Marc Thomassey. HK3 ______________________________________________________________ 2012-­‐2013 Durkheim et le suicide (Roger Establet et Christian Baudelot, édition PUF, philosophies, 8ème édition 2011, 1ère édition : 1984) Dans l'introduction, les deux auteurs expliquent l'importance du travail de Durkheim sur le suicide dans son livre Le suicide dans les sciences sociales. Ils en décrivent brièvement le contenu en le présentant en quatre points. Ils expliquent enfin en quoi va consister leur lecture de l’œuvre de Durkheim dans ce domaine, notamment en testant la validité des tendances mises à jour par Durkheim. Enfin, le plan, dont est organisé le livre, est annoncé à la fin de l'introduction. Celui-ci est divisé en quatre grandes parties. Dans leur première partie, Christian Baudelot et Roger Establet expliquent qu'il faut saisir la théorie de Durkheim à travers les tableaux qu'il a réalisé, et qui se trouvent dans leur livre. Le début du chapitre rappelle d'abord que Durkheim n'avait pour moyen d'estimer le suicide que l'arithmétique. Trois tableaux sont présentés. Pour le premier, qui présente la constance du suicide en France en valeur absolu et en moyenne, les auteurs expliquent l'utilité des statistiques pour montrer que le suicide est un fait social, et non pas un cas individuel pour les causes qu'on invoque. Il s'agit dans le contexte d'une multiplication des statistiques au cours du vingtième siècle, de garder à l'esprit les facultés durkheimiennes d'étonnement. Le taux de suicide est ensuite défini comme un phénomène complexe et régulier, complexe et prévisible. Les premières comptabilisations du suicide du dix-neuvième siècle avaient déjà révélé des régularités des effectifs globaux du suicide. Les régularités mises au jour par Durkheim sont aussi présentées, comme celle du suicide et de l'âge. L'ensemble de ces régularités montrent que le suicide est un fait social. Les deux auteurs énoncent ensuite quelques phénomènes pouvant être inclus dans la définition de Durkheim, et précise que cette définition est exclusif, ce qui amène un paradoxe car certains des faits se déroulant dans la société ne sont pas nécessairement des faits sociaux et objets d'étude pour la sociologie. La définition durkheimienne du fait social semble en désaccord avec la prévisibilité et la régularité que présentent en réalité ces faits sociaux. Mais c'est parce que la société modèle par différentes contraintes les comportements individuels que la trace sur l'appareil statistique en est si peu capricieuse. D'où la nécessité d'utiliser les statistiques. Ensuite, les deux auteurs vont une explication sur le taux de suicide féminin du mercredi et présente un exercice que le lecteur peut réaliser. Cet exercice est de répartir les différents départements français selon leur taux de suicide en trois catégories différentes. Le deuxième tableau présente le taux de suicide des hommes et des femmes selon l'âge, leur état civil et leur lieu de résidence. Roger Establet et Christian Baudelot analysent ce tableau en présentant d'abord les causes souvent invoquées pour expliquer le suicide et qui sont réfutées par Durkheim. Là encore, les statistiques sont nécessaires pour pouvoir éliminer les facteurs d'hétérogénéité afin de mettre en évidence des corrélations entre le taux de suicide et d'autres variables, dans ce cas la famille. Les deux auteurs expliquent alors la composition du tableau et mettent en évidence quatre types de relations : le suicide et l'âge, le suicide et l'état civil, le suicide et le sexe, le suicide et le lieu de résidence. Cela amène à penser que la famille protège du suicide, par les liens forts que celle-ci créé entre les différents membres la composant. La famille fournit ainsi à Durkheim un modèle réduit de la société dans son ensemble. Après ces relations mises en évidence, le passage présente un extrait du livre de Durkheim sur le suicide, sur les relations entre des variables sociales et le suicide. Un second exercice est ensuite donné au lecteur sur le calcul des coefficients de préservation au suicide des hommes et des femmes selon le lieu de résidence et l'âge, avec en plus une précision sur la manière de calculer ce coefficient. Le troisième tableau servant à l'explication de Durkheim qui est présenté est celui qui montre les rapports entre le taux de suicide et le nombre de divorces suivant les pays. Avec ce tableau, les deux auteurs proposent aux lecteurs un troisième exercice ayant rapport avec ce tableau. Ensuite, ils présentent les explications de Durkheim, notamment sur le lien entre nombre de divorces et taux de suicide des mariés, avec les concepts de régulation et