la revision de la directive « television sans frontieres

LA REVISION DE LA DIRECTIVE « TELEVISION SANS FRONTIERES » :
UNE ADAPTATION DU CADRE REGLEMENTAIRE EUROPEEN
AUX EVOLUTIONS DU PAYSAGE AUDIOVISUEL
Face aux évolutions du marché audiovisuel résultant de l’émergence de nouvelles formes de
services audiovisuels, de l’apparition de nouveaux acteurs issus du monde des
télécommunications et de l’Internet et du développement de nouvelles formes de
consommation « à la demande », l’adaptation du cadre réglementaire européen est apparue
indispensable pour créer les conditions d’une concurrence équitable pour l’ensemble des
services de médias audiovisuels. Cette adaptation passait nécessairement par la révision de la
directive « télévision sans frontières » (ci-après « directive TVSF »)1 considérée, à juste titre,
comme la « pierre angulaire de la politique audiovisuelle européenne ».
Cette révision a débuté en janvier 2006 sur la base d’une proposition de directive présentée
par la Commission le 13 décembre 20052. La négociation qui s’est alors engagée au Conseil et
au Parlement, en application de la procédure de codécision, s'est conclue par l'accord politique
obtenu au Conseil des ministres du 24 mai 20073. Cet accord ayant reçu l'approbation de la
Commission, de la rapporteure au Parlement européen, Mme Hieronymi, ainsi que celui des
trois principaux groupes politiques (PPE-DE, PSE, ADLE), le vote en seconde lecture par le
Parlement, puis l'adoption formelle du texte, qui est devenu la directive relative aux services
de médias audiovisuels sans frontières (ci-après « directive SMA »)4, n’étaient donc qu'une
formalité à la charge de l'actuelle présidence portugaise.
Ce délai de dix-huit mois est relativement court pour une gociation européenne, d'autant
plus que les divergences étaient initialement considérables entre les délégations ; l'efficacité
des présidences successives du Conseil, les présidences autrichienne, finlandaise – qui a
obtenu l'adoption d'une orientation générale au Conseil le 13 novembre 20065 et allemande,
mérite à cet égard d'être saluée. On relèvera aussi que la procédure suivie, dite de « seconde
lecture anticipée », a été permise par la volonté très tôt affirmée du Conseil de collaborer en
amont avec le Parlement, avec l'organisation notamment de trilogues réunissant la
Commission, la Présidence et les rapporteurs parlementaires pour établir au plus vite des
convergences entre les institutions
En outre, la conclusion rapide de cet accord s’explique certainement aussi par la nature même
du texte qui reste une directive de coordination a minima, les Etats ayant la faculté de prévoir
des règles plus strictes ou plus détaillées pour les fournisseurs de services relevant de leur
compétence (article 3).
1 Directive 89/552/CE du 3 octobre 1989 visant à la coordination de certaines dispositions législatives,
réglementaires et administratives des États membres relatives à l'exercice d'activités de radiodiffusion
télévisuelle (JOCE L 298 du 17 octobre 1989, p. 23) modifiée par la directive 97/36/CE du 30 juin 1997 (JOCE
L 202 du 30 juillet 1997, p. 60). Pour une analyse de ces textes : Séverine FAUTRELLE, Bilan et perspectives
de la directive « Télévision sans frontières », thèse de doctorat, septembre 2003, Université Panthéon-Assas.
2 COM (2005) 646 final.
3 Le vote en première lecture du Parlement européen, qui a eu lieu le 13 décembre 2006 (P6_TA(2006)0559), a
ensuite conduit la Commission à formuler le 29 mars 2007 une proposition modifiée qui tenait compte des
amendements parlementaires (COM(2007) 170 final).
4 Directive 2007/65/CE du 11 décembre 2007, JOUE L 332 du 18 décembre 2007, p. 27.
5 Communiqué de presse de la Présidence finlandaise :
http://www.eu2006.fi/news_and_documents/press_releases/vko46/en_GB/173857/
Document : http://register.consilium.europa.eu/pdf/fr/06/st14/st14464-co01.fr06.pdf
Toutefois, la relative rapidité de la négociation ne doit pas pour autant cacher l'âpreté des
débats qui se sont tenus dans les différentes enceintes, révélateurs des divergences profondes
sur les manières d'appréhender le secteur de l'audiovisuel. La nécessité, absolue pour les uns,
de réguler les nouveaux services signifiait pour les autres brider injustement la « liberté de
l'Internet » ; la promotion de la diversité culturelle si chère à certains allait pour d’autres à
l'encontre des mécanismes de marché. Le texte est finalement un compromis subtil entre ces
diverses conceptions, dont les principales dispositions méritent ici d'être développées.
