en est averti, on
lui fait
entendre que beaucoup de c[uestions qui, selon
Descartes,
dépassent l'entendement, pourraient être
— Spinoza sem-
résolues dans une autre philosophie"^.
blait disposé à publier les autres écrits « qu'il recon-
naissait
pour siens s.
1.
Spinoza, Pr. XV.
2.
Ibid., se.
3.
Voy. Pr. XVII, Cor.; Pr. XIX, Pr. XXI.
4. Lelt.
5.
13, p. 235.
Préface des
— Préf.,
de se
iMais il craignit
»
faire
des
p. 111.
Œuvres posthumes.
—
Cf. Lett. 59 et 60 (1675). Leibnitz
prétend avoir montré à Spinoza par où péchait la mécanique de Descartes
(V.
Fouch. de Careil, Réf. inédite, p. xliv), mais son entrelien avec Spinoza
Spinoza écrit en cette année ISTG
« Je n'ai pas
que de 167G.
—
n'est
:
craint de dire aiitrefoisque les Principes de Descartes sont inutiles pour
ne pas dire absurdes.
6. Préf., p. 111.
» (Lett. 81,
— Cf.
à Tschirnhausen,
fin
1676; Saiss., p. i2i.)
Lelt. 21; Saiss., p. 377.
7. /6»rf.,p. 112.
8. ...
Cetera qnx scripsi atque pro meis agnosco.
significative de Meyer, à la fin de la Préface d».
1
12)
:
— Cf. l'expression
omnes hos
(raclaius.
BENOIT DE SPINOZA.
78
ennemis. On l'attaquait déjà
aniis
:
il
avait
dû supplier
de négliger, dans leur Préface, un
ses
homuncidus
«
»
qui avait conçu contre lui une haine inexplicable.
D'après Y
on
dire
«
Exposé des Principes de Descartes
que Spinoza
soit
un
«
Cartésien
)>
entend par là que, né après Descartes,
comme
un
si
«
Oui,
?
il
»,
peut-
si l'on
a considéré
acquise une grande partie de son œuvre. Mais
Cartésien » est plus précisément
qui Descartes a transmis son esprit,
un homme
et l'on
à
peut dire
sa flamme, en qui Descartes continue en quelque sorte
de vivre
et
de penser, Spinoza n'est point
ne
tel; il
l'est
pas du moins en matière de ce que nous appelons philosophie.
S'il
s'exprime quelquefois
en Cartésien^
«
»,
comme
d'autres fois
réfuter
un adversaire de peu d'importance, ou parce
qu'il
ne
en Scolastique
«
celle
ou pour
tient pas à révéler ses sentiments propres. Sa
philosophie est bien à lui;
de Descartes
l'était
», c'est
et il
en
il
la sait aussi
neuve que
jaloux que Descartes
est aussi
de la sienne.
IV
C'est,
de
((
comme nous
en revanche, en matière,
science
»
mathématique
qu'il est Cartésien.
et
pour
C'est
la chimie,
Personne ne
C'est
1.
même
Lett. 21
;
fut plus
—
proposé
Descartes.
curieux de toutes les sciences
trop peu dire, car
Saiss., p. 278.
pour l'optique
qu'il s'est
un moment de poursuivre l'œuvre de
disons,
il
Cf. Lett. iO
ne prétendait pas sa;
van
Vlot., p. 830.
«
PRIXCII'ES 1)K LA
tisfaire la curiosité
l'IlILOSOPlIIE
de son
esprit,
1)F>
DF.SCARTES. »
79
mais scruter la nature,
faire des découvertes, les ordonner et en faire part à
ses amis. C'est à cela qu'il
occupa
le
meilleur de son
temps'. C'est pour faire des expériences qu'il resta,
une
fois,
jusqu'à trois mois presque enfermé dans sa
cham])re2.
des inconnus l'interrogeaient sur toutes les cpiestions
et
«
acquis quelque renom. Des amis
s'était
Il
philosophiques
»,
non seulement sur
l'unité
de Dieu^.
sur la méthode^, sur l'union de riiommc avec la nature^,
mais sur
les
des liquides et la
babilités^.
Il
vie était de «
découvertes récentes
de Pascal*^, ou
loi
la pression
le calcul
des pro-
que l'œuvre de sa
considérait lui-même
promouvoir
:
la philosophie
^ »
comme on sait, une grande
pour l'optique. C'est comme opticien qu'il
avait surtout,
Il
tion
premiers rapports avec l'homme
rope
,
Leiljnitz
,
le
réputaeut ses
plus curieux d'Eu-
désireux de soumettre à un juge com-
pétent ses propres recherches de haute optique (1671)^.
De concert avec
1.
Préf. des
le
bourgmestre Hudde
Œuvr.posth.
licrscrutenda,
inventis
«
:
in
,
Spinoza avait
Pliirimum temporls in Xaiura rerum
ordinem relUjendis,
et
amicis commuui-
candis... insumpsil. »
2.
Ibid.
3.
Lelt. 34, 35, 86, à
4.
Lelt. 37, à
5.
Lett. 32, à
Oldenburg.
6.
Lell. 41, à
van der Meer.
7. Lett.
problèmes
van
Hudde.
un inconnu.
38, à Jarigh Jelles. Spinoza a laissé la solution de quelques
sur
le
calcul
des
VI., VII, p. 2i8 et suiv.).
8.
Lelt. 48, à Fabiicius.
9.
Lett. 45 et 40.
probabilités
[Reeckering van Kanssen,
BENOIT DE SPINOZA.
80
entrepris de
monter des microscopes
pussent lutter avec
qui
les télescopes
célèbres pour
italiens.
microscopes
les
Ses
et des télescopes
anglais et
les plus
lentilles étaient
le poli. Il cherchait spécialement à faire
des objectifs à grande ouverture pour les télescopes
Beaucoup de savants
étaient de ses clients
Huygens,
,
entre autres, qui s'était vainement efforcé d'inventer
une machine pour fabriquer
ses verres.
trouvé de nouveaux polissoirs-, mais
l'habileté de la
Il
se fondait
avait
avait surtout
main 3. Pourtant, par nature
repoussait Tempirisme.
il
il
Spmoza
d'esprit,
uniquement sur
la théorie
du
télescope, telle cjuil l'avait établie en
complétant
les
vues de Descartes
la découverte
du télescope
et
en s'inspirant de
à réflexion c[ue venait de
jeune Écossais Grégory (1665)^. C'est
faire le
qui lui faisait
employât
le calcul
préférer les lentilles plan-convexes aux
lentilles concaves-convexes'*, et
qu'il
'^,
le calcul
seul,
Huygens
non
se plaignait^
l'expérience, pour
déterminer les ouvertures.
Il
se tenait
au courant des
cpiestions astronomiques^,
de celles surtout qui agitaient alors les
esprits, la ques-
tion des comètes et celle des apparences de Saturne.
Sur l'un
1.
2.
Lett. de
Huygens, du 6 avril 1668, citée parvan Vlotcn,
Scutellx, Lett. 30, à Hudde,
3. Lett. 32,
à Oldenburg,
4. Dioptriq.,
T).
6.
Lett. 39, à
Lett. 36, à
7. Lett.
8.
l'hypothèse cartésienne sem-
et l'autre point,
p.
p.
p. 315.
321.
311.
Discours V, IX et X.
.T.
Jelles (1607;. Cf. Bibliolh. de
Spinoza,
p.
158.
Hudde.
de Huygens, du
2 déc. 1667
(van Vlot., p. 315).
Voy. dans sa BibHoth.,p. 123, 130,134, 160, 165, 166, 168,
etc.
«
PRIXCIPFS
IJE
en défaut. Uescartcs avait admis
blait prise
des comètes
cité
comète de 1GG5,
l'idée
LA PHILOSOPHIE DE DFSCARTKS.
:
la périodi-
l'examen de
or, d'après
81
»
double
la
en la corrigeant,
Ilévélius, reprenant,
de Kepler, leur attribuait une trajectoire para-
bolique
,
donc nul retour possiI)leL L'explication com-
pliquée des
apparences de Saturne n'avait plus de
valeur depuis que Iluygens avait prouvé l'existence
d'un anneau (1660). Sur ces points de détail, Spinoza
plus grand intérêt les vicissitudes du
suivait avec le
cartésianisme'-.
en retenait
Il
le
fond
:
subordonner
rience à l'idée claire et distincte.
que
la
mathématique
petit Traité
est la clef
de l'Arc-en-Ciel
matheseosque connectionem
théologiens qui est
comme
«
»
sa
,
de
*.
Il
brique des deux
pour certain
avait
Ig,
physique.
Il fit
un
ad majorem physicas
non sans
aux
l'allusion
Mais cet ouvrage,
griflFe^.
trop élémentaire, ne contenta ni ses amis
et il le délaissa
d'expé-
le fait
Il
.
ni
lui-même,
contient simplement le calcul algé-
lois
de réfraction que Descartes
,
à sa
coutume, avait simplement démontrées^. Spinoza avait
1.
L'étude de la comète de 1680 par
Newton
et
de
celle
de 1682 par
Halley, devait au contraire confirmer en partie les vues de Descartes.
2.
—
«
Lett. 26 (van Vlot.. II, p. 299),
Cf. Lett. 29 (p. 304;
;
Œuvr. de Spinoza,
3.
Suppl. aux
4.
Préf. des Qluvr. poslh.
jeta
au feu
».
fragm. de Lett. 30
31 (p. 307), d'Oldenburg; 33
Ce Traité
(p. 305),
(p. 314),
à Oldenburg.
à Oldenburg.
éd. van Vlot. (1862), p. 260.
— Colerus exagère cette indication en écrivant
fut publié à
La Haye en
1687, chez
Levyn van
Dijck.
.").
En
1663, Vossius accusa Descartes d'avoir pris les lois de réfraction
à Snellius, par l'intermédiaire d'un exposé d'Hortensius {Resp.
Job. deBruyn,
p. 32).
Descartes ne s'attribue que
BliNOIT DE SPINOZA.
la
ad
obj.
démonstration do ces
6
BENOIT DE SPINOZA.
82
beaucoup de goût pour l'algèbre;
songeait à com-
il
poser une algèbre simplifiée ^ mais on croit reconnaître
;
qu'il
en avait plus
comme
le
goût que l'usage.
différentes et expose,
très
considère
Il
en indiquant leur
source, des méthodes de solutions qui semblent fort
voisines.
prend
Il
vraiment
auxiliaire
de faire une construction
la peine
Presque partout ses dé-
inutile'.
monstrations sont lentes, ses calculs gauches 3.
Tout
l'ouvrage sent l'écolier, ou le pédant à la cavalière
Si l'esprit
de Descartes
'^
est là, le ton n'y est pas, ni la
science.
En
chimie, Spinoza suivit aussi Descartes, guide dan-
gereux en la matière.
de
161) (Voy.
VII,
lois {Dioptrtq.,
composa sur
Il
Korteweg
le
((
Rev. de Met.,
,
Traité
18<.)6).
Letude
la réfraction était alors d'actualité.
Œuv.
1.
Préf. des
2.
P. 266
3.
Par exemple,
(éd.
posth.,
van Vlot.,
fin.
III, p. 242).
veut calculer l'angle
il
FCD
qui est
G
de
le
complément de
— FH est sinus
pourrait
d'incidence. —
l'angle d'incidence
l'angle
GFC.
le
11
donc au moyeu de ce sinus chercher
d'incidence Gl
gle
y
suite l'angle
CFG
de
90".
FCD
C
el
de
\
l'angle
il
en retranchant
FCD,
respondant et
les tables
le
il
Voy.
p. 262,
calcul est exact. (Critique
1.
1
;
—
calcule le sinus
Ayant ce
sinus,
de Lansberg ou de van Schooten l'angle cor-
communiquée par M.
nery.)
4.
l'angli'
ce qui exige l'extraction
inutile d'une racine carrée.
cherche dans
l'an-
obtiendrait en-
— Au lieu de cela, au moyen
d'un triangle rectangle,
il
du
p. 27i,
1.
4
;
—
p.
28i, lign. 12.
J.
Tan-
PRINCIPES DK LA PHILOSOPHIE DE DESCARTES. »
«
Nitre » de Robert Boyle (1661)
qu'il
envoya
Oldenburg
à
H y
2.
un examen
^
traite
83
critique
de la formation
mardi e prudente
du
nitre. Mais
et
sûre des memJjres de la jeune Société Royale, leur
soumission au
de suivre
est loin
il
la
leurs expériences scrupuleuses 2.
fait,
Fidèle à son princij)c,
donne d'abord
il
l'explication
rationnelle qui le satisfait lui-même et cherche ensuite
des expériences pour
sur
un exemple
prouver aux autres. On
le
précis, par
où
cette
méthode
voit,
est courte,
et d'où vient son échec.
Spinoza pose a priori, contre Boyle
même
que
le
nitre
(azotate de potasse) et le corps qui s'en dégage
quand on
le chauffe
l'esprit
,
azotique) ne sont qu'un
dit,
,
une
même
«
substance
lessive (potasse) n'entre
de nitre ou eau-forte (acide
même
»
que
,
corps, ou
,
comme on
dans laquelle
comme
le sel
impureté.
de
L'ex-
plication est tirée de la physique, science plus simple
Le nitre
et plus claire.
et l'eau-forte
ne doivent avoir
entre eux que des différences physiques
du premier sont en repos,
celles
ment rapide.
faire
Si l'on
l'eau-forte sur
du
sel
peut
de lessive,
:
les particules
du second en mouvedu
nitre en jetant
c'est
de
que, par un mé-
canisme compliqué, que Spinoza, après Descartes, ex-
1.
DAns A physico-chiviical essay, Boyle Works,
i.
Lett.
2,
Stein, p. 287)
traité «
p.
204
et
suiv.
mentionne parmi
De Nitro
». C'est
—
les écrits laissés
359.
ap.
par Spinoza à sa mort un
ou bien cette Lettre même, ou bien un ouvrage
inédit et perdu.
3.
I, p.
SchuUer (Lett. du 29 mars 1677;
Lett. 14, d'Oldenburg, p. 241.
BENOIT DE SPINOZA.
8i
plique en détail*, ce sel a pour
vement des
— Voilà
la
particules.
première
«
Il
effet d'arrêter le
mou-
y a simple action mécanique.
peste
des sciences positives
»
:
le
transport du principe propre d'une science déjà constituée à
une autre qui ne
Et voici la seconde
moyen de preuve
trois expériences-.
et
—
l'est
le
comme
l'expérimentation prise
:
non
d'investigation, Spinoza fait
La première doit prouver que
l'eau-forte n'est autre chose
du
pas encore.
que du
nitre, l'embrase, et recueille
nitre.
Il fait
chauffer
dans un verre humide
produit de la détonation. Le verre sec, des cristaux
de nitre apparaissent.
n'est, sans doute,
chassé
tel
— Mais
il
s'aperçoit bien
que ce
qu'un peu de nitre non décomposé,
quel par l'explosion.
imagine donc de
Il
couvrir le feu d'une sorte de cornet ^\
et
que ce qui franchira l'orifice. Mais
il
de ne recueillir
met une
telle
quantité de nitre qu'il recueille, en poussière, le résidu
même
de la décomposition, tapotasse. Ce n'est pas du
nitre.
L'expérience est donc contre l'explication. Que
fera Spinoza? L'explication ne peut pas avoir
potasse n'est pas du nitre, c'est vrai,
du
nitre, si l'on jette sur elle
«
mais
tort.
La
elle devient
de l'eau-forte
».
Par cet
à-peu-près audacieux, on peut croire l'expUcation vérifiée
<(
dans une certaine mesure
La seconde expérience^
1.
Van
2.
P. 207.
Vlot.,
II, p.
3.
Figure, p. 208.
4.
Aliquo modo,
5.
l».
208.
doit
205.
Lctl. XIII, p. 257.
*
»
prouver que
le nitre peul
«
PRINCIPES DE LA PHILOSOPHIE DE DESCARTES.
se volatiliser sans résidu
de potasse. Or
pas volatil. Mais Spinoza en
lution
;
fait
le
85
»
nitre n'est
évaporer une disso-
des cristaux de nitre se déposent sur les bords
du verre. On admettra
se sont
qu'ils
évaporés avec
l'eau.
La troisième expérience enfin
^
doit réduire
une
diffé-
rence importante du nitre et de l'eau-forte. Le premier
est
inflammable, la seconde ne
l'est pas. Il s'agit
de
trouver un détour pour faire croire qu'elle peut s'en-
flammer. Spinoza, en enduisant une feuille de papier
d'un mélange d'eau-forte
sur
un fourneau,
est arrivé
logues à celles du
ticules
de sable, et en la portant
et
à obtenir des étincelles ana-
en
nitre. C'étaient,
réalité,
des par-
de noir de fumée qui crépitaient en absorbant
l'oxygène de l'eau-forte. Mais
il
n'est pas besoin de faire
la critique de l'expérience, puisque,
de façon ou d'autre,
la théorie doit être confirmée.
On
voit
par
là le
les expériences,
peu
quand
d'intérêt qu'ont, en définitive,
elles sont
vraiment une torture
appliquée à la nature, non pour lui faire livrer son
secret,
mais pour la forcer à dire ce qu'on pense
même. A quoi bon
cette confirmation extérieure?
pensée n'a-t-elle pas en
à l'idée que
soi-
soi sa certitude?
la connaissance
On
est
La
ramené
par l'entendement se
suffit
à elle-même. Malgré son désir, Spinoza demeura, en
somme, étranger à
lons la
i.
«
p. 209.
science
l'élaboration de ce que nous appe-
moderne
». Il
n'avait
du savant
ni la
BENOIT DE SPINOZA.
86
patience, ni la modestie intellectuelle.
sur
et,
le \iî,
immédiatement,
par delà ce mécanisme,
Il
pensait saisir
le
mécanisme des choses,
il
voulait toucher l'intime
substance des êtres. La science moderne procède autrement. Elle est,
si
plus lent, plus
pliie,
Ton veut, un système de philoso-
anonyme que
d'autres, mais sur-
ne prétend pas donner
tout plus modeste, car
il
vérité profonde, valable
au delà des phénomènes, mais
rendre compte des apparences des choses
est suffisante
!
C'est
,
—
la
la tâche
un système de philosophie qui admet
au point de départ plusieurs logiques, au point d'arrivée plusieurs métaphysiques, parce qu'au fond
il
ne se
soucie ni de logique, ni de métaphysique, parce qu'il
ne prétend pas donner des explications ayant en
leur
soi
mais simplement des explications qui
vérité,
réussissent.
Spinoza ne pouvait faire grand état d'un
Son dessein
système.
tel
plus profond était de souder la logique
le
à la métaphysique, de les fondre ensemble dans l'unité
et la certitude
de
l'idée vraie.
Une
telle
pas applicable aux objets de la nature.
cevoir;
il
il
n'était
teur
».
Il
méthode
dut reconnaître qu'en matière de
((
science »,
pas un ouvrier, mais seulement un
L'intérêt qu'il j^orta
n'est
dut s'en aper-
«
ama-
aux questions scientifiques
dut lui paraître, à ses propres yeux, un intérêt extérieur.
Nous
le
voyons causer avec Isaac Vossius de
la trans-
mutation des métaux, courir chez l'orfèvre Brechtelt
montrer
pour
se faire
ment
l'alahimisteHelvétius, auteur pourtant peu authen-
l'or fabriqué,
consulter longue-
«
PRINCIPES DK LA PIIILOSOPHII.
tique ^ C'est l'attitude
dun
I)K
«ESCARTES.
lioiimie curieux,
»
87
non d'un
savant.
En résumé, linfluence de Descartes a contribué surtout à le jeter
dans une voie à laquelle
Les grandes espérances de son nouveau
Méthode
»
il
«
dut renoncer.
Discours de la
durent être restreintes. On n'atteint pas aussi
facilement qu'il pensait aux
«
des choses. Mais, d'autre part,
du général. Que
donc?
essences particulières »
il
n'y a pas de science
deux êtres
sin-
guliers, les seuls auxquels puissent s'appliquer la
mé-
reste-t-il
thode de Spinoza
1.
Lett.
4(1.
:
Dieu
à J. Jelles. début.
et
Il
reste
moi-même.
CHAPITRE
VI
TRAITÉS DE THÉOLOGIE ET DE POLITIQUE
LA VIE RELIGIEUSE.
I.
Le
«
Traité de Théologie et de Politique » (1670) est,
des ouvrages que Spinoza
«
reconnaissait pour siens
le seul qu'il ait publié. C'est le
et,
à
Il
mon sentiment,
plus achevé de ses
écrits,
son chef-d'œuvre.
précédé d'une malencontreuse préface,
est
»
dans un esprit agressif
faite
qui ne répond pas au
et étroit
ton du Traité lui-môme. Elle a
pu détourner des gens de
goût du
».
«
Traité de Théologie
On peut penser
n'a pas été écrite par Spinoza lui-même, mais,
celle de
1'
«
Exposé des principes de Descartes
Louis Meyer, sur de simples indications
1.
de
Voici mes raisons de
la Préface
le
penser:
—
'.
S'il
qu'elle
comme
en
La répétition singulière
1°
des dernières lignes du Traité lui-même.
A
la fin
de
par
»,
la
est
à la (in
Préface
de 1663, Meyer répète de môme, à peu près textuellement, une indication
que
2»
lui a
Une
envoyée Spinoza (Letf.
particularité
Par exemple, Spinoza
copie (Préf. de 1663)
...
:
verae philosophiœ...
même dans
VU,
p. 188)
du
15).
de Meyer,
style
écrit (Lelt. 15)
...
;
veritatis
Meyer
:
le
redoublement d'expressions.
...veritatis propagandae...;
:
indagandx
et
Meyer
propayandae... Spinoza
...verx ac sincerx philosophia?...
:
— De
sa « Philosophia Scripturœ interpres » (p. 113; ap. van VI.,
on trouve en quei(iues lignes
:
...
inutiles el frustra exaratx...
BENOIT DE SPINOZA.
90
ainsi,
Spinoza a eu trop de défiance de lui-même, ou
trop de contiance en son ami.
Le Traité
se
compose de vingt
l'ordre n'est pas très rigoureux.
l'indique le titre,
une
dissertations
«
Il
comprend, comme
une partie théologique
partie politique (ch. xvi-xx).
mière, reportons-nous à
dont
»
(ch. i-xv) et
Pour éclairer
de
l'état religieux
la pre-
Hollande
la
de 1670.
I
L'activité
qui y régnait alors
religieuse
étonnement.
fait
notre
Pendant l'invasion de 1672, un colonel
occasio vel incitanientum, qiio intellcttus erigifur ac inciucitur... con-
templetur ac inter se conférât... coiviexis
summam
a/que conflnntur...
disque.
copulastique...
—
en est de nit-me dans la Préface de 1^63.
11
partie de la Préface de 1670
constant
viaximamque... cognoscendis intelligen-
Or dans
la
première
on trouve ces mêmes redoublements, tout
à
jactabundus ac tumidus,... tam
ineptum, tamque absurdum... deliria somnia ac puériles ineptias...
fait
étrangers au style concis de Spinoza
:
afflatu et instinctu... cJiarius nec dulcius...
rem non ingrafam neque
inutilem... corporis habitn etcultu, et bien d'autres.
30 L'esprit
même
de cette Préface. Elle développe
superstition est née de la peur
et qu'elle
change
commun que la
hommes en brutes.
le lieu
les
Cela est en opposition avec l'esprit du Traité, particulièrement avec la
du
ch. XV.
—
Certaines idées de Spinoza se retrouvent,
il
est vrai,
sous une forme excessive. Par exemple, Spinoza craint que l'Église
devienne une Académie ou une École de controverse
«
Le temple a dégénéré en
théâtre. » Pourtant
».
sophes...
si
Meyer
»
et la
qu'il cite
phrase
:
«
«
ne
La préface affirme
:
on ne peut douter que des
parties de la Préface ne soient de Spinoza, par exemple le
qui y est intercalé,
fin
mais
résumé du Traité,
Je sais que je m'entends avec les philo-
lui-même, dans une lettre (Lett.
a rédigé cette Préface, Spinoza a
certaines choses qu'il voulait qu'on y mît.
i3).
Il
est clair que,
dû indiquer, comme en
1003,
TRAITÉS DE TIIÉOLOr.lK KT DK POLITIOIK.
des armées de Louis XIV, Stoup, en fut
j,''cnevois
frappé que, restant aux apparences,
un
fameux quelle
libelle
« la
si
demanda dans
il
sous le fouillis des sectes,
était,
religion des Hollandais^
homme du
ni
91
n'y avait
». Il
marchand,
peuple qui ne discutât théologie,
qui
n'eût son opinion sur la prédestination, sur l'interprétation de l'Écriture, sur le contenu de la révélation
Pour chacun, choisir sa religion
tante.
Au premier
et l'Église
puis les luthériens et
;
romains catholiques, divisés
,
les premiers
seconds en
((
s'étaient détachés les
en
molinistes
nistes », ces derniers tout près
Réformés
Hollande
les provinces de
et
wallonne, de langue française,
son aînée en calvinisme
et « réta])lis », les
l'œuvre impor-
était
rang, se présentaient l'Église réfor-
mée, Église d'État pour
de Zélande,
-.
«
libéraux
» et «
du schisme
les
^.
»
jansé-
—
Des
Remonstrants*, groupe
plus ouvert et plus tolérant, dont avait été Grotius, et
qui, avec Jean de Witt et la bourgeoisie républicaine,
était alors
au pouvoir.
Il restait,
dans
peuple, beau-
le
coup d'anabaptistes^, campagnards puritains qui s'appelaient
eux-mêmes
ouïes
les « raffinés »
«
grossiers
»,
selon qu'ils étaient rigides ou modérés, et suivaient le
1.
Cologne, 1673.
—
ayant protesté contre
d'impudicité,
2.
Voy.
il
en
Il
voit des sectes partout.
la sévérité
fait la secte
les Lettres
Un groupe de Mennonites
d'un jugement ecclésiastique en matière
des
«
Mammillaires
»
(Lett. 3, p. 61).
importunes adressées à Spinoza par un marchand de
Dort, Willem van Blijenberg (Lett. 18, 20, 22, 24, 27).
3.
L'archevêché d'Utrecht se sépara de
Rome
4.
Ou
Ou
avaient répudié
5.
en 17ol.
Arminiens.
plutôt de
Mennonites
»,
car
ils
le
prophète Jean.
92
BENOIT DE SPINOZA.
— Plus profond,
pasteur Apostoo] ou le médecin Galen,
on pouvait trouver encore des Sacramentaires, des Enthousiastes, des croque-morts lollards, des colporteurs
vaudois,
même, parmi les tisserands, des
commune. Partout enfin on croyait
j^eut-être
Frères de la vie
apercevoir la secte insaisissable des Sociniens, la seule
vraiment persécutée, contre
cpii fût
monde
se tournait
i,
parce que tout
le
tout le
lacpielle
monde
avait
peur
d'être accusé d'en être.
Parmi
des
«
Remonstrants
les
Collégiens
-
)>,
s'était
formé
le petit
groupe
chrétiens pieux, las des disputes,
qui se bornaient au culte domestique et à des retraites
de piété
faites
îles vertes
vert, le
en commun, deux
de Rijnsburg.
C'était le
premier peut-être qui
de croyance. Les
catholiques,
«
même
ait
Collégiens
les juifs,
»
fois l'an,
groupe
conçu
le
les
plus ou-
la pleine liberté
admettaient
même
dans
même
les
les sociniens. C'est
chez eux que Spinoza avait été reçu, au sortir de la
synagogue
ses
œuvres
^,
et c'est
dans leur orphelinat qu'on a trouvé
inédites.
La multiplicité des croyances religieuses
grande encore que ne
fait
était
plus
supposer la division des
églises. L'autorité des confessions de foi allait s'affaiblissant.
Il
s'y substituait
de plus en plus Linfluence
personnelle des théologiens. Pas un qui n'eût en quel-
1.
Grotius et Spinoza cux-nicmes (Voy. Lell. 31
2.
Collcctanten.
3.
Van Vlolen, .!(/. B.
sp. opcra svppl.,
p. VXi.
;
van
VI., 11, p.
'.',81).
— Au témoignage de Bayle,
Spinoza fréquentait les églises des Remonstrants.
TRAITÉS
que manière sa
TJIKOLOGIK ET DE POLITIQUE.
l)K
secte,
l'ii
[ji'overJjc
93
prétendait que
« s'il
prenait fantaisie au dial}le d'établir une école en Hollande,
y trouverait des disciples
il
».
On
se distinguait
d'après le théologien qu'on suivait, d'après
même de
confiance qu'on lui accordait.
On
degré
le
était voétien
vivant ou voétien mort, coccéien sérieux ou coccéien
De
vert.
cun
là naissaient d'interminables controverses.
tirait l'Écriture
probantia
». «
à soi pour en extraire des
Autant de
têtes,
un autre proverbe ^ Ou
autant de textes
sentit
à
«
Chadicta
», c'était
la fin qu'à s'y bien
prendre, on pouvait fonder sur l'Écriture à peu près
toutes les thèses. La question capitale fut alors de savoir
de quelle manière
question
donna
il
fallait interpréter l'Écriture. Cette
lieu, entre
1660
et
1670, à plusieurs
dissertations importantes, soit philosophiques, soit « pa-
radoxales
A
» 2.
Utrecht, vrai centre religieux des Provinces-Unies,
Voétius, octogénaire, mais encore sur la brèche, défendait
jalousement l'orthodoxie,
vateur et formaliste.
le point
n'avait plus ses amis
S'il
de la belle lutte contre Descartes,
son
fils,
vieillard lui-même,
Régner de Mansvelt
de vue conser-
et le
il était
par son
du temps
soutenu par
par
petit-fils,
pasteur patriote, Jocobus de
Lodensteyn^.
Mais les regards se détournaient d'Utrecht;
1.
G een Kettcr sonder Letler,
2.
C'est-à-dire non
mises
cité par
Spinoza;
ils allaie4it
tr. Saiss.. p. 251.
en forme; nous dirions aiijourdhui
:
litté-
raires.
3.
Voy. Gasp.Burmann,7'rayt'c;i<mer«(/j7«»i (Utrecht érudite),Utr., 1750.
BEXOIT DE SPINOZA.
94
à Lcyde, l'université cartésienne et moderne, où Jean
Coccejus avait inauguré une exégèse aventureuse
duisante.
Il
avait
et sé-
décidément rompu avec la tradition,
avec la scolastique dont les théologiens d'Utrecht et les
anciens professeurs de Leyde
^
s'inspiraient encore.
Une
certaine connaissance de l'hébreu l'avait porté à établir
une nouvelle économie, toute personnelle, des Livres
saints. Il
pouvait ainsi, et grâce à une parole chaude
et persuasive,
établir ses
dans l'Ecriture
a contracté avec
est
deux thèses, l'une que tout
symbole
et figure, l'autre
Fhommc une
famille avant Moïse, avec
triple alliance,
que Dieu
avec une
une nation du temps des Hé-
breux, avec rhumanité entière depuis Jésus-Christ. Des
disciples intelligents, tels
daient cette théologie
comme
que François Burmann-, défen-
« figuriste et
fédérale
».
D'autres,
Jean de Labadie, la poussaient vers un mysti-
cisme banal, cherchant, après tant d'autres, des symboles et des prédictions dans les deux livres qui ont
le
fait
plus délirer l'humanité, le Cantique des Cantiques
et
l'Apocalypse.
En 1663, parut
le livre retentissant
de Louis Meycr-^.
L'auteur se déclarait plus cartésien que
Coccejus.
Il
prétendait interpréter la Bible rationnellement, c'est-àdire d'après la philosophie. C'était la métliode de Mai-
monide, à la différence que ce
n'était plus Aristote
qu
il
l.Burgersdijck, Heereboort, contre lesquels Spinoza avait écrit ses Coyilata.
2.
3.
GendredeHeidanus.
Philosophia
S.
Scripturx interpres, exercitatio paradoxa.
TRAITÉS DE TJIKOLOGIE KT DE POLITIQUE.
comme
trouver dans la Bihle, mais Descartes,
de
s'agissait
O.J
ce seraplus tardla philosopiiic aiiemaiide. Cette
doctrine, ainsi qu'il arrivait alors, fut reprise et soute-
nue sous
le voile
un médecin
Velthuysen
'
d'une réfutation par un théologien et
d'Utrecht, voétiens tièdes tous les deux,
et
Louis de Wolzogue
àprement attaquée par Labadie
était
2.
Elle fut
au contraire
Une victoire définitive
3.
impossible. Malgré ra[)parence, l'interprétation
Rationaliste est à peine
mystique
:
aussi arbitraire.
un progrès sur
l'interprétation
pas plus acceptable, elle
elle n'est
Il fallait
presque
est
trouver une méthode de cri-
tique sur laquelle, sans distinction de croyances, pût
se faire l'accord des intelligences, et,
s'il était
possible
ensuite, quelques principes fermes sur lesquels se pût
faire l'accord des
bonnes volontés.
objet que répond le
«
double
C'est à ce
Traité de Théologie
»
de Spinoza.
II
Il
dépasse autant le point de vue de iMeyer que celui
des Coccéiens. Spinoza évite de les
leurs doctrines opposées sous les
nommer;
il
réfute
noms de Maimonide
et
de Juda-ibn-Alfachar, afin de rester suj)érieur aux po-
léndques
*,
et parce qu'en ces discussions, les rabbins
2.
De vsu rationis in interpretatione S.
De S. Scripturarum interpretatione,
3.
Écrit sur la prophétie, 1GG8. Spinoza possédait ces deux dissertations
1.
Scripkiree, 1668.
1668.
[Inv., p. I9r> et 191).
4.
Dans une
lettre à
un
filclieux,
Spinoza se défend d'avoir
songé aux
96
BENOIT DE SPINOZA.
étaient de cinq
Son
on
six siècles
Il est le
les chrétiens.
pure substance de la science rab-
livre contient la
binique.
en avance snr
couronnement inespéré
et la
revanche
contre Maimonide des vues de génie du grand rabbin
nomade Abraham-ibn-Ezra,
de
et
de Salomon de Troyes (Raschi)
^
l'école française,
de David Qamhi de
et
Narbonne (Kimchi)^.
Maimonide
soutient,
comme tant
de théologiens, l'idée
que tout passage de l'Écriture admet plusieurs
Pour choisir entre eux,
philosophique.
«
il
faut se rapporter à
Par exemple,
dit-il, il
sens.
une doctrine
résulte des plus
claires démonstrations que Dieu n'est pas un être cor-
porel
;
il
faut donc approprier à cette vérité tous les en-
droits de l'Écriture qui
Comme
si
y sont littéralement contraires
criture leur était destinée,
comme
rents livres de la Bible présentaient
et
cohérente
reuse
tielle
et
»
!
En opposition
absurde
^
»,
loin une allusion très claire à
une doctrine unique
à cette méthode
II,
p. 350).
paradoxus (Lett. 42, p. 339).
KriUher u. ausleger des Alt.
— Rauli,
;
:
Mais
il
fait
— Sur
Test.,
le Tr.
Cité p. 223, et note
Cilénote 20,
3.
More Nébouchim,
4. P. 183.
1
;
un peu plus
Tk.-Pol.,voj.
Naumburg, 1867
— S(hmidt,.Çp. u. Schleiennacher, Berlin,
Doctrina Sp. defidc, Toulouse, 1890;
1.
dange-
a cité sous le
—Th.
—
Saissel, p. 339.
p. 346.
II, ch.
xxv;
cité
;
—
18fi8
Maurer, Die Reli-
fjionslehre Sp. ivi Th.-Pol. Tr., Strasbourg, 1898.
2.
«
soumission à
la
Meyer que son correspondant
Tlieologus
Joél,Sp. Tli.-Pol. Tr., 1870
si l'É-
Spinoza définit la condition essen-
théologiens contemporains (Lett. 43,
nom de
)>
si, enfin, u les diffé-
d'une méthode plus rigoureuse
Siegfried, Sp. als
comme
philosophes s'entendaient,
les
"'.
par Spinoza, p. 180.
TRAITÉS DE TIIKOLOGIi:
Tobjet.
Il
F.T
l)K
97
l'OLlTlOLK.
faut critiquer la Bible par la Bible
môme,
dé-
terminer exactement ce qu'elle contient, ne demander
d'explication qu'aux usages de la langue
ou à des raison-
nements fondés sur FÉcriturc elle-même.
ple, Moïse a dit
que Dieu
«
Par exem-
un feu, que Dieu est jaloux.
est
Rien de plus clair que ces paroles, à ne regarder que la
signification des mots. Je classe
les passages clairs,
bien qu'au regard de la raison
parfaitement obscur.
soit
que Dieu
soit
un feu?
donc ce passage parmi
Il
.
doctrine est conforme ou
raison
il
;
les autres opinions
semblance avec
se
est
un feu
et
comme en
Dieu
plu-
que Dieu n'a aucune
comme,
res-
d'autre part,
prend aussi pour
la jalousie (Job, xxxi, 12),
la
ou ne s'accorde pas
de Moïse. Or,
choses visibles,
les
moi feu, en hébreu,
Dieu
non conforme à
faut voir si elle s'accorde
sieurs endroits Moïse déclare
le
demander
n'y a point lieu de se
si cette
avec
il
Moïse a-t-il cru, oui ou non,
.
la colère et
nous pouvons conclure que
est
jaloux sont une
mémo
pensée. — Mais Moïse ayant expressément enseigné que
Dieu
est jaloux, sans dire nulle part qu'il soit
passions,
Dieu
—
il
ne faut pas douter que Moïse
soit jaloux,
bien que ce
n'ait
soit contraire
exempt de
admis que
à la raison
^
.
»
Grotius seul, avant Spinoza, avait aussi nettement
défini la
méthode philologique, mais Spinoza
la déve-
loppe et l'applique.
La première connaissance requise
gue des Livres
est celle de la lan-
Saints, l'hébreu biblique,
et,
pour
les
derniers livres, l'araméen. D'énormes difficultés se pré1.
P. 1G5-160.
BENOIT DE SPINOZA.
7
98
BEXOIT DE SPIXOZA.
sentent. L'hébreu biJjlique est
est presque impossible de
une langue morte dont
reconstituer
l'histoire.
il
Le
Livre de Job. par exemple, ou le Cantique des Cantiques
demeureront toujours des énigmes grammaticales ^ Depuis les travaux de l'École espagnole (x* siècle), vulgarisées par Ibn-Ezra et les Kimchi,
grammaire
-
c[ui
même du
néo-hébreu
;
quanta
on y peut trouver, à la rigueur,
non une granmiaire de Ihc-
ces anciens travaux,
iDreu
n'existe pas de
sache distinguer l'hébreu biblique de
l'hébreu rabbùiique, ni
une grammaire
il
de la Bible,
Ajoutez que la plupart des mots ne sont plus
2.
compris, que la syntaxe est perdue
l'ancien
hébreu
est
*,
et surtout
que
un continmim de consomies. Les
voyelles et les points ont été intercalés par les Massorètes,
souvent à l'arbitraire. En changeant deux voyelles,
samt Paul
qu'il
ne
cite
se
un
texte
de la Genèse tout autrement
trouve dans la Massore
^.
L'ordre
même
des consonnes a quelque chose de flottant qui est in-
connu de nos langues modernes. Les particules n'ont
pas de sens arrêté, les temps des verbes, le futur
passé, se prennent l'un
pour
tion de savoir si les lettres
l'autre, et c'est
même,
et le
une ques-
les gutturales
par
exemple, ne peuvent pas s'échanger*».
1.
Pour
le
Livre de Job, Spino/a présente, d'après Ibn-Ezra, une hypo-
thèse intéressante.
Il
serait la
traduction en hébreu d'une œuvre écrite
dans un autre dialecte sémitique
2.
P. 172.
3.
Gramm.
hébi:, van VI.,
(p.
III. p.
177, 217).
276.
4. P. 172.
r>.
Ad
6. P.
Hebr.,
173.
xi, 21.
—
Spinoza, p. 174.
TRA1H:S
l)K
Nous avons de
la syntaxe.
un
S[)iiioz<i
l)L'braï([ue ». Il
heureusement
TJIKOLOGIK ET
«
donna tous
y
ses soins.
Il
malgré son désir
l'acliever,
marque une
Cet ouvrage
99
POLITIQUE.
Sounnaire de Gramniaii-f
excessive contre les Massorètes
les
I)F,
manque
un peu
réaction
et plus
-,
ne put mali; il
encore contre
grammairiens modernes, Abraham de Balmes"^,
F^evita
gaires
'
Raschi
et à
voit
Mosé Kimchi
s'inspire
Il
matica
',
et contre les Bibles vul-
Spinoza revient aux rab])ins du
^.
Ezra-'.
On
Buxtorf lui-même
'',
»
**,
J.
moyen
«
De Arte gram-
Vossius, l'ami de Grotius
dans cette Grammaire un
séparer l'hébreu de Faraméen
'^
effort
et
Cr. hébr., van Vl., p.
1.
2.
Gr. hébr., p.
3.
P. 200.
4.
2(52,
i'\
important pour
du néo-hébreu
y a noté des vues originales sur les accents
altérations de voyelles
âge, à
cette fois, plutôt qu'à Ibn-
certainement aussi du
(1635) de Ger.
Élie
^^,
'^.
On
sur les
^''.
2{)0,
292, 306, 324, 325.
312, 317.
P. 275, traduit par Séb.
Munster (Voy. Bibl. de Spinoza,
p.
176 et
180).
Spinoza se rapporte pourtant à son Thésaurus, p. 257. (Cf.
5. P. 275.
Biblioth., p. 175.)
P. 275, 315, etc.
6.
Spinoza possédait, entre autres,
les Bibles
de Junius
etTremellius (citée Tr. Th.-PoL, p. 127), de Buxtorf, de Pagnino {Biblioth.
p.
138, 119, 131, 139,
127). Il cite aussi celle
p. 211).
7.
P. 276.
8.
P. 321.
9.
P.
2.57,
311.
10. Biblioth., p. 753.
11. P. 257.
12. P. 259, 272, 27i, etc.
13. Cb. IV.
14.
Ch.
VI.
de Bomberg {Tr. Th.-PoL,
BEXOIT
100
SPINOZA.
1)E
En môme temps qu'une grammaire,
tionnaire,
ques,
ou plutôt
comme
celles
(les
faut
il
un
dic-
tables de concordances bibli-
de Nathan ou de Buxtorf ^ indi-
quant, pour chaque mot, tous les passages où ce mot est
employé. Mais Futilité en est moins grande qu'on pourrait croire, car
cj[uer
chaque auteur
soi-même,
se soucie
s'expli-
de la Bible sont
et les différents livres
loin de concorder entre eux
peu de
2.
III
ces deux instruments do travail
En possession de
grammaire
et dictionnaire,
on abordera
difficultés considérables se présentent,
les textes.
Deux
venant des alté-
que nous ne savons
rations qu'ils ont subies et de ce
presc|ue rien de leurs auteurs, de leur âge respectif, de
leurs destinées.
est,
à la
fois, si
—
L'altération
certaine et
que aussi impossible de
Toutefois
si
du
texte de la
profonde qu'
s'y confier
ou de
« il est
la
et
de modération
Grammaire
Schaarschmidt,
Gramm.
De>s'c.
un modèle
'*.
hébr. de Spinoza,
u.Sp., Pcnn,
1850.
vo}'.
—
Beinays, l'rcface; ap.
Chnje?,
ÏJbvr die
Sp., Breslau, I8f)9.
2.
Tr, Th.-PoL, p. 164.
3.
P. 175.
4. P. 185
5.
^ ».
Spinoza n'en exagère pas l'importance. La
de justesse
Sur
pres-
le refaire
critique qu'il fait des notes marginales est
1.
Bible
P. 207-213.
— BibUolh.
de Sp.,
p. 127 et 175.
ebr.
TRAITÉS DE TIIKOLOGIK ET DE POLITIQUE.
Hicn plus grave est notre ignorance de
Livres Saints. Presque tous sont, de
ment
interpréter
un ouvrage
si
fait,
101
l'iiistoire
des
anonymes. Com-
l'on ne sait rien
de la
vie de l'auteur, de ses opinions, de ses tendances? N'ex-
pliquons-nous pas tout différemment une fable à peu
près analogue, selon que nous la lisons dans l'Arioste,
dans Ovide ou dans
le
Livre des Juges? D'après ce
que
nous savons ou supposons de l'auteur, nous voyons un
souci artistique chez l'Arioste
,
des vues politiques chez
Ovide, tandis que nous prêtons une intention morale à
l'écrivain sacré.
Il
nous faudrait connaître aussi à quelle
occasion, pour quel auditoire chaque chose a été dite.
Par exemple
car
le
mot de Jésus
:
Bienheureux
seront consolés, s'applique
ils
qui s'affligent de ne pas posséder
et (interprétation
te
et
le
plus contestable) le
royaume de
Dieu,
mot Si quelqu'un
:
frappe à la joue droite , présente-lui
n'est applicable sans doute qu'aux
les affligés,
uniquement à ceux
la
joue gauche,
époques d'oppression
dans un État où la justice est violée^.
— Nous ne sa-
vons guère enfin par quelles mains les livres sont passés,
à quelle époque exacte on en a
canon
fait
un corps, puis un
~.
Telles sont quelques-unes des difficultés
la
méthode
expliquer.
historique.
Il
On ne
reste, savoir ignorer, si l'on
1.
•1.
p.
V.
I7().
KiS-KiO.
peut
i)ar elle
faut établir quelques points
que soulève
espérer tout
et,
pour
ne veut corrompre ce
le
([ui
BENOIT DE SPINOZA.
102
en raccommodant à ce qui
est clair,
autres méthodes
grale. Mais
parce
C[u'elle
ni sur
ne
méthode fragmentaire"'
s'apjDuie sur
est
Les
inté-
sûre,
aucune théorie préconçue,
aucune autorité. Elle n'a pas d'autres sources que
les textes
qui lui sont soumis
tradition
du
elle
;
ne
comme
pontificat hébreu,
appel ni à la
fait
le font les
du
risiens, ni à la tradition plus récente
main 3.
i.
une explication
donnent, certes,
seule la
obscur
est
pha-
pontificat ro-
Elle est indépendante, impersonnelle; sans dis-
tinction de croyances, elle
—
de collaborer.
est
Il
permet à tous
les esprits droits
remarquable que Spinoza, qui
ne soupçonna jamais la vraie méthode des sciences naturelles, ait trouvé
poraine et
l'ait
la
méthode de
l'exég-èse
bonheur
applicfuée avec
à
une
contemfoule de
questions.
Il
qui
,
ne se livre à aucune de ces conjectures personnelles
après lui
])ien
comme
et
,
ont tenté
,
par leur tour paradoxal
artistique, des criticpes tels
que Renan. Les
points qu'il établit sont incomparablement plus fermes.
L'attribution
du Pentateuque
admise presque
commente
six
—
1.
p. IGG.
2.
P. 177, 22i.
3.
P. 171, 183.
4.
C'était,
Spinoza
relève
et
passages qui tendent à la mettre en doute
un «dogme
»
récent. La question n'avait pas été tranchée par les
même indifférente à saint Jérôme Sive Mosem auctorem
sive Esdram inslauratorem operis, nonrecuso[Conlr.
:
Helv.,i; cité par Margival,
la
conteste ^
Moïse était
h
Cf. p. 22'».
Pères. Elle paraît
dicere voluerit,
sans
entier
/?.
Simon, 1900,
Renaissance, l'évêquc espagnol Tostat
(Comm. sur Daniel elsur
p. 335).
(l'iOl),
le
— Lorsqu'elle se posa
à
jésuite Bento Pereira
la Gen., V>ù2], le jurisconsulle A.
Macs
{Jos.
imp.
TRAIÏKS
I)K
THIvOLOGlK Kl
l)K
103
l'OLITiyLi:.
et qu'Ibn-Ezra, le seul qui les ait aperçus, avait déjà
notés (l'une manière sibylline
i.
Il
en apporte d'autres,
plus décisifs encore, et s'efforce d'établir que la rédac-
du Pentateuque, auquel
tion
dre Josué^,
Comment
siècle
est,
de plusieurs
il
voit l)ien qu'il faut join-
siècles, postérieure à Moïse
faut-il se représenter cette rédaction?
'.
— Vu
avant Astruc, deux siècles avant Wellliausen,
et
avant l'école liollandaisc de nos jours, Spinoza remarque
le
fait
singulier
que certains épisodes sont racontés
donne à penser que
plusieurs fois, ce qui
d'après plusieurs sources
fait
ments, dont Spinoza
fait
:
Une autre
honneur à Raschi
l'examen des chronologies
nées par l'Ecriture
''.
le récit est
série d'argu^,
est tirée
de
des généalogies don-
et
elles sont contradictoires, ce qui
montre bien que plusieurs documents ont
été compilés.
Quels étaient ces documents perdus, qui ont passé dans
la Bible?
Presque tous ceux que nous .connaissons sont
hisl., Aiiv., 1574)
rère
combattirent ratlribution à Moïse.
[Prxadamitae ,
cohérence du
1655)
récit biblique.
furent condamnés par
— Mais
le livre
le Saint-Office, et
orthodoxe (Voy. Bossuet, Hist. univ.,
faisait
remarquer que
les ch. xi-xxvii
par la Bible elle-même à Moïse.
ci de
La Pejrère
1.
P. 18.5-188.
:>.
P.
.{.
P. 188-190.
i.
P. 199-202.
P. 223
(van VI., H,
le
Isaac de,La Pey-
—
positif
:
l'in-
de Macs et celui deLaPeyrère
l'opmion contraire passa seule pour
II, 28).
— Hobbes (Lcviathan, 1652)
du Deutéronome sont seuls attribués
Spinoza possédait
les livres
de Pereira
{Bibl., p. I5i et 179j.
19.3.
5.
sous
—
apimya cette thèse d'un argument
nom
:
«
Babbi Sclomo
p. 17^)
sous
le
».
— C'est
nom de
de R. Schelomo Jai "hi.
Salomon de Troyes,
cité note
R. Selomo Jarchi, et Gr. hébr.
(p.
1
276)
BENOIT UE SPINOZA.
101
indiqués
^
:
Livre des Guerres
le
de l'Alliance ^
le Livre
le très court Livre
~,
de la Loi^,
les
Cantique de Moïse
tiques, tels c[ue le
gies, les Clironic[ues
de Juda
fragments poéles
-*,
Généalo-
et celles d'Israël, et après
Esdras, le Livre des Annales, les Chroniques perses, les
Chronologies chaldéennes.
— Un
examen sagace con-
duit Spinoza à l'hypothèse hardie, reprise de nos jours,
que
du prétendu Deutéronome a
la législation
digée avant celle de l'Exode
Il
marque, dans
mal combinés
^.
".
de plusieurs
est fait
chaque
scrute
Il
livre.
un point précis où l'auteur
les Juges,
compile un nouvel historien
de Samuel
*'.