d'anomie. Mais ils montrent aussi qu'il existe un problème avec les effets différents exercés par l'anomie conjugale sur l'homme et la femme. Deux passages du livre de Durkheim sont alors utilisés dans le chapitre, révélant un manquement de Durkheim à son principe d'étude du social par le social. Roger Establet et Christian Baudelot expliquent cette situation par le fait que Durkheim fut confronté à une contradiction importante Marc Thomassey. HK3 ______________________________________________________________ 2012-­‐2013 qui est que « le desserre ment des contraintes traditionnelles ne rend pas les sociétés plus lumineuses, ni les individus plus épanouis ». A la page 43 est montré le tableau de la catégorisation des départements selon leur taux de suicide tel qu'il aurait été fait pour le premier exercice. Les deux pages suivantes terminent le chapitre et présentent le corrigé des exercices un et trois. La deuxième partie commence par la présentation des sources statistiques qui sont de deux types. Certaines, comme les séries de météorologie, sont incontestées. D'autres,comme la délinquance ou le suicide, sont plus contestées, à cause des possibles sous- ou sur-déclaration des populations. Mais les problèmes techniques dissimulent des enjeux de fond, de nature politique par exemple pour les immigrés. Mais la question se pose sur le suicide. Les deux auteurs expliquent que « s'attaquer aux chiffres du suicide pour s'en prendre à Durkheim n'est pas un mauvais », car les statistiques sont cœur de la sociologie durkheimienne du suicide et le principal outil de l'analyse. Ils décrivent ensuite les différentes raisons d'utiliser les chiffres du suicide, notamment le peu de prise directe que le phénomène offre à l'observation directe ou à l'entretien. D'autre part, les statistique permettent de présenter le suicide comme un fait social et non comme un événement psychologique individuel. Cependant, l'usage des statistique pose la question de leur fiabilité ou si elles cachent une dissimulation, et de leur homogénéité selon les régions et les pays. Or, sur ce point, ces questions ont souvent été tranchées et Durkheim, ainsi que d'autres sociologues qui le suivront, semblent accorder du crédit aux séries statistiques qu'ils ont étudiées, même si elles sont de sources différentes et que les nombres absolus sous-estiment l'ampleur du phénomène. Mais les détracteurs de Durkheim n'avancent pas plus de preuves empiriques à leurs critiques que Durkheim n'en avançait pour justifier sa confiance dans les statistiques. L'une des critiques les plus systématiques à la vision durkheimienne du suicide est celle du sociologue américain D.Douglas. Pour lui, il n'y a pas de définition universelle du suicide, et les écarts peuvent être importants entre les approches théoriques des sociologues et les données statistiques. Par ailleurs, il s'agirait d'un phénomène dont il est difficile de tenir une comptabilité exacte à cause d'une dissimulation plus ou moins importante selon les groupes sociaux et les moyens matériels, liées à des raisons morales. Enfin, les différentes sources statistiques ne coïncident pas entre elles. Pour examiner ces critiques, les deux auteurs rappellent et décrivent la définition durkheimienne du suicide. Ils donnent aussi une critique de cette théorie sur le fait qu'il existe un écart entre la théorie et ce que montre l'expérience, liée à la manière dont les institutions concernées par le phénomène le conçoivent. En outre, les personnes travaillant dans ces institutions, lorsqu'ils ont affaire à des morts suspectes, ont davantage la loi en tête que les notions de Durkheim. L'enjeu est aussi juridique et judiciaire. Néanmoins, malgré les limites de l'application de la définition durkheimienne du suicide, le phénomène est plus facilement définissable et mesurable par les statistiques, au contraire par exemple de la délinquance. En effet, alors que les données sur la criminalité sont à la fois biaisées et partielles, celles du suicide comptabilisent l'ensemble des cas de suicides, même si certains peuvent être mal catégorisés. Le paradoxe vient du fait que les chiffres du suicide passent facilement auprès du public au contraire de ceux du suicide. Revenant aux critiques de Doublas sur le fossé existant entre le suicide théorique et le suicide enregistré, Roger Establet et Christian Baudelot expliquent que les données enregistrées sur le suicide, sont en fait des « compétences différentielles à le dissimuler » (page 57). Ces critiques sont bien accueillies car elles reproduisent sous une forme savante et articulée l'ensemble des opinions forgées par chacun sur la question. Néanmoins, elles sont