Préserver son mystère : le Silence intérieur

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Série : Devenir Amour.
Conférence : 6 - Préserver son mystère : le silence intérieur.
En Dieu, la parole coïncide avec l'existence. Pour Dieu, le Père, être c'est
s'exprimer par la création. – Pour Dieu le Fils, c'est s'exprimer par la
Rédemption. – Pour Dieu le Saint Esprit, c'est s'exprimer par l'animation.
- aussi le Verbe intérieur de la grâce ne pourra-t-il pas faire autrement que de
nous exprimer quelque chose de la Parole créatrice, ou de la Parole
rédemptrice, ou de la Parole animatrice. Quels qu'en soient les accents, elle
aboutira toujours à nous faire exister davantage, parce que créer c'est passer
du néant à l'Etre; racheter c'est passer du péché au salut; et animer c'est passer
de l'inertie à la preuve.
La Parole de Dieu participe à Sa Perfection; là où elle est, elle occupera toute
la place, sans quoi elle ne serait pas parfaite. Elle ne laisse aucun échappatoire
à la mise en doute; et, quand nous doutons c'est que la parole, ou bien ne vient
pas de Dieu, ou bien n'est pas complètement entendue par nous-mêmes
comme venant de Dieu.
Dieu parle pour s'affirmer Créateur, Rédempteur ou animateur; et, ainsi
comprise, Sa Parole prend une place, dans la vie humaine, qui conditionne
plus qu'on ne le croit l'équilibre, même physique, de l'homme.
Il n'est pas mauvais de s'arrêter à la manière dont Dieu s'exprime lorsqu'Il veut
occuper toute la place.
- cette place, Il l'occupe, ou bien par précision, ou bien par perfection, ou bien
par efficacité.
- ce qui est précis est indiscutable.
- ce qui est parfait est inépuisable.
- ce qui est efficace est réalisateur.
A partir de ce moment-là, l'attention est absorbée : envahissement de la
lumière intérieure.
- la volonté est déracinée : disponibilité complète des intentions.
- l'intelligence est suralimentée : énergie irrésistible à l'action.
Prenons d'abord l'accent de précision.
Quand la conscience parle au nom de Dieu, s'il s'agit de reproches, ils
prennent l'expression du remords, ou permanence intérieure d'une
responsabilité indiscutable qu'aucune excuse ne peut arriver à faire taire.
- s'il s'agit du Bien à accomplir, la Parole intérieure s'exprime par une
insistance qui poursuit l'état d'âme avec une précision calme et silencieuse,
mais qui ne se laisse étouffer par aucune distraction, ni diversion extérieure.
- s'il s'agit du Bien réalisé par amour, la Parole intérieure s'y exprime par la
précision d'un bien être spirituel apportant son approbation et son imprimatur
à ce qui a été fait et procurent le réconfort d'amour qui consolide la volonté
d'aimer.
Quand la Parole de Dieu s'exprime par perfection, elle procède par une
proposition de ressemblance aussi consentie que possible avec un aspect de
Sa perfection personnelle, nous incitant à une collaboration vertueuse entre
notre volonté et la Sienne. Cette proposition n'aura de cesse qu'elle n'ait pris
toute la place dans notre volonté jusqu'à réalisation plénière de la part de
notre générosité.
Qu'elle s'exprime, enfin, dans un but d'efficacité, la Parole divine va nous
communiquer le sens réalisateur et aussi rapide que possible, qui sera
accompagné, non pas d'une impatience à agir, mais d'une intensité de désir à
faire exister ce que Dieu attend de nous.
Il se produit alors une espèce de mariage spirituel entre les facultés
supérieures et la grâce, dont la réciprocité d'échanges engendre véritablement
une vie nouvelle. – VIE, parce qu'elle procède de celui qui la donne. –
NOUVELLE, parce qu'elle régénère celui qui la reçoit.
- elle refait alors les forces et les énergies; elle est comme une eucharistie
mystique prolongeant l'eucharistie sacramentelle.
