L émergence des nouvelles thérapeutiques en pelvi

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é d i t o r i a l
L’émergence des nouvelles
thérapeutiques en pelvipérinéologie : un iceberg
sous les tropiques
! G. Amarenco*
L’
été approche et il est bien rafraîchissant de voir notre palette de propositions thérapeutiques s’enrichir significativement. En effet, le dernier congrès de la Société
internationale francophone d’urodynamique,
qui s’est tenu en mai à Bruxelles, a de nouveau
confirmé l’émergence et l’intérêt de nouvelles
classes thérapeutiques en pelvi-périnéologie.
Autant de tables rondes et de symposiums
consacrés aux explorations, autant d’ateliers,
de réunions, de tables rondes consacrés aux
nouveaux traitements...
Cela peut paraître paradoxal dans une société
savante dont l’essence même est nourrie des
explorations dédiées à l’expertise du fonctionnement normal et pathologique de la vessie et
des sphincters... C’est pourtant bien le reflet
même de notre “société civile” que de s’intéresser à une problématique parfois plus pragmatique, souvent plus gratifiante et toujours
plus immédiate, à savoir le traitement des
symptômes, des dysfonctions et des maladies.
Le risque est bien évidemment celui du raccourci entre la gêne exprimée par le patient et
la réponse thérapeutique trop stéréotypée,
trop immédiate, trop univoque, bref, celui de la
“recette” non réfléchie pouvant alors conduire
à des erreurs de traitement mais aussi à des
errements diagnostiques par l’occultation des
principes mêmes de la réflexion thérapeutique,
à savoir la détermination des mécanismes physiopathologiques et étiopathogéniques...
* Ap-hp, service de rééducation
neurologique et d’explorations périnéales,
hôpital Rothschild, 33, bd de Picpus,
75571 Paris Cedex 12.
e-mail : [email protected]
Le premier exemple est celui du TVT.
Intervention magique, réclamée par les
patientes et exigée de nos correspondants, le
TVT a littéralement envahi la littérature européenne, abreuvé les pages santé des journaux
féminins qui s’empilent dans nos salles d’attente, avant d’inonder, on nous le prédit, les
publications nord-américaines ...
Correspondances en pelvi-périnéologie - n° 2-3, vol. II - septembre 2002
Révolution culturelle par son concept original,
le TVT a d’abord permis de redécouvrir la physiologie de l’urètre et son rôle majeur dans la
continence par les réflexions physiologiques et
physiopathologiques qu’il a permis de susciter... “Donnez-moi un levier et je soulèverai le
monde”, aurait affirmé Archimède au IIIe siècle
av. J.C., pourvu qu’on lui fournisse le point d’appui adéquat. “Donnez-moi un soutien et je
m’écraserai sans coup férir lors de la chute de
ma compagne vessie pour l’empêcher de
s’épancher... pourrait au XXe siècle déclamer
l’urètre... À la notion de sphincter intrinsèque
puis extrinsèque (urethral sphincter deficiency
des Anglo-Saxons) prédominant dans la fonction de continence, s’est peu à peu substituée
l’idée de l’importance de la nécessaire compliance urétrale pour pallier efficacement l’hypermobilité cervico-urétrale (hypermobility).
L’obturateur urétral intrinsèque a désormais
disparu du marché ; l’obturateur extrinsèque
(le TVT) est apparu... pour se substituer au soutènement actif physiologique constitué par la
rigidification réflexe et anticipative du hamac
musculo-tendino-aponévrotique sous-cervicourétral ...
D’ailleurs, de l’idée thérapeutique intuitive au
concept physiologique, ou du concept physiopathologique réfléchi au traitement, bien malin
celui qui peut parier sans se tromper sur la
genèse de la méthode ou du concept... Qui de
la poule ou de l’œuf... Qui de l’œuf ou de la
poule...
Et de plus, ça marche ! Parfois trop, quand ces
patientes guéries d’incontinence à l’effort
deviennent extrêmement gênées par une dysurie majeure en raison du manque d’intelligence,
de plasticité de la bandelette dont l’effet fronde
est identique quelle que soit la raison de l’hyperpression vésicale et de la dynamique verticale de l’axe cervico-urétral : effort de toux avec
alors un effet bénéfique de lutte contre la fuite ;
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effet pervers en bloquant encore plus la miction
chez les femmes urinant par poussée abdominale pour des raisons psycho-comportementales ou fonctionnelles...
Et puis, ça marche parfois à l’envers, avec persistance de la gêne pour la patiente désormais inondée, non plus par des fuites à l’effort disparues
grâce au magique TVT, mais par des fuites sur
urgence en raison d’une instabilité de novo.
