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05-In memoriam
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In Économies et Sociétés, Série « Systèmes agroalimentaires »,
AG, n° 33, 10/2011, p. IX-0000
Gérard Destanne de Bernis (1928-2010)
In memoriam
Lorsque les responsables de la série AG m’ont demandé de dire, au
nom du comité de rédaction de la série, quelques mots sur Gérard
Destanne de Bernis, j’ai hésité car, si j’ai effectivement bien connu ce
dernier, nous n’étions cependant pas proches et d’autres collègues
seraient certainement plus qualifiés pour en parler. Aussi, je souhaite
seulement évoquer quelques souvenirs personnels qui me reviennent
quand je pense à cette grande personnalité.
L’un des souvenirs les plus anciens, au début des années soixante, a
été indéniablement la « révélation » qu’a constitué, pour le jeune étudiant en science économique que j’étais, la lecture de « L’Économie du
XXe siècle », livre de référence dans lequel François Perroux avait rassemblé quelques articles majeurs marquant l’existence d’une « école
française » en science économique, dont l’ISEA et ses publications
« Économie appliquée », « Économies et sociétés » constituaient les
vecteurs de propagation. Nos professeurs de l’époque (Henri Bartoli,
Raymond Barre) gravitaient autour du maître François Perroux et nous
transmettaient sa vision d’une économie humaniste, bien distincte de
la tradition marchande anglo-saxonne. « Bernis «, comme l’appelaient
ses proches, avait fait sa thèse avec Perroux et faisait partie de ses disciples ; ses travaux étaient déjà bien connus, notamment dans les nouveaux pays décolonisés (Tunisie, puis Algérie).
Effectivement, quelques années plus tard – en 1966-68 – effectuant
mon service national à l’université de Tunis, j’ai ressenti l’empreinte
de Bernis, via l’antenne locale de l’ISEA, sur les élites du pays, notamment sur un jeune ministre, Ben Salah, qui à cette époque tentait d’entraîner son pays vers le socialisme. Mais, comme on le sait, c’est surtout en Algérie que Bernis a exercé l’influence la plus marquante
durant les premières années qui ont suivi l’indépendance de ce pays,
après 1962, en inspirant les politiques de développement et en formant
une part importante des cadres nationaux chargés de leur mise en
œuvre. Cette influence s’est prolongée de nombreuses années, malgré
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les déboires ou les applications mal maîtrisées que le concept
d’« industrie industrialisante » – au croisement du concept de pôle de
croissance de Perroux et du tableau d’échanges interindustriels de
Leontief – avait pu générer. Nous avons pu constater cette « empreinte
bernisienne » à l’occasion de plusieurs missions effectuées en Algérie
durant la décennie des années soixante-dix, notamment pour le
concours d’agrégation organisé par ce pays pour recruter ses professeurs d’université en sciences économiques et de gestion, concours que
présidait – naturellement – de Bernis et auquel il avait bien voulu m’associer.
Entre-temps, j’étais en effet devenu un collègue, qui plus est en
ayant préparé aussi ma thèse à l’ISEA. Même si les échanges directs
entre Perroux et Bernis s’étaient un peu distendus, nous avions, via la
section « Économie» du CNRS, de fréquentes relations avec l’IREP
Grenoble créé par Bernis et qui était devenu l’un des plus importants
laboratoires de France dans ce champ disciplinaire. L’IREP et ses chercheurs ont par la suite joué un rôle majeur dans le mouvement qui, au
cours de la décennie soixante-dix, a vu la constitution et la structuration en France de l’économie industrielle : créations de l’ADEFI, des
rencontres de Chantilly, d’un Groupement CNRS, de la Revue d’économie industrielle, initiatives françaises se situant en continuité des
impulsions données par les Perroux, Byé, Bartoli, Bernis... et qui préfiguraient l’émergence d’une « école française de la régulation », communauté composite dont l’équipe grenobloise, liée à Bernis et ses collègues et élèves, a constitué une branche essentielle.
