FLAMMARION
MÉDECINE
-
SCIENCES
ACTUALITÉS
NÉPHROLOGIQUES
2002
LES MALADIES RÉNALES GÉNÉTIQUES :
DES PROGRÈS MÉDICAUX
À LEURS CONSÉQUENCES ÉTHIQUES
par
J.-P. GRÜNFELD*
Des progrès considérables ont été accomplis depuis trois décennies dans les mala-
dies génétiques, y compris dans les maladies génétiques rénales. Ces progrès sont
flagrants dans les maladies monogéniques rénales et les gènes en cause ont été iden-
tifiés dans la plupart d’entre-elles. Ce « triomphalisme » demande à être tempéré.
Certaines maladies rénales héréditaires restent encore mal identifiées et faute
d’une bonne caractérisation clinique, ces familles ne sont pas l’objet d’études de
génétique moléculaire. Malgré les progrès du Projet Génome Humain, il reste
encore quelque 4 000 gènes de maladies monogéniques à identifier [1]. Sans claire
description du phénotype, l’analyse du génotype est vaine.
• Dans les maladies monogéniques, la mutation d’un seul gène dans une famille
donnée entraîne la maladie mais l’hétérogénéité génétique vient compliquer la
situation : des mutations de plusieurs gènes, dans des familles différentes, peuvent
aboutir au même phénotype. L’exemple le plus frappant est celui du syndrome de
Bardet-Biedl où 6 locus génétiques différents ont été identifiés. Trois gènes sur
six ont été jusqu’à présent caractérisés. Cette hétérogénéité pouvait suggérer soit
que la classification clinique était insuffisante et que des particularités cliniques
étaient passées inaperçues, soit que ces différents gènes interagissent en cascade
dans une voie physiopathologique commune pour conduire à un même phénotype.
Cette dernière hypothèse est confortée par l’observation très intrigante faite par
Katsanis et coll. [2] et commentée par Burghes et coll. [3] d’une hérédité tri-allè-
lique dans ce syndrome : par exemple, parmi huit familles avec des mutations
récessives touchant les deux allèles de BBS6, trois avaient également une mutation
d’un allèle de BBS2. Les auteurs proposent que les trois allèles mutés agissant de
concert sont responsables de la maladie ; il n’ y a pas d’argument en faveur d’un
* Hôpital Necker, Service de Néphrologie, Paris.
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effet « gène modificateur » qui ne ferait que moduler le phénotype. Ces observa-
tions ouvrent de nouvelles perspectives pour faire le pont entre l’hérédité mendé-
lienne et l’hérédité multifactorielle.
Enfin l’identification du gène et des mutations n’est qu’une étape : une grande
partie du travail reste à faire, comprendre les mécanismes des maladies génétiques
et concevoir des traitements. Cette ère de l’après-génome a débuté. Les difficultés
rencontrées sont illustrées dans la polykystose rénale autosomique dominante
(ADPKD) où les deux gènes principaux PKD1 et PKD2 ont été clonés, respecti-
vement en 1994 et en 1996, et où on comprend encore si mal les liens entre les
mutations de ces gènes et la formation des kystes rénaux (une structure pourtant
rudimentaire, comportant une paroi épithéliale et une cavité remplie de
liquide…). Le triomphalisme que j’évoquais plus haut, tenait au fait qu’on ima-
ginait que l’identification du gène et de ses défauts conduirait directement à
comprendre le mécanisme de la maladie. C’est ce qui s’est passé pour les maladies
héréditaires métaboliques où connaissant tout d’abord l’enzyme déficiente, on est
remonté au gène et revenu ensuite à la maladie en concevant un traitement enzy-
matique substitutif, comme l’
α
-galactosidase A humaine dans la maladie de Fabry
[4, 5]. Malheureusement, la tâche est plus ardue dans d’autres maladies hé
rédi-
taires comme l’ADPKD car les partenaires sont multiples et s’intègrent dans une
cascade d’événements jusqu’à présent mal compris.