été ré-
A
ses yeux, le P' Livre
récits parallèles, assez
sont incom-
Les prophéties d'Isaïe
plètes; celles de Jérémie ont été recueillies,
ou plutôt
entassées, en désordre, mêlées à des
Mémoires dictés à
Baruch
prophètes ne sont
;
celle d'Ézéchiel et des petits
que des fragments
énigme. Les
Job
-K
est à tous points
six chapitres
de vue une
de Daniel écrits en chaldéen
'o.
Le livre des
le restreint
à xx, 24-xxiii-19.
sont tirés des chronologies chaldéennes
1.
p. 190-192, 194, 197, 199,218-220, 223, 240.
2.
Cité Nombres, xxi, 14.
3.
Exode, XX, 22 à xxiv. Aujourd'hui on
4.
Deutér., iv, 25 à xxviii,
(in.
Mayer Lambert., Rev. des
5.
Deutér., XXXII. Voy.
G.
Cette opinion, combattue
par Renan
et.
(Hev. des
juives, 1898,
I, 4().
Deux-Mondes,
l"'""
marsl88G), semble avoirprévalu, grâce aux travaux de Wcllhausen, Kayser
et
Maurice Vernes.
— Juges, cb.
7.
P. 201.
8.
Ibid.
9.
P. 215-217.
10. P. 217-218.
ii,
vers.
(i.
ÏRAITFS
rilKOUH.U: ET
Dï:
lOÔ
POLITIOLK.
I)K
Proverbes ne peut pas être antérieur à Josias,
])i'obablement postérieur;
il
Tobie.
et
a
être enlevé
failli
comme
rabbins du canon héljreu,
est
parles
l'ont été la Sagesse
Merci de Tavoir conservé!
«
il
»
*
— La
com-
pilation des
Psaumes
Macchabée,
bien longtemps après, les Paralipomènes,
Esdras,
et
Néhémie,
Esther,
—
Daniel'-.
place à l'époque de Judas
se
les
chapitres hébreux
de
Quant au Nouveau Testament, Spinoza
refuse de l'aborder, parce qu'il ne connaît pas assez le
grec; d'autres, d'ailleurs, s'en occupent
Sous la multiplicité des documents
l'unité réelle
3,
utilisés, lisait voir
de la Bible, trop méconnue des critiques
de nos jours, ou du moins de ceux qui
les ont
immédia-
tement précédés. La compilation d'Esdras, par exemple,
est
visiblement faite avec une intention unique, sur un
plan déterminé
Les méthodes d'analyse ne doivent
^.
pas faire perdre de vue ce
Bible, concourt à
fait
un même
aveuglant
:
tout,
dans
la
dessein.
Ces chapitres d'exégèse renferment des vues solides
et suggestives.
conduit.
Ils
Ils
supposent un travail profond, bien
n'en donnent que les résultats, de façon un
peu sommaire peut-être,
et
malheureusement trop en-
1.
p. 21'i.
2.
Ibn-Ezra a pressenti que ces quatre derniers livres dérivent d'une
source unique et perdue
:
le
Livre des Annales
(p.
213-2t4, 218-220
et
note 23).
3.
P. 225. Spinoza peut faire allusion à
études sur
S.
I-r.
Spanheiinjr, connu pour ses
Matthieu, et qui en 1070, l'année miMne de
Tr. Th. Pol., remplaça à Leyde Coccéjus, dont
4.
P. 194-195.
il
la
publication
combattit rinlluence.
du
BENOIT DE SPINOZA.
106
chevêtrée.
on admire un ensemble rare de hardiesse
iMais
de mesure dans l'expression, un souci constant de
et
en s'élevant au-dessus
Sur
terminer
les disputes
le point
de s'emporter contre les rabbins sophistes
les interprètes vulgaires, Spinoza se
moi
la
pensée de
les accuser
leurs intentions sont pures
propre de l'homme^.
concorde
;
on y sent partout
reprend
«
:
de blasphème. Je
et
Tout
»
d'elles.
que
se
la sérénité
Loin de
sais
tromper
le Traite fait
du
et
que
est le
œuvre de
savant.
IV
Ce n'est pas seulement dans la question préliminaire
de
la critique des textes
l'accord des esprits
;
qu'une saine méthode doit faire
c'est
dans
les questions
même
qui
semblent les diviser irrémédiablement, celle de la révélation et celle des miracles. Ce sont les questions graves,
et,
chose étrange,
ce sont
qu'on abandonne
celles
généralement à la croyance arbitraire ou aux négations
a iwiori.
Il
faut
oser leur appliquer la vraie
méthode ~.
Renonçons à toute idée préconçue. Recherchons,
non pas
ce
que nous entendons, mais ce que
1.
P. 223.
2.
L'ordre desrfisse;7«<70M,9 est embrouillé, ce qui atténue
idées. Voici l'ordre
que
je suis
VI, XI; 3° ch. iv-v, xii-xv.
dans
mon
exposé
:
la
la Bible
portée des
1" ch. vii-x; 2" tli. i-iii,
TRAITKS
1)K
entend, par la révélation.
ront d'abord évités,
psychologie du
moyennes;
il
recourt toujours à Dieu. Le
Dieu
»
c'est
un présent
est
se-
de la
(]o
Dieu qui
a parlé
lui
(juil fait
,i:aiii
Dien
;
y dispose son cœur;
éprouve
s'il
s'il
conçoit
L'expression
'.
«
de
ne marque souvent dans sa langue qu'un haut
degré d'excellence. Dans la Hible, des
sont de très hautes montagnes,
Dieu
»
Dieu
» est
de
cèdres de Dieu
«
trait
Le Juif ne connaît pas de causes
désir, c'est Dieu qui
une idée,
Bien des contre-sens
on prend garde à un
si
Juif.
dans son commerce
un
107
TIIKOLOGIK KT DK POLITIQUE.
montagnes de
«
un sommeil
<'
de
un sommeil très profond. Les Psaumes parlent
»
pour en exprimer
hauteur. Dans la Genèse, des
la prodigieuse
hommes de grande
de haute stature sont appelés
«
fds de Dieu
»,
force et
quoique
impies, brigands et libertins-. Les miracles sont appelés
«
ouvrages de Dieu
est
»,
c'est-à-dire des choses très
appelée
«
science de Dieu
»,
c'est-à-dire science extra-
ordinaire. Par conséquent, les expressions
Dieu
pli
»
de
mer-
La science purement naturelle de Salomon
veilleuses.
a été
donné à
« l'esprit
tel
de Dieu
prophète
»,
du
«
;
tel
:
« l'esprit
de
prophète est rem-
Saint-Esprit
»,
signitien
souvent qu'on trouve à ce prophète une intelligence ou
une vertu singulière, au-dessus du commun.
<[u'un petit
ment par
nombre de
cas
où
il
soit
là qu'il percevait la volonté
Il
n'y a
indiqué formelle-
ou
les desseins
de
Dieu^. La prétendue élection des Hébreux n'est aussi
1.
p.
2.
P. 77.
3.
P. 81.
6<).
108
BENOIT DE SPINOZA.
qu'une figure de langage. Pour exjjrimer
Salomon, on
De même,
dit
«
:
la sagesse
Nul ne sera aussi sage que lui^
les Juifs ont
comme
l'ignorance
si
des autres ajoutait à leur propre bonheur. Mais
positif
»
prétendu que nulle autre nation
ne pouvait recevoir la révélation,
moignage
de
de la Bible montre que
ples ont eu des prophètes,
et,
comme
le té-
les autres
les
peu-
Hébreux, en
ont eu de vrais et de faux. L'élection des Juifs n'était
comme
pas,
spirituelle
l'imaginent les Coccéiens, une alliance
avec Dieu. Elle ne
même, qu'en
consistait, d'après la Bible
révélation d'une législation avanta-
la
geuse. Elle n'avait rien d'absolu, ni d'éternel; les rabbins se trompent en croyant que la persistance des Juifs
dans
les
pays où
ils
n'ont pas
pu
se fondre s'explique
par une cause surnaturelle. La haine des nations a
pour
les Juifs,
un principe de conservation. Et
été,
s'ils
ve-
naient aujourd'hui à reconstituer leur empire, on verrait,
dans cet événement naturel, une seconde élection
de Dieu 2.
Examinons
les cas
où des prophètes juifs ont vraiment
perçu une révélation. Comment
Bible fait toujours
tres prophètes. «
une
A
la percevaient-ils ?
distinction entre Moïse et les au-
Moïse, je parle bouche à bouche,
aux autres par images énigmatiques
cil.
P. 113-114 (Voy.
3.
(Nombr.,
xii, 8). Il
l'Ecriture^,
m.
1.
2.
semble
»
moins de violenter le sens de
faut admettre, à
La
faire allusion
Lett.
3.5,
d'Oldenburg, van VI.,
au mouvement
« sioniste »
Allusion sans doute à Maimonide. Voy.
dont
il
II, p.
314). Spinoza
fut question en KiGl.
More Aeb.,u,
(13; ii, 33.
TRAITÉS
quo Moïse a
î\
lui
TlIKOUXilK KT
I)K
une
pcr(;ii
voi.v réelle. Il
parler partout où
il
109
I'0LITlO( E.
IH:
trouvait Dieu prêt
—
voulait rcntendrc.
Les
vu Dieu.
autres ont eu des visions. Quelques-uns ont
Nulle part la Bible ne dit ([ue Dieu soit sans figure. Moïse,
au moment où
il
entendait parler Dieu
regarda sa
,
ligure et, sans être assez heurrux pour la voir, en aper-
çut
toutefois
virent
David
postérieures.
parties
les
un ange tenant une
,
.Josué
épée. Isaïc, Miellée, Daniel
virent Dieu, avec des vêtements, assis. Ézéchiol vit Dieu
sous la forme d'un feu.
que ce soient des
récits
sible de voir un ange
A
Maimonide veut
toute force
de songe, parce
les
yeux ouverts,
qu'il est
etc.
impos-
Laissons ces
hypothèses inutiles à la critique rationaliste
^
.
— Quant
à Jésus, on est forcé par les textes de lui faire une place
unique.
visions.
ne reçut sa révélation ni par paroles, ni par
Il
Il
ne
s'entretint pas avec Dieu
«
face à face
»
;
il
communiqua avec Dieu « d'âme à âme^ ». Mais d'après
l'Écriture même, personne autre ne fut tel. Par rap,
port à
lui, ses
apôtres sont
par rapport à Dieu.
sa pensée,
ils
tions. Ils les
Ils
comme
les
anciens prophètes
ne saisissent pas immédiatement
entendent ses paroles,
commentent
ensuite.
ils
voient ses ac-
Leurs Épitres déjà
ne sont plus l'énoncé pur et simple d'une révélation,
mais un
premier
essai
de transcription en langage
abstrait^.
Ainsi, à part Jésus, la révélation faite aux prophètes
1.
p. 72.
2.
p. 74.
3.
Ch.
XI.
BENOIT DE SPINOZA.
ilO
n'était
pas une connaissance par la pensée, mais une
connaissance par les sens, ou, clans la lanuue de Spinoza, parlimaeination. Pour être prophète,
pas avoir, ainsi
dont
ne
il
était
fallait
prétend Maimonide', une âme plus
cpie le
prophéties ont-elles varié suivant
la condition
ne
seulement une sensibilité plus vive. Aussi
parfaite, mais
les
il
tempérament,
le
de chaque prophète, suivant
imbu.
Si le
prophète
que
victoires;
lui était révélé
était
les
opinions
d'humeur
d'humeur
gaie,
triste,
il
que
guerres, supplices et malheurs. Amos,quiestun paysan,
ne
voit
voit
que bœufs
et
vaches; Isaïe,
de cour, ne
que trônes. Zacharie, faible imagination, eut des ré-
vélations
si
obscures qu'il fut incapal^le de les compren-
dre sans une explication,
explication, ne put
et
l'astrologie,
la
Daniel,
comprendre
tion s'appropriait à chacun.
à
homme
nativité
même
les siemies.
avec une
La révéla-
Aux Mages qui
du Christ
croyaient
fut révélée
par
l'image d'une étoile. Les augures de Nabuchodonosor
virent la dévastation
des victimes.
phète plus
nomène
le
de Jérusalem dans
— Jamais
la révélation n'a
instruit. Elle n'a
les entrailles
rendu un pro-
pas appris à Josué le phé-
des parhélies, ni à l'architecte du Temple que
rapport de la circonférence au diamètre n'est pas
exactement de 3 à
tants
1, ni
à Noé qu'il y avait des habi-
hors de la Palestine. Elle
n'a
même, remar-
quons-le, jamais instruit personne de la vraie nature
de Dieu.
1.
Mort'
Spinoza
fait
!Seb.. cli. \x\vi-\i.m.
habilement la psychologie de
TRAITÉS
Moïse', ou,
I)E
coiiiiiic
TIlKOLOGIi: KT
nous
(lisons
111
l'OLlTini K.
I)K
aujourd
liui,
du rédac-
teur jéhoviste. Cet auteur ne sait de Dieu à peu prèfy
qu'une chose,
qu'il est jaloux.
— Jouas espère échapper
à la présence de Dieu. Tout ce qu'Ézéchiel dit de Dieu
semble
écrit
pour réfuter Moïse. Samuel
croit
que Dieu
ne se repent jamais, .lérémieque Dieu peut se repentir,
Joël que Dieu ne se repent que
du
—
tort qu'il a fait.
Concluons provisoirement qu'on ne peut chercher dans
aucune connaissance théorique, ni des choses
la Bible
naturelles, ni des choses spirituelles
absurde d'en
tirer
-.
Il
n'est pas
moins
une théologie qu'une physique. Nous,
verrons bientôt ce qu'on y doit chercher.
V
La connaissance par l'imagination n'a pas,
comme
la
connaissance du troisième genre, sa certitude en elle-
même.
Elle a besoin d'un signe qui la confirme.
ham, Gédéon demandent à Dieu un
Abra-
signe. Moïse ordonne
aux Hébreux d'exiger des signes de tous leurs prophètes.
si
Ces signes, ce sont, en général, des miracles
bien obscurci la question des miracles qu'il
venu presque impossible de s'entendre.
d'abord à ce qu'on a multiplié outre
des miracles
langue qui
1.
p.
,
dit
Ch.
II.
3.
Ch.
VI.
On
est
a
de-
Cela tient
le
nombre
sans tenir compte des habitudes d'une
:
«
Dieu a ouvert
03-%.
•>.
—
mesure
^.
Cf. Lellre 73 à
OKIonburg.
les fenêtres
du
Ciel »,
112
BENOIT DE SPINOZA.
a
beaucoup plu; sans tenir compte surtout
difficulté
qu'ont les gens de médiocre culture à
pour dire
de la
:
il
exprimer simplement un
jour a été plus long-
fait. Si le
que de coutume, bien peu de personnes diront
jour a été plus long c^ue de coutume
diront
« le soleil
:
poésie
^
!
On peut
l'ait,
elles le
«
le
presque toutes
Que
sera-ce
chantent
Tjar la
a suspendu son cours
au lieu de raconter ce
si,
»,
:
^>.
tenir en principe qu'il n'y a de vrais
miracles que ceux qui servent à confirmer une doctrine.
Mais voici surtout, selon Spinoza, d'où est sorti le dé-
bat
:
ridée qu'on se
fait
du miracle
jour où l'on a conçu des
a été bouleversée
lois naturelles. C'est
du
une con-
ception récente. Les auteurs des Livres Saints y étaient
parfaitement étrangers.
comme
ne considéraient aucun
Ils
nécessaire; tout pour eux était miracle, au sens
moderne du mot.
— Ce
qu'ils appelaient miracles, c'é-
taient des faits destinés plus
l'imagination, parce
analogues, des
pas
fait
», le
faits,
cpi'on
cjue d'autres à
ne se
en un mot,
«
rappelait
frapper
pas
les
qu'on ne comprenait
vulgaire croyant comprendre suffisanunent une
chose quand elle a cessé de l'étonner. De
tels faits ser-
vaient de preuves, car on les rapportait à une cause
extraordinaire, à Dieu lui-même.
ils
—
Mais, aujourd'hui,
ont perdu pour nous leur force probante.
de cjuelque façon qu'on
le
Un miracle,
prenne, qu'on y voie une
rupture des causes efficientes, ou l'introduction d'une
finalité particulière, c[u'on
1.
p. 153-158.
l'imagine contraire à
la
na-
TRAITKS DE THKOI.OGH: KT DK POLITIQUE.
turc,
ou supérieur à
rationalistes,
que ce
elle',
soit
113
nous ne disons pas, avec
une chose
inintelligible,
les
nous
disons qu'il nous est impossible de l'attribuer à Dieu.
C'est des
faits
ordinaires, naturels,
que nous
tirons
maintenant notre meilleure preuve de l'existence de
Dieu, depuis que nous les savons enchaînés par des
lois universelles et nécessaires,
où nous voyons comme
une manifestation de l'éternité, de Finfînité, de l'immutabilité
de Dieu^. Nous trouvons absurde de recourir à
la puissance
naturelle
dune
même 3.
Dieu
de Dieu, quand nous ignorons
chose,
Et
si
un
cause dans la nature,
effet limité,
c'est-à-dire
fait n'avait
comme
il
la
la cause
puissance de
réellement pas sa
ne serait jamais qu'un
nous ne pourrions l'attribuer qu'à une puis-
sance limitée, à
un démiurge, à un démon. Un miracle
ne pourrait pas nous prouver l'existence de Dieu, mais
nous en
faire douter.
Ce sont les sceptiques
et
les
athées qui devraient maintenant tirer argument des miracles^.
Rappelons-nous que, dans l'Écriture,
les miracles
n'avaient de valeur qu'en tant qu'ils atteignaient leur
fin, l'édification
des âmes. Or cette
fin n'est
plus atteinte.
Jamais l'Écriture n'a donné aux miracles une imjDortance
prépondérante. Après Moïse, Ézéchiel et Michée, Jésus
1.
P.
Ii9. Allusion
qu. 110, art.
évidente aux Scolastlques. Voy. S. Thoni.,
4.
2.
P. lis.
3.
P. 82.
4.
P. 14(5-149.
BENOIT DE SPINOZA
8
p.
I,
BENOIT DE SPLNOZA.
114
nous avertit
y a de faux miracles, destinés à aveu-
qu'il
gler les méchants
miracles
On peut donc moins
1.
eux-mêmes qu'à
les accomplit, car
qui
trompe jamais. Pour
les
les esprits
la doctrine discerne les miracles.
se sont tournés
signes
uq peu
En un mot,
en scandale.
Il
les
mira-
de la règle de vie
ejui
nous
est
qu'ils
y avait autrefois deux
de la révélation, les miracles
»
éclairés,
mais à rejeter depuis
qu'ils produisaient leur effet,
((
les miracles
des moyens d'édification, légitimes tant
étaient
cles
de la vie de celui
gens peu subtils,
pour
;
aux
n'y a que les justes que Dieu ne
il
discernent la doctrine
la sainteté
se fier
et l'excellence
proposée. Nous ne som-
mes plus frappés que du second.
Si
nous ne pensions
pas que cette règle de vie fût la meilleure de toutes
nous rejetterions
la Bible
comme
le
Coran
'-.
Nous ne
verrions en elle aucun caractère de divinité.
VI
Quelle est cette règle de vie? Spinoza l'appelle, tantôt
« loi
divine
tantôt
« foi
»,
parce qu'elle n'a rapport qu'au salut,
catholique
1.
P. 85-lGO.
2.
P. 16i.
3.
Ch.
4.
3
—
'"
»
Cf. Lettre 73.
IV, XII.
P. 239, 2i0, 252, 255, 319.
,
parce qu'elle peut être acceptée
TRAITKS DE TlIKOLOGIi: KT DE POLITiyLK.
tous les
(le
«
hommes.
Elle est contenue dans le précepte
Aimez Dieu comme votre souverain bien
en faut joindre un second, qui
fond, que le premier
«
:
Aimez
»
les autres
cette fm, sont des
commandements de Dieu;
pu
lois
humaines,
est difierentc. Celui-là
et
mais parce
n'est
même, au
Tous les moyens qui concourent à
être sanctionnées
aime Dieu,
:
il
hommes autant
»
pas d'autres. Des
auquel
,
est peut-être le
que vous-mêmes.
ont
115
comme
il
celles
par la révélation
:
n'v en a
de
.Moïse,
la loi divine
seul observe la loi divine qui
qui l'aime, non par crainte, ni par espoir,
qu'il l'a
connu. Cela est essentiel. Le reste
que moyens j^our disposer l'âme.
Quelle importance faut-il donner à la célébration du
culte
^,
à la lecture des Livres Saints 2, à la croyance aux
dogmes 2?
Les cérémonies du culte étaient pour les Hébreux des
institutions politiques.
dans
le
On
avait introduit
gouvernement pour que
par dévotion. Mais
les
le
la religion
peuple obéit aux
lois
prophètes ont toujours distiagué
la loi divine des cérémonies. Isaïe exclut
toute espèce de sacrifices et de fêtes;
dans la purification de l'âme
il
de la
loi
divine
la fait consister
et la charité. «
Vous n'avez
voulu, disent les Psaumes, ni sacrifices, ni présents,
votre loi est dans
mes
du christianisme,
entrailles. »
elles sont
les
Quant aux cérémonies
signes extérieurs
de
l'Église universelle, elles maintiennent l'intégrité de la
1.
Ch. V.
'2.
Ch.
3.
Ch. \iii-xv.
VI, XII.
BENOIT DE SPINOZA.
116
société chrétienne^. Ce sont des actions de soi indiffé-
rentes, mais symboliques de biens nécessaires au salut
Pas plus que la prière, on ne peut
moyens d'amener
sont des
les
~.
les rejeter, car elles
hommes
à aimer Dieu et
à faire leur salut 3. Mais on ne peut pas davantage leur
attribuer
un caractère absolu d'obligation
pas, dit fortement Spinoza, des
tend ement^
le culte.
Au
».
La
foi,
<(
:
elles
ne sont
actions filles de l'en-
en certains cas, peut
suffire sans
Japon, les Hollandais restent chrétiens, bien
qu'ils soient forcés de renoncer à la profession extérieure
de leur religion.
Les Livres Saints sont presque tout entiers en récits,
récits
«
édifiants, à
vraie
foi^ »
coup
sûr,
destinés à donner la
et
à ceux qui ne peuvent
saisir les
choses
par l'entendement, mais qui, pour cela même, ne sont
pas tous nécessaires.
Ils
peuvent
On peut entendre
autres.
sans connaître par le
se suppléer les
uns les
la doctrine qu'ils enferment
menu
les troubles
domestiques de
la famille d'Isaac ni les conseils d'Achitophel à Absalon.
— Pour
le reste,
en quel sens peut-on dire que ces livres
contiennent la parole de Dieu?
Il
faut nous détacher
résolument de la représentation grossière de lettres
missives écrites par Dieu dans le Ciel, et envoyées do
1.
r. 137.
2.
p. 120.
3.
Lelt. 21, àBlijenberg; Saiss.,
4.
P. 120.
5.
Expression du
logie, p.
13'J.
11, p.
379.
Court Traité qui reparaît dans
le
Traité de T/iéo-
HT
TRAITÉS DE THÉOLOGIE ET DE POLITIQUE.
aux hommes. La Bible a subi la condition de tous les
là
livres
«
un caractère
soi
sacré,
parce que la vraie religion y
enseignée. Sachons, en effet, ce que signifie le mot
mais
est
humains. Elle n'a pas en
elle
sacré
».
nous
est sacrée
Rien, considéré hors de l'ûmc, ne peut être
appelé sacré ni profane. Cela est sacre et divin qui peut
porter à la piété, et tout objet semblable restera sacré
hommes
tant que les
s'en serviront dans
une intention
religieuse. Moïse jjrisa les tables de la loi, parce qu'elles
avaient perdu leur caractère sacré
n'étaient plus observées.
du jour où
elles
La Bible ne demeure sacrée
que pendant qu'elle inspire des sentiments de piété
elle cessait
de
que du papier
Mais
si
les inspirer, elle
et
de l'encre
on prend
ne
serait plus
;
si
pour nous
^.
l'Ecriture
pour ce qu'elle
guide de la \de morale, sous cet aspect
est,
un
elle n'est plus
ni trompeuse, ni
corrompue, ni mutilée. Les objections
de l'exégèse,
graves dans le point de vue opposé,
sont
ici
si
insignifiantes. Car à qui
demi-mot
suffit.
Dans l'ordre
comprendrions encore
même
la
comprend à
moitié,
de Tintelligence, nous
géométrie d'Euclidc, quand
nous ignorerions presque tout de l'auteur
fortunes diverses de rouvrage"^. De
du cœur,
il
un
même, dans
et
des
l'ordre
y a en nous quelque chose qui répond aux
paroles de l'Écriture, qui les pressent et obscurément
les devance. «
Aimez Dieu
ne peut être apocryphe,
1.
p. 23G-'>38.
;>.
P. 177.
et le
prochain
elle
ne peut résulter d'une
», cette
parole
BENOIT DE SPINOZA.
118
erreur de plume, ni d'une trop grande précipitation i.
Il
en
est
de
même
des maximes morales qui en découlent
immédiatement. Je
les
trouve dans la Bible, mais je les
trouve en moi. Accumulons
posons
de la Bible mille
le texte
qu'il n'est
en
les fautes, dit Spinoza,
réalité,
fois plus
sup-
corrompu
sur quoi, en définitive, pourront
porter les altérations?
A
mettre les choses au pis, sur
quelcjues circonstances ajoutées à une histoire, à une
prophétie, pour exciter davantage la dévotion populaire
ter
,
sur quelques miracles inventés pour déconcer-
les
pour
philosophes, sur
justifier telle
porte peu
altérées
ou
au salut que
ou non
quelc[ues
dog-mes imaginés
telle théorie particulière.
de telles
Il
im-
choses
aient été
dogmes
la
'
!
VII
Il
faut avoir le courage de dire des
chose que des cérémonies et des lectures sacrées.
sont pas tous
essentiels à la foi.
sont pas tenus de
les connaître.
sance de Dieu est un don de Dieu,
1.
P. 242.
2.
P. 243-244.
3.
Cf.
LeUre
21, à BlijenberR
;
Ils
ne
On ne trouve dans
FÉcriture aucun des attributs éternels de Dieu
hommes ne
même
et
Sais>., II, p. 381.
3,
et les
La connais-
non pas un com-
TRAITKS
r>E
THK()LO(;iE ET DE
mandomcnt de Dieu^ Ce don
iiiènie l'enseigne.
est rare, TÉcrituie elle-
Ce que les lidèles ont en commun, ce
n'est
pas la comiaissancc de Dieu,
Dieu.
— Dira-t-on
mais de
110
POUTIOIE.
qu'ils
c'est l'obéissance
à
ne sont pas obligés de connaître,
croire, ce serait ici uii simple jeu de mots, car
pour percevoir les choses
visibles
nous n'avons que
les
yeux, pour percevoir les choses purement spéculatives
que
les démonstrations.
A
la vérité, l'Écriture
ne cherche
pas à donner la science, mais l'esprit d'obéissance.
Obéir à Dieu consiste à aimer les hommes. Aimer les
hommes
est la seule voie
chrétienne d'aller à Dieu. Tout
chrétien devrait se pénétrer de la doctrine de Jean, de
cette
grande doctrine d'amour
connais Dieu, et
menteur.
. .
cpii
:
n'aime pas
Personne n'a
l'idée
du prochain. Celui qui aime
Celui qui dit
«
les
hommes,
est
:
je
un
de Dieu que par l'amour
le
prochain connaît Dieu,
celui qui ne l'aime pas ne connaît pas Dieu... Dieu, qui
est
amour, nous a donné l'amour
nous savons que tout
est
en nous.
taux.
moyen
La
est
en Dieu
par là que
et
que Dieu
»
La vie d'amour
le seul
homme
et c'est
est l'unique règle
d'en déterminer les
foi consiste à savoir
de la
foi
catholique,
dogmes fondamen-
sur Dieu ce qu'on n'en peut
pas ignorer sans perdre tout sentiment d'amour, ce
qu'on en
sait
nécessairement par cela seul qu'on a ce
sentiment. Elle ne porte pas sur des attributs méta-
physiques, démontrables, de Dieu.
).
p. 2i8.
On
croira simplement
BENOIT DE SPINOZA.
120
qu'il
y a un Père qui aime
la justice et la charité.
On y
ajoutera, j)ar exemple, qu'il est unique, qu'il est présent
partout, qu'il a sur toute chose
que
une
qu'on lui doit ne consiste qu'en l'amour
le culte
du prochain, que ceux qui vivent
les
autorité suprême,
ainsi sont sauvés, c[ue
péchés sont remis à ceux qui se repentent
vérités
cpi'il
n'est pas besoin de savoir
par
^
:
toutes
la raison,
mais d'éprouver par la pratique car il n'y a pas d'abord
;
des dogmes chrétiens, entraînant un certain genre de
vie,
il
y a d'abord une vie chrétienne, appelant cer-
taines croyances.
Sans doute ce petit nombre de dogmes fondamentaux
,
ne peut pas être
rait introduire
laissé à l'arbitraire, car
dans la religion ce
prétexte que c'est
un moyen qui
chacun pour-
qu'il voudrait, sous
le dispose
Mais pour le reste, la liberté est entière.
à la piété
2.
— Qu'est-ce que
Dieu? Est-U feu, esprit, lumière, pensée? Comment estil
partout?
Y
a-t-il
La récompense
ne regarde pas la
indifférent
en nous libre arbitre ou nécessité?
est-elle naturelle
foi
2.
ou surnaturelle? Cela
Pascal dit de
même
au cœur de l'homme de croire
personnes en la Trinité ^
»
trois
:
« Il est
ou quatre
Chacun peut, chacun
doit
mettre ces dogmes à sa portée, pour embrasser la
foi
sans répugnance, ni hésitation. Chacun peut, sur ces
questions, se tromper pieusement, sans aucun mal. Les
1.
P. 255-256.
2.
p. 253.
3.
P. 256-257.
4.
Autographe,
p.
'lO'.i.
TRAITKS
TIIKOLOGIK KT
l)i:
Livres Saints donnent l'exemple
I)i:
attribuent à Dieu
ils
:
des pieds, des yeux, une âme, un
121
l'OLITIQUK.
mouvement
des
local,
passions, et c'est gratuitement qu'on suppose que co
sont là des métaphores, car où finira la métaphore, où
commencera
le
mystère
i?
Tant que je ne puis pas con-
un Dieu personnel,
cevoir la vie chrétienne sans
que
je
ne
la puis pas concevoir sans libre arbitre, ni
iumiortalité
temporelle, ce sont là des dogmes pour
moi, jusque-là seulement.
sont des
moyens
—
Les dogmes secondaires
moins grossiers que
d'édification,
accommodés à des
miracles,
tant
esprits
culture, utiles tant qu'on ne les
les
de plus grande
met pas en doute. Mais
dès qu'ils n'atteignent plus leur fin et veulent néan-
moins s'imposer,
ils
deviennent causes de déchirements
dans l'Église, de malheurs, de guerres, d'atroces absurdités.
Il
faut alors que des esprits droits et pieux rendent à
la sereine philosophie
foi
son domaine
sa fin divine, le salut.
vérité,
il
n'y a pas de question,
suppose, où
elle
si
théologique qu'on la
puisse être gênée par la
a pas
un dogme pouvant donner
parmi
les
D'autres opinions,
La
plus
foi,
P. 25r).
car
il
n'y
lieu à controverses
de son coté, n'est pas une
communes
encore, paraîtront singulières
quand on y réfléchira, par exemple, que Dieu
hommes. Voy. Lettre 19, Saiss., II, p. 3G9.
2.
foi, «
honnêtes gens, qui appartienne vraiment à
la foi catholique- ».
1.
et rappellent à la
— La philosophie cherche la
puisse être olTensé par les
BENOIT DE SPINOZA.
122
vérité,
mais une pratique. Ce n'est pas celui qui expose
meilleures raisons, qui
les
fait
preuve de
la foi la
œu-
meilleure, c'est celui qui accomplit les meilleures
vres. Les fidèles
d'impiété
;
les
ne peuvent pas accuser
les
philosophes
philosophes ne peuvent pas accuser les
Une opinion prise en
fidèles d'absurdité.
sans
soi, et
rapport à la pratique, ne j)eut avoir ni piété, ni impiété
n'est hérétique
que ce qui porte à la rébellion, aux dis-
putes et à la haine,
—
n'est pas absurde, qui
Croyez mille vérités
serez
:
:
un soutien de
est
si
la vie morale.
votre vie est mauvaise, vous
damné. Croyez mille erreurs
tienne, vous serez
une croyance
Et, d'autre part,
:
si
votre vie est chré-
sauvée
La pensée dernière de Spinoza
est
qu'on peut faire
son salut par deux voies, par la connaissance ou par
l'obéissance.
La comiaissance du troisième genre
tout aussi divine que
certitude, elle
la révélation. Elle
émane immédiatement de
est
implique
Dieu.
«
appelle à l'expérience de tous ceux qui l'ont goûtée
la
J'en
2
!
»
Elle est sainte, elle est suffisante, elle régénère l'âme,
elle est spéculation et pratique, elle est vie nouvelle.
—
combien peu y atteignent! Le principe propre
est que l'obéissance, à elle seule, peut
^lais
de la révélation
sauver les hommes. Sans lui nous douterions du salut
de presque tout
montrable
1.
P. 250.
2.
p. 69.
3.
P. 269.
:
le
genre humain^. Ce principe
la révélation était
est
indé-
donc absolument néccs-
TRAITÉS DE THÉOLOGIE KT DE POLITIOI
sairc^
Non
(les
A
un
ce principe seul Spinoza fait
more mathemalico
scio
raisons morales
:
sed credo-.
,
K.
croit
source de consolation pour les humbles, ce
la société, ce
une
est
procure
y aurait
il
à le
folie
par ce seul prétexte que cela ne peut être dé-
montré mathématiquement 3.
»
Allons au fond des choses.
l'une
c[ui
le
que nous pouvons croire
sans aucun risque intellectuel,
rejeter
pour
Ce qui a été confirmé par
«
2.'J
acte de foi.
Il
témoignage de tant d'hommes inspirés, ce qui
de grands biens à
1
pour
les philosophes,
n'y a pas deux lois,
Il
l'autre
pour
le
peuple.
Il
n'y a que deux points de vue, ou, selon l'expression que
nous connaissons, deux modes de connaissance.
précepte
:
«
Aimez Dieu
éternelle pour
» est loi
l'homme qui pense
immédiatement
cette révélation
seignant les choses révélées, non
comme
peuple, vérité
le
et qui,
par
en
là, reçoit
de Dieu, Jésus, en en-
comme
des lois, mais
des vérités éternelles, a délivré les
la servitude de la loi, et,
loi
pour
Le
même
hommes de
temps, a établi la
plus jDrofondément dans leur cœur^. La façon la
plus parfaite d'obéir à la
d'elle. Il
y a un
loi est
état supérieur
n'apparaît plus que
de s'élever au-dessus
de l'âme où la
comme un moyen.
<(
loi
même
Celui qui pos-
sède la charité, la joie, la patience, la douceur, la bonté,
la foi, la
mansuétude, la continence, je dis de
1.
P. 268.
2.
Lettre 21; van VI.,
3.
P. 267.
4.
P. 121-125.
II, p.
281.
lui,
avec
BENOIT DE SPINOZA.
124-
Paul, que la loi de Dieu n'est pas écrite contre lui'.
11
peut se dire vraiment rempli du Saint-Esprit, car
»
le
ce
Saint-Esprit, c'est la paix parfaite de l'àme^ »,
VIII
Telle est cette sorte d'Apologie de la religion chré-
même
tienne. Elle parut la
mois
3,
que
celle
ressemlDlent
Spinoza
est
année, on peut dire le
même
de Pascal. Les deux ouvrages ne se
pas pour la composition.
œuvre de raison
sereine.
Il
Le
Traité de
sans art, de documents soigneusement vérifiés
tériaux éprouvés, pris
même
presque
est fait,
;
de made
à des adversaires'^;
raisonnements, trop appuyés parfois, mais exposés en
toute probité; de développements sommaires, impersonnels, où la force de la pensée se retient toujours
de
jaillir
en éloquence. Les notes de Pascal
portent bien plus à
l'effet
se
rap-
qu'elles doivent produire.
Les matériaux sont moins sûrs, la mise en valeur plus
1.
p. 1Î2.
2.
P. 2G8.
3.
Le Trailé de Spinoza
est antérieur
au 8 mai
date de la première
ir>70,
réfutation qui en fut faite (Thomasius, Progr. adv.
anonymum
de
lib.
philosopJiandi). La première édition des Pensées de Pascal est antérieure
au 23 mars, date d'une Lellre d"Arnauld à Périer où
4.
Page 260-268, Spinoza
p. 186-188);
II,
—
p. IôT-ITjO,
28-29, cité par
Joi'I,
fait
il
en est question.
des emprunts textuels à Meyer (van VI.,
des emprunts textuels à Jdiùmonide
Sp. Th.-Pol. 7V., Breslau, 1870).
II,
{M 07-é Neb.,
TRAITKS
KT
i)K TllKOLO(;iH
125
POLITIOLi:,
IJi:
grande. La préparation du cœur, l'appel aux sentiments
intéressés, la mise à profit de nos doutes, rien
négligé.
n'est
une œuvre, de quelque faveur qu'elle
C'est
auprès des philosophes, aussi oratoire que philoso-
soit
phique. Elle est inquiétante, persuasive. L'Apologie de
Spinoza est rude, franche, évidente.
diffèrent aussi
veut
«
par
le
— L'une
et l'autre
but qu'elles se proposent. Spinoza
en montrant qu'elle n'a
raffermir la religion,
nul besoin des vaines parures de la superstition
il
réglementation de frontière entre la
fait la
la philosophie. Pascal tente
du
lecteur.
deux
les
Le fond des pensées
et
tout
ils
est
;
et
la conversion
bien près d'être
pour Pascal,
opposent
»
de deux âmes qui s'accordent.
la religion
plus qu'une croyance intellectuelle.
tacles,
foi
ces oppositions, on sent dans
Mais sous
livres l'accent
Pour Spinoza
proprement
^
le
même
le
est
même.
une
vie
Aux mêmes obs-
principe
:
l'àme avant
:
Spinoza
fut-il
chrétien? Les témoignages extérieurs
ne sont pas concordants. La réponse terrible à la provocation d'Albert Burgh, pour l'attirer au catholicisme-,
permet d'affirmer que non.
C'est
un chef-d'œuvre de
polémique serrée, où chaque mot porte
«
Provinciale
le Traité
h
».
de Théologie;
elle est
des arguments de combat.
1.
P. 235.
2.
Lett.
7G.
:
c'est
une
Mais la pensée est moins large que dans
subordonnée visiblement
«
Comment
savez-vous.
BENOIT DE SPINOZA.
126
(lit
Spinoza,
que votre
religion est la meilleure de
toutes? L'examen peut-il être jamais considéré
achevé? Seul, le vrai évident échappe
infinie.
traire,
«
à l'hésitation
Mais le Traité de Théologie montre, au con-
que la certitude mathématique peut
être
placée par l'adhésion morale, appuyée sur des
mais non complètement
pour l'entendement,
les autres,
mais qui
différent,
est,
«
rem-
signes
»
par eux. Spinoza se
justifiée
heurte surtout à TEucharistie, sacrement
«
scandaleux
»
par l'essence, de tous
à le bien voir, la pierre de
touche de la vie chrétienne.
qu'il
comme
C'est,
y a de plus inintelligible
dans la religion, ce
et ce qui est postulé le
plus nécessairement par la pratique. La connaissance
du
troisième genre ofTre, certes, à quelques élus la
possession intellectuelle de Dieu
admettre une
autre
;
communion,
mais ne
faut-il
comme
pas
le
croit
Spinoza, la vie religieuse est accessible à tous,
si la
si,
soumission peut remplacer la raison?
IX
Son ouvrage
fut
moins lu que
réfuté.
Il fit
scandale,
en Allemagne d'abord, plus encore qu'en Hollande
Dès son apparition, on
1.
Il
se donnait faussement
fit
contre lui, à Leipzig, des ha-
comme imprimé
à
Hambourg.
TRAITÉS DK TIIKOLOGH: ET
rangucs publiques';
POLITlOLf;.
1)K
et la tiadition se
'2'
]
garda dans
les
universités allemandes, à Tubingue, àléna,à Marbourg.
à Altdorf, à Francfort-sur-lOder,
à Kiel, à Ilerljorn, à
Rostock, à Greifswakl^, de réfuter Spinoza en
con-
le
fondant, au hasard, avec Jacob Boehme^, avec Hobbes
Cherbury*, avec
avec
les «
simplement,
les Cabljalistes'', ou, plus
déistes
»
qu'avait inventés le P. Mersenne''
après la publication de lEthique, on changea
souvent l'appellation» déiste
»
en attendant
—A
interdit
contre lui des
velt
pit
s.
panthéiste
«
dès
1671
«
et
un
:
Lettres à
»,
contre celle d'
T'trecht,
«
le
:
plus
athée
»,
le livre fut
certain
Jean Melchior
un ami'
», et
écrivit
Régner de Mans-
en prépara une réfutation que la mort interromMais cette opposition ne se changea en haine qu'a-
près la Révolution de
1672, au
moment de
l'atroce
réaction contre les républicains. L'appel à l'intolérance
vint d'un étranger, de Stoup
,
un homme qui
avait au-
paravant demandé l'amitié de Spinoza; Blijcnberg-
1.
Jac. Thomasius,
maître de Leibnitz,
le
et
l'r.
fut
Rappolt, 8 niai et
1" juin 1670.
2.
Voy. van der Linde, Bihlincjrajie van Sp., La Haye, 1871.
3.
Gust. Herwegh, Tr. quo... Bouinii
naturalismum
et
spinozismiDii
cndt. Leipzig, 1709.
4.
Chr. Kortholt,
Gerh.,
5.
I,
3i. Lett.
De tribus impostoribus magnis,
du 23
déc.
(?)
Kiel, 1680. Cf. Leibnilz,
1670.
Wachtcr, De recondita Ilebrxorum philosophia, 1706, ouvrage sur
lequel Leibnitz écrivit des notes.
6.
Velthuysen (van
VI..
Lett.
'j2,
p. 336). Leibnilz.
Op.
tlic'ol..
éd.
Du-
tens, I, p. 690.
7. J. M. V. D. M., Epistola ad amicum. 1671.
qua ad examen vocalur, Tr. Th.-PoL, 1672.
8.
—
Joh. Melchior. LpisioJa
Publiée après sa mort en 1674. Voy. Spinoza, Lettre 50.
BKNOIT DE SPINOZA.
128
le
premier à y répondre. En 1G73,
de Théo-
le Traité
logie fut interdit dans toutes les Provinces-Unies et ne
circula plus que sous des titres supposés. Frans Ku^"per
et,
•
avec plus de décision, Jean Bredenburg'2 essayèrent,
selon l'usage, de le défendre sous le couvert d'une réfu-
ou sociniens.
tation; ils furent accusés d'être athées,
Contre Spinoza se trouvèrent d'accord les voétiens-^
les coccéiens*, les labadistes^, les luthériens
tholiques
les juifs
'',
(Orobio de Castro)
comme
exégètes les plus libres,
hôte des
«
Collégiens
comme
Toutefois,
il
»
s,
et
même
Richard Simon ^,
de Rijnsburg,
un
et
—
ne pouvait manquer d'arriver en
nom
de
y eut des « spinozistes » comme il y avait
labadistes » ou des « galéniens ». Cette église
Spinoza.
((
les
le P. Poireti*^'.
Hollande, une petite secte se forma sous le
des
les ca-
6,
Il
minuscule eut son ère des persécutions, son âge théologique, ses confessions de
schisme. Les
1.
foi,
verschoristes
«
»
ses hérésies, son
Tinclinèrent vers le for-
Arcana Atheismi revelata, philosopliice
RoU., 1G76,
tiré
2.
Enervatio Tr. Th.-PoL
Saldenus, Olia théoL, 1684.
van
Het voorhof der Heidcnen...,
Saloni.
5.
Yvon, Impietas convicta, 1681.
6.
Spitzelius, Infelix liUeralor,
7.
Huet,
Til,
paradoxe
1,
refuiala,
563-635.
Rot., 1675.
4.
De
et
en partie d'Henri Morus. Op. ph.,
3.
grand
1690.
1675.
concoi'dia rritionis et fidei, 1690; Spinoza en attendait
la
—
le
luibUcation des 1676. Voy. Lett. 83, à Tschirnhausen (Saiss., p. 428);
r. Lanii,
Le ISoutel Athéisme renversé,
1696.
8.
Certamen philosophicum,
9.
L'inspiration des Livres Sacrés, 1687, omis dans
1684.
de van der Linde.
10.
Fondamenla
athris)ni eversa, 1685.
la Bibliographie
TRAITÉS
malismc;
(les
l)K
TlIliOLOfilE KT
DE POLITIQL'K.
dominés par linflucnce
les « hattéiiiistes »,
femmes, vers un mysticisme illuminé
tout ce
que
moi qui
129
:
«
Je crois que
je pense, dis, fais, et souffre, ce n'est pas
le fais,
mais celui qui
est
en moi... Je
crois qu'il
y a en moi une vie cachée, dans laquelle je vivais avant
de vivre...
que
et
.le
crois
que je
je ressusciterai
suis
quand
mort quand je
je
mourrai
K.. »
suis né,
Encore
aujourd'hui, on trouverait, paraît-il, à Rijnsburg ou à
La Haye, quelques douzaines de personnes qui gardent
le culte
de Spinoza et pensent se faire un privilège de
son nom. Ses vrais disciples ne sont pas
1.
là.
Credo rapporté par van der Linde {Sp., seine Lelire,
BENOIT
Di:
SPINOZA.
etc.,
18C2).
LE LIBERALISME AUTORITAIRE.
I.
Les opinions politiques de Spinoza sont exposées dans
deux
écrits, la fin
du Traité de Théologie
(1670) et le Traité de Politique,
et
de Politique'^
son dernier ouvrage,
interrompu par la mort (1677). Dans riutcrvallc eurent
lieu
événements de 1672, coup d'État
les
réaction cléricale,
blicains, substitution à
militaire,
ou massacre des chefs répu-
exil
Fancienne oligarchie fédérative
d'un gouvernement à tendances monarchiques
taires.
En 1670, Spinoza
du
doctrinal
une sorte de manifeste
fait
parti républicain
et uni-
;
en 1677,
il
donne des
avertissements au stathoudérat.
Comme
doctrinaire,
il
semble avoir tenu, avant
Révolution, un rôle presque
officiel.
eu pour auxiliaires deux publicistes,
Court,
le
1.
Ch. xvi-xx.
2.
La Prospérité de Lcyde
Hollande,
C'est,
o.
1(362.
les frères
chargés de développer, Pierre
économique 2, Jean
— Les
programme
la
Jean de Witt avait
le
programme
politique
(inédit jusqu'en 1845).
de la
^
du
— L'intérci
parti
de la
xxx sont de Jean de Witt lui-même.
bien avant A. Smith, un exposé de la théorie du libre-échange.
l(i()2.
cli.
xxix
Considérations sur lÉtal,
—
et
10(30.
—
Discours politiques (posthume),
Spinoza possédait ces deux livres [Uibl.,
p. 142 et 174).
—
Il cite
BENOIT DE SPINOZA.
132
républicain. Mais Jean de la
Court
mort, tout
était
jeune, en 1660. C'est Spinoza qui paraît avoir pris sa
place.
venu habiter aux environs de La Haye
était
Il
dès 1663, à la Haye
même
en 1669,
des savants cartésiens.
Il
était
entré dans
bourgmestre
sait,
accepta de lui une pension
de deux cents florins K Nous
le
il
du Grand Pensionnaire, ami, comme on
l'intimité
avec
et
savons aussi en rapports
le
cV Amsterdam,
son intime ami,
avec le Pensionnaire de Gorkum, Hugo Boxel-, avec
d'autres personnes d'importance, à qui
pour raisonner sur
les afTaires
de
il
l'État 3.
rendait visite
Il
passait
pour
prévoir assez bien le train c[ue prendraient les choses.
1676, Leibnitz, dans un voyage, vint le voir à La
En
Haye, lui
et Pierre
de la Court ^;
ils
ne s'entretinrent
que de politique. Le renom de bon poHtique
auquel Spinoza tenait
plice
il
aurait accepté le sup-
eux son nom''.
pohtique"^, à sa coutume, Spinoza invente peu,
premier [Tr. roi., vui, 31) sous
le
;
des frères de Witt, à condition cVùnmortaliser
comme
En
le plus
était celui
les initiales V. II.
(Van Hove, do
la
Court).
1.
Lucas, p. 67.
2.
Lettr. 51 à 5G.
3.
Séb. Korlliolt, Pré/'., ap. Chr. Kortholt,
De
trib. iinpost., 1700, cité
par Bavle.
4.
Lettre à l'abbé Gallois, et Théodicée. § 37G.
5.
Politici,
nomen affectabat... Cum Wittiis, amicis suis,
modo ylorix cursus foret sempilcrnus,
dilaccrari oplavit,
tholt, p. 6.
G.
Voy. sur
18G3
—
— Cf.
J.
;
Colerus, p. 25;
la politique
—
crudeliler
Séb. Kor-
Tr. Th.-PoL, Saiss., p. 335.
de Spinoza. J.-E. Horn, Sp. Staatslebre, Dresde,
— Kriegsmann, Die Redit unU Staalsl/ieorie Sp., Wandsbeck, 1878;
Hoir, Die Staatslehre Sp., Prague, 1895.
TRAITKS
niKOLO(;iK KT UK POLITlOli:.
I)i:
mais approfondit. On trouverait
éléments de sa
les
Thomas Morus, dans
théorie propre dans
dans Hobbes surtout ^ Le
«
De Cive
133
»,
Machiavel,
paru en 16i7
-,
réédite chez Elzévir en 1669, avait frappé les esprits.
posait pour la première fois le
Il
problème politique
dans ses vrais termes, opposés l'un à Fautre,
naturel, c'est-à-dire
individuel,
cest-à-dire le droit du souverain
le
contrat social,
mais
la solution était
et
;
le droit
grossière encore, inadmissible. Hobljes déchaînait l'a-
narchie pour appeler
absolu.
l'État,
Il
comme
établissait assez
sauveur un monarque
fermement
les
droits
de
spécialement en ce qui touche les choses sa-
crées, mais ses principes devaient être éclaircis
pour
ne pas fournir d'armes au parti césarien. On en pourrait faire sortir le libéralisme
bien entendu, en mon-
trant que, dans le conflit des passions humaines, la
paLx durable n'est pas
homme,
passionné
amenée par
comme
les
le
despotisme d'un
autres,
vraie liberté, c'est-à-dire par l'autorité
mais par
la
suprême de
la
raison.
