CRASH ET KRACH
L’action EADS a plongé ! Elle a dégringolé ! Elle a chuté ! Elle s’est effondrée ! Toutes ces images, je
les ai entendues depuis vingt-quatre heures, à la radio, ou je les ai lues dans les journaux, puisqu’on
commente largement la baisse soudaine et importante de cette société en bourse.
Que fait cette société ? Elle fabrique des avions, les Airbus notamment. Pourquoi cette catastrophe
boursière ? Parce qu’on a appris que les délais prévus pour la fabrication du nouvel Airbus ne seraient
pas respectés, qu’il y aurait du retard, que les commandes risquaient d’en pâtir…
Alors on parle de « krach boursier » !
Enfin, on n’en parle pas tant, parce que ce mot n’est pas tout à fait approprié : il vient de l’allemand, et
avant, du néerlandais, et désigne l’effondrement général des cours sur une place boursière. Il s’agit
donc d’un phénomène collectif et non de la mésaventure d’un titre. Et le mot a été employé en français
à la suite de krachs historiques : en 1857, puis en 1873, enfin en 1881.
Le terme appartient bien sûr à la famille de « craquer », et l’image est transparente : un édifice qui se
craquèle, qui ne tient plus, qui s’effondre ; le mot est tout à fait expressif ! Et il exprime quelque chose
d’assez subit, peu prévisible, qui prend les investisseurs de cours, et peut en ruiner plus d’un.
Mais si le mot désigne une manifestation d’ensemble, pourquoi l’a-t-on entendu si souvent à propos de
l’action EADS ? Simple jeu de mots avec « crash ».
En effet, un crash est un mot anglo-américain couramment utilisé en français contemporain, pour
désigner un accident d’avion. On l’emploie d’autant plus qu’on n’a pas d’équivalent français.
On peut bien dire écrasement… mais personne ne le dit : le mot n’est pas employé. Alors il est vrai
qu’on parle de catastrophe aérienne, mais l’expression est vague, et elle désigne le résultat et non le
fait lui-même. Et surtout elle est bien longue et un peu contournée, alors que crash n’a qu’une seule
syllabe.
De plus, il est terriblement expressif : c’est une onomatopée, c’est-à-dire que le sens du mot est
exprimé par sa prononciation, ou qu’en tout cas, la sonorité participe de sa signification :
CRRRRRASH ! L’image de l’écrasement est là. Et comme en même temps, la syllabe « crash »
rappelle un mot qui, dans un sens tout à fait différent, existe en français, on a pu imaginer facilement
ce verbe « se crasher ». Affreux néologisme, penserez-vous. Peut-être… mais il existe bel et bien ! Et
on dit qu’un avion s’est crashé sur le Mont Saint Odile, par exemple…
Le mot « krach » dont on parlait au début, le mot du vocabulaire boursier, n’a bien sûr que peu de
rapport avec celui-ci. Mais il est expressif aussi. Lui aussi fonctionne comme une onomatopée. Et c’est
bien ce qui explique qu’à propos de cet avionneur en position difficile, on ait pu tenter le jeu de mots
qui oscille entre les deux vocables : l’action EADS s’est crashée !
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