I. – Vers une approche réglementaire englobant l’ensemble des services de médias
audiovisuels
Le changement de nom de la directive qui devient la directive relative « aux services de
médias audiovisuels sans frontières » moigne d’une nouvelle approche réglementaire
consistant à appréhender juridiquement un ensemble de services qui, s’ils se différencient sur
le plan fonctionnel, visent à diffuser des contenus similaires.
A. - L’élargissement du champ d’application de la directive aux services à la demande
Au milieu des années quatre-vingt dix, lors de la première révision de la directive, le Conseil
et le Parlement avaient, après de longues hésitations, renoncé à étendre son champ
d’application à de nouveaux services, estimant que ces services n’étaient encore qu’émergents
et que toute réglementation anticipée risquerait de ralentir leur développement. Aujourd’hui,
l’environnement audiovisuel a profondément évolué et il n’était plus possible d’ignorer
l’existence de ces nouveaux services qui, proches de la télévision « classique » en termes de
contenu, mais se distinguant sur le plan fonctionnel, pourraient à court terme entrer en
concurrence avec celle-ci.
Parmi ces nouveaux services, ceux de vidéo à la demande (VoD) se sont rapidement
développés au cours de la dernière année. Selon une étude réalisée au début de 2007, on
estime à plus de 150 le nombre de ces services actuellement opérationnels en Europe6. Leur
marché se caractérise par la grande diversité des offres et des intervenants, moignant ainsi
du rapprochement évident des services et des plates-formes sous l’effet de la convergence :
les services de VoD sont aujourd’hui proposés sur l’ensemble des types de supports existants
(câble, satellite, télévision numérique terrestre, Internet et IPTV) ; trois types d’acteurs, les
éditeurs de chaînes, les agrégateurs de contenus et les opérateurs de télécommunications, sont
particulièrement actifs sur ce marché7.
6 « La vidéo à la demande en Europe », étude réalisée par NPA Conseil pour la Direction du développement des
médias et l’Observatoire européen de l’audiovisuel, mai 2007.
http://www.ddm.gouv.fr/IMG/pdf/vod-npa-2007.pdf
Cette étude prend en compte exclusivement les services proposant (au moins en partie) de la VoD payante. Les
vidéos amateurs et sites communautaires, les plates-formes proposant exclusivement des programmes
audiovisuels selon un modèle gratuit, les offres de clips musicaux, certains services dont le but principal n’est
pas la commercialisation d’œuvres en VoD et les offres de vidéo à la demande sur téléphonie mobile n’entrent
pas dans le champ de cette étude.
7 « Même si la VoD est un marché encore émergent, elle implique déjà des transformations majeures dans les
modes d’accès aux programmes. Par ailleurs, elle apporte de nombreux bouleversements dans l’industrie du
cinéma et des programmes audiovisuels en termes de modèles économiques et de consommation. Dans presque
tous les pays étudiés, la « délinéarisation » des grilles de programmes, le remodelage de la chronologie des
médias et l’entrée de nouveaux acteurs se positionnant en concurrence directe avec les acteurs traditionnels de
l’audiovisuel sont les premières conséquences de l’essor de la vidéo à la demande », étude NPA précitée, p. 11
Dans ces conditions, lors des consultations menées par la Commission, il est clairement
apparu nécessaire d’appréhender juridiquement ces nouveaux services. La Commission a dès
lors présenté en décembre 2005 une proposition de directive visant à étendre le champ
d’application de la directive TVSF aux services à la demande.
Très vite, de fortes oppositions ont éexprimées par le Royaume-Uni qui estimait prématuré
une réglementation de ces services en cours de développement et arguait - à tort – qu’une telle
approche revenait à réglementer l’Internet. De vives discussions se sont alors engagées au
Conseil sur ce sujet. Elles auraient pu faire achopper la négociation tant la résistance du
Royaume-Uni, soutenu par l’Espagne, la Slovaquie et le Danemark, et bénéficiant de la
compréhension d’un certain nombre d’autres Etats membres, était forte. Le même clivage se
dessinait au Parlement où les députés britanniques, très actifs dans les commissions du
marché intérieur et de l’industrie, menaient le combat contre une directive qui allait selon eux
brider le développement des nouveaux services et porter atteinte à la liberté de l’Internet.
L’un des arguments mis en avant par les opposants à l’extension du champ d’application était
l’existence de la directive sur le commerce électronique8, qu’ils estimaient suffisante pour
traiter du cas des nouveaux services. Si cette directive prend effectivement en compte
certaines des problématiques que la directive TVSF a pour but d'appréhender (protection des
mineurs, lutte contre l’incitation à la haine…), sa rédaction n’est cependant pas adaptée à la
spécificité du secteur audiovisuel et laisse de côté des pans entiers particulièrement
importants, comme la promotion de la diversité culturelle (cf. infra).
