mon pinocchio - Théâtre des Marionnettes de Genève

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Théâtre des Marionnettes de Genève
Dossier pédagogique – saison 2009 - 2010
MON PINOCCHIO
Création de la Compagnie Jean-Pierre Lescot – Les Phosphènes (F)
Du 16 AVRIL AU 2 MAI 2010
Adaptation de l’œuvre de : Carlo Collodi
Scénario : Didier de Calan
et Jean-Pierre Lescot
Texte : Didier de Calan
Mise en scène, scénographie,
graphisme en lumières, sculpture :
Jean-Pierre Lescot
Musique : Antoine Denize
Assistance à la
mise en scène : Colette Micoud-Terreau,
Jean Massard
Interprétation : Stéphane Couturier,
Jean Massard, Stéphane Villière
~ 70 minutes
Dès 6 ans
Le spectacle
1. L’histoire
Les aventures de Pinocchio ont
une présence et une densité
extraordinaires. Elles dépassent
largement la rencontre cocasse
d’un morceau de bois devenu
marionnette affublée d’un long
nez et de grandes oreilles. Dans
cette adaptation rendue plus
proche de nous, Pinocchio
nous parle cœur à cœur des
doutes, des épreuves et des
Mon Pinocchio
grandes
espérances
de
l’enfance. Cet enfant - pantin, c’est l’enfant sauvage, qui sait encore replier la réalité qui l’attend
comme un mouchoir, l’enfant perdu et recueilli, l’enfant différent, fragile et tendre. Ses aventures ont
la saveur du conte et de l’initiation. L’enfant prend le risque de partir à la découverte du monde, y
affronter les dangers de la tromperie. Mais aussi d’y croiser des animaux moralistes et des êtres de
lumières. C’est pour cela qu’ils sont nombreux, les enfants à l’admirer, l’envier et l’aimer. Pinocchio,
c’est au-delà des obstacles et des misères, un hymne à la vie.
Au début, un rêve : fabriquer une marionnette qui saurait danser, faire de l’escrime et exécuter des
sauts périlleux. Et puis la surprise : le pantin, à peine ébauché, commence à avoir sa propre vie.
Pire, dès les premiers pas, un peu boiteux, il prend la porte et disparaît. Geppetto, son créateur, se
met à sa poursuite et s’aperçoit que Pinocchio, malgré ses traits humains, n’est pas un enfant facile
à éduquer ; il finit trop souvent par succomber à la tentation et par s’écarter du droit chemin.
La quête du père, la présence de la mort et la peur de grandir, autant d’éléments qui donnent au
texte sa dimension de récit initiatique. Celui-ci impose au héros l’abandon du foyer familial pour
courir le monde, se brûler les ailes − dans le cas présent, ce sont ses pieds que Pinocchio se brûle
− avant de revenir assagi chez son père prêt à entamer sa vie d’adulte.
Au milieu des techniques de l’enchantement, l’histoire de Mon Pinocchio se déroule
dans l’univers émotionnel d’un théâtre d’ombres et de papier. La réussite esthétique
est telle que l’on songe à Fernand Léger, aux dessins animés tchèques ou au
chatoiement des livres colorés de l’enfance. Des images subtilement mises en
mouvement. Entre ombres projetées et colorées semblant surgir des pages mêmes
du livre de la vie, l’enfant téméraire avance malgré tous les risques qui le menace : le
froid, la faim, la solitude, le mensonge. Sur les ailes de la voix de
Jean-Pierre Lescot, il chemine jusqu’au cœur secret de toutes choses, attiré par ses
rêves dans lesquels il est parfois dépassé. Au gré de son incroyable périple, Il nous
rappelle que nous sommes tous cousus des fils de l’enfance. Un spectacle en forme
de lieu poétique où fleurissent des formes et des images singulières de l’existence et
du sens à imprimer à toute vie.
2. « Mon Pinocchio »
I
l y a bien longtemps déjà que je souhaitais reprendre la belle histoire de Pinocchio,
le pantin au grand cœur !...
D'abord parce que pour un marionnettiste, monter Pinocchio c'est à la fois un « passage obligé », et
une « pierre de touche artistique » — un peu comme jouer Hamlet ou Dom Juan quand on est un
homme de théâtre.
