17
A
PROPOS
DES
PARADOXES
DE
ZENON
INTRODUCTION
Cet
article
est
écrit
en
commentaire critique
de :
Adolf
Grùnbaum:
Modem
science
and
Zeno's paradoxes
of
motion
: p
422-501
in
«The
Philosophy
of
Time»
.éd.
par
R.M.
GALE,
(New
Jersey,
Humanities
Press,
et
Sussex,
Harvester
Press,
1978
(reprint
de
1968)).
Les
trois formes
des
paradoxes
de
Zenon
sur le
mouvement
étudiées
dans
l'article
de
Grùnbaum
sont
les
suivantes
:
1
.
Le
mouvement
de A à B est
impossible parce qu'il implique
que le
mobile
qui va de A
en
B
doit occuper
une
infinité
de
positions intermédiaires
en une
infinité d'instants
distincts.
Or le
temps
de
parcours
est fini
,
-
1
-
_,
-
j_
,
B1
B2
B3
B4
B
les
positions intermédiaires sont celles correspondant
au
dessin ci-dessus
:
B!
milieu
de AB
B2
milieu
de
B:B
B3
milieu
de
B2B
etc...
En
bref
le
mobile
ne
pourra jamais atteindre
B.
Nous
appellerons
par la
suite
ce
paradoxe
:
paradoxe
de
dichotomie
progressive.
2. Le
mouvement
de A à B est
impossible parce
que le
départ depuis
A est
impossible
:
supposer
que le
mobile
a
bougé, c'est supposer qu'il
est
déjà passé
par une
infinité
de
positions intermédiaires
et
qu'une
infinité d'instants
se
sont
déjà
écoulés.
Les
positions
intermédiaires sont
celles
correspondant
au
dessin ci-dessous
:
1 1
'"-1-
.
"•'
I
A
A
3
A
2
A-,
S-,
B!
milieu
de AB
AI
milieu
de
AB^
A2
milieu
de
AA1
A3
milieu
de
AA2
etc...
1
B
18
A
propos
des
paradoxes
de
Zenon
En
bref,
le
mobile
ne
pourra
jamais quitter
A.
Nous
appellerons
ce
paradoxe
:
paradoxe
de
dichotomie
régressive.
3.
Un
mobile
A(chille)
ne
peut jamais rattraper
un
mobile
T(ortue).
En
effet,
supposons
A en M et T en N.
Lorsque
A
arrive
en
M,
T est en
Nj.
M
N,
j
;
|
H
N
N2
Lorsque
A
arrive
en
Nls
T
est
en
N2
etc...
Nous
appellerons
ce
paradoxe
:
paradoxe
de
dichotomie
progressive
explicitée
par le
contexte
(dans
le cas
présent
"le
contexte" c'est
la
tortue).
Signalons
un
4^me
paradoxe souvent étudié
:
4. Un
objet
ne
peut
pas
être
en
mouvement puisqu'à chaque
instant,
il
occupe
une
position
déterminée,
et ne
peut donc, dans l'instant
en
question, être distingué d'un objet fixe.
Grunbaum
part d'un point
de vue
réaliste, selon lequel
le
mouvement existe
bel et
bien,
et
explicite dans
ce
contexte quels sont
les
problèmes réellement posés
par
l'énoncé
des
paradoxes.
ïïs
sont
au
fond
ceci
:
Est-ce
que la
modélisation mathématique
du
mouvement adoptée
par les
physiciens
ne
renferme
pas des
contradictions
du
point
de vue de la
logique proprement
dite,
ou au
moins
du
point
de vue de la
physique
?
Rappelons
les
présupposés
sous-jacents
à la
modélisation mathématique
du
mouvement
:
-
L'espace
est
assimilable
à un
continuum
à 3
dimensions
; en
particulier
une
droite
est
assimilable
à un
continuum
à une
dimension.
Une
propriété remarquable
du
continuum
mathématique
à une
dimension
est
d'être ordonné
et
dense (entre deux points
il y a
toujours
un
troisième point distinct
des
deux précédents).
- Le
temps
est
assimilable
à
un
continuum
à 1
dimension.
Le
mouvement (selon
un axe
Ox
pour simplifier)
est
modélise
par une
fonction
f qui
associe
à
tout instant
t la
position
du
mobile
en cet
instant
: t
i—»
x =
f(t).
Les
positions
défendues
par
Griinbaum
sont
les
suivantes
:
- Il n'y a pas
d'absurdité logique dans
la
modélisation mathématique
ordinaire
du
mouvement
;
toutes
les
tentatives
de
prouver
une
telle absurdité sont vouées
à
l'échec
s
lors qu'on admet
que
l'intervalle
[0,
1] de
réels
contient bien
une
infinité
de
réels,
en
acte.
Il n'y a pas
d'incompatibilité substantielle entre cette modélisation mathématique
et la
réalité physique expérimentale.