Malgré ces très fortes réticences d’une partie des Etats membres, les discussions finirent par
aboutir à un compromis adopté par le Conseil des Ministres réuni à Bruxelles le 13 novembre
2006. Les opposants à l’extension du champ d’application se sont finalement rangés derrière
l’avis de la Commission, majoritaire au Conseil, après avoir obtenu une meilleure définition
du périmètre des services visés grâce à l’introduction de deux critères supplémentaires dans la
définition des services de médias audiovisuels : les notions de responsabilité éditoriale et de
programme. Cet ajout permettait d’apaiser la crainte exprimée par les acteurs de la nouvelle
économie d’être soumis à des règles pour des contenus sur Internet qu’ils ne pouvaient
maîtriser.
La directive SMA englobe donc l’ensemble des services de médias audiovisuels, entendu
comme un service qui remplit simultanément les critères suivants : être un service au sens
communautaire du terme (définition des articles 49 et 50 du Traité CE), relever de la
responsabilité éditoriale d’un fournisseur de services de médias, avoir pour objet principal la
fourniture de programmes (au sein d’une grille ou d’un catalogue) dans le but d’informer, de
divertir ou d’éduquer le grand public9 et être mis à disposition via des réseaux de
communications électroniques.
Au sein de cette catégorie des services de médias audiovisuels, on distingue deux sous-
catégories : les services de radiodiffusion télévisuelle ou « services linéaires », selon la
terminologie initialement proposée par la Commission, et les services à la demande également
8 Directive 2000/31/CE du 8 juin 2000 relative à certains aspects juridiques des services de la société de
l’information, et notamment du commerce électronique, dans le marché intérieur, JOCE L 178 du 17 juillet
2000, p. 1.
9 Il doit s’agir de moyens de communication de masse, c’est-à-dire qui sont destinés à être reçus par une part
importante de la population et qui sont susceptibles d’avoir sur elle un impact manifeste ; toute forme de
correspondance privée est donc exclue.
appelés « services non linéaires ». Les services linéaires sont les services de radiodiffusion
télévisuelle au sens de la directive TVSF actuellement en vigueur, sachant qu’il a été précisé
que les nouvelles formes de télévision sont incluses. Ainsi sont visées toutes les formes de
télévision : télévision analogique, numérique, en mode hertzien, par câble, satellite, ADSL ou
Internet et les services de quasi-vidéo à la demande (ou « pay per view »)10, dès lors qu’elles
constituent « un service fourni par un fournisseur de services de dias pour le visionnage
simultané de programmes sur la base d’une grille de programmes » (article 1 c). Un service
non linéaire est défini comme « un service fourni par un fournisseur de services de médias
pour le visionnage de programmes au moment choisi par l’utilisateur et sur demande
individuelle sur la base d’un catalogue de programmes sélectionnés par le fournisseur de
services de médias », c’est-à-dire notamment les services de vidéo à la demande (article 1 e)
L’ajout des notions de « responsabilité éditoriale »11 et de « programme »12 permet de mieux
circonscrire le périmètre des services visés tout en évitant pour autant de figer leurs
définitions compte tenu du caractère évolutif du paysage audiovisuel. C’est pourquoi,
concernant les services non linéaires, le considérant 13 bis précise que « ces services
présentent la caractéristique d’être de « type télévisuel », ce qui signifie que s’adressant au
même public, ils sont en concurrence avec les émissions télévisées et que, vu le type et le
mode d’accès au service, l’utilisateur pourrait normalement s’attendre à néficier d’une
protection réglementaire dans le cadre la présente directive (…). La notion de programme
devrait être interprétée d’une manière dynamique qui tienne compte de l’évolution de la
radiodiffusion télévisuelle ».
Sont en revanche exclus du champ d’application de la directive tous les services dont la
finalité principale n’est pas la fourniture de programmes, c’est-à-dire ceux dont le contenu
audiovisuel n’est que secondaire (comme par exemple, un site de voyage qui proposerait à ses
clients de visionner un mini film sur leur prochaine destination), les jeux de hasard (loteries,
paris et autres formes de jeux d’argent, sauf les émissions consacrées à ces jeux), les jeux en
ligne et les moteurs de recherche, ainsi que les versions électroniques des journaux et des
magazines (considérants 14 et 15).
