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cette présence de la science dans le conte en reste bien souvent au stade
de la « réfraction ». Les exemples sont donc rares ; le plus évident étant
Micromégas de Voltaire, inspiré par la physique newtonienne. Moins
connu , Amilec, ce « roman-conte » de Tiphaigne de la Roche, constitue
pratiquement un hapax dans le paysage tant littéraire que scienti que de
l’époque, à l’image de son étonnant auteur: il s’agit d’une véritable ction
merveilleuse à vocation scienti que, c’est-à-dire qu’elle réussit l’alliance
de la visée démonstrative du discours scienti que et de l’émerveillement
propre au conte. C’est ce que permet le motif du rêve, que l’on peut lire
comme un avatar de celui du voyage —généralement usité dans les ctions
à vocation scienti que des e et esiècles— en tant qu’il autorise le
déplacement du discours sur un autre plan.
Dans L’Optique des mœurs opposée à l’optique des couleurs , Boureau-
Deslandes fonde sa ction orientale sur la vogue de l’optique newtonienne
en . Mais le déplacement géographique sert davantage la portée sati-
rique du texte qu’une indécidable éventuelle visée démonstrative. En ,
le même auteur avait fait paraître Pygmalion ou la statue animée, réécriture
du mythe ovidien qu’il investissait, comme à son habitude, de sa verve
satirique et libertine. Mais le libertinage de mœurs y rejoint clairement la
philosophie matérialiste et sensualiste. Si la déesse Vénus est bien à l’origine
de la métamorphose, elle semble juste fournir le moyen de représenter le
passage de la matière inerte à la matière sensible, puis pensante, conformé-
ment à la thèse de l’auteur. Rappelons que Deslandes était un scienti que
de formation, qu’il fut reçu élève géomètre à l’Académie des sciences en
, membre de l’Académie des Sciences de Berlin, auteur de di érents
traités comme son Recueil de di erens Traitez de Physique et d’Histoires
Naturelles, propres à perfectionner ces deux sciences paru en , et surtout
l’Histoire critique de la philosophie (). Contrairement à la statue de
Condillac, par exemple, celle de Boureau-Deslandes se donne à lire comme
un texte complet, et non comme un prologue imagé à un ouvrage de
. Voir, A.Defrance « La réfraction des sciences dans le conte de fées », ibid.
. Moins connu, certes, Tiphaigne est cependant de plus en plus étudié. Voir notammentl’article
de P.Vincent dans Fééries n°, les actes du colloque « Charles Tiphaigne (de la Roche) et les ambiva-
lences du merveilleux moderne » organisé par Y.Citton à Grenoble les et mars (à paraître
prochainement dans la collection « Mirabilia » des PUB), ainsi que le chapitre que je lui consacre
dans « Les Fictions à vocation scienti que », p.-. Signalons aussi qu’une équipe dirigée par
Jacques Marx travaille actuellement à l’édition de ses œuvres complètes chez Garnier.
. L’Optique des mœurs opposée à l’optique des couleurs, Londres, Samuel Harding, . Signalons
que le texte a été réédité dans la revue Féeries, n°, -, p.-, par B.Roukhomovsky.
. U.Boskamp, « L’arc-en-ciel de Joseph-Marie Vien, Oracle d’une théorie de la couleur », dans
T.W.Gaehtgens (éd.), L’Art et les normes sociales au XVIII
esiècle, Paris, Éditions MSH, , p.-.