Catholiques en Charente, soyez passionnés pour Dieu au milieu

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14 septembre 2 0 1 4
CATHOLIQUES EN CHARENTE,
soyez passionnés pour Dieu
au milieu des hommes !
Lettre de Monseigneur Claude DAGENS
www.angouleme.catholique.fr
CATHOLIQUES EN CHARENTE,
SOYEZ PASSIONNÉS POUR DIEU
AU MILIEU DES HOMMES !
1. LA CONQUÊTE DU MONDE NE NOUS INTÉRESSE PAS
2. LE TEMPS PRÉSENT EST INCERTAIN
3. PLUS FRÈRES ET PLUS SOLITAIRES 4. FAISONS VALOIR LES RESSOURCES DONT
NOUS DISPOSONS ! 10
5. VIVONS AU RYTHME DE L’ÉGLISE UNIVERSELLE !
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6. LE LAVEMENT DES PIEDS, JEAN VANIER ET
EMMANUEL CARRÈRE
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7. PLUS FORTE QUE TOUT : LA JOIE DE L’ÉVANGILE
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1. « LA CONQUÊTE DU MONDE NE NOUS INTÉRESSE PAS »
« La conquête du monde ne nous intéresse pas. Ce qui nous intéresse,
c’est qu’un Dieu aimé par nous et qui aime chaque homme le premier,
chaque homme puisse, comme nous, le rencontrer. » (Ville marxiste, terre
de mission, Paris, 1958, p.105)
C’est une femme qui affirmait cela, dans les années 1950, alors qu’elle
était confrontée, à Ivry, à la force conquérante du parti communiste et de
l’idéologie marxiste. Madeleine Delbrêl vivait de Dieu aux côtés de ceux
qui professaient un athéisme militant. Mais elle n’avait pas peur et elle ne
leur opposait pas un catholicisme intransigeant. Elle croyait à la présence
et à l’action tenace de Dieu au milieu des bouleversements du monde :
« L’espérance missionnaire qui guette le passage et la croissance de la
vie divine à travers les soubresauts et les tragédies du monde ne doit, pas
plus que le prophète Élie, l’attendre dans les orages et dans le bruit. Elle sait
que la grâce de Dieu apparaît fragile comme un souffle. » (ibid., p.146).
Que le pape François me pardonne si je n’hésite pas à le rapprocher
de Madeleine Delbrêl, lorsqu’il nous encourage à chercher et à trouver
Dieu dans le temps présent :
« La tentation existe de chercher Dieu dans le passé et dans ce qui peut
arriver dans le futur. Dieu est certainement dans le passé, parce qu’il est
dans les traces qu’il a laissées. Il est aussi dans le futur comme promesse.
Mais le Dieu “concret”, pour ainsi dire, est aujourd’hui. C’est pourquoi les
lamentations ne nous aideront jamais à trouver Dieu. Les lamentations
qui dénoncent un monde “barbare” finissent par faire naître à l’intérieur de
l’Église des désirs d’ordre entendus comme pure conservation ou réaction
de défense. Non : Dieu se rencontre dans le temps présent. » (Interview aux
revues jésuites, Études, octobre 2013, p.348).
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2. LE TEMPS PRÉSENT EST INCERTAIN
Dieu se rencontre dans le temps présent. Quel programme ! Car
le temps présent est troublé, incertain et même violent. J’écris cette
lettre le 11 septembre 2014. Beaucoup se souviennent du 11 septembre
2001 et du terrible attentat de New-York, à partir duquel certains
prophètes de malheur nous ont annoncé une « guerre des civilisations »,
un affrontement présenté comme inévitable entre le monde occidental
et l’Islam conquérant.
En ce moment-même, des « opérations antiterroristes » sont
annoncées en Irak, là où sévit la violence destructrice des groupes
djihadistes. Et l’on sait qu’entre l’État d’Israël et les Palestiniens, la trêve
reste précaire, et qu’en Ukraine orientale, aux confins de la Russie, des
affrontements guerriers se poursuivent.