moins fondées sur les faits qu'il n'y paraît. En effet, elles supposeraient l'existence d'un consensus entre les institutions et les familles concernées sur cette dissimulation de certains suicides à l'échelle nationale, voire internationale. Or, étant donné les régularités statistiques sur le suicide mises en évidence, il faudrait admettre que l'ensemble des valeurs liées au suicide, au statut de la femme, à la richesse et aux statistiques soient les mêmes d'une époque à une autre, d'un pays à un autre. En fait, il n'est pas si facile de cacher un mort et les circonstances de son décès, notamment dans le cas d'un suicide. Les deux auteurs décrivent alors les différentes types de procédures administratives pour constater le décès. Le « circuit normal » débute avec l'officier civil, continue avec les médecins et se termine avec l'INSERM (Institut National de la Santé et de la Recherche médicale). Lorsque le médecin est confronté à un cas de mort violente, les autorités de police ou de gendarmerie se chargent d'enquêter sur les circonstances de la mort. Si l'enquête conclut que la mort est exclusif de tout Marc Thomassey. HK3 ______________________________________________________________ 2012-­‐2013 prolongement judiciaire », le circuit normal reprend. Dans le cas inverse, l'enquête de police est approfondie, avec une autopsie pratiquée sur le corps à l’Institut médico-légal qui établira le diagnostic final destiné aux autorités judiciaires. Les deux auteurs expliquent que toutes ces « circuits », notamment ceux concernant les cas de morts suspectes, sont possibles en France grâce à l'article 81, qui permet de déterminer les causes d'un décès violent dans certaines situations. D'autre part, les procédures administratives rendent impossible toute dissimulation de suicide, quelles que soient les circonstances. Certes, c'est une affaire privée, mais le constat du décès est public. En outre, les données statistiques présentées par les deux auteurs juste après dans la page 62, montrent que l'idée d'une dissimulation de suicides n'est pas très solide car les données sur le suicide sont très importantes. Par ailleurs, l'affirmation des détracteurs de Durkheim selon laquelle la propension à dissimuler le suicide accroît avec la réprobation du phénomène, est invalidée par des exemples données par les deux auteurs, notamment le taux de suicide important en Bretagne pourtant majoritairement catholique, et la faible proportion de suicidés dans le Midi qui avait été influencée par les éthiques protestantes, franc-maçonne et laïque. Ensuite, une autre des critiques portés à la portée de la pensée durkheimienne sur le suicide est que l’élévation du taux de suicide vient de l'amélioration technique des moyens d'enregistrement. Or, c'est l'inverse qui s'est produit, c'est-à-dire une stagnation, voire une régression de ces taux. Les régularités mises en évidence dans l'étude du suicide seraient biaisées. Les deux auteurs raisonnent cette critique et mettent en avant le fait que la dissimulation est avant tout celle des causes de la mort. Or, en mettant en évidence des données statistiques, celles des noyades de 1976 et des empoissonnements médicaux, ils montrent que l'idée de la dissimulation des suicides de femmes est exagérée. Ils en concluent que la dissimulation du suicide est un phénomène à l'ampleur limitée et que les biais qu'elle imprime sont bien évidents qu'on pouvait le supposer à première vue. La dernière critique pouvant être adressée aux sources statistiques du suicide sont qu'elles ne donnent pas la même estimation. Les deux auteurs présentent alors les deux principales sources de mesures du suicide que sont les Causes Médicales de Décès et l'administration de la justice criminelle. Ils expliquent ensuite les différences pouvant exister entre les deux types de recensement du suicide, notamment les causes des différences importantes existantes entre 1906 et 1961, liés au fait que la justice criminelle, à la différence des Causes Médicales de Décès, comptabilisait jusqu'en 1961 à la fois les suicides réussis et manqués. Néanmoins, la différence est par la suite assez faible. Cependant, des différences importantes entre les deux sources de comptage sont décrits peu après. Certaines de ces écarts, notamment celles au niveau national, sont défavorables pour les données de l'administration judiciaire, alors que d'autres au niveau local le sont pour les Causes Médicales de Décès. Roger Establet et Christian Baudelot expliquent ces différences par le fait que certains des suicides comptabilisés par l'administration judiciaire ne sont pas transmis à l'état civil. Cependant, il est impossible