autre travail est nécessaire. Double séance donc, qui se présente ainsi : une page divisée en deux en hauteur, double
bande, chacune occupée par le commentaire d’un texte, par exemple à gauche, la Philosophie de l’Esprit de Hegel, à droite,
des textes de Jean Genet. Chacune des bandes, mais surtout celle de droite peut comporter des petits pavés où d’autres
écrits s’insèrent.
La bande de droite, par sa confrontation à celle de gauche, doit permettre l’émergence d’un ensemble ouvert de marques,
d’écarts, de traces où les difficultés, en particulier des oppositions indécidables, masquées, dans le texte de Hegel par
exemple, émigrent, se marquent, se greffent, tout en trouvant une tout autre écriture dans le texte de Genet,
dissémination des signifiants et du signifié (opposition à disséminer aussi) réciproques, car la suite des signifiants qui
viennent, tout en se substituant de Hegel à Genet, vont réagir sur le texte de Hegel, et le déconstruire. Aucun retour à une
unité de sens, et à cet égard, une des armes principales de Derrida sont les indécidables, telle que « pharmakon » qui n’est
ni le remède ni le poison, ni le dehors ni le dedans, ni le bien ni le mal, ni la parole ni l’écriture, ou autre exemple
l’ « hymen », qui n’est ni la confusion ni la distinction, ni l’identité ni la différence, ni la consommation ni la virginité, ni le
voile ni le dévoilement etc.
La dissémination que Derrida se refuse à définir, bien qu’il soit un thème fondamental, joue lucidement sur la parenté de
simulacre, fausse, entre « sem » et « semen ». Et pourtant dans ce « dérapage », cette « collusion » se produit, nous dit-il un
mirage sémantique, une déviance du vouloir dire faisant de l’écriture une différence séminale qui crève l’horizon
sémantique par une multiplicité irréductible de déplacements et de greffes, multiplicité générative, mais, sans origine. Pas
d’au- moins-un. Pas de Père. « L’écriture, dit-il, est toujours parricide et orpheline ». C’est ainsi un tissu, un linceul, pour
celui qui écrit, et qui signe, car une signature n’est qu’un simulacre d’identité. Une signature est à l’origine ce qui choit de
la main d’un Roi. C’est un reste qui dès qu’il est écrit est pris par le jeu de la dissémination de la lettre. Pour celui qui écrit
un texte, quel qu’il soit, où vont nécessairement s’entrecroiser mille fils de provenances diverses, il n’y a pas de nom
d’auteur qui tienne, sinon par une imposture. « Tout graphème est d’essence testamentaire » dit-il. Tout texte est un tissu
de différences hétérogènes obéissant à une logique de la greffe… qui efface la distinction du même et de l’autre. C’est ce
qu’il appelle la graphique de la supplémentarité, qui évidemment n’est pas une addition, mais qui disloque tout « propre »
ou toute « propriété », toute voix séraphique du logos qui dirait la Vérité qui ne renverrait qu’à elle-même, que celle-ci soit
adéquation au Réel ou dévoilement.
Vous entendez certainement une certaine proximité de Derrida avec certaines propositions psychanalytiques, notamment
celles concernant le travail de la lettre qui habite tout texte, au point que pour Derrida tout texte échappe à une unité
quelconque de sens, y compris les siens, tout du moins c’est ce qu’il tente de montrer et il faut lui reconnaître un certain
talent à cet égard, en particulier quand il s’attaque à Hegel.
Mais nous sentons bien aussi que quelque chose d’essentiel ne va pas. Ce qui va le retenir chez Freud auquel du reste il ne
cesse de revenir, c’est en particulier le texte sur le sens opposé des mots primitifs, Das Unheimliche, la question du
fétichisme, la fameuse « note » de Freud sur le bloc magique.
Ainsi l’inconscient est un terme dont il ne manque pas de souligner combien il pourrait être récupéré par la métaphysique
dans son opposition simple à la conscience. Néanmoins il y échappe, à la métaphysique, car dit-il le texte inconscient est
déjà tissé de traces, de dépôts d’un sens qui n’a jamais été présent, d’archives qui sont toujours déjà des transcriptions.
Toujours déjà, c’est-à-dire dont la lecture est toujours reconstruite « après coup », notion freudienne qu’il apprécie. Il y a
toujours en somme des traces insaisissables qui produiront d’autres textes, qu’il s’agisse d’un texte inconscient ou écrit de
l’écriture au sens banal. Aussi le texte Freud Das Unheimliche (terme indécidable) intéressera particulièrement Derrida car
Freud s’y montre particulièrement attentif au process de substitution des personnages, des situations, des objets. La
menace de castration si elle « surveille » le jeu de substitution l’œil-pénis, Olympia-Nathanaël, Spalanziani Coppola ne
plombe pas le texte d’un référent dernier sinon tout effet d’inquiétante étrangeté disparaîtrait. La castration est ici ce qui
relance le jeu de l’écriture, une affirmation du lieu vide de l’origine, créatrice, génératrice de semblants qui demeurent
dans un indécidable.
Cette conception de la castration semblerait bien innocenter le Père, et pouvoir l’attribuer au fonctionnement même du