La compréhension des usages est un des matériaux de base du designer. Dans notre approche, nous prenons
l’utilisateur pour ce qu’il est. C’est-à-dire que ce n’est pas un innovateur et ce n’est pas un expert en usage (c’est le rôle
de l’ergonome).Si l’approche utilisateur consiste à demander à l’utilisateur ce qu’est son téléphone portable idéal, cela ne
produit rien du tout. L’identification des besoins utilisateurs est un mythe pour moi. Ce n’est pas une étude marketing qui
a généré le téléphone portable multitouch ! L’approche « Design Thinking » vise aussi à intégrer l’utilisateur dans le
mode de conception. Cette méthode implique de savoir comment poser précisément les questions aux gens et à partir
de quel artefact. On peut être amené à mettre la personne en situation d’usage pour tester des fonctionnalités précises
du produit. Sur un mode itératif, on est amené à améliorer le produit et à revenir ensuite vers l’utilisateur pour à nouveau
tester l’innovation.
Le prototypage semble être une composante essentielle du « design thinking ». Pouvez-vous expliciter sa
fonction dans le processus ?
La rapidité d’accès au maquettage permet d’intégrer très vite la tangibilisation du concept ou des hypothèses, non
seulement en vue de les tester auprès d’utilisateurs, mais aussi pour l’ensemble des membres de l’équipe projet.Le
designer accélère l’avancement des projets par sa capacité à représenter un projet à n’importe quelle étape de
développement, ce qui facilite le discours entre les différents métiers convoqués sur le projet.Il y a des entreprises qui
viennent chez nous pour se former à l’utilisation d’un fablab dans cette optique, ce qui ne va pas de soi. On s’aperçoit
que ça change les modes opératoires, le management de projet, etc.
Est-ce que les fablabs qui se multiplient dans les villes relèvent selon vous essentiellement d’un phénomène de
mode ou est-ce que c’est vraiment dans ces lieux que se dessinent les innovations de demain ?
C’est un phénomène très intéressant qui repose sur une utopie selon laquelle les citoyens pourraient fabriquer
eux-mêmes leurs objets, ou lutter contre l’obsolescence programmée et sur un fantasme : les fablabs seraient une
alternative à la désindustrialisation.Mais il ne faut pas croire que ce sont des lieux accessibles au quidam. Ce sont des
lieux de prototypages qui ont besoin de vraies compétences d’accompagnement. Il ne suffit pas de mettre des machines
à disposition, il faut la présence de professionnels du design, des ingénieurs capables d’intégrer la conception dans un
processus projet. A Lille, ils créent des incubateurs d’entreprises dans lesquels ils mettent des designers
systématiquement. En clair, ce qui fait la valeur de ces lieux, ce sont d’abord et avant tout les personnes qui y résident,
qui les animent et les encadrent. Par ailleurs, ce qui les rend extrêmement intéressants, c’est que ce sont des
laboratoires sociaux qui peuvent contribuer à révéler de nouveaux profils d’individus capables d’inventer et d’innover. Il y
aujourd’hui des thésards d’IDEA qui étudient ces lieux sur le plan de leur fonctionnement social et leur capacité de
générer de l’innovation.
Quelle définition donneriez-vous à l’innovation ?
Il n’existe pas de définition officielle de l’innovation. J’aime bien l’idée d’associer l’innovation à l’acceptation du fortuit.
Cela rejoint la notion de sérendipité. Ce qui est important par conséquent, c’est de créer le cadre et les conditions
propices à l’heureux hasard. Et pour que ces conditions soient réunies, il faut de la liberté et de la confiance. En plus du
cadre, il faut les bonnes ressources, c’est-à-dire la pluridisciplinarité. Et ces tiers lieux types fablab ou espaces de
coworking s’inscrivent complètement dans cet objectif d’offrir ce cadre et ces ressources. C’est pour ça que ce sont des
lieux d’innovation.Cette définition laisse entendre qu’il ne faut pas être trop interventionniste dans sa politique de soutien
à l’innovation qui doit avant tout créer les conditions de l’innovation.
Est-ce que selon vous il y a des territoires qui présentent un tropisme à l’innovation ?
Oui, je pense que la présence d’une industrie est un facteur important d’innovation. Je parlerais même de terroir
industriel car l’industrie englobe une culture, un savoir-faire, une organisation sociale. Lyon possède ce terroir, cette
histoire industrielle, de reconversion partielle en services et en industrie numérique, et la culture dont la gastronomie, qui
en font un excellent territoire de design et d’innovations. La nouvelle Ecole de Nancy, c’est ici qu’elle peut se créer !Pour
ce faire, il faut dépasser le stade de l’injonction et aller vers une utilisation plus pratico-pratique que politique du design
dans l’économie.C’est pour ces raisons que la politique de design promue à Saint Etienne risque d’être difficile à
développer dans un environnement industriel et financier difficile, malgré des actions menées auprès des entreprises
comme celles du Living Lab Design.
Les démarches d’expérimentation de l’innovation (living lab Part-Dieu, Lyon Smart Community) organisées par
le Grand Lyon semblent aller dans le sens que vous préconisez, c’est-à-dire offrir des cadres propices à
l’innovation. De par la connaissance que vous en avez, quel regard portez-vous sur ces projets ?