Pinocchio nous parle cœur à cœur des
souffrances et des grandes espérances
Pinocchio nous parle cœur à coeur
de l'enfance. Cet enfant - pantin c'est
des souffrances et des grandes espérances
l'enfant sauvage, l'enfant perdu et
recueilli, l'enfant différent, le «mauvais
de l’enfance.
garçon» fragile et tendre. Ses aventures
sont réellement initiatiques. Pinocchio
prend le risque de partir à la découverte
du monde. Et c'est, pour cela que tous les enfants l'admirent, l'envient et l'aiment.
Par des «chemins de traverse», Pinocchio invente sa vie. «Tout enfant a droit à une histoire
glorieuse», soulignait le psychiatre et psychanalyste René Diatkine. Pourtant au départ, l'entrée
dans la vie est difficile pour Pinocchio. On oublie trop que le pantin connaît d'abord le froid, la faim,
la solitude. Il découvre ensuite la tromperie, l'égoïsme, la violence gratuite…
Il est plein de douleurs, d'infirmités, les pieds boulés, des oreilles d'âne, un nez désobéissant...
Mais Pinocchio est courageux et sa tête de bois est résistante et lui permet d’avoir «de la suite dans
les idées». En fait, il n’est dépassé que par la taille de ses rêves et de son besoin de tendresse!
Autant que les peines de l’enfance, le livre de Collodi raconte le mal à être adulte et parent.
Geppetto et la fée mesurent «comme il est difficile d’apprivoiser un enfant blessé», de recueillir un
enfant perdu.
J’espère avoir réussi avec mon coscénariste Didier de Calan à conserver l’humour et le pessimisme
joyeux de l’histoire de Collodi.
S
avoir rire «aux larmes», et «rire en larmes»…
… avec Maître Cerise qui apprend «l’arithmétique aux fourmis».
… avec Geppetto qui lorsqu’il a faim, «dessine sur le mur une marmite qui bout
joyeusement»
… avec la famille des Pinocchi : le père Pinocchio, la mère Pinocchia, les enfants
Pinocchi.
Tous menaient la bonne vie le plus riche d’entre eux était mendiant !
Pinocchio c’est, au-delà des obstacles et des misères, un hymne éternel à la vie. Et c’est ainsi qu’à
la fin de l’histoire, l’enfant pantin saura retrouver son vieux père, et à son tour le relever,
«Appuyez vous sur moi, cher petit papa, et allons y. Nous marcherons tout doucement comme des
fourmis et quand nous serons fatigués, nous nous arrêterons au bord du chemin...»
Jean-Pierre Lescot
3. Un Morceau de bois qui pleurait et riait comme un enfant
Ecoutez cette belle histoire.
Il était une fois… un roi.
- Non pas un roi, il y a trop d’histoires de princes, de princesses et de rois
- Alors il était une fois un villageois, qui, allant au marché avait acheté une oie.
- Non pas un villageois, une oie, cette histoire, on la connaît déjà.
Alors il était une fois, quoi ? Il était une fois un morceau de bois. Il avait l’air d’un bois bien
ordinaire, comme le bois que l’on met dans le feu pour se chauffer l’hiver. Mais c’était un
morceau de bois extraordinaire. Et voilà ce qui arriva à ce morceau de bois….
Sorti du théâtre de marionnettes ; Pinocchio imaginait déjà la joie de Geppetto quand il le
verrait arriver avec un nouveau manteau, un beau chapeau, une paire de souliers et un
gilet brodé. Avec les cinq pièces d’or, il achèterait plein de choses encore : un alphabet
pour apprendre à lire, un cahier pour écrire, un boulier pour compter. Pinocchio pourrait
même demander à des ouvriers de tout réparer dans la maison de Geppetto. Et ce serait si
beau
Mon Pinocchio, Didier de Calan d’après Carlo Collodi.
4. L’Enfance et la bonté
A
u cœur d’un théâtre
d’ombres, de papier et de
figurines articulées en bois,
C’est ici l’amour
l’histoire
universelle
d’un
morceau de bois devenu
qui sauve Pinocchio.
enfant roi est connue de tous.
Sous la palette du montreur
d’ombres français Jean-Pierre
Lescot, le récit de Collodi
acquiert de nouvelles teintes.
Voici un moment d’enchantement délié dans les plis d’un carrousel d’images
magiques se croisant subtilement. C’est ici l’amour qui sauve Pinocchio à une
époque où la destinée des enfants était souvent dramatique. Soyeuse et profonde, la
voix de Lescot nous emporte sur les ailes frémissantes de ce conte initiatique ouvrant
sur la réconciliation et l’affection. Au début, Geppetto est un menuisier peu prospère
qui se morfond dans une misère dépassant l'imagination. Rencontre avec un porteur
d’émotions.