A
propos
des
paradoxes
de
Zenon
19
Si les
paradoxes
de
Zenon sont
si
prégnants,
c'est
à
cause
de
notre
système
de
perception
du
temps,
qui
nous
fait
apparaître
son
écoulement comme
une
succession
d'instants.
Ma
critique
de ces
positions sera
la
suivante
:
-
Griinbaum
déblaie
le
terrain
en
réfutant
les
formes naïves, pourtant répandues chez
les
philosophes, d'approbation
des
arguments
de
Zenon.
Il a
raison
de
pointer
que la
pertinence
des
arguments
de
Zenon devrait être cherchée
du
côté
de : la
modélisation mathématique
du
mouvement est-elle adéquate,
du
point
de
vue
logique d'une part,
du
point
de vue
physique d'autre part
?
Mais
il a
tort
lorsqu'il
écarte
par des
arguments
purement
mathématiques
les
interrogations ayant trait
à la
physique. Notamment
il ne tient
aucunement compte
du
fait
que les
particules
de
la
physique
quantique
n'ont
pas à
proprement parler
de
mouvement,
ceci
en
vertu
du
principe d'incertitude
de
Heisenberg
-
Enfin
il va "un peu
vite"
pour écarter
les
éventuelles contradictions
"logiques"
liées
à la
notion
d'infini
actuel.
Je
reprends maintenant
le fil du
texte
de
Griinbaum pour développer
ces
commentaires
critiques
,
selon trois volets successifs
:
..,....,
-
Légitimité
de la
dichotomie appliquée
à
l'espace
?
Légitimité
de la
dichotomie appliquée
au
temps
?
-
Peut-il
se
passer
une
infinité d'événements clairement distincts
en un
laps
de'
temps
fini ?
Je
terminerai
par un
commentaire
sur le
paradoxe
n°
4.
20
A
propos
des
paradoxes
de
Zenon
A)
LEGITEVUTE
DE
LA
DICHOTOMIE APPLIQUEE
A
L'ESPACE?
Le
modèle mathématique
Rappelons qu'une ligne
AB
est
modélisée
mathématiquement
par
l'ensemble
'[0,-£]
des
nombres
réels,
4
étant
la
longueur
de la
ligne
AB.
'
Notons
que
tous
les
mathématiciens
n'ont
pas la
même vision
de cet
ensemble
[0,-£].
Avant
Cantor,
on
refusait
de
considérer
que les
réels situés entre
0 et
£
forment
un
ensemble
"achevé",
un
"infini
en
acte".
On
préférait considérer
qu'il.s'agissait
d'une
potentialité "jamais
épuisée"
: par
exemple entre deux nombres
a et b de cet
intervalle
on
peut toujours expliciter
un
"nouveau" nombre (a+b)/2.
C'est
encore aujourd'hui
la
position
des
mathématiques
constructives.
Pour
ce
courant
des
mathématiques,
les
abstractions mathématiques sont
des
objets imaginaires créés
par
l'esprit
humain
et
potentiellement réalisables sous
forme
concrète
(un
nombre entier
est
potentiellement
réalisable sous forme
de
son
écriture décimale,
un
nombre rationnel potentiellement réalisable
sous
forme
de
deux entiers
(le
numérateur
et le
dénominateur),
une
fonction
de
IR
dans
1R
potentiellement
réalisable
sous forme d'un processus
de
calcul explicite
etc...).
En
ce qui
concerne
le
courant actuellement dominant
des
mathématiques,
il
considère,
après
Cantor, l'existence d'ensembles
«infinis
actuels» (infinis
en
acte) comme
non
problématique
quant
aux
conséquences logiques qu'on
en tire,
voire comme
une
sorte
de
"réalité
idéale"
: des
ensembles tels
que IN
(ensemble
des
entiers naturels),
P(
IN.)
(ensemble
des
sous-ensembles
du
précédent), seraient donc doués d'une sorte d'existence quasi-objective. Cette position
philosophique
reçoit
habituellement
le nom de
"réalisme
platonicien".
Pour
Griinbaum,
qui se
situe dans
ce
courant dominant
des
mathématiques,
les
paradoxes
de
dichotomie (progressive
ou
régressive) sont nuls
et non
avenus
au
niveau
du
modèle
mathématique tout
au
moins
:
s'étonner
de ce
qu'une infinité
de
réels
puisse être mise
en
évidence
sur un
segment
[0,
•£]
de
longueur finie, c'est tout simplement ignorer
le b, a, ba de
la
théorie
de
Cantor
: non
seulement
ce
n'est
pas
absurde
du
point
de vue
logique, mais
il y a
effectivement,
préexistants, avant même
qu'on
les ait
montrés,
une
infinité
de
nombres réels
sur
l'intervalle
[0,
•$],
qui est
doué d'une préexistence objective
en
tant
que
totalité.
Le
rapport avec
la
réalité physique
Qu'en-est-il
du
rapport entre modèle mathématique
et
réalité physique
?
Griinbaum
ne
discute pratiquement
pas
cette question,
et
c'est bien dommage.
