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Deuxième questionnaire pour Martin Winckler le 10 mai 2012
1)-" Vous êtes vous inspiré de patients que vous avez soignés ? En d'autres termes, avez –
vous raconté de vraies histoires médicales ? "
Parfois.Mme Renard a pour origines deux patientes agglomérées en une seule.J’avais un
patient ressemblant à M.Guénot, venant chaque mois au cabinet alors que ce n’était pas
nécessaire.Les histoires des vraies patients sont transposées.A partir d’une seule vraie
personne, je peux créer plusieurs personnages.
2)-Comment pouvez-vous expliquer cette passion pour la médecine ?
Nous sommes des animaux devant s’adapter à notre environnement.Nous pouvons même
changer notre environnement.Devant l’évolution, le vivant affronte trois nécessités :
-survivre jusqu’à l’âge adulte : nourriture, habitat
-se reproduire (transmettre des gènes)
-coopérer avec les autres
Une des formes de la coopération est l’instinct du soin envers les autres.
Je me considère plus comme un soignant que comme un docteur.
3)-¨Pourquoi êtes-vous le 1er médecin à avoir parlé de la maladie de Sachs alors que celle-ci
est très fréquente ?
La maladie de Sachs correspond au burn-out du soignant qui s’oublie soi-même.On sait que
cela existe depuis 40 ans. Les médecins éprouvent des difficultés émotionnelles à prendre
en charge les patients.
Je voulais écrire sur la vie d’un médecin de famille et montrer qu’un médecin est un homme
comme les autres. « relation »= aussi raconter.Il n’y a pas beaucoup d’écrivains-médecins
en France, contrairement aux USA et au Canada.
4)-Pourriez-vous écrire un roman sur un métier que vous n’exercez pas ?
J’ai écrit un roman policier : cela demande de la documentation. J’ai aussi rédigé un roman
de science-fiction Numéro 7 : le personnage principal est un pilote d’hélicoptère et j’ai
interviewé une amie qui exerce cette profession.
Il faut connaître les vrais problèmes d’un lieu pour le rendre intéressant.
En revanche, on n’a pas besoin de parler d’un milieu professionnel dans un roman : cf CrocBlanc de Jack London.
Pour écrire, il faut beaucoup lire.
5)-Pourquoi avoir fait de Bruno quelqu’un d’aussi renfermé ?
Bruno ne parle pas beaucoup mais écoute les autres, il entend des tas d’horreurs.Pendant
ses études, il parlait souvent et fort. Son côté renfermé est lié à la manière dont il vit son
métier.
6)-Pourquoi faire parler les patients à la 2ème personne « tu » pour désigner le médecin ?
Bruno ne peut pas être dans la tête des patients.Je ne voulais pas d’un narrateur
omniscient.Chacun parle à son tour, en fonction du degré d’intimité avec le docteur : « il »
(plus distant), « vous », « tu »...
7)-Allez-vous écrire un autre roman sur la médecine ?
J’ai déjà écrit 4 romans sur la médecine :
-La Vacation (dans un centre d’IVG)
-La Maladie de Sachs
-Les 3 médecins (remake des Trois Mousquetaires dans une faculté de médecine française
des années 1970)
-Le Choeur des femmes.
Je vais en écrire un 5ème, probablement Les 7 soignants.
J’ai en projet 3 autres romans où seront présents des médecins.
8)-Vous êtes-vous inspiré de vos consultations chez le médecin quand vous étiez enfant ?
Mon père était médecin, il me soignait à lamaison.
9)-Comment avez-vous construit le portrait de Bruno ?(fiche préalable au roman, quels traits
de caractère ?)
La construction du personnage a été progressive. J’avais dessiné le plan du livre en le
découpant suivant un ordre chronologique mais les choses ont évolué peu à peu.Ray
Markson devait mourir de sa leucémie, puis j’ai décidé qu’il pouvait y survivre.
10)-Etes-vous atteint par cette maladie ?
Je l’ai été.Cette maladie arrive surtout aux médecins seuls, ne pouvant pas parler aux
autres.Des médecins et autres soignants m’écrivent régulièrement pour me dire que ce livre
les a aidés à guérir.Les 7 soignants parlera des groupes de paroles Balint du nom de
Michael Balint.
11)-Pourquoi dans « Le chœur des femmes » avoir choisi comme personnage principal une
femme et , de surcroît, très différente de Bruno ?
J’ai écrit ce roman en arrivant à Montréal. Je me demandais comment raconter des
consultations avec des femmes. J’ai choisi une étudiante pour cela. Cette femme a été
masculinisée par les études de médecine et elle redécouvre sa féminité au contact des
autres femmes.Dans les séries télévisées, c’est souvent le novice qui prend en charge le
point de vue, il représente le spectateur.C’est à lui qu’on raconte ce qui se passe.