Et, chez nous, en France, comment oublier les effets de plus en
plus sensibles d’une crise économique difficile à maîtriser et, plus
largement, d’une guerre économique qui se déroule à l’échelle du
monde et qui se dissimule derrière les langages chiffrés qu’inspire une
raison économique dominée par la spéculation financière ? Il ne suffit
pas d’aimer les entreprises et les entrepreneurs. Il faut les aider à faire
valoir non seulement des logiques de rendement et de compétitivité,
mais aussi des logiques de solidarité et de respect des personnes.
Il y a là des combats à mener avec des personnes qui ne partagent
pas notre foi chrétienne, mais qui comprennent tout ce qui tend
à déshumaniser notre société. Notre vocation chrétienne, dans ce
monde incertain et violent, ne consiste pas à constituer des groupes
de pression, parmi d’autres, ni de nous retirer dans de petits cénacles
catholiques où l’on resterait entre soi, mais de manifester publiquement
les capacités inventives qui nous viennent de notre foi en Dieu. En son
temps, Madeleine Delbrêl le soulignait avec vigueur :
« Nous retrouvons ici l’exigence “d’originalité” nécessaire pour
rencontrer des circonstances sans empreinte chrétienne. On n’a pas à y
vivre seulement un déjà fait, un déjà vu. Pour vivre notre foi, il faut chercher
en tout comment lui obéir. En rien, nous ne trouvons l’exemple qu’il nous
suffirait d’imiter. Chaque action chrétienne va devoir investir un effort
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de discernement, une volonté de discipline, un souci d’adaptation, une
recherche de fidélité dont le poids total mieux estimé nous protégerait des
activismes de surface et de leurs toxines de déséquilibres. Il s’agit d’une
obéissance inventive, où chaque acte est la découverte de qu’il est d’avance
dans un dessein de Dieu. » (ibid., p.144)
Je voudrais être plus clair et plus précis : à quoi devons-nous
résister, en tant que chrétiens, et avec d’autres, pour pratiquer cette
inventivité, pour ne pas être des gens résignés qui subissent les
évolutions du monde, mais des hommes et des femmes conscients
de leurs responsabilités ? Nous devons résister à la logique puissante
du désenchantement et aussi à la logique perverse des mensonges et
des transgressions
• La logique du désenchantement imprègne l’air du temps.
« Il n’y a rien à faire », ou bien « On ne peut pas faire autrement ». Et cela justifie
soit l’immobilisme, soit l’imposition de solutions toutes faites où les
plus forts et les plus malins ont le dernier mot, qu’il s’agisse des travaux
de construction, des projets immobiliers, des marchés publics ou des
perspectives de licenciement.
À la logique du désenchantement s’oppose la logique du
discernement, qui peut valoir dans beaucoup de domaines et que notre
pape jésuite connaît bien :
« Nous devons engager des processus plutôt qu’occuper des espaces.
Dieu se manifeste dans le temps et il est présent dans les processus de
l’histoire. Cela conduit à privilégier les actions qui génèrent des dynamiques
nouvelles. Cela requiert patience et attente… Il y faut une attitude
contemplative : sentir que l’on va par un bon chemin de compréhension et
d’affection à l’égard des choses et des situations. Le signe en est celui d’une
paix profonde, d’une consolation spirituelle, de l’amour de Dieu et de toutes
les choses en Dieu. » (Interview aux revues jésuites, p.348-349)
• La résistance à la logique des mensonges et des transgressions
est encore plus exigeante et très actuelle en ces temps où, en France, la
détérioration des mœurs politiques est souvent liée à des manipulations
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financières, d’autant plus que l’on justifie la pratique des transgressions,
aussi bien dans le domaine financier que dans le domaine sexuel. « Tout le
monde en fait autant. » C’est une sorte de banalisation qui s’impose dans
ces deux domaines. L’argent et le sexe font appel à la même chosification
des personnes, dans des réseaux enveloppants. Il ne s’agit pas seulement
d’affaires troubles. Il s’agit de la falsification du réel humain, réduit à
des calculs et à des manipulations. Mentir et transgresser les lois fait
partie des efficacités marchandes, qui s’appliquent aussi bien aux corps
humains qu’à la gestion de certains capitaux. Et comment ignorer que le
culte de l’argent-roi inspire ces pratiques et que l’on n’ose plus évoquer
le creusement accentué des inégalités de salaires et de ressources, sans
parler de la fraude fiscale dont certains experts font l’éloge ?