Doit-on chercher un compromis entre le droit indivi-
duel
et le droit
de
l'État ?
Doit-on les subordonner l'un
à l'autre? La solution de Spinoza est plus hardie. Admet-
1.
Morus, Bibl.de Sp.,
Machiavel.
— Bibl., p.
Hobbes [De
p. 156.
144 et 172, cilé Tr. Vol., v, 7; x,
Cice), Bibl., p. 188.
Hobbes. Berlin, 1873.
— Gaul,
— Cilé Lett. 50. — V.
1.
Gaspary, Sp. v
Die Staatslehre v. Hobbes
u.
Sp.
—
G.
Lyon, La philosophie de Hobbes, Paris, 1893.
2.
Amsterdam.
peu d'exemplaires.
—
Une
V
éd. avait été tirée, à
Paris, en IGi2, à très
BENOIT DE SPIXOZA.
134-
tons-les tous les deux, sans restriction, et poussons-les
à l'extrême.
Allons d'abord jusqu'au bout du droit naturel de
l'individu
1,
car par quoi pourrions-nous le borner?
Soyons un instant indifférents aux sociétés humaines,
regardons la nature. Nous voyons
et
parce que
c'est leur
parce que
c'est leur nature.
hommes convoiter
ils
,
nature
;
les poissons nager,
gros manger les petits,
les
De même, nous voyons
les
acquérir tout ce qu'ils peuvent cjuand
;
n'ont pas la force, employer la rnse ou la prière
:
c'est
leur nature. Querelles, luttes, mensonges, et les passions
qui les produisent, et
des passions, sont des
de vivre
le désir
faits naturels.
c[ui est le
Un
fond
spectateur ex-
térieur, tel c[u'on suppose Dieu, n'y peut voir ni injustice, ni
péché.
mots de
droit,
de
loi
morale, de
Avoir
ignore tout cela.
quelque chose,
cache quelque mystère sous les
Si l'on
c'est
le
loi religieuse, la
droit
((
naturel
uniquement pouvoir
»
nature
de faire
le faire.
Tout
ce qu'on a pu vous prendre appartient, de droit naturel,
à celui qui vous
vous-même,
servir
vous
lui
restez,
vous,
l'a pris,
si
soit
quelqu'un a pu vous as-
par la force ou par
les Jjionfaits,
appartenez, de droit, aussi longtemps que vous
de corps ou d'àme, en son pouvoir. Révoltez-
vous pouvez.
— Cet état anarchique
raisonnable sans doute,
raison n'ont en vue que
la
et si
il
est naturel.
l'utilité
des
Les
hommes
n'est
lois
;
pas
de la
les lois
de
nature em])rassent l'ordre éternel du monde, dans
1.
Tr. Th.-l'oL,
cli.
xv.
— 7r.
Pol,
<li.
ii.
TRAITKS DE THÉOLOGIE ET
lequel riiomiiic est une petite pièce, mais
Le droit naturel
mencé son œuvre
sociétés?
aux
est-il
et
Non point;
collectivités.
comme deux
ils
se
lui.
aucun
le servir
A
que
hommes
les
est reculé;
trompent,
loi
ont
ils
'.
com-
fondé des
des individus,
il
passe
l'autre
-.
Ils
se
violent les traités,
suprême son propre
intérêt et
en tenant pour ennemi tout ce qui n'est
de choses,
cet état naturel
droit mystérieux à opposer,
il
ny
a encore
mais seulement
mieux compris.
raison, c'est-à-dire l'intérêt
dividus,
fin
aboli parce que la raison a
Deux États sont à l'égard l'un de
chacun ayant pour
pas
non une
individus dans l'état de nature
font la guerre,
pensant
il
135
l'OLITl^LE.
I)K
eux-mêmes, perdent-ils proprement dans
société leur droit naturel?
Non
encore.
S'ils
la
— Les inla
veulent se
réserver quelques droits, qu'ilsprennent des précautions
pour
et
les défendre, qu'ils créent
de franchises. Mais
apparent.
]>erté
S'ils
ils
un régime de privilèges
n'ont, à le faire,
raisonnent,
ils
qu'un intérêt
comprendront que
la li-
de chacun est bien moins protégée par ses propres
privilèges qu'aliénée par les privilèges des autres
ne raisonnent pas, l'expérience
le
;
s'ils
leur montrera à la
longue. Travailler raisonnablement à sa propre IDDcrté,
c'est travailler h réaliser l'égalité
de tous sous une
commune. Vous pouvez, au nom du
vous insurger contre
l'État,
loi
droit individuel,
au risque de vous briser
contre une force plus grande. Vous pouvez aussi, et bien
1.
2.
Tr. Th. -Vol., p. 271.
Tr. Pol..
ii\,
11.
136
BEXOIT DE SPINOZA.
plus justement, au
nom du même droit,
absolument à
la loi, afin
vous soumettre
de multiplier presque à lihfini
votre force par toutes celles qui seront d'harmonie avec
elle.
—
n'est
Il
pas question de devoir en cela. Les bases
de la société seraient plus fermes,
si
l'on
passionné; pour
Thomme
ne s'occupait
pour
pas de devoir. Loi civile, c'est contrainte
Ihomme
raisonnable, c'est condition
de liberté ce n'est devoir pour personne. Nous ne faisons
;
appel qu'au droit individuel
en son achèvement,
:
il
est
le droit d'être libre, c'est-à-dire d'agir selon la raison.
Passons au droit de
aussi, absolu
l'État
^
Il
faut le faire absolu, lui
mais non forcément monarchique.
au contraire, au nom du principe
doit préférer
im
même
C'est,
d'autorité qu'on
gouvernement oligarchique à la
mo-
narchie pure, parce que l'État aura plus de chances
d'avoir toujours à sa tête
un corps d'hommes
gents, vigoureux, sans minorité, sans vieillesse
préférer encore le
— Mais on doit
le souverain, c{uel cpi'il soit, tant qu'il
faut
admettre ceci
garde
plus absurde.
On ne peut
droit civil, ni droit religieux
:
le
même
a le droit d'ordonner ce qui lui plait,
le
il
gouvernement démocratique, seul
gouvernement absolu 2.
trouvera
;
intelli-
:
pouvoir,
ce qu'on
lui
opposer ni
qu'il puisse,
en tant que
souverain, commettre une injustice, ou
un péché,
cela
n'a pas de sens. Son droit n'est pas en question, mais
son pouvoir ou son intérêt. Peut-il faire tout ce qui lui
plaît sans risquer
1.
2.
de perdre
Tr. Th.-Foh, ch. xvi(fin).
Tr. Pol.,
VIII, 3, fin.
— Tr.
les sources
PoL, «h.
iii-v.
de son pouvoir?
TRAITKS
THEOLOGIE ET
1)K
I)K
iM
l'OLITIQlT..
Dire que j"ai le droit de faire de cette table tout
«
ce que je
veux, ce n'est pas dire que
même
cours ivre et nu, avec des
filles,
qui est la source de
sujets,
faut tenir
De
et si je
sur la place publi-
que, je ne peux pas prétendre garder
mes
—
»
monarchie
je suis souverain d'une
« si
droit
j'ai le
de faire qu'elle se mette à brouter Tberbe.
mon
compte des conditions de
le
respect de
pouvoir
». Il
^
humaine.
la nature
Je n'abuserai pas de la force, car la violence appelle la
violence; j'enchaînerai plutôt
mes
sujets par la recon-
naissance, par la crainte, par l'espérance ou quelque
autre passion. Et
comme il
s'en trouvera qui résisteront
à ces passions, j'aurai grand intérêt à ce qu'il se répande
des théories complaisantes, étabHssant.je suppose,
mon
:
parla, j'enchaînerai les intelligences elles-
mêmes. Mais
je ne puis faire que quelques-unes de ces
droit divin
^
intelligences n'arrivent à se libérer. Viendra
certains de
mais
les
prement
mon
mes
sujets n'accepteront plus
un jour où
leurs idées,
formeront eux-mêmes, c'est-à-dire seront prolibres. Je n'aurai plus
qu'un moyen de garder
pouvoir sur eux, gouverner selon la raison. C'est
ainsi qu'agir selon la raison devient
cessité
pour
l'État
comme pour
peu à peu une né-
l'individu,
non pas en
vertu d'une obligation morale, mais parce que
pour l'un
et
pour
conservation.
A
l'autre, la condition
la limite, le droit
même
suprême de
de leur
l'individu
et le droit absolu de l'État se trouvent d'accord.
1.
2.
Tr.Pol., IV,
i.
rr. Th.-Pol..
p.
38G-387.
c'est,
BEXOIT DE SPINOZA.
138
II
Telle est la théorie pure. Mais
pour bien des
esprits,
il
est
une question qui,
en obscurcira l'évidence,
la ques-
tion des rapports de la religion et de l'Etat. Nulle part
il
n'a été accumulé plus de fausses interprétations his-
toricpies, plus
On a
de sophismes.
lu d'abord la Bible sans critique et rien n'a été
si funeste.
Au
xvii^ siècle, le
gouvernement des Hébreux
plus actuel de tous, celui
est le
cj^ue
tout le
monde a en
vue, que plusieurs ont cru restaurer. Après les Gueux
du Taciturne, après
les soldats
Puritains d'Angleterre
peuple élu de
de Gustave- Adolphe,
se sont crus, de
Dieu, et se sont nourris,
bonne
foi,
les
le
à leur tour, de
la lecture meurtrière de l'Ancien Testament. Et c'est le
même
fanatisme cjue le clerg-é orangiste cherche à ra-
nimer en Hollande.
cjua été, chez
Il
importe donc de dire au juste ce
les Juifs, la théocratie, les conditions
elle s'est établie, les
où
causes de sa ruine ^
D'après les idées des Juifs, le peuple juif avait conclu
avec Dieu un pacte
de Dieu,
:
révélées
il
s'engageait à n'obéir qu'aux lois
formellement aux prophètes,
confirmées par des signes.
Il
de Dieu, ses ennemis étaient les ennemis de Dieu,
droits de l'État des
était
de la piété,
générale le droit
1.
commandements de
l'injustice
civil se
Tr. Th.-l'ol.. (h. x\ii et wiii.
et
devenait ainsi le royaume
les
Dieu, la justice
de l'impiété, d'une façon
confondait avec la religion.
TRAITKS
— En
fait,
l)K
ce ])acto
130
TIIKOLOGIE KT DK POLITIOL'E.
une sorte de démocratie,
ôtaljlissciit
où chacun obéissait également, non à un homme, mais
à Dieu, sans médiateur, où chacun avait le droit de
consulter Dieu, ce qui ne diffère pas essentiellement de
consulter sa raison.
— Une
seule fois, on admettait
qu'un médiateur eût été désigné par
consentement
le
général, Moïse, qui consultait Dieu, seul, dans sa tente;
il
avait transmis
successeur.
une
loi explicite et n'avait
pas eu de
— A l'époque historique, nous trouvons une
confédération de tribus, ayant en
commun
temple'.
le
Les chefs de tribu ont un pouvoir a])solu, sauf
cas
le
où un prophète a reçu de Dieu une mission spéciale
mais
si le
prophète n'a pas de signes,
est
il
;
condamné à
mort. Nous ne voyons pas qu'un tribunal pût juger les
chefs
s'ils
violaient la Loi. Ainsi les décrets formels de
Dieu ordonnaient d'exterminer
Siméon
les violèrent
:
Juda
et
en recevant des soumissions; cette
infraction fut blAmée,
ait
ennemis
les
mais nous ne voyons pas qu'on
appelé en jugement les deux tribus coupables.
La force de
cette constitution était
dans l'absence de
noblesse; dans l'armée sans mercenaires; dans la séparation de ceux qui interprétaient la loi et de ceux qui
l'exécutaient
:
le
chef évitant toute situation nouvelle
pour n'avoir pas à consulter
sance sans examen à la
1.
loi
;
le pontife;
dans
dans l'obéis-
la dévotion
pour
le sol
Le souverain pontife, qui y réside, n'a pas de pouvoir exécutif.
terprète la Loi,
comme
il
reçoit les réponses nouvelles de Dieu
Moïse, interroger Dieu quand
militaire.
il
veut;
il
-,
faut la
mais
il
11
ne peut
demande d'un
inj'as,
cliel"
BENOIT DE SPINOZA.
140
de la patrie
fane,
:
foiife
immonde
autre terre était
on condamnait à mort, mais on
dans Tamour pour
le
n'exilait
et
jamais;
compatriote et surtout dans la
haine débordante de l'étranger, amour
religion nourrissait inépuisablement.
cipe de dissolution, ce n'était pas,
et
haine que la
— Quant au prin-
comme on
prétend,
le caractère particulièrement séditieux de la race
nature ne
fait
pas des nations,
n'y a pas de races,
Nous
le
il
pro-
elle fait
n'y a que des
la
:
des individus;
mœurs
et des lois
il
*.
trouvons dans un texte curieux d'Ézéchiel. Le
prophète affirme que
mauvaises
lois,
les lois terribles
de Dieu sont de
imposées par Dieu pour se venger
Juif était accablé par l'idée d'un
2.
Le
péché originel, non
seulement de chaque individu en Adam, mais de la
nation qui, hormis les Lévites, avait tout entière adoré
le
veau
d'or. Les lois étaient des châtmients. Les privi-
lèges des Lévites, la nécessité de racheter les premiersnés, l'impôt par tête étaient
pour rappeler au peuple
son impureté primitive et sa réprobation. D'où la haine
contre les Lévites, les tentatives pour substituer des
cultes
nouveaux à ce culte qui, bien que divin,
était
ignominieux à la nation, l'appui demandé parles rois
aux faux prophètes,
les dissensions qui
lachute des deux royaumes.
1.
P. 302.
1.
«
amenèrent enfin
— Quant au second enqoire,
Je leur ai donné de mauvaises institutions et des lois qui ne laissent
à la nation aucune chance de durée; je les
sents, lorsqu'ils offraient
je voulais
consommer
(Ézéch., XX, 25).
ai
souillés de leurs propres pré
pour leurs péchés leurs premiers-nés, parce que
leur ruine et leur apprendre
que
je suis
Jéhova
»
TRAITKS DE TirKOLOdli: KT
l'OLITIOlF.
I)K
1
VI
son histoire se réduit à celle de lusurpatioii du pouvoiipolitique par les pontifes.
De
des Hébreux, la première conclusion à
l'histoire
tirer est qu'il est
impossible de rétablir la théocratie,
puisqu'elle suppose
un pacte formel avec Dieu,
Dieu a déclaré
ne
qu'il
La seconde
nation^.
ferait plus alliance
est le
danger que
et
que
avec aucune
fait
courir à la
religion le pouvoir politique des pontifes, qui, portés
à faire sans cesse de nouveaux décrets, multiplieront par
là les sectes; le
tes,
danger pour TÉtat des excès des prophè-
ou plutôt des gens qui, sans avoir reçu mission
expresse de Dieu, s'arrogent de trancher du juste et de
l'injuste
le
;
danger enfin
(l'allusion perce ici)
pour une
démocratie de se donner un gouvernement monarchique. Ce gouvernement fera de nouvelles lois qui empê-
cheront longtemps le peuple de reprendre ses droits; le
meurtre d'un
l'Etat sera
roi
ne
suffira
pas"; l'équilibre
môme
de
pour longtemps troublé. On peut trouver des
exemples récents de ces tentatives prétoriennes, tout
près de nous, en Hollande
l'on veut,
du comte de
arrête l'allusion au
lèvres le
1.
nom
même,
l'essai d'usurpation, si
Leicester^. Le
nom
moment même où
de celui qui
de Leicester
l'on a
est véritaljlement
La constitution des Hébreux ne convenait
sur les
désigné
d'ailleurs qu'à
^.
un peuple
séparé du reste du monde.
2.
Voy. dans \aiBibl. de Sp..
198,
une Histoire de la Restauradon de
Charles IL
3. P. ;315. Cf.
Tr. roi., ix,
l'i.
— Rob.
Dudley prétendit exercer
voir absolu, de 1586 à 1588. Voy. Grotius,
i.
Voy. une allusion plus directe,
p.
Anual. Bebjic, V,
278-279.
|>.
le
pou-
9i, fin.
BENOIT DE SPINOZA.
142
III
Les fausses raisons tirées de THistoire sainte écartées,
il
de déduire rationnellement les droits de
est aisé
Spinoza reprend
en matière religieuse.
gramme
(le
le
ici
républicain, tracé déjà par Grotius
^
l'État
:
pro-
liberté
la foi, soumission des actes extérieurs.
La soumission des actes doit être complète 2. On dira
la liberté d'agir de la liberté
on ne peut pas séparer
:
de
croire. Supprimez-les ensemble, ou bien admettez-les
toutes deux, et dans ce cas, admettez les actes qui dé-
coulent de la
foi,
les lois de l'État.
même
si
ces actes sont défendus par
— Cette opinion
sophismes. Voici le
premier
:
repose sur plusieurs
on s'imagine que la
reli-
gion peut acquérir force de droit autrement que par
le décret
de
elle-même.
violer
une
ne
l'État. Elle
Il
ne
loi,
suffit
que je
le
faire
ma
la
juge contraire à la raison, ni
1.
faut que je fasse par-
soit
la loi.
mon
En
attendant, je dois lui obéir,
sentiment; sinon je suis considéré à
De Imperio summanivi poiesladtm circa sacra,
de Sp.,
2.
Il
conviction au législateur, et que j'arrive à
changer
quel que
la raison
pas, pour que j'aie le droit de
contraire à la foi religieuse.
tager
peut pas plus que
p. 183).
Ch. XIX.
lCi7 (dans
la
Bibl.
TRAiTKS
1)011
i)K
thkol()(;ih:
droit coiniuc factieux.
kt dk iM)i.nioi
— Mais,
lui-môme qui donne force de
k.
vu
dit-on, c'est Dieu
commande-
droit à ses
hommes.
ments; sa volonté doit être préférée à celle des
—
1
Sans doute, mais, d'après l'Écriture,
les
prophètes
seuls peuvent passer outre les lois humaines, parce
dans
qu'ils savent,
circonstance particulière, la
telle
volonté formelle de Dieu. La savez-vous? Votre mission
a-t-elle
été confirmée par des
signes? Avez-vous le
pouvoir de faire des miracles? Sinon, vous êtes en présence de quelque chose de très obscur, les intérêts de
hommes.
Dieu, et de quelque chose de clair, l'intérêt des
commune aux
qui est dans l'obéissance
Vous ne pouvez pas pécher, en assurant
hommes.
« Si
à celui qui s'efforce de
neste
à
;
mais
la société,
l'appeler en
plus tenace.
On
porel
le
pouvoir dit
».
^.
»
a appelé
simplement politiques
entre
serait pieux,
il
jugement
,
et
un
c'est
est fu-
au contraire, de
— Voici enfin
«
bien des
reconnu que cela
était
s'il
le
l'État.
marracher ma
mon manteau,
tunique, j'abandonne encore
acte de piété
de
lois
spirituels
»
le
sophisme
le
des pouvoirs
on a imaginé une opposition
« spirituel » et le
pouvoir
«
tem-
Cette distinction n'existe pas. Administrer les
choses du culte, choisir les ministres, retrancher c|uel-
qu'un de la communauté des
fidèles,
pourvoir aux
besoins des pauvres, ce sont des attributions politiques.
En
certains États, elles sont réservées au
d'autres, elles sont partagées
1.
P. 320.
monarque
;
en
par un Concordat entre
BENOIT DK SPINOZA.
14i
souverain et la papauté. Mais
le
un
Concordat n'est
tel
pas conclu entre deux pouvoirs de nature différente.
La papauté
de
en cela, qu'un pouvoir politique,
n'est,
nous voyons que, par une
fait,
—
mesures,
par
rois d'être prêtres et
les
de prudentes
suite
célibat ecclésiastique,
le
et,
empêchant
de s'emparer du pouvoir du
clergé; par sa théologie compliquée, confondue avec la
philosophie et les sciences pour être inaccessible à
que
d'autres
de s'établir
les
âmes.
A
— l'Église a eu
les clercs,
comme
pouvoir politique que de convertir
ce pouvoir
aux autres, tant
des mots que de
autant de soin
nous donnons obéissance
qu'il se maintient,
le faire
mais
c'est
comme
abuser
d'essence supérieure, de con-
fondre l'autorité en matière politique avec l'autorité en
matière de
mais
le
foi.
La souveraineté
souverain
est,
est parfois partagée,
en tant que souverain, maître
absolu en matière religieuse pour tout ce qui n'est pas
la foi intérieure.
Quant à
peut
la foi intérieure,
la contraindre 1.
Les
aucun pouvoir politique ne
mêmes gens
qui réclament
aujourd'hui la liberté d'agir contre l'État, ont réclamé
autrefois,
par un abus contraire, l'appui de
violenter les consciences.
Ils l'ont
tenté
,
il
l'État
pour
y a cinquante
ans, quand, au synode de Dordrecht, les
théologiens
ont pensé imposer des croyances. Les bons citoyens se
1.
Cl). \.v.
TRAITKS DE TUÉOLOGIK FT DE POLITIQUE.
145
comme
Grotius,
sont soumis, jusqu'à la prison et à
comme
jusqu'à la mort
neveldt, mais
cœur
grand pensionnaire Bar-
le
pu ne pas
n'ont pas
ils
croyaient
ce qu'ils
l'exil
croire en leur
L'àme
véritablement.
irréductible. Si de pareils jours revenaient,
terait,
avec
auraient des
cessité
joie, le
lois
même
est
on accep-
martyre i. Quelle
stabilité
qui mettraient l'État dans la dure né-
de ne pouvoir tolérer d'hommes libres dans son
sein, des lois qui
ne sauraient être violées que par ceux
qui ont l'amour du bien et de la raison?
A
la liberté de la foi religieuse, la liberté de la phi-
losophie est
liée. Elles
parce qu'elles sont des
sont l'une et l'autre des droits,
faits.
Il
forme en moi une
se
croyance sur la façon dont je dois vivre
un jugement sur
les choses
et
il
forme
se
que je vois; je consentirais
à l'abdication la plus complète de ce cju'on appelle
volonté que ce serait encore ainsi. L'État
m'empêcher d'exprimer
térêt
de
l'État n'est
ce
liberté de
taine loi
tous. «
Si
répugne à
doit être,
pour
un citoyen démontre qu'une
s'il
d'établir et d'abolir les lois,
temps,
il
l'État le
n'agit
en rien contre
meilleur citoyen-'.
»
1.
P. 335. passage traduit par Renan,
2.
P. 330-331.
BEiNOIT DE Sl'INOZA.
hommes
l'État, c'est la
la saine raison, et qu'il
ce motif, abrogée,
Xouv.
soumet son
seul
et si,
l'État a
et.
cer-
pense qu'elle
il
senti-
appar-
pendant ce
la loi. celui-là est
Car
à
certes, l'in-
pas de transformer les
ment du jugement du souverain, auquel
tient
a-t-il intérêt
jugement? Non
raisonnables en automates; l'intérêt de
ma
dans
besoin des
d'kist. relig., p. 513.
10
BENOIT DE SPINOZA.
Ii6
lumières des citoyens autant que do leur soumission.
Qu'on
laisse dire à
chacun ce
qu'il croit devoir dire!
Les abus seront peu dangereux, les avantages immenses
,
car les opinions passiomiées se remplacent, l'idée rai-
sonnable demeure.
Mais on a essayé de faire croire que l'Etat a peur de
la
raison. Quelle fausseté
!
L'État n'a pas de plus sur
appui que la raison. Et qu'on ne prétende pas que ce
sont là des vues de l'esprit
il
:
suffît
de comparer aux
misères, voisines encore de nous, des querelles religieuses et politiques, la prospérité de la ville d'Ams-
terdam, où, tout en étant ouvertement divisés de sentiments, les citoyens de toute confession, de tout parti
savent collaborera C'est sur l'éloge de la grande ville
de
initiatrice
liberté,
que
se
termine
le
Traité de
Théologie et de Politique, vraie charte philosophique
d'un pays où chacun conmiençait à comprendre que la
liberté
de pensée ne ruine ni
la religion ni l'État,
qu'elle peut seule, au contraire, leur
mais
donner un solide
fondement.
Mais, deux ans après, l'œuvre républicaine était in-
terrompue
;
on revenait au temps du synode de Dor-
drecht. Tant de déceptions et tant de malheurs, Jean et
1.
L'ami de Spinoza,
rorde entre
p. 287.)
le
bourgmestre Hudde, avait su établir
Voéliens et Coccéiens.
(Lelt.
3
de SchuUer.
ap.
la
«on-
Stein,
TRAITÉS DE TIIÉOLOGIK ET DE POLITIOLE.
l'iT
Corneille de Witt assassinés, Pierre de la Court exilé,
Hugo Boxel
destitué, Spinoza
lui-même désigné aux
fureurs de la foulo, ne purent faire de Spinoza un
vais citoyen.
mau-
ne crut pouvoir se retirer ni dans Top-
Il
position, ni dans le silence.
appliqua son précepte
Il
qu'on doit aider de sa ])onne volonté et de son
intelli-
gence
même un gouvernement
n'était
pas de ceux qui jugent des formes politiques
qui vous déplaît.
par sympathie ou répugnance i. Dans
examine impartialement
litique, il
nouvel état de
les avanta-
même
point de perfection
Traité de Théologie. La théorie du droit na-
le
turel
de Po-
tirer.
Cet opuscule n'est pas au
que
le
humeur,
choses, et cherche, sans mauvaise
ges qu'on en peut
le Traite
Il
et
du
manière
droit de l'État s'y retrouve 2, en
d'introduction
,
non pas développée
,
mais
,
c'était le
danger pour Spinoza, exténuée, trop mise en forme,
trop déduite. Le
commence.
«
numérotage
L'argumentation
»
est,
des démonstrations
à la
vérité, plus
souple que dans Y Éthique, mais, sans être réduite à
un simple
squelette, elle est poussée
du point où
elle serait vivante.
un peu au
D'autre part,
encore des scories que la seconde main aurait
il
delà
reste
fait dis-
paraître, des antithèses à la Sénèque, des pensées justes
laissées sous
veillante
,
forme paradoxale, une interprétation bien-
mais hâtive, de Machiavel^.
1.
Tr. Pol., ch.
2.
Ch. II-V.
3.
V,
7.
I.
BEXOIT DE SPINOZA.
148
Venons à
Quel
la partie
est l'état
neuve du
Traité.
des P^o^dnces-Unies
,
en 1677? La mo-
narchie n'a pas été établie. Guillaume d'Orange n'a été
nommé
ni
duc de Gueldre ni comte de Hollande
,
;
il
est
simplement stathouder héréditaire, capitaine général
et
amiral de cinq provinces. Mais quelles seront les ten-
dances du nouveau régime ? Inclinera-t-il de plus en plus
vers la monarchie reviendra-t-il graduellement à l'an,
cienne oligarchie, ou bien ira-t-il par des voies nouvelles,
que l'ancien régime a préparées, vers la démocratie?
Considérons ces trois hypothèses.
Monarchie, Pérezius la montré
monarchie constitutionnelle
pour
la volonté éternelle
particulière^.
Il
du
,
la
roi.
ne peut signifier que
',
constitution
passant
supérieure à sa volonté
ne saurait être question dune monar-
chie à la française, simple oligarchie déguisée, car le
roi
ne peut
suffire à la peine, et les vrais
ce sont, aujt)urd'hui ses ministres
tresses ou ses favoris
points
divin
,
:
le roi
3.
—
Il
demain
ses maî-
faut s'entendre sur quelques
ne verra pas dans son hérédité un droit
mais uniquement un certain caractère d'éternité
donné à son élection*;
il
ne s'autorisera pas de ce qu'il
a été élu à cause de la guerre
pour
nement prétorien où l'armée seule
1.
,
gouvernants
Ant., Pérez. Jus
Amst., 1657,
2.
VII,
3.
VI, 5.
4.
VII, 25.
1.
cité
publicum
qiio
arcona
par Spinoza, Vlli, li.
établir
un gouver-
serait libre et tout le
et Jura
principis exponuntur.
TRAITKS
reste esclave';
secret d'État
2;
ces conditions
,
THKOLOGIE ET
1)K
il
il
le
POLITIQUE.
I)K
1 Vî)
irallég-ucra pas, à tout propos, le
A
n'épousera pas une étrangère 3.
régime monarchique peut
avantages, en ce qu'il est
le
offrir
des
plus propre à amener
l'égalité''.
Le roi devra abolir
derniers privilèges
les
de la
noblesse terrienne, les franchises municipales, créer
une armée exclusivement nationale sans solde
,
ciée
pendant
la paix, faire
Thomas Morus
,
certain
communisme
en se fondant sur
le
;
loyer"^.
pourra
il
agraire, genre
principe que le sol
immeubles sont censés appartenir au
et tous les
prend l'impôt comme
licen-
une répartition nouvelle des
citoyens, plus fragmentaire, plus égalitaire''
même introduire un
,
roi,
qui
La religion ne devra
pas être un principe de division
et
toute subvention
donnée aux cultes sera abolie". Les États de province
seront supprimés. Les États généraux deviendront, sous
le
nom de
puissante
Conseil du roi, une assemblée suprême, touteelle
:
exercera en corps le pouvoir législatif,
par commissions, l'exécutif
et,
choisira, sur des
1.
et le judiciaire.
membres du
Le roi
Conseil et
il
VII, 22.
2.
VII, 29.
3.
Huit mois après
épousa
la fille
VII, 18-20.
5.
Au
«
la publication
du duc d'York
4.
par
listes, les
du Traite de Politique, Guillaume
(15 nov. 1G771.
lieu de la division par provinces,
familles ».
Spinoza demande une division
:
chacun de ces group
milice et quatre ou cinq députés au Conseil
VI, t2;
7.
V, 40.
III
36; VII, 24.
Ce sont des groupes bien plus importants que ce qu'on
entend en général par familles
6.
—VI,
—VII,
8.
du
roi.
s
doit fournir
une
BENOIT DE SPINOZA,
150
pourra ajouter un appoint à la minorité
Il
,
rien de plus.
sera une sorte de président privilégié. Le Conseil
aura la tutelle des enfants du
roi et le droit
C'est en cette assemblée suprême,
et
de rég-ence.
non en
la per-
sonne du monarque, qu'est Fessence du gouvernement
unitaire.
— Une
dans l'histoire
monarchie n"a guère d'analogue
telle
Spinoza
:
cite pourtant,
non pas
la
monar-
chie anglaise, mais l'ancienne constitution du royaume
d'Aragon^, avec son Conseil suprême des Dix-Sept.
Par opposition à la monarchie, que sera la forme
pure de
tiel
:
l'aristocratie^? Faisons varier l'élément essen-
l'Assemblée suprême ne sera pas élue par un
monarque, mais
se renouvellera
par cooptation
ne sera pas unique. Le second point
tralisation,
Comme
c'est
dans
ordonné à
à la vraie
est capital
gouvernement unitaire tout
le
lil3erté,
décen-
gouvernement aristocratique.
tout le
l'égalité,
:
elle
;
était
sub-
dans celui-ci tout est subordonné
c'est-à-dire à la raison 3. Mais,
pour
rpi'en toute question l'opinion la plus raisonnable puisse
se faire jour,
il
faut de
nombreuses assemblées, com-
membres nombreux. Aucun gouvern'est simple, ni à bon marché*. Au gou-
posées chacune de
nement
libércJ
vernement unitaire on ne demande que des décisions
1.
vu,
'2.
Ch. Vlll, IX et X.
31.
3. VIII,
i.
Tilre;
VIII, 31.
—
—
VIII, 7.
En
1672,
élevés en Hollande qu'en
tesquieu
:
«
les
impôts et
la
dette publique étaient plus
aucun pays d'Europe.
C'est le principe de
Mon-
Règle générale, on peut lever des impôts plus forts à pro-
portion de la liberté des sujets.
»
TRAÎTÉS DE THÉOLOGnî ET DK POLIÏIQUK.
promptes,
rection
ol>éics
de tous;
le frein est le droit
Au gouvernement
i.
libéral,
—
ne
11
à l'insur-
on demande la dé-
cision la plus sage, la plus élaborée.
aucune révolution-.
151
Il
s'agirait
ne doit craindre
donc pas de res-
taurer purement et simplement l'ancien régime
mauvais, puisqu'il
est
on prétend, parce
bérer, mais parce
Il
tombé.
est
Il
il
était
tombé non comme
,
,
trop de temps à déli-
(pi'il ])assait
(pi'il
;
avait trop
peu de gouvernants'^.
faudrait éliminer les tendances monarchiques qui le
pervertissaient, renoncer à
une
capitale, laisser les villes
à peu près autonomes''', partager la fonction de grand
pensionnaire entre un collège de syndics-'. Le pouvoir
serait aussi divisé qu'il se pourrait
nombreux de
patriciens,
;
il
y aurait un corps
presque uniquement occupé à
g-ouverner le reste du pays.
On
lâchement possible dans
pouvoir central
admettre une armée
rait
le
laisserait le plus
stipendiée'^',
une
;
de re-
on pour-
église domi-
nante', la liberté de l'enseignement^.
A
ces deux types de gouvernement, la démocratie de-
vrait être préférée, car elle en réunit les avantages
Elle seule assure à la fois et concilie l'égalité et la
1.
IV, 6;
2.
Ch. X.
3.
IX, 14,
Ch. IX.
5.
VIII, 20.
6. VIII, 9.
fin.
—
En
1(572,
il
y avait dans l'armée levée par Jean de NVilt
des Suisses, des Allemands, des Danois, des Suédois.
VIII, 46.
8. VIII, 49.
9.
li-
— VII, 30.
4.
7.
'.
Ch. XI.
BENOIT DE SPINOZA.
152
berté. Elle participe de la
monarchie en ce que tous
citoyens sont égaux
étend le principe de Faristo-
cratie.
elle
;
en ce qu'ils sont tous gouvernants.
confiance dans le peuple K
démocratie est
tout le
:
vaient se mettre à les juger
mour
le « Traité
Que vaut ce Traité?
de Spinoza pour
monde
comme
Il
est alourdi
La
et
-.
hommes pou-
se jugent entre
ils
» est
l'a-
interrompu.
de démonstrations,
son grand défaut
est
défiance, et vraiment l'horreur
les idées générales l'ont ici
n'a rien
Il
l'être , si les
de Politicpie
de répétitions, de naïvetés,
d'être trop précis.
trompé.
électeur, tout le
rapport de rintelligence, et non de
le
3... Ici
Le principe propre de la
monde
femmes même pourraient
eux, sous
faut avoir
conditions déterminées par la loi
éKgiljle, clans les
Les
Il
les
pu
un peu
laisser à l'état de principe
:
le
«venu». Mais reporté à répocjue où Bos-
détail est trop
suet ne faisait encore, dans sa Politique % qu'un centon
de textes,
c'est
un morceau précieux de
politicjue appli-
quée, science délicate où doivent se doser avec justesse
l'empirique, le rationnel et le praticj[ue.
de trouver des
institution
politiques
est
où
lois,
Il
ne
s'agit
pour déterminer qu'en
soi telle
bonne ou mauvaise, mais des
cette institution entre
pas
ti/pes
ou n'entre pas natu-
rellement. De ces types, lequel préférer? Spinoza a mis
en lumière
1.
la
maxime qui
doit guider le choix.
Il
a dé-
VII, 72.
2.
XI, 1-2.
3.
XI,
/i.
Politique tirée des propres paroles de l'hcriture Sainlr, 1G79.
4.
TRAITÉS DE THÉOLOGIE ET DE POLITIQUE.
fini
une attitude politique vrainiont
peut l'appeler
dun nom
apparence,
«
formule
le
pliiiosopliiquo.
153
On
qui n'est contradictoire qu'en
libéralisme autoritaire »; elle a pour
ce n'est qu'en donnant un pouvoir sans
limite
à la raison, qu'on peut fonder la liberté.
:
CHAPITRE VU
L'ÉTHIQUE
INTRODUCTIOA
VÉthique de Spinoza résunio tous
vrages, les achève, les dépasse,
et,
ses
autres ou-
en une certaine me-
sure aussi, les compromet. C'est un livre justement populaire, bien qu'on Tait souvent admiré
C'est
pour
ses défauts.
une œuvre philosophique de premier ordre, qui
en grande partie manquée.
est
Elle n'a pas été écrite
pour
les
pour le
puljlic,
mais on peut dire
gens du métier, pouf un petit cercle de doctes
Ce cercle, nous pouvons, en partie,
saisissons l'existence, vers 1670
le reconstituer.
ou 1680, entre
la
'.
Nous
Hol-
lande, l'Angleterre et la France, d'une sorte de franc-
maçonnerie philosophique
lettres
mômes de
pour y entrer,
le secret
nication des doctrines.
1
.
c<
Quand on
:
nous devinons, par
qu'on gardait dans la
A
commu-
Londres, Boyle, Oldenburg",
s'attache à enchaîner ses raisonnements et à disposer ses
définitions dans l'ordre le plus convenable à la liaison des idées,
plus que pour
les
Spinoza, les démarches qu'on faisait
les doctes,
àla masse de l'humanité.
pour un nombre d'individus
»
on
n'écrit
très petit par rapport
{Tr. Th. pol., éd.Saiss., p. 138.)
BENOIT DE SPINOZA.
156
Collins
à
Paris
membres de
d'autres
et
Huygeiis
,
Leibnitz
,
de l'Académie des sciences
';
Société Royale
la
quelques
et
;
membres
en Hollande, un ou deux
professeurs, Graevius et Velthuysen, le bourgmestre
Hudde. Pierre de
la Court,
de Spinoza
liers
:
deux autres amis singu-
médecin allemand Schuller
le
Jarigh Jelles, d'autres Allemands
et
Bresser, Kraft, Bec-
:
cher, le savant libraire Rieuwerts. le danois Mohr, qui
un manuscrit de
possédait
— nous voyons
Descartes,
ces personnes, les unes par les autres, en relation entre
en relation avec Spinoza. En 1675, Schuller
elles, et
un jeune homme allemand
introduisit dans la société
comte de Tschirnhausen^,
épris de philosophie, le
obtint
pour
lui
communication de YEthique qui
peu près achevée. Ce jeune homme passa de
alors à
à Londres et à Paris;
là
deur
qui
dun
disciple.
Il fît
il
y célébra Spinoza avec
pourrait la
part de YEthique à Oldenburg,
Leilniitz,
communiquer
«
les sciences et les questions
et
demanda
à cet
homme
de morale
à Spinoza
très versé
:
«
s'il
dé-
Spinoza
Je crois connaître ce Lijbnitz par des lettres.
était conseiller à Francfort; je
est Paris. Je
»;
il
dans
et tout à fait
gagé des préjugés vulgaires des théologiens^
répondit
l'ar-
d'en distribuer quelques exemplaires^;
offrit
en parla aussi à
Il
et
était
ne
ne tiens pas à ce qu'on
sais
lui
pas pourquoi
communique mes
1.
Fondée en
2.
Ehrenfried Wallher von Tsrliiriihausen, seigneur de KissingswalJe
KKîG.
Slolzenberg.
3.
LeU.
62.— V.
VI,
II, p.
389.
—V.
VI,
II, p.
407.
4. Lell. 70.
il
et
LÉTHIQLE.
écrits
'.
» Lcibiiitz,
1Ô7
toutefois, vit l'Étliiquc,
1
aniiôc sui-
vante, entre les mains de Spinoza lui-même, puis,
après,
quelle
(lès
fut éditée
il
.
reeut de
un an
SchuUer un
exemplaire tout neuf'.
VEl/iique fut composée entre
(1670)^
fjie
dans
morale qui
phie.
serait
En 1665.
que ou
Spinoza
avait
conçu une
l'aboutissant de toute la philoso-
songe déjà à réformer sa petite Éthi-
il
Court Traité
«
de l'héolo-
Traité de Politique (1C77). Dès lOOl.
et le
De Emendatione,
le
le Traité
en
»,
dement une métaphysique
lui
donnant pour fon-
une physique
et
^.
En 1670.
ajoute à son plan une politique 5. L'ouvrage fut écrit
il
pendant
les
En
cinq années troublées qui suivirent.
juillet 1675,
il
était
prêt pour l'impression. Spinoza
avait retranché de l'exposé de sa doctrine la politique,
physique
la
1.
et la
se réservait
il
;
de
les traiter
V. Leibnilz, Gesprùch mit Tscliirnliaus ùbcr Sp. Elhih (ap. Stein,
Leib.u. Sp.,i). 282
2.
logique
.
— Lettre
70 et 72.
Lettres de SchuUer, 31 déc. 1677 '25 janv. 1078) ap. Stein., p. 290 et
291).
3.
Elle contient une allusion au
pourquoi quiconque cherche
«
Traité de Théologie
les véritables
», I .\pp.
aussitôt pour hérétique et pour impie et proclamé tel par les
le
vulgaire adore
i.
comme
les interprètes
Lett. 27 à Blyenberg (3 juin
—
Quant à
la
démonstration dont
(1661^, c'est celle qui est
.">.
«
Quelle est
notre tin?
la règle
Comment
il
donnée dans
de Dieu.
quae, ut cuivis nolum,
se rapporte à la petite Éthique.
Appendice
de conduite qui nous
l'État y trouve-t-il
hommes que
— L'allu.sion de la Lett. 23 '18 mars
est question
1
C'est
«
»
Elhices...
l(;(j5)
Metaphysica et P/tysica fundari débet.
665) in mea Ethica {necdum édita),
:
causes des miracles... est tenu
est
dans
les
Lettres
t
à
i
I.
imposée pour atteindre
son plus sur fondement.^ Ce sont là
des questions qui embrassent l'AY/uf/îte tout entière. »{Tr. Th. pol. ,ch. IV,
Saiss.. p. 118).
— Lisez toute
la
page qui précède.
BENOIT DE SPINOZA.
158
séparément
La métaphysique seule
i.
était conservée.
Nous savons, par l'entretien de Leibnitz avec Tschirnhausen^, que la rédaction de 1675
pour
était différente,
Tordre, de celle que nous avons. Elle comprenait d'a-
bord deux parties métaphysiques
— puis
De l'Ame ;
le
d'homme
—
Médecine de ïâme.
L'auteur porta
le
livre qui,
atliée,
que
les théologiens
si
der l'édition 3.
nom
Il
»
;
le libraire
non
s'émurent
mêmc^
:
car
»
ils
:
un
livre
poussèrent
se décida à retar-
anonyme, pour que son
est
il
:
bien secondés par
si
que Spinoza
la voulait faire
plus,
la
Rieuwerts;
coup sur un
était à
ne nuisit pas à son ouvrage, pour
servit pas
De
parfait enfin le détail
hauts cris et furent
stupides cartésiens
«
III.
suait sous la presse
venant de Spinoza,
d'avance de
de
((
:
II.
Médecine du corps.
V.
manuscrit chez
mais à peine apprit-on que
—
De Dieu.
principe de la morale
Béatitude, ou de lidée
IV.
\.
:
ne
qu'il
lui
dans V Ethique
écrit
celui qui veut le salut de ses semblables pro-
pose sa doctrine, mais n'y attache pas son nom.
Pendant
sa mort,
1.
les ^ingt
il
Il
V. Lettres 59 et GO (janvier 1675). É(/i.,U. 40,
VII, se.; IV, 37, se. 2.
pour conduire
«
mois qui s'écoulèrent de
remania son manuscrit.
—
la raison
Tschirnliausen
dans
la
demande
là jusqu'à
en élagua cer-
se.
1.
— Cf.
à Spinoza sa
II,
«
découverte des vérités inconnues
Lemme
Méthode
»,
et ses
Principes généraux de Physique». Spinoza répond que cesdeux écrits ne
sont pas encore
2.
«
Gesprûch...
conscripta in ordine
». (Letl.
etc., ap. (Stein p. 282).
Oldenburg [août
3.
Lett. 68, à
4.
IV. App. ch. 25.
1675).
59 et 60.)
l'ktiiiolk.
ir>9
taines considérations sur la transmigTation des àmcsi,
sur
du
le rôle
prement à
la
Mais le coup de g-énie fut de
^.
séparer du second livre, dont
suite naturelle, le livre
à
la fin
il
semljle
pourtant
de la Béatitude, de
le
la
mettre
de l'ouvrage, de l'opposer aux deux livres sur
les Passions et
De
qui se rapportait pro-
Clirist -, et tout ce
médecine
de donner à chacun son vrai
Vhomme.
la Servitude de
—
V.
Avant d'examiner chacun des
De
nom
:
IV.
la Liberté.
que penser de
livres,
composition d'ensemble de l'ouvrage? Tout n'est pas
la
envahi par la forme géométrique. Près d'une moitié
— une
centaine de pages sur deux cent trente
—
est
occupée par des préfaces, des appendices et surtout de
long"S scolies
;
cette partie est
en
style
simplement phi-
losophique.
Un
«
fait
même
annotations
1.
»,
est frappant.
bien que dispersées, l'Appendice de la
Gesprûcli... etc.,
]).
'!S:!.
cité par Leibnitz. Réf. inéd.
2.
Gespràch...
3.
V. Etii. V. Préf.
Médecine ou
la
Quelques-unes de ces
Cf.
Wachter {De recondita Hebr.
V. pourtant iY/^ IV, 48,
p. 283.
:
—
de Sp., éd. F. de Careil
«
Logique.
(t86'2), p.
se.
vers
pli.)
211-212.
la (in.
Cela n'est pas dans notre sujet, et rentre dans
»
—
Ce serait une question d'examiner
que pourrait avoir Spinoza dans
le livre
de Tschirniiausen, Medicina
mentis, sive ais inveniendi prxcepta generalia, Anist,. 1G89
1695 avec, en plus, Medicina corporis).
bliothèque de l'Académie de Leyde.
l;i
la part
Un exemplaire
(2 éd. Leips.,
s'en trouve à la bi-
BENOIT DE SPINOZA.
160
1" partie, la Préface de la 1Y^ deux ou trois scolies
semblent se suivre entre
Tune à
Et à les lire
l'autre-.
on y découvre
de
elles, et,
renvoient de
de suite attentivement,
morceaux d'une
les
fait,
',
sorte de logique,
logique concrète, ayant pour but de chercher Forigine
mentale des erreurs, et
telle
que Spinoza l'annonçait
dans le De E7nendatione^, la promet dans Y Éthique
même
En mettant bout
^.
vraiment
rait
pher
la
préparation de l'Ethique,
en premier
est,
à bout ces morceaux, on au-
usage de ces deux
que des mots
l'Homme passeront pour
une
fois
c'est
tels
le
véritable
que
l'Être
quelque chose
signifier
une imagination plus funeste que
est
se disputera
outils à forger des idoles, l'abstrac-
tion et le langage, tant
il
— On
que chacun n'aura pas éprouvé
tant
fin,
philoso-
désapprendre.
lieu,
Voici quelle en serait la substance.
sans
si
^.
ou
Mais
les autres, qui,
entrée dans l'esprit, le corrompt tout entier
:
de supposer, de façon avouée ou intime, que nous
sommes causes
finales dans la
nature.
On
bien comment se développe cette illusion
voit assez
ignorance
:
primitive des lois naturelles, habitude utile de consi(2«
partie);
1.
II,
40, se.
2.
La
Préf. de la partie
la Pr. IV, 37
3.
De
1
II,
47, se. (2* partie); III, 29, se.; IV, 37, se.
IV renvoie à
renvoie à l'App. et au
Ein., trad. Saiss.. p. 289
de procéder avec ordre dans
la
:
«
se.
l'App. de la Partie
I.
—
Le
se.
de
III, 29.
Quant aux raisons qui nous empêchent
recherche de
la
nature, ce sont d'abord les
préjugés dont nous examinerons les causes plus lard dans notre Philosopiiie.»
i.
que
Etii.,
les «
U,
40, se.
notions
1,
où
à propos
communes
»,
de l'origine de toutes les autres notions
Spinoza dit
Traité cet ordre de considérations. »
5.
II,
40, et 47, se.
:
«
J'ai
destiné à un autre
Kil
LITlIiyLE.
ce
(Icrer
nous
(j[ui
moyens, hypothèse
ces
entoure
comme un
liardic d'un
système de
Dieu qui aurait (Hsposé
moyens en vue de notre commodité
quand
puis,
;
se
présentent des choses nuisibles, pour sauver l'hypothèse
à tout prix, supposition désespérée
dune
colère divine,
prières, conjurations et, en dernier recours, mystère.
Le tout
est
d'une évidente absurdité.
supposer que Dieu poursuive une
une chose dont
il
est
est puéril
Il
désire
fin, c'est-à-dii'c
privée Le mal n'a pas
J)esoin
un pur
d'être expliqué, parce qu'il n'existe pas. C'est
jeu de métaphysique de mettre d'abord dans
de
les choses
beauté ou laideur, ordre ou confusion, perfection ou
imperfection, bien ou mal, puis de ne savoir plus com-
ment
les expliquer.
Hugo Boxel
choses aient en soi leur beauté.
rable, la plus belle
effroyable,
seront
si
si
veut, de force, que les
<(
Mais,
homme
admi-
main du monde vous semblerait
vous la voyiez au microscope ^1
charmés par
musique,
la
qu'ils
cevoir l'harmonie des sphères célestes
»
D'autres
voudront per-
^1
D'une façon
générale, les mots de perfection ou de bien n'ont de
sens que pour l'homme
lection sont la
rite et
même
péché, justice
dans la nature, réalité
et
per-
chose^. Quant aux termes de
mé-
:
et injustice, ils
pliquer qu'à l'homme en société
1.
Spinoza discute
digence
» et
de
« fin
V-VI,
•1.
Lett. 53,
3.
I,
4.
IV, Préf.
5.
IV, p. 37, se.
la di.slinclion
d'assimilation
II,
p. 370.
—
scolaslique de
» (I.
ne peuvent s'ap-
^.
« fin
poursuivie par in-
App.).
Cf. Lelt.
32 à 01denburg{I6G5).
App.
BENOIT DE SPINOZA.
11
BENOIT DE SPINOZA.
162
même
nous trouvons la
scolies,
que toujours en vue
les autres
façon. Spinoza y a pres-
ou
les opinions vulgaires,
parmi
sont répandues
Dans
est alerte et ironique.
La discussion
les philosophes.
celles qui
en donne une
Il
expression brève et les rejette, tantôt avec une pointe
d'impatience
1
tantôt d'un air de hauteur-.
,
On
non
sent
pas le métaphysicien systématique qu'on a voulu voir, ni,
comme on a
grand
par paradoxe, un compilateur^, mais un
dit
a pris, par l'habitude de
liseur, qui
des développements
goût pour la sobriété
le
,
lire, le
du
excessive, de la pensée et
style. Il
dédain
même
,
condense en quel-
ques lignes pressées la matière de livres entiers;
résume
propres écrits.
ses
De Emendatione
,
lettre à Meyer",
ciens
1.