Cette manière, pour Dieu, d'envahir toute la place du jugement, du désir et de
la volonté, a pour premier résultat de nous éviter les déviations dans le
domaine de la vie spirituelle, qui pourraient en compromettre l'intégrité
morale ou intellectuelle.
Ces déviations procèdent de la place que nous laissons encore à notre
imagination ou à notre interprétation personnelle de la grâce. Elles mettent en
cause la purification et la pacification des attitudes que Dieu aurait voulu
divines et qui redeviennent humaines ou malsaines en nous. Au départ de
toute sainteté, il s'impose une humilité intellectuelle ayant le caractère d'une
espèce d'indifférence supérieure, où le "moi" refuse d'être sollicité par
l'interprétation qu'il pourrait faire de la grâce et où la Foi demeure entièrement
disponible aux indications de Dieu, confirmées par les conseils de
l'obéissance et par la direction.
La Parole intérieure s'efforce de modérer ce qu'il y a de trop naturel dans nos
affections, sans pour autant les détruire, mais dans le but de leur
communiquer cette réserve et cette liberté d'esprit qui nous mettent à même de
nous prêter aux exigences surnaturelles, sans les interpréter avec précipitation
ou gourmandise.
Elle cherche, en somme, à nous éviter la propension spontanée de trouver
d'abord une satisfaction sensible d'y rencontrer les exigences de l'amour. C'est
pour cela que celui qui veut préserver son mystère intérieur doit d'abord faire
silence sur ce qui ne le met pas en cause essentiellement et sur ce qui pourrait
le mettre en cause peccamineusement : l'amour-propre, l'orgueil, la passion ...
- Il lui faut donc, non seulement entendre la Parole intérieure, mais savoir
l'écouter, c'est-à-dire y participer intellectuellement parlant, de manière telle
qu'on lui permette de devenir ce qu'elle signifie et rien d'autre.
Pour écouter Dieu, il faut :
1 – Lui accorder audience. – Jésus nous a dit, en parlant du Saint Esprit :
«docebit vos omnia» - «Il vous enseignera toutes choses». C'est-à-dire : tout
ce dont vous avez besoin pour mener à bien l'épanouissement de Mon
enseignement rédempteur.
Accorder audience à la conversation secrète entre Dieu et nous suppose les
attitudes suivantes :
a – Ne pas laisser de place aux préoccupations habituelles, au cours des
échanges surnaturels.
b – Faire changer de place au déroulement de notre raisonnement, c'est-à-dire
passer dans le pays du silence sur le monde extérieur, pour être dans celui de
la Foi, dans nos échanges intérieurs.
c – Enfin, comprendre qu'il ne s'agit pas d'exprimer à Dieu des désirs
personnels, de prendre l'initiative de la conversation, mais d'écouter ce qui ne
sera plus parlé par nous et qu'Il va chercher à nous enseigner. Dieu cherche
donc à nous apprendre du nouveau, quelle qu'en soit la forme :
- celle du détachement, pour les désirs.
- celle de la justice de la pensée, ou de l'objectivité de l'appréciation, pour les
jugements.
- celle de la pacification des puissances dans les affections, pour la passion.
- celle de la modération constante et forte, au lieu de la précipitation, dans les
envies les plus légitimes.
- celle de la décision généreuse et consentie, dans les répugnances éprouvées
par la nature.
«Docebit vos omnia» - Il vous enseignera avec ténacité; Il vous éduquera
dans toutes les espèces de comportements convenant à toutes les espèces de
situations, pour assainir les excès d'humanisme, au profit de la sainteté et de
la vertu.
2 – Il faut savoir écouter avec une avidité qu'exprime le recueillement, et avec
une disponibilité qui va mettre notre temps au service de Dieu.
Pour préserver son amour, il faut préserver le temps de Dieu. Dieu est hors du
temps pour que nous puissions Lui consacrer le nôtre.