d'additionner les deux sources, car d'une part certains des suicides comptabilisés par la justice se retrouvent dans les comptes de l'INSERM. D'autre part, la gendarmerie et la police ne comptabilisent de la même manière les suicides à cause de leurs attributions territoriales et leur conduite professionnelle de ce fait. Cela implique une proportion de suicides comptabilisés plus importante dans les campagnes que dans les villes. La notion de dissimulation ne saurait donc tenir compte dans ces conditions de toutes les déperditions de l'enregistrement, ici dues au fonctionnement de l'administration. La solution pour corriger les écarts serait d'obtenir à terme des Instituts médico-légaux qu'ils transmettent à l'INSERM les résultats de leurs examens. Les deux auteurs mentionnent alors deux comptages de redressements statistiques réalisés en 1978 à Paris et en 1980 à Lyon. Les données obtenues dans ces régions fortement urbanisées montrent que les taux de suicide calculés ont été multipliés par deux. De manière globale, le nombre de suicide a augmenté de 25%, sans modifier les écarts entre sexe, âge, et catégories sociales urbaines. Les deux auteurs, de leurs précédentes analyses sur l'origine du sous-enregistrement des suicides, en déduisent deux éléments importants. D'abord, corriger les données et construire des tableaux ayant trait au suicide en France qui neutralisent les effets du sous-enregistrement. La seconde conclusion est qu'il faut faire une comparaison des relations entre suicide et contexte social observé avant la correction et après, qui ici montre que les différentes relations mises en évidence par Durkheim sont maintenues. Par conséquent, le sous-enregistrement n'affecte pas la nature et le sens des distributions du suicide. Ce qui change, c'est le niveau des suicides enregistrés d'un appareil statistique à un autre. « Tel aujourd'hui l'état des données Marc Thomassey. HK3 ______________________________________________________________ 2012-­‐2013 statistiques ayant trait au suicide » (page 73). Les deux auteurs concluent donc sur les statistiques ayant trait au suicide, en affirmant que le sous-enregistrement est d'abord lié à des problèmes techniques surmontables. En attendant, « on est contraint de composer avec les données existantes », ce qui empêche des comparaisons internationales, car cet exercice est assez périlleux à réaliser. En effet, chaque pays et chaque époque a son propre système d'enregistrement qui évoluent et s'améliorent selon des rythmes différents. Tenter des comparaisons serait faire de la spéculation. En revanche, il existe effectivement des régularités se retrouvant dans la plupart des pays, des époques et des sources statistiques. Il s'agit des variations du suicide selon l'âge, le sexe, l'état matrimonial et dans une certaine mesure, la catégorie sociale. Enfin, il existe un ensemble de phénomènes et de variations méritant d'être étudiées avec circonspection, notamment celles sur l'augmentation des suicides lors des crises ou de la montée du suicide des jeunes. Dans leur troisième partie, les deux auteurs considèrent les représentations qu'on a du suicide et le rapport qu'il y avoir ou pas avec le suicide comme fait social. Du coup, c'est l'occasion de comprendre ce que Durkheim appelait la prénotion d'un fait social observé de façon objective. De manière générale, les citoyens ne connaissent le suicide non pas par les statistiques, mais l'expérience directe, la lecture des journaux, la littérature et l'histoire. D'abord, les deux auteurs expliquent que l'expérience directe du suicide est limitée et socialement déformée pour deux raisons. D'abord, la comptabilité intuitive du suicide est souvent faussée par sa charge affective. La deuxième raison est que la généralisation est impossible à partir des cas directement observés par chacun parce que « la vie sociale est trop segmenté pour que l'environnement suicidaire d'une personne puisse être un échantillon socialement représentatif ». Ensuite, avant la mise en place d'une comptabilité systématique du suicide en 1826 par la justice, trop peu de personnes dans la population savait l'ampleur du phénomène ni sa contribution à la mortalité. Seuls les cas célèbres dans l'histoire parvenaient à la connaissance, comme les suicides d'Hannibal, de Brutus ou de Pichegru. Mais l'histoire donne une vision déformante du suicide lié au fait que l'histoire événementielle attribue à tous les événements de la vie d'une personnalité un cadre mythologique d'ensemble. Quant à la presse, elle donne une image partielle et biaisée du suicide en passant quasiment sous silence l'ensemble, à l'exception des cas particuliers liés