le Design Thinking , une approche managériale de l`innovation

publicité
Vous êtes ici :
Accueil> Modes d'action
> le Design Thinking , une approche managériale de l’innovation
le Design Thinking , une approche managériale de
l’innovation
INTERVIEW DE JEAN-PATRICK PECHE
<< Les fablab sont des laboratoires sociaux qui peuvent
contribuer à révéler de nouveaux profils d'individus
capables d'inventer et d'innover >>.
Jean-Patrick Péché est designer industriel, consultant,
formateur, responsable Design Thinking du Msc in
IDEA, cofondateur des entreprises de design Dia Design
et Design Utility, et d’une entreprise d’innovation
Anonymate.
designer industriel senior
L'objectif du Msc IDEA est de former des managers de
l'innovation capables de répondre aux enjeux économiques
et sociétaux de notre époque. Formant les étudiants au «
Design Thinking », IDEA est le fruit d’une alliance entre
l’Ecole de Management et l’Ecole Centrale de Lyon. En tant
que nouvelle approche managériale de l’innovation, le
Design Thinking se présente à la fois comme une posture et
une méthodepour innover dans une organisation (entreprise,
collectivité territoriale, association). Par son approche
centrée sur l’humain et sur les usages, par sa capacité à
intégrer la pluridisciplinarité (sociologie, anthropologie, art,
philosophie, sciences de l’ingénieur et de gestion, etc.) dans
un espace projet, le Design Thinking invite au décentrement
au sein des organisations pour tenter de produire de
l’innovation.
L’interview de Jean-Patrick Péché permet d’interpeller les
organisations, et en particulier les collectivités locales,
comme le Grand Lyon, à la fois sur l’importance de la
compétence design sur un territoire en lien avec une
dynamique d’innovation, ainsi que sur leur propre modèle
d’innovation.D’où vient la notion de « Design Thinking »
?
La notion de Design Thinking a été popularisée par la
publication du livre de Tim Brown qui s’appelle « Design
Thinking » en 2007. Cet ouvrage avait simplement pour but
de préciser ce qu’est la pensée « design ». Il y a une
espèce de fascination pour cette approche qui fait que tout
le monde veut en faire ou prétend en faire, alors que cela
repose sur un corpus d’études particulier et une pratique
professionnelle. Par ailleurs, il existe un paradoxe en France
autour du design : nous avons de très bonnes formations de
design, nos étudiants en design s’exportent extrêmement
bien, mais les médias véhiculent une vision très restrictive
de ce qu’est le design. En France, le design relève de l’art,
de l’œuvre, de la mode, on parle de « design de créateur »
alors que ce type de design ne représente que 0,5% du CA
du secteur du design, mais 99% de la communication. Or le
design est, et a toujours été,un processus de projet
complexe, et le Design Thinking est une approche
managériale de l’innovation.
Réalisée par : Geoffroy BING
Tag(s) : Design des politiques publiques, Modèle
économique, Labs/Laboratoire
Date : 22/07/2014
Pouvez-vous préciser ce que recouvre exactement cette approche et en quoi elle bouscule les pratiques
d’innovation ?
Il faut voir le « Design Thinking » comme l’extension du design dans le management. C’est parti d’une pratique qui a
ensuite été modélisée et théorisée. Fondamentalement, c’est une démarche qui se veut processuelle, pluridisciplinaire
(en faisant une large place aux sciences humaines et sociales) et globale (on ne vient pas simplement en réponse à un
cahier des charges, mais on s’inscrit bien dans un mode projet qui comprend l’exploration de la problématique jusqu’aux
phases d’expérimentation et de déploiement de solutions). Cette approche bouscule le processus traditionnel de
l’innovation qui repose sur un enchainement de phases relativement étanches (création/innovation/développement). En
effet, l’idée est de briser l’approche en silo et de mixer au plus tôt les différentes compétences que sont le management,
les sciences humaines et sociales, les sciences de l’ingénieur, le marketing, l’art et le design. Un nombre croissant
d’entreprises intègrent des sociologues ou des anthropologues dans leurs équipes de développement. C’est une
nouvelle manière d’élargir la notion d’innovation, au-delà de la technique. Le design thinking peut conduire à de
l’innovation dans le business model de l’entreprise. Au lieu de se poser la question « comment j’améliore ma
performance auprès de ma clientèle », le design thinking invite à repenser la technologie pour adresser de nouveaux
marchés. Décathlon est un bon exemple de mise en œuvre de cette méthode, Dyson aussi.