Il y a deux formes de temps à l'égard de Dieu :
a – le temps qui Lui est directement consacré.
b – le temps qu'on doit indirectement retrouver au profit de Dieu, dans la vie
temporelle.
a – le temps directement réservé à Dieu.
Toute vie sérieuse, sincèrement chrétienne et intelligemment chrétienne ne
peut pas faire autrement que de vouloir réserver à Dieu le temps qui soit Sa
propriété. Cette portion d'existence humaine occupée à dire à Dieu notre
amour se traduira par des attitudes classiques ou de la louange, ou de la
liturgie quotidienne récitée ou chantée, ou de l'oraison quotidienne faite avec
ponctualité, ou des affirmations officielles mettant Dieu uniquement en cause
: cérémonies liturgiques, congrès eucharistiques, etc...
Il y a là ce besoin d'affirmer Dieu, de Le maintenir premier, de Le vouloir
premier aux dépens de nos occupations secondaires, en Lui accordant une
portion de temps dont Il soit vraiment Le propriétaire et Le bénéficiaire.
D'ailleurs, rien ne conserve à une spiritualité son climat d'amour, son
ambiance de surnaturel comme de jalonner son existence, d'une façon
délibérée et désirée, par des rencontres où Dieu Seul est mis en cause, qu'elles
soient régulières ou occasionnelles.
b – préserver le temps de Dieu, indirectement.
La vie spirituelle ne dispense pas d'exister humainement, elle l'exige, ne
serait-ce que pour distribuer Dieu par l'exemple ou par l'apostolat. Il y a donc
une part d'existence matériellement temporelle relevant des occupations
personnelles à chacun dans lesquelles il faudra savoir retrouver Dieu
indirectement, par le sens surnaturel de l'action.
- l'action doit faire écho à la puissance créatrice de Dieu. Dieu a créé avec
exactitude, avec beauté et avec solidité; Il a créé en donnant à chaque chose
son poids et sa mesure exprimant la sagesse avec laquelle Il pense ce qu'Il
fait. C'est encore être chrétien et surnaturel que de conserver, dans l'action, ce
souci, de lui assurer une espèce de prolongement de la puissance créatrice, par
la perfection que nous lui accorderons sous forme de vérité, de vertu, de
mesure, d'exactitude et de justice, sans compter la charité à laquelle nous le
ferons servir.
Il y a donc à adopter, à l'égard de l'action, quand on veut rester surnaturel,
deux attitudes formellement nécessaires :
1 – le refus catégorique de ce qui dévalorise la nature de l'action (intentions
mauvaises, manque de mesure, mauvais exemple, imprudence, etc...). Il s'agit
là d'une mise au point de notre jugement compénétré par la grâce prenant
l'initiative d'agir sans provoquer l'erreur ou le péché.
2 – le refus, non moins formel, de ce qui paganise l'action. Toute activité est
occasion d'affirmer l'esprit; si humblement que ce soit, elle est occasion
d'affirmer la conscience, l'amour de Dieu, ou l'amour du prochain; et, sous
prétexte de respecter les idées d'autrui, elle n'a pas à être laïcisée de quelque
manière que ce soit.
Paganiser l'action c'est la ramener à un rationalisme tellement temporel qu'elle
s'expose à ne produire que des abus, ou des excès en matière d'intérêt, ou de
plaisir, aux dépens des vertus qu'elle aurait dû provoquer et stimuler.
Toute activité est faite pour affirmer l'âme de l'homme, sa conscience, sa Foi,
son sens surnaturel de la vie. Nous sommes tellement laïcisés que nous ne
saisissons plus cette première force d'apostolat qui consiste à n'avoir entre
nous tous que des activités éveillant, les uns à l'égard des autres, le sens de
Dieu.