En quoi le personnage de Pinocchio est-il représentatif de l’enfance ?
Jean-Pierre Lescot : À l’orée du conte, on insiste beaucoup sur le Pinocchio chenapan, méchant,
ce qu’il n’est pas tant, à mon sens. Au contraire, cette figure est parfaitement naïve. Le personnage
est beaucoup plus en situation de subir les cruautés du monde d’autant plus affirmées à son
époque.
Aujourd’hui la psychologie s’est emparée de l’enfance pour en parler. Au siècle de Collodi, nul
psychologue ou pédiatre afin d’aider l’enfance dans son parcours. Parlait-on alors même
d’enfance ? Ainsi des textes portent-ils le témoignage d’enfants qui dès 11-12 ans étaient déjà au
travail dans des relations d’exploitation et subissant l’ensemble des violences. Si l’auteur ne nous
épargne pas ces violences, il n’en est pas pour autant complaisant. Loin de choisir le genre
tragique, l’écrivain recourt au merveilleux fantastique. C’est aussi une forme d’espérance en
l’humanité en dévoilant ce foisonnement de la richesse dans l’imaginaire avec un fond de bonté.
J’aime ces situations où au départ tout semble désespéré dans un monde qui se complet parfois
dans cette désespérance. Il y a eu à cette époque des auteurs ayant réussi à mettre le doigt sur
cette violence. Qu’il s’agisse d’Hector Malot avec Sans famille, Dickens dans ses romans ou Victor
Hugo. Si ces auteurs ont vu l’enfance malheureuse, ils ont réussi à parler de cet état d’enfance. Soit
l’enfant découvreur du monde…
Dans cette affaire, Pinocchio est actant. Il a surtout envie de vivre sans à voir d’a priori sur l’école.
On lui donne un alphabet et il est prêt à aller à l’école, mais surgit l’attirance d’une musique de
cirque ou d’un théâtre de marionnettes. A l’instar de tout enfant, il est tiraillé entre le temps de la
récréation et celui dévolu à la lecture.
Et votre travail de réécriture…
J.-P. L. : Lorsqu’aux côtés de Didier de
Callan nous avons repris le scénario
De la petite histoire qui s’échafaude,
originel, un personnage nous a semblé à
revoir comme ce fut le cas du travail de
surgit le personnage d’entre les lignes
l’acteur, réalisateur et metteur en scène
et les pages, devenant marionnette.
italien Carmelo Bene, celui de la fée. Dans
le film de Comencini, Les Aventures de
Pinocchio, la fée serait la veuve de
Geppetto. Chez d’autres, elle n’existe pas
du tout. Chez nous elle est une figure
positive, à l’instar de la femme nourricière, généreuse et inconnue par leur courage. Elles peuvent
recueillir des enfants, les adopter. Aujourd’hui, ces êtres me semblent au premier plan de la vie.
Une multitude de personnes anonymes sont de véritables héroïnes ou héros au cœur même de nos
sociétés. Qu’elles soient membres de MSF ou nourrices.
Que cela ne soit pas la morale qui attire l’enfant au savoir, mais peut-être la séduction amoureuse.
Par le ton, on peut percevoir que Pinocchio est un peu amoureux de ce personnage d’Emma.
Pourquoi ce prénom ? Car j’adore la figure étendard du roman de Flaubert. C’est aussi Susana, une
nourrice rencontrée dans mon enfance. Cela fait que l’on y lit sa propre histoire quand on monte un
spectacle comme Pinocchio.
Pinocchio est un enfant de la blessure, qui témoigne de cette préoccupation constante liée à
la faim.
J.-P. L. : Cette dimension ramène à la fois aux sociétés du XIXe siècle et à notre monde
contemporain où près de 500 millions d’enfants ne mangent pas à leur faim chaque jour selon
l’Unicef. C’est un leitmotiv de Pinocchio et dès le départ, c’est son premier cri : «J’ai faim». Et l’une
des premières violences dépeintes par le spectacle. Il reste des enfants martyrs en notre siècle.
