Ecole Etat des lieux / Doc 1f
LE SOCLE COMMUN
1- Un Smic scolaire ?
Comme on a pu le voir, le premier reproche qui est fait au «
socle commun » est de laisser considérer ce minimum
nécessaire comme un bagage suffisant.
Les uns dénoncent la conception réductrice d’une école qui
serait alors amenée à construire son enseignement sur la base de quelques savoir-
faire utilitaires et frustes dont devraient se contenter les enfants qui resteront à
l’écart des connaissances plus élaborées… L’idée que le « socle » serait une sorte de
niveau zéro du savoir au-dessus duquel la culture élèverait ses architectures de plus
en plus subtiles, est vigoureusement contestée. Non seulement, la définition de ce «
socle » risquerait de se réduire à l’énumération de quelques évidences peu
opératoires : « il faut savoir lire, écrire et compter », mais la démarche
d’apprentissage qu’elle induit serait celle d’une accumulation graduelle de
connaissances dont il ne serait pas nécessaire de percevoir immédiatement le sens
puisque le simple ne serait qu’un avant-goût du complexe : « Apprends toujours, tu
comprendras plus tard… »
Ainsi comprise, la notion de « socle » nous ramènerait à une conception très linéaire et
progressive de la construction du sujet et des connaissances. Elle nous interdirait la
pratique de « la pédagogie du détour » ou de « la pédagogie du projet » qui font
l’hypothèse que le plus complexe peut être plus mobilisateur que le moins complexe, qu’on peut
avoir une ambition culturelle forte, qui donne sens aux savoirs, et ne pratiquer qu’a posteriori et
au fur et à mesure, les « dénombrements » et les formalisations nécessaires.
Philippe Meirieu, entretien avec J.-M. Zakhartchouk : « Tout savoir doit être enseigcomme
culture » Cahiers pédagogiques N° 439, janvier 2006, « Quel socle commun ? »
D’autres, au contraire, revendiquent l’idée d’un engagement par lequel la nation
déciderait de garantir aux plus faibles les savoirs qui leur permettront de trouver
une place, de faire entendre leur voix et de participer aux échanges sociaux. On
n’hésite pas alors à parler d’un « Smic scolaire » qui exclurait que des élèves puissent
sortir du cursus à seize ans sans aucun bagage, et encore moins exclus à quatorze ans
pour être dirigés vers des apprentissages si l’école ne parvient pas à les instruire.
Pourquoi, comment la notion de Smic scolaire et culturel qui n’est rien d’autre qu’une
application au domaine stratégique de l’éducation de principes qui sont universellement
acceptés dans d’autres secteurs de la vie économique et sociale rencontre-t-elle tant
d’obstacles dans l’opinion ? Défini comme un savoir plancher en dessous duquel on ne descend
pas, il constitue bel et bien une réglementation introduite dans l’état de nature scolaire, une
reconnaissance des droits des plus faibles dans un univers régi par la loi du plus fort. À ce titre,
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il mérite une place à part entière entre le Smic le et la Sécurité sociale.
Christian Baudelot et Roger Establet, Cahiers pédagogiques 439, janvier 2006, « Quel socle
commun ? »
2- Quel contenu pour le « socle commun »?
Il est clair que l’idée d’un « socle » conçu comme un « Smic culturel » ne contiendra
pas la même chose qu’un « socle » compris comme un moment où s’initie une formation
qui se poursuivra toute la vie.
Dans le premier cas, les savoirs minimums seraient déterminés de manière précise au
prix d’une concertation difficile entre les spécialistes de chaque domaine et de choix
cornéliens entre des notions et des savoir-faire auxquels il faudrait donner la
priorité sur tous les autres.
Dans le second cas, il s’agirait d’identifier des « champs de savoir » ou, pour
reprendre l’expression de Condorcet, des « ordres de raisons », qui correspondraient
aux grands domaines des activités humaines.
