Un mod`ele de d´es´equilibre de la courbe de Phillips en France et

ANNALES D’´
ECONOMIE ET DE STATISTIQUE. – N 44 — 1996
Un mod`
ele
de d´
es´
equilibre
de la courbe de Phillips
en France
et en Allemagne
Guy LAROQUE, Bernard SALANI´
E*
R´
ESUM´
E. – Cet article pr´esente une boucle prix-salaires construite
autour d’une courbe de Phillips et o`
u l’exc`
es d’offre de travail est d´
etermin´
e
par un mod`ele de d´es´equilibre du march´e du travail. L’originalit´e du
mod`
ele provient de l’inclusion dans la courbe de Phillips et dans l’´
equation
qui relie l’exc`es d’offre de travail et le chˆomage de variables latentes
retard´
ees, qui rendent inutilisables les m´
ethodes d’estimation usuelles.
Nous utilisons la m´ethode du pseudo-maximum de vraisemblance simul´e
dynamique d´
ecrite dans LAROQUE-SALANI´
E[1993] pour estimer le mod`
ele
sur des donn´ees fran¸caises et allemandes. Nous obtenons un ajustement
tr`
es pr´
ecis du chˆ
omage dans les deux pays. Nos estimations sugg`
erent
qu’une politique de relance keyn´esienne aurait des effets plus prononc´es
en Allemagne qu’en France.
A Disequilibrium Model of the Phillips Curve in France
and Germany
ABSTRACT. – This paper combines a Phillips curve and a
disequilibrium model of the labor market. The novel feature of the model is
that both the Phillips curve and the equation that links excess labor supply
and unemployment contain lagged latent variables, which makes standard
estimation methods untractable. We turn to the dynamic simulated
pseudo-maximum likelihood method proposed in LAROQUE-SALANI´
E[1993]
to estimate the model on French and German data. Our estimates produce
an excellent fit for unemployment in both countries. They suggest that a
Keynesian reflation policy would have stronger effects in Germany than
in France.
* G. LAROQUE : INSEE; B. SALANI´
E: INSEE. Ce travail a b´en´efici´e d'un soutien
financier SPES de la Communaut´
e Europ´
eenne. Nous remercions deux rapporteurs
anonymes pour leurs remarques.
1 Introduction
L’estimation d’´equations de salaires o`u une variable de tension qui
repr´
esente l’´
etat du march´
e du travail affecte le taux de croissance du
salaire r´
eel est maintenant un exercice standard. Ces variables de tension
s’interpr`etent comme des indicateurs de l’exc`es d’offre sur le march´e du
travail ; il est donc naturel de plonger l’´
equation de salaire dans un mod`
ele
de d´
es´
equilibre du march´
e du travail, qui fournit directement un estimateur
de l’exc`es d’offre de travail. Cette approche a par exemple ´et´e utilis´ee par
QUANDT-ROSEN [1986, 1988], dont le mod`ele est `a la base de celui pr´esent´e
dans cet article 1.
Plusieurs ´etudes ont montr´e que l’´etat pass´e du march´e du travail
contribue, comme son ´etat pr´esent, `a d´eterminer le rythme de croissance des
salaires. Ce fait rend difficile l’estimation de mod`
eles de d´
es´
equilibre o`
u la
variable de tension est l’exc`es d’offre de travail : comme l’exc`es d’offre de
travail est une variable latente, son inclusion dans l’´equation de salaires sous
forme d’un r´
egresseur retard´
e interdit d’utiliser les m´
ethodes d’estimation
usuelles. En effet, la fonction de vraisemblance du mod`ele devient une
int´egrale dont la dimension est ´egale `a la taille de l’´echantillon. Dans un
article r´
ecent (LAROQUE-SALANI´
E[1993]), nous avons montr´
e comment la
m´
ethode du pseudo-maximum de vraisemblance simul´
e (PMVS) dynamique
permettait d’estimer des mod`eles dynamiques non-lin´eaires complexes,
et notamment des mod`
eles dynamiques `
a variables latentes. Cet article
pr´
esente une application de ces m´
ethodes `
a l’estimation d’un mod`
ele de
d´es´equilibre du march´e du travail `a six ´equations, inspir´e de QUANDT-
ROSEN [1986, 1988]. Si les trois premi`eres ´equations du mod`ele (la
demande de travail, l’offre de travail, et la condition minimum agr´
eg´
ee)
et l’´equation de prix prennent une forme usuelle, l’´equation de salaires et
ce que nous appellerons l’“´equation de mesure” contiennent des variables
latentes retard´
ees, qui rendent l’estimation par les m´
ethodes classiques
irr´ealisable. Nous pr´esentons les ´equations du mod`ele en section 2 et nous
y justifions l’introduction de variables latentes retard´ees.
La section 3 d´
ecrit bri`
evement les m´
ethodes du PMVS dynamique et
leurs propri´et´es asymptotiques pour des mod`eles stationnaires g´en´eraux.