Que faisons-nous de nos humanités ? Souvent elles sont mobilisées pour réduire l’être humain à un
état moindre que l’animal. Nombre d’animaux domestiques ont ainsi des vies plus enviables que
nombre d’humains. Dès lors la symbolique liée dans Pinocchio à la peau d’âne et à celle du
tambour dit que l’homme est réduit à un matériel de consommation.
Vous gardez visuellement la trace de l’écriture sur la page du livre.
J.-P. L. : J’ai voulu montrer la pérégrination de l’imaginaire et sa transformation en signes. Je laisse
imaginer que Collodi regardant par sa fenêtre voit déjà son héros juvénile maraudant dans la rue.
Accompagné de son chat, il écrit et doucement l’histoire naît. Le personnage est littéralement
envahi d’écritures. Comme le lecteur lisant livre, il construit son personnage. Une fois qu’il a imaginé
le personnage, celui-ci prend corps et chair. De la petite histoire qui s’échafaude, surgit le
personnage d’entre les lignes et les pages, devenant marionnette.
Propos recueillis par Bertrand Tappolet
5 . Un Art de la consolation
L’histoire est celle d’un banal morceau de
bois sculpté par un vieux menuisier dans la
solitude de son échoppe. Et voilà que, sous
la main qui le travaille, une voix se fait
Et voilà que, sous la main qui le travaille, une
entendre et demande à vivre. Un petit
pantin pointe son nez dans le monde des
voix se fait entendre et demande à vivre
hommes et bouleverse la vie de son auteur.
En homme de théâtre, de la veine des
conteurs et des poètes, Jean-Pierre Lescot
joue de cette illusion depuis presque 40
ans. Dans son théâtre qui recèle des trésors
(marionnettes à gaine, à tige, à fil, ombres et sortilèges…) il a créé une trentaine de spectacles :
Taema, Monsieur Clément, La Sentinelle des miroirs, Cœur d’horloge, La Reine des mirages, Des
images pour Vincent, Angèle. Ce dernier spectacle a été présenté au Théâtre des Marionnettes de
Genève lors de la saison 2006-2007.
«Son» Pinocchio dévoile un possessif qui montre sa tendresse pour le petit homme en bois imaginé
par l’Italien Collodi, et qui ressemble aussi à une «profession de foi». Ce grand classique de la
littérature mondiale, qui a inspiré beaucoup d’artistes, est «pour tout marionnettiste, quasiment
incontournable, dit Lescot. C’est l’occasion de revenir sur les raisons de faire ce métier».
Besoin d’enchantement
L’origine de sa
vocation, il faut la
chercher en Asie
dans le grand
théâtre d’ombres
qui le fascine par
sa capacité à
suspendre
le
temps. «J’aime
rappeler
le
besoin
d’enchantement,
dit-il. Le monde
Mon Pinocchio
réel ne suffit pas.
Nous
avons
besoin d’images pour entrer en résonance avec le travail d’humanité qui nous a précédés.» On
retrouve cette profondeur dans le regard qu’il porte sur Pinocchio. La structure est connue, c’est
celle du conte ou du roman picaresque : au lieu d’aller à l’école, un pantin part à la découverte du
monde et devient, au terme d’un parcours semé d’embûches, un vrai petit garçon. L’histoire, parue
en 1881 sous forme de feuilleton dans un journal italien, est tellement foisonnante que toute
adaptation est forcément une relecture, voire une réactualisation. Jean-Pierre Lescot s’en empare
avec l’immense talent de plasticien qu’on lui connaît et en homme attentif à relancer les questions
essentielles : naître, aimer, protéger la vie…
Pour lui, les aventures de Pinocchio ont «une présence et une densité qui dépassent largement la
rencontre cocasse d’une poupée de bois affublée d’un long nez et de grandes oreilles. Pinocchio
nous parle cœur à cœur des souffrances et des grandes espérances de l’enfance», dit-il. Il renvoie
à ce qu’écrivait à la même époque Hector Malot dans Sans famille ou, quelques années plus tôt,
Hugo dans Les Misérables. Mais aussi aux impasses éducatives d’aujourd’hui. Enfant-pantin, enfant
différent, perdu et recueilli, en quête d’affection mais difficile à apprivoiser, sans cesse menacé par
la faim, les voleurs et toutes sortes de périls : «Pinocchio, c’est la nature à l’état sauvage», dit
Lescot.