Mais comment s’en étonner, alors que des responsables politiques
et économiques ont tant de mal à « dire la vérité » ? La croissance vat-elle revenir bientôt ? Le chômage va-t-il baisser ? Les situations de
précarité vont-elles disparaître ? Quel écart et parfois quel abîme entre
certains discours officiels qui sont tenus depuis quarante ans au sujet
de la « crise » et de sa persistance et les situations humaines dont nous
sommes témoins, ces pauvretés muettes et aussi ces violences cachées
aussi bien en milieu rural et dans les quartiers populaires, que chez des
personnes apparemment aisées qui masquent leur situation réelle !
Ce fossé d’ignorance est une réalité dramatique et scandaleuse. Peut-être
vivons-nous la fin d’un monde, tout en continuant à nous distraire avec
des futilités stupides !
Pour mener cette résistance aux logiques du désenchantement, des
mensonges et des transgressions, de quelle force disposons-nous ? D’une
force cachée, mais réelle, et qui fait partie de notre humanité commune :
celle de notre conscience, à condition que nous sachions user de notre
conscience non pas comme d’un frein qui briderait nos initiatives,
qui entraverait notre liberté, mais comme d’une énergie intérieure
qui encourage à faire des choix raisonnables, à prendre des décisions
justes dans le domaine économique, au lieu de céder à la séduction du
management clinquant, et à concevoir des projets cohérents, et non
improvisés, dans l’action politique.
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3. PLUS FRÈRES ET PLUS SOLITAIRES
Il y a trop de désenchantement, de mensonges et de transgressions
dans notre société. Et nous, chrétiens, membres du Corps du Christ,
que faisons-nous au milieu de ces dérives ? Il ne suffit pas d’étudier la
doctrine sociale de l’Église et de nous contenter de quelques slogans
honorables comme celui du bien commun.
Nous sommes appelés à croire en Dieu, à aimer Dieu, à le prier et à
témoigner de sa Vérité et de son Amour, en nous situant sur le terrain
de notre humanité commune et aussi, comme le disait Madeleine
Delbrêl, en acceptant notre part de solitude au milieu des autres.
Car la fraternité que nous voulons pratiquer implique cette part
inévitable de solitude. Nous ne pouvons pas vivre de Dieu au milieu
des autres sans vivre de cette solitude à l’intérieur de laquelle nous
le rencontrons :
« Si les déserts s’appellent tous le désert, certains portent en sous-titre
un second nom, celui d’un événement, d’un appel entendu, d’un message
confié, d’une tentation, qui marquèrent la vie des prophètes, des saints, de
Jésus Christ… Toutes les solitudes s’appellent la solitude, la sienne a pour
sous-titre : la séparation. À chaque appel de Dieu, c’est en nous-même
que quelque chose sera séparé contre nous-même, déchiré en tirant droit
comme une étoffe dans le sens du fil. Un amour double s’étirera depuis de
Dieu, le préféré, jusqu’à “chacun de tous les autres”, chacun des préférés de
Dieu. » (ibid., p.190)
Et que l’on ne nous demande pas trop vite : « Combien de prêtres ? Combien
de diacres ? Combien d’enfants catéchisés ? Combien de séminaristes ? »
Que l’on se rassure ! Nous connaissons ces chiffres, mais nous n’aimons
pas qu’on nous les lance à la figure comme des balles. Nous aimons
mieux vivre notre vocation chrétienne de façon silencieuse et efficace
en nous tenant devant Dieu au nom de tous et en apprenant à parler des
autres à Dieu, dans la prière, avant de parler de Dieu aux autres. Tel est
l’amour fraternel qui anime notre passion :
« Sans cesse suspendu entre un vrai bien et un vrai mal, habité de cet
esprit qui le fait sans cesse plus frère et sans cesse plus solitaire, il résistera
au vertige et restera le répondant de ceux qui n’ont pas de voix pour Dieu.