Les sept ordres de raisons
- la raison graphique et discursive, qui vise la maîtrise et l’exercice des différentes
pratiques langagières, orales et écrites, des genres et des fonctions du discours, en
langues maternelles et étrangères ;
- la raison mathématique ;
- la raison scientifique expérimentale (sciences de la matière et sciences du vivant) ;
- la raison « sociale » propre aux domaines des sciences de l’homme et de la société ;
- la raison technique et technologique, liée aux arts et aux manières de fabriquer et de
transformer la réalité matérielle ;
- la raison esthétique ou artistique, qui s’exerce dans les domaines de la littérature, des arts
plastiques, de la musique... ;
- la raison « sportive » et corporelle, propre aux différentes techniques du corps, à sa mise en
jeu, voire en risque, dans notre rapport au monde physique, à autrui et à nous-mêmes.
Jean-Yves Rochex : « Conjuguer ambition de culture et ambition de justice sociale » Cahiers
pédagogiques N° 439, janvier 2006, « Quel socle commun ? »
3- Le « socle commun » et les disciplines scolaires
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Que le « socle commun » soit constitué de savoirs circonscrits
ou situés dans des champs plus larges, tout le monde voit bien
qu’on ne peut le déterminer à partir du découpage des
disciplines enseignées à l’école. D’une part on aboutirait ainsi à
la marginalisation des disciplines qui ne feraient pas partie du
noyau dur des savoirs indispensables. Comment, par exemple,
continuer à enseigner la musique ou la technologie si elles sont reléguées dans la
catégorie des accessoires que Jules Ferry jugeait pourtant essentiels ?
D’autre part, les savoirs et savoir-faire que chacun est appelé à mobiliser pour
résoudre les problèmes de l’existence, pour prendre une initiative, entreprendre une
action, comprendre une situation, sont rarement des savoirs spécifiques. Nous nous
servons plutôt pour cela de savoirs et de savoir-faire transversaux. Il est évident par
exemple que la trilogie - lire, écrire, compter - ne concerne pas exclusivement les
classes de français ou de mathématiques. Il faut certes avoir appris à déchiffrer un
texte et être capable de le comprendre et de l’analyser, ce qu’enseignent l’instituteur
puis le professeur de français. Mais il faut aussi être capable de « lire » une
consigne, une image, un paysage. Il faut savoir autant tirer le message d’une poésie,
d’un roman que d’un texte d’histoire, de sciences, de technologie, d’un article de
journal, d’un mode d’emploi, etc.
Toutes les matières, à condition qu’on ne les enferme pas dans leurs spécificités, sont
impliquées d’une manière ou d’une autre dans l’apprentissage de l’ensemble des savoirs
et des savoir-faire. Aucune n’est dépositaire de façon exclusive d’un savoir
fondamental.
4- Connaissances et compétences
On pourrait dire que les savoirs que nous possédons sont ceux dont nous nous
servons. Les autres, appris il y a peu ou il y a longtemps, ont besoin d’être
réactivés pour revenir à la mémoire, ils ont besoin d’être utilisés pour demeurer
mobilisables.
Dans la perspective d’un « socle commun », il faut donc se demander, comme le
pensait Pierre Bourdieu, quels sont les savoirs actifs qui font que nous
appartenons à la société dans laquelle nous vivons. Quels sont les repères
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historiques, culturels, sociologiques, économiques qui fondent cette société et qui
nous permettent d’en comprendre les valeurs et le fonctionnement ? Quels sont
les savoir-faire qui permettent de communiquer et d’agir dans cette société ?
Ces savoirs et ces savoir-faire peuvent être répertoriés et faire l’objet
d’apprentissages spécifiques. On peut en vérifier l’acquisition : ce sont des
connaissances. Ainsi on sera capable de situer la Révolution française ou
d’expliquer les mécanismes de la reproduction.
Quand ces savoirs sont réinvestis dans une situation l’on doit résoudre un
problème ou mener à bien un projet complexe, ces connaissances se mettent au
service de compétences. Ainsi on sera capable de faire le lien entre la «
Déclaration des doits de l’homme » et la démocratie ou de comprendre les
relations entre la contraception et la démographie.