«Un morceau de bois certes, mais qui demande à être sculpté et comprend vite le discours de la
misère, de la générosité et la nécessité d’apprendre. Seulement son entrée dans la vie est difficile, il
découvre la tromperie, l’égoïsme, la violence… Et malgré cela, plein d’un grand courage, il poursuit
son chemin et invente sa vie.» Renforcé par la tendresse même maladroite de son Geppetto de
père et la protection d’une âme nourricière, «une de ces fées qui ont le courage du quotidien et
qu’on pourrait croiser au bord du Canal Saint-Martin». Sans démagogie ni moralisme, avec Mon
Pinocchio, Lescot rappelle l’importance du savoir mais aussi de l’amour pour grandir. Son art est un
art de la consolation et de l’élévation. Il répare les blessures intimes et sociales et soutient que
«l’humain est toujours un avènement».
Francine Déverines
6 . Promenons-nous dans le bois
G
eppetto,
l’artiste,
travaille : étrangement,
le bout de bois, encore
noueux et épaissi par son
écorce, qui avait néanmoins
toujours «une petite voix
grêle», est désormais muet;
du moment que sa naissance
commence
à
prendre
tournure, il doit attendre que
sa voix ait une bouche, et une
langue.
Cette
naissance
fabriquée de la merveilleuse
marionnette
est
étrange:
comme si son artisan savait
et ne savait pas à quoi il
œuvrait, de toute façon
soutenu par sa familiarité
avec les prodiges. Sous les
Mon Pinocchio
mains antiques et savantes du créateur, ce bois bizarre vit sa vie difforme, insolente, changeante; à
peine achevés, ses yeux deviennent de « vilains yeux », son nez le fameux nez «impertinent»,
s’allonge et, raccourci, rallonge; il nous arrivera de parler ailleurs de ce nez enchanté et insidieux,
ce délateur.
De toute façon, sans ce nez, Pinocchio est impensable. La bouche «raille» Geppetto ; la langue se
moque, les mains ravissent à Geppetto sa perruque jaune, et Pinocchio s’en coiffe, pour brocarder
et railler. « Face à ce geste insolent autant que ridicule », Geppetto s’attriste. Il avait déjà été «piqué
au vif » par sa muette marionnette : sa façon de le regarder, de rire ne lui plaisait guère. «Vilains
yeux de bois, pourquoi me regardez-vous ?» est un défi plein d’autorité; «cesse de rire!», un interdit
délicieusement parental. À la fin, il laisse couler une larme sénile…
L’art de la fugue
Dans son itinéraire inquiet, Pinocchio fuguera à diverses reprises : cette fois-ci, il s’agit d’une fugue
particulièrement dure et soudaine, «bondissant tel un lièvre», courant «tel un barbe», bruyant tel
«un poulain» échappé des mains de son maître. Animal fugitif, Pinocchio fait aussitôt l’expérience
de la sauvage vitesse d’un monde de maîtres et de chasseurs. Au cours de sa fuite, le végétal
Pinocchio prend les attitudes des animaux des bois sur une terre âpre et sévère, il évolue tel «un
chevreau», «un levraut». La fugue est l’une des formes, des structures du solitaire Pinocchio.
Giorgio Manganelli
7. Les deux visages de Pinocchio
Il faut tenir Pinocchio pour un
livre qu’on ne peut réduire à
une seule lecture, pour un
livre qu’il faut accepter avec
ses
contradictions,
ses
hésitations, ses revirements,
qu’il faut considérer dans sa
complexité, sans le réduire à
un seul de ses aspects. Si le
discours pédagogique, le
discours d’éducation, est
incontestablement présent, il
est toujours présenté avec
son contraire, et le titre que
Collodi finit par choisir
lorsqu’il reprend sa narration
le 16 février 1882, cédant aux
prières
de
ses
«petits
Mon Pinocchio
lecteurs» et de la direction du Giornale per i bambini, est à prendre au sérieux : il s’agit bien d’
«aventures», et d’un personnage qui incarne cet esprit, refuse de s’en tenir au monde connu et
part en courant, dès qu’il en a l’occasion, sans écouter «ceux qui en savent plus que lui». Il fait
preuve de cet esprit d’aventure dès les premières pages du livre, à peine est-il ébauché par son
père et s’est-il dégourdi les jambes : «il sauta dans la rue et décampa».