Enfin, la question du statut juridique des nouveaux services composés de contenus générés
par les utilisateurs (sites Internet comme YouTube ou DailyMotion) a fait l’objet de débats
animés. Finalement, une formulation de compromis a été trouvée : ne sont couverts par la
directive que les services tels que définis par le Traité, c’est-à-dire « toutes les formes
d’activité économique, mais exclut les activités dont la vocation première n’est pas
économique et qui ne sont pas en concurrence avec la radiodiffusion télévisuelle, comme les
sites web privés et les services qui consistent à fournir ou à diffuser du contenu audiovisuel
10 Dans son arrêt du 2 juin 2005, la Cour de justice des Communautés européennes avait indiqué que les services
de pay per view relevaient bien des services de radiodiffusion télévisuelle au sens de la directive TVSF. Aff. C-
89/04 Mediakabel BV contre Commissariat voor de Media.
11 On entend par responsabilité éditoriale, « l’exercice d’un contrôle effectif tant sur la sélection des programmes
que sur leur organisation, soit sur une grille chronologique, dans le cas d’émissions télévisées, soit sur un
catalogue, dans le cas de services à la demande. La responsabilité éditoriale n’a pas cessairement pour
corollaire une responsabilité juridique quelconque en vertu du droit national à l’égard du contenu ou des
services fournis » (article 1 § 2 a ter)
12 On entend par programme, « un ensemble d’images animées, combinées ou non à du son, constituant un seul
élément dans le cadre d’une grille ou d’un catalogue établi par un fournisseur de services de dias et dont la
forme et le contenu sont comparables à ceux de la radiodiffusion télévisuelle. Ces programmes comprennent, à
titre d’exemple, les films long métrage, les manifestations sportives, les comédies de situation, les
documentaires, les programmes pour enfants et les pièces de théâtre » (article 1 a bis).
créé par des utilisateurs privés à des fins de partage et d’échange au sein de communautés
d’intérêt » (considérant 16). Il y a cependant fort à parier que cette formulation donnera lieu à
des interprétations divergentes lors de la transposition de la directive.
Une fois étendu et délimité le champ d’application de la future directive, il convenait de
préciser le régime juridique applicable indistinctement à l’ensemble des services de médias
audiovisuels.
B. La définition d’un socle commun de règles applicable à l’ensemble des services de
médias audiovisuels
Comme le rappelle le considérant 5 de la directive SMA : il est « nécessaire, pour éviter les
distorsions de concurrence, renforcer la sécurité juridique, contribuer à l'achèvement du
marché intérieur et faciliter l'émergence d'un espace unique de l'information, d'appliquer à
tous les services de médias audiovisuels, aussi bien linéaires que non linéaires, au moins un
ensemble minimal de règles coordonnées » ou « level playing field ».
1. La réaffirmation du principe fondamental du « pays d’origine »
Alors même que l’évocation du principe du pays d’origine se traduisait dans tous les esprits
par le souvenir des longues batailles de la directive sur les services dans le marché intérieur
(directive « Bolkestein »), les spécificités du secteur audiovisuel ont néanmoins conduit à
rouvrir ce débat au cours de la négociation.
Le principe du pays d’établissement a éréaffirmé et a été étendu aux services non linéaires,
de telle sorte que tout fournisseur de services de média audiovisuel doit se conformer aux
règles de l’Etat membre dans lequel il est établi, y compris lorsque celui-ci impose des
« règles plus détaillées ou plus strictes dans les domaines couverts par la directive » (article 3
§1). Il peut ensuite prester dans n’importe quel autre Etat membre dès lors qu’il respecte les
règles de la directive (sauf exceptions, voir infra).
En outre, la mise en œuvre de la compétence territoriale avait soulevé une autre difficulté,
relative aux chaînes extra communautaires diffusées par satellite dans l’Union. A la suite des
affaires Al Manar et Sahar 1 qui avaient conduit la France à interrompre la diffusion de ces
chaînes au motif qu’elles diffusaient des programmes « contenant une incitation à la haine ou
à la violence pour des raisons de religion ou de nationalité », la solution retenue consiste à
inverser les critères techniques de l’article 2 § 4 de la directive, de manière à faire prévaloir
celui de la liaison montante sur celui de la capacité satellitaire. Une telle inversion devrait
faciliter la détermination de l’Etat compétent.
Enfin, et dans le respect des compétences régaliennes des Etats membres, la clause de
sauvegarde de l’article 2 bis de la directive TVSF a émaintenue pour les services linéaires
et a été étendue et complétée pour les services non linéaires. On distingue alors, d’une part, le
régime applicable aux services de radiodiffusion télévisuelle dont la réception peut être
suspendue par un Etat membre dès lors que ce service ne respecte pas les dispositions de la
directive dans le domaine de la protection des mineurs et l’ordre public et, d’autre part, le
régime des services linéaires consistant en une reprise des dispositions en la matière de la
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