Vous enseignez cette approche et cette méthode au sein duMaster IDEA. Que proposez-vous au sein de ce
Master ?
C’est une formation innovante en deux ans qui a vu le jour dans le cadre du grand emprunt et qui montre l’intérêt
croissant pour cette démarche. C’est le fruit d’une alliance entre l’Ecole Centrale Lyon et l’EM Lyon, qui s’est scellée il y
a deux ans. Notre objectif est de former des managers de l’innovation rendus agiles par le design. Nos très récentes
premières soutenances de master semblent conforter notre vision : déjà plusieurs CDI de manager de projet, de
manager de design ou d’innovation, sont proposés à nos étudiants à l’issue de leur « grand IDEA » (mission de 6 mois
en entreprise). Ces personnes seront capables d’hybrider la pratique des entreprises sur l’innovation par cette approche.
Quatre projets d’entreprise sont déjà en gestation.Par exemple cette année, nous avons travaillé sur l’eau et la ville, et
cela a généré sept projets très différents (de l’organisation urbaine, du service, etc.). Nous partons donc d’une posture
très élargie de départ autour d’une thématique.Cette méthode est très appréciée dans les PME-PMI avec des résultats
tangibles et positifs en termes de retour sur investissement. Par contre, c’est plus compliqué dans les grandes
entreprises à cause de la structure métier, en silo, et la difficulté à se mettre en mode projet.
Cette méthode est également opérante dans les organisations territoriales ?
Une des preuves de l’application du design thinking, c’est justement dans les organisations territoriales. La preuve a été
faite sur l’enseignement, l’eau, la santé, avec les laboratoires « design thinking » de Stanford.
Quelle est la place des usages et des usagers dans l’approche de « design thinking » ?
La compréhension des usages est un des matériaux de base du designer. Dans notre approche, nous prenons
l’utilisateur pour ce qu’il est. C’est-à-dire que ce n’est pas un innovateur et ce n’est pas un expert en usage (c’est le rôle
de l’ergonome).Si l’approche utilisateur consiste à demander à l’utilisateur ce qu’est son téléphone portable idéal, cela ne
produit rien du tout. L’identification des besoins utilisateurs est un mythe pour moi. Ce n’est pas une étude marketing qui
a généré le téléphone portable multitouch ! L’approche « Design Thinking » vise aussi à intégrer l’utilisateur dans le
mode de conception. Cette méthode implique de savoir comment poser précisément les questions aux gens et à partir
de quel artefact. On peut être amené à mettre la personne en situation d’usage pour tester des fonctionnalités précises
du produit. Sur un mode itératif, on est amené à améliorer le produit et à revenir ensuite vers l’utilisateur pour à nouveau
tester l’innovation.
Le prototypage semble être une composante essentielle du « design thinking ». Pouvez-vous expliciter sa
fonction dans le processus ?
La rapidité d’accès au maquettage permet d’intégrer très vite la tangibilisation du concept ou des hypothèses, non
seulement en vue de les tester auprès d’utilisateurs, mais aussi pour l’ensemble des membres de l’équipe projet.Le
designer accélère l’avancement des projets par sa capacité à représenter un projet à n’importe quelle étape de
développement, ce qui facilite le discours entre les différents métiers convoqués sur le projet.Il y a des entreprises qui
viennent chez nous pour se former à l’utilisation d’un fablab dans cette optique, ce qui ne va pas de soi. On s’aperçoit
que ça change les modes opératoires, le management de projet, etc.