Que
«
les faiseurs
la vie
;
il
utilise ses
an
des bètes...
s'ils le
veulent, des choses
détestent à leur gré, que les mélancoli-
»,
IV, 3i. se.
siège de l'âme prêtent à rire
ou font
pitié »,
35, se.
M. Freudenthal.
4.
Une
5.
IV, 37, se.
6.
I,
seule fois
de Théologie
8.
9.
se contente d'y renvoyer,
I,
l«,»,
se.
— Voy. aussi
I,
Co(jit(ila
17, se.
yeux de l'âme
((
dans
I,
App.,
Saiss.. p. ^2,
».
sur
— Le
le «
Chien constellation céleste
mol du Tr. Th. pol. sur
poule
démon
les «
Tr. Th. pol., Saiss., p. 247. l'uh., V.
Je viens d'entendre crier à un
la
une allusion au «Traité
».
Le mot des
114; tlh.,
tions,
il
15, se.
7. II, 17, se.
«
de satires se moquent,
les théologiens les
3.
II,
''
vulgaires au besoin-', prises
Il
Ceux qui parlent du
«
à Balling-
lettre
d'observations,
ques vantent
II,
Principes de Desca?'t€s^, Politique^,
comme documents, un grand
humaines, que
2.
il
Cogitata,
ajoute,
mots^.
nombre
Court Traité^
voisin
!
»
II,
homme
47, se.
:
«
Ma maison
Cog.,
».
démonstra>;?,
s'est
se.
envolée
163
L'ÉTJIiyLE.
dans
la
couranto,
vie
description
osée do
si
qu'on vou-
et
rappelle des anecdotes
Il
même
des proverbes-'. On a
cite
souvent'
fines
drait moins sommaires.
2,
il
voulu voir, dans sa
la jalousie*, la notation d'une
expérience personnelle^^; on pourrait plus justement
remarquer
les faits
aime à prendre
qu'il
ses
comparaisons dans
de rêves ou de somnandjulismc
''.
Tout est écrit
mot par mot, sans remplissage. On devine en
ce philo-
sophe un tempérament littéraire bien défini, qu'on serait
tenté d'appeler
naturaliste
«
»
ces trois caractères essentiels
faits et
en faisant exprimer au mot
g-oùt
:
du
positif
dans les idées affirmation que tout
;
est
dans les
également
intéressant"; ironie, ou horreur de tout sentiment de pitié ^.
1.
Pourquoi on ne plaint pas
Comment
les
enfants d'être des enfants, V,
6, se.
des jeunes gens s'engagent au service militaire en pensant punir
leurs parents, VI, App., 13.
2.
L'amnésie singulière d'un poète espagnol, IV, 39,
nèque, IV, 20,
se.
— Cf. Lelt.
prise dans Plinele J., Lett. XVII, CL, 20 [Bihliotli
3.
«
mente
Ce qui aaît aisément périt de même...
sa science
augmente ses douleurs
—
ibid. (Cf. Lett. 58).
4.
»
11, se.
IV. 57, se.
—
«
p.
192;.
Qui aug-
— Video meliora...,
57, se.
le
souci de précision, ou,
somnamhuU
Ulsunt ea qux
part des passions (IV, 39,
maladies mentales.
VanVlot,
II, p.
III. Préf.
:
.se.)
Il était,
in
somniis
(III, 2,
allons
Pour Spi-
(111, 2(;, se.) et la
plu-
sont des sortes de somnambulismes, ou de
lui-même, sujet aux hallucinations
(Lett. 17,
246-247).
«
connaissance a
Il
a(/uiit...,Ul, 2, se.
sc), l'orgueil
Les passions ont des propriétés déterminées tout aussi
dignes d'être connues que les propriété? de
8. «
comme nous
de Spinoza.
noza, la croyance au libre arbitre
la
de sp., Pl.leJ.,
», I,
Voy. un autre proverbe. IV,
que
faut voir
dire, le « naturalisme
7.
La mort de Sé-
111. 35, se.
ô. 11 n'y
6.
»,
se.
une anecdote sur Thaïes
44, à Jarigh Jelles,
le
faut venir
privilège de
telle
nous charmer.
ou
telle
autre chose dont
»
au secours des autres, non par une vaine
pitié
de
BEXOIT DE SPIXOZA.
164
En résumé, dans la
partie
déjà la concision excessive
d'haleine
mais du moins,
;
non géométrique, on trouve
les propositions importantes
ne sont pas encore détachées,
le vif; elles restent
comme découpées
et
écrite
Théologie,
ou
dans
entourées d'un certain développe-
ment^. On peut se représenter par
YÈthique
manque
la sécheresse, le
,
même
de la
même
là ce qu'aurait été
façon que le Traité de
dans un style plus serré, mais
encore vivant.
II
Venons au gros de l'ouvrage, c'est-à-dire à
purement géométrique, aux propositions
et
la partie
démonstra-
tions.
On
ment
qu'elle enlève à l'ouvrage toute valeur littéraire
doit dire de la
forme géométrique, non seule-
mais qu'elle en compromet gravement la valeur philosophique.
Elle n'est
que
le
développement extrême du principe
de l'argumentation scolastique.
Il
est aisé
de s'apercevoir que, dans une controverse,
femme..., mais par l'ordre seul de
la raison... »
larmes, les sanf;lols, tous ces signes d'une
2). «
La
pitié
de femme que sur
la saine
Rien ne serait plus
facile
1.
loi
qui défend de tuer les
lions à démontrer séparément
perfection n'ôte
àiiie
animaux
raison
JU, dern. sc.,fin)«... les
impuissante...
» (VI, 37, se.
que de trouver, dans
:
par exemple dans
[las l'existence, elle la
fonde.
» (IV, 45, se.
est fondée bien plus sur
»
une
1).
les scolies,
le scolie 1,
des i>roposi11, 2
:
a
La
165
i/ktiiique.
tout ce qui est dit n'est pas également fort, et qu'une
amener
l)onnc part est destinée à
])aux, à les faire agréer,
quences. De là vient ridée,
ces
d'extraire
les
arguments prinei-
ou à en développer
arguments
si
les consé-
l'on s'adresse à des doctes,
les
et de;
mettre en forme,
c'est-à-dire de les dépouiller de tout ce qui ne servait
que de préparation ou d'explication. Les scolastiques
usaient jusqu'à l'abus de ce procédé, mais, à cause de
la théorie
du syllogisme,
du raisonnement
marche
assujétissaient la
ils
un rythme constamment
à
ternaire, ce
qui laissait subsister encore des propositions inutiles.
On pouvait rompre
les
ce
rythme
et
simplement juxtaposer
propositions dans leur enchaînement logique.
C'est ce
qu'avait fait une fois Descartes, pour résumer sa réponse
aux
«
Secondes Objections
».
Spinoza qui, dans
le
Court
Traité et jusque dans certains scolies de Y EtInqupA,
était
encore
tenté
par
la
forme
scolastique,
avait
adopté sa nouvelle forme pour envoyer ses démonstrations à ceux de ses amis qui étaient déjà
au courant
de sa doctrine, à Oldenburg, à Jean Hudde. Mais
nouveau
et
forme un livre tout
était
entier.
Un premier danger
avec la
il
dangereux d'entreprendre d'écrire sous cette
était d'être
trompé par l'analogie
méthode des géomètres. Spinoza prétend bien
y échapper.
fondamentale
veut laisser subsister une distinction
Il
:
sa métaphysique a de
commun
avec la
géométrie certains caractères extérieurs, l'impassibilité
1.
Par ex.
I,
8, se. 2
'i"
pari/.
—II,
11, tiém.
Sel
3.
BENOIT DE SPINOZA.
166
devant l'objet^, la prétention de forcer la conviction
unanime-, mais
lui
en
elle
en ce qu'elle atteint
,
diffère essentiellement, d'après
même et non des
le réel
idéales construites dans l'espace
^.
Il
figures
répète que ses défi-
nitions ne sont pas des définitions géométriques mais des
définitions de choses'^. Et cependant,
il
ne paraît pas
avoir évité complètement la confusion. Bien qu'il refuse
d'assimiler le réel au donné géométrique,
il fait
cesse de l'un à l'autre des comparaisons, qui,
,
quer à;
faire
même
prétend
il
de ses définitions
le
usage que des définitions géométriques, avec les-
quelles elles n'ont aucun rapport.
les
cette
ne peuvent rien expli-
assimilation n'est pas admise
et surtout,
si
sans
les place,
Il
comme
géomètres, avant la suite des propositions, alors
qu'elles sont elles-mêmes de vraies propositions, plus
A moins
pleines encore que les autres.
pour axiomes,
comme il
c'est
le
a
fallait les
il
fini
de les donner
placer non pas en tête, mais,
par s'en apercevoir^, tout à la
se tromper sur
les
fin.
Sinon,
mots, c'est vouloir transporter
cadre de la géométrie là où
il
n'a que faire.
Mais l'irrémédiable défaut de cette méthode est de
présenter les propositions nues, sans y joindre d'explication naturelle.
Quand on
connaît pas votre doctrine,
1.
III, Préf.
2
I,
s'adresse à
quand
il
un lecteur qui ne
ne
s'agit
pas de la
App., Saiss., p. 44.
3. Lelt. 83.
à Tschiriihausen,
4. Lelt. 4 (1CG1),
17, se.
5.
I,
6.
III,
App.
;
—
9
(16(13),
II, 8. se.
;
34
(IfifiG),
83(1676).
—
II, iO,
SC.
'.i;
—IV,
57, SC, clc.
l'ktiiioi
167
i:.
résumer, mais bien de Texposer, se borner à annoncer
des
ou des
thèses
de conclusions
sortes
faire ensuite le discours
coup sûr,
c'est s'exposer, à
,
ne pas
et
quelque intelligence qu'on prête au lecteur, à n'être
pas compris. Et renqilacer
monstrations
»
n'est pas
démonstrations dans F
par des
«
dé-
— Que valent
les
les explications
un remède.
Éthique »? D'abord, elles
«
ne sont pas toujours topiques. Plusieurs s'appliquent
mal, ayant probablement été faites après coup. Ainsi
la Proposition
5, a
l,
pour sens nécessaire
«
:
peut pas y avoir deux substances identiques
»,
Il
ne
et sa
ne peut pas y avoir deux
démonstration établit qu'
« il
substances difierentes^
Plus souvent encore, les dé-
».
monstrations sont embarrassées
faire
:
appel à des axiomes auxiliaires.
selon les
cas,
les
besoin de
elles ont
Il
arrive
même que,
axiomes soient tout opposés. Pour
prouver que deux substances absolument différentes ne
peuvent pas se produire l'une l'autre, on admettra
l'axiome
:
deux choses nayant rien de
commun
ne peu{^
vent être cause
et effet
gence divine n'a
~
;
et
aucun
pour prouver
rapport
avec
cjue l'intelli-
l'intelligence
humaine, on s'appuiera sur l'axiome formellement contraire
:
la cause n'a rien de
commun
avec son
effet -^
—
Ces axiomes, en d'autres cas, sont intercalés parmi les
autres,
1.
démontrés
Uc même
I,
31
I,
6.
3.
I,
17, se.
—Cf.
des propositions
où l'énoncé prend
sens, la démonstration
2.
comme
dans un autre.
Lelt.Cli (lOTJ).
le
mot
«
;
ils
enlendcnienl
»
inter-
dans un
BENOIT DE SPIXOZA.
168
ainsi l'ordre des propositions essentielles et
rompent
même
peuvent
introduire de graves confusions.
sieurs reprises, par exemple,
axiomes
:
La connaissance de
i.
plu-
appel à deux
est fait
il
A
la
cause précède la connaissance de
l'effet
(T, ax.,4).
La connexion des idées
2.
même que
est la
connexion des
la
choses
(II,
47).
Ces axiomes sont justes, nous l'avons vu, dans la connaissance intuitive, telle qu elle est décrite dans le
Emendatione,
c'est-à-dire, en
sance divine. Mais
si
on
somme, dans
les transporte
De
la connais-
comme arguments
dans un raisonnement ordinaire, ils perdent leur portée
ou
si
Ton
eux, car
veut, de force, les conserver,
ils
Y Éthique sont ou à peu près
force. Quelquefois,
démonstrations de
les
,
inutiles,
ou sans grande
pour des propositions identiques,
la
démonstration est répétée à satiété, alors qu'il
de l'avoir donnée une fois^. Mais, d'ordinaire,
suffirait
la démonstration n'est
démontrée.
tant
;
faut s'en tenir à
rendent inutile toute autre démonstration.
D'une façon plus générale
même
il
pour
Il
que
peut arriver,
le
rappel d'une proposition
et c'est le cas prescfuc cons-
le IIP et le IV*' livre,
que nous ayons présente
le
simple énoncé
pourrait alors suffire. Si nous prenons de
même comme
à l'esprit cette proposition antérieure
exemple
1.
19j.
3.
cette suite de propositions
Par exemple
—
2.
:
1.
L'àmc ne connaît pas
L'àme ne connaît pas
L'àmc ne connaît pas
la
les
durée du
parties
cori)s
le
:
:
corps humain lui-même
du corps humain
humain
(II, 30).
(II,
24).
(II,
—
IGÎ)
L'irriMOi'F.
n'y a pas deux substances
(I, 5).
1.
11
2.
Dieu est Tunique substance
3.
Tout ce qui
4.
Dieu ne peut pas être contraint par une cause extérieure
il
nous importe médiocrement qu
est, est
H).
(I,
en Dieu
(I,
l'une après l'autre, mais
il
lo).
elles soient
si
ITi.
prouvées
nous importerait beaucoup
de bien comprendre une seule d'entre
comme
propositions sont, en effet,
il,
elles.
Certaines
des têtes de lignes;
parfaitement éclaircies, nous passerions
elles étaient
sur toutes les autres. Or, elles le sont rarement. Quelque-
un exemple
fois
rable,
est
donné
même si l'exemple
^
et c'est le cas le plus favo-
doit être
indûment généralisé-.
Mais le procédé habituel est de réduire la proposition à
la négative et de la
démontrer par l'absurde^. On sait que
de la sorte la conviction
On
dirait
que l'auteur
système que de
qu'il vise
est forcée, sans être éclairée.
est plus
le faire
préoccupé de prouver son
comprendre, ou plutôt encore
seulement à enqiêcher qu'on
mure défensive prend
surchargent
,
le réfute. L'ar-
toute la place. Les énoncés se
les propositions
purement
auxiliaires se
multiplient, jamais les démonstrations ne sont assez
nombreuses, au point
même
que
très souvent lorsqu'une
démonstration doit en corriger une autre, la première
néanmoins pour plus de
est laissée
tel
sûreté. Sous
amas, la doctrine ne peut se développer;
1.
Par ex.
I,
2.
Par
II,
3.
Spinoza déclare que c'est
-i.
1,
ex.
8, se.
un
elle reste
21.
2;
i'.i.
—
I,
11
;
—
là sa
I, '2'i,
méthode
cor. et
I,
ordinaire. Lettre 64 (1675\
25;
—
II.
1
;
—
II.
5.
170
BE>01T DE SPINOZA.
proprement à létat de formules. Spinoza
par la forme
scolie,
de
Il
semble s'en être lassé
se plaint très
proprement, dans un
qu'il a
lui-même, car
il
est accablé
la prolixité
adoptée.
de Tordre géométrique
i.
nous reste ainsi une œuvre peu vivante, mélange
Il
de concision déconcertante
Ce n'est pas un livre,
et
c'est le
de prolixité fastidieuse.
plan d'un
livre.
Rien n'est
plus facile que d'y trouver les éléments d'un système
cohérent. Rien,
à des sens
monde
non plus,
n'est facile
comme
d'adapter
nouveaux des formules sur lesquelles tout
le
a droit puisc[u'elles n'ont pas été développées.
Cette part forcée de reconstitution personnelle est l'un
des principaux attraits de l'ouvrage Mais
.
se
si
quelqu'un
propose simj)lement de faire œuvre de critique
faudra qu'il suive l'ouvrage pas à pas
,
,
il
en marquant
autant qu'il est possible, les sources de la doctrine et
ses progrès, sans supposer d'avance plus de cohésion
qu'il n'en verra, et sans prétendre éclaircir les
rités
que l'auteur, de son gré ou malgré
lui,
obscua laissé
subsister.
1.
Sed anlequam
liaec
prolixo nostio geonielrico more clenionslrare
iacipiam, liibet ipsa Rationis dictamina hic prius breviter ostendere (IV,
18, se).
LIVRE
I
LA CAUSALITÉ DIVINE.
Le livre I",
été le plus
«
de Dieu
»>,
est celui
dont les sources ont
sûrement retrouvées. Les minutieuses recher-
ches de M. Freudenthal ont montré qu'il faut le considérer
comme un sommaire,
autant qu'une reprise per-
sonnelle, de tout l'essentiel de la théologie scolastique.
La
distinction de la substance, des
buts, les
modes
et des attri-
formes savantes de l'argument ontolog-ique la
,
théorie de la création continuée, cela,
comme
le reste,
ne vient pas de Descartes, mais de la jeune scolastique,
à qui Descartes l'avait lui-même emprunté. Le vieux
fonds théologique, modernisé par la nouvelle École,
fortement simplifié par Descartes, remanié déjà dans
les
premiers ouvrages de Spinoza, arrive dans
le
li-
vre l" de ï Éthique à un plus haut degré d'unification,
sans être encore parfaitement clarifié. Ce fonds n'étant
lui-même que
le
développement extrême de
physique d'Aristote, ce n'est pas seulement
nisme immodéré
mais
«
» «piil
aristotélisme
la
méta-
« cartésia-
faut dù-e en parlant de Spinoza,
immodéré
»,
Tout est substance ou accident, et la substance
est.
BEXOIT DE SPINOZA.
172
SOUS tous les rapj)orts, antérieure à ses accidents, tel
est le principe
même
de la scolastique. Tel quel, Spinoza
sans chercher
de tout
le
réel en substance et accidents est la seule possible.
Il
l'accepte
,
cette réduction
si
borne à remplacer, avec Descartes,
se
accidents
d' «
marquer
£v
~.r^
modes
«
qu'il s'agit d'êtres réels
tion entre
-7.
par celle de
»
modes
cj7''a
l'expression
pour mieux
»,
Quant à la distinc-
'.
et attributs, c'est celle d'Aristote entre
cvTa et -à
ou celle des Sco-
(TJSJ.6c6-/;y,iTa~,
lastiques entre essentialia et accidentia. Et la doctrine
même
du
«
où
l'on a pensé
spinozisme
que
»,
«
trouver quelquefois l'essence
les attributs
en Dieu ne sont pas
séparés en réalité, mais seulement pour notre entende-
ment
fini
»,
était
elle
courante parmi les
doctrine
théologiens, et Spinoza pouvait la prendre, par exemple,
dans saint Augustin"'.
Quelle est donc la part propre qui lui revient? C'est
d'abord, et d'une façon générale, d'avoir transposé au-
dacieusement une théorie de
de
l'être.
la
Un des principes de
connaissance en théorie
philosophie aristoté-
la
licienne est que nous ne connaissons pas les choses par
leur être individuel, mais par ce qu'elles ont de général,
-^
c'est-à-dire
obtient
1.
par leur
en éliminant
On trouve encore
sage des Cogilata,
2.
II,
«
essence intelligible
«
les
Arist., Mel., 30, 1025 a, 30.
que
caractères individuels.
accidents» au lieu de
10, 4, et
»,
«
modes
dans une Lettre de 16«1
De anim.,
I,
:>,
643
»
l'on
Par
dans un pas-
(Lett. IV, p. 202).
a, 27,
cité par Freu-
denlbai.
3.
De
tin, p.
Trin., VI,
131.
c. 7, cilé
par rroudenlhal. Cf.
liibl.
de Sp., St Augus-
173
l'éthique.
conséquent, une chose,
vue de
tion et écrit
:
même
« si
on la considère au point de
ne peut pas être distinaufie d'une
la science,
autre chose do
si
on
espèce. Spinoza efface la restricla considère
en
soi^ ».
s'appuie
Il
de ce principe pour abolir entre les choses toute distinction réelle.
substance.
dire,
un
11
Il
confond, volontairement, essence avec
y a là un vrai paraloiiisme, ou, pour mieux
postulat. Ce n'est pas pourtant
un simple
retoui*
à l'ancien Réalisme, car Spinoza refusera toute réalité
|
aux universaux; à toute force,
individus existent.
les
il
maintiendra que seuls
n'y a pas
Il
d'intermédiaires
entre la Substance unique et les individus. C'est
une
déformation originale de laristotélisme, comparable,
non identique aux grands systèmes du moyen âge
Pour
deux parties
—
premier
détail, le
le
:
I.
livre
peut se diviser en
Théorie de la Substance (Pr. 1-16).
Théorie de la causalité en Dieu (Pr. 16-36)
II.
•.
Nous avons déjà vu que
la théorie
=^
de la Substance
consiste à mettre en rapport deux propositions essentielles
et
c(
:
«
La Substance
la Substance
1.
7» 5e considerala,
2.
Bayle appelle
non développé
3.
le
existe
I,
5,
unique
est infinie, c'est-à-dire
nécessairement
».
»
Plusieurs
dém.
système de Guillaume de Champeaux un
«
spinozisme
».
Celle seconde parlie esl dislinguéepar Spinoza lui-mOnie,
II, 3.
à la lin.
^^
BENOIT DE SPINOZA.
174
solutions
peu
que l'auteur
scolie,
satisfaisantes sont indiquées à la fois, sans
décidément choisi entre
ait
évidemment postérieur^,
dans une même définition
mation de l'existence
De
définition de l'éternité.
dans
fait,
par opposition au cinquième,
condensant
même
en
» C'est là,
-.
les
à
est l'absolue affir-
« L'infinité
:
Dans un
arrive pourtant
il
de la façon la plus simple, en
les unifier
elles.
le
temps, la
premier
livre,
éternité
se
est entrecoupée
de
infinité
et
trouvent toujours unies.
La théorie de la causalité divine
fragments du Court Traité
^
des Cogitata interca-
et
de ne rien perdre. Elle arrive
lés avec le souci constant
pourtant à une assez grande unité.
par une proposition cardinale
sidérait
«
est introduite
que Tscliirnhausen con-
la plus importante
du premier
livre
^
:
Dieu est cause, parce que, d'une définition infiniment
riclie
«
comme
^,
— Elle
,
un entendement infini peut déduire une infinité de
8, se.
1.
1,
2.
Dans
la
Une chose
1.
dém. de
infinie
la Pr. II,
que, à deux propositions où
3.
nous trouvons
comme
nition. Spinoza i-envoie à faux,
23 du
11.
doit exister nécessairement, m
il
la définition inverse
En donnant
:
cette défi-
arrive quelquefois dans VÉthi-
ne se trouve rien
de semblable (Pr. 21 et
liv. I).
Par exemple,
le
Court
Traité énumère, d'après
les
scolastiques.
et sans explication, huit façons dont Dieu ]teut être appelé cause
(I,
eh. 3).
Llifhiqueles reprend avecquelques corrections, mais avocmoinsde déve-
loppement encore
— Pr.
même,
17, cor.
le
1
:
Pr. IG, cor.
1,
et 2 [5" et 7°, 3
scolie
de
]
2el.i[Coiirt Traité,
;
la proposition
Court Traité, première
partie.
16.
i.
I.
:,.
Lelt. 82.,
-
V. VI,
II, p.
428.
— Pr. 18
[^°]
;—
l.
ch. ui,J\
Pr. 28, se.
29 reprend les chapitres
4".
[S-].
viii et
G»];
—De
ix
du
l'kthique.
Ou
propriétés. »
175
de réduire l'idée
voit dès icilc parti pris
obscure de volonté à une pure nécessité intellectuelle.
Deux questions
se posent ininiédiatenieut. Dieu est-
cause libre? De
cpioi
\
1
^il
Dans
premiers
les
Dieu
écrits
*?
cause
est-il
de Spinoza, dans les Cogi-
tata et le Court Traité, ê tre cau se libre d'une chose
était l'opposé d'e n être
la créer
Spinoza
2.
d'admettre, avec Descartes, que Dieu n'est
était forcé
cause purement naturelle du monde, car
pas
l'exis-
de la durée ne s'expliquerait pas. Dieu étant
tence
monde
éternel, si le
de Dieu,
faut
11
cause nature lle, c'est-à-dire de
par la seule nécessité de sa nature
découlait uniquement de la nature
serait éternel
il
donc que
monde
le
comme
ce qui n'est pas.
lui,
par un acte libre de
soit créé
V Éthique,
Dieu, puisqu'il est hétérogène à Dieu.
au
contraire, unifie
hardiment l'ancienne opposition en
une
Dieu
définition
relle,
sa
1.
((
:
du monde.
est
cause libre, c est-à-dire natu-
Être déterminé par la nécessité de
propre nature devient la définition de
Voici
(Pr. 16-18);
(2i-25);
—
le
—
plan que paraît suivie Spinoza
2°
\° et
des actions (26-33);
(34 et
proposition auxiliaire
Cogil.,
II,
non naturelle
ch. X.
».
:
r
Dieu
est cause des existences (19-23);
il
deux propositions
2.
»
(Sfi)
35)
—
extraites
5"
Notes
du
— Cf. Court
Traite,
I.
Cette opposition venait de
(34-36).
la déni,
cb.
la
m
:
3.
Sur
iJieu
cause
73),
3°
cause libre
des essences
Ces notes sont
(
de
Dieu
et
une
la Pr. II, 13.
est cause libre,
Jcuno Scolaslique qui sur
ce point s'était écartée de l'ancienne doctrine. Spinoza,
souvent (Voy. Lett.
est
qui précède,
scolie
destinée à préparer
—
la liberté^.
comme
il
s'en llatle
reviendra aux anciens.
libre,
il
y a une sorte de première rédaction qui a
subsisté parallèlement à l'autre. Elle se
compose de deux longs
qui se font suite, bien (jne séparés (Pr. 17, sc;
— Pr.
scolies
33, se. 2). Elle pré-
BENOIT DE SPINOZA.
176
Comment
ment
et
expliquer alors la durée? Elle sera niée pure-
simplement. Les choses sont, en
l'éternel,
réalité,
dans
nous apparaissent seulement dans
elles
le
temps. Le mystère à résoudre ne sera plus en Dieu,
mais dans
monde. Par un progrès
le
décisif, l'éternité
envahit tout.
Que Dieu
cause des
soit
«
essences
»,
c'est-à-dire des
choses telles qu'elles sont conçues par l'entendement
en dehors de toute existence dans
fait
pas
rait
comme
seraient des
«
cela ne
tracés sur le
existent » et, à nos yeux,
commencent
,
triangles qu'on au-
conçus mais qu'on n'aurait jamais
tahleau. Elles
elles
le
durée
choses ne sont pas de pures
difficulté. 3Iais les
essences,
la
d'exister à
un moment
durée, elles cessent d'exister à
un
dans l'intervalle, elles deviennent,
autre
du moins,
précis de la
moment,
elles «
agissent
et,
».
Dieu peut-il être cause de cette existence particulière et
de ces actions?
Il
est nécessaire ici
de tenir compte d'une distinction
de points de vue. Nous savons que la multiplicité indéfinie et L'unité «
réel, et
continue
»
sont toujours unies dans le
que ce ne sont là que deux aspects par où
considérer.
Nous sommes forcés de
le
le
prendre tantôt
par l'une, tantôt par l'autre de ces faces. Toutes les
fois
donc que nous pourrons considérer une chose sous
l'aspect de l'unité
,
cest-à-dire de l'infinité ou de l'ab-
sence de limitation, nous pourrons dire qu'elle dépend
sente
une étape inlermédiaiie de
la
pensée de Spinoza. Dieu pourrait élre
cause naturelle d'un monde hétérogène à
lui.
177
L KTIIIOLE.
immédiatement de Dieu, ou plutôt encore,
qu'elle n'est
pas réellement distincte de Dieu. Elle participera de son
éternité
et
de sa
limiter par aucune autre idée
Nous
Dieu.
:
la
limitation.
par exemple, une idée que nous ne pouvons
est,
libre
l'éternité et
que l'absence de
liberté ne sont précisément
Il
puisque
liberté,
la dirons
elle n'est
donc à
c'est l'idée
:
même
de
la fois infinie, éternelle et
pas distincte en
efïet
de Dieu lui-même.
Quandcertaineschoses, au contraire, nous apparaîtront
comme
dans
multiples,
monde
le
—
mouvements, par exemple,
les
des corps
,
l'ordre ordinaire de
devrons exprimer
le
nos
— nous
pensées et de nos désirs en notre propre esprit,
lien qui unit ces choses par
enchaînement indéfini de causes
un
et d'effets. Nulle part,
nous ne pouvons mettre un commencement absolu,
libre arbitre divin pas plus qu'un libre arbitre
le
humain.
Les choses s'expliquent par les choses; aucune d'elles
ne s'explique par Dieu.
Il
faut
complètement éliminer
Dieu de l'ordre des causes transitives. Mais, sous cha-
cune des
nente,
séries déterminées. Dieu
car,
vue d'autre façon, toute
résout en unité. La causalité vraie
l'éternel, c'est-à-dire,
et
de
dans
imma-
multiplicité
est la causalité
se
dans
en somme, l'identité de la cause
déterminisme n'en
l'effet; le
le
reste cause
est
que
la réfraction
devenir.
Cette étonnante théorie de la causalité, plus encore
que
la théorie
de la Substance,
fait la force
du premier
livre de V Éthique.
BENOIT DE SPINOZA,
12
LIVRE
1
.
II
THÉORIE DE LINDIVIDU.
Sous la forme où nous Tavons
plus obscur de Y Éthique, est une
connaissance.
la
Spinoza,
Mais dans la
pure
théorie
,
le
de
primitive de
pensée
devait traiter de l'homme, ou du moins de
il
l'âme humaine.
Il
aurait dû, pour cela, englober une
physique entière, car
la connaissance
suppose celle du corps humain,
humain
corps
second livre
le
,
de
et la
celle des autres corps
i.
Tàme humaine
connaissance du
Spinoza se pro-
posa d'écrire cette Physicjue nouvelle que réclamaient
ses
amis
cartes,
ses
1.
^
qui devait réformer la Physique de Des-
et
mais
il
II,
13,
Il
ne nous en reste qu'un
Se. Spinoza renonce à traiter de l'àine humaine, ce
poserait l'étude complète
lui
temps de mettre en ordre
n'eut pas le
pensées sur cet objet ^.
du corps humain.
accorde deux postulats: plus
11
qui sup-
demande seulement qu'on
corps est capable d'affections simul-
le
tanées, plus l'àme est capable d'idées simultanées, et plus le corps a d'affections spontanées, plus l'àme est propre
2. Lett. 50,
de Tschirnhausen
:
Physicis quando impetrabimus? (V. V!ol,
3. Lett. CO,
Molli,
Rép. à Tschirnhausen
nondum
in
aux idées
Methodum
:
II,
distinctes.
tuam... ut et Generalia in
p. 384).
Cœtcrum de
ordine conscripta sunt (V. Viol,
reliquis,
II,
niminnn de
p. 38G-387).
179
l'étiiiouf..
résumé
très soiniuaire,
de deux ou
trois
pages, intercalé
au milieu du second livre K
Ce court fragment mérite d'être étudié en lui-même.
Il
noyau
paraît former le
scientifique de la construc-
tion
métaphysique qui Tenserre;
cas,
une des pièces
essentielles
il
représente, en tout
du système.
comme donnée
mouvement, Tespace comme
Descartes acceptait, en mécanique,
première, l'espace, non
le
masse en repos. Seul l'espace
ment
cement absolu, puisqu'il
ciente, et
une
avait
absolue, car
fin
était indéfini.
Le mouve-
commen-
compris entre un
était toujours fini,
il
en Dieu sa cause
revenait nécessairement
sur lui-même, de manière à fermer le circuit ou F
neau
»
ment
le
C'était
Spinoza rompt cet anneau
-.
et étale le
long d'une ligne indéfinie en
les
les
hypothèses sur l'origine
«
an-
mouve-
deux sens
un progrès important de supprimer
mécanique,
effi-
^.
ainsi,
en
et la fin
du
mouvement, de considérer le mouvement comme donné
absolument, au
1,
Entre
•2.
Princ. de la Pli..
3.
LomnielII.
4.
Voy.
titre
que l'espace*. Mais de
là,
les Pr. 13 et 11.
!a critique
Tschirnhausen,
livre
môme
fin.
33; cf. Spinoza, Pr. Pli. Carf.,
II,
par Spinoza de
—
Il
la
Déf. 9.
mécanique cartésienne,
est certain, cependant,
se rapporte à la conception
II.
Lett. 81, à
qu'une partie du second
ancienne de Spinoza, par exemple,
la
Pr. 2: «L'étendue est un attribut deDiou, en d'autres termes. Dieu est chose
étendue. »
Du moment,
que l'Étendue,
but de Dieu.
il
en
effet,
que
le
Mouvement
est
mis au méine rang
n'y a plus de raison de faire de l'Étendue seule
un
attri-
BENOIT DE SPINOZA.
180
une notion neuve, de
surtout, pouvait sortir
très
grande
portée, la notion d'individu.
Tant qu'on regarde les corps
quement par
l'espace,
il
qu'aucun d'eux forme un
En 1665
cette raison, rejetait
abstractions
où
comme
ques d'étendue
un bloc homo-
lymphe dans
le
les
individus ne sont
le seraient
corps humain,
machine universelle.
le
corps
machine
:
la
humain dans
la
— Mais dès qu'on reg-arde
vement comme premier, dès qu'on
mouvement
des faisceaux de
que des
des portions quelcon-
tout est pièce dans une
;
même
encore, Spinoza expose àOldenburg
la doctrine cartésienne^: la nature est
gène, indistinct,
constitués uni-
« tout » spécial, irréductible,
un individu. Descartes, pour
les atomes.
comme
est impossible de reconnaître
dans
voit
plutôt que des
le
les
moucorps
morceaux
d'espace, une définition mécanique de l'individu devient
possible.
Spinoza
le
qusedam
spécial [certa
par un rapport constant,
définit
ratio) entre
un
certain
nombre
de mouvements. Quelques changements de vitesse ou
de direction que ces mouvements subissent, séparément
ou dans leur ensemble, l'individu subsiste, tant que
le
rapport qui les unit reste
essentiellement
un
tel
le
rapport;
même
il
~.
L'individu est
faut plut(M le
com-
parer à un nombre qu'à une substance.
Spinoza, toutefois, ne renonce pas entièrement à la
conception cartésienne. Par désir de ne rien perdre,
il
la juxtapose
1.
Lett. 32.
2.
Lemmcs VI
cl
simplement à
la sienne.
VII et la Déf. qui précède
le
A
côté des indi-
Lemine
111.
181
l'éthique.
vidus
il
garde des eorps inorganisés, lioniogèncs,
conçus à la façon de Descartes ^
Il
de ces corps
fait
les éléments premiers de l'individu, dont la définition
dès lors se complique. L'individu n'est pas seulement
un rapport
mouvements, mais
spécial entre certains
Que
aussi entre certains éléments matériels.
ces élé-
ments augmentent, diminuent de volume, soient remplacés par
d'autres, l'individu
subsiste tant
rapport qui les unit reste constant
2.
De
tels
que
corps inor-
ganiques n'ont pas entre eux de distinction réelle
enveloppent tous un
même
attribut,
proprement à eux que s'applique
le
;
ils
l'étendue. C'est
la réduction néces-
saire à la substance unique.
même
C'est
à eux seuls, peut-on affirmer, et cela est
de conséquence grave dans
effet, les
le
système.
Comment, en
individus, entant que singuliers, pourront-ils
se réduire à la Substance, fondement général des êtres?
C'est
On
un problème
le
mais
latent dans la philosophie de Spinoza.
pressent dès les premières lignes de YEthigue,
se pose
il
maintenant d'une façon pressante, iné-
luctable, depuis que
l'individu est clairement défini.
Les êtres inorganiques sont des portions d'étendue ho-
mogène, mais
l'individu est d'autre nature
;
il
est
un rap-
port,
quelque chose d'aussi singulier, d'aussi imma-
tériel
qu'un nombre.
de l'étendue
lui
,
Comme
la théorie de
il
échappe à
l'attribut
la substance reste
devant
sans application. Faudra-t-il donc s'arrêter devant
1.
Voy.
2.
Lemmes IV
la
note qui suit
et V.
l'ax. i.
BENOIT UE SPINOZA.
182
rirréductible clistinction des individus, renoncer à les
ramener, par quelque autre tour, à Funité
le
système, le
moment d'une
dans
'? C'est,
véritable crise. Spinoza
en sort par une invention décisive, que lui inspirent
certaines recherches scientifiques contemporaines.
Entre 1660 et 1675, une conception nouvelle de l'or-
Un
ganisme humain tendait à se
faire jour.
d'Amsterdam, Leeuwenhoeck,
avait découvert, au
croscope, que
les globules
voyait que des globules
opticien
mi-
du sang, où Malpighi ne
graisseux,
étaient de
petits
organismes vivants, de vrais indi\idus dans l'individu.
L'étude de la génération, rendue d'actuahté par le De
Generatione du grand Harvey (Londres,
livre
posthume de Descartes De
(Leyde, 1662), avait
amené ^
la
la
1651) et le
formation du fœtus
découverte d'autres in-
dividus microscopiques, les spermatozoaires.
dam
enfin,
son Histoire
dans
des
Swammer-
Insectes (Utrecht,
1669), généralisait ces observations et admettait
chaque organe d'un animal
même,
pouA'ant
être
semblables à lui.
est
une
que
sorte d'animal lui-
composé à son tour d'organes
On trouve déjà dans
notes de
les
Pascal (1662) l'annonce de cette conception à lequelle
dans un
Lèibnitz donnera son expression populaire
passage fameux de la Monadologie (1714).
portion de la matière peut être conçue
1.
Contrairement aux Tues de Descartes.
2.
Autogr., p. 347.
des parties
«
Qu'un ciron
incomparablement plus
lui offre
dans
petites, des
«
Chaque
comme un jardin
la petitesse
de son corps,
jambes avec des jointures,
des veines dans ces jambes, du sang dans ces veines, des humeurs dans
ce sang, des gouttes dans ces humeurs, des vapeurs dans ces gouttes...
»
183
L KTIIIQUE.
plein de plantes et
iMais
comme un
chaque rameau de
chaque membre de
est
encore un
s'inspire
de ces vues
ranimai, chaque goutte de ces humeurs
tel
jardin ou un
tel étanpr.
»
Spinoza, fort curieux d'anatomie
nouvelles, et,
un autre
comme
sens.
de poissons.
étang- plein
la plante,
',
Leibnitz,les généralise, mais dans
ne songe pas à poursuivre l'analyse
11
de l'individu pour trouver l'organisation à
admet, au contraire, que
ses éléments, puisqu'il
éléments premiers sont inorganiques. Mais
l'individu
de
formé
fois
il
comme membre
membre lui-même
individu,
ainsi
une
considère
d'un individu supérieur,
jusqu'à embrasser, par voie de synthèse,
suite,
un
les
d'un autre
l'Individu suprême, qui est la Nature entière.
ture est
de
l'infini
«
La Na-
seul individu, dont les parties, c'est-à-dire
tous les corps, varient d'une infinité de façons sans que
l'Individu lui-même, dans
changement'.
»
aucun
sa totalité, reçoive
Telle est l'idée nouvelle de la Nature-
Individu, opposée à l'ancienne idée de la Nature-Substance.
On peut chercher
1.
Voy. dans sa Bibliothèque, l'Anatomie de Riolan (162G),
Bartholia (1651), p. 177;
—
de Slenon, p. 196;
une
Lemine VI,
se.
Animal de
»
p.
139;
la
Theod.,
la théorie
g
lor»
moindre parcelle de
la
{iP.bl).
11
qui
les
contient
ttn
»
y a
matière, mais
comme un Animal, ou comme une
(Leibnitz rapproche ainsi la théorie de l'unique
de l'unique Substance).
—
«
Comme un
étang peut fort
bien être plein de poissons, ou autres corps organiques, quoiqu'il ne
point lui-même
—
Observations médi-
:
l'Univers ne peut pas être considéré
Substance.
les
le
de créatures dans
infinité
—
— De gcnerutione de Vellhuysen
— Leibnilz se refusait de faire celte synllièse «
cales de Tulp (1672), p. 177;
2.
retentissement de l'invention
le
soit,
animal ou corps organique mais seulement une masse
{Tlicod.. Préf.
— Gehr., p.
44).
—
Pascal, au contraire,
BENOIT DE SPINOZA.
18i
sur le système entier. Nul doute qu'il ne soit très grand.
—
entités,
seront
traqués
Les êtres vagues, généraux ou universels,
—
ou d'imagination,
êtres de raison
avec plus de rigueur que jamais. Tout être
à la
réel,
seule exception des éléments inorganiques, sera tenu,
pour
un individu encore. Au
sera Flndividu total, mais
lieu
Dieu lui-même
exister, d'être original, singulier.
de
tributs
substance
,
s'offrira
degrés d'existence
trois seuls
:
,
—
une
toute
,
— modes
échelle
,
at-
nouvelle
éléments inorganiques, individus, individus
d'individus, etc. L'ordre des idées suivra l'ordre des
choses. La simple distinction des idées en adéquates
et
inadéquates ne suffira plus; à reml30Îtement des
individus dans la nature devra correspondre un jeu
complexe d'enveloppements des idées
à leur suite,
et,
des passions. Les descriptions de la première
du Court
c'est-à-dire
C'est le
Traité^
«
ne seront plus
Éthique
»,
suffisantes.
système entier qu'il faudra reprendre sur une
trame plus riche.
De
là vient la
désharmonie que
confusément
l'on sent
entre YÉthique et les propositions sur la Substance qui
un
sorte,
qu'il y
état plus ancien
ait
avait adopté en
11
de pensée. Ce n'est pas dire
eu de changement réel dans
pensants » d'un
la
même
organes vivants,
individu, Jésus-Cbrist, et
morale chrétienne. (Voy. dans
rale chrétienne » qui est à
473-'j8'j.)
pensée de
la
matière religieuse une vue anaiosue à celle de Spinoza.
considérait les chrétiens coinine les
propre de
en quelque
Ces propositions représentent,
l'ouvrent.
il
les «
membres
voyait en cela tout le
la copie
peu près rassemblée dans
A
la
l'éd.
liasse «
Mo-
Brunschvicg
185
l'kthique.
Spinoza, ni de progrès au sens propre. Laffirination
que
essentielle
le
Tout est un et éternel n'est pas abso-
lument liée à une théorie particulière.
Au
lieu
de la
conception néo-scolastique d'une'substance unique d'où
ruisselle le
nombre
infini
aurait
pu s'approprier
esjîace
unique où tous
un
des modes apparents, Spinoza
la conception cartésienne
d'un
mouvements reviennent en
les
inévitable cercle, et à ces deux conceptions
il
en
pouvait aussi substituer une autre, celle d'un animal
unique, dont les éléments sont emportés dans un tourbillon perpétuel, sans que, lui-même,
trois
il
évolue. C'étaient
façons d'afiirmer l'unité des choses et d'en nier le
devenir
gement
passer de l'une à l'autre n'était pas un chan-
;
A supposer
réel.
complètement
même
que Spinoza eût rayé
la théorie de la Substance,
il
n'y eût pas
eu là proprement un progrès, mais une pure substitution d'expressions.
Pourquoi ne
l'a-t-il
pas fait? Pourquoi, à côté de la
théorie de l'Individu,
de la Substance
et
a-t-il laissé
même,
si
subsister la théorie
l'on tient
compte des corps
inorganiques, les vestiges d'une théorie intermédiaire
que Descartes aurait inspirée?
trait
Il
faut reconnaître là
de son tempérament intellectuel que nous avons
déjà observé, l'hésitation intmie, qui retarde
et
un
une certaine avarice
même
sacrifier.
Le
Avant de
définir,
port
l'avait
constant
d'esprit,
trait
le choix,
qui empêche de rien
se retrouve
dans
le
détail.
par exemple, l'individu, par un rap-
entre
certains
conçu grossièrement
mouvements,
comme un
Spinoza
asrésat matériel
BENOIT DE SPINOZA.
186
qu'une pression extérieure empêche de
se dissoudre'.
Renoncera-t-il à cette première idée? D'aucune façon.
Sa définition mettra
les
deux conceptions sur
plan, sans choisir l'une, sans sacrifier l'autre
même
le
«
Lors-
qu'un certain nombre de corps sont ainsi pressés,
qu'ils
:
s'appuient les uns sur les autres, ou lorsqu'ils se com-
nmniquent leurs mouvements suivant un rapport déterminé, nous disons qu'ils constituent un individu
2.
»
Cette indécision est constante dans YÉihique, et c'est
un défaut du système de
n'être pas
assez pur, trop
composite, en un mot pas assez systématique encore.
1.
Cf.
Entret. av. Tschirnhausen (1675), Sleln, p. 281
xinioncm corporum a pressione quadam.
2.
Déf. après l'ax.
2.
:
Piitat oriri
LIVRE
2.
II
THÉORIE DE LA CONNAISSANCE.
Dans Y Éthique^
second livre
le
est,
par excellence,
un morceau de connaisseurs, à entendre par
la
main de
l'ouvrier y semble plus admirable
vrage lui-même. C'est un travail profond
réflexion sur
dès 1665 ^
« Il
;
l'àme humaine,
l'ou-
était arrivé
y a une puissance dépenser
perçoit toute la nature
que
confus de
et
une formule à laquelle Spinoza
que
là
infinie
c'est cette
qui
même
pensée, en tant qu'elle perçoit une partie de la nature,
humain.
le corps
poussée à bout
la fois
;
»
La formule
est fouillée, pénétrée,
elle est ensuite « essayée », ajustée à
à plusieurs systèmes d'idées.
Cela donne
un
ensemble, malaisé, verrons-nous, à mettre entièrement
d'accord,
maison y peut
tient de la
sorte,
1.
étudier
du moins
l'eflbrt
pensée spéculative, y prendre, en quelque
une leçon de technique métaphysique.
Lcll.
3'>,
pa-
à Oldeiiburg.
BENOIT DE SPINOZA.
188
L'âme perçoit le corps. En d'autres termes, au corps
est
unie la connaissance, Fidée du corps.
Descartes, poser cela en
au delà? Quelle
fait
Il
faut, avec
K Mais ne peut-on remonter
est la nature de ce
rapport?
A deux
reprises, Spinoza essaie de l'approfondir. Le vice d'ex-
position à la fois et l'intérêt
second livre
^
est
«
technique
»
du début du
de présenter, sans choix,
le résultat
de ces deux tentatives.
Dans toute
difficulté, le
premier recours
La méthode propre dont Spinoza se vante
jours remonter à la cause première.
^
est à Dieu.
est
de tou-
L'âme humaine
n'étant qu'une partie de Dieu, nous ne devons pas dire
«
l'âme perçoit
le
corps
»,
mais
:
u
Dieu, en tant qu'il
constitue l'âme humaine, perçoit le corps
Mais le corps
attribut
,
humain
n'est,
humain
attributs
divins
;
^.
»
lui-même, sous un autre
qu'une partie de Dieu. L'union de l'âme
corps n'est ainsi qu'un
:
et
du
épisode du parallélisme des
l'unité dernière se
fait
en la Subs-
tance.
Cette première solution ne contente pas l'esprit. Elle
élargit le
problème sans
la relation soit
1.
II.
2.
Pr.
ax. 4.
1
à 13.
3. II, 10, se.
1.
beaucoup
l'éclaircir.
mise entre deux modes
,
— âme
Que
hu-
189
l'kthiqul.
luaine
corps
,
— Étendue
même
et
— ou entre deux
Pensée, — peu importe;
humain,
attributs,
c'est la
de cette relation
([u'il s'agit
nature
de préciser. Faire
appel à l'unité de la Substance n'est pas décisif;
prit veut
remonter
aux raisons pour lesquelles, jus-
ici
tement, la Substance est une. Spinoza y remonte.
un principe d'explication supérieur à
pour
lui
tance
même,
c'est
l'es-
l'Entendement absolu.
le
Il
Il
ya
la Subs-
réclame
plusieurs fois. Pourquoi de la Substance, par exemple,
les
modes découlent-ils? Parce que d'une
définition
l'Entendement déduit certaines propriétés-. Qu'embrasse
au juste
Substance? Elle embrasse exactement tout
la
ce qu'un
Entendement
L'Entendement domine
infini
peut concevoir en
la Substance.
Spinoza
elle
3.
était ainsi
porté à réunir l'âme et le corps, non seulement en la
Substance, mais pour l'Entendement absolu; plus
rement, à chercher entre eux par delà
physique un
le lien
clai-
méta-
lien logique, analytique, par delà l'identité
de substance une identité absolue.
D'où la seconde solution. Le corps et l'idée du corps
sont donnés dans le
môme
comme deux
comme un
dire
:
l'âme perçoit
«
impersonnel
1.
11,
U.
i. I, 16,
3.
II, 7,
termes,
:
« il se
le
corps
perçoit
seul.
»,
mais
un corps
».
non pas
ne faudrait pas
Il
se servir
Dire
:
il
y a
d'un
telle
cor.
dém.
se.
:
Quicquid ab
Iiiliiiito
subslantiac essenliamconstituens,
perlinet.
acte de pensée,
Intelleclu
idomne ad
percipi potest tanquani
unicain tantum substanliain
BENOIT DE SPINOZA.
190
chose, ne
il
suffit
pas à poser rexistence de cette chose;
faudrait dire rigoureusement
y
Il
telle chose,
a.
y a
Il sait qu'il
telle
Il sait qu'il sait qu'il
chose,
y a telle chose,
En traduction grossière, par
sente Dieu,
sait » l'idée
« il
sait
substantifs,
»
objet inanimé
» est
«
Tout a une
son tour, se comporte
<(
âme
^
»
;
au corps-.
comme un
y a une idée de
Il
l'âme qui est unie à l'âme absolument de la
il
le corps
véritablement un non-sens dans
objet pour une idée supérieure.
est unie
repré-
sait qu'il
il
((
)>
accompagné nécessaire-
est
ou de son âme.
les termes. Et l'âme, à
que l'âme
« il
de l'âme, ainsi de suite. Tout objet,
ment de son « idée
«
etc.
représente Tâme,
)>
humain par conséquent,
un
:
même
façon
Pour chaque objet donné,
»
y a ainsi une superposition d'âmes à
l'infini
^.
L'iden-
moment de
tité
du corps
tité
absolue qui embrasse tous les termes de cette série
à
l'infini.
et
de l'âme n'est qu'un
Elle peut s'exprimer ainsi
ne sont qu'une
même
chose.
:
l'iden-
être et être
conçu
L'ordre des objets
l'ordre des idées ne sont pas parallèles,
et
mais identiques^.