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Pauvre au nom des pauvres, il ne se souviendra plus d’un instant à l’autre
de la force obscure dont il va se servir. Adorant sans force, sans apparences,
mais reliant, mais religieux, les mains ancrées aux épaules de son Seigneur,
les pieds plantés dans une foule pour qu’il croit, espère et aime, il rendra à la
gloire divine, entre le premier et le second commandement dont il ne pourra
être que le vrai obéissant, le seul espace qui lui convienne : la surface d’un
homme qui de sa part et pour tous les hommes de la terre, publiquement,
préfère Dieu. » (Madeleine Delbrêl, ibid., p.190)
Voilà à quoi doit nous conduire notre passion pour Dieu au milieu
des hommes !
4. FAISONS VALOIR LES RESSOURCES DONT NOUS DISPOSONS !
Pour déployer cette passion pour Dieu dans le monde, de quelles
ressources disposons-nous ? Je sais qu’il est de bon ton de se plaindre, en
constatant ce qui nous manque sans reconnaître ce qui nous est donné.
Avec d’autres, je ne me résigne pas aux constats négatifs, surtout après
avoir accueilli ces trois hommes jeunes qui viennent de commencer une
formation au Séminaire, parce qu’ils répondent à un appel de Dieu dans
l’Église.
•
L’éveil à la foi des enfants et des adultes
Le rassemblement des enfants dans l’abbatiale de Saint-Amant-deBoixe, le 18 mai dernier, a été un événement. À cause de ces enfants
et à cause des familles qui les accompagnaient. Nous ne savons pas
assez qu’un nombre croissant d’enfants demandent d’eux-mêmes à
participer à la catéchèse et que leur démarche a des conséquences pour
leurs parents, surtout pour leurs mères qui souhaitent participer à cette
initiation qui est proposée à leurs enfants.
Nous devons favoriser ces demandes, surtout si les mamans sont
seules ou les familles désunies ! L’initiation à la foi chrétienne se réalise
au milieu des précarités sociales. Que la rencontre de Dieu devienne
ainsi une force pour vivre, comment ne pas s’en réjouir !
10
•
La pratique des sacrements de la vie chrétienne
Baptême, confirmation, mariage, ces sacrements passent par des
rencontres, avec des étapes et des cheminements. Il faut espérer que
l’on n’en soit plus au temps où l’on mettait des barrières à ces demandes,
en faisant de l’Église un poste de douane, comme le dit le pape François.
Comment ne pas reconnaître que ces personnes sont en état d’attente et
que, même si elles n’ont pas des mots pour le dire, elles espèrent en Dieu
et elles espèrent rencontrer des hommes et des femmes qui témoignent
de Lui ?
Cela va plus loin, comme le pape François l’explique avec son cœur
de pasteur :
« Au lieu d’être seulement une Église qui accueille et qui reçoit en
tenant les portes ouvertes, cherchons plutôt à être une Église qui trouve de
nouvelles routes, qui est capable de sortir d’elle-même et d’aller vers celui qui
ne la fréquente plus, qui s’en est allé ou qui est indifférent. Parfois celui qui
s’en est allé l’a fait pour des raisons qui, bien comprises et évaluées, peuvent
porter à un retour. Mais il y faut de l’audace, du courage. » (Interview aux
revues jésuites, p.344)
Les « autres » deviennent alors comme des signes de Dieu et de
ses appels pour nous, les membres de l’Église. C’est un retournement,
une « conversion » qui nous est demandée. Nous ne sommes plus des
marchands de sacrements, nous sommes les témoins du travail de Dieu
en chaque être humain, avec toutes les surprises qui nous attendent.
