Médecine d'Afrique Noire : 1992, 39 (11)
MATERIELS ET METHODES D’ETUDE
Zone étudiée
L’étude a porté sur 3 villages du Département de TIBGA
(Bolontou, Modré, Bogré). Ce département est l’un des 11
départements de la Province du GOURMA (Région Est du
Burkina Faso). Selon le dernier recensement effectué en
1986, il compterait 25.684 habitants. Il s’agit d’une zone
de savane à relief plat dont les habitants, essentiellement
des paysans agriculteurs, cultivent des céréales (mil, maïs :
base de l’alimentation). L’eau de boisson est fournie par
des forages.
Population étudiée
355 sujets qui n’ont jamais quitté leur village ont été pris
au hasard et examinés en consultation de masse. L’examen
clinique a été conduit par un médecin endocrinologue qui,
pour chaque sujet, a établi une fiche comprenant : l’iden-
tité, l’origine, l’âge et le sexe de celui-ci, le résultat de
l’examen clinique (présence ou non de goître, le type de
goître selon la classification proposée par l’O.M.S.).
Type 0 : Thyroïde non palpable,
Type 1a : Thyroïde palpable dont les lobes ont un volume
supérieur à la phalange distale du pouce du sujet,
Type 1b: Idem - Thyroïde visible, cou en extension,
Type 2: Thyroïde visible, cou en position normale,
Type 3: Thyroïde, visible à 10 mètres.
On y adjoint un type 4 : goître volumineux, nodulaire,
compressif ou compliqué.
Parmi les examens complémentaires, il n’a pas été possible
d’apprécier l’excrétion urinaire de l’iode, ni les taux d’hor-
mones circulantes ainsi que la teneur en iode du sol ou des
aliments (sel de cuisine).
Une étude qualitative de la teneur en iode de l’eau des puits
par une méthode colorimétrique a montré une teneur quasi
nulle en iode.
PROBLEME DU GOITRE ENDEMIQUE
CAS DE 3 VILLAGES DU DEPARTEMENT DE TIBGA
(GOURMA - BURKINA FASO)
DRABO Y.J.*, DEMBELE S.M.*, OUANDAOGO J.**, OUIMINGA R.M.***
* Service de Médecine CHR Fada N’Gourma
** Service de Cardiologie CHNYO Ouagadougou
*** Service de Chirurgie CHNYO Ouagadougou
Tirés à part à adresser : Dr DRABO Y. Joseph 01 BP 909 Ouagadougou 01
INTRODUCTION
Le goître endémique constitue encore un important problè-
me de santé dans les pays pauvres, s’associant souvent aux
autres maladies carentielles et à la malnutrition protéino-
calorique.
Bien que les problèmes du goître soient connus de longue
date dans plusieurs régions du Burkina Faso où des villages
entiers sont touchés, aucune étude et stratégie à l’échelle
nationale n’existe encore.
Nous devons nous contenter de quelques enquêtes limitées.
Notre étude a pour but d’apprécier la prévalence du goître
endémique et de proposer une stratégie de lutte dans une
zone cible où la maladie sévit à l’état endémique.
RESUME
Les carences en iode constituent un problème majeur
de santé publique dans les pays en voie de développe-
ment.
Au Burkina Faso aucune évaluation à l’échelle natio-
nale n’a été faite. Des études locales ont été entreprises
depuis des décennies mais aucune stratégie nationale
de lutte n’a été proposée. Dans le Département de
TIBGA (Province du GOURMA) une enquête a été
effectuée dans 3 villages sur 355 sujets pris au hasard.
Cette enquête a permis d’apprécier :
1. La prévalence du goître endémique qui est de
l’ordre de 70 à 90 % des sujets examinés,
2. Les causes du goître qui semblent être exclusive-
ment liées à une carence en iode.
Al’issue de cette évaluation une stratégie de lutte est
proposée par les auteurs dont la préférence va à l’uti-
lisation des solutions iodées huileuses (LIPIODOL) et
au sel iodé.
Mots-clés : Goître, iode, lipiodol, sel iodé.