Omnia, quamris diversis (jradibus, anima ta sunt
(Cf. III,
57, se).
Cf. Lcihn. ,Lntret.nv. Tschii-nh., Stein, p. 282: [l'utal]
sensum
quendam
in
1. II, 13, se.
:
omnibus
donc une âme (lU,
esse rébus
57, sc;
—
pro gradibus existendi.
IV, 37, se.
ad
fin.).
— Les
— Les bétes ont
degrés dans
les
âmes correspondent aux degrés de perfection des corps.
2. II, 21.
3.
Lettr. 6G, à Tschirnbausen
res exprlmitur,
4.
II,
7.
unam Mentein
'1<>7.))
:
Infinitœ idete. quibus unaqusequc
conslituere neciueunt, sed inlinitas.
Celte Proposilion est absolument indépendante de la théorie de
Nous touchons
Spinoza
ici
ù la racine
suprême
la réalité
:
de
nom
:
de substantialistc,
Tune que nous désignerons du
rattache l'âme et le corps
f[ui
à deux attributs parallèles de
que nous appellerons
l'autre
identifie
un Entendement, où
est
deux solutions du problème de l'union
du corps
l'clme et
de la pensée de
de ces idées se confondent ^.
les idées et les objets
Telles sont les
même
Substance
la
divine,
intellectualiste, qui
les
au regard de l'Entendement ab-
d'emblée
solu.
Ces deux solutions sont-elles compatibles? Aucune-
ment. Selon
la
première, le corps
chacun leur essence; selon
la seconde,
tous les deux. Précisons encore
à'esse?îce qu'il faut
:
d'être des modifications de
c'est sur le
un
chacun pour essence
2.
Leur
on se formerait d'eux
vraie. L'existence
inutile surcroît.
périr sans que l'essence de
Le mot essence est pris
la
même
terme même
ont la
deux attributs divins
N'existeraient-ils pas,
une idée tout aussi
rien; c'est
ils
gardent
d'aucune manière qu'ils existent
essence n'implique
3.
l'cune
de toute force opter. En conception
substantialistc, le corps et l'âme ont
réellement
et
ici,
Tous
les
ne leur ajoute
hommes peuvent
l'homme en
soit atteinte.
en définitive, au sens clas-
Substance. Elle s'appuie uniquement sur un axiome avec qui elle
confond
1.
(I,
se
ax. 4).
II, 7, se.
:
« C'est
ce qui parait avoir
<^lé
aperçu par quelques Juifs, qui
soutiennent que Dieu, l'Entendement de Dieu, et les choses qu'il conçoit
ne font qu'un.
2. II,
3.
I,
»
10, cor.
2i, se;
—
II,
ax.
1.
BENOIT DE SPINOZA.
192
sique
essence intelligible »;
cV «
a dans les êtres de
Dans
commun, de
même
êtres de
exprime ce
qu'il
y
général^.
au contraire, l'essence n'ex-
l'autre conception,
prime plus l'unité, sous
il
même attribut,
un
de plusieurs
espèce, mais l'identité du corps et de
l'àme d'un être singulier. Elle est spéciale à cet être.
A
vrai dire, le terme scolastique d'essence ne convient
plus
comme
à moins de créer,
ici,
terme paradoxal, contradictoire
Mais l'essence particulière,
doit plus avoir
si
,
le fait Spinoza,
le
à^essence particulière.
l'on
emploie ce mot, ne
aucun des caractères de l'essence
scolas-
tique. Elle n'est plus indépendante de l'existence. Elle
n'appartient, au contraire, qu'à des êtres réels, existant
en acte
«
ne peut
pas
2.
Sa définition est
».
exister,
:
et qui n'existe
ce sans quoi
pas
si
une chose
la chose n'existe
Spinoza consacre un scolie à opposer cette défini-
tion à l'ancienne notion
:
ce sans quoi une chose ne
peut être conçue 3. Mon essence particulière
somme, mon
est,
en
individualité, réelle, inintelligible peut-
mon moi. La conception intellectualiste peut aussi
nommer individualiste. Elle se soudera sans peine à
être,
se
la théorie de l'Individu.
Entre les deux acceptions d'un
était nécessaire.
choix.
1.
Il
Spinoza,
met en axiome que
Spinoza emploie clans
essence formelle
2. II,
Déf.
2.
3.11, 10, se. 2.
(I,
le
même
ternie, le choix
cependant, n'a pas
l'essence de
môme sens les termes
17, se. fin); verilas
fait
l'homme
de nalure, forme
extra inlellectum
(I, 8,
le
n'ini-
[11, 10)
se. 2j.
;
l'ktiiiol'e.
pliquc pas rcxi.stcncc de riioiniiic
193
il
'
;
au contraire, que resscncc d'une
exister sans
sitions
que la chose existe
du second
cliose
définition,
ne peut pas
Les premières propo-
~.
livre répètent la
met en
même
contradiction
'.
Elles se rattachent tantôt à l'une, tantôt à l'autre des
deux conceptions opposées
^,
même à
ou
l'une et l'autre,
à la fois, par pur rapprochement verbal^, ou grAce à
terme à double entente qui, pour passer de l'une à l'autre,
comme de
sert
une
pivot
'•.
en résulte,
Il
il
le faut
bien dire,
On ne peut parler simplement de
réelle confusion.
mode
tendances divergentes. Le
d'exposition qu'a choisi
l'auteur ne laisse pas d'arrière-plan; tout est également
1.
H, av.
1.
2. Il, Déf. 2.
3. II, 10, cor.
:
L'essence de riiomine ne consiste qu'en certaines
«
dificalions des attributs
de Dieu.
—
»
II,
11
«
:
L'être de l'âme
mo-
humaine
consiste en l'idée d une cliose particulière existant en acte. »
première se rattachent
4. .\ la
les Proposit.
à la seconde les Proposit. 7, cor.
groupe
la Proposit. 9
tantielle.
l'idée
de
unique de Dieu, pour
3,
4,
en
effet,
à 0, 8, 10, cor. de 11, 13;
1
12. Il faut joindre
qui combat sur un point
Cette théorie tendait,
Substance (Pr.
9, 11,
la théorie
de
au deuxième
l'unité subs-
à confondre toutes les idées en
faciliter ainsi la
réduction de toute idée à la
La Proposit. 9 substitue à cette idée unique une
3).
On peut comparer
changement
série discrète et indéfinie
d'idées.
réforme mécanique dont
a été question, qui remplaçait le circuit
il
ce
de mouvements, par une suite linéaire, indéfinie, de mouvements.
uni([ue de Dieu n'embrassera plus
que
les idées
à la
unique
— L'idée
des objets qui n'existent
pas (Pr. 8 et cor.).
5. II. ~. se.
6.
II,
11,
effet, soit
:
eliam.
liée
doit observer
»
est le
comme une pure
analytiquement
On
« Sic
dém. Le pivot
terme A'idée. L'idée peut être prise en
modification de l'attribut Pensée, soit
comme
à l'existence d'un objet réel.
que
l'individuel, se prêtent
les
propositions
moins que
BENOIT DE SPINOZ.V.
intellectualistes, restant
les autres à
des démonstrations.
13
dans
BENOIT DE SPINOZA.
19i
affirmé.
Il
y a concurrence, collision cVélémcnfs incom-
patibles, de double venue.
II
L'opposition s'étale dans le reste du livre. Le fonde-
ment métaphysique de
Il
peut être ou
la connaissance n'apas été choisi.
le parallélisme
de la Pensée et de
l'É-
tendue, ou l'identité logique du corps et de l'âme d'un
même
individu.
L'ambiguïté subsistera quand
il
va
s'agir d'approfondir les connaissances mêmes, non certes
dans
le détail,
mais pour trouver du moins par où nous
atteignons l'idée de Dieu, c'est-à-dire le souverain bon-
heur. Deux solutions, d'inégal intérêt, vont être proposées, l'une ne faisant appel qu'à l'individu, l'autre
faisant appel à la Substance.
Spinoza s'en tient d'abord à l'individu. Atteindre Dieu,
atteindre
même
d'une inouïe
la
moindre idée légitime parait
difficulté.
Chaque individu est un composé
d'individus, en d'autres termes, corps et
qu'un, son
l'idée
âme
est
aussitôt
un composé d'âmes
i.
âme ne
Il
faisant
n'a donc pas
d'ensemble de lui-même, de son âme'^ ni de son
1.
Pr. 15.
2.
Pr. 23, 29.
195
Lïrriiiorr.
corps
1,
Il
})artios,
n'a pas
même
l'idée
complète d'aucuno do ses
car cette partie est composée à son tour d'élé-
ments individuels
simples,
il
^.
Pour trouver des idées pleines,
faut reculer en deçà de l'individu premier.
L'individu premier est
entre certains
un rapport
spécial et constant
mouvements élémentaires. Les
idées complètes, bien que confuses, que
idées de ces
affections
du
mouvements élémentaires,
j
seules
aie, sont les
c'est-à-dire des
corps. Tout est là; rien autre n'est donné.
Quelle que soit la connaissance à laquelle j'aspire, des
objets extérieurs, de
extraire
du
affection
Rude
moi-même, ou de Dieu,
ou composer de ceci seulement
:
la faudra
il
l'idée
d'une
corps.
nécessité!
Comment
néanmoins, à la
arriver,
connaissance de Dieu? — car du reste je puis sans doute
me
passer. Le
moyen de
faire sortir la connaissance
de Dieu de la simple idée d'une affection corporelle
Pourra-t-on tirer parti de ce
fait
:
mon
pas un mouvement spontané de
l'affection n'est
corps, mais
choc transmis d'un corps voisin? L'idée de
est,
par
suite, présentation
perçois des corps étrangers
!
d'un objet, perception,
:
y
a-t-il
un
l'affection
moyen de
.le
trouve
i'
Dieu au fond de cette perception?
Non, apparemment.
Il
senter le corps étranger
que lui-même,
gible,
un
comme
faudrait,
comme
pour
1.
Pr. 19, 27.
Pr. 24.
me
repré-
contenant antre chose
enveloppant une essence
attribut c[ui envelopperait
2.
cela,
lui-même
intelli-
la Subs-
BENOIT DE SPINOZA.
19G
une conception qui n'a que
tance. C'est
perception dont
s'agit fait
il
faire
La
ici.
connaître l'existence de
au delà^.
l'objet, rien
même, ne
Sans doute. Mais dans l'existence
trouver Dieu? L'existence n'est pas
puis-je
donnée dans un
éclair. Elle persévère, elle est continuation d'existence,
durée. Or on convient, d'une bouche unanime, que cette
continuation
même
est
proprement
la création divine,
création immanente, qui n'est pas simple génération.
Ne
saisirai-je
qui les
fait
Non
pas dans les choses ce Dieu, force intime
durer?
encore. Ce n'est pas l'existence des choses au
me
sens métaphysique, ce n'est pas leur durée cpie
fait
connaître la perception, mais seulement leur existence
«
en acte
»,
c'est-à-dire leur simple présence
n'implique rien sur leur réalité
vent m'être
<(
présents
»
même. Des
Elle
2.
objets peu-
sans être réels. C'est le cas de
l'imagination et de la mémoire; Spinoza en décrit le
mécanisme, d'une façon trop brève,
schématique^.
1,
ne met guère de différence entre
la
Pr. 25.
2.Pr.
3.
Il
d'ailleurs, toute
17.
Voici
comment on peut
noza explique
Soit
molle
AB un
(le
animaux
en A.
—
la possibilité
se fait
Mais
S'il
en BA
comme
et lui a fait prendre
BA' et
la
;
se produit
la
la
un choc en A,
xy
xy une
est molle, le
choc
le
même
surface
choc a
l'a
une autre position, xy' par exemple. Dès
la réilexion
S[)i-
la réilexion des esprits
perception du corps qui a produit
surface
où
17, cor.):
cours de parties lluides (esprits animaux),
cerveau).
second choc,
cxpliciucr le corollaire, assez obscur,
de l'iinaginalion (Pr.
lieu
modiliée
lors, à
un
des esprits animaux sera changée, elle se fera en
perception du corps aura lieu en A'. Ainsi la seconde perception
lî>'
Li-:ruiQUE.
<lans
perception scnsil)lc et rinia.çination;
de
Théologie, les
mes
i.
nmn
deux termes sont
[involvunt) mais
qu'elles enveloppent
la
sans épaisseur.
Il
est vain
Dieu ni quoi que ce
me
faut
n'expli-
présence des choses extérieures.
Le rideau des affections corporelles
les
TrmU'
synony-
Perception, imagination, mémoire, ont de com-
quent pas [explicant)
Il
le
même
impénétrable,
est
de chercher, derrière
lui,
soit.
replier encore sur ce qui m'est seul donné,
idées des
affections
un nom, mes passions
que nous avons d'un objel
de
mon
corps; donnons-leur
[affectus). Mais la tentative précé-
n'est déjà plus
absolument
la intMne
que
la
être
première. Si la première est appelée « réelle», la seconde déjà doit
(2)
(1)
appelée
imaginaire
«
».
— Dès lors on
comprend que
le
mouvement
spon-
tané des esprits animaux produise une perception imaginaire semblable,
à condition
qu'une première perception
ait
eu
lieu. C'est
qu'on peut dire que nos perceptions expriment bien plus
de noire corps
(les
traces de notre cerveau)
que
la
en ce sens aussi
la constitution
nature du corps perçu
(Pr. 16, cor. 2).
Spinoza ne donne cette explication que pour
(Pr. 17, se).
On remarquera
quelle difTéreiice
« aussi
il
bonne qu'une aulre
y a entre une
cation purement abstraite et sclièmatique, et celles de Descaries
toujours pour base des observations physiologiques.
f.
Cil.
I
et
il.
»
telle expli([ui
ont
BENOIT DE SPINOZA.
198
dente m'a
pressentir
fait
un nouveau moyen
(V atteindre
Dieu, le saisir au fond de l'existence d'une chose, dans
même
l'acte
de création qui
que
fait
cette existence per-
sévère. Sans doute, je ne puis l'atteindre ainsi dans les
choses extérieures, mais
moi-même. La
voie est tracée.
fond de mes passions
le
peut-être
l'atteindrai-je
en
faudrait montrer que
Il
est la force
même
par laquelle
je persévère dans l'être, puis rattacher à Dieu la per-
sévérance dans
l'être,
éternité. C'est à
un
je serai conduit.
en essayant de la greffer sur son
Traité des passions que tout d'abord
Comment
passer ensuite à l'éternité i?
Spinoza pousse jusqu'au bout sa critique de notre connaissance. Dans deux propositions hardies-,
il
nie que
nous ayons la notion claire de la durée, pas plus en
nous-mêmes que dans
que
«
l'existence
les choses. Mais la
durée n'est
conçue d'une façon abstraite,
comme
une forme de la quantité*^ »; ce n'est que l'image de
l'existence appel évident au dernier livre de 1' « Éthique
:
où
il
»
apparaîtra que la vraie forme de l'existence est
l'éternité.
Spinoza s'y fera gloire d'avoir trouvé Dieu
dans l'individuel, par une méthode bien préférable à
celle qui recourt à la substance et
1.
A
la définition classique
de
tendi (Burgersdijck, Inst, nat.,
ajoute indefinita
ment.
2.
Def.
5).
duralio
la
durée
I,
c. 27. cité
Durer
:
est conlinuilas exis-
par Freudenthalj, Spinoza
sera, par définition,
— C'est un intermédiaire pour passer
45, se.
V, 36,
:
tanquam quxduni
se. fin.
durer indéfini-
de la durée à l'éternité.
Pr. 30 et 31.
3. II,
4.
(II,
au général^. Au point
quantilalia species.
199
l'éthique,
où nous en sommes,
la théorie
semble prête
[)our le
merveilleux couronnement que lui donnera le cinquième
livre.
III
Mais c'est alors que s'introduit une sorte de variante K
Prématurément, sans attendre
serait trouvé, et
par une voie
la
fm de FÉthiquc, Dieu
si facile
que tout
le reste
ne semblerait plus que peine inutile.
Il suffit
de renoncer à la conception de l'individu
et
de ramener la théorie de la Substance, avec son cortège
en
:
modes enveloppés,
effet, tout
va de
soi.
seul attribut, l'Étendue.
quelque chose qui leur
attributs parallèles. Dès lors,
Les corps sont les modes d'un
Il
est
y a donc, par définition,
commun
à tous, qui se re-
trouve également dans leur ensemble et dans chacun
d'eux; c'est l'Étendue elle-même.
Il
y correspond, par
conséquent, en vertu du parallélisme des attributs, une
idée qu'on pourra appeler, d'un terme cartésien dé-
tourné de son sens, une notion comnuine
1.
~.
Une
telle
Pr. 3'2-i8.
—
Dans Doscartes une « notion commune est proprement un axiome, par exemple « on ne peut faire quelque chose de rien »
[Princ. de Ph., I, 48-50). Dans le premier livre de l'Éthique, Spinoza em2.
Pr. 38 et cor.
ploie encore ce
terme au nit^me sens que Descartes
>;
(I,
8, se. 1).
BENOIT DE SPINOZA.
200
que
idée, bien
de partiel;
attribut
soi,
même
l'idée
i.
cVun corps particulier, n'aura rien
elle s'appliquera
complète en
que
tirée
adéquate. Et ce ne sera rien autre
de Dieu, considéré sous un certain
vous éliminez l'individuel,
Si
pas
difficile n'est
le Tout, c'est-à-
évidemment.
dire Dieu, s'impose trop
Le
à l'attribut entier, elle sera
ici
d'atteindre l'idée de Dieu,
mais de former correctement une seule idée adéquate.
s'agit
Il
commune
de séparer la notion
ralisations, des
Chose, et des
«
termes
des autres géné-
transcendant aux
«
universaux
»,
l'Homme,
», l'Être, la
le Chien,
le
Cheval, termes qui ne sont dus qu'à l'obscurcissement
à la confusion des images. C'est tout un
et
de
traité
logique génétique que Spinoza recomiait qu'il devrait
écrire-.
Il
se
borne à reprendre, en manière d'indica-
tion, sa théorie des trois
modes de connaissance 3. Mais
cette théorie, qui avait sa
Court
Ti'aité,
pleme
un sens déjà moins
Emendatione, devient
ici
dans
signification
précis dans
assez obscure.
Il
le
s'agit
le
De
moins
modes de coimaissance que des moyens de former
des
des notions universelles. Nous les formons, soit d'après
une expérience vague ou des signes (premier genre),
1.
au
Coinjiliquons méine les données. Mettons le
même
rang que l'Étendue. Qu'il ne
seulement de
«
propriétés
moins de chacune de ces
que ces propriétés
communes
])ropriétés
»
une
se trouvent unies
Mouvement, par exemple,
soit plus question d'Attributs,
des choses.
«
dans
notion
11
commune
le corps, les
mais
ne se formera pas
»,
et
notions
de
même
communes
s'uniront entre elles, jusqu'à être embrassées par l'idée totale, l'idée de
Dieu.
2.
Pr. 40, se,
3.
Vr.
/jO.
1.
se. 2.
101
l'kthique.
soit
«
par les
notions comnuincs
«
»
(second genre j,
soit
en allant de l'idée adéquate de l'essence formelle de
certains attributs de Dieu à la connaissance adéquate de
La place
l'essence des choses » (troisième genre).
médiaire entre la connaissance sensible
sance intuitive est occupée
ici
inter-
et la connais-
par la notion comnmne.
La connaissance par notions communes semljlo sopposer à la connaissance sensible en ce qu'elle serait
non passive
active et
' ,
à la connaissance intuitive en ce
qu'elle saisirait les propriétés universelles,
même
sence
des objets
2.
non
l'es-
Mais ce n'est pas clairement
indiqué.
Spinoza, d'ailleurs, remplace bientôt le terme de
commune
« notion
suffît alors
»
par celui
d' «
idée vraie
de mettre en propositions
le
en s'arrêtant parfois pour montrer
lione,
aux objections classiques
certitude
:
il
3.
». Il lui
De Emendaqu'il
répond
L'idée vraie enveloppe la
n'y a pas de règ'le de vérité plus claire
qu'une idée vraie ^. L'idée vraie nous
est seule
donnée
:
l'erreur n'a rien de réel, c'est une connaissance incomplète
par excnqile, connaître mes actions sans en con-
:
naître les causes
et l'éternité
1.
Dans
:
5.
L'idée vraie enveloppe la nécessité
la notion de futurs contineents est
l'Entretien avec. Tschirnhausen, elle est
(Stein, p. 281).
2. Cf.
V,
3r,,
3.
Pr. 43, se.
4.
Pr. 43
5.
Pr. 43.
:
se.
Veritas
se.
nonna
sitiei falsi est.
une
nommée pragmativa
202
BEXOIT DE SPLXOZA.
notion tout imaginaire dont on voit aisément la genèse
L'idée vraie, eofin^
ou
même
^
d'un objet quel-
l'idée
conque, enveloppe l'essence éternelle-infinie de Dieu.
C'est la proposition essentielle, celle
la contradiction des
Dans l'énoncé,
acte
de
»
deux méthodes suivies par l'auteur.
n'est question
il
l'objet.
où fmit par éclater
que de
La démonstration
en
l'existence «
su]3stitue à l'exis-
tence en acte, l'essence de l'objet, entendue au sens
substantialiste, l'esseiice qui envelopperait
Comment
divin.
en
l'existence
un
attribut
acte, c'est-à-dire la
un
at-
difficulté
est
l'essence de cette chose, et, j)ar delà l'essence,
même? La
tribut divin et la Substance
insurmontable, Spinoza
il
pure
simple présence d'une chose, peut-elle envelopper
et
l'a
montré plus haut.
Il
la sent;
propose en note une solution intermédiaire
serait atteint à travers l'existence
proprement
2.
Dieu
dite
des
choses, à la condition d'entendre l'existence au sens de
persévérance dans
faudra reconnaître,
l'être.
On ne peut
comme
le fera
il
s'en tenir là.
Il
plus tard, qu'en-
tendue en ce sens, l'existence n'est pas perçue dans les
choses,
mais seulement en
nous. Je sens, en
moi-
même, mon éternité; je ne sens pas dans les choses la
leur. On est ramené à la théorie précédente, avec laquelle le reste de Y Éthique est en continuité, et la série
des propositions que nous venons d'examiner semble
ainsi
décidément un épisode
inutile,
En façon d'appendice au second
1.
Pr.
'i4,
ses corollaires et sou scolie.
2. Pr. iS, se.
une surcharge.
livre, et
presque
203
l'ktiiioi'k.
sans la forme géométrique, s'ajoute une J>rèvo lliéoiie
(le
la volonté, qui, sans se trouver nécessaire ici,
in-
«
téresse toutefois la vérité de la spéculation et la sagesse
de la pratique
'
La
».
d'un mot. La volonté se
vcjici
confond avec l'entendement. Une volition n'est autre
chose qu'une idée
que
concevoir
un
triangle, et affirmer
ses trois angles sont égaux à deux droits, c'est une
même
chose. Encore faut-il prendre soin de distinguer
les idées
des images et des mots. L'on
images des choses
dère
On
:
comme
sont les idées que l'on consi-
et ce
de pures
habitué aux
est
fictions, fruits
de
la
les croit des figures muettes, tracées sur
On ne prend pas garde
fantaisie.
un tableau.
à leur réalité agissante. D'autre
part, on croit opposer la volonté à la pensée,
on oppose seulement
les
quand
mots je veux, je décide, à
:
pensée. Agir, c'est penser,
—
Pour défendre contre
de la
les objections diverses des cartésiens l'identité
mo-
volonté et de l'entendement, Spinoza retrouve un
ment
la verve
la
courte et pressante des
Cogitata.
—
La volonté s'étend-elle plus loin que l'entendement?
La volonté s'étend plus
distinctes,
loin
mais non que toutes
sentir, l'une après l'autre,
que nous ne pouvons pas
par aucune volition.
une
que
les
idées claires et
les idées.
infinité
sentir,
Nous pouvons
de choses; celles
nous ne
les atteignons
— Pouvons-nous suspendre notre
jugement? Non, suspendre son jugement,
c'est
sim-
plement ne pas percevoir d'une façon adéquate.
C'est
atf'airc
de perception, non de volonté.
Il
est
impossible
do percevoir sans affirmer; en rêve, nous sommes cer-
BENOIT DE SPINOZA.
20i
tains,
nous ne doutons que
rêvons.
nous rêvons que nous
si
Nous affirmerions sans hésitation
d'un cheval
ailé, si
—
Faut-il
opposait.
l'existence
aucune autre perception ne
même
s'y
puissance pour affirmer le
faux que le vrai? Non, affirmer le faux est un état négatif de l'âme, affirmer le vrai
Eh
il
qu'il n'a
mourra de
soif et
un
il
enfant,
comme un homme
comme un fou.
sera
qui se pend,
Tel est, en son ensemble, ce second livre,
si
sommaire.
re^'irement,
que
de faim! Pourquoi non?
Ce ne sera pas un homme, mais un àne, ou,
voulez,
— Que
absolument aucune raison de choisir?
et
soif,
bien,
état positif.
Buridan? Vous supposez
fera l'âne de
faim et
un
marque dans
II
ou de
crise.
On
le
si
si
vous
comme
complexe,
système une sorte de
le dirait
composé de deux
rédactions concurrentes qui tantôt se pénètrent, tantôt
se succèdent.
On
l'imaginerait imprimé,
comme
l'Hexa-
teuque de Lenormant, sur deux encres de couleur diverse. C'est ainsi, peut-être, qu'on entrerait le
dans sa structure intime, qu'on
assisterait
mieux
presque à sa
composition, au travail minutieux et double de Fauteur,
à ses elForts, à ses angoisses spéculatives, à la joie de ses
inventions.
et le
1.
On
pourrait suivre dans le détail la lutte
heurt des deux tendances irréductibles de son
Pr. 48, 49 cl se.
205
L'iiTiiroun.
esprit, le puissant licsoin d'unité qui lui a fait i'orgcr la
théorie
<lc
l'unique Substance, et le sentiment profond
de riiidividu,
(jui le
ramène toujours à
ce qu'il y a
singulier dans la personne humaine. Et
si.
d*'
la lecture
achevée, l'on n'en voulait retenir que l'essentiel, c'est
au morceau qui forme
drait sans doute
^,
le
cœur du
livre
qu'on revien-
à ce fragment mémorable où l'ana-
lyse la plus sévère de nos ignorances laisse intact en
nous
1.
le
fondement de
Pr. Il à 32.
la vie éternelle.
LIVRE
LES
m
PASSIONS.
Les deux livres des Passions
une moitié de l'Éthique.
1677
forment
(livres III et IV)
C'était
pour
lecteurs de
les
la moitié la plus importante. Les
éditeurs insis-
tent sur elle seule dans leur préface, et l'ouvrage entier a pris
de ces deux livres
Spinoza invite à
j)résentent,
même
du cinquième
Le mot
«
cartes.
si
l'on n'y ajoute pas le
livre sur l'éternité
Éthique
pour
V.
il.
».
type
un
les
complément
fin
du
xvii*'
siècle
traité des
passions.
On peut
Passions
de l'âme
de Des-
la moralité, l'obliga-
conscience morale. La distinction n'était pas
faite entre
1.
Ethique
de l'ànie^
jusqu'à la
»
Aucun développement sur
tion, la
d'c<
considérer en soi la doctrine qu'ils
désigne d'ordinaire
prendre
nom
le
la
morale
et ce
que nous appelons
la
psy-
LKTHioi
non plus
chologic,
logie.
207
i:.
qu'ciitro la psychologie et la physio-
Le progrès accompli sur l'École avait été de re-
noncer à réternellc division de l'éthique
pour
fhi,
« c'est le
tout le
les
vertus pour moyens.
bon
et le
des passions avait
de
était
malheur de
le
que
déclarait
la vie
remplacé l'étude
«
ses naïves descriptions
thique à Nicomaque-
».
».
^
L'étude
Le
Rhétorique
que de
1'
s'agissait d'expliquer la
Il
fait
des vertus.
de cas de la
faire plus
d'Aristote et de
On
mauvais usage des passions qui
bonheur ou
bon goût
la béatitude
:
»
É-
"
na-
ture des passions, leurs causes, leurs effets, d'en dé-
terminer
d'en
l'usage,
connaître, c'était déjà
nous
remèdes. Les
les
les vaincre. «
Maintenant que
les connaissons toutes, dit Descartes,
moins sujet de
une
chercher
les craindre
» Il
3.
nous avons
nous reste ainsi toute
littérature pleine d'observations fraîches et d'ana-
lyses délicates
le
:
Tableau des Passions humaines de
Coëffeteau (1615, IGSi), \q^ Caractères des Passions de
La Chambre
vol.
(4
in-4°,
de 16i0 à 1662), ï Usage
des Passions de Senault (1641), les Passions de l'àine
de Descartes (1650)^. Spinoza se rattache à cette
dition.
1.
Il
Fnss.
déclare lui-même qu'il doit beaucoup à ses
(le iàiiie,
TU, art. 211.
La Chambre, Caraclères dex passions,!. Avis au
Descartes, Pass. de l'dme, III, art. 212.
2.
—
tra-
3.
Spinoza possédait
4.
Voy. encore un
la
Rhétorique d'Aristote (Inventaire,
TiepiTiaOwv publié
faussement attribué par
lecteur, vers la lin.
lui à
p.
157).
en 1593 par David Hoeschelius et
Andronicos de Rhodes.
(jcntili et
physiolocjia cJirisliana de Gehr.
tient aussi
une théorie des passions.
J.
— Le
De theologia
Vossius (1G41,
2 vol.]
con-
208
BENOIT DE SPINOZA.
prédécesseurs 1. Que
Chambre
eux, La
doit-il
aux deux principaux d'entre
et Descartes?
W
La Chambre, médecin de
habile écrivain.
morale
la
decine
Il
eut, le premier, le dessein
médecine.
et la
la philosophie
et
A
l'autre 3. »
le Chancelier^,
« Il faut, dit-il,
morale
tous les caractères
un
est
de souder
que
mé-
la
secourent Tune
se
moraux d'une passion
il
prétend faire correspondre des caractères corporels
et
par
mouvement du dehors connaître
le
au dedans.
ment,
L'entendement ne saurait agir
«
que
dit-il,
triomphe
ce qu'il y a
les sens
si
secrète-
ne s'en aperçoivent^
est la description
».
Son
des signes extérieurs des
passions. Malgré la gêne d'un style oratoire à la fois
pompeux
et
précieux à la Balzac,
il
arrive à décrire, à
rendre concret ce qu'il y a de plus insaisissable, Yair,
par exemple, d'une personne. Pour étudier l'amour,
à merveille
décrira
homme amoureux.
gique reste,
sang
il
tout ce
qu'on observe
L'explication
est vrai, assez
proprement physiolo-
vague
et
III,
((
Il
n'y a que
qui cause cette chaleur douce
vaporeuse qui se répand dans tout
1.
:
le
plus doux et le plus pur qui s'agite ordinaire-
le
ment dans l'amour
et
il
dans un
Praef.
Non
:
le
corps ^.
defiierunt viri prxslantissimi
«
quorum
et
Pour
labori
induslrix nos multiun debere fatemur, qui de recta Vivendi ratione
prxclara multa scripserunt.
2. St'guier.
Séguier,
3.
— Yoy.
2° édit.,
sur La Chambre, Kervilcr,
Les caractères des passions, tome
lin.
4.
Tome
5.
P. 77.
I,
p.
?..
Le Chancelier Pierre
1873.
I
(1640).
Avis au lecteur, vers
la
209
l'étiik^ik.
touto la partie d'explication
théorie complète
existait
il
des passions.
dans IKoolc une
Le médecin peut
l'a-
dopter, en laissant la chicane. Les passions sont les
mouvements divers d'une puissance obscure,
La Joie
une effusion de
est
vement d'union,
l'appétit '.
l'amour un mou-
l'appétit,
le désir, la hardiesse des
élancements,
l'espérance, la constance des roidusements, la colère
une agitation turbulente. La Chambre
bon cœur de
voit
que
volonté,
la
la volonté
dit-il,
aime, hait, se réjouit,
môme
espère de la
ment mental,
se représente
est d'avoir
un moment
et
.!.
aime à le montrer^.
dégagé
«
où
môme
ils
se
l'ap-
lieu, qui se
endroit et ne sor-
forment^
»,
— notion
se diviser en appétit concupiscible et appétit irascible.
Avis au lecteur.
Par exemple tome
Tomel,
maintenu
qui ne demandent
I,
p.
'j8
:
«
L'union
qui se
p. 58-59.
—
BENOIT DE SPINOZA.
Voy. aussi dans
ri4;-/
par l'appétit est
lait
plus parfaite que celle qui se fait par la connaissance.
4.
et
changement de
en un
tent point de la puissance
I,
donne
mouvements de
de mouvements
ni succession de temps, ni
Qui peut
Il
ou d'un paquet de sang.
flot
pétit, c'est-à-dire
Tome
»
toute affection de l'àme par l'image
Son principal mérite
I.
La
aux jugements qu'elle im-
contre l'École la notion curieuse de
•?.
n'y
en médecin, de façon toute matérielle;
voit l'âme
il
font en
«
s'attriste, craint,
façon que l'appétit-.
c'est-à-dire
Il
vague d'un
Il
dit.
à ce qui est dans la passion propre-
n'est pas intellectualiste et
il
intellectuel.
doublure de l'appétit proprement
peu d'importance
plique;
ou appétit
se passerait de
»
de connaître
les
hommes.
Il
BENOIT DE SPINOZA.
210
comme
bâtarde d'où sortira pourtant
d'un germe la
conception du devenir intérieur. Avec La Chambre cette
notion entre dans la tradition philosophique. Descartes
la
gardera en changeant seulement
le
terme de motus
par celui de commotio pour marquer qu'on ne peut
isoler l'appétit
tière.
bien de Fànie tout en-
qu'il s'agit
Spinoza lui-même, bien
à immobiliser
cpie porté
maintiendra que la joie n'est pas une posses-
l'esprit,
sion,
et
que la
une privation, mais
n'est pas
tristesse
qu'elles sont l'une et l'autre des passages, des altéra-
mentis mutationes^.
tions, Iransitiones,
Dans
les Passions de Ichne, Descartes
maîtrise
la
tentative
exemple dans
La
médicale de
lieu de simples descriptions
il
reprend avec
Chambre. Au
sur le pouls par
fait,
les diverses passions 2,
des expériences
précises transformées aussitôt en hypothèses. Les ressorts les plus
ingénieux sont imaginés, avec une in-
croya])le fécondité d'invention. Ils se
tant à l'unité.
Au
ramènent pour-
lieu de faire venir la tendresse
cœur, la colère du
l'envie
foie,
de
la rate.
du
Descartes
rapporte tout au système nerveux. Passions, mémoire,
imagination, attention, effort musculaire ne sont produits
que par
l'action des nerfs et
gulier du vent très
subtil qu'on
par
le
nomme
pouvoir
les
sin-
esprits
animaux, qui peuvent reproduire, singer chacune des
(1" partie,
(liv. I,
ch.
1659) tout
un
chafiitre
consacré aux niouvemonls
3).
App.
1.
Elh.,
2.
Pass. de l'âme,
III,
3,
cxplicat.
;
—
art. ït" el suiv.
III.
11, se.
do
l'ûine
LKTIIIQUK.
actions
fies
nerfs. Toutes
'lli
puissances du corps se
les
trouvent centralisées dans un orpane,
une glande de
cerveau, dans
glande pinéale.
cet orgaiio, la
Ce système neuf et simple
le
fait
tomber
les explications
lÉcole. Ouvertement Descartes les dédaigne.
de
même
que
le corps,
simplifie largement l'esprit.
il
lieu d'opposer
n'y a pas
De
les appétits
l'âme sensitive à l'Ame raisonnable.
«
Il
aux volontés,
La
même
qui est
sensitive est raisonnable et tous ses appétits sont des
volontés 1.
»
L'âme
est
une. Pourquoi la partager entre
deux seules facultés de désirer
les
N'a-t-elle
pas
encore la
d'espérer, de craindre?
et
de se fâcher?
faculté d'admirer,
A
la vérité,
si
l'on
des passions, ce n'est pas une tendance
appétit qu'on rencontrera, c'est
idée.
Descartes se
Aristote
même
va au fond
obscure,
un
une représentation, une
retrouve avec les stoïciens contre
pour faire naître
les passions
de l'opinion, par
le
désir qu'il a de les mettre au pouvoir de l'Ame.
ne faut pas dire,
Il
d'aimer,
comme
altèrent les jugements,
mêmes
il
Aristote,
que
les passions
faut dire qu'elles sont elles-
des jugements confus. La tristesse et la joie se
réduisent à des idées plus ou moins obscures. Toute
l'utilité
des passions est de faire subsister en l'Ame les
jiensées qu'il est Ijon qu'elle conserve, tout leur
de
les
faire
l'Ame d'idées
pensées; tout
1.
Art.
2.
Art. 74.
i7.
danger
subsister trop longtemps ou d'occuper
insignifiantes'-^.
le reste est
Il
n'y
a en l'Ame que
puissance occulte, sans réalité.
BEXOIT DE SPINOZA.
212
Pour expliquer toutefois
on a conscience dans
les
combats intérieurs dont
Descartes suppose
passion.
la
une action du corps sur l'âme, réciproque de
de l'âme sur
corps.
le
l'action
Tout ce qui est passion dans
l'âme doit être action dans un autre sujet, c'est-à-dire
dans
Le combat n'est pas entre deux puis-
corps.
le
sances de l'âme, raison et passions, mais entre la force
de l'âme et la force du corps. Pour que l'analyse soit
complète
il
faut
donc reconnaître un autre élément
dans la passion que la pensée
:
un ébranlement ou
changement [commotio), causé, entretenu
et fortifié
par
quelque mouvement des nerfs ^
II
De
la doctrine
de Descartes Spinoza retient
la réduction de la passion â
sacrifie
il
tion
ne
le
reste, l'hypothèse
du corps sur
lui
un
l'esprit.
semble pas fondée
;
l'essentiel,
état intellectuel,
physiologique
mais
et l'ac-
L'hypothèse physiologique
la
glande pinéale n'est pas
placée dans le cerveau de façon à recevoir facilenient
tant d'impulsions diverses et « tous les nerfs n'aboutissent
même
pas aux ventricules du cerveau'
». Il
se
désintéresse aussi bien des recherches sur l'expression
des passions,
tremblements, pâleur, sanglots,
1.
Art. 27-29, cité par Spinoza, Eth.. V, Prœf.
2.
Eth., V, Praef.
ienduntur.
— ^onomnex
nervi
ad cuvilates
rire,
xisque cerebri pro-
213
LJ:riiic>LK.
autres signes corporels*, et de tout ce qui se rapporte
spécialement à la médecine 2. Quant à l'action du corps
sur
elle
l'esprit,
Traité^
où
ne viennent pas du corps
sions
Court
le
ni de ses
mouvements,
du corps en tant que représenté dans
tout au i^lus
prit,
dans
répugnait déjà
lui
enseignait contre Descartes que les pas-
il
toujours en
somme
l'es-
d'une idée^. Maintenant
il
déclare hautement que l'action du corps sur l'esprit
une hypothèse plus occulte qu'aucune de
est
dont Descartes
de
s'est
passé* et tout autant que l'action
l'esprit sur le corps.
Le corps
nent pas de relations entre eux
comme
ou
identiques ou
les distingue,
l'esprit
C'est
par
le
celles
et l'esprit n'entretien:
comme
il
faut les considérer
indépendants. Si on
corps doit s'expliquer par le corps,
l'esprit.
donc dans
l'esprit seul
que seront étudiées
la
naissance et la croissance des passions. La part de construction métaphysique et d'invention en sera diminuée,
la part d'ohservation accrue.
Spinoza aura moins que
Descartes l'esprit d'hypothèse, mais
plus
lin
il
aura un sens
de la délicatesse des analyses intérieures.
Sans la bien dégager, Descartes avait appliqué
cellente
méthode de comparer plutôt
même
sions chez la
chez
des
personnes
1.
m,
'î.
Voy. Prœf.
5',t,
se,
personne qu'une
difl'érentes,
différentes pas-
même
:
...
Court Traité,
4.
i:th.,
V, Prœf.
hoc enim ad inedicinam spcctat.
II* part., cli.
—
III,
l'.),
Pr. 2. se.
fin.
passion
méthode qui
lin.
3.
l'ex-
por-
BENOIT DE SPIXOZA.
214
met de suivre
chercher
transformations des
les
passions,
de'
certaines d'entre elles ne sont pas l'étoffe
si
Spinoza
(les autres.
montre à
de Descartes
la suite
qu'un grand nombre de passions sont
les aspects di-
vers d'une seule passion fondamentale. Son classement,
mais
est vrai, n'est qu'ébauché,
il
lui-même grande importance
dans
le
même
Descartes.
En
i.
il
n'y donne
meilleur parti
tire
Il
pas
sens d'une observation singulière de
romans
lisant des
spectacles, Descartes avait
et
en assistant à des
admiré que nous pussions
éprouver des émotions pénibles tout en gardant plus
intérieurement une émotion tout autre, le plaisir intellectuel de les sentir exciter.
un homme peut perdre
De
femme
sa
même
qu'il
encore,
dit-il,
ne voudrait pas
voir ressusciter et cependant l'appareil des funérailles,
la privation
restes
d'une conversation habituelle, quelques
d'amour ou de piété peuvent
lui tirer
de bonne
des larmes 2, Ainsi des émotions sincères et oppo-
foi
peuvent se disposer dans un
sées
plans différents
;
il
même
esprit à des
seulement de savoir quelle est
s'agit
V émotion intérieure. La règle de Descartes
est
justement
même
qu'au-dessous de
l'agitation
de faire
des
passions particulières, la paix intérieure reste une disposition constante,
1.
11
comme une note
rapporte indifféremment
Ai)p. 32, Expl., et 27). Il
fait
le
de
musicale continuelle-
regret à la tristesse ou au désir
la
(III.
miséricorde une forme de l'amour
(App. 2i), et de la pitié une forme de la tristesse (App. 18), ot cependant
la
miséricorde n'est que la manifestation extérieure de
Explic).
2.
Pass. de l'âme,
art. 147.
la pitié
(App. 18,
215
l'éthique.
ment
Une
tenue'.
thode de Spinoza
telle
conception convenait à la mé-
d'allci"
à Fintérieui' des choses.
se
Il
montrer que deux passions que l'École oppose,
plait à
la pitié et l'envie
par exemple, peuvent manifester une
même tendance jjrol'onde, la tendance à la sympathie,
de même que rire et pleurer chez les enfants expriment
même impulsion à faire ce qu'ils voient
faire'. De môme encore il n'y a pas de crainte sans esl;i
pérance, pas
d'espérance
et l'envie sont jointes
;
un fond commun
l'humilité ont
pentir ou le
sans crainte 3; l'émulation
malgré leur différence l'orgueil
:
l'ignorance
'*
;
et
le re-
contentement de soi révèlent surtout
le
fond de sentiments moraux qu'on a reçu de son éducation première 5.
En
allant toujours plus profond,
on
qui est pour Spinoza le fond
rencontrera à la
fin ce
dernier de l'âme,
le désir.
Entre Descartes et Spinoza la différence est
dune
observation isolée à une méthode suivie. Par cette mé-
thode plus de nuances sont perçues dans
de plans s'y disposent.
Si la
l'esprit,
passion est,
plus
comme
le
veut Descartes, une idée qui persiste, l'idée doit être
aussi
une passion qui
idées
comme
d'elles a
nait.
Art. 148.
App.
13, oxplic.
4. IV, 55.
5.
;
une coloration fuyante d'émotion. Les
2. II, 32, se.
3.
ne faut pas imaginer
incolores ou peintes sur la toile
tions des scolastiques sont
1.
11
App. 27, explic.
les
chacune
distinc-
moins à rejeter qu'à fondre
BENOIT DE SPINOZA.
216
ensemble dans
la continuité
de
l'esprit. Il faut dire
sans
doute, avec Descartes, que l'âme est une, qu'elle agit et
par
pâtit
le
même
principe ^ mais on peut parler, mal-
lame même
gré Descartes, d'une lutte dans
entre la
raison et les passions, à condition de voir par quels
sions.
pour vaincre
fait passion
degrés la raison se
les pas-
parler de la puissance propre en
On peut
de l'entendement, mais
la liberté intérieure,
On
choses mentales.
ici
il
Tâme
surtout, dans la question de
faut sentir la complexité des
comme
ne peut admettre,
les pre-
miers stoïciens, que nous ayons un pouvoir immédiat
sur nos passions, ni
comme
Plutarque, suivi par Des-
que nous disposions sur
cartes,
dressage
d'une sorte de
elles
Nous ne sommes pas plus maîtres de nos
2.
passions que de nos rêves ^. La passion a une vie propre; la vie de raison et d'amour est plus intérieure et
tout autre.
La passion
Elle n'est pas en
créé
artificiel
âme
est
comme un
être dans l'être.
moi mais autour de moi,
véritable être
non dans mon âme, mais entre mon
et les objets
de
ma
passion^.
cartes la jouissance large de
On
sent dans Des-
l'homme qui
fait
corps
avec ses passions; dans Spinoza, au contraire, le senti-
ment plus
1.
V,
2.
Voy.
fin
de ce qu'il y a de tristement extérieur
4, se.
la fable des
deux chiens (Esope,
f.
92 et 394); dans Plutarque,
De
liber, educ.
art.
50 (renouvelée), et dans Spinoza. E(h., V, Prœf.
Fable, VIII,
2'j.)
3. III, 2, aC.
4.
III, 3, se.
et
Apopht. lacecL; dans Descaries, Pass.
—
(Cf.
de l'âme,
La Fontaine,
2n
l'kthique.
nous-mêmes dans
à
passion qui nous
la
emporto.
Mais l'appoit nouveau et capital de Spinoza est
du
théorie
commun
On
désir.
avait cherché avant lui
la
un fond
aux passions, Descartes l'admiration, La Ho-
chefoucauld Tamour-propre. Mais l'admiration n'est pas
une passion,
une nuance particulière que peut
c'est
prendre toute passion quand
ne
elle est
nouvelle et qu'on
pas encore imaginé de cause*. L'amour-propre
lui a
peut être accepté, mais à condition de ne pas l'entendre
avec malveillance
de voir en
comme
font les misanthropes, mais
tendance invincible de la personne à
lui la
persévérer dans l'existence. Cette tendance, Spinoza
l'appelle le désir. Nous avons
être
au contre de sa doctrine
fondement à
l'éternité
dégagée dans
naissait pas
même
de l'âme. Elle
:
le
premier
n'était pas encore
Spinoza n'y
recon-
mais des désirs particuliers, de
désir,
ne reconnaissait pas une volonté, mais des
qu'il
volitions
un
donner
et
Court Traité
le
montré qu'elle devait
Exemple d'une exigence logique du
~.
tème qui conduit à une analyse
j)lus fine
sys-
de la réa-
lité.
Le désir est l'essence
même
de la personne, non son
essence intelligible, mais son essence donnée, actuelle'',
la racine de son individualité. Ce qui tend à subsister,
c'est l'individuel
1.
III, 52, se.
—
de nous-mêmes. Le désir n'exprime
Cf. III. 2,
.se.
Les
hommes
2.
il
Court Traité,
est abstrait
3. III, 7
de
dém.,
tel
II,
ou
ch. 17
tel
:
«
ignorant
la véritable
cause
Le désir pris en général nest rien de
réel,
:
((
d'une action en sont réduits à l'admirer.
»
désir particulier, a
— data sive actualis esscntia.
BENOIT DE SPINOZA.
218
pas en nous
prime
l'effort
Fàme
dans
l'âme
et le
de la Nature universelle,
l'effort
de notre nature propre.
seule
il
corps
il
est volonté, si
est
on
Si
on
ex-
prend
le
prend dans
le
appétit', en soi
il
il
n'est
que
ridée spéciale qui constitue notre âme. en tant que
cette idée
— Le
persiste.
Comment
indéfinie.
désir enveloppe
la dissolution
du corps
elle?Une idée ne peut être détruite
non par
l'abolition de l'objet
Le désir dépasse
la
mort de
la
cjue
nous souvenons.
Le bien
biens.
homme
même
façon que
sou-
dont nous
l'éclielle
des
que nous désirons -^ Chaque
a une nature donnée
voilà
:
cette nature et ce qui se rapporte^
plaire,
l'appelle bien
il
spécial à chacun
qui est primitif.
:
le
ou non à
ou mal. Le bien
bonheur
cet
exem-
est, à l'origine,
est essentiellement singu-
Suivre sa nature propre est en quoi consiste toute
lier.
la vertu
un
même
le
forme pour lui-même un exemplaire idéal de
se
Il
ce
par une idée,
elle se rapporte'^.
Le désir enfin crée
c'est
l'atteindrait-
auquel
venir subsiste après qu'est aboli l'objet
—
une durée
'.
C'est
pour l'individu un droit imprescrijDtible,
droit naturel et sacré, le plus sûr fondement, au
morale
reste, de toute
La théorie du
noza
la théorie
1.
IH,
2.
III, 11, St.
9,
dominatrice
se; —111.
3.
III, 9,
i.
Ibid. et III, 37, se.
IV, 18, se.
IV, 37, se. 2.
;
39, se.
— Déf.
ô.
-
désir est dans les derniers écrits de Spi-
se.
6.
sociale'*.
8.
;
il
la
reprendra dans le Traité
219
l'éthique.
(h Politique. Par oUc, à côté de l'explication cartésienne
des passions
semble
il
laisser
une place à l'explication
scolastique, puisque le désir peut être appelé
avec la conscience de lui-même
c'est
de
la
'
qu'on doit rapprocher sa théorie
;
Plus justement,
».
conception stoïcienne de la
« l'appétit
«
nature propre
»
ce serait' dans Grotius
dans une inspiration stoïcienne plus profonde que
et
chez
faudrait chercher l'origine.
d'admettre plusieurs explica-
soit, le fait
tions, le souci
de n'en sacrifier aucune, où nous avons
vu un défaut dans
ici la
en
Descartes qu'il
Quoi qu'il en
les parties
grande valeur de
la
de construction pure, font
méthode en une matière où
l'analyse ne peut risquer d'être trop riche.
qu'aux stoïciens, aux scolastiques
prend
l'essentiel
— De même
et à Descartes,
Spinoza
aux écrivains récents qui parlaient de
mouvements de Vàme.
joie et de la tristesse
Il
:
tire
d'eux sa conception de la
la passion
ne persévère pas sem-
blalde à elle-même, elle est instable, changeante, elle
a des hauts, des lias, qui se
(lu
marquent dans une
partie
corps par une titillation agréable ou au contraire
une douleur, dans l'ensemble du corps par un
senti-
ment général de
bien-être joyeux [hilaritas) ou d'abat-
tement
qu'on appelle de façon générale la joie
ou
:
c'est ce
la tristesse
-.
