PROBLEME DU GOITRE ENDEMIQUE CAS DE 3 VILLAGES DU DEPARTEMENT DE TIBGA (GOURMA - BURKINA FASO) DRABO Y.J.*, DEMBELE S.M.*, OUANDAOGO J.**, OUIMINGA R.M.*** RESUME Les carences en iode constituent un problème majeur de santé publique dans les pays en voie de développement. Au Burkina Faso aucune évaluation à l’échelle nationale n’a été faite. Des études locales ont été entreprises depuis des décennies mais aucune stratégie nationale de lutte n’a été proposée. Dans le Département de TIBGA (Province du GOURMA) une enquête a été effectuée dans 3 villages sur 355 sujets pris au hasard. Cette enquête a permis d’apprécier : 1. La prévalence du goître endémique qui est de l’ordre de 70 à 90 % des sujets examinés, 2. Les causes du goître qui semblent être exclusivement liées à une carence en iode. Al’issue de cette évaluation une stratégie de lutte est proposée par les auteurs dont la préférence va à l’utilisation des solutions iodées huileuses (LIPIODOL) et au sel iodé. Mots-clés : Goître, iode, lipiodol, sel iodé. INTRODUCTION Le goître endémique constitue encore un important problème de santé dans les pays pauvres, s’associant souvent aux autres maladies carentielles et à la malnutrition protéinocalorique. Bien que les problèmes du goître soient connus de longue date dans plusieurs régions du Burkina Faso où des villages entiers sont touchés, aucune étude et stratégie à l’échelle nationale n’existe encore. Nous devons nous contenter de quelques enquêtes limitées. Notre étude a pour but d’apprécier la prévalence du goître endémique et de proposer une stratégie de lutte dans une zone cible où la maladie sévit à l’état endémique. * Service de Médecine CHR Fada N’Gourma ** Service de Cardiologie CHNYO Ouagadougou *** Service de Chirurgie CHNYO Ouagadougou MATERIELS ET METHODES D’ETUDE Zone étudiée L’étude a porté sur 3 villages du Département de TIBGA (Bolontou, Modré, Bogré). Ce département est l’un des 11 départements de la Province du GOURMA (Région Est du Burkina Faso). Selon le dernier recensement effectué en 1986, il compterait 25.684 habitants. Il s’agit d’une zone de savane à relief plat dont les habitants, essentiellement des paysans agriculteurs, cultivent des céréales (mil, maïs : base de l’alimentation). L’eau de boisson est fournie par des forages. Population étudiée 355 sujets qui n’ont jamais quitté leur village ont été pris au hasard et examinés en consultation de masse. L’examen clinique a été conduit par un médecin endocrinologue qui, pour chaque sujet, a établi une fiche comprenant : l’identité, l’origine, l’âge et le sexe de celui-ci, le résultat de l’examen clinique (présence ou non de goître, le type de goître selon la classification proposée par l’O.M.S.). Type 0 : Thyroïde non palpable, Type 1a : Thyroïde palpable dont les lobes ont un volume supérieur à la phalange distale du pouce du sujet, Type 1b : Idem - Thyroïde visible, cou en extension, Type 2 : Thyroïde visible, cou en position normale, Type 3 : Thyroïde, visible à 10 mètres. On y adjoint un type 4 : goître volumineux, nodulaire, compressif ou compliqué. Parmi les examens complémentaires, il n’a pas été possible d’apprécier l’excrétion urinaire de l’iode, ni les taux d’hormones circulantes ainsi que la teneur en iode du sol ou des aliments (sel de cuisine). Une étude qualitative de la teneur en iode de l’eau des puits par une méthode colorimétrique a montré une teneur quasi nulle en iode. Tirés à part à adresser : Dr DRABO Y. Joseph 01 BP 909 Ouagadougou 01 Médecine d'Afrique Noire : 1992, 39 (11) DRABO Y.J., DEMBELE S.M., OUANDAOGO J., OUIMINGA R.M. 738 RESULTATS Tableau 3 : Répartition des goîtres selon les types (classification de l’OMS, classification selon le type visible ou invisible) en fonction de l’âge et du sexe Tableau 1 : Répartition