En
effet,
une
chose
est de
constater
que
"personne
ne
voit d'objection
a
priori"
à ce
qu'un
intervalle d'espace donné soit divisible
en
deux indéfiniment
;
autre chose
est de
discuter
la
réalité
physique
du
processus.
Comme
le
fait
très justement remarquer Griinbaum,
un
"point"
sur une
ligne
est
considéré
par un
physicien comme
la
position possible d'un
"objet".
Or
l'expérimentation
physique
est par
nature limitée quant
à sa
précision.
Et il est
très improbable
A
propos
des
paradoxes
de
Zenon
21
par
exemple qu'on arrive jamais
à une
précision
de
l'ordre
de
10~50
mètres
sur une
mesure
de
longueur.
De ce
point
de
vue, l'ensemble.des positions physiquement possibles
sur une
ligne
est
plutôt fini
que
infini, même
si on
n'est jamais arrivé
à
mettre
en
évidence
la
moindre
"discontinuité"
dans
l'espace.
A
supposer
que
l'espace
soit
formé d'un nombre
fini,
mais très
grand,
de
"positions
possibles"
espacées
de
10~100
mètres,
la
validité
du
modèle mathématique
resterait
presque entière tant qu'on n'est
pas
capable
de
mettre
en
évidence expérimentalement
1
Of\s
longueurs
de
l'ordre
de
10
mètres
: il se
trouve
en
effet
que les
calculs sont souvent plus
faciles avec
des
variables continues qu'avec
des
variables
discrètes.
Un bon
modèle mathé-
matique
est
celui
qui
permet d'avoir
une
intuition claire
des
calculs
à
faire
(clarté
du
modèle
du
point
de vue
conceptuel)
et qui
permet
de
faire
les
calculs facilement (efficacité
du
modèle
du
point
de vue de ses
applications).
En ce
sens
un
modèle "continu" peut très bien être
un bon
modèle
pour
une
réalité
discontinue mais dont
les
discontinuités
ne
sont
pas
perceptibles. Bref,
la
"marche triomphale"
de
Newton
à
Einstein
et à la
mécanique
quantique
ne dit rien
quant
au
caractère, discret
ou
non,
de
l'espace, alors même
que ces
trois théories utilisent
un
espace
modélisé
par
IR
3
(localement
du
moins,
et
pour aller
vite...).
Notons
que les
théories physiques actuelles admettent
une
taille minimale pour
une
particule
(on
pense
en
effet
qu'on finira
un
jour
par
épuiser
le
sujet),
un
volume
fini
.pour
l'univers
en
espace,
voire
même
en
espace temps.
En
aucune
façon
la
notion "d'infini actuel"
n'est
donc
fondamentalement
nécessaire
à la
physique d'aujourd'hui.
Il est
probable
que
verront bientôt
le
jour
des
théories
physiques
où
toutes
les
variables seront quantifiées,
y
compris l'espace
et le
temps
:
dans
ce cas
l'infini, actuel
ou
potentiel, pourrait être évincé
du
modèle mathématique
lui-même.
Ici je me
permets
de
poser "une question
à
mille francs"
au
lecteur
de ces
lignes
: en
imaginant
un
espace
et un
temps
discrets,
quelle expérience physique
est-il
nécessaire
de
monter
pour
mettre
en
évidence
ce
caractère
discret,
discontinu
de
l'espace
et du
temps
?
La
perception
physiologique
de
l'espace
Comme
le
fait très justement remarquer
Griinbaum,
notre perception
"physiologique"
de
l'espace nous prépare
à
l'acceptation d'un modèle mathématique "continu". Quand nous
regardons
une
ligne tracée
sur un
papier, nous
la
voyons comme
un
trait continu. Quand nous
divisons
un
mètre
en
deux demi-mètres, nous
avons
le
sentiment
de
retrouver
"la
même
réalité"
à une
dilatation
de
rapport
2
près.
Certes nous savon's
que du
point
de vue
physique,
1020
mètres,
1
mètre
et
10"20
mètres, sont
3
réalités
fondamentalement distinctes, (alors qu'elles sont équivalentes
du
point
de vue du
modèle
mathématique
de
l'espace),
mais notre perception
physiologique
est
limitée
entre 1/10
de
millimètre
et
quelques mètres.
Nous
savons également
qu'une
ligne tracée
sur le
papier
se
laissera résoudre
en un
éparpillement
de
petites tâches d'encre
par le
microscope,
et que le
microscope électronique
montrera
que
chacune
de ces
petites tâches
est
formée
de
touts petits grains, mais
tous les
microscopes
du
monde n'ont
pas
encore atteint
(à
moins
que
nous n'ayons
pas su
interpréter
correctement certaines images)
un
seuil
de
discontinuité pour
l'espace.
Ici
donc,
les
microscopes
ont
pris
le
relais
de
notre intuition immédiate pour nous convaincre
de la
justesse
du
modèle continu
de
l'espace.
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