au mode de perpétration, les caractéristiques sociales de la victime ou par la futilité apparente de la cause. Mais cette réticence et la différence entre le suicide du quotidien et les suicides quotidiens peuvent être expliqués par les conditions de travail du journaliste. D'abord, par son importance, le suicide ne pourrait être narré dans le cimetière imprimé car étant une mort individuelle, elle devrait être expliquée avec la même précision que les autres types de morts, ce qui occuperait une part importante des journaux. Ensuite, le suicide est un événement banal, sauf à quelques exceptions, comparé à l'homicide. De plus, l'homicide révolte le journaliste et ses lecteurs, alors que le suicide inquiète parce que le suicidé « refuse de jouer la partie du jeu social ». Seul le suicide d'exception est présenté, et sa visibilité extrême finit par masquer le suicide normal. Roger Establet et Christian Baudelot expliquent que le citoyen par les rares moyens précédemment énoncés de connaître le suicide, ne peut que se faire du phénomène qu'une représentation particulière. Aux pages 80 et 81, ils donnent des exemples de suicides énoncés dans le journal qui sont plutôt atypiques par leur déroulement. Enfin, ils expliquent le rôle de la littérature dans la vision du suicide. Ils présentent comme exemple le cas du suicide improbable d'Emma Bovary, parce qu'elle cumulait tous les facteurs de préservations du suicide défini par Durkheim. Mais Flaubert n'avait rien inventé ; il s'était inspiré d'un fait divers. La plupart des suicides littéraires partagent avec celui d'Emma Bovary son haut degré d'improbabilité. Il s'agit donc de suicides d'exception. De la part d'auteurs comme Goethe ou Musset, ce n'est guère surprenant car aucun de ces auteurs ne cherchaient à rivaliser avec l'état civil. En revanche, Zola ou Flaubert qui sont les « champions du réalisme et du naturalisme »(page 83), cherchant à décrire le plus précisément possible le suicide, décrivent des suicides qui se produiraient le moins suivant les critères définis par Durkheim. Cela amène à reconsidérer le réalisme sous un jour nouveau car ses objectifs se confondent avec ceux de la sociologie. Mais il ne suffit pas de reconstituer un événement réel avec une fidélité maniaque et un profond respect du détail pour parvenir à un tableau fidèle et représentatif des mœurs d'une société. Ainsi, dans le cas de Flaubert, en prenant la partie pour le tout dans le cas de Madame Bovary, Flaubert aurait commis une erreur en Marc Thomassey. HK3 ______________________________________________________________ 2012-­‐2013 retenant un échantillon non représentatif de la la réalité. En revanche, d'autres auteurs, moins soucieux en apparence de respecter la matérialité des faits ayant réellement existé, aboutissent à des descriptions plus conformes à la distribution réelle du suicide. Suit alors l'exemple de La Comédie Humaine de Balzac ou les Contes de Maupassant. Les deux auteurs concluent sur le fait que les écrivains les plus imaginatifs sont ceux qui retrouvent en recréant leur univers parallèle les régularités du suicide, au contraire des auteurs plus soucieux de réalisme. Dans leur dernière grande partie, les deux auteurs analysent la validité de l'analyse durkheimienne plus de cent ans après la parution du Suicide. Les deux auteurs présentent tous les données auquel il faut faire très attention, comme la fiabilité des sources ou les effets de structure. Un siècle après la parution des travaux de Durkheim sur le suicide, les phénomènes observés ont connu des évolutions diverses. Christian Baudelot et Roger Establet analysent d'abord ceux ayant connu des évolutions. Ils commencent d'abord avec les villes et les campagnes en présentant un tableau comparatif de 1975 du taux de suicide en fonction de la taille de l'agglomération et de l'âge. Après avoir donné des éléments poussant à la prudence, les deux auteurs mettent en avant le fait que le taux de suicide est à son maximum en zone rurale et à son minimum à Paris. Il y a donc eu une inversion du rapport entre la fin du dix-neuvième siècle et aujourd'hui. De même, l'étude du tableau 10 sur le taux de suicide selon l'âge et la catégorie socioprofessionnelle montre une inversion du rapport de ce taux de suicide vis-à-vis de ces catégories par rapport à la fin du dix-neuvième siècle, lorsque Durkheim disait que la « misère protège ». Ensuite, les deux auteurs étudient les évolutions du taux de suicide selon les régions, en précisant que les deux cartes utilisées pour la comparaison ne sont pas rigoureusement semblables. La comparaison de ces deux cartes et une troisième servant de montrer les évolutions