Les progrès dans les maladies héréditaires rénales ne relèvent pas aujourd’hui
de la seule pratique des tests génétiques. Les progrès de l’imagerie (échographie,
scanographie et IRM) ont bouleversé l’exploration et le traitement des kystes hépa-
tiques et des anévrismes cérébraux dans la polykystose rénale autosomique domi-
nante. Dans le syndrome d’Alport, les progrès de la génétique moléculaire ont
conduit à concevoir des tests simples utilisant l’examen en immunofluorescence
sur des fragments biopsiques du rein ou de la peau.
COMPRENDRE LE MÉCANISME
DES MALADIES GÉNÉTIQUES :
DES IMPLICATIONS BIEN AU-DELÀ DE LA GÉNÉTIQUE
Les progrès acquis en génétique médicale ont des implications bien au-delà des
malades rénales héréditaires [6] ; ils débouchent sur la compréhension de mécanis-
mes bien plus généraux. Quatre exemples l’illustrent. La maladie de von Hippel-
Lindau (VHL) est une maladie autosomique dominante rare ; elle expose notam-
ment au carcinome rénal à cellules claires, souvent bilatéral et multifocal ; 30 à
60 p. 100 des malades en sont atteints. Le gène VHL a été localisé en 3p25 puis
cloné en 1993 ; il appartient au groupe des gènes suppresseurs de tumeur. Fait
remarquable, des lésions moléculaires de ce gène ont été mises en évidence dans
plus de 80 p. 100 des carcinomes rénaux
sporadiques
à cellules claires, soulignant
le rôle primordial de ce gène dans la carcinogenèse rénale. Par la suite ont été
découverts plusieurs partenaires moléculaires de la protéine VHL, dont les élongi-
nes et le facteur induit par l’hypoxie (
hypoxia-inducible factor,
HIF1
) dont la pro-
téolyse requiert la protéine VHL intacte |7]. Lorsque cette protéine est mutée, la
dégradation des ARNm induits par l’hypoxie, dont le VEGF (
vascular endothelial
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RÉNALES
GÉNÉTIQUES
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growth factor
), est diminuée, entraînant l’hypervascularisation des tumeurs obser-
vées dans la maladie.
La néphropathie à dépôts intercapillaires d’IgA, ou maladie de Berger, est la
glomérulonéphrite chronique primitive la plus fréquente dans le monde. On sait
depuis longtemps que plusieurs cas peuvent être observés dans une même famille
[8] alors que dans la plupart des cas la maladie est sporadique. Son mécanisme
reste très mystérieux. Un locus génétique a été identifié dans 18 familles atteintes
[9] (
voir le texte de
Gharavi et coll.). Le gène devrait être cloné prochainement.
La fonction de ce gène devrait non seulement nous renseigner sur le mécanisme
de la maladie héréditaire, mais aussi et surtout fournir des pistes de recherche pour
la maladie sporadique.
Le troisième exemple concerne les multiples gènes impliqués dans le dévelop-
pement rénal, conservés dans l’évolution des espèces, de la mouche et du ver aux
mammifères (Pax2, WT1, HNF1-
β
, etc.) dont la fonction a été mieux analysée à
partir de l’étude des mutations observées dans des familles atteintes de syndrome
rein-colobome, de syndrome de Denys-Drash, etc. (Tableau I) [10, 11].
Le quatrième exemple est l’hypertension artérielle (HTA) dite essentielle. Plu-
sieurs gènes codant divers canaux et transporteurs tubulaires rénaux ont été clo-
nés, la plupart touchant le transport du sodium. Les maladies rénales
correspondantes, par perte de fonction ou par hyperactivation, ont été reconnues
(syndromes de Liddle, de Gitelman, de Bartter, de Gordon etc.). D’autres protéi-
nes sont impliquées dans la transformation du cortisol en cortisone inactive, et le
déficit en 11
β
-hydroxystéroïde déshydrogénase aboutit à l’occupation « illégi-
time » du récepteur minéralocorticoïde par le cortisol. Tous ces gènes, comme
ceux du sytème rénine-angiotensine-aldostérone, sont à l’étude dans l’HTA essen-
tielle pour savoir si certains polymorphismes, en s’additionnant, ne pourraient pas
être à l’origine de l’élévation tensionnelle [12-15].