•
Le tissage continu de la foi et de la charité chrétiennes
Vive la pastorale ordinaire, celle de nos communautés ordinaires, de
nos paroisses grandes ou petites ! C’est à nous de comprendre qu’une
paroisse ne se réduit pas à un territoire, mais qu’elle est appelée à devenir
une communauté composée d’hommes et de femmes de tout âge et
de toute situation sociale. Le pape François sait ce qu’est la vie d’une
paroisse et à quel point elle exige un travail permanent de communion
et de conversion :
« La paroisse n’est pas une structure caduque ; précisément parce
qu’elle a une grande plasticité, elle peut prendre des formes très diverses
qui demandent la docilité et la créativité missionnaire du pasteur et de la
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communauté… Cela suppose qu’elle soit réellement en contact avec les
familles et avec la vie du peuple et ne devienne pas une structure prolixe,
séparée des gens, ou un groupe d’élus qui se regardent eux-mêmes. La
paroisse est présence ecclésiale sur un territoire, lieu de l’écoute de la Parole,
de la croissance de la vie chrétienne, du dialogue, de l’annonce, de la charité
généreuse, de l’adoration et de la célébration.» (Evangelii nuntiandi, n.28)
J’atteste que cet appel à la « conversion » des paroisses est entendu
dans notre diocèse et que les visites pastorales que je ferai durant
l’année qui vient y contribueront. Ce tissage continu de la foi et de la
charité chrétiennes, c’est notre mission commune.
•
Une présence réelle dans notre société
Durant les dernières élections municipales, beaucoup d’hommes et
de femmes catholiques ont été sollicités pour faire partie des listes de
candidats. J’en connais beaucoup et je comprends que l’on s’adresse à eux
et à elles. Au-delà de leurs qualités personnelles, on reconnait qu’ils ont
une conscience sociale, qu’ils savent comprendre les besoins des autres,
qu’ils ont le souci spontané du bien commun et qu’ils savent durer dans
leurs responsabilités. Et l’on sait aussi que ces hommes et ces femmes
n’appartiennent pas à un parti catholique, qu’ils ne vont pas favoriser des
logiques « communautaristes », mais qu’ils seront des témoins de ce qui
les dépasse et qu’ils se mettent au service de tous. Vive l’Église catholique,
présente, à travers ses membres, aux réalités ordinaires de notre société
inquiète !
L’adjectif catholique désigne une qualité, et non pas une menace.
Catholique veut dire ouvert à tous, participant à l’ouverture de Dieu
à tous les hommes. Comment ne comprendrait-on pas que tous les
catholiques en France, et même les prêtres et les évêques, ne se
confondent pas avec les partisans de la « Manif pour tous » ? On devrait
plutôt se réjouir de ce que notre but ne soit pas « d’avoir beaucoup
d’ennemis, mais plutôt que la Parole de Dieu soit accueillie et qu’elle
manifeste sa puissance libératrice et rénovatrice. » (Evangelii gaudium, n.24)
Il nous faut progresser ensemble dans ce respect mutuel qui empêche
de « voir rouge » dès qu’apparaissent des réalités religieuses, qu’elles
soient juives, musulmanes ou chrétiennes. Tant mieux si les catholiques
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se tiennent au milieu des autres, en partageant la passion amoureuse
de Dieu pour notre humanité. « Car Dieu a envoyé son Fils non pas pour
juger le monde, mais pour que le monde soit sauvé. » (Jean 3,15). Nous,
catholiques, avec d’autres qui ne partagent pas notre foi, nous luttons
pour que la confiance mutuelle et la solidarité active progressent dans
notre société si dure.
5. VIVONS AU RYTHME DE L’ÉGLISE UNIVERSELLE !
Nous formons cette Église catholique qui vit dans notre département
de Charente, tel qu’il est, avec ses pauvretés certaines et ses richesses
cachées. Mais notre enracinement en terre charentaise n’exclut pas du
tout notre relation à l’Église de partout. Parmi nous, des hommes et des
femmes portent dans leurs corps et dans leurs cœurs cette ouverture
universelle : des frères prêtres appartenant à d’autres pays, de la
Pologne au Cameroun et au Burkina Faso, et en particulier ces frères du
diocèse de Koudougou dont la présence est si précieuse, et aussi ces
femmes consacrées, ces religieuses qui n’oublient pas les peuples où
elles ont servi, de Madagascar à l’Équateur et où elles servent et prient,
spécialement en Guinée, à Friguiagbé. Sans oublier nos amis portugais,
fidèles à Notre-Dame de Fatima, et tous les membres de la communauté
africaine de Charente, originaires du Congo Brazzaville ou du Congo
Kinshasa, et aussi les hommes et les femmes de Wallis et Futuna. C’est
une sorte de fraternité internationale qui s’inscrit ainsi dans notre Église
de Charente. Il ne devrait donc pas être difficile de vivre au rythme de
l’Église universelle.