Comme la plupart des variables que nous utilisons semblent ˆetre int´egr´ees
d’ordre 1, il nous faut ´
etudier de plus pr`
es les propri´
et´
es asymptotiques de
nos estimateurs. L’application directe des m´
ethodes du PMVS dynamique
conduit `a des estimateurs non-convergents dont les distributions limites sont
non-d´eg´en´er´ees. En revanche, le seul fait de diff´erencier le mod`ele avant
1. Voir aussi SALANI´
E[1991] pour un mod`ele de d´es´equilibre `a deux march´es reli´e `a une boucle
prix-salaires.
2
l’estimation permet d’obtenir des estimateurs convergents qui poss`edent
les propri´
et´
es asymptotiques habituelles, tout au moins dans des mod`
eles
lin´eaires 2. La section 4 discute ces r´esultats autour de mod`eles lin´eaires
simples. Nous ignorons s’ils peuvent ˆetre g´en´eralis´es `a des mod`eles non-
lin´
eaires.
Nous avons estim´e notre mod`ele sur des donn´ees trimestrielles fran¸caises
et allemandes respectivement sur les p´eriodes 1963:1-1989:4 et 1966:1-
1989:4. La section 5 pr´
esente nos r´
esultats. Nous obtenons des valeurs
initiales pour les vingt-quatre `a vingt-six coefficients en estimant une version
statique simplifi´ee du mod`ele ; dans une seconde ´etape, nous utilisons
ces valeurs initiales pour estimer la sp´
ecification dynamique. Toutes nos
variables endog`
enes sont int´
egr´
ees d’ordre un, `
a l’exception du chˆ
omage
qui est stationnaire. D’apr`es nos r´esultats de la section 4, les crit`eres
`
a maximiser doivent donc diff´
erer dans le cas statique et dans le cas
dynamique : la fonction objectif statique se fonde sur les niveaux de l’emploi
et du chˆomage, tandis que la fonction objectif dynamique doit reposer sur le
taux de croissance de l’emploi et le niveau du chˆomage. En cons´equence,
l’ajustement de l’emploi est bien meilleur avec les mod`
eles qui utilisent
des simulations statiques. En revanche, les mod`eles dynamiques produisent
un ajustement remarquablement pr´ecis du chˆomage dans les deux pays ;
ceci est d’autant plus surprenant que le mod`
ele contient peu de variables
exog`enes et que ces simulations sont dynamiques.
Puisque nous disposons d’estimateurs du mˆeme mod`ele structurel pour
la France et l’Allemagne, nous pouvons comparer les r´
eactions des deux
´economies `a une politique de relance keyn´esienne dans une situation de fort
exc`es d’offre de travail. Nos r´esultats, qui demandent `a ˆetre confirm´es par
d’autres ´
etudes, indiquent que l’Allemagne est plus sensible que la France
`a ce type de choc, ce qui sugg`ere qu’elle y aura moins facilement recours.
A la suite d’un mˆeme choc positif temporaire sur la demande de travail,
l’Allemagne subit des effets plus intenses et moins durables sur le chˆ
omage
et des effets plus importants et plus durables sur l’inflation que la France.
2 Le mod`ele
En dehors de la pr´esence de variables latentes retard´ees, notre mod`ele est
essentiellement celui de Quandt-Rosen (ci-apr`
es QR) avec une dynamique
plus “propre”. Il consiste en six ´equations :
une ´
equation de demande de travail
une ´equation d’offre de travail
la condition de rationnement agr´eg´ee
2. Sauf pour les constantes et les tendances d´eterministes lin´eaires (voir la section 4).
UN MOD`
ELE DE D´
ES´
EQUILIBRE DE LA COURBE DE PHILLIPS 3
une ´equation de salaires s’inspirant de la courbe de Phillips
une ´equation de prix
et une ´equation de mesure qui relie l’exc`es d’offre de travail au taux
de chˆ
omage officiel.
Tous les noms de variables en majuscules repr´esentent des niveaux,
tandis que ceux en minuscules repr´
esentent des logarithmes : ainsi, est la
demande de travail et est son logarithme. Toutes les erreurs structurelles
sont suppos´ees normales centr´ees r´eduites, non corr´el´ees entre elles
et non autocorr´
el´
ees. repr´
esente , le taux de croissance
(approch´e) de .
2.1. La demande de travail
Notre ´equation de demande de travail est :
o`
u est le PIB r´
eel, l’emploi, le salaire brut (qui inclut donc l’impˆ
ot
sur les salaires et les cotisations sociales employeur et salari´
e), et est
le d´eflateur du PIB.