du taux de suicide des régions selon l'évolution de leur rang par catégorie met en évidence cinq éléments. Le premier est le maintien d'une opposition entre le Nord de la France et le Sud. Le second révèle un recul du suicide dans les départements urbains et riches, comme ceux d’Île-de-France. Il existe aussi un maintien de taux de suicide élevés dans le Nord-Est et en Normandie. Enfin, il y a une progression du suicide en Bretagne et dans les départements du Centre. Ces différentes évolutions sont liées soit à l'attractivité des régions, soit aux professions présentes dans ces départements. Les deux auteurs concluent sur ces évolutions qu'elles permettent d'enrichir dans un sens culturel l'explication donnée par Durkheim en terme d'intégration. Le régime du suicide n'a évolué que dans la mesure où les valeurs sociales ont évolué. Le modèle culturaliste présenté collerait assez bien et aux données produites par Durkheim et aux statistiques actuelles. Les deux auteurs analysent ensuite ce qui a été le cœur de l'explication durkheimienne : la famille. Ils mettent d'abord en évidence le fait que quel que soient les données, les faits les plus robustes sont ceux qui mettaient en évidence le fait, comme Durkheim l'a compris, que considérer le suicide comme fait social revenait à faire une microsociologie de la famille. Les mêmes résultats sont observés aujourd'hui comme au dix-neuvième siècle. Les deux auteurs se posent alors la question d'intégrer dans cette explication microsociologique le sexe et l'âge, puisque que l'état matrimonial et ces deux autres variables agissent sur le suicide de manière très régulière et universelle. Ils reformulent alors une explication unique tirée de Durkheim selon laquelle un individu est protégé du suicide en fonction du nombre et de la profondeur de ses relations qu'il noue avec son milieu familial. Ainsi, la différence entre les hommes et les femmes serait liée au fait que les hommes de manière générale est souvent rattaché aux gens de sa génération et ont donc plus de risques à la solitude, alors que la femme assure souvent la continuité intergénérationnelle. A la page 103, une figure met en évidence les tendances récentes du taux de suicide chez les hommes et chez les femmes. Après avoir expliqué brièvement la raison de considérer l'impact de la variable du sexe des individus sur le suicide comme fait social, Roger Establet et Christian Baudelot décrivent la raison d'inclure l'âge dans l'explication microsociologique. D'abord, ils expliquent que grâce aux études du vingtième siècle, les sociologues comme eux savent que l'âge est non seulement une réalité physiologique ou psychologique mais est aussi une résultante de facteurs sociaux. Résumant une expérience pédagogique sur une explication de la vieillesse comme diminution de la personne dans sa situation suivant la catégorie. Cette explication est démentie par les données du suicide. L'échec de l'explication serait liée au fait que les personnes âgées n'ont pas la même « quantité d'existence » que les jeunes et auraient plus de facilité à le Marc Thomassey. HK3 ______________________________________________________________ 2012-­‐2013 faire, car ce sacrifice est plus léger. Ces justifications peuvent se rattacher aux explications des deux auteurs. Les deux auteurs donnent aussi une explication plus souple du « suicide égoïste ». Ils expliquent aussi qu'étendre ces explications à la macrosociologie est risqué si on distingue pas le social de la psychologie. Ils donnent ainsi l'exemple de la difficulté à établir un lien entre suicide et chômage. Cette difficulté est liée au fait que le chômage n'agit sur le suicide qu'au travers du milieu primaire dans lequel vivent les individus, notamment la famille. Le chômage n'agit qu'en désintégrant ce milieu. Par conséquent, les milieux primaires jouent le rôle de médiation entre le suicide et des forces relevant de la macrosociologie comme la guerre ou le chômage. Les deux auteurs concluent sur le fait qu'il serait tentant de faire un modèle explicatif d'ensemble, mais que ce travail de traiter l'ensemble des données éparses liées à la macrosociologie serait long à réaliser. Dans leur conclusion, Roger Establet et Christian Baudelot expliquent que l'œuvre de Durkheim sur le suicide résiste au temps, car l'ensemble des relations mises en évidence par Durkheim de son temps sont encore d'actualité. Ils donnent des exemples de faits qui peuvent « égaler l'éclairage durkheimien du suicide », comme les déterminants sociaux du vote politique ou la réussite scolaire. Tous ces faits impliquent des acteurs sociaux et ne peuvent être saisis que par des indicateurs