— Par
un
tel
soin de ne rien perdre
d'essentiel de la tradition philosophique, Spinoza par-
vient le premier à donner une analyse entière de la
passion, en en distinguant les trois éléments fondamen-
1.
Appelilus cton ejusdem conscientia,
2.
III,
II,
se.
III. 9,
il.
220
BENOIT DE SPINOZA.
taux
durable, les états intellectuels qui lali-
le désir
:
mentent, rémotion agréable ou pénible qui
le colore.
m
Suivons à partir de
là le
développement d'une passion,
de l'amour par exemple.
Ce qui sera dit de l'amour
pourrait se dire de la haine, en faisant la transposition.
Sous
la sécheresse des
monstrations
énoncés
et la prolixité des
dé-
faut sentir la délicatesse de l'analyse.
il
Toute passion se nourrit d'images. Le début de l'amour
est
une merveilleuse précipitation de pensées. On a
mage
l'i-
constante et vive de la personne que l'on aime,
de mille circonstances qui l'entourent, de mille scènes
où
elle figure
Un monde
.
factice se crée
où
l'on vivra
désormais K L'amour ne s'attache pas à une seule image,
il
se diffuse;
symboliques.
comme
la dévotion,
Un rapprochement
passion.
il
a besoin d'objets
L'homme passionné rapporte
tout à sa
accidentel, une
blance puérile ont un sens pour lui
~.
Là
ressem-
se trouve l'ex-
plication des étranges sympathies qu'il éprouve, sans
qu'il faille recourir
cartes
3.
Les choses perdent pour lui leur indifférence,
chacune d'elles
1.
2.
:}.
m,
m,
m,
aux explications physiques de Des-
12,
13, et se.
15,
IG.
15,
se.
—
le blesse
ou
Cf. Descartes, Pr.
le fait jouir, et,
de la Phil., IV,
comme
—
Le mot
faits
réputés
187.
de sympathie avait été récemment créé pour designer des
occultes qui, surtout depuis Bacon, préoccupaient les esprits.
le
221
l'éthique.
mômes peuvent
lui
sembler tour à tour favorables
funestes, sou Anic est vérital)lement ballottée K
II
et
a en
outre la triste manie de se représenter grossièrement le
futur;
des images contraires lui apparaissent
comme
égiilement possil>les; l'espérance et la crainte, toujours
unies, entrent dans son
âme dont
la fluctuation
aug-
mente -.Une contagion existe enfin entre lui et la personne
qu'il aime. Il
et le lot
Après
prend ses passions, il
lui
transmet les siennes
de chacun se grossit de celui de l'autre
les
^.
—
causes qui ont peu à peu enflé la passion vien-
dront celles qui vont la transformer. Le souci d'aljord
de l'opinion. L'idée vague d'être loué ou ])lâmé se mêle
à la passion. Les
hommes
passionnés ne vivent pas
uniquement dans leur passion
les autres et,
Ils
chose étrange,
'''.
ils
Ils se
regardent les uns
veulent se ressembler.
ont un féroce sentiment de communauté. Si l'un d'eux
se complaît à la possession
d'un
jouir, les autres feront effort
plus
On
^.
pour
dont lui seul peut
qu'il
ne
le
possède
La même exigence s'applique à la personne aimée.
la veut
semblable à
et fait soufl'rir.
soi, la
moindre différence choque
Vous voulez que toutes
ses pensées se
vous apercevez qu'un autre y
une part, une doulîle passion se met à vous em-
rapportent à vous, et
ait
o])jct
si
poisomier, l'envie pour le rival et la haine pour la
personne que l'on aimait, haine
2.
m,
m,
3.
III, 21.
î.
III,
20.
.-).
III,
32.
1.
17 et se.
18 et scolics.
que
les
plus sales
BEXOIT DE SPINOZA.
222
imaginations nourrissent. C'est la funèbre jalousie où
s'achève la destinée banale des amants K
Certaines propositions de Spinoza ressemblent aux
«
maximes
table finesse
les
mêmes
:
«
littérature
mo-
Celui qui se souvient d'un objet qui
charmé désire
fois l'a
circonstances
.
aimé d'une personne
et
sujet cl amour,
on
aucun
la
Quelques maximes sur Famour ont une véri-
raliste.
une
en vogue alors dans
»
— Mais
le
»
le
—
posséder encore
et
Quand on imagine
«
avec
être
qu'on croit ne lui avoir donné
est porté
plus souvent toute
soi-même à l'aimer.
»
subtilité est bannie. Ce
sont des vérités simples, des théorèmes qu'on pourrait saturer d'expériences particulières,
mais qui restent
énoncés nûment. Voyez les théorèmes qui se rapportent
à la haine.
— La
— La haine saccroit de tout l'amour aboli
pitié l'entrave
3.
— Celui qui
-.
a quelque objet de
haine s'etforcera de lui faire du mal, mais tant seu-
lement
grand
qu'il
'*.
ne craindra pas de sa part un mal plus
— Celui qui
s'imagine qu'une persoime qui
lui était indifférente a été
poussée par la haine à
lui
causer un certain mal, s'etforcera incontinent de lui
causer ce
même mal
'\
— Les haines de nations ne sont
possibles que grâce à des mots
",
une collection d'individus sous un
1.
•>..
3.
m,
m,
35 et se.
38.
III, 27,
cor. 2.
4. III, 39.
5.
III, 40,
G.
III, 4G.
cor. 2.
parce qu'on désigne
môme nom
:
Anglais,
l'ktiiioue.
— La joie
Juif.
([uc
donne
-l-l'-i
haine n'est jamais pure K
la
— La haine s'augmente quand
elle est réciproque,
mais
elle peut être vaincue par lamour. Vaincue par l'amour,
devient de l'amour et cet
elle
que
s'il
amour
n'eût pas été précédé de la haine
une passion largement comprise, par
et
est plus
les
-.
—
grand
On
grands
sent
traits
vue à plein.
Mais Spinoza ne veut pas s'arrêter à ces analyses.
suffit
que
l'essentiel soit retenu.
11
La caractéristique des
passions est une certaine manie de
rechercher des
causes. Si nous avons de la joie, nous voulons lui trouver
une cause spéciale.
Il
nous répugne de
trame universelle des causes
dissiper^. Toute
:
la rattacher à la
cette pensée suffirait à la
passion est superstitieuse. Elle attribue
à certains objets ou à certaines personnes le privilège
de distribuer joie
et tristesse.
Il
faut
un
effort
rebutant
de réflexion pour comprendre que l'unique cause de
nos passions
c'est
nous-mêmes, que nos passions ne
suivent pas les variations des choses mais nos propres
variations
'^
attrister et
Reste à chercher
si
cette
pensée doit nous
nous humilier ou assurer au contraire notre
paix intérieure''. Qu'il suffise de savoir maintenant qu'une
passion révèle seulement la nature propre d'un individu.
Dans la passion tous
1.
III,
47.
?..
III,
pr. 43, 44.
que ce
n'est pas
III,
5.
III,
50 et
.")(,
se.
se.
entièrement nouveaux.
Spinoza démontre, avec trop de sérieux peut-êlie,
une méthode
3. III, 49.
4.
—
les cas sont
;\
suivre pour arriver à l'amour
(ill, 44,
se).
BENOIT DE SPINOZA.
22i
même passion diffère suivant Fobjet
pas le même pour une femme, pour un
La
:
telle
femme ^;
l'amour n'est
pour
enfant,
surtout suivant les sujets.
elle diffère
Elle révèle l'essence irréductible, singulière de l'indi-
vidu, sa personnalité absolument unique
le
^.
La passion,
bonheur, la vertu, autant de choses purement indi-
\iduelles, autant de
l'individu
^.
Le troisième livre
passions
mots qui nont de sens que pour
^; c'est
se
termine par des définitions de
la partie la plus faible. Ces définitions
sont abstraites, sèches, elles taillent arbitrairement des
types de passions trop simples. Bien qu'il s'en défende
l'auteur y explique plutôt la signification des mots
la nature des choses.
n'est
5,
que
La définition générale des passions
guère qu'une ingénieuse combinaison de termes.
Les deux défauts spéciaux du livre ressortent
ici
da-
vantage, la discontinuité des propositions et la crainte
d'aller
au
Politique
détail.
est
Ce qui
en
défaut
est
ici.
d'un plan très riche auquel
l'exécution.
1.
III, 56, se.
2. III, 57.
—
3.
IV, Def. 8;
4.
Appendice.
5.
App. 20, explic.
18, se.
de trop dans
le Traité
de
On garde l'impression
manque
le
prix que
donne
LIVRE IV
LE STOÏCISME.
Spinoza dans
ter
le troisième livre n'a
des passions pour elles-mêmes.
éléments essentiels dont
il
indique certains
faudrait tenir compte dans
une théorie complète des passions,
ple, qui,
Il
pas voulu trai-
pour dissoudre l'amour,
la satiété,
par exem-
est aussi sure
que
la
jalousie^. L'étude qu'il a faite des passions reste subor-
donnée à
la
détermination morale du
nous disposons sur
les
deux derniers
engagé par leurs
deux
livres en
elles-.
livres
A
pouvoir dont
cet objet sont consacrés
de Y Éthique. Bien qu'on y
titres,
il
soit
ne faut point disposer ces
une sorte de double tableau
passions, puissance de l'entendement;
:
force des
esclavage,
li-
berté. Ils traitent l'un et l'autre de la liberté morale,
r
plus exactement de
livre
est
«
l'homme
libre »
complet par lui-ineme;
il
.
Mais le quatrième
fait
entendre
de
façon pleine et suffisante ce qu'est l'homme libre. Le
1.
III, 59, se.
2.
III,
56.
—
Ad
id
quod intendimus, nempe ad affectum vires
et
mentis in eosdem potenliam, determinandum, nobis sudicil uninscujus-
quc afïectus generalein iiabcre
BENOIT DE Sl'IXOZA.
detiiiilionein.
15
BENOIT DE SPINOZA.
226
cinquième livre
est
un approfondissement
non une
,
contre-partie
Rappelons dans quel courant moral
^^[vait
Spinoza.
Plus que les autres, ce sont les idées morales qui for-
ment
le
Leibnitz
fond
commun
d'une génération d'hommes.
accuse Spinoza de renouveler le stoïcisme i.
Rajeunie, c'est en
stoïque que nous
effet l'inspiration
allons trouver en lui.
On pourrait
de la doctrine
tes ».
suivre depuis le xvi^ siècle le progrès
aux Pays-Bas,
au mépris des choses
confite
«
En France,
les
gens d'Église
les philologues
:
fortui-
Charron, du
:
V'air,
Juste Lipse, Scioppius,
s'employèrent à la répandre. En 1606, la Manuductio
ad stoïcam
2^hiloso2:)hiam,
lation tout
de Juste Lipse, mit en circu-
un paquet de paradoxes
stoïciens,
maximes
brèves, portatives. « Le sage est pareil à lui-même et
toujours dans la joie. Le sage est sans passion, imper-
turbable.
se suffit
ne
Il
lui arrive rien à
il
ne s'attende.
il
en remuant
le petit doigt
cable. Seul
il
:
seul
est libre, les autres sont esclaves.
riche. Seul
est
il
est vertueux.
Il
est
il
Il
est
Même
impec-
beau, seul noble, seul citoyen, magis-
trat, poète, orateur.
folie, l'ivresse. Il
1.
quoi
à lui-même. Tout lui appartient
Il
ne subit jamais
ne pardonne pas,
Les deux Sectes de naturalistes,
ai".
il
l'injustice,
n'a pas pitié.
la
Il
Slein, LeiOn. u. Sp., p. 308.
227
l'éthique.
a le
droit,
niort^
de
l'obligation (quelquefois
Le nouveau stoïcisme n'est pas, tant s'en
»
Avec
tout point authentique.
confond
F^ipse
les
comme
stoïciens,
sur la
faut,
Juste
de Jo-
foi
mêle Tertullien, Lac-
leur
Cicéron, les poètes latins, les orateurs latins.
propre
Le
Il
les
môme,
cyniques et
sèphe, les pharisiens.
tance,
de se donner la
nouveaux stoïques sera de
des
fera Spinoza, les
que
grecs. Ce
des
xvu^ siècle a appelé stoïcisme est en
le
grande partie ce
l'antiquité
mettre,
latins bien au-dessus
qu'il a
reconnu de lui-même dans
latine.
Deux ans après Juste Lipse, Gaspar Scioppius donna
des
«
Éléments de philasophie stoïque
».
Mais c'étaient
encore d'assez pauvres hères que ces philologues. Juste
Lipse, caractère fantasque et superstitieux, Scioppius,
cuistre et
malhonnête homme. La fortune pour
cisme fut d'être adopté par la société polie.
le stoïIl
se ré-
pandit par la conversation et les exemples.
A l'époque
de Balzac, de Corneille et de Descartes,
devient en
France l'école des grandes âmes,
Balzac donne
le
et
il
en matière morale,
ton à ses correspon'clants étrangers,
Descartes à la princesse Elisabeth. Les stoïques constituent
en chaque pays une sorte de parti moral. Des
variétés nationales subsistent pourtant.
vertu stoïque garde
tificiel.
un
1.
Manuductio...,
2.
Aulogr., p. 255.
la santé
liv. III,
la
caractère oratoire, tendu, ar-
Pascal en pourra dire
ments fiévreux que
En France,
3 à fin.
:
« ce
sont des
ne peut imiter-
mouve», et
Ma-
BENOIT DE SPINOZA.
228
lebranche
«
:
donne dans
ce n'est que
la
du fard
et
du
plâtre qui ne
vue que de ceux qui n'étudient
connaissent point la nature ^
».
En Angleterre,
et
ne
le stoï-
cisme, tout parfumé encore dans Bacon^ du miel de
Montaigne, s'aigrit et se renfrogne dans le pauvre Gataker^ et devient décidément morose et cynique dans
lugubre Hobbes. La pousse
le
en Espa-
est plus forte
gne, dans la patrie de Sénèque. Francisco de Quevedo^
fut salué
clair,
comme
«
un
un Zenon moins
dur,
un Antipater plus
Cléanthe vivant, un Sénèque chrétien^
commenta, imita
un Chrysippe
Epictète espagnol,
les lettres
».
de Sénèque.
sa prison ses œuvres stoïques, où
il
Il
Il
bref,
un
traduisit,
écrivit
veut faire,
de
dit-il,
de son bourreau son instituteur, défier la divinité sans
crime, sans orgueil et sans colère, suivre la doctrine
des stoïciens aussi loin qu'elle est compatible avec la
foi
chrétienne. Mais son stoïcisme se réduit, peu s'en
faut, à la glorification de la souffrance acceptée avec
dédain; l'orgueil stoïcien se confond avec la morgue
castillane.
C'est
dans
1.
Rech. de la
2.
Sermones
le
pays des Académies de belle humeur,
Te/-., liv. III, 3= part.,
ch.
4.'
fidèles (1597-1625), le seul ouvrage de
Bacon que Spinoza
eut dans sa bibliothèque [Inventaire..., p. 193).
De
disciplina stolca
Un
des auteurs favoris de Spinoza. (Voy. Inventaire...,
les
seclis aliis collata, 1G53.
p. 143 et 144,
œuvres de Quevedo en double.)
5.
et
cum
3.
4.
Le
P. J. Eusebio
les iruv.
Nuremberg
de F. de Quevedo,
cité par E.
p. 277.
tonio de Guevara avait écrit son
~
Un
Mérimée, Essai sur la vie
siècle
Marco Aurelio
avant Quevedo, An-
(1529),
avant m(^me
la
découverte à Heidelberg des pensées authentiques de Marc-Aurèle (1558).
229
l'éthique.
chez
les Hollandais,
fleur.
Il
que
second stoïcisme porta sa
le
donna à ces braves gens une grande noblesse
sans leur ôter rien de leur bonne grâce. Après la génération roide et têtue de la guerre d'indépendance,
une génération plus
vint
fine
d'hommes
qui, avec Gro-
Barnevcldt et les Remontrants, se relâcha des
tius,
préoccupations militaires pour faire pénétrer un peu
de justice entre les peuples, un peu de tolérance entre
les sectes. Et plus tard,
quand
la foule s'avilit et courut
à la servitude, au milieu de la société bouleversée et
de la religion en délire, leurs successeurs montrèrent
quelle peut être la force d'un idéal moral.
dans leurs portraits, manteau noir
On
les voit
et collerettes
blan-
ches, tête haute, mains maigres, regard droit, maintien
La morale stoïque ne cessa pas
fier.
gnée à l'université de Leyde, mais
dans
les
cœurs.
et désirer le
avait
un
sa prison.
Aux uns
d'être ensei-
elle était
elle faisait
avant tout
braver la populace
martyre civique, mais chez d'autres
sourire. Grotius sut
Ne
suffisait-il
elle
échapper avec grâce de
pas de ne pas penser à
la
mort
sans encore la souhaiter? Jean de Witt disait simple-
ment
qu'il est indifférent d'être
ou par morceaux ^ Spinoza
mis au cercueil entier
disait
que
la sagesse n'est
pas la méditation de la mort, mais la méditation de la
vie"-.
Dans l'entourage immédiat de Spinoza,
1.
le
Le mot
se trouve
en réalité dans une lettre qui
la famille
lui est
adressée par
député Kayser, compagnon de captivité de son père. Voy. Lefèvre-Pon-
talis,
2.
Jean de Witt
Eth., IV, G7.
,
I, p.
110.
230
BEXOIT DE SPINOZA.
de Witt nous montre ce qu'étaient alors des âmes de
stoïciens.
— Le père, Jacob de Witt,
à ses enfants
humeur
de sa prison
J'attends avec patience, je suis en bonne
«
:
me
ei je
écrit
trouve fort bien... Soyez courageux
également, vous autres,
et
ne
vrance que ce qui est convenable
enfants refusent, en
et
ma
pour
faites rien
honnête
déliet ses
»,
de faire aucune démarche,
effet,
ne voulant pas, en intercédant pour leur père, paraître
faire
ses
de lui un coupable.
écrivit
fils,
timents
un
livre, «
11
simple expression de ses sen-
compléta par des sentences
», et le
son repas du soir;
vait tous les jours après
nua jusqu'au jour de
sa
opiniâtre, cassant,
altier,
priser la
mort
juges.
lut
11
survécut à l'assassinat de
;
il
mort.
dans sa prison
Britannicus de Racine,
il
les conti-
Corneille de Witt,
mettait son
montra à
le
—
qu'il écri-
la
flotte et
devant ses
les poésies d'Horace,
pendant une heure
et,
mé-
orgueil à
et
et
demie
de torture, la tête étreinte entre quatre che\dlles de
fer, les
jambes emboîtées dans deux
plomb,
serrés par
une
jusqu'à
vis
balancé au ])out d'une corde,
le
vous êtes
le
frances'.
»
:
«
mon
les
:
il
os,
se plut à
Justu7n et te-
Dieu, je proclame que
grand Dieu, car je ne sens plus mes souf-
— Jean de Witt fut un sage accompli.
pour Spinoza plus qu'un ami,
1.
briser
livres,
pouvoir réciter quelques vers d'Horace
en ajoutant
doublés de
gros orteil presque
arraché par un poids de cinquante
nacem..
ais
I-rfùTif-ronlalis,
II,
p.
511-.M2.
il
lui
montra
Il fut
réalisé son
231
l'étiiiouk.
idéal moral. L'ambassadcui' de Franco dit de lui, qu'en
nulle circonstance personne ne
femme s'enthousiasme
rae
vu en colère'. Sa
l'a
et lui écrit
:
«
Je travaillerai à
montrer calme en toute circonstance en apprenant
de plus en plus à vous imiter 2.
qu'il
»
Ayant
ne recevrait jamais aucun présent,
serment
fait le
il
refuse gra-
même un souvenir que lui offre une amie.
Inébranlable comme un rocher', admirablement décieusement
que sa bibliothèque, préoc-
sintéressé, n'ayant de luxe
cupé de sa santé, mais s'inquiétant peu de sa
vie*, sa
noblesse extraordinaire en impose à ses ennemis qu'elle
rend hésitants. Le jour de son assassinat, frappé der-
dun
coup de pique qui
fait jaillir le
sang,
enlève son chapeau, bande sa blessure de son
mou-
rière la tète
il
choir, dit
:
«
ma
Vous en voulez à
—
tranquillement sa poitrine.
Spinoza vécut;
c'est la
mort
C'est
vie?
» et
découvre
parmi ces gens que
qu'il envia
pom* lui-même.
II
Il
put
tirer parti
du contenu moral de
L'excellent usage était
poraine.
morale, au lieu de donner des
conseils de détail, de tracer
1.
IMd.,
I,
un
la vie
contem-
alors en philosophie
lois
formelles ou des
portrait, c'est-à-dire
un
p. 13G.
2. Ibid., I, p. 5HI.
.i.
Temple, Mémoires, tome
4.
Temple,
Œuv.
II, p.
diverses, tome
506.
— Lefi'vre-Pontalis,
— Lel'.-Ponlalis,
111, p. 24't.
I,
p. 135.
I,
p.
53
i.
BENOIT DE SPINOZA.
232
Combien
type.
stoïque
dans La Chambre
La Chambre,
hardi
»,
c'est le
et
dans Descartes?
type tout physique de
«
— Dans
l'homme
dents serrées, narines ouvertes, taille dressée,
marcher superbe, âme
lancer.
type du sage
le
!
Qu'est-il
^
dans Spinoza
s'affine
Les
sourcils
roidie
ou resserrés,
élevés
assuré, quelquefois de travers,
paupières.
Il
foudre prêt à
le
:
il
ne
cille
le
s'é-
regard
jamais les
reste silencieux ou pousse des éclats de
voix courts et pénétrants.
grands espoirs
et
du
Il
se nourrit
en lui-même de
de l'honneur. La vertu
culte
stoïque n'est encore qu'une posture héroïque, l'idéal
espagnol d'une génération de matamores.
— Toutefois
dans ce portrait grossier, un trait essentiel se rencontre
déjà, le mépris des
de toute rêverie
«
mélancoliques
humble ou
sous ce
», et
nom
tendre, de tout sentiment
vague d'enfant ou de femme.
Dans
les
Passions de
pouvons éclairer par
Vamoiir de
lame de
le
la jeunesse
prendra Spinoza est déjà
Descartes, que nous
Discours sur
de Pascal,
fixé.
C'est
les
le
«
passions de
type que re-
l'homme géné-
reux »,sa marque est d'avoir une grande passion, une
passion de feu, c'est-à-dire sans mélange, qui emplit
seule la capacité de son
cœur
autres ploient et obéissent.
et à laquelle toutes les
Il lui
faut
une plénitude de
passion qui ne laisse en lui aucun vide.
doctrine
I
pédante de l'École, que
Les Caracrcres des Passions, ir vol, ch.
la
1.
Il
rejette la
grande passion
capable d'excès.
est
grande
1
!
L'amour ne saurait
«
Dans une grande âme, tout
»
demande une
remplir. La passion
sera porté aux grandes choses et
pour
vie d'action qui
il
n'en est pas de
plus grande que de faire du bien aux autres
il
n'aura pour la misère des
extérieure,
Il
et
Il
en événements nouveaux. L'homme généreux
éclate
fois
trop
grand.
une inondation de passion pour l'ébranler
faut
la
être
est
comme
celle
misérable, mais
il
aura
hommes qu'une
qu'on éprouve
n'aura pas la compassion qui
pitié
Toute-
-.
le
pitié
au théâtre.
rendrait lui-même
du manque de constance
des cœurs que les passions ennemies déchirent en mille
morceaux.
La grande passion, pour Descartes, ne s'oppose pas à
la raison. Elle est tout intellectuelle. C'est
une préci-
pitation do pensées qui se porte d'un côté sans bien
examiner
deur
est
mais
tout,
c'est
de la pensée encore
pénétrée de lumière
la netteté
de
^.
A mesure que
;
son ar-
s'accroît
passion grandit. Elle n'est donc
l'esprit, la
point une puissance obscure et presque fatale qui s'im-
pose à nous
;
ce sera
la
Phèdre de la présenter
plus
1.
stoïquc,
Pass. de l'âme,
elle
nouveauté de Racine dans
ainsi,
mais l'inspiration ne sera
sera purement
II, art.
chrétienne.
Pour
139.
2. 111, art. 156.
3.
L'émolion physique elle-même enveloppe une idée
et Pascal
veut jus-
tement qu'on laisse naître pleinement l'émotion pour suivre aussitôt lidée
qu'elle projwse. Descartes pense au contraire
il
conseille d'user d'industrie
que cette idée
pour en divertir
l'esprit;
conliance à la passion constante qu'à l'émotion actuelle.
il
« exagt-re »
;
donne idus de
BEXOIT DE SPINOZA.
23
Descartes, avoir
une grande passion,
c'est
avoir pleine
conscience de soi-même. La générosité consiste à
((
s'es-
timer au plus haut point qu'on se puisse lég-itimement
estimer
L'orgueil et l'humilité sont de fausses vues
».
^
sur soi-même, la générosité
donne la maîtrise de
soi et
est
une idée
permet par
là
dérèglement des choses^. Pourvu qu'on
on ne désire jamais trop^!
soi,
rien. « Tirer
de la joie de tout
le traité des Passions^.]
U
de jouir sans
ait l'estmie
de
ne faut renoncer
» est le
Tant que
juste. Elle
à
mot qui termine
l'esprit reste limpide,
ne peut y avoir de péché, car en celui qui a l'estime
il
de
toutes les passions s'ennoblissent.
soi,
moral d'un grand seigneur français
Louis XIII
de
:
C'est l'idéal
du t?mps de
avoir l'esprit net et jouir magnifiquement
la vie.
Comment
se
transforme en Hollande ce type superbe
d'iiumanité? Le
apaisés,
mais
le
remuement
et
la
tempête
fond en ressort davantage
:
se
l'unité
la vie, l'empire de soi, la paix intérieure, d'un
l'homme
«
A première
vue, les traits distinctifs subsistent, la
cisme sans renoncement
r
homme
«
1.
Pass. de l'âme,
2.
m,
3.
II,
4.
m.
art. 156.
art. 14
col.
la
libre » de Spinoza.
grande passion réduite à une idée adéquate,
sion de
mot
de
làmc. L'homme généreux de Descartes de-
liberté de
vient
sont
4.
212
fin.
III,
et
sans
abstention.
le stoï-
La pas-
libre » reste la générosité, c'est-à-
art. 153.
235
l'éthioi'K-
dire l'amour'.
monde
il
le seul
n'ait
forts,
où un
tel sera le
homme puisse
non plus
qu'il est
affaiblis
parvenu à vaincre,
l'idée juste
joyeuse
°.
"\
Dans
soi
de
Être en possession de soi par
*.
c'est la
condition de l'action
L'aversion de Spinoza pour les mélancoliques
instant. Ils n'arrivent à se
dégoûter des
choses que parce qu'ils ont introduit par la
par la
le si-
la paix intérieure qui vient
de soi-même,
chaque
éclate à
plus
Et la générosité est à la pro-
2.
donne à l'âme
contemplation de
la
et
où
vulgaires ou sous leur agitation
lence des 2)assions
elle
nouveau
la fortune et
portion de la connaissance de soi-même
même,
le
vaincre une foule,
aucun besoin des secours de
joyeux ceux
laisse
il
géncrosit<; on lui no peut avoird'excès,
haine par la générosité,
la
combat,
où
La
déborde de sou Auie infrôpidc Vaincre dans
elle
humilité le
triste
mêmes. Toutes
les
pitié
ou
doute à l'intérieur d'eux-
formes de la mélancolie sont mau-
vaises, dégoût, envie, mépris, pitié, humilité, repentir.
C'est la joie qui est bonne,
réserve
:
Spinoza dirait
joie vaudrait
bonne sans exception, sans
comme
Descartes qu'une fausse
mieux qu'une juste
tristesse^», s'il n'était
absurde de trouver justes ou fausses
1.
Amor sive generosilas (Etii.,
2.
IV, 46, se.
3.
Voy. dans
le
long scolie de
IV,
la
la tristesse et la
i6).
Pr. V, 20, le passage sur les marjnï
aU'ecdis.
'i.
IV, 52 et se.
5.
Bene agerc
et
Ixtcri,
maxime
50, se.
6. Pas-.?,
de l'âme,
II, art.
142.
stoïcii^nne,
citée
par Spinoza,
IV,
BENOIT DE SPINOZA.
236
\
joie arbitraires
impassibles.
que nous éprouvons devant
En
les choses
tout cela on reconnaît l'écho de Des-
cartes renforcé encore plutôt qu'affaibli.
III
Mais à voir le détail, l'idéal de Descartes est singu-
lièrement précisé. Dans la passion, prenons-y garde,
seul élément est
bon
et
ne craint pas d'excès,
un
le désir.
Le mal est l'autre élément, la rêverie vague, l'âme
livrée à l'enchaînement fortuit des
rêverie est
l'essence de
images confuses. La
mélancolie
la
toutes les
et
passions mauvaises, l'avarice, l'ambition, l'amour des
femmes
se réduisent à des rêves
qui obsèdent jusqu'au délire
mauvaises, mais
l'invincilDle
i.
qu'on
fait
debout
et
Les passions ne sont pas
vague des passions; Spinoza en a
le
horreur.
S'il dit
que
la joie est
bonne,
il
ne
l'entend pas au sens large et quasi mystique, mais au
sens clair et précis de gaité, de franc rire, de bonne
humeur
hollandaise
hilarité, la pleine
d'ordinaire
lades
-.
Rien n'est plus rare que la vraie
santé de l'âme; les
hommes
n'ont
que des joies partielles de rêveurs ma-
3.
Au fond de
la rêverie et
de toute maladie de l'âme se
trouvent l'image du passé et l'image du futur, aussi
1.
IV, 4i, se,
2. Risiis,
3.
fin.
jocus, hilaritas, IV, 45,
IV, 44, se.
se. 2;
—
42.
2:n
L'ÊTHIQUh.
trompeuses rime que
doublures toutes
l'autre, tristes
deux du présent. L'homme qui se repent après coup,
l'homme qui
deux
craint d'avance, sont
fois
misérables
impuissants ^ Et Fespérance est aussi funeste que la
et
nous met également dans
crainte; elle
de
la fortune-.
Il
faut vivre,
au
la
dépendance
lieu d'espérer perpé-
En amour par exemple,
tuellement de vivre.
bonheur qu'on
doit rechercher
ce n'est
bonheur
pas
le
fait
d'espérances d'avenir et de regrets du passé, de
rêveries;
:
le
n'a rien d'actuel et s'évapore sans cesse
il
dans l'insaisissable de la durée. Ce n'est pas
davantage
le
:
plaisir n'est
tanée d'une partie
du
corps.
que la
sur la gaîté^ qui est
total.
Le
difficile est
l'égard des
quille et
maux
un bonheur
momen-
être fondé
du bonheur, mais
ou un
actuel
plaisir
de jouir du présent avec plénitude.
futurs et passés,
un désespoir
une paisible impénitencc sont
Ce n'est pas que l'homme libre
la sagesse
sacrifie
un moindre bien présent^.
bien futur à
le plaisir
titillation
L'amour ne doit
ni sur le plaisir, ni sur l'espérance
A
est
tran-
même.
un plus grand
Il
ne
fait
pas la
difierence entre le futur, le présent, le passé, mais entre
le réel et
passée,
l'imaginaire^. Pour lui, une
une chose
réelle à venir, ont autant d'existence
qu'une chose présente. Mais
qu'un
moment de
5i;—
1.
IV,
2.
IV, 47.
3.
IV, 43, 44.
47.
4.
IV, 66.
5.
IV, 62 et se.
chose réelle
la
mort, par exemple, n'est
la durée apparente, ce n'est pas
une
238
BENOIT DE SPINOZA.
chose. La mort est à quoi
moins K L'homme sain
homme
un
se nourrit avec plaisir;
mort
son.qe pas en cela à se préserver de la
L'homme
libre a
de
pensée de la mort.
nul
homme
Il
Hbre pense
même
le désir
:
le
ne
il
a faim
il
-.
de la vie sans la
a le désir irréductible de vie que
n'abdique, puisque jamais on ne se suicide
par un acte autonome
mais ce sont
:
Sénèque peut tenir
couteau,
le
choses extérieures, victorieuses de
les
lui,
qui seules l'enfonceront-^. Ainsi Spinoza dégage de la
passion l'unique élément
crainte, le désir
de vivre,
qu'on puisse exalter sans
pur,
le désir
saisi
dans
le
présent, avant qu'il se soit réfracté en imaginations.
Un autre
est-il
point est j^récisé encore
:
dans quelle mesure
vrai que la passion ne s'oppose pas à la raison,
à la loi d'unité
c'est-à-dire
homme
et
Là encore,
les
deux éléments de
les
que
le flot
ne voit dans
des images confuses,
possible de trouver rien de
hommes?
la passion, le désir et
la rêverie, doivent être distingués. Si l'on
les passions
de chaque
dans la vie
au principe d'union entre tous
commun
il
est
im-
entre elles. Que,
chez toutes, les images soient confuses, ce n'est pas une
ressemblance*.
«
Dire
que
le
blanc et
le
noir n'ont
d'autre conformité que de n'être ni l'un ni l'autre le
rouge, ou dire qu'une pierre et un
homme
en ce seul point que tous deux sont
1.
IV, 07.
2.
IV, 63, se.
3.
IV, 20, se.
'j.
IV, 32, se.
finis,
conviennent
impuissants,
230
LKTIIIOLK.
que
c'est (lire
le
blanc et
n'ont aucune conformité,
sions n'ont
le
noir, la pierre et l'iiomnio
»
Les l'èves fuyants des pas-
même aucun
(le
semblance. L'esprit qu'ils occupent
varie et diffère sans cesse
aucune res-
lien entre eux,
et qu'ils dispersent,
de lui-même
rendent les
hommes dissemblables.
ne doivent
j)as
nous tromper.
ce sont eux
([ui
D'apparents accords
se
Il
;
forme entre
les
gens passionnes de fausses associations. L'homme passionne
loir
nous
a,
qu'on
le savons, la
manie singulière de vou-
ressemble, sans toutefois
lui
le
vouloir com-
plètement, à la façon de l'amoureux qui vante aux
autres sa maîtresse et serait désolé de les persuader
Mais en réalité c'est
un paradoxe de prétendre que de
'.
la
dissemblance profonde puisse naître autre chose que
la haine couverte^. Et la haine est
imaginatif de la passion.
autre
homme
homme,
il
formée par l'élément
Quand un homme
parce qu'il désire la
même
la chose,
lui-même en
commun,
est privé,
parce qu'il se représente cela en imagination.
le hait
un
chose que cet
n'a pas pris conscience de leur désir
mais l'autre possède
hait
il
—
Tout au contraire, l'élément fondamental de la passion,
le désir
fois
un
de vivre, se confond avec
Il
est à la
principe d'unité dans la vie de chaque
homme,
la raison.
d'union entre tous. Vouloir vivre n'est pas une image
confuse, mais une idée concrète, adéquate
même
l'essence
de l'àme individuelle. Et les désirs humains se
1.
IV,
2.
IV, 3i.
3. IV,
'^
;{7,
Pr.
se.
1.
23, 25.
BENOIT DE SPINOZA.
2iO
trouvent d'accord de
propre,
que suivre son désir
juste façon
si
bien des autres hommes. Plus
c'est faire le
chacun désire ce qui lui est utile, plus les
réciproquement
uns aux autres
utiles les
sont
c'est la
doc-
;
que Spinoza veut établir contre Hobbes. Elle
trine
seulement esquissée dans YEthiqiie;
loppée dans
Ce
me
ressemble
le
plus utile
le plus
hommes
me
moi,
et
échange de précieux services
le
domaine de
culation,
ils
même
me
même
le
est,
déve-
à le bien voir,
~.
servir d'instruments.
s'établit
il
un perpétuel
Tout ce qu'ils inventent
la pratique et
peuvent
nous sommes de
sera
Les animaux d'autre race
^.
que moi peuvent tout au plus
Mais entre les
elle
est
de Politique.
le Traité
peut m'ètre
c|ui
ce qui
dans
hommes
dans celui de la spé-
communiquer, parce que
race.
Si
nature viennent à se joindre,
deux individus de
ils
composent, par
leur union, un individu deux fois plus puissant que
chacun d'eux. Les hommes doivent donc tendre à
qu'
«
un
l'utilité
seul
homme
de chacun
choses qui
fait
«
^
»
;
qu'un amour de tous en toutes
que toutes
les
âmes
et tous les corps
forment, pour ainsi dire, qu'une seule
corps
''*)).
hommes
— Le sentiment
est
n'être
rien n'est plus conforme à
amc
et
un
ne
seul
aussi vif de la parenté des
nouveau dans Spinoza.
Il
se substitue au
sentiment plus vague d'une union de l'homme avec la
1.
IV, 29.
2.
IV, 35, cor.
3.
IV, App. 12.
4.
IV, 18, se.
1.
2 VI
l'éthique.
nature entière que nous avons rencontré dans
Emendatione
cond
livre
nature et
^
suit
il
De
dans l'esquisse de physique du se-
et
L'homme
2.
le
est
sans doute une partie de la
nécessairement Tordre universel, mais
s'il
trouve autour de lui un certain nomlirc d'individus
de
même
race que
se trouve autant
rité
lui,
de
fois
sa puissance contre la nature
multipliée
La
2.
ne s'étend point aux animaux. La
môme
solida-
de notre in-
loi
térêt ne nous ordonne, en aucune façon, de conserver
quelque être que ce
soit,
excepté l'homme. Elle nous
ordonne de conserver ou de détruire
les autres à notre
gré, selon l'usage que nous en voulons
approprier complètement à notre service
humaine
nité
^.
est toute spéciale et n'a rien
une façon
rieux; c'est
de les
faire,
positive, intelligente,
La
frater-
de mysté-
pour chacun
d'entendre son intérêt propre.
De
du quatrième
là suit la théorie essentielle
l'accord de la vertu, c'est-à-dire
du
livre,
désir avec la raison.
La vertu ne doit pas s'entendre au sens vague. Elle
consiste à faire effort pour se conserver et pour vivre
selon les lois de sa nature propre
doit être désirée
ment
pour elle-même,
qu'elle est la
s'oppose à l'impuissance
1.
Voy. plus haut,
IV, App.
3.
IV, App. 26.
4.
IV, 18,
5.
IV, 22, cor.; 35.
j).
Dire que la vertu
c'est
exprimer juste-
tendance la plus profonde de
rien n'est plus désirable
2.
^.
que
;
le désir
l'être
elle consiste à agir
au lieu de
69.
20.
BENOIT DE SPINOZA.
:
lui-même. La vertu
7.
se;
^
16
BENOIT DE SPINOZA.
'lï^
pàtir
Juger de ce qui est bon
^.
et
mauvais, veiller à son
intérêt particulier suivant sa constitution particulière, se
venger, conserver ce qu'on aime, détruire ce qu'on hait,
voilà la vertu, en d'autres termes, le droit naturel. Si les
hommes
comme
étaient intelligents,
premier lieu
ils
sentiraient en
humaine, chacun jouirait
la solidarité
sans danger pour les autres de tout son droit naturel.
Mais les
hommes
images qui
même
se
sont leurrés et mis en conflit par les
mêlent à leurs passions
et la société elle-
n'a pas été fondée sur l'intelligence, elle a été fon-
dée sur une passion, la crainte du châtiment. De
que Ton a imposé certaines conventions sur
qui, de droit primitif, appartenait
même
la propriété
on a con-
à tous,
venu que certaines choses, diversement déterminées,
mal dune façon
seraient réputées bien ou
indépendamment des
sance à la
loi ainsi
clarée méritoire.
de justice
et
désirs particuliers.
abstraite,
La désobéis-
forgée a été punie, l'obéissance dé-
La vertu
compliquée des notions
s'est
de péché, notions extrinsèques, de seconde
venue, et qui n'expriment point la nature de l'ànie^.
l'homme
Mais
Sa raison
que
les
intelligent se passe de la loi extérieure.
lui suffit,
en d'autres termes son
commandements de
ceux de sa nature propre
ticulier le bien de la
pour
lui,
1.
IV, 37, se.
1.
IV, 37, se.
2.
3.
IV,
17, se.
^.
Il
ne sont autres que
cherche par intérêt par-
communauté. Tout ce
du même coup
2.
la raison
il
désir, puis-
le
désire
qu'il désire
pour
les autres
l'étiiiqce.
non
lioiiimcs',
par* secrète
2V.i
ambition ni par bonté de
cœur, mais par intelligence. Suivre la raison,
c'est né-
gliger le pacte social dont l'appareil de précautions et
de contraintes s'applique aux esprits sans éducation
fonder d'emblée la société des
hommes
cation est ainsi la plus haute fonction
et
L'édu-
libres.
humaine
-
:
elle
a pour but de remplacer la loi par l'intelligence. Cha-
cun comprendra que
chacun
est spécial à
bien
deux
fait, les
pétuellement
duelle
3,
:
le
souverain bien des
le
commun
et
définitions
à tous.
En
tout esprit
du bien s'échangeront per-
bien est ce qui enrichit la vie indivi-
bien est ce qui resserre le lien de la société
le
Le premier, Spinoza retrouve
L'homme
stoïcienne.
liJjre n'est
ici
dans la
cité,
dans la solitude où
ont apporté au
où
il
il
vit
plus le sage solitaire
sous la
loi
le
Il
est plus
commune, que
n'obéit à personne
monde
^.
toute l'inspiration
de Juste Lipse qui se suffisait à lui-même.
libre
hommes
'.
Les stoïciens
sentmient de la communauté
comme
les
pieds, les mains, les paupières. L'idéal stoïcien est
un
des êtres raisonnables, nés pour sentr'aider
idéal républicain. L'«
1.
le
homme
généreax
»
de Descartes
IV, 37.
2.
IV, App.
3.
IV, 39.
corps, car
î).
—
Il
d'amnésie, ou
ne faut pas dire strictement
:
le bien est ce qui
y a des morts successives du corps
il
quand
l'enfant devient
être changé en cadavre (IV, 39, se).
:
on
le voit
conserve
dans
les cas
homme. Le corps peut mourir
Le bien
est ce qui
rend
sans
la vie plus
intense.
4.
IV, 40.
—
Spinoza se sert indifféremment de deux définitions pour
déterminer la valeur des passions.
5.
IV, 73.
BENOIT DE SPINOZA.
244
restait encore trop
gentilhomme'; lu
de Spinoza
dans
est pris
blicains de Hollande.
A
flatteurs qui entourent
tardent pas à en faire
donner sur
l'accent dont Spinoza parle des
un grand
un fou
~
»,
lui
Il
et
non
«
répugne
magnitique envers
Descartes,
qui
on sent
les autres la supériorité
l'obligé. Etre
maxime de
libre »
masse des bourgeois répu-
la
des égaux.
société libre
homme
sot
ne
goût de la
même
de se
du bienfaiteur sur
hommes
les
celle de
d'un
le
est
la
Spinoza, qui. à la
magnificence des grands, préfère la magnificence ano-
nyme
lières
de
:
contre les largesses particu-
l'État. Il s'élève
le
soin des pauvres est l'affaire de la société
tout entière
^;
faite d'individus
à individus, l'aumône
a des dangers. Le sage ne cherche pas à s'attacher les
hommes
par la reconnaissance
discrètement les bienfaits
qu'un lien
factice
^
remplace
eux les êtres raisonnables,
un bienfaiteur de
voir en être
et
lui-même
il
refuse
parce qu'il n'a pas besoin
le lien
et
naturel qu'ont entre
parce cpie prétendre être
moins beau que de
sa-
stoïcisme de Spinoza,
il
la société est
un membre.
IV
Pour achever de définir
le
faut s'arrêter enfin aux traits les plus individuels. Dans
1. « ]1
n'y a point de vertu à laquelle
contribue tant qu'à
2.
IV, 57, se.
3.
IV, App. 37.
4.
IV, 70 et se.
la générosité.
»
il
semble que la bonne naissance
{Pass. de l'âme,
111, art.
KU.)
2V5
l'étiiiolk.
une
rame
(locfrinc morale,
personnelle transparait pres-
Sénèque,
est oratoire chez
que toujours. Le stoïcisme
ascétique chez Épictète, tendre et mélancolique chez
Marc-Aurèle, pédant chez Juste Lipse, magnifique chez
Descartes. Chez Spinoza,
de tout, Spinoza met
il
est intellectuel.
l'intelli.iience. « Il
Au-dessus
n'y a pas,
de vie raisonnable sans intelligence et
les
dit-il,
choses ne
sont bonnes
qu'autant qu'elles favorisent l'exercice de
la pensée.
Le
»
plaisir fort, aigu parfois,
celui dont Descartes disait
parti
gence
))^
dont Spinoza
est le seul
est
son goût
Tàme
«
:
le
plus
soit
de la pensée,
a des plaisirs à
avide. L'intelli-
passion de sa jeunesse
\if, la
de sa vie entière, due à son tempérament, à son
et
éducation rabbinique, à l'influence de la morale de
Maïmonide. Dans
qui use
bien de son intelligence
l'homme
futur portrait de
tione
Court Traité le portrait de l'homme
le
faisait
de
la
libre
purification
était l'esquisse
•'^.
de
du
Le De Emendal'intelligence
le
fondement de la morale. Maintenant encore, après avoir
pris soin de définir le bien par l'harmonie
du désir
dividuel et de l'intérêt social, Spinoza ajoute
est,
au surplus, l'intelligence;
les choses, mauvais de ne
les
il
est
un
IV, App. 5.
de l'âme,
2.
l'ass.
3.
Court Traité,
4.
IV. 26 et 27.
II,
III,
art. 212.
ch. 6 et 7.
bien
*.
N'est-
désir particulier
parce qu'on est philosophe, exiger de tous les
1.
le
bonde comprendre
pas comprendre
ce pas ériger en règle universelle
et.
:
in-
hommes
BENOIT DE SPINOZA.
2i6
l'amour de la pliilosophie? Non,
la vertu essentielle
l'acte
le
plus
demandée
humble de
l'intelligeiicc est
bien
pour mieux
dire,
à tous
A'ertu est
;
un
acte dintelli-
gence. L'accord entre le plus g-rand bien de chacun et
le
plus grand bien de tous, à mesure qu'on est plus
intelligent,
on
le sent
davantage. Spinoza, ainsi que
grands penseurs du
les
de l'intelligence
comme
siècle^
xvii''
d'une
véritable
Être intelHgent à l'égard de
rale.
parle
toujours
mo-
vertu
soi-même,
c'est,
selon Descartes, de la générosité; être intelligent d'une
façon absolue,
il
faut
pour Spinoza, du courage K Oui,
c'est,
du courage, quand
les
choses semblent fasti-
dieuses ou répugnantes, horribles, injustes, impies, pour
reconnaître qu'on les conçoit avec trouble et confusion;
il
faut de la force
d'âme pour
les
comprendre
qu'elles sont. C'est l'exercice de la vertu stoïque.
nous
est
telles
Il
ne
pas demandé de travailler à changer l'ordre
universel, mais de travailler à le comprendre. Quelle
sérénité entre dans l'âme qui l'a compris
nous délivre à jamais de
pitié,
de toutes les
la haine,
tristesses.
!
L'intelligence
du dégoût, de
Elle est sainte, elle est
joyeuse. La colère et l'indignation n'étaient que
fausses vues de l'esprit, des agitations obscures et
bles.
raît,
La majesté triomphale de
nous absorbe
et
la
la nature
de
risi-
nous appa-
nous apaise.
Spinoza pourrait traduire en termes d'intelligence sa
doctrine entière. La solidarité humaine, l'accord des
1.
IV, 73.
LKTHIQL'E.
2V7
intérêts sont des laits; le désir, la vertu, la raison sont
des idées a<léquates. Et quoi d'étonnant (|u*une morale
fondée à l'origine sur l'exaltation du désir, coninie de
l'élément
le
plus permanent de nous-mêmes, aboutisse
au culte de rintelligencc? Le désir de vivre se confond
pour Spinoza avec
le désir
aspire à subsister sans
ni arrêt,
fin,
de comprendre. Ce qui en
lui
ce qui ne craint ni lassitude,
ni défaillance, ce qui le soutient et lui suffit,
c'est la joie
de penser.
L IVRE V
L ETERNITE.
Pouvons-nous atteindre à
dire à la maîtrise des
la liberté
morale, c'est-à-
passions? Telle est la question
théorique que la dernière partie de Y Ethique va résou-
prend soin de dire
dre. L'auteur
moyens pratiques
qu'il
d'arriver au but
trent dans la logique
;
ne
les
traite
moyens
médecine^»;
et la
pas des
le
«
ren-
but seul
l'occupe.
Le livre V peut avoir pour
nymes
:
de la béatitude, de
titres trois
la liberté,
termes syno-
de l'empire de
l'intelligence sur les passions. L'auteur le partage en
deux étapes. Après
le scolie
de la proposition 20
se termine, dit-il, ce qui concerne la vie
dans
le
:
« Ici
temps.
Passons à ce qui concerne la durée de l'âme considérée
sans relation avec le corps
nelle.
Dans
la
», c'est-à-dire
première partie,
il
à la vie éter-
vient d'estimer,
du
point de vue stoïque et chrétien, tous les remèdes qu'on
peut, au cours de la vie, opposer aux passions.
Il
a con-
clu que la suprématie de l'intelligence et par suite la
liberté et le
1
.
Préfiice.
bonheur
sont, de ce point de vue, théori-
2V9
l'éthique.
qucment
vue
possibles. Dans la seconde partie le point de
définitif est
abordé. La vie ne doit pas être déroulée
dans la durée mais ramassée en un
Si la
elle
total,
hors du temps.
suprématie de l'intelligence n'est que passagère,
ne compte pas. Tout ce qui
est provisoire s'efface;
rien n'est réel qui ne soit éternel.
Que
reste-t-il
donc de
nous? Pouvons-nous atteindre à une liberté éternelle,
à
un bonheur éternel? Question suprême que
reste
Ici
surtout, dans ce bréviaire destiné à l'exaltation
de l'intelligence
nous
tout le
de \ Éthique servait à préparer.
est dure.
et
de l'amour, l'exposition géométrique
Le lecteur n'a sous
fisante réduction de la doctrine
les
yeux que
l'insuf-
en propositions.
Il
lui
faut se rendre assez maître de toutes les relations des
propositions les unes aux autres pour pouvoir éveiller à
la vie la pensée
tombée à
mort apparente du formu-
la
laire.
I
Que peut-on retenir de
la
doctrine
néo-stoïque
et
cartésienne en faveur de la liberté?
Le fatras physiologique
est,
bien entendu, à rejeter
tout entier. Ni les nerfs, ni les esprits, ni la glande pi-
néale ne peuvent nous apprendre
non. Le débat est intérieur.
lement
Il
si
l'àme est libre ou
se pose entre termes éga-
spirituels, les idées passives, les idées actives.