L’étude des maladies rénales héréditaires vient enrichir nos connaissances au-
delà de la génétique : à partir d’une maladie héréditaire rare, on identifie sa base
moléculaire ; à partir de la protéine isolée, on détermine ses partenaires et dans
quels phénomènes biologiques elle est impliquée ; on débouche finalement sur un
mécanisme cellulaire plus général. C’est lorsque la génétique moléculaire et la bio-
logie cellulaire se rencontrent et se fécondent que les progrès sont les plus rapides
et le domaine d’application le plus vaste.
TABLEAU I. — LES GÈNES DU DÉVELOPPEMENT ET LES MALADIES RÉNALES CORRESPONDANTES.
GÈNE MALADIE/SYNDROME
PAX2
WT1
EYEA1
LMWB
JAGGED1
HNF-1β
Rein-colobome
Denys-Drash ; Frasier
Branchio-oto-rénal (BOR)
Ostéo-onycho-dysplasie
Alagille
MODY 5
Maladie glomérulokystique
MODY : Maturity-Onset Diabetes of the Young
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GRÜNFELD
CLASSIFICATION MOLÉCULAIRE
DES MALADIES GÉNÉTIQUES
Les progrès de la génétique moléculaire servent la génétique clinique, et vice-
versa. Ils ont permis à partir de « syndromes » de définir des « maladies ». Ainsi
le syndrome d’Alport, qui a été décrit pour la première fois en 1927 et qui associe
néphropathie et hypo-acousie, est en fait constitué de plusieurs entités définies par
différents défauts moléculaires. Le syndrome d’Alport, au sens contemporain du
terme, est dû à des anomalies du collagène de type IV qui est un des constituants
principaux des membranes basales, dont la membrane basale glomérulaire. Dans
la forme la plus fréquente liée à l’X, le gène COL4A5 qui code la chaîne
α
5 du
collagène de type IV, est le siège de mutations. Dans la forme autosomique réces-
sive, les mutations touchant les gènes COL4A3 ou COL4A4 qui codent les
chaînes
α
3 et
α
4. Ces mêmes chaînes sont impliquées dans les exceptionnelles
formes dominantes.
Dans les familles où coexistent une néphropathie et une léiomyomatose diffuse,
touchant notamment l’œsophage, le défaut moléculaire est une large délétion tou-
chant deux gènes contigus sur le bras long du chromosome X, codant les chaî-
nes
α
5 et
α
6 du collagène de type IV. Pendant longtemps, on a considéré que
l’entité autosomique dominante associant néphropathie, surdité et macrothrombo-
cytopénie, appartenait au syndrome d’Alport. On sait depuis peu qu’il n’en est rien
et que cet ensemble est caractérisé par des mutations d’un gène MYH9, codant
une chaîne lourde d’une myosine non musculaire, alors que le collagène IV est
intact [16, 17].
La génétique moléculaire est un remarquable outil pour classer les maladies
génétiques. Il est clair que le démembrement du syndrome d’Alport a des consé-
quences cliniques, par exemple pour le conseil génétique ou le don du rein dans
les familles atteintes.
TESTS GÉNÉTIQUES DANS LES MALADIES HÉRÉDITAIRES :
QUELLE PERTINENCE CLINIQUE, QUELLES PRÉCAUTIONS,
POURQUOI DES ÉQUIPES PLURIDISCIPLINAIRES
DE GÉNÉTIQUE RÉNALE ?
Les tests génétiques (étude de liaison ou recherche de la mutation) ont un intérêt
différent selon la présentation clinique de la maladie et son mode de transmission.
Dans les maladies liées à l’X, l’intérêt majeur est de permettre l’identification fia-
ble des femmes hétérozygotes qui peuvent être « asymptomatiques », sans anoma-
lies décelables : en fait cela est rarement le cas dans les maladies avec atteinte
rénale ; dans le syndrome d’Alport lié à l’X, la plupart des femmes hétérozygotes
ont une hématurie microscopique ; dans la maladie de Fabry, 70 à 80 p. 100 des
femmes vectrices ont des dépôts cornéens. L’identification des hétérozygotes per-
met un conseil génétique et éventuellement un diagnostic prénatal quant il est sou-
haité par le couple ; elle peut également avoir sa place dans la sélection d’un
donneur de rein
(voir plus loin)
. Dans le bilan d’activité du groupe d’étude et de
MALADIES
RÉNALES
GÉNÉTIQUES
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travail du diagnostic pré-implantatoire (trois centres en France sont agréés pour le
DPI), j’ai relevé un cas de syndrome d’Alport lié à l’X [18].