La version statique de cette ´equation est une r´egression de la demande
de travail sur le PIB et le salaire r´eel. Il y a au moins trois justifications
possibles de cette ´
equation, dont aucune n’est parfaitement satisfaisante. La
premi`ere interpr´etation est obtenue en maximisant le profit d’une entreprise
repr´esentative qui a une fonction de production CES `a deux facteurs
d’´
elasticit´
eet de rendements d’´
echelle , si bien qu’`
a stock de capital fix´
e :
Malheureusement, ceci fait de une variable endog`
ene d´
etermin´
ee en
mˆeme temps que , alors que la plupart des mod`eles du march´e du travail,
dont le nˆotre, traitent le PIB comme exog`ene 3. LUCAS-RAPPING [1970]
l’avaient d´
ej`
a remarqu´
e dans leur article pionnier 4. Nous pourrions bien
sˆur substituer `a la place de sa valeur dans la fonction de production et
r´esoudre en , mais nous serions alors priv´es de l’information qu’apporte
pour l’estimation. Il nous faudrait alors nous reposer sur le stock de capital
pour r´
epliquer le cycle des affaires, ce qui est sans espoir compte tenu de
l’inertie `a court terme des s´eries de capital, `a moins de recourir `a des donn´ees
sur le taux d’utilisation du capital ; dans cette derni`ere hypoth`ese, nous ne
serions plus tr`
es loin d’un mod`
ele complet de d´
es´
equilibre `
a deux march´
es.
Une seconde interpr´
etation, celle de QUANDT-ROSEN [1987], d´
ecouple la
fonction de production et l’´equation de demande de travail en admettant que
3. On pourrait bien sˆur endog´en´eiser le PIB dans un mod`ele de d´es´equilibre `a deux march´es.
4. O`u ils utilisaient la sp´ecification CES avec .
4
le secteur productif ne s’agr`ege pas parfaitement. Ceci est bien sˆur possible ;
mais on aimerait alors savoir quel est le mod`
ele micro´
economique utilis´
e.
La troisi`
eme interpr´
etation, qui est la plus fr´
equente dans la litt´
erature
(voir par exemple ALTONJI (1982) et les articles de QUANDT et ROSEN),
soutient que l’´equation (l) est le r´esultat de la minimisation des coˆuts `a
production donn´
ee, quand la fonction de production est de type Cobb-
Douglas. Cependant, la demande de facteurs conditionnelle `
a la production
devrait alors d´ependre des prix relatifs des facteurs et non du prix `a la
production, et devrait ˆetre remplac´e par , o`u mesure le
coˆ
ut d’usage du capital. est notoirement difficile `
a mesurer ; il combine
le prix des biens d’´equipement, dont on peut supposer que l’´evolution est
parall`ele `a celle de , le taux d’int´erˆet, le taux de d´epr´eciation du capital
Si ces derni`
eres variables sont suffisamment inertes, nous pouvons utiliser
l’´equation (1) comme une approximation dont la base th´eorique est faible.
2.2. L’offre de travail
Il est plus difficile encore de bien sp´ecifier l’offre de travail. La th´eorie
n´eoclassique du consommateur sugg`ere que si on n´eglige l’effet du travail
`
a domicile, les solutions en coin, les choix patrimoniaux, les contraintes
l´egales sur la dur´ee du travail, et d’autres facteurs institutionnels, le nombre
d’heures offert par chaque m´enage devrait d´ependre du salaire r´eel courant,
du salaire r´
eel anticip´
e, et du taux d’int´
erˆ
et r´
eel (voir par exemple LUCAS-
RAPPING [1970]). L’ampleur de l’effet de substitution intertemporelle qui
est au cœur de cette sp´ecification a fait l’objet d’un d´ebat tr`es anim´e qui est
loin d’ˆ
etre clos. Pour cette raison, nous adopterons la sp´
ecification de QR :
o`u est la population active potentielle et est l’´ecart entre le salaire pay´e
par les employeurs ( ) et celui qui est re¸cu par les salari´es ( ).
La tendance d´
eterministe vise `
a prendre en compte les modifications
structurelles du march´e du travail, et notamment l’augmentation de la
participation des femmes. Nous pourrions aussi incorporer un effet de
“travailleur d´
ecourag´
e” en ajoutant des valeurs retard´
ees de l’exc`
es d’offre
de travail dans le membre de droite de (3) 5. QR avaient fait figurer un
salaire r´eel anticip´e dans leur ´equation d’offre de travail ; compte tenu de
la difficult´
e d’identifier l’offre de travail sur la p´
eriode qui nous int´
eresse,
o`
u le chˆ
omage pr´
edomine, nous avons pr´
ef´
er´
e n´
egliger cette variable.
2.3. La condition de rationnement
Nous supposons que les prix et les salaires ne s’ajustent pas assez vite
pour permettre au march´e du travail de s’´equilibrer, si bien qu’il y a un
5. Nous pourrions de plus introduire des retards de la mesure du chˆomage dans le membre de
droite de l’´equation s’il apparaissait que les travailleurs sont plus d´ecourag´es par les annonces
officielles que par la situation sous-jacente du march´e du travail.
UN MOD`
ELE DE D´
ES´
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