•
Octobre 2014 : UN SYNODE EXTRAORDINAIRE VA AVOIR LIEU
A ROME, AUTOUR DU THÈME DES « DÉFIS PASTORAUX DE LA FAMILLE
DANS LE CONTEXTE DE LA NOUVELLE ÉVANGÉLISATION ». Ce synode
extraordinaire ne réunit que les présidents des Conférences épiscopales
du monde entier. Il sera suivi, en octobre 2015, d’un synode ordinaire,
sur le même thème, qui réunira des délégations de plusieurs évêques de
chacune de ces Conférences épiscopales.
13
•
De novembre 2014 à décembre 2015, une année entière est
dédiée à la vie consacrée, dans ses diverses formes. Cette année va
susciter partout des initiatives et des prises de conscience.
Nous allons nous associer à ces deux événements, d’une façon
simple, dans le sillage de ce que nous avons déjà entrepris dans notre
diocèse, avec le désir de vivre au rythme de l’Église universelle.
Pour ce qui est de la vie familiale, nous continuerons à donner
la priorité aux personnes, c’est-à-dire aux hommes et aux femmes
qui désirent se préparer au sacrement du mariage catholique, aux
personnes divorcées, remariées ou non remariées, et aussi aux personnes
homosexuelles et à leurs familles.
Une session destinée à toutes ces personnes aura lieu le SAMEDI
13 DÉCEMBRE 2014, autour du thème de « L’AMOUR HUMAIN À L’ÉPREUVE ».
Nous nous situons ainsi sur le terrain de l’expérience spirituelle, pour
reconnaître comment les épreuves de l’amour humain font partie
de l’histoire de tout amour humain et comment la rencontre de Dieu
s’accomplit aussi au milieu de ces épreuves réelles.
•
•
LA VIE CONSACRÉE EST PRÉSENTE PARMI NOUS, à travers des
femmes et des hommes qui la vivent de façon souvent discrète, mais
réelle et féconde. S’il faut donner des chiffres, on les donnera : près
de 75 religieuses de vie apostolique et plus de 80 religieuses de vie
contemplative, sans compter nos frères religieux (Chanoines de Saint-Augustin,
Missionnaires de Sainte-Thérèse, Frères de Saint-Jean).
Mais en-deçà des chiffres, il y a des présences réelles, des vies
données, et aussi des laïcs associés à ces communautés religieuses. Et il
y a aussi parmi nous ces formes renouvelées de la vie religieuse comme
on peut le voir à Saint-Martial d’Angoulême avec la Fraternité trinitaire
et son double charisme d’Adoration de la Trinité et de Libération des
captifs. Présence priante et présence aimante. Il y a, là aussi, des germes
d’avenir en terre de Charente.
Il faudra prévoir, dans les mois qui viennent, des rencontres où l’on
pourra se dire, de part et d’autre :
- Comment les baptisés perçoivent-ils la place de la vie consacrée
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parmi nous ?
- Comme les femmes et les hommes consacrés comprennent-ils
et vivent-ils leurs relations avec le peuple des baptisés ?
Voilà l’Église en état de renouvellement intérieur ! Elle fait notre
joie ! Elle fait ma joie d’évêque !
•
Au premier dimanche de l’Avent de cette année 2014, le 30
novembre, un autre événement nous mettra au rythme de l’Église
universelle : ce jour-là un nouveau lectionnaire liturgique, c’est-àdire le livre qui contient les lectures de la Parole de Dieu à proclamer
les dimanches et les jours de semaine, sera mis en usage. Il est le
résultat d’un long travail accompli par des exégètes et des pasteurs dans
toutes les langues du monde, pour nous dans tous les pays francophones,
du Canada à l’Afrique. Il faudra ouvrir ce lectionnaire avec attention et
écouter ce qu’il contient, par exemple : « Lui, de condition divine, ne retint
pas jalousement le rang qui l’égalait à Dieu, mais il s’anéantit lui-même,
prenant la condition d’esclave et devenant semblable aux hommes… »
(Philippiens 2,5-7) Mystère et vérité de Jésus humilié et crucifié, notre
frère ! Le cœur de la Révélation chrétienne de Dieu est là. Ce n’est pas une
légende ou une reconstruction, quoi qu’en pense Emmanuel Carrère.