Quel remède intérieur avons-nous contre les idées passives? Le corps n'est pas en question. Tout se déduira
BENOIT DE SPINOZA.
250
d'un
fait
purement
spirituel, la connaissance
par elle-même^. Pour
le
reste,
il suffît
de
Tâme
d'énoncer, au
début, qu'il y a concordance entre l'action de l'âme et
l'action
du corps 2. On ne peut
dire plus.
Pour conclure
des mouvements cérébraux à la liberté de l'âme,
faudrait supposer une
commune mesure
il
entre ces deux
termes. Cela ne peut pas être une idée claire.
Meilleur parti peut être tiré du « remède
cartes
de Des-
»
dissocier la passion de l'idée fictive de sa cause,
:
plus simplement, penser à autre chose, a Si nous dé-
gageons une passion de la pensée de sa cause,
sion disparaît aussitôt^. »
Si
la pas-
vous avez peur, ne luttez
pas contre la peur, mais pensez à autre chose. Vous
aimez bassement, gardez l'amour, pensez à une autre
personne. La première partie du conseil est juste. On
ne peut pas détruire une passion.
la diriger sur
un
suffirait
de pouvoir
objet choisi. Mais la direction d'inten-
tion est précisément le difficile.
tient sous
Il
son empire,
si
Quand
la passion
nous
nous sommes capables de
penser à autre chose, la cause de la liberté
est
gagnée
d'avance. Le remède de Descartes suppose des esprits
déjà en possession de leur liberté.
Le remède de Spinoza n'est pas de
se distraire,
mais
au contraire de se replier sur soi-même, de penser à sa
propre passion.
sive sitôt
1.
Préface.
2.
Pr.
3.
Pr. 2.
4.
Pr. 3.
1.
«
Une
all'ection
passive cesse d'être pas-
que nous nous en formons une idée
claire
^.
»
L ÉTUIOLK.
251
nous préoccupe moins à mesure qu'elle nous
Elle
mieux connue. Une passion qui
s'éclaircit
est
nous intéresse
moins. Et nous former une idée claire, au moins de fa-
çon
de nos passions, introduire un peu de lu-
partielle,
mière
dans ce domaine de pénombre, nous
et d'analyse
pouvons toujours.
le
réduit à penser',
la détruire,
»
«
Toute
puissance de
la
Comprendre
lame
se
la passion, ce n'est pas
car pourquoi la détruire?
«
une passion
n'est
mauvaise qu'en tant qu'elle empêche de penser^
c'est
pourtant lui faire la place plus petite. Car c'est de
la substance
même
agit et qu'elle pâtit
la pénètre la passion
«
Par exemple,
le
^
même
est
appétit que
A mesure que
».
la
lumière
pure peut se transformer en vertu.
désir instinctif de voir les autres
gens suivre votre humeur propre est
s'il
;
de nos passions que se forment nos
idées claires, puisque « c'est par le
Tâme
»
obscur; charité,
s'il
est réfléchi
Avant de pouvoir réduire
ainsi
'^.
folie d'org^ueil,
»
en mécanisme cons-
cient le jeu obscur d'une passion, c'est
une force déjà de
nous attacher à une seule idée
En des moments
claire.
de colère, ou seulement d'indignation, ayons en mé-
moire quelque formule simple dont nous ayons éprouvé
la certitude, par
lidarité,
ou
il
:
Donnons à une
1.
Pr. 4, se.
2.
Pr. 9, déni.;
3. Pr. 4, se.
4.
5.
llnd.
Pr. 10, se.
exemple
:
notre intérêt est dans la so-
faut vaincre
loi intérieure
— Pr. 10, déni.
la haine
le
par l'amour"'.
caractère d'obligation
252
BENOIT DE SPINOZA.
tant
que nous ne sommes pas encore dans
La
la liberté.
loi
morale
ainsi
le
formée n'a en
règne de
soi
aucun
caractère mystérieux ni sacré; elle a la valeurd'une
idée juste. Une idée philosophique peut jouer le
rôle C£u'un précepte moral. Par
exemple
nable se recomiait à la sérénité, ou
:
les
sent par la nécessité de leur nature
'.
pensée est particulièrement
la
choses sont nécessaires
efficace
affaiblit
;
:
même
la vie raison-
hommes
agis-
Cette dernière
pensée
c[ue les
beaucoup nos passions 2,
à mesure que la notion de la nécessité s'étend à plus
et «
d'objets, notre puissance sur les passions grandit
Il
^
».
importe de distinguer les pensées proprement dites
de ces réflexions passagères qui naissent du cours
des passions et ne donnent
liberté.
«
Un homme qui a
même
quune fausse apparence de
mal reçu de sa maîtresse
été
n'a plus l'âme remplie que de l'inconstance des femmes,
de leurs trahisons
en
est-il
;
mais revient-il chez sa maîtresse
bien reçu, tout cela est
et
oublié-^, » Les réflexions
d'un amant déçu ne sont pas des pensées. Seule la pensée désintéressée est une force. C'est peu, sans doute,
que quelques pensées de
cette sorte
les passions occupent. C'est
une force
dans une âme que
peu, mais les pensées ont
C£ue les passions n'ont pas, la cohésion. Elles
s'enchaînent et se fortifient lentement. La passion se
plaît
1.
•î.
aux images singulières,
Ibid.
Pr. 6.
3. Pr. 6, se.
4.
Pr. 10, se.
isolées, fortuites, inexpli-
253
l'étiiiquk.
la multitude des circonstances nouvelles
cables;
toune
et l'affaiblit. L'expérience,
l'autorité
de
la
Té-
au contraire, ajoute à
pensée juste. Le progrès du temps qui
épuise les passions affermit les pensées i. Dans la sul)stance
même des passions
qu'elle analyse et qu'elle ex-
œuvre de
plique, l'intelligence fait lentement son
mière
lu-
de joie et fonde la liberté.
et
II
Mais Spinoza ne veut pas que l'intellig-ence seule soit
ouvrière de liberté.
A
l'intelligence
pure
il
joindra un
sentiment religieux, intellectuel encore, l'amour de Dieu.
Unie,
comme
il
était fréquent,
nous reconnaissons
à l'inspiration stoïque,
ici l'inspiration
que Pascal n'eût distingué
chrétienne. Avant
le chrétien
du stoïque
Malebranche n'eût décidément rompu avec
un
que
le stoïcisme,
christianisme stoïque fut en faveur. Juste Lipse est
préoccupé de mettre d'accord
les
deux doctrines mo-
en substituant à la Nature des stoïciens
rales
chrétiens
'.
Quevedo mêle constamment
le
Dieu des
saint Paul,
saint Pierre Chrysogonc, saint François de Sales
teurs
du Portique,
et
chez
les stoïques
Corneille de Witt par exemple,
tinguer
1.
et
le
il
aux au-
de Hollande,
serait difficile de dis-
sentiment stoïque du sentiment chrétien.
Pr. 7 elPr. 20, se.
—
Manuduclio ad stoïcam philosophiam.
Pncf.
Aemo finein et
felicitatem cum istis {stoïcis) in Natura poimt 7iisi interprétât ione
2.
quam
dedi, id est, Deo.
:
BENOIT DE SPINOZA.
25*
L'œuvre de Spinoza
est
dans ce courant moral. Dans
la
préface des OEuvres posthumes (1677), ses aniis donnent
une esquisse curieuse de la façon commune alors d'entendre
christianisme.
le
chrétiennes de VÉthique.
Ils
«
insistent sur
En
les
parties
ce livre, disent-ils, tout
ce que le Sauveur et les Apôtres ont enseigné est con-
tenu summatim.
»
Dans la résistance aux passions,
le
sentiment chrétien n'était certes pas négHgeahle. Spinoza
trouva autour de
le
lui, le
réduisit à son essence et
rassimila à sa doctrine en condensant la pensée et en
concentrant fortement tous les mots.
l'Éthique
du Traité de
11
faut rapprocher
théologie. L'un des
deux ouvrages
présente surtout le côté stoïque de la doctrine, parce que
l'autre
en a présenté
le côté chrétien.
Ce n'est pas légèrement, ni certes pour céder à ses
ennemis, que Spinoza prononce avec respect les noms de
piété et de rehgion.
particulier.
Il
lem' donne toutefois
Pour valoir contre
la religion soit
les passions,
il
un sens
veut que
pure elle-même de toute passion. La piété
ne doit être mêlée ni de crainte, ni de remords, ni d'humihation.
Il
n'y a pas de bonne crainte. Mauvais pré-
dicateurs, ceux qui éveillent la crainte;
tissent qu'à
mêmes^
tristes
que
».
Le repentir, riiumihté, les autres passions
hommes ne
d'après la raison,
1.
n'abou-
rendre les autres aussi misérables qu'eux-
ne valent pas mieux.
« les
« ils
IV, Pr. 63, se.
il
Il
faut reconnaître toutefois
dirigeant c|ue rarement leur vie
arrive
que ces deux passions de
L KTIIIQrK.
rhumilité
2.J.>
du repentir, comme aussi rcspérance
et
crainte, qui en dérivent, soient plus utiles
et (avec ironie)
puisque enfin
les
hommes
et la
que nuisibles,
doivent péc lier,
vaut mieux encore quils pèchent de cette manière
il
L'auteur ajoute, sous
de 1672
:
craint plus.
jîhètes aient
le
ne faut donc point s'étonner que
Il
si
».
coup peut-être des événements
Le vulgaire devient terrible dès
«
^
qu'il
les pro-
fortement recommandé l'humilité,
on
pentir, la subordination. Car
hommes dominés par ces
doit convenir
ne
le re-
que
les
passions sont plus aisés à con-
duire que les autres et plus disposés à mener une vie raisonnable, c'est-à-dire à devenir
grande portée, puisque, sous
libres''-.
«Concession sans
la livrée religieuse,
les
passions restent ce qu'elles sont et ne peuvent rien avoir
commun
de
avec
de liberté.
l'état
C'est une idée profonde de la Bible que le péché ori-
ginel ait consisté pour
laisser entrer
l'homme à craindre
la
mort, à
en son cœur la première passion triste^. Bien
d'autres passions tristes et déprimantes régnent aujour-
d'hui sous les
noms les
plus saints. Défions-nous de la dé-
formation du sentiment religieux en certaines consciences
douloureuses. La douleur transformée en sentiment de
faute et en châtiment, le corps émacié, la contrition, la
torture de soi-même, la peine muette, la peur affreuse,
l'agonie
du cœur martyrisé,
salut, tout cela n'est
1.
IV, 54.
IV, 08.
désespéré vers
le
pas la vie religieuse, c'est la crise,
exagérée par l'imagination,
2.
le cri
que traversent certaines
BENOIT DE SPINOZA.
256
âmes passionnées avant de conquérir l'apaisement. La
religion ne doit pas être
souffrants,
elle
uniquement une religion des
une religion pour les opprimés et
ne doit pas abattre les robustes
rendre suspecte la santé. La
et
pas
de toute indépendance
;
elle n'est
est possible,
pourquoi
libre, être fort, c'est toute la vertu.
religieux d'un type haut, dur,
où
il
sacrifier à
plus forts? La faiblesse ne saurait
les
un mérite. Être
Un sentiment
triomphants
chrétienne n'est
pas esclavag'e, insulte
à soi-même, mutilation de soi, car
être
;
de toute liberté, de toute gaîté,
sacrifice, sacrifice
Dieu nos instincts
et les
foi
les infirmes
n'y
ait
autonome
plus inquiétude, renoncement
ni misère.
L'erreur vulgaire est de croire qu'on ne peut être fort
qu'en dominant les
barbare! Être
fort,
force la solidarité
autres
nous
qu'il
le
savons, c'est sentir avec
humaine. Se sentir membre de
niverselle association des
ment
hommes. Quelle idée de
hommes
l'u-
et le sentir si vive-
devienne impossible de distinguer son bien
propre du bien de tous, désirer naturellement pour tous
la
même vérité
sans effort les
et le
même bonheur
hommes
que pour
d'un amour mule
soi,
aimer
et nécessaire,
sans orgueil et sans humilité, c'est la force d'âme. Et
c'est la
première vertu chrétienne,
{pietasy. Ce n'est pas
dérive d'aucun
la piété
ou charité
une passion. La vraie charité ne
mouvement de
l'instinct,
mais d'une idée
juste; son prosélytisme est sans impétuosité et sansfa-
1.
IV, 3G et se.
L FUI loi F.
natisme^;
elle
2") 7
est sereine et discrète
gence. Elle n'est pas non plus un
comme
riritolli-
commandement, au-
dessus de tout droit à lacritique. L'esclave seul. Jusqu'en
morale, ne comprend que
foi,
non à la
le
liberté qui est
charité est aussi libre
tyrannique.
Il
s'élève à la
un degré plus
haut. La vraie
l'intelligence,
dont die est
que
fille.
La religion proprement
dite [religio) est « l'ensemble
des désirs et des actions qui dérivent de l'idée de Dieu
ou, ce qui revient au
Dieu. Le
même
3,
»
qui dérivent de l'amour de
mot idée de Dieu prend un
signe pas
-
sens large.
un Dieu personnel, mais une
Il
ne dé-
idée extrêmement
générale, pour mieux dire, l'idée totale de l'univers et de
nous-mêmes. Tous
les
hommes
font
un
l'affirmation essentielle de la charité.
une unité plus haute,
La religion conçoit
l'unité dernière
L'idée de Dieu est l'idée de cette unité.
aisément
«
seul corps, voilà
de tous
les êtres.
L'âme peut
faire
que toutes les images des choses se rapportent
à l'idée de Dieu
^ »
;
c'est les
ramener simplement à leur
unité naturelle. Pour étrangère qu'elle soit au langage
courant, cette conception nous est familière. L'idée de
Dieu, répétons-le, est essentiellement la pensée de l'unité,
cpie cette
pensée s'applique à l'univers entier, à l'ensem-
ble des objets, ou seulement à tel objet particulier, par
exemple à une conscience individuelle. Sentir en moi-
1.
IV, 36,
2.
Ibid.
se.
3.
V. Pr. 15 déni.
4.
Pr. 13.
BENOIT DE SPINOZA.
BENOIT DE SPIXOZA.
258
même ma propre
de mes
miité,
comprendre l'essence commune
passions, c'est avoir l'idée de Dieu. Et
comme
l'aniour de Dieu n'est rien de plus, essentiellement, que
Dieu.
«
Celui qui
comprend
lui-même clairement
même
du
c'est avoir
de Dieu,
l'idée
coup l'amour de
ses passions et se
et distinctement,
comprend
aime Dieu,
et
aime Dieu d'autant plus qu'il comprend ses passions
comprend lui-même de façon plus
se
tincte. » Cette
livre.
il
et
claire et plus dis-
proposition extraordinaire
est la clef
1
du
L'idée de Dieu est incomparable. Elle n'est pas
une idée
claire
parmi d'autres,
de toute idée qui
s'éclaircit.
elle est le
fond
commun
Point n'est besoin de la
chercher hors de nous-mêmes. Travaillons à rendre
transparente la substance obscure de nos passions, le
fond divin de toutes choses nous apparaîtra. Travailler
à éclaircir son âme,
c'est aller
à Dieu,
c'est
aimer Dieu.
Le mot amour de Dieu doit être dépouillé de toute
signification
humaine
;
il
a, lui aussi,
un
sens incompara-
ble. Sentiment unique, auquel rien de corporel ne peut
être
mêlé, pur acte d'intelligence, on ne
lui conçoit
pas de contraire, pas plus qu'à lintelligence.
sonne ne peut haïr Dieu
personne
et
-.
» Il
«
Per-
ne s'adresse pas à une
ne demande pas de réciprocité.
«
Celui
qui aime Dieu ne peut faire effort pour que Dieu l'aime
à son tour.
» Il
est la joie
pure de l'intelligence en
face de son oljjet. De la réalité
rer; hors d'elle,
1
Pr. 15.
2.
Pr. 18
il
ne
il
ne peut rien déplo-
jîeut rien souhaiter.
Il
ne se ré-
259
L'irniioi'K.
signe pas à ce qui a été, à ce qui est
;
il
veut avoir cet
état de choses, tel qu'il a été, tel qu'il est,
éternité.
de la
ne peut pas
Il
tristesse. «
même
En tant que nous concevons Dieu comme
cause delà tristesse, nous éprouvons de
mour de
«
il
pour toute
être attristé de l'existence
Dieu, enfin, n'est point
la joie'.
un sentiment
» L'a-
jaloux;
entretenu en nous avec d'autant plus de force
est
que nous nous représentons un plus grand nombre
d'hommes comme unis avec Dieu de
mour-
».
L'amour de Dieu achève
ce
même lien
la charité.
Nous
d'an'ai-
hommes pour l'amour de
aimons comme nous aimons Dieu,
mons pas précisément
Dieu, mais nous les
les
par intelligence.
Sous
les
noms de
c'est l'intelligence
les détails,
piété,
de religion, d'amour de Dieu,
que partout nous trouvons. Négligeons
une interprétation intellectualiste du christia-
nisne est-elle possible? Les éditeurs de V Éthique^ fidèles
sans doute à la pensée de l'auteur, l'ont soutenu dans
leur préface. Saint Paul appelle la religion chrétienne
rationalis religio et
on peut
lire
dans ses Épîtres que
la vraie soumission desprit, la joie, la vérité, la justice,
la
bonté sont les fruits de l'intelligence. Conmient un
idéal de pureté de l'entendement serait-il contraire à
l'Écriture? L'Écriture entière résonne des
mots
d'intel-
ligence, de vérité, de connaissance, et la nouvelle loi n'a
consisté
qu'à substituer à la lettre l'esprit
,
c'est-à-
dire l'intelligence. Saint Jean prend soin de dire
1.
2.
Pr. 18, se.
Pr. 20.
que
BENOIT DE SPINOZA.
260
Moïse a apporté la
répond à
et le
loi,
mais
Pilate qu'il est
nom
venu témoigner de
qu'on lui donne
A chaque page,
mène à Dieu^.
son.
est celui
Jésus
la vérité
de Logos, de Rai-
la vérité sanctifie, régénère, Hbère,
La religion, triomphe de
l'intelligence,
achève ce que
premier exercice de l'intelligence, l'analyse intérieure,
le
a
le Christ la vérité.
commencé
:
elle
nous donne l'empire de nous-mêmes
la liberté. Étouffée à l'origine sous les passions, « la
li-
berté a été recouvrée par les patriarches guidés par
l'esprit
du
Christ, c'est-à-cUre
par Vidée de Dieu, qui
que l'homme
soit libre et qu'il désire
seule peut faire
pour
les autres le
bien qu'il désire pour lui-même-
L'idée de Dieu est le signe de notre
même que
de
la
première idée
des passions en était l'espoir
liberté conquise,
claire naissant
et le
».
au milieu
fondement.
III
Parlons mieux, La liberté n'est pas fondée, elle n"est
pas conquise. Ce langage
est imparfait,
puisque Spi-
noza ne reconnaît pas en nous de vouloir
croit pas
rée.
1.
Il
que
qu'il
dans
Préface des
IV, 67,
se.
Œuvres posthumes. Comparer
ce
que
dit
ne
la du-
nous faut considérer enfin la liberté sous cet
thal, p. 21),
2,
les choses soient réellement
et
as-
Lucas (Freuden-
L KTHIQUE.
j)cct d'éternité
2G1
qui ré])ugne tant à l'imagination
et
au
langage.
Toutes les choses peuvent être conçues de deux ta-
«
rons
comme
réelles [acluales).
Ou bien nous
les
conce-
vons en relation avec un temps ou un lieu déterminés,
ou bien nous
les
comme
concevons
second
le
nité^.
»
telle
si
cas, elles sont
Il
Dans
conçues sous l'aspect de
l'éter-
y a deux manières, en etfet, de rechercher
moment où
disparu
;
de calculer
est
quand
la
chose est réelle ou non. La première est de
pointer le
elle a
contenues en Dieu
nature divine.
de
et résultant de la nécessité
le
elle est
les sens
calcul est complet,
chose qui se peut
si
plus exactement
l'échéance est indifférente
réelles, telles
tain
le
;
:
peu lui importe
premier des deux cas
les choses
qu'on les représente, ont existé à un cer-
moment, non à un
;
:
pour l'astronome une con-
certain autre
;
elles sont entrées
en scène, se sont succédé, se sont détruites
autres
Une
exactement, une chose qui sera
est,
Dans
moment où
elle est nécessaire.
joncture future est parfaitement réelle
d'y assister.
le
nous l'apprennent. La seconde
est possible,
elle
si
apparue,
la plus forte a
cune à son tour
supprimé
s'est levée
les
unes
la plus faible
les
cha-
;
d'on ne sait quel néant, pour
y rentrer ensuite-. Dans le second cas, chaque chose,
passée ou future
il
n'importe, est rendue présente et
éternisée par la pensée; la scène étroite
du
temps avarement mesuré à chaque acteur,
1.
Pr. 29, se.
2.
Voy. IV, as. unique, et V, Pr. 37
et se.
réel,
la
le
durée
BENOIT DE SPINOZA.
262
et l'espace,
deviennent des
comme
Il
contenues en Dieu
«
toutes les choses
fictions;
comme
réelles sont représentées
coexistant ensemble,
».
n'y a pas là de mystère. C'est la simple distinction
de l'imagination sensible
et
de l'intelligence. La repré-
sentation des choses dans la durée s'impose invincible-
ment
à l'imagination sensible, mais l'intelligence s'en
passe.
L'intelligence embrasse d'un
vant. Elle ne s'attache
coup
l'objet
mou-
que provisoirement aux ques-
tions de genèse. Suivre l'évolution du mouvant, ce n'est
pas le comprendre. Le comprendre,
l'essence.
c'est
en connaître
LintelHgence embrasse dans l'éternel des
es-
sences particulières, en relations intelligibles entre elles.
Elle défait Tordre dans lequel les choses se présentent
et refait
un ordre logique. Même quand
un ordre de
elle
détermine
succession entre les choses, cet ordre de suc-
cession ne saurait être confondu avec la durée sensible.
Si la
durée sensible, par miracle, venait à être déme-
surément accélérée ou démesurément
ralentie, l'astro-
nome n'aurait rien à changer à ses calculs. Le temps dont
il parle est un temps idéal, relation tout intelligible. Il
est commun, malgré l'imperfection de l'expression, de
considérer dans l'éternel
même une
succession de
faits.
Voir les choses dans l'éternel n'est donc rien d'extraordinaire
,
c'est
la
seule façon que nous
ayons de
les
voir intelligiblement.
Ces principes sont applicables à la connaissance de
nous-mêmes. Nous connaître,
c'est
atteindre notre es-
sence, j)ar-dessous l'écoulement de la vie.
Et l'essence
2G3
l'ktiiique.
d'un homiiio, pour complexe qu'elle
sidérée dans l'éternel aussi bien
géométrique. Le
lig^ure
soit,
peut être con-
que les propriétés d'une
pas de
difficile n'est
dérer ainsi, mais de comprendre pourquoi
moment de
la durée,
non à
tel
autre,
été tracé sur le tableau. L'éternité
que
la consi-
c'est
à
tel
le triangle
a
de l'homme n'est
pas obscure; c'est la naissance, la vie et la mort qui
le sont.
La question,
dans
même
tenqos
mes encore
dans
toutefois, n'est
pas aussi simple
les autres cas; elle est plus
que
l'intelligence qui connaît,
l'objet
l'éternel,
ici
que
haute d'un degré. En
nous som-
connu. Que nous puissions nous voir
y sommes-nous pour cela? N'avons-nous
Même
pas conscience de durer?
si
la
durée
n'est
pas
la vraie loi des autres choses, ne la sentons-nous pas
réelle
en nous?
Non,
c'est,
au contraire,
le
témoignage seul de
la cons-
cience que Spinoza invoque en faveur de l'éternité.
sacrifie,
il
est vrai,
en nous tout ce qui
sensible et mémoire.
imagination
Pour ces parties de nous-mêmes,
ne revendique ni éternité, ni certes immortalité.
il
((
est
11
L'âme ne peutricn imaginer ni
passée qu'à condition que
le
se souvenir d'une chose
corps continue d'exister i.
»
Concession dure pour l'homme de passions, presque indifférente
pour
le
philosophe. Se souvenir, imaginer no
sont pas le tout de l'homme. Notre tout est de penser.
Et dans la pensée la plus haute nous
1.
Pr. 21.
dominons la cons-
BENOIT DE SPINOZA.
264-
du temps.
cience
un
C'est
fait
d'expérience que Des-
cartes a mis en lumière. Les pensées pures ne s'altèrent
pas avec le temps. Aussi souvent que nous les avons,
nous
les
retrouvons identiques et nous sentons
n'importe
quel moment de
qu'à
la durée, elles seraient iden-
tiques encore. Ce sentiment de présent éternel est
un
sentiment intellectuel aussi réel qu'est réel, dans la
mé-
moire, le sentiment du temps écoulé. Évidemment, ce
n'est
pas à la mémoire
qu'il faut
demander
cette cons-
cience de l'éternité, qui est le contraire de la mémoire.
«
Il
absurde que nous nous souvenions d'avoir
serait
existé
avant
le corps,
temps ni avoir avec
surer par le
lation. Et
puisque l'éternité ne peut
le
me-
cependant nous sentons, nous éprouvons que
nous sommes éternels.
ses qu'elle conçoit
Lame
ne sent pas moins
par l'entendement que
a dans la mémoire. Les yeux
monstrations^.
d'écoulement
»
Il
n'est
loi différente.
penser
les
cho-
celles qu'elle
de l'âme, ce sont les dé-
pas juste de dire que la
soit l'unique loi intérieure,
telligence, qui fait bien partie de
jet,
se
temps aucune re-
puisque
l'in-
nous-mêmes, a une
Penser n'est pas seulement éterniser l'ob-
c'est être
éternel. Et
si
nous pensons notre
propre essence éternelle, nous réunissons en nous
ternité
A
({ui
de l'objet
la place
nous
loi
et l'éternité
l'é-
de la connaissance.
de l'antique illusion d'immortalité, voici ce
reste
:
l'éternité
de notre essence, l'éternité
des parties les plus hautes de notre pensée. Des deux
1
.
Pr. 23, se.
205
l'ktiiiquk.
côtés,
du moins,
c'est
une éternité personnelle. Notre
es-
sence éternelle est singulière, individuelle, et notre pensée se
rend éternelle sans cesser d'être notre pensée.
Spinoza rappelle bien que, tout originale quelle
notre pensée
autre
mode
est
«
il fait
éternel, déterminé par
modes
constitue la pensée de Dieu'
remarquer combien
un
que rensem-
éternel et ainsi à l'infini, tant
ble inûni de ces
Mais
un mode
soit,
cette façon
".
de nous rat-
tacher à Dieu est difierente, malgré les termes, de celle
qui a été exposée dans
il,
combien
le
premier
livre. «
On
voit, dit-
connaissance des choses particulières est
la
préférable et supérieure à la connaissance des choses
universelles, car, bien que j'aie niontré dans le premier
livre,
dune manière
générale, que toutes choses, et par
conséquent l'âme humaine, dépendent de Dieu dans leur
essence et dans leur existence, cette démonstration,
solide et
si
parfaitement certaine qu'elle
preuve
bien moins
pourtant
l'essence de
chaque chose particulière
pour chacune à
la
l'esprit
même
cju'une
conclusion-.
de l'attribut universel qu'il part
lier,
rie
;
c'est
soit,
»
si
frappe
tirée
de
et aboutissant
Ce n'est plus
du mode singu-
de l'individuel. Après s'être partagé avec la théo-
de la substance
le reste
de
\
Ethique, la théorie de
l'individu l'emporte, à la fin.
L'originahté de l'auteur, dans le cinquième livre, est
moins d'avoir
défini l'éternité
nité à l'idée de l'individuel.
1.
Pr. 40, se.
2.
Pr. 36, se.
que d'avoir conféré
Dans
le
premier
l'éter-
livre, éter-
266
BENOIT DE SPIXOZA.
nité et universalité étaient jointes
sels
de Dieu étaient
tenant
les
les attributs univer-
types de choses éternelles. Main-
l'éternité est attribuée,
les sens,
:
non tout à
fait et
dans tous
au corps particulier, à l'individu physiologique,
mais pourtant à
l'idée du corps particulier. « Ilyanécessai-
rementen Dieu une idée qui exprime l'essence ào tel ou tel
corps
humain sous le
que nous sommes
périssable.
:
caractère de l'éternité
i.
Voici ce
»
l'idée éternelle d'un corps individuel
Nous sommes éternels
et
mortels à la
fois.
Gardons-nous cependant de trouver en nous une double
nature. Notre corps lui-même,
deux façons d'être réel
:
il
comme
est réel
toutes choses, a
dans
la durée,
il
est
réel aussi dans l'éternel, et là, son éternelle essence ne
diffère
pas de Tidée éternelle que nous en avons.
Négligeons d'apparentes vicissitudes. Une intime union
d'individuel
et d'éternel
meilleur de nous
liers
:
dans
la connaissance
est
le
la connaissance des individus singu-
dans leur essence éternelle. Nommons-la, d'un
terme dont
le sens a été plusieurs fois élargi,
connais-
sance du
troisième genre. (Spinoza semble revenir sur la
critique
du second
livre et
admettre que nous puissions
connaître dans leur essence d'autres êtres
mêmes^.) En
la connaissance
du troisième genre
vent vertu, repos, perfection, bonheur.
prême de l'âme,
sa
que nousse trou-
« L'eOl'ort
suprême vertu sont de connaître
sules
choses d'une connaissance du troisième genre ^... De ce
1.
Pr. 22.
2.
Pr.
•i.
Pr. 25.
2^1,
28.
LÉTHIOIE.
2G7
genre de connaissance naît pour lùnie
repos dont elle puisse jouir
'...
le plus parlait
A mesure que chacun
de nous possède à un plus haut degré ce genre do connaissance,
il
a de
soi-même
et
plus pure, en d'autres termes,
heureux 2.
»
En
de Dieu une conscience
il
est plus parfait et plus
cela consiste enfin notre li}>ortc, dont
nous comprenons maintenant qu'elle
cement ni
fin, qu'elle soit
n'ait ni
donnée dans
commen-
l'éternel.
IV
Dans les dernières propositions de l'Éthique
noms théologiques de
reçoit les
de salut 3,
la liberté
béatitude, de gloire et
la doctrine intellectualiste
prend un accent
religieux.
Connaissance pure, ce n'est pas assez dire.
croît s'ajoute à la vie intellectuelle
titude. «
sur-
pour en faire labéa-
Plus l'àme est propre à connaître les choses
d'une connaissance du troisième genre, plus
les connaître ainsi
comme un
«
Un
désir.
Il
^.
»
Il
elle désire
faut entendre la connaissance
fautl'entendre aussi comme une joie.
Tout ce que nous connaissons d une connaissance du
troisième genre nous
fait
éprouver un sentiment de joie,
accompagné de lidée de Dieu connue cause de notre
1.
Pr. 28.
2.
Pr. 31, se.
.3.
Pr. 36, se.
4.
Pr.
2fi.
BENOIT DE SPINOZA.
268
joie^.
Appelons ce désir
»
et cette joie
de leurs noms
mystiques, amour de Dieu, béatitude. L'amour de Dieu,
nous
le savons,
est
un sentiment sans analogue, sans
attache aux passions, pure lumière, flamme de l'intelli-
gence, amour-intelligence [amor intellectualis). La béatitude est
une joie incomparable.
Elle n'a pas de cause
antérieure à elle-même. Non, elle ne vient pas du temps;
elle est la joie
dans léternel.
«
Si la joie consiste
dans le
passage aune perfection plus grande, la béatitude consiste
pour Fàme dans
la possession de
la perfection
elle-même. L'âme a possédé éternellement cette perfection
que nous avons supposé qu'elle commençait d'ac-
quérir-.
»
Cette éternelle perfection, cette béatitude sont
appelées par les théologiens
l'état
de gloire,
le salut.
A
sa théorie propre, Spinoza peut fondre ainsi le meilleur
des doctrines religieuses
et,
à l'exemple de son vieux
maître, Léon Hébreu, couler dans sa doctrine rationnelle la philosophie
L'amour
d'amour qui
intellectuel
la gonfle et l'épanouit.
nous mêle à l'infmi de Dieu, au
point qu'il n'est pas possible de distinguer en cet
ce qui vient de Dieu, ce qui vient de nous.
«
amour
L'amour
intellectuel de l'âme pour Dieti est une partie de l'a-
mour
infini
que Dieu a pour soi-même 3... L'amour de
Dieu pour les hommes, l'amour des
ne sont qu'une seule
1.
Pr. 32.
2.
Pr. 33, se.
3.
Pr. 36.
4. Pr. 30, se.
et
hommes pour
même chose'*.»
Qu'on
le
Dieu
rapporte
2G0
l'étiiiolj:.
à Dieu ou à l'ànic, c'est une paix, une plénitude, une
joie qui est
une chose
de mettre en notre
fond de l'Ame
et l'existence
à
âme
de son
L'amour
que.
infinité
lui 2. »
Du point de vue de
l'essence
«
;
résultent de la nature divine
^
»
intellectuel de Dieu est éternel.
d'amour éternel que
la
Dieu s'unit au
s'efface.
en découlent continuellement
et
moment où
en Dieu, au
Dieu
et
et la remplit
de notre
iuiporte peu, ù la limite,
il
me ou
nous
distinction entre
qu
et
Là
Il
n'y a
sommet de V Éthi-
est le
de l'amour, la doc-
l'éternité et
trine entière s'illumine. C'était
«
pour réserver
l'éternité
que l'auteur, au quatrième livre, a condamné l'espérance
aussi bien
que
passé. C'était
le repentir, l'imag-e
du futur
pour réserver l'amour
et celle
du
qu'il a fait accueil
à l'inspiration chrétienne. Et son effort singulier nous
apparaît maintenant
:
chasser de la morale l'image du
temps. Les vieilles métaphores de lutte et de récompense,
de dette et de paiment, d'offense à Dieu
tion, ces
et
de répara-
métaphores qui ont pénétré à fond notre mo-
rale, reposent sur l'image
Elles représentent
d'un passé et d'un avenir.
en morale
la part
de l'imagination.
Tout calcul moral qui escompte la réalité de l'avenir
mal fondé.
Il
est inutile
soient punies autrement
d'espérer qu'une
âme
est
de craindre que les passions
que par elles-mêmes
triste et
d'un coup en possession de la
misérable
félicité
;
il
;
soit
il
est vain
mise tout
est superflu
de
souhaiter pour l'amour intellectuel de Dieu une autre
1.
2.
Ibid.
Pr. 33,
3'»,
cor.
BENOIT DE SPIXOZA.
270
récompense que lui-même. Dieu ne
peut pas
vue de
Ton
l'attrister. Si
s'est
venge pas et on ne
mis une
on a compris
l'éternité,
se
fois
au point de
la doctrine, qui tient
un mot pour qui Ta comprise
et
en
qu'aucune démons-
tration ne fera sentir à qui n'en a pas le pressenti-
ment.
A ceux
pourtant qui ne sont pas aisément
si
généreux
et si intréj)ides qu'il leur suffise d'être éternels,
à ceux
dont l'imagination a besoin encore de quelque prolond'un peu d'immortalité, ne laissera-t-on rien?
g-ation et
((
examine l'opinion du
Si l'on
on verra
mais
qu'ils ont conscience
qu'ils
commun
des
de l'éternité de leur âme,
confondent cette éternité avec la durée
la conçoivent
et
par l'imagination ou la mémoire, per-
suadés que tout cela subsiste après la mort
importe de
hommes,
i.
»
Que nous
ou non? La longueur de
subsister
l'exis-
tence n'a qu'un rapport incertain avec la richesse de
l'essence. Des êlres
médiocres durent sans
fin.
Qu'avons-
nous besoin de l'immortalité des pierres? Pourtant, à
Spinoza lui-même
«
L'âme
du
il
n'est sujette
corps-...
arrive de parler de survivance
aux passions que pendant la durée
L'âme humaine peut
que ce qui périt
i.
d'elle
avec
le
être d'une nature telle
corps ne soit d'aucun
prix en comparaison de ce qui continue d'exister après
la mort^.
»
C'est la
partielle, théorie qui
1.
Pr. 3i, se.
2.
Pr. 34, cor.
3.
Pr. 38, se.
théorie connue de l'immortalité
remonte à Aristote
et
que Spinoza
prend dans Maïnionidc'.
Un corps mieux adapté
Ame
plus parfaite.
«
niênic un pas de plus.
Il lait
est le
symbole nécessaire dune
L'onfant dont le corps est frêle et
dépend surtout des causes extérieures,
l'enfant qui est
encore tout mélangé aux choses, a une moindre conscience de lui-même, des choses et de Dieu. Notre principal etfort en cette vie, c'est de transformer le corps
de l'enfant en un autre corps adapté à un grand nombre
de fonctions"^... Celui dont
le
corps est adapté à un
grand nombre de fonctions a une âme dont
grande partie
l'on
si
y
pour l'âme
corps.
Il
est éternelle
réfléchit. Elle
la
•'.
»
Proposition
met en lumière
la plus
étrange,
l'impossibilité
plus spiritualisée d'être séparée d'un
répugne â Spinoza que
la partie la
plus par-
de l'âme puisse survivre sans être jointe à un
faite
corps plus parfait. Là se rapportaient sans doute les
considérations sur la transmigration des
âmes
jugées caduques et retranchées de YÉthiqiie.
pas
allé
qu'il a
Il
n'est
jusqu'à la théosophie de Léon Hébreu. Peu
importe, en
tout cas, de
nier
l'immortalité,
pourvu
qu'on se détache de l'énorme intérêt qu'elle inspire.
L'immortalité n'est pas à ranger parmi les choses impossibles,
que
il
suffit
de la ranger parmi les choses pres-
indifférentes.
Spinoza, en terminant, prie le lecteur qui ne convient
1.
venu
«
La chose
qui reste séparément après la mort est ce qui est de{More Aeb., I, f o28, cité par 0. Hamelin, Année
intellect en acte »
philos., l'JOO).
•2.
Pr. 39, se.
3.
Pr.
3".).
BENOIT DE SPINOZA.
272
pas de réternité de l'ûme de ne pas rejeter
le
reste
cela. L'intrépidité et la générosité, la charité, la
pour
religion, tout le quatrième livre et la moitié de celui-ci
composent une morale sûre, indépendante de
nité
'.
L'incertitude à son tour de la
\'ie
l'éter-
future ne doit
pas nous faire hésiter devant ces iDiens certains. Nous
ressemblerions à des
hommes
qui s'empoisonneraient
parce qu'ils n'espèrent pas jouir à perpétuité d'une
bonne nourriture-.
Si enfin
de la morale de l'éternité
nous voulons retenir une seule maxinie en mémoire,
rappelons-nous qu'il n'y a pas dans la vie intérieure
de lutte suivie de repos; la métaphore nous trompe,
c'est le repos, la
paix intérieure qui précède, c'est en
que nous trouvons
elle
sion.
faisons le bien, mais
nous sommes heureux.
de la vertu,
1.
le
pouvoir de dominer la pas-
Nous ne sommes pas heureux parce que nous
Pr. 41.
2.
Pr. 41, se.
3.
Pr. 42.
c'est la
le
bien parce que
La béatitude
n'est pas le prix
nous faisons
«
vertu elle-même 3.
»
CHAPITRE VHI
SPINOZA
demeure
prit
Il
à La Haye, la ville aristocratique et
discrète, où la vie se passe
tiens,
le
délicat.
en
lui assurant
Des personnes de qualité
que
l'air
;
il
et
en entre-
y
s'y faisait apporter à
dépensait un peu trop,
Van der Spyck, peintre
il
et
l'y
pour
avaient attiré
est plus sain qu'aiUeurs.
logea d'abord au second sur
son
visites
séjour de Néerlande le plus plaisant
un
Il
en
le derrière
d'une mai-
manger. Puis voyant
prit
pension chez
militaire,
qu'il
le sieur
dans une claire
maison vernissée, en face d'un canal silencieux où coulaient, à
fine
l'ombre des petits ormes, les barques à la
mâture. L'antichambre, ornée d'un portrait, avait
pour meubles
la bibliothèque de sapin à cinq rayons,
où s'alignaient vingt-six
taine d'in-quarto et
in-folio,
surmontés d'une cen-
d'in-octavo et d'une quarantaine
d'in-douze, une table de chêne à trois pieds,
peint,
un vieux
dans un sachet,
coffre
et
un
coffre
contenant un jeu d'échecs noué
deux tables de sapin sur lesquelles
on trouva, à sa mort, une meule à émoudre, des lunettes astronomiques en réparation,
BEiNOIÏ
DE SPINOZA.
une autre en bon
18
274
BENOIT
du verre, des tuyaux de fer-hlanc, un entonnoir
état,
quelques
et
SPINOZA.
1)E
rouges, le
A
outils.
côté,
dans une chambre à rideaux
avec deux oreillers, deux couvertures,
lit
couvre-lit rouge
courte-pointe. Enfin,
et
lette, le linge, les
dans
la toi-
vêtements d'intérieur (habit de cou-
leur et vieil habit de serge, camisole de cuir, cravate
de coton, souliers gris) et les vêtements de
un manteau
habit turc noir,
turc noir,
ville
un manteau
:
un
turc
de couleur, une paire de bas en sayette noire, des souliers noirs
à boucles d'argent, deux chapeaux noirs, un
manchon
noir,
dix paires
massé
11
et
une paire de gants, dix-neuf rabats,
de poignets à la mode, un mouchoir da-
une signette de clef pendant de la pochée.
vivait d'une pension de
deux cents
florins
que
lui
donnait Jean de Witt, d'une rente de trois cents florins
que
Simon d'Uriès (quinze cents francs
lui avait laissée
peut-être de notre monnaie) et
,
vail. Il était désintéressé.
deux cents
florins
ayant
du produit de son
Une personne qui
fait faillite, il
tra-
lui devait
ne s'en plaignit
pas et retrancha en souriant sur son ordinaire. Simon
d'Uriès lui avait laissé cinq cents florins;
sit
lui-même à
trois
il
les
rédui-
cents parce qu'il n'avait pas be-
soin de plus et que posséder, disait-il, c'est être possédé.
De sa famille
à la vérité, et
Il
le
il
n'avait hérité qu'un
tour de
faut penser à ces
«
lit cpii
lit,
fort
bon
en dépendait.
philosophes
»
de Rembrandt
qui ont pour conversation quelques in-folio et passent
1.
Inventaire..., Freudcntbal, p. 158.
275
SPINOZA.
la
journée à
les relire et à les
gens qu'on appelait
méditer, ou hien aux
chimistes
«
», sortes
de pharma-
ciens à face fiévreuse qui tenaient boutique d'objets
rares,
sans se soucier
du gain, avaient chez eux des
livres
peu communs
et passaient
pour s'occuper de
recherches étranges ou pour avoir trouvé un système
philosophique. Les savants
dédaignent, ou
s'ils
ignorent ou les
officiels les
leur rendent visite, c'est dans
l'es-
poir secret de tirer d'eux quelques idées qu'ils sauront
mettre à profit; mais
ils
en imposent aux gens de peu,
qui ne comprennent guère les savants officiels et s'en-
gouent facilement pour
eut en lui du
aussi en lui
«
chimiste
»
du cordonnier
à qui, de son temps, on
vouloir,
Son
une
inventeurs dédaignés.
les
Brechtelt, son ami.
«
le
philosophe
compara.
»
Il
Jacob
Il
Il
y
y eut
Boehme
fonda, sans le
secte religieuse populaire.
au contraire de prendre rang parmi
désir était
les savants officiels. Il
en fut empêché par
le
défaut de
recommandation, par sa santé, par son tempérament.
Rabbin manqué, professeur sans barrette,
d'état social bien défini.
lecteur
de
à l'Université de
l'Université,
mal vues des
alerte,
Il
Il
le
Geulincx,
donnait, à côté
philosophie
se hâtait,
rang
n'eut jamais
et
assez
à la première
de faire preuve
n'eut pas l'audace d'élever chaire con-
tre chaire, ni d'être,
comme
professeurs en
une
Cautc
il
des répétitions de
professeurs.
de rentrer dans
d'orthodoxie.
Leyde;
il
comme
ne fut pas,
Il
titre,
fut bien la
Descartes, au milieu des
sorte
d'officier
devise de ce timide.
Il
de fortune.
v eut de
la
BENOIT DE SPINOZA.
276
timidité dans
crainte de la discussion et dans sa
sa
iaçon de couvrir sa pensée de la cuirasse mathématique.
Il
membre honoraire
fut
d'une
chrétienne,
église
sans baptême, sans affiliation, mais assidu aux offices et
d'un zèle irréprochal>le
d'un athée
il
:
eut cependant la réputation
Il
excita l'indignation et la curiosité.
La Haye
voyageurs qui cherchent à voir ce
n'est jamais sans
qui mérite d'être vu
leur voyage
'.
plus avisés auraient perdu
les
;
ne l'avaient pas vu. Hénault, poète
s'ils
français, qui se piquait d'athéisme,
exprès
fit
le
voyage.
Sébastien Kortholt, qui vint trop tard de Hambourg,
fut
presque déçu d'apprendre qu'on pût être athée
même
gratuitement; Bayle laisse percer la
Gratuitement donc on
ment typique qui
Amsterdam,
Pour augmenter ses ressources,
1.
Praef.
le «
:
amen profesaus
Set
Il
chimiste
Voyez, dans un sens,
à
vie,
La Haye.
d'instruments d'optique.
cément dans
déception.
Ce fut l'événe-
constamment dans sa
revint
à Leyde, à
persécuta.
le
Séb.
est
il
dut tenir fabrique
retombait ainsi presque for».
Il
comme
Des-
[De tribus impost.,
1700,
n'eut pas,
Kortholt.
Christianum
et vel
Refonnatorum vel
Lutheranorum cœtibus non modo ipse adfuit, sed et aliis nuctor sœpenumero et hortator extitit, ut templa freqiientarent), et Bayle {Dictionn., 1702,
que depuis
[>.
2767
qu'il eut
:
Je viens d'apprendre une chose assez curieuse, c'est
renoncé à
profession du judaïsme,
la
les
terdam.
approuva aussi une confession de
Il
(Jarigh Jellis)
lui
communiqua);
des Hollandais, 1673,
embrassé
la
il
professa ou-
assemblées des Mennonites ou celles des Arméniens d'Ams-
vertement
p.
65
:
11
et
foi
qu'un de ses intimes amis
dans l'autre sens, Stoup {La Rclig.
n'a point abjuré la religion
religion chrétienne), et Colerus [Vie
na jamais embrassé
le
des Juifs ni
de Sp., 1705, ch.
3
:
11
christianisme, ni reçu le saint baptême, et ne s'est
jamais déclaré pour aucune secte).
SPJXOZA.
277
cartes et Leil>nilz, la fortune suffisante pour voyag^er,
avoir des relations. De
sa naissance à sa mort,
d'Amsterdam à La Haye,
alla
il
un arrêt en
dix lieues avec
route. Les savants authentiques qui le connurent, Leibnitz,
Huygens,
ils le
regardent d'assez haut
sance.
nitz
somme
tinrent en
le
Quand on publiera
les
en petite estime;
parlent de lui avec ai-
et
œuvres posthumes, Leib-
ne se souciera pas d"y avoir son
nom couché
toutes lettres. Ses amis le déchiraient sous
faire leur cour
et,
main pour
aux puissances. Oldenburg,
licat d'entre eux,
en
le
plus dé-
ne comprit rien au Traité de Théologie
sachant qu'il voulait publier Y Éthique, le supplia de
n'y rien mettre
«
qui puisse servir d'excuse aux ^ices
».
Le meilleur de sa vie fut d'avoir eu l'amitié du grand
pensionnaire, Jean de Witt,
homme
simple de manières
et sans fortune, qui n'avait pas de carrosse pour aller à
Scheveningue. Cette noble amitié
fermir par l'exégèse la
société,
que
lui fixa
foi religieuse,
un but
armature de
les disputes théologiques ébranlaient;
ner pour fondements solides à
l'État la
le rendit
son essai d'exégèse par
que, et son
un
à sa petite vie.
essai de
programme pour
été sans influence,
la
et ([ui
don-
Il
mort
compléta
grammaire hébraï-
République, qui avait
par un programme pour
dérat qu'il ne put achever
la
neutralité con-
fessionnelle et le libéralisme autoritaire. Mais la
de Jean de Witt
raf-
:
le stathou-
passa inaperçu.
Il
dé-
mêla certains principes élémentaires sur lesquels reposait la scolastiquc et
avaient dirigé sa vie
il
donna
les règles
morales qui
sous une forme qui les rendait
BENOIT DE SPINOZA.
278
f>resque
Personne n'entendit
illisil^les.
incommodé par une
ce solitaire qui,
fièvre lente, traî-
nant sa vie modique, voulait affirmer qu'il
pour un
de Colerus,
lui, ce
c'est sa
beau
comprenait pas.
esprit bizarre qu'on ne
Ce qui resta de
est
auprès des plus bienveil-
d'être fort et d'aimer. Il passa
lants
de
la voix faible
qui survit encore dans la notice
bonté, sa douceur, le charme de sa
personne. Vingt ans après, le pasteur luthérien est encore
sous le charme
et,
écrivant la vie de ce réprouvé,
obligé de résister à la tentation.
le
Seigneur
te
ferme
la
bouche
!
est
Arrière, Satan, que
<(
»
il
Ses manières avec ses
hôtes étaient exquises. Certains traits sont inoubliables.
« S'il
lui arrivait
de témoigner son chagrin par quelques
gestes ou quelques paroles,
tirer aussitôt,
pour ne rien
séance. Il était affable et
il
ne manquait pas de se re-
faire qui fût contre la
d'un commerce
souvent à son hôtesse, jmrticidièi'ement dans
bien-
parlait
aisé,
le
tem^js
de ses couches, et à ceux du logis lorsqu'il leur survenait quelque affliction
fants
combien
ils
ou maladie.
devaient être obéissants et soumis à
leurs parents. » Mais Colerus l'a un
sins virent
simple
en
lui
affadi.
et chaste, ils
ne tarent pas
la
Ses voi-
et sérieuse,
grande passion de
l'intelligence.
mérite qu'on parle de lui autrement que d'un ton
confit.
Ce fut un esprit entièrement
dur, sans humilité, sans tendresse.
« Il
peu
une nature de prêtre, douce
l'homme qui cherche
Il
enseignait aux en-
Il
y a des hommes
Il
positif,
un homme
ne fut pas résigné.
ainsi faits, dit-il, qu'il n'y a rien
qu'ils supportent avec plus d'impatience que de se voir
279
SPINOZA.
reprocher des opinions qu'ils considèrent
comme
imputer à crime ce qui, au contraire, anime
et
vraies
et
sou-
tient leur piété envers Dieu et envers leurs semblal)les. »
Il
riposta
violemment sur
mouvements
effort
dans
est l)on
d'athéisme ^
colères et méi^risants.
les vices des
honmics
qui les rend supporta])]es.
il
l'article
Il
par intelligence.