Notons que l’orientation proposée dernièrement par le Haut conseil de l’éducation
est clairement de penser le « socle commun » de manière à privilégier la
construction de connaissances et de compétences et d’en vérifier l’acquisition.
Pour le Haut conseil de l’éducation, il faut mettre l’accent sur la capacité des élèves
à mobiliser leurs acquis dans des tâches et des situations complexes, à l’école et dans
la vie :
« Le socle doit donc être pensé en termes de compétences. La notion de compétences figure
déjà dans nos instructions officielles, en particulier pour l’enseignement des langues
vivantes étrangères et le Brevet informatique et internet. Cette approche, qui se généralise
parmi les pays développés, a été adoptée dans le projet de « cadre de référence européen »
des huit « compétences-clés pour l’éducation et l’apprentissage tout au long de la vie », qui
doit être prochainement soumis au Parlement européen et au Conseil de l’Union
européenne. »
Recommandations du Haut conseil de l’éducation pour le socle commun (pdf)
Mais pour le Crap-Cahiers pédagogiques, à la lecture des Recommandations du Haut
conseil de l’éducation pour le socle commun
« […] on a envie d’applaudir à une orientation générale allant bien plus dans le
sens de nos vœux qu’on aurait pu le penser au départ, d’un autre, on constate combien il est
difficile d’échapper à une logique de « socle fourre-tout » où les choix décisifs ont du mal à
être faits. Et on tombe au final dans un patchwork peu cohérent. »
http://www.cahiers-pedagogiques.com/article.php3?id_article=2323
5- Les ambiguïtés d’une évaluation du « socle commun »
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Le fait de valider, à l’issue de la période de scolarité obligatoire, les connaissances et
les compétences fondamentales n’est certes pas la garantie que tous les élèves qui
sortiront de l’école seront en situation de réussite…
Comme tous les examens, celui qui sanctionnera le « socle
commun » ne risque-t-il pas de laisser croire que les savoirs
exigés sont acquis une fois pour toutes puisqu’ils ont fait
l’objet d’une vérification formelle ? En transformant ainsi des
savoirs opérants en savoirs figés, on irait précisément à
l’encontre des ambitions du « socle commun »…
Comme dans tous les examens, se contentera-t-on de
rechercher « la moyenne » ? Or, une connaissance de base est
acquise ou ne l’est pas. Et on comprendrait mal ce que
signifierait « être à moitié compétent »… Il faudrait exiger
une réussite totale… ce qui n’est pas dans nos traditions
marquées par une logique de sélection progressive…
Comme dans tous les examens, la nécessité de clarifier l’évaluation ne risque-t-elle
pas d’imposer des critères de réussite uniques et soi-disant « universels » ?
« Car le Socle commun relève de l’illusion qu’une même échelle d’évaluation garantit la
possibilité d’un lien social. Si, à un moment de notre histoire, l’on a pu penser qu’il y
avait là un enjeu majeur de l’unification de la nation (mais à quel prix ?), il n’en est plus
rien dans la France du XXIe siècle. Il faut au contraire développer des formes d’excellence
multiples. »
Françoise Clerc « Le socle commun, une idée plus dangereuse qu’utile »- Cahiers pédagogiques
N° 441, mars 2006
Enfin, si l’évaluation finale consiste à vérifier que les élèves sont capables de
réutiliser leurs connaissances dans des réalisations complexes, il s’agit aussi de juger
une démarche. L’élève est-il en mesure de poser les termes d’un problème, d’en saisir
les enjeux, de mener une recherche, de collaborer avec ses camarades et de
s’investir personnellement pour le résoudre ? On entre dans le domaine des savoir-
être et du respect des règles du travail individuel et collectif. Ce domaine peut-il
réellement être l’objet d’une évaluation formelle ?
Il reste à imaginer des formes de certification qui attesteront de la capacité des
élèves à utiliser des connaissances partagées et mises en œuvre suivant des
approches et avec des sensibilités qui sont propres à chacun. Si on ne veut pas
transformer le « socle commun » en une épreuve normative supplémentaire, il faut en
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