Est-ce que les fablabs qui se multiplient dans les villes relèvent selon vous essentiellement d’un phénomène de
mode ou est-ce que c’est vraiment dans ces lieux que se dessinent les innovations de demain ?
C’est un phénomène très intéressant qui repose sur une utopie selon laquelle les citoyens pourraient fabriquer
eux-mêmes leurs objets, ou lutter contre l’obsolescence programmée et sur un fantasme : les fablabs seraient une
alternative à la désindustrialisation.Mais il ne faut pas croire que ce sont des lieux accessibles au quidam. Ce sont des
lieux de prototypages qui ont besoin de vraies compétences d’accompagnement. Il ne suffit pas de mettre des machines
à disposition, il faut la présence de professionnels du design, des ingénieurs capables d’intégrer la conception dans un
processus projet. A Lille, ils créent des incubateurs d’entreprises dans lesquels ils mettent des designers
systématiquement. En clair, ce qui fait la valeur de ces lieux, ce sont d’abord et avant tout les personnes qui y résident,
qui les animent et les encadrent. Par ailleurs, ce qui les rend extrêmement intéressants, c’est que ce sont des
laboratoires sociaux qui peuvent contribuer à révéler de nouveaux profils d’individus capables d’inventer et d’innover. Il y
aujourd’hui des thésards d’IDEA qui étudient ces lieux sur le plan de leur fonctionnement social et leur capacité de
générer de l’innovation.
Quelle définition donneriez-vous à l’innovation ?
Il n’existe pas de définition officielle de l’innovation. J’aime bien l’idée d’associer l’innovation à l’acceptation du fortuit.
Cela rejoint la notion de sérendipité. Ce qui est important par conséquent, c’est de créer le cadre et les conditions
propices à l’heureux hasard. Et pour que ces conditions soient réunies, il faut de la liberté et de la confiance. En plus du
cadre, il faut les bonnes ressources, c’est-à-dire la pluridisciplinarité. Et ces tiers lieux types fablab ou espaces de
coworking s’inscrivent complètement dans cet objectif d’offrir ce cadre et ces ressources. C’est pour ça que ce sont des
lieux d’innovation.Cette définition laisse entendre qu’il ne faut pas être trop interventionniste dans sa politique de soutien
à l’innovation qui doit avant tout créer les conditions de l’innovation.
Est-ce que selon vous il y a des territoires qui présentent un tropisme à l’innovation ?
Oui, je pense que la présence d’une industrie est un facteur important d’innovation. Je parlerais même de terroir
industriel car l’industrie englobe une culture, un savoir-faire, une organisation sociale. Lyon possède ce terroir, cette
histoire industrielle, de reconversion partielle en services et en industrie numérique, et la culture dont la gastronomie, qui
en font un excellent territoire de design et d’innovations. La nouvelle Ecole de Nancy, c’est ici qu’elle peut se créer !Pour
ce faire, il faut dépasser le stade de l’injonction et aller vers une utilisation plus pratico-pratique que politique du design
dans l’économie.C’est pour ces raisons que la politique de design promue à Saint Etienne risque d’être difficile à
développer dans un environnement industriel et financier difficile, malgré des actions menées auprès des entreprises
comme celles du Living Lab Design.
Les démarches d’expérimentation de l’innovation (living lab Part-Dieu, Lyon Smart Community) organisées par
le Grand Lyon semblent aller dans le sens que vous préconisez, c’est-à-dire offrir des cadres propices à
l’innovation. De par la connaissance que vous en avez, quel regard portez-vous sur ces projets ?
C’est une stratégie d’innovation tout à fait pertinente selon moi. Si l’on ne se donne pas de projets, de lieux, de cadres
qui nous permettent de comprendre comment on va accompagner le changement de nos sociétés, on va passer à côté
d’énormément de choses. La collectivité est bien dans son rôle de proposer des cadres propices à l’innovation sans
vouloir trop s’immiscer dans ce que ça pourrait produire.
Téléchargement