Quand économique rime avec catastrophique

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Cas clinique
Quand économique rime avec catastrophique
J.M. Kuhn*
M
adame S.H. a 66 ans début 2004. Ses antécédents
i n cluent une hy p e rtension art é rielle découve rte à
l’âge de 52 ans, traitée par une association de
Kerlone® et de Modurétic®. À l’âge de 52 ans a été identifié un goitre nodulaire prédominant à droite, qui a conduit
à une consultation spécialisée quatre ans après sa mise en
é v i d e n c e. À cette dat e, l ’ examen cervical retrouvait un
goitre polynodulaire de volume modeste, prédominant à
d ro i t e. Il ne s’accompagnait d’aucun signe de compre ssion locale ni d’adénopathie sat e l l i t e. Il ex i s t a i t , sur la
scintigrap h i e, une zone hy p o fixante dans cette régi o n .
L’ é ch ographie confi rmait qu’il s’agissait bien d’un go i t re
bilatéral et multinodulaire comportant à la fois des nodules
pleins et des nodules kystiques. L’ e u t hy roïdie cl i n i q u e
était confirmée par la normalité des dosages hormonaux
thyroïdiens : TSH à 0,5 mU/l pour une norme compri s e
entre 0,2 et 4, et T4 libre à 17 pmol/l pour une norme
comprise entre 10 et 25. La cytoponction réalisée au niveau
de l’un des nodules kystiques montrait qu’il s’agi s s a i t
d’une hématocèle cloisonnée. L’autre, effectuée au niveau
d’un des nodules pleins, re t ro u vait de ra res cellules vésic u l a i res morp h o l ogiquement normales. Dans la mesure
où ce go i t re était ancien et stabl e, sans tro u bles horm onaux ni gêne locale ou esthétique, l’option a été prise
d’une simple surveillance clinique avec recours aux inve st i gations complémentaires (éch ograp h i e, dosages hormonaux) en cas de modifi c ation locale ou d’ap p a ri t i o n
de signes de dysthyroïdie.
La patiente ne sera revue en consultation spécialisée
d’endocrinologie et maladies métaboliques que douze
ans plus tard. Le motif de cette consultation est le constat
d’une augmentation récente du volume du nodule thyroïdien droit prédominant. Madame S.H. suit toujours
son traitement antihypertenseur, dont les modalités n’ont
pas été modifiées depuis la pre s c ription initiale. Elle ne se
plaint d’aucune douleur cervicale ni de stigmate clinique
de compression par le nodule thyroïdien, mais d’épisodes
de diarrhée, et a constaté une perte de poids de 3 kg ces
t rois dern i e rs mois. Il n’y a aucun autre symptôme susc ep t i ble de s’inscri re dans le cadre d’une hyper ou d’une
hypothyroïdie. La patiente pèse 107 kg pour 1,55 m. La
palpation cervicale objective la présence d’un gros nodule
lobaire droit et d’une hypertrophie plus modeste du lobe
c o n t ro l at é ral. Il n’y a aucun signe infl a m m at o i re ou com-
* Service d’endocrinologie et des maladies métaboliques, CHU de Rouen.
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Métabolismes Hormones Diabètes et Nutrition (VIII), n° 2, mars/avril 2004
p ressif local, et l’examen cervical ne retro u ve aucune
adénopathie sat e l l i t e. L’échographie retrouve le go i t re
multinodulaire, avec un gros nodule droit de 65 x 45 mm.
Il ap p a raît hétérog è n e, avec zones liquidiennes et calcifications. Il existe un autre nodule isthmique et un nodule
gauche de dimensions plus modestes. Cet examen confi rm e
l’absence d’adénopathie dans les aires satellites. La surveillance assurée par son médecin traitant a comporté un
examen clinique et la réalisation d’échographies à intervalle de deux ans sur les dix dern i è res années. La comp a raison du dernier résultat éch ographique avec ceux des
examens antéri e u rs révèle bien l’augmentation récente du
volume thy roïdien. La TSH plasmatique est à 0,65 mU/l,
confirmant l’euthy roïdie. La recherche de la présence
d’anticorps antithy ro p é roxydase s’av è re négat ive. La
cy t o l ogie réalisée sur le volumineux nodule re t ro u ve des
cellules thyroïdiennes se regroupant en placards, parfois
de grande taille. Les éléments sont pourvus de noya u x
légèrement inéga u x , assez denses, avec une ch ro m at i n e
a rrondie ou ovalaire d’aspect un peu grenu. Il ex i s t e
quelques phénomènes d’altération gênant l’interprétation. Il n’est pas identifié d’inclusion intra nucl é a i re. La
conclusion du cytologiste est qu’il peut s’agir d’un adénome remanié, mais que quelques anomalies incitent à
vérifier histologiquement cette lésion.
À ce stade, le diagnostic le plus pro b abl e, par ordre de
fréquence, est celui de l’émergence d’un carcinome thyroïdien différencié sur go i t re ancien. La modestie de la
symptomat o l ogie clinique locale et les données cy t ologiques sont en effet en défaveur des hypothèses de carcinome anaplasique ou de lymphome thy roïdien. La cl é
du diagnostic sera ap p o rtée par la mesure du taux de calcitonine plasmat i q u e, qui atteint 6 045 ng/l en 2004, pour
une norme inférieure à 5. Il s’agit donc bien d’un carcinome médullaire de la thyroïde, très vraisemblablement
quiescent depuis des années, et auquel on peut rattacher
les événements récents : modification du volume thyroïdien, épisodes de diarrhée, et peut-être la perte de poids.
Le traitement repose sur la thy roïdectomie totale associée
à un curage cervical, dans l’espoir de pouvoir extirper la
totalité du contingent de cellules C tumorales. Il aurait
en effet été préférable que la mesure du taux de calcitonine plasmatique puisse être réalisée au début de l’hist o i re thy roïdienne de cette pat i e n t e, la guérison étant, à
cette dat e, quasi cert a i n e. Longtemps considérée comme
d’un rendement modeste – compte tenu de la fréquence
du carcinome médullaire de la thy roïde dans la population des goitres nodulaires d’une part, et du coût du
dépistage systématique d’autre part – la mesure du taux
Cas clinique
de calcitonine plasmatique ap p a raît de plus en plus
comme nécessaire au stade initial du bilan des go i t res
n o d u l a i res chez les patients euthy roïdiens. Elle dev ra i t
donc fa i re partie de la bat t e rie des tests biologiques initiaux, au même titre que la mesure du taux de TSH plasmat i q u e. Plusieurs études pro s p e c t ives ont montré l’intérêt d’une telle mesure chez des patients consultant pour
goitre nodulaire. La détection précoce du carcinome
m é d u l l a i re de la thy roïde est la meilleure méthode pour
en permettre la guérison. Il ne s’agit pas – là encore –
d’une recommandation, mais il y a peu de doute pour que
cela le devienne dans un avenir proche.
Références
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the diagnostic evaluation of thy roid nodules. Clin Endocrinol 1995;42:453-60.
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serum calcitonin: study in a large series of thyroidectomized patients. Th e
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is useful for early detection of medullary thy roid carcinoma in patients with
nodular thyroid diseases. Thyroid 2001;11:73-80.
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calcitonin on the diagnosis and outcome of medullary thyroid cancer: experience
in 10 864 patients with nodular thy roid disord e rs. J Clin Endocrinol Metab
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