des patients examinés selon la tranche d’âge et le sexe Sexe Age 0- 5 ans 6-12 ans 13-18 ans 19 et + Total % Masculin 43 36 17 53 152 43 Féminin 59 74 17 53 203 57 Total 105 110 34 106 355 100 Tranche d’âge Types de goître Total Type 1 Type 2 Type 3 Type 4 0-5 ans 22 9 0 0 31 6-12 ans 15 18 0 0 33 13-18 4 8 2 0 14 Sexe La majorité des sujets examinés sont de sexe féminin, ce qui correspond à la répartition de la population de la région, évaluée selon les enquêtes démographiques à 52 % de femmes contre 48 % d’hommes. Les sujets de 13 à 18 ont été peu intéressés probablement à cause des travaux des champs et peut-être de l’exode rural. Tableau 2 : Prévalence de goître observé par tranche d'âge et par sexe (dans la zone étudiée) Masculin Tranche d’âge Sujet sain Malade Féminin Malade Sujet sain Malade F Tranche d'âge 0-5 ans 15 31 67,39 % 14 45 76,3 % 6-12 ans 3 33 91,6 % 2 72 97,3 % 13-18 ans 3 14 82,23 % 0 17 100 19 et + 23 30 56,60 % 4 49 92,5 % Total 44 108 71 % 20 183 90 % Les femmes semblent souvent plus atteintes que les hommes. L’affection semble survenir plus fréquemment pendant la seconde enfance et l’adolescence. A noter que plus de 90 % des sujets se sexe féminin sont atteints tout âge confondu. La preuve de l’importance de l’endémie est fournie par le pourcentage d’enfants de moins de 5 ans présentant une thyroïde palpable. 19 et + 16 12 2 0 30 Total 57 47 4 0 108 0-5 ans 25 19 1 0 45 6-12 25 42 5 0 72 13-18 2 12 3 0 17 19 et + 11 22 10 6 49 Total 63 95 19 6 183 Tableau 4 : Distribution des taux de prévalence de goîtres observés dans la zone étudiée selon le type de goître (visible ou invisible), le sexe et l’âge Malade 0-5 ans Médecine d'Afrique Noire : 1992, 39 (11) M Type de goître Masculin (%) Féminin (%) Total (%) Prévalence globale Goître visible Goître invisible 97,39 19,56 47,8 76,3 33,8 42,37 72,3 27,6 44,7 6-12 ans Prévalence globale Goître visible Goître invisible 91,6 50 41,6 97,3 63,51 33,7 95,5 59,09 36,36 13-18 ans Prévalence globale Goître visible Goître invisible 82,23 58,8 23,5 100 88,23 12,76 91,17 73,52 17,64 19 et + Prévalence globale Goître visible Goître invisible 56,6 26,41 30,18 92,5 71,69 20,75 74,52 49,5 25,47 Total Prévalence globale Goître visible Goître invisible 71,5 33,55 37,5 90,14 59,11 31,3 81,97 48,16 33,8 Les goîtres observés sont d’autant plus volumineux que le sujet est plus âgé. Les goîtres visibles semblent plus fréquents chez les sujets de sexe féminin. Les goîtres compliqués sont rares (moins de 2 %). PROBLEME DU GOITRE ENDEMIQUE 739 DISCUSSION Ce travail sur les goîtres endémiques dans trois villages du Burkina Faso appelle quelques commentaires : . Le goître peut être considéré comme existant à l’état hyperendémique dans les villages étudiés puisque sa prévalence au sein de l’échantillon considéré est de 80 % et que l’on parle d’endémie quand la prévalence globale de la maladie dépasse 5 % dans une population donnée (3). Par ailleurs, l’atteinte d’enfants d’âge scolaire et de nouveaux-nés et nourrissons comme l’indique le tableau 2 confirme à plus d’un titre la sévérité de l’endémie dans cette région (2, 4, 8). C’est pourquoi certains auteurs estiment que les enfants d’âge scolaire constituent la population témoin pour apprécier l’importance du goître dans la population générale (8). Les populations les plus touchées sont celles dont l’âge se situe entre 6-19 ans et surtout les femmes en âge de procréer. Ces constatations sont conformes aux résultats d’autres travaux antérieurs (1, 2, 4, 7), cependant que la forte proportion des femmes atteintes par le goître endémique semble pouvoir s’expliquer par le lourd tribut que celles-ci ont toujours payé à la pathologie thyroïdienne comme à toutes les maladies endocriniennes ou systémiques. Pour toutes ces