Deux derniers témoignages-souvenirs pour terminer ce bref hommage rétrospectif :
L’un concerne son attachement à la région méditerranéenne et plus
particulièrement à l’Algérie. Durant la décennie quatre-vingt dix, à la
suite du déchaînement de violences qui ont secoué ce pays et après
l’assassinat de maints intellectuels algériens (dont des élèves et amis
de Bernis), nous avions pris l’initiative de monter, à partir de l’IAM
Montpellier, un programme d’appui à des collègues en difficulté
(bourses, université d’été). Parmi les nombreux concours dont nous
avons bénéficié, j’ai eu le plaisir de compter les collègues grenoblois
(ainsi pour l’accueil du regretté Hamid Ait Amara).
L’autre concerne l’ISMEA et la revue Économies et Sociétés. Bernis, succédant à Perroux, a permis d’assurer la pérennité de cette vénérable institution et de cette non moins estimable revue qui fêtera dans
quelques années son millième numéro, ce qui constituera – et de loin –
le plus imposant gisement de publications dans le champ scientifique
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de référence. J’ai eu, pour ma part, la chance de participer à plusieurs
étapes de ce long parcours 1.
Le paradigme des « industries industrialisantes » ne constituait pas un
enfermement dans une vision sectorielle. Gérard de Bernis était parfaitement conscient de l’importance et du rôle majeur de l’agriculture et de
l’économie rurale dans les questions de développement. C’est pourquoi
il a sollicité, dès 1970, Michel Cépède, Louis Malassis et Joseph Klatzmann pour créer et diriger la série « Progrès et agriculture » au sein de
la revue Économies et Sociétés. Le choix de cette animation collégiale
avec trois professeurs venus d’horizons variés et porteurs de compétences scientifiques et d’expériences de terrain larges et complémentaires témoigne de l’esprit d’ouverture et du souci d’efficacité de G. de
Bernis. De fait, le triumvirat a fonctionné près de 20 ans (1970 à 1989).
Cette série, dite « AG » pour agriculture, suite à un dialogue complice et
fructueux entre les disciples perrouxiens rassemblés par G. de Bernis, a
accompagné les dynamiques théoriques et empiriques en prenant l’intitulé « Développement agro-alimentaire », série dirigée par Louis Malassis de 1990 à 1999. En 2000, la série a pris sa configuration actuelle sous
l’appellation « Systèmes agroalimentaires ». C’est là un témoignage de
la pertinence de l’édifice éditorial piloté par G. de Bernis.
À chaque étape de ce parcours parfois mouvementé, Gérard de Bernis et son équipe grenobloise – notamment Rolande Borrelly – se sont
montrés disponibles et créatifs, permettant à l’ISMEA et ses publications de continuer leur mission de production et diffusion de la
connaissance au service de l’homme et du développement des sociétés.
Pour cette vie si riche de réalisations, dont ce bref rappel ne constitue qu’un très modeste témoignage, Bernis restera une grande figure
dans notre esprit et dans notre cœur.
Roland Pérez,
en collaboration avec Jean-Louis Rastoin
1 Auprès de Pierre Tabatoni, au Centre d’économie industrielle de l’ISEA, et à la
série K « Économie de l’entreprise » avant son interruption en 1973 (avec le K11 sur
l’endettement) ;
– auprès d’Henri Savall qui a lancé une nouvelle série SG « Sciences de gestion » à
partir de 1979, revue qui est devenue totalement autonome (éditée par l’ISEOR) à partir
de 2001 ;
– auprès de Sylvain Wickham et de nos collègues P. Joffre et G. Koenig, pour la
renaissance de la série K après 2001 et sa diversification progressive : série KC (« études
critiques »), KF (« entreprise et finance »).
– auprès de Louis Malassis, qui avait repris la série AG « Progrès et Agriculture »,
devenue ensuite la série « Systèmes agro-alimentaires » animée par Jean-Louis Rastoin
et dont le présent numéro constitue la 33e livraison.
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