Dans les maladies autosomiques récessives, les tests génétiques n’ont pas d’inté-
rêt chez les homozygotes (qui développent la maladie) et chez les hétérozygotes
(qui sont le plus souvent asymptomatiques). L’intérêt majeur est dans le diagnostic
prénatal lorsque les parents ont déjà donné naissance à un enfant atteint et souhai-
tent y avoir recours. Les maladies rénales concernées sont la polykystose récessive,
la cystinose, la néphronophtise, le syndrome de Lowe, le syndrome d’Alport auto-
somique récessif ou d’autres maladies très rares à révélation précoce. Le diagnostic
prénatal et le DPI sont de la compétence des généticiens et des laboratoires agréés,
entourés des psychologues compétents.
Dans les maladies autosomiques dominantes, divers cas de figure sont rencon-
trés. Dans les maladies à forte pénétrance et à expression assez précoce dans la
vie, les tests génétiques n’ont pas un grand intérêt : l’échographie rénale est un
moyen simple et sûr de faire le diagnostic d’ADPKD et d’exclure ce diagnostic
s’il n’y a pas de kystes rénaux décelables à l’âge de 30 ans, chez les sujets à risque,
appartenant à une famille atteinte. L’exemple des maladies polykystiques hérédi-
taires montre bien qu’à côté du néphrologue et du généticien, peut exister un troi-
sième partenaire, le radiologue [19]. Les précautions prises vis-à-vis des tests
génétiques (
voir plus loin
) devraient également s’appliquer aux explorations radio-
logiques lorsque celles-ci permettent de poser le diagnostic de maladie polykysti-
que avec toutes les conséquences génétiques et cliniques que cela implique. Dans
l’ostéo-onycho-dysplasie, on peut établir simplement le diagnostic de la maladie
en examinant les ongles, les rotules et quelques radiographies osseuses, mais la
survenue d’une néphropathie est imprévisible parmi les sujets atteints et les tests
génétiques ne sont pas prédictifs à cet égard.
Dans d’autres maladies autosomiques dominantes dont les manifestations se
développent progressivement au cours de la vie, l’identification des hétérozygotes
par un test génétique a un grand intérêt clinique : c’est le cas dans la maladie de
VHL ; les sujets porteurs de la mutation bénéficient du dépistage des localisations
de la maladie, y compris dès l’enfance pour l’hémangioblastome rétinien et le phé-
ochromocytome, de leur traitement précoce et d’un suivi régulier ; à l’inverse des
sujets qui n’ont pas la mutation sont dispensés des explorations et de ce suivi et
ne risquent pas de transmettre la maladie à leur descendance [20].
La situation est plus complexe dans les maladies autosomiques dominantes à
pénétrance variable. Dans la sclérose tubéreuse (où en outre, le taux de néomuta-
tions est élevé) l’expression de la maladie varie beaucoup d’un malade à l’autre,
y compris dans une même famille. Le phénotype pathologique peut se limiter à
quelques discrètes lésions cutanées et/ou à des calcifications intracérébrales. Il en
est de même dans le syndrome branchio-oto-rénal, ou dans la glomérulosclérose
segmentaire et focale héréditaire ; dans cette dernière maladie, certains adultes por-
teurs de la mutation de l’
α
-actinine-4 n’ont pas de proté
inurie [21, 22]. Le test
génétique
est essentiel au conseil gé
nétique, mais son intérêt pour prédire l’avenir
rénal est plus limité. Dans le syndrome autosomique dominant associant
macrothrombocytopénie, surdité et atteinte rénale, dû à des mutations du
gène MYH9, certains hommes vecteurs ont des plaquettes géantes et/ou une hypo-
acousie, mais ne développent pas de néphropathie, ce qui est totalement différent
de ce qu’on observe dans le syndrome d’Alport lié à l’X où tous les hommes
atteints évoluent vers l’insuffisance rénale [17, 23].
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