raisons, nous estimons que le goître endémique constitue ici un problème de santé publique nécessitant des mesures adéquates et urgentes. Ces mesures pour être efficaces, doivent permettre d’enrayer la cause du goître. Nous rappelons qu’il n’a pas été possible d’effectuer des dosages d’hormones thyroïdiennes (T3, T4) et/ou de TSH, ni de taux d’iode urinaire ou de la teneur en iode du sel de consommation ou du sol à des fins d’enquête étiologique. Aussi, la constatation d’une teneur quasi nulle en iode de l’eau de boisson de cette population qui ne consomme pas d’aliments réputés goîtrigènes, nous a-t-elle paru constituer un argument en faveur de la carence en iode comme cause essentielle de cette endémie goîtreuse. Une preuve indirecte de la responsabilité de la carence en iode dans la survenue de cette endémie goîtreuse semble être fournie par l’absence de goître parmi les personnes ayant émigré temporairement mais suffisamment longtemps de la zone d’endémie pour vivre dans un environ- nement différent. Il est par ailleurs admis que lorsque la prévalence du goître est supérieure à 10 % dans une population donnée, la carence en iode en constitue la cause prédominante (3). Dans une zone hyperendémique comme le Département de Tibga où le goître est certainement lié à une carence en iode, le traitement à envisager doit être un traitement d’urgence comme le préconisent certains auteurs (2, 3, 6). Plusieurs possibilités thérapeutiques sont proposées, toutes basées sur une apport d’iode. L’OMS (6) recommande plutôt dans ces cas l’administration par voie parentérale de solutions huileuses d’iode sous forme de LIPIODOL permettant ainsi d’apporter rapidement des quantités suffisamment importantes d’iode pour couvrir les besoins de l’organisme pendant quatre ans environ. L’inconvénient de ce procédé réside essentiellement dans le coût élevé de l’équipement nécessaire à sa réalisation et la nécessité de former un personnel qualifié. a défaut, le LIPIODOL peut être administré sous forme de capsules orales. Elles ne font efficaces que pendant 18 mois à 2 ans. Le traitement ainsi préconisé pourrait être relayé par la suite par l’apport de sel enrichi en iode. Le sel étant une denrée habituellement consommée de façon régulière et quotidienne par la population considérée, il ne devrait pas être difficile de l’utiliser comme moyen de prévention de la carence iodée en l’enrichissant en iode, à condition de maîtriser certaines difficultés pratiques que constituent le contrôle de son circuit de distribution et de commercialisation. Une telle méthode de prévention a été entreprise avec succès en Europe et aux USA ainsi que dans plusieurs pays du tiers monde (3, 4, 5, 6, 8). CONCLUSION Les troubles dûs à la carence en iode et notamment le goître endémique constituent un important problème de santé publique dans les pays du tiers monde et notamment au Burkina Faso. Cette étude a permis d’apprécier la prévalence du goître dans le département de Tibga et de proposer une stratégie de lutte. Elle peut ainsi servir de modèle en vue d’une évaluation à l’échelle nationale suivie d’une campagne de prévention efficace. 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Médecine d'Afrique Noire : 1992, 39 (11) DRABO Y.J., DEMBELE S.M., OUANDAOGO J., OUIMINGA R.M. 6 - OMS Bureau Régional pour l’Afrique Rapport de la quatrième réunion du groupe spécial Africain sur les troubles dûs à la carence en iode - mars 1990. 7 - OUIMINGA R.M., SANOU A., SANAMOU D., DAKOURE R., SOUDRE R.B. La chirurgie du goître au Burkina Faso. Revue de Médecine de Tours 1989 - T23 N°9/10 467-469. 8 - THILLY C., BOURDOUX P., CONTEMPRE B., SUENNEN B. Les stratégies de lutte contre le goître. L’enfant en milieu tropical 1988 n°175-176. Centre International de l’Enfant - Paris.