La célèbre formule : "dis-moi qui tu hantes, je te dirai qui tu es", mérite d'être
évoquée au sujet de nos comportements sociaux, dans lesquels nous ne
voyons souvent pas qu'à force de hanter les rationalistes, nous devenons, nous
sommes seulement rationnels, et nous ramenons l'action à des soucis
prioritaires d'additions ou de soustractions, de calculs ou de résultats, de
succès ou de bénéfices, de profits ou de jouissances qui éclipsent absolument
l'accent chrétien qu'il faudrait leur conserver.
Nous voyons ainsi l'importance qu'il y a à savoir assurer à la Parole intérieure
la permanence d'un climat favorable à une expression chrétienne. Il est très
significatif de constater que le tout premier lieu dans lequel s'est exprimé
d'une façon missionnaire la Parole éternelle de l'Amour porte le nom de
Cénacle, c'est-à-dire de lieu isolé des agitations extérieures, désigné pour les
échanges intimes de conversation sérieuse et supérieure; un lieu qui a osé
tenter l'Amour.
- tout homme, par son baptême, qu'il le veuille ou non, est désigné pour être
un cénacle vivant, tellement bien réorganisé sur le style du Christ qu'il ne peut
faire autrement que de tenter le Paraclet.
Et, à qui oserait objecter qu'une théorie aussi intérieure paralyse d'avance les
apostolats les plus urgents de la vie moderne, je réponds que le Cénacle a
précisément projeté tout le monde dehors, sans faire courir aux apôtres le
risque d'être entamés par l'extérieur. Ils avaient emporté du Cénacle une
solidité de contact intentionnel et volontaire avec l'adoration et avec la
Présence, qui leur a permis de s'imposer au monde, non seulement par la
parole, mais par le martyre. Il n'y avait plus de place, dans leur vie, pour des
questions de négoces ou pour des théories de politique sociale. Ils étaient
devenus une affirmation vivante du salut, une solution surnaturelle qui
s'imposait aux sincères. On comprend qu'ils aient vécu, jusqu'au don total
d'eux-mêmes, la réflexion mélancolique de Jésus, devant la foule : «misereor
super turbam...» - «J'ai pitié de cette foule». En réalité, nous n'avons pitié des
autres, au sens de Dieu, qu'à la condition de ne pas sortir du cénacle intérieur.
Il est facile, pour conclure, d'indiquer à partir de quel moment on peut avoir
conscience de ce silence intérieur, sans aucune imagination, ni aucune
sentimentalité trop facile et trop facilement "pieuse".
A partir du moment, où habituellement, le premier mouvement de
l'intelligence est de saisir ce qui manque de divin dans l'extérieur avec lequel
nous nous affrontons, au point d'en être subitement et secrètement tout triste
(«misereor super turbam...»), à partir de ce moment là, nous sommes devenus
silence vivant, en plein échange habituel avec l'Amour.
Un deuxième signe indiscutablement vrai : Jésus s'éloignait spontanément,
après une activité magnifiquement spirituelle, de qui voulait L'en
récompenser en l'humanisant par une royauté éventuelle qu'on voulait Lui
confier. Autrement dit, par une mise en évidence tellement temporelle et
humaine qu'elle aurait été une injure faite à la perfection de Son action.
Quand nous nous sentirons tout déroutés de nous entendre flattés et proposés
pour des récompenses humaines, quand nous saisirons presque avec violence
intérieure la différence de langage entre le Bien que nous aurons essayé
d'exprimer et l'appréciation trop temporelle avec laquelle chacun essayera de
nous en remercier; en un mot : quand, à l'exemple de Notre Seigneur, nous
éprouverons le besoin, après l'action, de nous éloigner de ces dangers
d'orgueil humain, pour retrouver la solitude et le silence qui prient, à ce
moment-là, nous sommes dans le silence intérieur.
On ne sent le manque de Dieu, autour de soi, que par la loi des contrastes :
lorsqu'Il occupe en nous une place tellement majeure qu'on ne peut plus faire
autrement que de souffrir de Son absence, dans le monde au milieu duquel
nous vivons.
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