L’évaluation des résultats ne doit pas être seulement binaire (fuite ou pas fuite) mais doit aussi
prendre en compte ces troubles mictionnels
induits, bien étudiés par les scores de symptômes et de qualité de vie ainsi que par le simple
catalogue (ou calendrier) mictionnel.
L’iceberg TVT dérive et le risque est à la banalisation de cette thérapeutique très efficace et très
sûre. Mais aussi peu morbide soit-il, le TVT ne
doit pas être galvaudé tant dans ses indications
que dans sa réalisation. Les explorations cliniques (avant tout cliniques) mais aussi urodynamiques sont toujours aussi indispensables, ne
serait-ce que pour déterminer les groupes à
risque (d’échec ou de complications)... Une main
réellement chirurgicale est toujours aussi nécessaire pour le bon geste au bon endroit. Et sans
tension, s’il vous plaît !
Si le TVT a fait beaucoup “jaser”, que dire de la
neuromodulation des racines sacrées !
Un dossier complet a déjà été consacré à cette
méthode dans l’un des derniers numéros de
Correspondances en pelvi-périnéologie.
Quelle technique œcuménique ! Le caméléon de
la neuro-urologie. Tout dire et son contraire. Qui
connaît une méthode qui traite avec le même
aplomb la rétention d’urine et les fuites par impériosité ? Qui possède la panoplie complète pour
attaquer simultanément de front l’incontinence
anale et les fuites urinaires ? Qui peut se targuer
de résultats probants tant chez le neurologique
que chez le fonctionnel ? Qui peut démontrer
sans coup férir un tel effet on-off d’une intervention ? Mais le risque existe du syndrome de l’iceberg. Ce n’est pas parce que l’on ne comprend
pas tout (loin s’en faut !) d’un (ou des) mécanisme(s) d’action d’un effet thérapeutique certain, qu’il faut en profiter pour essayer sans
rationnel physiopathologique une technique
encore lourde dans n’importe quelle indication
limite ou, pire, désespérée ! C’est dans ces
pathologies bien mystérieuses où l’âme nous
dépasse, où le patient nous cannibalise, où notre
désarroi médical (diagnostique et thérapeutique)
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est à son paroxysme, qu’il faut à tout prix éviter
de démissionner en proposant de guerre lasse
une escalade (pseudo-) thérapeutique pour masquer notre ignorance ou, pire, notre difficulté
psychologique ou pratique (time consuming) à la
prise en charge réelle du patient... La douleur
périnéale n’est ainsi vraisemblablement pas une
indication de plus à la neuromodulation, la douleur pelvienne probablement non plus... Et pourtant, la neuromodulation S3 pourrait bien être un
dernier recours dans la cystite interstitielle avant
d’envisager des solutions chirurgicales plus
lourdes et agressives.
Et les médicaments ? À l’horizon, de nouveaux
parasympathicolytiques se profilent, mieux supportés (probablement), plus efficaces (peutêtre)... avant de laisser place dans quelques
années à des molécules beaucoup plus originales (neuropeptides quand tu nous tiens...) ou
plus spécifiques (anticanaux... à votre bon choix
messieurs-dames...).
Mais, d’ores et déjà, de nos amies helvétiques
venues, de nouvelles et pacifiques indications de
bien méchants poisons émergent... La toxine
botulique intrasphinctérienne n’a pas encore été
évaluée que voici surgir déjà l’injection intradétrusorienne de ce produit miracle, heureusement dérobé à de moins nobles indications
(garde à vous !). Idée séduisante, résultats séduisants, patients conquis (mais anesthésiés...),
idée à suivre...
Mais que restera-t-il dans quelques années de
ces – peut-être – ex-très bonnes idées, de ces
futures ex-therapeutic success stories, de ces
prévisibles old physiologic conceptions ?
Syndrome du balancier, le yin et le yang, le blanc
et le noir, le vrai et le faux, l’éternel recommencement. Restons donc bien neutres et vigilants.
Modérons, pour certains, nos légitimes enthousiasmes. Et quand nous croisons dans ces eaux
toujours dangereuses et agitées des océans thérapeutiques, soufflées par les vents médiatiques,
balayées par les tempêtes des intérêts économiques, au détour des caps diagnostiques, restons vigilants à la dérive des icebergs... Et quand
nous croisons ces derniers, restons critiques et
non impressionnés par leur masse imposante qui
peut fondre très vite sous les tropiques comme
certaines ex-nouveautés thérapeutiques qui fondent comme neige au soleil sous les feux d’une
nouvelle actualité qui n’est parfois qu’une nou!
velle mode ou, pire, une nouvelle lubie.
Correspondances en pelvi-périnéologie - n° 2-3, vol. II - septembre 2002
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