On sait que cette première fuite sera suivie par bien d’autres ; elle est également un symbole
qu’on fera bien aussi d’intégrer dans la lecture : le personnage, le livre échappent à leur créateur,
à ses intentions éducatives et moralisatrices… C’est qu’il y a deux âmes dans Pinocchio, deux
logiques dans le livre : celle de Pinocchio le rebelle, celle de Pinocchio le petit garçon comme il
faut. C’est la présence simultanée de ces deux âmes, de ces deux logiques, qui anime le livre et
lui donne son mouvement, sa structure… On est face à une spirale qui pourrait se dérouler sans
fin, et que l’on pourrait formuler ainsi : aventure, échec, bonnes résolutions, nouvelle aventure,
nouvel échec, nouvelles bonnes résolutions, et cela jusqu’au moment où il faudra trouver une fin
qui paraît bien improbable tant que Pinocchio est ce qu’il est...
Jean-Claude Zancarini, extrait de Carlo Collodi :
Pinocchio, édition bilingue, Paris, Flammarion, coll. GF, 2001.
8. Pére et fils
Entretien avec Jean-Pierre Lescot, metteur en scène
Qu’est-ce qui vous a séduit dans l’histoire de Pinocchio ?
Jean-Pierre Lescot : Le récit de Collodi nous met en face d’un pantin, qui doit devenir un enfant et
un marionnettiste qui a à devenir un père. À l’origine, Pinocchio n’est pas mal élevé, mais pas élevé
tout court. À mes yeux, il est l’enfant sauvage, l’enfant des bois, l’enfant de bois. Cela va amener les
bons arguments qui les feront advenir l’un
et l’autre père et enfant. Pinocchio
demande à son père de sortir de son
enferment. Car il se sent bien dans les
La fée est réinterprétée en lui
entrailles du cachalot, du requin ou de la
donnant le rôle d’une personne
baleine, selon les traductions. Au moment
de sortir de la baleine, Geppetto ressent
à l’écoute de la pauvreté.
confusément qu’il n’a plus envie, qu’il est à
bout de souffle. Et c’est son petit pantin qui
l’encourage à venir reprendre vie. Voici un
argument sentimental et de transmission
humaniste entre générations qui m’a
beaucoup séduit.
C’est une histoire où tout pourrait sembler a priori désespéré. Surtout dans un monde qui s’y
complait. Le XIXe siècle compte ainsi nombre d’auteurs pour mettre le doigt sur la dureté des temps.
Que l’on songe à Dickens dans ses romans, dont Oliver Twist. Des écrivains qui ont vu l’enfance
malheureuse, mais ont aussi cherchés à retrouver l’état d’enfance et en témoigner. La figure de
l’enfant découvreur du monde rappelle que nous sommes fils d’enfance. Un adulte n’est pas que
son état. Il a aussi été enfant. Pourquoi alors ne pas lui rappeler ses souvenirs, ses souffrances et
ses chances de réécrire sa vie ?
Ce que j’aime aussi dans Pinocchio, c’est que nous sommes confrontés à une dramaturgie de la
menace et qu’en permanence le personnage se trouve à sortir de situations emplies de périls. Nous
avons là une palette d’une richesse incroyable de sentiments et d’émotions. Le récit est semblable
dans sa construction à celui des contes.
Comment envisagez-vous la figure Pinocchio ?
J.-P. L. : Ce personnage attire nécessairement tout marionnettiste qui s’interroge sur son art.
L’histoire de Pinocchio est montée par beaucoup de marionnettistes, chacun cherchant sa manière
propre de le voir. Ce qui m’intéresse surtout dans cette histoire, c’est le rapport entre ce petit
personnage et son père, Geppetto. Au début, Geppetto, qui n’a pas eu d’enfants, ne les aime pas
parce qu’ils se moquent de lui. C’est pour cela qu’il décide de fabriquer une marionnette. Au début,
entre eux deux, règne l’indifférence mais peu à peu, ils découvrent la tendresse et l’amitié.
Pinocchio est un enfant de la blessure, de la douleur : il se brûle, a faim, souffre. Mais il y a en lui
une force vitale qui le fait rivaliser de courage, de volonté : il devient l’enfant de l’affection.
Et la fée ?
J.-P. L. : Sans négliger la fée bien sûr ! Mais en la réinterprétant et en lui donnant le rôle d’une
personne à l’écoute de la pauvreté, de la fragilité des êtres, en n’insistant pas, comme dans le livre
de Collodi, sur son aspect féerique, mais en choisissant une femme attentive aux blessures de la
vie. Car cette histoire est aussi celle de la capacité de l’espérance à surmonter les menaces du
désespoir. Et c’est important de l’apprendre aux enfants qui ont devant eux l’aventure de leur vie.