12)-Pourquoi construisez-vous vos romans autour des histoires des patients et du personnel
médical ?
On écrit des livres qu’on aurait envie de lire mais qui n’ont jamais été écrits avant nous.Ces
romans montrent de l’engagement. En France, beaucoup de patients ne sont pas écoutés
correctement.
13)-N’est-ce pas dur de vous y retrouver en écrivant sur autant de personnages ?
Il faut se relire souvent.Mes livres sont très longs.Lire signifie se reprendre, se corriger.
Ecrire est comme un puzzle.Le premier jet consiste à vider la boîte sur la table puis il faut
tout assembler.
14)-Lors d’une discussion téléphonique avec Diego, Bruno lui demande quel est « le pire
piège » dans le métier de médecin et celui-ci lui dit « la……ssion » : quel est ce mot ?
Il s’agit de la transgression, c’est-à-dire le fait d’entretenir des relations intimes entre un
médecin et un patient, ce qui instaure une relation de pouvoir dangereuse qui n’a pas lieu
d’être. Aux USA et au Canada, c’est interdit.
15)-Le secret médical ne vous complique-t-il pas la vie pour écrire vos romans ?
Non car tout est modifié et mélangé.Personne ne s’est encore jamais plaint auprès de
moi.Dans un livre ou un film, on reconnaît toujours quelqu’un.
Dans La Maladie de Sachs, tous les personnages portent un nom d’écrivain (Renard comme
Jules Renard, Leblanc comme Maurice Leblanc...) , sauf un, ce qui leur donne une sorte
d’anonymat.Ce sont de surcroît des personnages composites.
16)Avez-vous éprouvé du dégoût envers vos confrères au début de votre carrière comme
Bruno Sachs ?
Le pamphlet « Nous sommes tous des médecins nazis » reflète un ressenti en tant
qu’étudiant. Les médecins se sentent souvent supérieurs aux patients, ils les prennent de
haut et ne répondent pas à leurs questions.Mon père était un médecin bon et rassurant.Dans
les facultés de médecine, on maltraite les étudiants.
17)Continuez-vous normalement votre carrière de médecin tout en étant célèbre ?
Je n’ai jamais cessé d’exercer la médecine mais actuellement je suis enseignant-chercheur,
car je n’ai pas encore le droit d’exercer au Québec.Il faut des équivalences.
18)Quand avez-vous commencé votre carrière de médecin ?
J’ai commencé mes études médicales à l’âge de 18 ans .J’ai été interne et responsable de
patients en 1980 à 25 ans. Je travaillais avec des infirmières. Je me suis installé dans un
cabinet médical à 28 ans.
19)Vous êtes-vous inspiré d’une amitié forte pour inventer celle entre Bruno et Ray ?
Je me suis inspiré de trois amis au total, dont 2 Américains. Di-Ego est mon alter ego même
si je ne suis pas gay. Di-Ego= le 1ème ego.
20)Quelle est la suite de la vie de Bruno ?
Bruno part au Canada (cf Le Choeur des femmes), il fait de l’enseignement et devient leader
d’un groupe Balint.
21)Pourquoi terminer le roman sur l’anecdote de l’appel de Mme Serling ?
A l’époque, le téléphone était à cadran, non à touches.Souvent , les personnes âgées, avec
les doigts douloureux, se trompaient de numéro, et en plus elles sont souvent sourdes, ce
qui crée un running gag. Mais le sens est plus profond car la dernière partie du roman parle
de la mort (mort du docteur Boulle, mort d’un patient, certificat de décès).Mme Serling est
décédée et voulait laisser un message à son fils Edmond.Elle cherchait la réconciliation ; Cf
le grand-père d’Annie qui laisse des papiers à Annie et son gendre.C’est une voix de l’audelà errant dans les lignes téléphoniques jusqu’à ce qu’elle trouve son fils. Edmond Bouadjio
peut recevoir le message.Cet irrationnel a un sens. Dans Le Choeur des femmes, le
personnage ambivalent de René(e) dans les sous-sols de l’hôpital constitue aussi un
élément fantastique.C’est aussi une manière de donner de l’importance à l’associé du
docteur Sachs.
22)Est-ce que la mort de son confrère pouvait donner des idées suicidaires au docteur
Sachs ?
J’ai un ami médecin généraliste qui s’est suicidé en s’immolant par le feu dans un bois. On
n’est pas sûr que la mort du docteur Boulle soit due à un suicide. Il s’est peut-être endormi
au volant du fait de la fatigue. Bruno va être heureux, lui. Il va avoir des jumeaux.
23)Est-ce que le fait d’avoir des enfants le guérit ?
C’est le contraire.Les enfants ne sont pas une thérapie.C’est parce que Bruno se sent mieux
qu’il est capable d’avoir des enfants.
Sa thérapie consiste à écrire, à ne plus travailler seul.
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