6. LE LAVEMENT DES PIEDS, JEAN VANIER ET EMMANUEL
CARRÈRE
L’an dernier, dans ma lettre pastorale du 14 septembre 2013, j’avais
évoqué les moments que nous avions vécus à Lourdes, au mois de mai,
pendant le grand rassemblement de Diaconia 2013 : le lavement des
pieds, le sacrement du pardon et l’adoration de l’Eucharistie. J’y insistais
sur le lavement des pieds : Jésus, lors d’un dernier repas à Jérusalem,
s’agenouille aux pieds de ses compagnons, y compris Judas, il les prend
dans ses mains, il les lave et il les essuie. J’avais souligné le caractère
sensuel de ce geste, par lequel Jésus se lie à la chair de ces hommes
fragiles. Mystère stupéfiant de l’Incarnation de Dieu !
Ces jours-ci, le nouveau responsable des Communautés de l’Arche
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dans notre région m’a parlé du livre déjà célèbre dans lequel Emmanuel
Carrère raconte ses années d’ardente vie chrétienne et confesse la
distance prise par rapport à ces années-là.
Les dernières pages de ce livre évoquent une semaine passée
à Trosly-Breuil, en présence de Jean Vanier, au cours de laquelle fut
accompli le geste du lavement des pieds :
« C’est ainsi que l’on se retrouve dans une salle de ferme restaurée, sous
un crucifix et – tiens donc – une grande reproduction du Fils prodigue de
Rembrandt, avec une quarantaine de chrétiens répartis par groupes de sept.
Ils sont assis en cercles, au milieu desquels ont été disposés des bassines, des
brocs, des serviettes, et tout ce monde s’apprête à se laver mutuellement les
pieds… » (Emmanuel Carrère, Le Royaume, Paris, 2014, p.619)
Et le geste s’accomplit, et Emmanuel Carrère le commente ainsi :
« C’est vraiment très étrange de laver des pieds d’inconnus. Il me
revient une belle phrase d’Emmanuel Levinas, que m’a citée Bérengère
dans un mail, sur le visage humain qui, dès l’instant qu’on le voit, interdit
de tuer. Elle disait : oui, c’est vrai, mais ça l’est encore plus pour les pieds :
c’est encore plus pauvre, les pieds, encore plus vulnérables, c’est vraiment ce
qu’il y a de plus vulnérable : l’enfant en chacun de nous. Et tout en trouvant
ça un peu embarrassant, je trouve beau que des gens se rassemblent pour
cela, pour se tenir le plus près possible de ce qu’il y a de plus pauvre et de
plus vulnérable dans le monde et en eux-mêmes. Je me dis que c’est cela, le
christianisme. » (ibid., p.628)
Je n’ai rien à ajouter. Je me demande seulement pourquoi il nous est
si difficile de faire place à ce geste dans nos communautés ordinaires.
Peut-être ne sommes-nous pas prêts à accepter l’audace de Jésus quand
il vient toucher nos pieds et nos corps. Que de progrès à faire pour
pratiquer cette « révolution de la bonté et de la tendresse » à laquelle nous
appelle le pape François !
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7. PLUS FORTE QUE TOUT : LA JOIE DE L’ÉVANGILE
J’ose achever cette lettre par une confidence : je suis devenu un
évêque heureux, surtout depuis un an, depuis que j’ai accueilli les
reliques de sainte Thérèse de l’Enfant-Jésus en Charente. Elle, Thérèse,
sait ce que je veux dire ainsi. Quelle joie ! Quelle surprise ! Que de réalités
nouvelles j’apprends !