Médecine d'Afrique Noire : 1992, 39 (11)
RESULTATS
Tableau 1 : Répartition des patients examinés
selon la tranche d’âge et le sexe
Age 0- 5 ans 6-12 ans 13-18 ans 19 et + Total %
Sexe
Masculin 43 36 17 53 152 43
Féminin 59 74 17 53 203 57
Total 105 110 34 106 355 100
La majorité des sujets examinés sont de sexe féminin, ce
qui correspond à la répartition de la population de la
région, évaluée selon les enquêtes démographiques à 52 %
de femmes contre 48 % d’hommes. Les sujets de 13 à 18
ont été peu intéressés probablement à cause des travaux
des champs et peut-être de l’exode rural.
Tableau 2 : Prévalence de goître observé par tranche
d'âge et par sexe (dans la zone étudiée)
Masculin Féminin
Tranche
d’âge Sujet Malade Malade Sujet Malade Malade
sain sain
0-5 ans 15 31 67,39 % 14 45 76,3 %
6-12 ans 3 33 91,6 % 2 72 97,3 %
13-18 ans 3 14 82,23 % 0 17 100
19 et + 23 30 56,60 % 4 49 92,5 %
Total 44 108 71 % 20 183 90 %
Les femmes semblent souvent plus atteintes que les hom-
mes.
L’ a ffection semble survenir plus fréquemment pendant la
seconde enfance et l’adolescence.
A noter que plus de 90 % des sujets se sexe féminin sont
atteints tout âge confondu. La preuve de l’importance de
l’endémie est fournie par le pourcentage d’enfants de
moins de 5 ans présentant une thyroïde palpable.
Tableau 3 : Répartition des goîtres selon les types
(classification de l’OMS, classification selon le type
visible ou invisible) en fonction de l’âge et du sexe
Sexe Tranche Types de goître
d’âge Total
Type 1 Type 2 Type 3 Type 4
0-5 ans 22 9 0 0 31
6-12 ans 15 18 0 0 33
M 13-18 4 8 2 0 14
19 et + 16 12 2 0 30
Total 57 47 4 0 108
0-5 ans 25 19 1 0 45
6-12 25 42 5 0 72
F 13-18 2 12 3 0 17
19 et + 11 22 10 6 49
Total 63 95 19 6 183
Tableau 4 : Distribution des taux de prévalence
de goîtres observés dans la zone étudiée selon le type
de goître (visible ou invisible), le sexe et l’âge
Tranche Type de goître Masculin Féminin Total
d'âge (%) (%) (%)
Prévalence globale 97,39 76,3 72,3
0-5 ans Goître visible 19,56 33,8 27,6
Goître invisible 47,8 42,37 44,7
Prévalence globale 91,6 97,3 95,5
6-12 ans Goître visible 50 63,51 59,09
Goître invisible 41,6 33,7 36,36
Prévalence globale 82,23 100 91,17
13-18 ans Goître visible 58,8 88,23 73,52
Goître invisible 23,5 12,76 17,64
Prévalence globale 56,6 92,5 74,52
19 et + Goître visible 26,41 71,69 49,5
Goître invisible 30,18 20,75 25,47
Prévalence globale 71,5 90,14 81,97
Total Goître visible 33,55 59,11 48,16
Goître invisible 37,5 31,3 33,8
Les goîtres observés sont d’autant plus volumineux que le
sujet est plus âgé. Les goîtres visibles semblent plus fré-
quents chez les sujets de sexe féminin. Les goîtres compli-
qués sont rares (moins de 2 %).
DRABO Y.J., DEMBELE S.M., OUANDAOGO J., OUIMINGA R.M.
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Médecine d'Afrique Noire : 1992, 39 (11)
DISCUSSION
Ce travail sur les goîtres endémiques dans trois villages du
Burkina Faso appelle quelques commentaires :
.
Le goître peut être considéré comme existant à l’état
hyperendémique dans les villages étudiés puisque sa
prévalence au sein de l’échantillon considéré est de 80 %
et que l’on parle d’endémie quand la prévalence globale
de la maladie dépasse 5 % dans une population donnée (3).
Par ailleurs, l’atteinte d’enfants d’âge scolaire et de nou-
veaux-nés et nourrissons comme l’indique le tableau 2
confirme à plus d’un titre la sévérité de l’endémie dans
cette région (2, 4, 8). C’est pourquoi certains auteurs esti-
ment que les enfants d’âge scolaire constituent la popula-
tion témoin pour apprécier l’importance du goître dans la
population générale (8).