sérieux dont celui de l'appareil statistique. Par cet acquis, la théorie d'ensemble proposé par Durkheim peut être reconsidéré. Dans l'explication durkheimienne, deux concepts occupent une place particulière, en organisant tous les résultats : l'intégration, la réglementation. Les deux auteurs vont les présenter de manière plus précise dans la conclusion que durant l'ensemble du livre. D'abord, ils définissent les concepts en montrant en un premier temps les emprunts de la pensée durkheimienne au vocabulaire biologique et médical. En précisant la raison de ces emprunts, ils expliquent que la société présente deux manières d'intégrer pour sauvegarder son unité face aux différences individuelles. La première forme est de nier ces différences en imposant à chacun un comportement uniforme. Cette forme aboutit à la solidarité mécanique. La seconde forme d'intégration est d'exploiter les différences individuelles en utilisant à des fins sociales les particularités individuelles. Ce second type d'intégration mène à la solidarité organique. La distinction entre ces deux types d'intégration permettent de comprendre les suicides « égoïste » et « altruiste ». Le suicide altruiste est caractéristique des sociétés à solidarité mécanique ou de ce qu'il en reste dans les sociétés modernes comme l'armée, c'est-à-dire que le suicide peut résulter de la tendance collective à l'oubli de soi. A l'inverse, les sociétés plus modernes à solidarité organique sont davantage caractérisées par le suicide égoïste. Dans le cas du concept de réglementation, quelles que soient les formes de sociétés, il n'y a qu'une seule forme. La société doit toujours imposer des limites aux désirs infinis de l'individu et lui faire prendre les impératifs de son rôle social. Dans les situations où la société n'arrive plus à réglementer, comme lors de crises, le suicide anomique se développe. Ensuite, il est question de la théorie de Durkheim en tant que métasociologie, à cause du fait qu'elle est au-delà ou en deçà du fait social défini par Durkheim. La force de Durkheim est d'avoir mis en place un dispositif théorique ambitieux à l'épreuve des faits, qui passe d'abord par la nécessité de construire les faits eux-mêmes. Cette démarche amène des perturbations de trois types. Le premier est la restriction du champs d'étude, excluant toute contradiction interne liées à l'opposition individu/société. Les deux auteurs considèrent qu'il est possible d'intégrer certains phénomènes liés à l'âge et au sexe et qu'un fait concret comme le suicide et ses variables peuvent relever simultanément de deux disciplines différentes, telles la sociologie et la psychologie, qui ne les envisagent sous le même angle. La deuxième perturbation est liée au pronostic alarmiste de Durkheim qui s'est révélé non concordant avec les faits actuels. L'erreur de Durkheim fut de considérer abstraitement aussi bien la microsociologie que la macrosociologie. Sa sociologie est non seulement unitaire mais aussi trop simple. De plus, à vouloir chasser les contradictions de sa théorie, il les introduit dans son exposé. Le concept d'intégration a une telle évidence que Durkheim ne songe pas à lui donner une dimension empirique. Les deux auteurs expliquent en exemple que les communautés catholiques et protestantes ne sont pas plus ou moins intégrées mais connaissent deux types d'intégration différentes, de forme de contrôle sur l'individu. La difficulté majeure des explications de Durkheim est de considérer tantôt l'intégration comme une variable quantitative à deux modalités, tantôt comme une variable quantitative susceptible de plus ou de moins. Enfin, ils présentent trois passages de la Division du Travail Social de Marc Thomassey. HK3 ______________________________________________________________ 2012-­‐2013 Durkheim sur la solidarité mécanique et la solidarité organique et son exemple pour illustrer le suicide égoïste pour mettre en évidence le fait que les formes modernes de l'intégration produisent une intégration par différence plus forte et non moindre comme le pensait Durkheim. Ils concluent que la diversité qualitative des formes de cohésion sociale est une idée féconde même si le dualisme durkheimien entre solidarité mécanique et solidarité organique est réducteur à l'excès. Ils donnent comme conseil aux continuateurs de Durkheim d'entreprendre avec plus d'ouverture une investigation sur les formes de cohérence et de sociabilité caractérisant les groupes humains. Dans cette logique, l'analyse du suicide peut servir de fil directeur. La fin du livre présente un vocabulaire des concepts présentés dans le livre et deux index, un sur les notions et un sur les noms.