Je suis devenu un évêque heureux, parce que je l’étais beaucoup
moins il y a quelques années, parce que j’imaginais les difficultés qui
m’attendaient. Mais la joie est venue peu à peu et j’ai vu, et je vois
comment Dieu agit au sein de nos communautés, qui sont en état de
métamorphose et non pas de survie. J’espère témoigner de ma joie de
pasteur à l’Académie française. J’y ai été encouragé par celle qui m’y
a reçu. Avant Florence Delay, personne n’avait su raconter ma petite
histoire, de Bordeaux à Angoulême et à Paris, comme elle l’a fait, le
jeudi 14 mai 2009, en évoquant mon père spirituel qui m’avait appris
à découvrir le Christ comme le « maître du bonheur ». Et Florence Delay
ajoutait, en s’adressant à moi :
« Personnellement, c’est la joie qui m’a rapprochée du christianisme,
après que je l’avais abandonné. La tristesse est mon ennemie personnelle,
en littérature comme en religion. Et quand ma petite nièce refuse d’aller au
catéchisme sous prétexte, disait-elle, que ça la rendait triste, j’en fus aussi
désolée que vous lorsque vous entendez une petite fille refuser le catéchisme
en disant : “C’est du passé”. Passé, non, triste, non plus. Depuis qu’elle n’est
plus celle des martyrs, l’Église ne récolte que de mauvais fruits quand elle
met en avant la souffrance et le dolorisme. La souffrance est une mauvaise
rencontre. Mieux vaut parler voyage et promesse. » (Discours de réception
de Mgr Claude Dagens à l’Académie française et réponse de Florence Delay,
Paris, 2011, p.77)
Chaque semaine, c’est une joie de retrouver, avec Florence Delay
et Hélène Carrère d’Encausse, ces hommes et ces femmes originaux,
passionnés et attentifs, qui sont devenus des compagnons et des
compagnes de route. Et, le vendredi matin, c’est une joie de célébrer
l’Eucharistie à la maison diocésaine d’Angoulême avec mes frères du
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Conseil épiscopal avant d’exercer notre discernement au service de notre
diocèse. Et c’est une joie toujours nouvelle de rencontrer ces garçons et
ces filles à qui je vais donner le sacrement de confirmation, après avoir
lu leurs lettres où je trouve de moins en moins de fautes d’orthographe
et de plus en plus d’actes graves de foi chrétienne… Sans oublier bien
des rencontres inattendues, à Angoulême et à Paris, qui entretiennent
en moi la joie de l’Évangile, et qui me permettent de vérifier cet appel
du pape François :
« Quand nous vivons la mystique de nous approcher des autres, afin de
rechercher leur bien, nous dilatons notre être intérieur pour recevoir les plus
beaux dons du Seigneur. Chaque fois que nous rencontrons un être humain
dans l’amour, nous nous mettons en condition de découvrir quelque chose
de nouveau de Dieu. Chaque fois que nos yeux s’ouvrent pour reconnaître le
prochain, notre foi s’illumine davantage pour reconnaître Dieu. » (Evangelii
gaudium, n.273)
Passion pour le Dieu vivant, passion pour les personnes rencontrées
et qui deviennent pour nous des signes vivants de Dieu, passion pour
le peuple que je sers, en tant qu’évêque, avec vous tous qui participez
activement ou discrètement à la vie de ce peuple. Comme il est bon de se
savoir liés les uns aux autres dans cette passion qui est inséparablement
passion pour Jésus Christ et passion pour son peuple, comme sait
l’exprimer avec force le pape François :
« La mission est une passion pour Jésus, mais, en même temps, elle
est une passion pour son peuple. Quand nous nous arrêtons devant Jésus
crucifié, nous reconnaissons tout son amour qui nous rend dignes et nous
soutient, mais en même temps, si nous ne sommes pas aveugles, nous
commençons à percevoir que ce regard de Jésus s’élargit et se dirige, plein
d’affection et d’ardeur, vers tout son peuple. Ainsi nous redécouvrons qu’il
veut se servir de nous pour devenir toujours proche de son peuple aimé. »
(Evangelii gaudium, n.268)
Ainsi soit-il !
Claude DAGENS
évêque d’Angoulême
le 14 septembre 2014,
en la fête de la Croix glorieuse
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