Les populations les plus touchées sont celles dont l’âge se
situe entre 6-19 ans et surtout les femmes en âge de pro-
créer. Ces constatations sont conformes aux résultats d’au-
tres travaux antérieurs (1, 2, 4, 7), cependant que la forte
proportion des femmes atteintes par le goître endémique
semble pouvoir s’expliquer par le lourd tribut que celles-ci
ont toujours payé à la pathologie thyroïdienne comme à
toutes les maladies endocriniennes ou systémiques.
Pour toutes ces raisons, nous estimons que le goître endé-
mique constitue ici un problème de santé publique néces-
sitant des mesures adéquates et urgentes.
Ces mesures pour être efficaces, doivent permettre d’en-
rayer la cause du goître.
Nous rappelons qu’il n’a pas été possible d’effectuer des
dosages d’hormones thyroïdiennes (T3, T4) et/ou de TSH,
ni de taux d’iode urinaire ou de la teneur en iode du sel de
consommation ou du sol à des fins d’enquête étiologique.
Aussi, la constatation d’une teneur quasi nulle en iode de
l’eau de boisson de cette population qui ne consomme pas
d’aliments réputés goîtrigènes, nous a-t-elle paru constituer
un argument en faveur de la carence en iode comme cause
essentielle de cette endémie goîtreuse.
Une preuve indirecte de la responsabilité de la carence en
iode dans la survenue de cette endémie goîtreuse semble
être fournie par l’absence de goître parmi les personnes
ayant émigré temporairement mais suffisamment long-
temps de la zone d’endémie pour vivre dans un environ-
nement différent.
Il est par ailleurs admis que lorsque la prévalence du goître
est supérieure à 10 % dans une population donnée, la
carence en iode en constitue la cause prédominante (3).
Dans une zone hyperendémique comme le Département de
Tibga où le goître est certainement lié à une carence en
iode, le traitement à envisager doit être un traitement
d’urgence comme le préconisent certains auteurs (2, 3, 6).
Plusieurs possibilités thérapeutiques sont proposées, toutes
basées sur une apport d’iode. L’OMS (6) recommande
plutôt dans ces cas l’administration par voie parentérale de
solutions huileuses d’iode sous forme de LIPIODOL
permettant ainsi d’apporter rapidement des quantités suffi-
samment importantes d’iode pour couvrir les besoins de
l’organisme pendant quatre ans environ. L’inconvénient de
ce procédé réside essentiellement dans le coût élevé de
l’équipement nécessaire à sa réalisation et la nécessité de
former un personnel qualifié. a défaut, le LIPIODOL peut
être administré sous forme de capsules orales. Elles ne font
efficaces que pendant 18 mois à 2 ans.
Le traitement ainsi préconisé pourrait être relayé par la
suite par l’apport de sel enrichi en iode. Le sel étant une
denrée habituellement consommée de façon régulière et
quotidienne par la population considérée, il ne devrait pas
être difficile de l’utiliser comme moyen de prévention de la
carence iodée en l’enrichissant en iode, à condition de
maîtriser certaines difficultés pratiques que constituent le
contrôle de son circuit de distribution et de commercialisa-
tion. Une telle méthode de prévention a été entreprise avec
succès en Europe et aux USA ainsi que dans plusieurs pays
du tiers monde (3, 4, 5, 6, 8).
CONCLUSION
Les troubles dûs à la carence en iode et notamment le goî-
tre endémique constituent un important problème de santé
publique dans les pays du tiers monde et notamment au
Burkina Faso. Cette étude a permis d’apprécier la préva-
lence du goître dans le département de Tibga et de proposer
une stratégie de lutte. Elle peut ainsi servir de modèle en
vue d’une évaluation à l’échelle nationale suivie d’une
campagne de prévention efficace.
PROBLEME DU GOITRE ENDEMIQUE 739
BIBLIOGRAPHIE
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Médecine d'Afrique Noire : 1992, 39 (11)
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SOUDRE R.B.
La chirurgie du goître au Burkina Faso.
Revue de Médecine de Tours 1989 - T23 N°9/10 467-469.
8 - THILLY C., BOURDOUX P., CONTEMPRE B., SUENNEN B.
Les stratégies de lutte contre le goître.
L’enfant en milieu tropical 1988 n°175-176. Centre International de
l’Enfant - Paris.
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