Il
Il
a des
ne voit qu'après
la nécessité intérieure
n'est pas tendre
de nature,
déteste la pitié pour les
Il
animaux, l'aumône, toutapitoiment, tout sentiment de
femme.
sique
<(
méprise
Il
les rêveries, la mélancolie,
bonne pour un mélancolique
soi-même
».
(|ui se
Il
ne
fait
l'enthousiasme, à l'instinct, au cœur.
;
il
veut
comprendre
a
les
Son regret d'avoir
il fait
Peu de philosophes
les croyances reçues.
communes
Il
est sans
homme
été enfant n'est adouci
c'était inévitable
rieur à l'intelligence,
nions
aucune place à
^.
stupide-
».
que par
la
De tout ce qui
est infé-
bon marché.
l'ont pris d'aussi haut
Il
que lui avec
s'affranchit de toutes les opi-
sur Dieu et l'àmc, sur le bien et
sur l'inmiortalité.
«
admi-
choses naturelles en
philosophe, au lieu de les admirer en
pensée que
mu-
Rien de ce qui peut être traduit par la mu-
sique ne trame dans son âme.
ration
la
lamente sur
le
mal,
L'humilité n'est pas une vertu. Le
repentir n'est pas une vertu. L'espérance n'est pas une
vertu.
Quiconque naît libre et reste libre n'a aucune idée
du bien
ni
du mal
1.
Lettre à J. Ooslen.
2.
Éth.,
1,
App.
3.
Élfi.,
V,
a
se.
»
:
on
ferait
un catalogue de
ses né-
BENOIT DE SPINOZA.
280
gâtions tranchantes.
naire par morale
11
méprise ce qu'on entend d'ordi-
mère de
la crainte,
:
christianisme n'implique ni croyance
voir n'est pas d'un
de
l'infini,
homme
»)
ni Dieu sensible
tradition. C'est
une
atï'aire
sentiment très
clair, très
(«
Son
croire sans sa-
ni mystère, ni sentiment
,
au cœur, ni espérance, ni
de philologie
l'entend, n'est pas
foi, telle qu'il
la morale.
de
et
une croyance
foi, et la
un
c'est
;
une plus haute
intellectuel,
tension de l'intelligence, qui devient amour. En politi-
que,
n'a pas de sentiment, pas de scrupule, pas de
il
parti pris.
tives
:
ne
Il
l'intérêt
tient
compte que de deux choses posi-
de chacun, l'intérêt de
l'État. Il
ne pro-
testa pas contre la révolution césarienne;
il
acceptait
toujours un
il
rogne la
fait.
Autour du donné
moindre frange de sentiment ou
d'un
d'idéal.
En présence
ou d'une idée
claire,
que
commun des auteurs
ou des
hommes
fait certain
sentiment
positif,
les raisons dont
ture, ne sont
se sert le vulgaire
lui
importe
!
((
le
Toutes
pour expliquer
que des modes de l'imagination i.
la na»
Les
auteurs délirent, Aristote et l'antiquité délirent. Descartes
et
Ilohbes
presque entière
est
délirent
fréquemment. L'humanité
il
a ou des rêves
roidi. Il n'a
aucun orgueil
démente. Lui aussi,
et des hallucinations.
Il s'est
personnel, ce qui serait la pire démence,
dur de
l'intelligence. «
il
a l'orgueil
Je ne suis pas tenu, dit-il, de
débattre tous les songes que chacun peut faire.
opinions courantes n'excitent en
1.
Êlh.,
I,
App.
lui
que
le rire
»
Les
ou
le
281
SPTXOZA.
dégoût, vel risiim vel Jiauseam movcr(; soient K Cest à
La réponse à Albert
l'ironie qu'il s'en tient d'ordinaire.
Hugo Boxel
Burgli, les lettres à
d'une ironie méthodique
et froide,
sur les spectres sont
qui atteint par
écl;its
à l'évidence frappante ou à une sorte d'éloquence ten-
due
et
contenue.
quand
sa façon
qui lui
conq^assé, des formules denses,
il
expose ses idées.
demande comment
chose par les
«
Un ton
à la première objection, l'ironie qui apparaît, voilà
et,
chose par Jacob
le
nom
,
d'Uriès
peut entendre la
il
noms de substance
Par Israël, j'entends
A Simon
et d'attribut,
il
même
répond
troisième patriarche, et la
:
même
qui fut donné à ce patriarche
parce qu'il tenait en naissant
le
pied de son frère
ce
»,
qui ressemble Inen à une raillerie aggravée d'érudition.
Soyons en
éveil.
Il
se serait
moqué de ceux
qui
le li-
sent d'enthousiasme et ne sentent pas la pointe d'ironie
hautaine. Le ton bénin de certains de ses biographes
lui aurait
donné
la
nausée ou
Par certains côtés,
il
franc rire.
bien un néerlandais joyeux,
est
ennemi de l'imagination.
le
Il
a le réalisme de ses conci-
toyens et leur gaité, affinée par l'optimisme des
lades.
fumait délicieusement la pipe hollandaise,
Il
jouait aux échecs ou, d'autres fois,
araignées
son
les
âme
et,
k les voir,
claire.
Il
il
il
faisait battre
éclatait d'un rire
aimait la société et la
mélancoliques vantent de leur mieux,
grossière des champs...
1.
Éth.,
ma-
II,
35, se.
»
des
où sonnait
\ille.
«
dit-il, la
La nature porte à
il
Que
vie
la tristesse.
BENOIT DE SPINOZA.
282
Dans ce pays de sables, de dunes, de routes
herbes sèches, les mousses tendent à détruire tout
les
ce
grisâtres,
que l'homme élève
chaumières, à percer
joindre
briques;
les
:
piquets de barrières, murs et
le toit, à faire fuser le bois, à dis-
il
y avait place pour une race ré-
signée, concentrée, isolée;
y eut au contraire une
il
race joviale et
entreprenante, qui relève infatigable-
ment
les digues, entretient les maisons, tou-
les
murs,
jours vieilles, toujours neuves, et dont la propreté est
la poésie.
est
Il
voir de la
emporté du
bomie humeur
croit à l'heureux
même
de
et
élan.
pou-
bonne entente.
la
accord de tous les
Il sait le
Il
intérêts.
Mais déjà la bonne entente a cessé. D'un côté, le peuple épais, têtu, qui ne peut surmonter le patriotisme
atavic[ue, l'attachement à la dune, et résiste
qui veulent
lamener à
cratie républicaine qui
de
l'autre, l'aristo-
ne s'asservit pas aux intérêts
de la nation hollandaise, mais veut être
étroits
et la
la raison;
aux hommes
le sens
haute justification de la société, représenter en
Europe
les idées
de tolérance, de liberté, un type plus
élevé
d'homme. La
nue
la triste et incessante guerre contre l'Angleterre,
le
:
faute des circonstances était surve-
manque d'écho en Europe,
tout le malaise cju'ex-
ploita l'agitation césarienne, le parti fanatique enrayé
à force de courage et de raison mais
non
abattu, renais-
sant et grondant dès cjue la force qui le maintient se
relâche. Dix ou
douze visages graves
passent dans la foulo hostile,
phes,
et,
hommes
et
énergiques
d'État, philoso-
à quarante ans d'intervalle, deux couples
:
SPINOZA.
Barncvcldt
ol Grotius, Jcaii
de
28)5
\Vit(
et lui.
connut
Il
le
stoïcisme d'action. Dans cette atmosphère, la simple
du courage.
tolérance devenait
Il
d'un sémi-
partie
lit
naire héroïque contre la foule. Qu'il n'ait pas été dé-
concerté par le meurtre de Jean de Witt, par la ruine
de tout son programme religieux, politique, moral,
pu garder, malgré quelques
qu'il ait
nité
de sa vie
tion à être
qui
et qu'il
un bon
ait été faite
ait
ressauts, la séré-
recommencé sans récrimina-
citoyen, c'est la plus belle épreuve
de sa force d'âme.
au groupe aristocratique que de toutes façons
C'est
son goût
le rattache,
et
non à
la foule rustique des
bons compagnons courtauds, balourds
« Il
avait,
et
jargonnant.
nous dit-on, une politesse plus approchante
de la cour que d'une
devait sa naissance
i.
»
ville
Son
de commerce à laquelle
perruque déjeune homme, son
latin, sa sobriété et
désintéressement tranchaient parmi
il
son élégante
teint olivâtre,
son
rosées et
les faces
gros mangeurs et les courtiers en-
bouffies,
parmi
richis.
avait le goût de la toilette; la négligence est,
Il
disait-il, « la
les
marque d'une âme basse
parvenus qui lésinent sur
sait
aux
le soin
~
du corps 3.
arts et prenait des croquis des
lui rendaient visite.
La
»;
Lucas Freudcnthal,
Ibid.
3.
Élli., IV,
App.
p.
IG.
s'intéres-
personnes qui
saumon
avaient succédé, et toute l'élégance nouvelle
1.
Il
raille les
vie polie s'était développée.
cabillaud et au hareng, le brochet, le
2.
il
:
et le
les
Au
bar
hautes
BENOIT DE SPINOZA.
^Sï
cheminées à colonnes de marbre,
les leçons
de musique,
prétextes à réunions galantes, la musique partout, aux
repas intimes, dans Fatelier des peintres, à la toilette
des dames, les robes de soie pâle, les corsages de velours, les bijoux, les perles, les tapis d'Orient et tout
le
luxe de la table
du Neckar
et
le gibier, les fruits rares, les vins
:
de France, les verres de Venise, les por-
celaines de Chine, les Ijuires d'argent et partout quel-
que mandoline. Aux
très rapprochés,
yeux bleus
vieillards à petite tête,
grandes
oreilles, têtes
de gens qui ont
toute leur vie obéi à la consigne et fait leur devoir, se
mêlaient des jeunes gens plus délicats, plus hautains,
au visage
Ils
éclairé,
campés fièrement en regardant
élevaient plus haut leur gaîté à mesure que
foule s'assombrissait dans-le fanatisme.
pur sentiment de joie;
soi
droit.
il
est
bon.
S'il est
il
à moi, et
j'ai
du moins,
disposé
Le
rire est
et
un
de
légitime de satisfaire sa faim et
sa soif, en quoi le serait-il
colie? Telle est,
«
ne peut avoir d'excès
la
mon
moins de chasser
ma
manière de
mélan-
voir,
quant
en conséquence. Au-
esprit
cune divinité ni qui que ce
la
ne peut m'imputer
soit
à bien les larmes, les sanglots, la crainte, tous ces
signes
dune âme
impuissante.
Il
est
dun homme
d'user de tout et d'en jouir le plus possible.
homme
et la
le jeu,
est
sage
d'un
sage de se refaire et de se récréer par une nour-
riture et
fum
Il
une boisson légères
et délicieuses,
beauté des fleurs, par la
le théâtre.
par
toilette, la
le par-
musique,
Chaque organe du corps humain a
continuellement besoin d'aliments nouveaux
et variés,
285
SIM.NOZA.
que
<ifîii
corps
lo
t(jut
entier soit ég-alcment propre à
toutes ses fonctions, afin que Tespi-it à son tour soit
propre ù comprendre plus de choses à
n'eut rien d'ascctifiue, à
moins que
la
cétique toute vie d'indépendance et de pensée.
recommande pas un
rire;
état sans
»
fois'.
l'on appelle
rire ni
Il
Il
as-
ne
larme, mais le
ne conseille pas la destruction des passions,
il
mais l'exaltation du
désir.
Il
ne conseille
ni l'indilfé-
rence des stoïciens aux passions, puisque les passions
un
seront toujours en nous, ni leur abaissement à
veau
inoft'ensif
ne
Il
jusqu'à l'amour de Dieu.
sentit pas
condition.
de disproportion de ses goûts à sa
La source de sa joie
exceptionnelle jeunesse
sa pensée.
ni-
mais
elles puissent être satisfaites,
des passions volontairement spiritualisées
la jouissance
et aiguisées
où
Il
il
était
avait
plus haute. De son
gardé
s'échappait des sables de
courbure de
la
La Haye
;
il
vivait
secrètement avec ses livres, avec Maïmonide et les rabbins espagnols, avec Léon Hébreu et Machiavel.
une intelligence juive, épanouie dans
lande et
l'Italie.
dit-il
les
la
et
par
Hollande l'inquiétait,
guerres contre l'Angleterre.
en parlant de
est
joyeuse Hol-
élevée au grand style par l'Espagne
La destinée morale de
mais non
la
Il
«
J'attends,
la guerre, qu'ils aient leur saoul
de sang et se reposent pour mieux travailler. Pour un
ironiste notre
temps
est à périr
de
rire. Moi, je
ne
ris
ne pleure, j'observe. La nature humaine n'est pas
ni
1,
Élh., IV, 45, se.
2.
BENOIT DE SPINOZA.
^86
risilîle ni,
certes, lamentable, elle fait partie de la
Autrefois, je
ture.
mal arrangées, absurdes. Aujourd'hui
vivre à son naturel, et mourir,
plaisir,
pourvu
Il
sée ni
du
qu'il
me
s'il
je laisse
le veut,
pour
laisse vivre
pour délivrer son àme
n'eut besoin
na-
trouvais certaines choses inutiles,
chacun
pour son
la vérité
^
»
et apaiser sa pen-
luxe matériel, ni des éloges des autres phi-
losophes, ni de l'amour d'une épouse.
fut ébranlé par l'intelligence,
a.ux passions dont
il
il
il
renonça allègrement
comme
sentait
Du jour où
monde en
tout le
lui-même des sources vives
et
déceptions de sa jeunesse,
y eut une place d'attente
il
en son cœur; lintelhgence
s'y
profondes. Après les
logea
et le
transforma
tout entier.
Il
fut passionné d'intelligence plus
sance.
Il
que de connais-
n'eut pas la curiosité de Descartes, l'intérêt
large, magnifique, porté à tout, ni l'esprit objectif de
Leibnitz,la complaisance habituelle envers toute chose,
l'hospitalité
rayomiante
et large
de l'assimilatem*
indif-
férent à ce qu'il apprend. Les objets qui l'intéressèrent
sont en petit
nombre
:
l'exégèse
du Vieux Testament,
la politique pure, la morale et, par rapport à la morale,
la
métaphysique spéciale
pour résumer,
le salut
et la théorie
des passions,
public et particulier.
Comme
il
confondait le salut avec l'exercice de lintelhgence, la
pureté de la connaissance lui importait bien plus que son
étendue. Quand on lui proposa un voyage en France,
1.
Lettre 30, à Oldenburg (1665).
il
^
se défendit
«
de faire cette
comme
voyait pas,
287
SPINOZA.
folie ».
Dans
le
monde
ne
il
Descartes, des sujets d'étonm^ment,
mais des discussions, des disputes, des haines qu
il
faudrait vaincre par l'aniour. Lorsqu'on lui offrit une
chaire à lUniversité de lleidelberg,
manie de contredire, qui
«
la
et
condamner môme
fait
il
refusa à cause de
prendre de travers
ce qu'on dit de plus juste.
Comme
j'en ai déjà fait l'épreuve, moi, simple particulier qui
vis
dans la solitude, j'aurais bien plus à
je m'élevais à une
si
haute dignité^
».
la
redouter
si
N'est-ce pas le
langage d'un honmie qui tient à la sagesse, qui
est
individuelle, plus qu'à la connaissance, qui est générale
et s'impose
par
la discussion?
Pour mieux
dire, la con-
naissance, telle qu'il l'entend, est individuelle aussi.
Elle n'est pas abstraite, froide, impersonnelle, elle est
par impossible,
vie, jouissance et joie. Si,
salutaire
de la connaissance n'était pas identique au
caractère de vérité
c'est
,
préférerait renoncer.
cice
le caractère
de l'intelligence,
dre l'erreur,
me
au caractère de vérité
Le profit que
«
même
s'il
j'ai tiré
qu'il
de l'exer-
m'arrivait d'y surpren-
rendrait heureux, car
il
fait
ma
jouis-
sance et je m'étudie à ne passer point la vie dans
désenchantement
et la plainte
la liesse et l'hilarité-.
lité,
resse
comme une
pièce dans la construction
sérénité intérieure
1.
Rép. à Fabricius.
2.
T
lettre à Blijenberg.
de foiiunaliim.
Une connaissance
«
:
attitude
Saisset
lit
le
mais dans la tranquil-
tout opposée
à
l'inté-
de sa
ce qui
sans raison iufortunadim au lion
BENOIT DE SPINOZA.
288
pour nous
est
singulière
l'esprit scientifique et
à cette époque.
Il
ébauche seulement
mène
S'il
même
métaphysique
parce que cela
et sa théorie des passions
qu'il se propose.
sa
suffit
au but
plus loin son exégèse bibli-
que, c'est qu'il faut, en cette matière, pour que la
religieuse soit sauvée,
bout. Bien
soit
cju'il
tures, personne n'a
foi
pousser la critique jusqu'au
nourri plus qu'un autre de lec-
moins cherché que
lui la connais-
sance pour elle-même.
Le
tiers
d'exégèse
le reste
de sa bibliothèque est occupé par les livres
et
de linguistique,
le tiers
par
les savants,
se partage entre les écrivains politiques, les
philosophes, les historiens et les poètes. C'est la bi-
bliothèque d'un
hébraïque
et
que
homme
qui s'occupe
de philologie
la politique, la philosophie, l'astro-
-nomie, la médecine, l'histoire ancienne, la poésie latine et la littérature espagnole intéressent. Elle
tient
presque rien pour
Leibnitz en ont fait
les
peu de
bibliophiles
cas-.
livres étaient chers; acheter les
celles de Descartes, était
le
temps où
tin et
1.
A
cette
:
ne con-
SchuUer
et
époque, les
œuvres de Gongora ou
une véritable déci^on.
C'était
Isaac Vossius pouvait à la fois éditer Jus-
se faire
connaître en physique, où Velthuysen
Lellrc de Schuller
du
5 nor.
1G77 (Freudenthal, p. 205).
I
289
SPixozA.
était
tlicologicn
où
ariatomiste,
et
Iludde joignait la réputation
lo
d'homme
]jour,i:iiiosti-e
politique à celle
de géomètre. L'histoire remlait l'honnête
prudent, la poésie plus spirituel,
les
homme
plus
mathématiques
plus pénétrant, la physique plus profond, la morale
plus réglé, la rhétorique plus fort dans la dispute.
Il
un rabbin honnête homme.
fut
La première partie du Traité de Théologie
litique
ne
serait pas refaite
de Po-
de nos jours, à moins d'une
d'années de préparation. Voici les textes
dizaine
deux textes
le texte
et,
latins vulgaires
de l'Ancien Testament
catholique in-folio de Pagnino (Cologne,
et le texte protestant in-quarto
(Francfort, 1575)
(Bâle, 1619) en
—
,
de Tremellius
et
:
—
\')%i)
du Jon
puis le texte hébreu de Buxtorf
deux précieux
in-folio où,
par-dessous la
vulgate, on touche la masore, et que tout le
âge rabbinique enrichit^ Puis
les outils
moyen
de travail: les
indispensables Concordances de Xathan, le Thésaurus
hébreu de Buxtorf,
hébreu de Philippe
le Dictionnaire
Aquinas de Carpentras
et
deux ou
trois autres
ouvrages
plus spécialement rabbinicjues. Mais la masore elle-
même, malgré l'enthousiasme de
pas
le texte primitif;
les
viennent des masorètcs.
texte tout
vait les
1.
p.
Comment
le
atteindre le vieux
pourrait
si
on retrou-
de la langue hébraïque, mais
Sans mentionner une traduction espagnole pour
pides, ni
ne donne
voyelles et la ponctuation
en consonnes? On
principes
Buxtorf,
les
il
recherches ra-
un autre texte hébreu impossible à désigner. Voy. Freudealbal,
iGO-lGi et
27r.-:>88.
BENOIT DE
SI'INOZ.V.
19
290
BENOIT DE SPINOZA.
n'existe à ce sujet
que
les
deux pauvres grammaires de
Mosé-ben-Joseph Kimclii (Ortona, 1519)
d'après Élia Levita (Bâle,
Miinster,
maire de l'ancien hébreu
Il
avait sous les
yeux
la
il
J.
de Tremellius.
mal
deux ou
(il
fait
lisait
Il
un
textes
trois
commença.
De
grammatica de
arte
A propos du Nouveau Testament,
Vossius (1635).
qu'assez
15 il). Une gram-
Grammaire philosophique de
déclarait ne pas savoir le grec.
latin
de Sébastien
était à faire. Il la
Scioppius (Milan, 1628) et le
Ger.
et
le
Il
se servait
du
grec cependant, bien
contre-sens sur Josèphe);
grecs,
texte
un
il
avait
dictionnaire et trois
grammaires.
Puis la foule c[uerelleuse des commentateurs.
mier rang
le
Au pre-
vieux Maïmonide, père des exégètes in-
nombrables
C£ui
ment. Voici
les
prétendent tout explic^uer rationnelle-
commentaires du
P. Pereira sur Daniel
(1562), la fantaisie récente d'Isaac de la Peyrère sur
les
hommes
antérieurs à
plus récentes encore
Adam
(1655), les dissertations
de Velthuysen [De
iisu ralionis in
theologia, 1668) et de \yolzogue [De scriptiirarum interprete,
1668) nées
de la controverse soulevée
Louis Meyer sur l'interprétation de l'Écriture*.
chappe à
la fantaisie
et
de
l'autre. «
damental du Traité de Théologie
1.
par
n'é-
des coccéiens que pour tomber
dans l'interprétation rationaliste. Le philologue
lement gardé de l'une
On
est
éga-
Le principe fon-
est
que VÉcriture
La Clavis Tahnudica de Conslanlin L'Empereur (Leyde, 1G34)
et le»
rêveries cabalisliques de Joseph del Medigo [Abscondita sapienlia:, Amst.,
1G29) sont ici pour !a curiosilé.
291
SPINOZA.
doit être interprétée
comme une
par elle-même
hypothèse, je
l'ai
je ne lai pas posé
:
établi sur
une démons-
tration concluante et régulière'. » Les recherches plii-
lologiques, toutefois, n'ont pas leur but en elles-mêmes;
préparent
elles
les études
critiques
qui conduisent
elles-mêmes à comprendre ce que signifie
mot
le
ré-
vélation et ce qu'enseignent au juste les livres saints.
Il
ne faut pas s'imaginer qu'une bien grande partie des
livres
saints puisse être éclaircie. « Je professe, sans
restriction et sans détour,
que je n'entends pas
l'Écri-
ture sainte, bien que j'aie passé quehjues années à l'étudier'.
tain
le
que
»
Presque tout
l'essentiel, la doctrine
courage de
chacun
est conjecture;
libre
il
d'amour.
n'y a de cerfaut avoir
Il
faire l'accord sur le certain et
pour
de laisser
le conjectural.
La bibliothèque sacrée
est
complétée par un petit
nombre d'ouvrages théologiques, où
le principal
doctrine de la grâce est enfermé
De
:
tinatione de Jean de Bononia, le
le
De
seterna predes-
Satisfactione de
Grotius contre Socin, saint Augustin dans
in-folio,
et
un
al^régé
Y Institution chrétienne de Calvin, en
duction espagnole. Prédestination éternelle
de la grâce,
de la
la
grâce supérieure à la
loi, seul,
,
tra-
gratuité
ce chris-
tianisme supérieur passera dans YEthique et sera rationalisé. Grâce, salut, état
de gloire, amour de Dieu,
béatitude, liberté, sous tous ces
est affirmée, l'éternité de l'âme.
1.
Rép. à A. Burj^h.
2. 2' lettre
à Blijenberg.
noms une même chose
Il
y a une jouissance
BENOIT DE SPINOZA.
292
dans
un
l'éternel,
incomparable que
état
Traité de
le
Théologie rend presque indépendant des miracles, des
cérémonies
et des
dogmes,
que Y Éthique épure de
et
toute passion d'humilité et de toute métaphore prise au
langage du temps.
C'est le
au-dessous de lui
y a
est
il
un
pur sentiment
religieux. Et
autre sentiment religieux qui
ennoblissement de l'obéissance, source élevée de
sympathie entre
les
hommes. Chrétienne, l'œuvre, con-
çue en pays calviniste, lest au sens de calviniste. Le
salut individuel reste la préoccupation suprême.
Il
faut
penser toutefois à un calvinisme sans épines, mitigé
par
l'esprit philologique
qui préserve
des ratiocina-
par l'influence arminienne qui préserve de
tions,
tolérance et par
le
tempérament
même du
Malgré la dureté de son intelligence,
caractère d'amour dans le
mesure que son
cœur qui
il
est
né avec un
s'est
développé à
esprit s'est élargi. C'est à
une religion
intellectuelle, proportionnée
aux habiles,
qu'il a songé,
mais à une religion cependant de concorde
comme
versalité, « catholique »
mot
est
l'in-
philosophe.
il dit,
et
dont
et d'uni-
le dernier
amour.
Les historiens antiques forment un autre groupe
Salluste, César, Tite-Live in-folio; le
Juste Lipse,
un autre
grand Tacite de
Tacite in-douze,
Arrien, Josèphe in-folio
i.
On
:
Quinte-Curce,
y peut voir jusqu'à quel
point l'antiquité est l'âge de la superstition et de la
crainte.
1.
On
Pour
l'eut leur
le droit
romain, les Institutes, en une
joindre trois notices archéologiques.
293
si'iNozA.
petite édition. L'histoire
tés
moderne
n'a que des pauvre-
deux recueils anecdotiques, en espagnol, une his-
:
contemporaine satirique, en
toire
de Charles
une
italien,
histoire
d'Angleterre, en hollandais. L'histoire ec-
II
clésiastique est représentée par l'ouvrage scandaleux
de Sandius (Amst., 1668), où l'on apprend
combien de
«
faussetés les auteurs ecclésiastiques nous débitent et par
quelle suite d'événements et d'artifices le pontife
de
Rome
a mis la main, six cents ans après Jésus-Christ,
sur
gouvernement de
le
de ces
livres, l'histoire
Pour
l'Église' ».
semble
être
le
possesseur
un recueil d'anec-
dotes bonnes à jeter dans les disputes.
Les ouvrages proprement politiques ont une autre
importance. Voici Y Utopie de Thomas Morus, fondement
—
de la science politique moderne,
— les
pîiblicarum de Clapmaier,
le
De arcanis rerum
Considérations politi-
ques de Jean de la Court (1661) et les Discours politiques
de Pierre
et trois
tin,
—
et
Jean de la Court (1662), en hollandais.
ouvrages capitaux Machiavel en italien et en la:
le
De cive de Hobbes (Amst. 1646)
,
summarum
jiotestatum circa
16+8). Machiavel
de Politique-
montrent
traiter
droit
—
,
est
,
—
sacra de Grotius (Paris,
lettre à
la façon sèche et réaliste dont
la politique
de confondre
le
1.
Ilép. à A. lUirgli.
2.
Ch. V,
7.
De imperio
apprécié dans un passage du
Hobbes dans une
du souverain,
le
et ils
7'/'rtî/t*
Schuller. Us
il
convient de
débrouillent à merveille le
c'est-ù-dire
souverain avec
de
le
l'État. Ils ont le tort
monarque
et
de
fai-
BENOIT DE SPINOZA.
29i
blir sur le droit naturel
de l'individu.
— Grotius explique
du souverain en matière
le droit
ecclésiastique.
programme, que Pierre de la Court a repris dans
jure ecclesiasticorum, est le
blicain
de la
liberté
:
programme du
Son
le
De
parti répu-
soumission des actes; un
foi,
pouvoir politique puissant, n'ayant pas d'église pour
rivale,
duelle.
une vie religieuse intense restant chose
importe de faire la part de ce qui
Il
indivi-
est indi-
viduel, la part de ce qui est social. La foi religieuse, la
spéculation philosophique sont individuelles et libres,
mais tout ce qui
ment
doit
est social est
être civique,
soumis à
l'Etat
non religieux
».
« le ser-
:
Le droit de
l'individu et le droit de l'État sont aussi absolus l'un
que
l'autre.
L'un
et l'autre seront
pour faire triompher la raison.
invoqués tour à tour
Car la raison
suprême souveraine. On peut discuter sur
le
le
est la
régime
plus favorable à la manifestation de la raison, mais
une
la raison
fois
manifestée, on ne
contre elle ni l'intérêt
de
ticuliers, car l'obéissance
l'État le
peut invoquer
l'État, ni la liberté
des par-
à la raison est à la fois pour
plus haut intérêt
et
pour
particuliers le
les
plus haut degré de liberté
Le grec
gnol
et le français sont représentés
et le latin
dominent. L'anglais
et
cart,
1.
mais l'espa-
l'allemand sont
absents. Le hollandais semble méprisé.
la rusticité des Chainl)res de
' ,
Rhétorique
Non seulement
est
tenue à
l'é-
mais aucun des nouveaux poètes hollandais n'a
Homère et Lucien en grec; La Locjique ou Art de penser de Portle Voyage cVF.spafjnc de M"" d'Aulnoye, en français.
Royal et
295
SPINOZA.
pu forcer
do ce
le seuil
latiniste,
aucune tragédie, aucun
iiics,
aucun
pof'.'me
livre
d'emblè-
religieux,
aucune
jmstorale, rien de Hooft, ni des italianisants, ni de
Huy-
§ens, ni de Cats, ni de l'école de Dordrecht, ni de Von-
d'Amsterdam
del, ni des poètes
le
pays dont
il
'.
Mais voici l'Espagne,
parlait la langue et qu'il n'avait jamais
vu, la vraie patrie de son imagination.
La voici toute
vive dans le Voyage d'Espagne de JP® d'Aulnoye. Et
la voici
dans sa littérature contemporaine
:
Nou-
les
velles de Cervantes, les Relations d'Antonio Pcroz,
une
comédie de Montalvan, un poème du juif Pinto Algado,
un opuscule
religieux de la Cuna, une anthologie de
poètes et les œuvres complètes de Gongora et de Que-
vedo en plusieurs
avec joie.
groupe
éditions.
Ce sont
les livres
dans un autre
Et, plus chéris encore, voici
les latinistes anciens et récents
déjà mentionnés,
:
les historiens,
— les Lettres de Cicéron
—
—
ses tragédies,
Lettres de Pline
panégyriques, — Plante, — Virgile en
d'un thésaurus ciceroniamis^
les lettres
les
et
maniés
le
accompagné
de Sénèque
Jeune
et ses
trois éditions,
Ovide,
le
mode
poète à la
(il
est cité
deux
fois
—
dans 1'^-
— Mar— Pétrone en une édi-
thique , où ce sont à peu près les seules citations),
tial,
avec
les
notes de Farnabe,
tion variorum toute récente,
Pétrarque où
I.
dans
il
est
—
bibliothèque.
Il s'y
vita solitaria
Un
do
épistolier hollamlais se trouve
trouve des dictionnaires latin-hollandais,
français-espaj^nol, espagnol-italien,
langues de Calepino.
De
élégamment démontré que l'homme
Peut-être savait-il mal le hollandais.
la
le
latin-grec, et U^ dictionnaire des
lalin-
neuf
BENOIT DE SPINOZA.
296
est supérieur
solitaii^e
de la journée
:
aux autres à toutes les heures
à la pointe
du jour, à déjeuner, après
déjeuner, à midi, au coucher du soleil, à souper, en se
couchant
et la nuit,
que
la sérénité et la liberté
ne se
trouvent que dans la soKtude, mais qu'il faut être lettré
pour goûter
Baudius
la vie solitaire,
l'homme
le Drôle,
— les Épîtres grotesques de
le plus débraillé des
Bas, mais celui qui parlait le plus joli latin,
Pays-
— enfin un
précieux poète Johannes Secundus, dont les dix-neuf
Baisers recèlent à la fois la volupté d'amour et la vo-
du bien
lupté
Il
dire.
lui-même un
fut
latiniste
:
que
l'on
compare sa
langue, je ne dis pas au latin scolastique. mais au latin
de Descartes
et
de Leibnitz
emploie peu de mots d'école,
telier.
ne raffine pas sur
il
consiste,
les
11
il
peut dire, d'a-
ni, si l'on
s'excuse devant essendi.
Il
termes,
Même dans V Éthique
!
n'invente pas de
synonymes. Sa méthode
au contraire, en des assimilations puissantes
et extraordinaù'es, faites
au moyen de l'adverbe
sive
:
Deiis sive natura, verus sive realis, libertas sive beati-
De deux termes courants, opposés
tudo.
un
seul
mot neuf
tache à supprimer les vérités
l'eau
—
et spacieux.
Dans
parfois,
le style,
il
il
fait
s'at-
moyennes qui sont comme
mêlée à une liqueur trop
forte
:
le « titre
>>
philoso-
phique ne peut être plus élevé que dans une page de
retranche toutes les circonstances de la pensée,
lui.
Il
les
distinctions,
les
exphcations
même
paquets de
faits,
atténuations,
sommaires,
les
les
les transitions, les
amas de
raisons, les
comparaisons, les citations, tout
297
siMXOZA.
duu
co qui fait le succès
livre
au moment où
en compromet plus tard la durée.
et
de pensée, dont
l'idée pure, l'essence
est pesée avec scrupule.
les idées
il
ne garde que
tact logique.
Son
— Les
ternité.
De tous
le
style en
il
paraît
Il
ne retient que
la
valeur relative
les liens
plus tenace,
qui unissent
le
simple con-
prend un certain aspect
d'é-
idées sont sous une lumière froide et
égale presque aucune n'est éclatante, parce qu'un excès
;
A
de tension en arrête l'expression complète.
même
il
où nous
le
l'instant
devinons qui s'exalte en lui-même,
appauvrit, amincit l'expression de la joie intérieure
d'où une forme
si
maigre donnée à une
de sentiment. Dans V Éthique
telle
:
plénitude
le défaut s'exagère
encore
sous l'influence des lectures scientifiques. L'aspect de
la
mathématique
tude
et
est
donné à une doctrine de béati-
d'amour, ce qui nous gêne un peu.
Il
y a en
outre en cet ouvrage une inégalité de démarche qui
équivaut à l'obscurité. Tantôt on avance doucement,
on
piétine, et tantôt
claires,
on enjambe. Les propositions sont
généralement
liicn disposées,
mais
la distance
logique qui les sépare est tantôt insignifiante, tantôt
démesurée.
est
d'une matière dure, peu
Speremus jmriter, pariter metuamur, amantes,
coulante.
il
— La phrase
cite ce
vers d'Ovide et
il
aime
parler où les mots ont une
cette façon avare
valeur de position.
s'élargissant trop, sa phrase rencontrerait le style
de
En
symé-
trique plutôt que le style oratoire, mais elle est incom-
parable pour donner, dans un petit espace, l'impression
du
plein,
du métallique.
C'est
un
style
forgé.
Il
BENOIT DE SPINOZA.
298
reste fruste plutôt
jamais à
que
la fluidité.
légère redondance,
flou.
Il
atteint à la flexibilité,
Tout au plus
comme
sous
il
y sonne parfois une
un marteau joyeux qui
rebondit.
Une partie importante de
la bibliotlicque scientitique
se rapporte naturellement à l'optique et à l'astronomie.
Sans parler d'un
traité
technique de la
taille
du
d'une astrologie rustique, ni de l'astronomie du
nge de Jean de Holywood,
pler,
lisait,
moyen
de Fépoque de Ke-
l'astronomie de Métius (1608, 3 vol.) elYAstro-
labiwn du
les
il
verre,
même
auteur, dirigés contre l'astrologie,
Eclogœ chronicœ de Kepler (1615) destinées
à dé-
terminer la date de la naissance de Jésus-Christ, les
Refractiones cœlestes du P. Scheiner (1617) sur la forme
elliptique
traité
—
du
soleil
quand
il
arrive à l'horizon et
un
de Snellius sur la direction des navires (1627)
;
de l'époque de Descartes, outre les œuvres de Des-
cartes, celles
de Philippe de Lansberghe, qui défend
système de Copernic,
gomontanus (16i0,
et
le
Y Astronomie danoise de Lon-
in-folio);
— de l'époque
raine, VOjitique de Grégory (1663)
où
contempo-
est décrit
le
télescope à réflecteur que l'auteur a inventé et YHoro-
logium oscillatoriiim de Huygens (1673,
approfondir l'astronomie
ques pures.
Il
il
possédait,
in-folio).
Pour
avait étudié les mathémati-
de l'antiquité,
Diophante, en traduction latine,
et
parmi
les
Euclide et
modernes,
Viète complet (in-folio), la Géométrie de Descartes en
deux
éditions, les Principia matheseos universalis et les
Exercitationes mathematicœ de van Schooten (1651 et
299
SPINOZA.
1G57), une arithmétique, une ali^c]>re, une géométrie et
une trigonométrie en hollandais
des équations d'Érasme Bartholin
sique,
burg
les Délerminatioîis
et
(IGO.'ij.
Pour
la
phy-
avait quelques o{)Usculcs de Boyle qu'Oldoii-
il
adressés
lui avait
aeris (1003) et les
le
:
Paradoxa
De
elasticilate et fjravitate
liydrostatica (10G9;.
Cette collection délivres scientifiques s'est substituée à
la collection des jeunes scolastiques, IIeerei>oort. Hur-
gersdijck, Suarez, Martini, Scaliger, Toletus
tainement maniés
(ju'il
Cogitata mctajthi/sica et le pre-
(les
mier livre de VÉthique en contiennent Tessence
citations textuelles
Giordano Bruno qui
et à
^)
Dialogues
a cer-
des
et
lui avait
de sa jeunesse. Des philosophes
inspiré les
«
italiens
n'a rien gardé, à parties Dialogues d'amour
il
»
de Léon Hébreu, en traduction espagnole; rien de
scolastique, à part le
(IGOO) et
un gros
comme
dit
il
;
Systema logicx de Kekkermann
Aristote,
en
dire,
2.
De homine
et le
Ton compte que
Paraphases à
le
goût de Mon-
Logique novo-antique,
la
Voy. Freudenthal,
En
16G1,
il
la
premier volume dos
du même
méthode,
.S/k
u. d.
et
que
le
Clauberg
les
et
auteur, font suite
Manuel d'Épictète
Scholastik (Fcstgabe v. Ed. ZelIor\
iiossédait, semblc-l-il, le
denburg un aphorisme textuel
L(>t-
Logique de Port-Koyal,
la philosophie cartésienne de
au Discours de
1.
dans
aux œuvres de Descartes (édition de 1661, com-
tres), si
2.
aristotclicas,
rien de Bacon, à part les Sennones fidèles,
Sa bibliothèque philosophique se borne, peut-on
plétée par le
la
nugas
latin,
recueil de réflexions morales
taigne
la
(!'" lett. à
ynvum orgunum.
Old.).
Il
citait à
01-
300
BENOIT DE SPINOZA.
de Sénèque sont pour expliquer
et les Lettres
à la princesse Elisabeth,
tres
et,
en partie,
les let-
Pas-
les
sions de l'âme. Cette renonciation tardive à la philoso-
phie courante et cette adhésion à la science nouvelle
correspondent à l'évolution
la
plus sensible de sa
mé-
taphysique, je veux dire au passage de la théorie de
la substance à la théorie qui se
fonde sur
le seul indi-
vidu.
La théorie de
la
substance unique,
le
panthéisme
substantialiste, a été l'aboutissant de toute la philoso-
phie précartésienne. Pour y arriver,
sumer
les
et
de conclure.
trois
Il
il
lui a suffi
de ré-
a voulu mettre de Tordre dans
de la substance que
définitions différentes
Descartes avait acceptées
une chose qui n'a besoin que
:
de soi-même pour exister', une chose qui n'a besoin
que de Dieu pour
exister-,
une chose dans laquelle
sident certains attributs dont nous avons idée
tiré
au
clair et
3.
ré-
Il
a
brutalement simplifié une doctrine com-
plexe et subtile. La métaphysique du premier livre de
l'Ethique, qui a "tant frappé les esprits et sur l'originalité
de laquelle on
que
cipe,
le
s'est
trompé,
résumé scolaire
n'était,
dans
le prin-
et elle est restée la
sim-
plification élémentaire d'une philosophie courante. Elle
existait
confuse dans les philosophes italiens de la Re-
naissance et vers elle tout un courant issu de la scolastique dérivait.
1.
Principes,
2.
Abrégé des Médit.
3. 2""-
I,
Rép., déf.
51
5.
;
Que
reste-t-il
— Médit.,
III.
pour nous de la scolas-
SPIXOZA.
Pays-Bas et des philosophes italiens?
ti([ue (les
le
301
premier
de V Éthique. Lisez-le,
livre
le reste
Il
reste
n'aura
plus qu'un intérêt de détail.
De
la philosophie
ment des docteurs
antérieure à Doscartes, spéciale-
juifs,
a recueilli encore, de son
il
propre aveu S la théorie de l'identité de rintelligcnce
à son objet, ce qu'on peut appeler le panthéisme intellectualiste. Il lisait
dans Maïmonide, qu'
«
telligent, l'intellect et l'intellig-ible sont
môme
lect
chose toutes
en acte^
les fois
». Il lisait
en nous
une seule
que nous possédons
dans Léon Hébreu
l'in-
:
et
l'intel-
« L'intelli-
gence n'a point une essence circonscrite. Elle contient
en
degrés d'être, de forme et d'acte de
soi tous les
l'u-
nivers, tous ensemble, en essence, en unité et en j)ure
simplicité,
de sorte que, qui peut la connaître connaît
en une seule vision toutes
semble
'.
»
les
choses de l'univers en-
a accepté la théorie de l'intelligence
Il
unique concurremment avec la théorie de la substance
unique.
de
Il
a fait une ingénieuse application de l'identité
l'idée à la chose
pour éluder
le
problème de
l'u-
nion de l'àme et du corps. Quant à l'incompatibilité des
deux théories,
il
ne jamais rien
des attributs
a voulu la pallier, sa marque étant de
sacrifier
même
de
a
il
:
fait
de l'intelligence un
substance, artifice simple
la
d'apparence, mais qui laisse subsister, dans le détail,
toutes les difficultés.
1.
Éth., H,
7, se.
2.
More...,
t.
1900.
1,
p.
311, cité par
().
llaiiitlin,
.innce philosophique,
BENOIT DE SPINOZA.
302
A
deux théories
CCS
il
a
même
voulu, à la
de VÉ-
fin
thique, en combiner une troisième encore, une sorte de
panthéisme de l'amour, inspiré,
hreu
:
«
lui aussi,
de Léon Hé-
les hommes et l'amour
hommes pour Dieu ne sont qu'une même
L'amour de Dieu pour
intellectuel des
chose. L'amour intellectuel de l'âme pour Dieu est une
partie de l'amour infini cpie Dieu a
Qu'il s'agisse
de
l'identité
ou de l'aimant à l'aimé,
identité.
Du
Juif
il
pour soi-même
'
»
.
de l'intelligent à l'intelligible
c'est
en Dieu qu'il met cette
a gardé l'habitude d'esprit qu'il a
finement analysée lui-même de tout rapporter à Dieu
par deux
dans
fois
le
:
second livre de VÉthique un
recours précipité à Dieu interrompt la déduction.
Un
procédé donne à la construction une unité appa-
tel
rente, mais les disparates se retrouvent en ce Dieu
com-
plexe, situé au confluent de la Pensée universelle,
Dieu substance des scolastiques
et
de l'universel
du
Amour
des théosophes italiens,
La construction, sans doute,
détail,
est
admirable dans
La technique philosophique n'a jamais
le
été plus
consciencieuse ni plus habile. Mais de la perfection
même du
chef-d'œuvre naît à certains moments
timent de sa vanité
:
on sent parfois
la
gratuite, le jeu d'échecs métaphysique. Le
le sen-
combinaison
remède
était
de mêler, conmie Descartes, aux spéculations générales
les recherches scientifiques.
1.
ou y songea;
il
Dialogues d'amour, traduits par du Parc (La philosophie d'amour
de M. Léon Hébreu,
2.
Il le fit,
Élh., Y, 36 et
Paris, 1577), p.
se.
iiO.
SPINOZA,
303
remplaça sos livres de philosophie
des livres de
p.n-
science et le cours de sa pensée fut change.
môme
pas en science le
d'élargir,
de
transférer
«
»
,
choses physiques et sensibles.
losophes
Il
u'.ipptjrtaif
que Descartes,
esprit
la crainte
S'il
le g-oût
de quitter les
ne revint pas aux phi-
la Renaissance, à la conception poétique
(le
d'âmes, de forces vivantes, de répugnances et de sympathies, d'un
amas de puissances
croire qu'il ait
tes,
eu
instinctives, rien
la large vision
pièces les
n'était pas d'accrocher les
unes aux autres, mais de
faire rentrer les
unes dans
corps matériels à un fond
commun,
deux corps,
La réduction des
l'espace, fut
le salpêtre et l'eau-forte,
un seul corps
:
il
:
car-
En présence de
il
voulait que ce
lun à
unique des choses.
cela à côté de cela.
A supposer deux
indi^idus irréductibles (Descartes les eût laissés
tels), il
du
pensait les ramener aisément
l'autre et toucher sans effort l'étoffe
refusait de dire
de les
les inclure,
les autres.
tésianisme ce qu'il comprit le mieux.
Il
fait
de poulies, de leviers, de chocs, de machines aux
rouages engrenés. Son goût
fût
ne
mécanique de Descar-
comme
leur cherchait de force une autre unité, en les
supposant membres d'un individu supérieur. Désintéressée, cette tendance eût
pu
être féconde. Mais
s'occupait pas de science en savant;
enrichissement de son système.
Il
il
ne
il
y cherchait un
s'appro^iria,
nous
l'avons vu, une vue hâtive de l'anatomie naissante
:
la
théorie de l'endjoîtement à l'infini des individus les uns
dans les autres. Elle
lui
permit de supposer un individu
unique, quand l'unique substance ne
suffisait pas.
Ella
BENOIT DE SPINOZA.
304
non moins que
le satisfit, car,
l'unité,
il
le
hesoin impérieux de
avait le sentiment vif de l'individualité de
lame humaine.
en spectateur;
Il
comme
ne se plaçait pas
Descartes
ne cherchait pas une explication du
il
monde dont lame humaine
fût à
peu près
exclue. Les
de sympathie s'expliquaient pour lui par
faits
l'état
mental de l'amoureux, non par des rouages corporels
subtils.
Ce qu'il trouvait de plus haut en lui-même, en
du monde
faire l'étoffe
:
voilà la
démarche
la plus cons-
tante de sa pensée. Si c'est rintelhg-ence, le
l'amour, le
monde
monde
amour,
est
intelligence,
si c'est
c'est l'intérêt
personnel, l'intérêt général est merveilleu-
sement d'accord avec cet
fait partie
intérêt.
de l'univers jamais
;
le
est
si
Toujours l'homme
sentiment d'un désac-
cord, ni d'une rupture de continuité
;
c'est
au fond de
l'individu qu'est trouvée l'essence de l'univers
et
de
Dieu.
Les
sulîtilités
de la psychologie
et celles
de
l'exé-
gèse et de la politique l'intéressaient plus, en somme,
que
celles
les sciences
de l'algèbre et de la médecine. C'est dans
morales
qu'il a
apporté un esprit
a retranché la médecine de Y Éthique,
S'il
il
positif.
y a intro-
une théorie des passions, rudimentaire, homogène
duit
du moins. L'affirmation du parallélisme absolu du corps
et
de
l'esprit lui
mentaux, de
tard,
permettait
même
de s'en tenir aux états
qu'elle permettra à d'autres, plus
de s'en tenir aux
états
corporels.
Il
y a joint
une morale positive, indépendante, sans attaches nécessaires à sa
métaphysique, un portrait du sage inspiré
spixoz\.
:U).'>
de la vie nioralo contcmporninc, une
qu'on sent efficace
et
l'ensemble, mais dans chacun des détails,
pour nous l'héritage moral de
caine.
stoïfjue
rè^'-le
éprouvée non seulement dans
qui est
et
Hollande républi-
la
La théorie psychologique des passions
morale stoïque se joignent à
la
plexe
que nous avons vue pour conqioser un
où
perfection de la
la
méconnaître
le
nombre
et
livre
main-d'œuvre arrive à
et la
la
métaphysique com-
faire
dissemblance des maté-
riaux accumulés.
Nous aimons à croire
qu'il avait à ses
yeux
réalisé
son essence, lorsque à quarante-quatre ans et quelques
mois
il
quitta l'existence. Sa dernière année fut occupée
au Traité de Politique, à la seconde édition du Traité
de Théologie et au remaniement décisif de l'Éthique.
Il
n'attendait pas
dès celle-ci,
Il
prit
une seconde
disait-il, la
vie,
parce qu'il avait eu
résurrection d'entre les morts.
quelques précautions en vue de ceux qui allaient
bientôt faire le récit pieux de la mort d'un athée;
voulut que leur imagination eût toute
de dettes ce que pouvait payer
et
de ses hardes.
rosses et
A
la
il
la tâche. 11 laissa
vente de ses livres
son enterrement
il
y eut
six car-
presque autant de gens de qualité qu'à len-
terrcmcnt d'un professeur. Quelques gens du peuple
s'y trouvaient aussi
est
au
ciel.
qui disaient
:
«
Sûrement
celui-là
»
FIN
r.ENÛIT Di; SPINOZA.
20
TABLE DES MATIÈRES
Pages.
—
Chap. I".
Chap.
Chap.
Chap.
Chap.
La Synagogue
1
— Conversion
— Formation de la théorie de la Substance
—
IV.
Premiers Traités
V. — Les Principes de la Philosophie de Descartes
13
II.
..
III.
«
Chap. VI.
1
.
ti.
—
Traités de Théologie et de Politique
—
La
—
Le libéralisme
Chap. VIL
—
Livre
P"".
Livre
LnnE
133
Livre
Chap. VIII.
La causalité divine
111
— Théorie de Tindividu
— Théorie de connaissance
— Les passions
IV. — Le stoïcisme
V. — L'éternité
— Spinoza
III.
89
ioa
L'« Éthique »
1.
2.
71
131
autoritaire
Introduction
LunE IL
39
».
89
vie religieuse
—
21
la
c
1"8
187
206
*22o
248
273
iÉ^&^
The Library
La Bibliothèque
Université
d'Ottawa
llDiversity
Celui qni rapporte nn
volame apris
dernière date timbrée d-dessons
la
devra
date stamped below there
will
son pour chaqae jour de retard.
charge of one cent
be a 6ne of
five cents,
for
13 Ji
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For failnre to retnrn a book on or before the last
payer ane amende de cinq sons, plus on
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Date due
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