Le Courrier de colo-proctologie (II) - n° 1 - mars 2001
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Science et conscience
F
ormation, qualification et compétence.
Ces trois termes sont largement utili-
sés pour juger de l’exercice médical, mais
sont-ils si proches et liés les uns aux autres ?
En d’autres termes, la qualification dans une
discipline est-elle la conséquence et l’assu-
rance d’une bonne formation, et surtout garan-
tit-elle une réelle compétence dans cette dis-
cipline ? Rien n’est moins sûr, car la
signification temporelle de ces trois substan-
tifs est fort différente.
La formation médicale débute à la faculté où
elle est encadrée et sanctionnée. Elle devient
ensuite individuelle, notamment au cours de
la spécialisation, s’appuyant sur une connais-
sance livresque d’origine universitaire ou, plus
récemment, par l’accès au Web, d’origine uni-
verselle moins contrôlée, justifiant la métho-
dologie des niveaux de preuve. La formation
médicale intellectuelle doit s’accompagner
d’une formation pratique par laquelle le choc
affectif ancrera la connaissance. Cet aspect
pratique et l’évolution des sciences médicales
expliquent les inquiétudes de tous quant à la
nécessité d’une formation médicale continue
(FMC) de qualité, dont, idéalement, l’effica-
cité doit être vérifiée (nous en sommes loin).
En effet, ce n’est pas en assistant à des
réunions scientifiques sur des sujets qu’il
connaît, pour être sûr de pouvoir facilement
les critiquer, que le participant améliorera sa
connaissance. Tout au plus justifiera-t-il
l’aphorisme d’Alain : “La réunion est un ins-
trument du croire plutôt qu’un instrument du
savoir.”
Si la formation médicale est intemporelle et
continue tout au long de la carrière, com-
ment peut-elle être sanctionnée par une qua-
lification, qui par définition traduit un état
ponctuel, délivrée pour une discipline don-
née par les instances universitaires, ordi-
nales ou étatiques, et qui, le plus souvent,
n’est jamais remise en cause, ou tout au plus
agrémentée de quelques additifs au gré de
ladite carrière et/ou de l’évolution de la dis-
cipline ?
La compétence, enfin, est immédiate et
intemporelle. Elle est immédiate, car elle
s’exprime dans chaque situation médicale où
d’un diagnostic précis découle une attitude
thérapeutique dont le seul but est d’améliorer
l’état du patient. C’est au résultat que l’on
juge la compétence. Elle est intemporelle, car
dans cette relation binaire médecin-patient se
déroulera toute la carrière dans des situations
différentes et surtout évolutives par les avan-
cées médicales tant diagnostiques que théra-
peutiques.
Ainsi, formation, qualification et compé-
tence sont liées mais sans corrélation systé-
matique. Ces trois termes doivent garder une
signification large, dépendant du substantif qui
les complète, et une grande souplesse d’utili-
sation. L’enseignement de la proctologie en
France, différent de celui de l’Europe, est sou-
mis à des tiraillements qui semblent plus rele-
ver de querelles de pouvoir que du bon sens
qui devrait permettre de réunir nos trois
maîtres mots.
La qualification qui sanctionne la formation
médicale initiale doit rester un terme large.
Pour paraphraser Montaigne, un médecin
“bien fait” est sans doute préférable à un
médecin “bien plein”. Une formation poly-
valente et ouverte permet les échanges inter-
disciplinaires et favorise la faculté de
s’adapter à des situations variées. De plus,
le médecin qualifié, qu’il soit gastroentéro-
logue, chirurgien viscéral, digestif ou autre,
aura la possibilité de s’orienter vers des spé-
cialités voisines, comme la colo-proctologie,
pour devenir compétent, répondant ainsi, si
nécessaire, aux besoins de la démographie
médicale actuelle et aux évolutions de la dis-
cipline. Par une formation continue, théo-
rique et pratique, il acquerra la compétence
nécessaire à la pratique de la colo-proctolo-
gie. Mais qui lui assurera cette formation
pratique et théorique, qui évaluera sa com-
pétence, et cette dernière doit-elle à nouveau
être qualifiée ? Il n’est pas de notre propos
de répondre, d’autres avancent des solutions
(1), mais diable, point de dogmatisme ! Trop
de lois tuent la loi. Les services formateurs,
eux-mêmes contrôlés et remis en cause,
ne sont-ils pas un bon moyen de contrôler
la formation ? Quoi qu’il en soit, ce n’est
pas le rôle des patients de juger de la com-
pétence, le risque étant trop grand que
certains d’entre eux en fassent les frais.
L’évolution si rapide du savoir impose que
la compétence soit constamment remise
en cause. Imaginions-nous, il y a quinze ans,
la naissance et l’essor de la pelvi-périnéo-
logie ? Devait-on ou doit-on créer une qua-
lification en pelvi-périnéologie, discipline
qui paraît par essence même multidiscipli-
naire (2) ?
En définitive, la compétence pourrait repo-
ser sur une FMC dont on s’assurerait de l’ef-
ficacité et sur une large pratique dans la dis-
cipline pour laquelle elle est censée être
acquise. Ce n’est qu’à ce prix que les colo-
proctologues seront bien formés et compé-
tents avec une remise en cause permanente,
Formation, qualification et compétence
●
R. Villet*
* Service de chirurgie viscérale et gynécologique,
hôpital des Diaconesses, Paris.
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