Qu’a de particulier « votre » Pinocchio ?
J.-P. L. : Il est théâtralisé, mis en scène dans un théâtre de papier et d’ombres, au cœur même des
techniques de l’enchantement. Avec Didier de Calan, j’ai réécrit l’histoire et nous l’avons adaptée
sans la réactualiser. Nous voulions rester en phase avec l’époque de Collodi où les enfants
n’avaient pas le statut d’enfants et où dans toute l’Europe, des voix s’élevaient (Dickens, Hugo,
Malo) pour dénoncer leur sort. Et cette histoire n’est pas terminée car il y a toujours des enfants qui
subissent la misère et l’incohérence de nos discours d’adultes. A la différence de Collodi néanmoins
chez qui c’est la morale qui guide Pinocchio, nous avons voulu que ce soit l’amour qui le sauve. Je
ne veux pas donner de leçons de morale mais seulement créer un moment d’enchantement et de
réconciliation.
Commet
l’ombre ?
abordez-vous
J.-P. L. : Je l’aborde dans ses
composantes
spatiales,
physiques et ses conséquences
émotionnelles. Il me semble
important de prendre conscience
de toutes les caractéristiques de
la nature même d’une ombre. Et
ce que l’on peut en tirer lorsque
l’on veut fabriquer une silhouette
qui va provoquer chez nous
certaines préoccupations, telles
la surface décorative, la lecture
de la silhouette par son contour.
Mon Pinocchio
Propos recueillis par Bertrand Tappolet
9. Le Bois de la voix
L
e pantin de bois n’est pas seulement un être qui agit, mais une personne qui
s’exprime par la parole et, si le boniment du montreur d’ânes et les jurons des vieux
compères témoignent d’une belle emphase, de son côté la petite voix de Pinocchio,
perçue au début du récit, lorsqu’elle sort magiquement du bout de bois et surprend
Geppetto, s’enfle, s’exerce, se module et prend de l’assurance au fil des aventures,
avant de conclure par la reconnaissance de son statut de garçon.
Un héros transgressif
On considérera donc Les Aventures de Pinocchio comme une sorte de Follia littéraire, sur le mode
de la «Folie» musicale, c’est-à-dire comme un emballement rythmique textuel, une fantaisie de
variations stylistiques à la Corelli, ou, plus dynamique encore, à la Vivaldi, sur le thème festif du
garnement, à la fois marionnette et enfant… Cet «anti-héros », picaro initial, transgressant toutes
les lois qui le rattachent à la société, est d’abord emporté dans une course échevelée, qui, dans un
premier temps lui coupe littéralement le souffle, avec la corde au bout de laquelle on le suspend à
un chêne !... Pinocchio est cet être brut et affamé, analogue à ces «primitifs» qui conversent avec
les arbres, mais surgi tout droit d’une Italie en train de «se faire» (selon le mot de Cavour) au XIXe
siècle, et pour l’avenir de laquelle Collodi s’est engagé et même a combattu…
Comme tout héros picaresque, il a, de fait, occupé une bonne part de l’espace de la narration à
répéter avec délices les péripéties de ses aventures.
Survivre et croître
Dans un premier temps, Collodi semble donc avoir voulu apporter une «leçon» sévère à ses
lecteurs et donner l’exemple d’une perte de la vie conduisant irrémédiablement le héros insouciant
et léger, privé de tout recours humain, jusqu’à la mort. Cette dilapidation du capital humain concerne
autant le corps du héros que la bourse de son père et la sienne propre. Le schéma de cette
première aventure peut être, en effet résumé de la manière suivante : Pinocchio, pantin aimant,
mais écervelé, crée à partir d’une bûche de bois, perd ses pieds dans le feu par inadvertance et est
sauvé par son «père», Geppetto, qui le répare. Mais il dilapide ensuite la fortune de celui-ci qui a
vendu son veston pour lui acheter un abécédaire et l’équiper pour l’école. Epargné par Mangefeu, le
maître des marionnettes qui voulait le brûler, il connaît le succès au théâtre et reçoit cinq pièces
d’or, mais il est victime de deux « dilapidateurs », le Renard et le Chat qui le pendent à la branche
d’un chêne dans la forêt. La corde qui le suspend à un chêne n’est bien que le signe fictionnel de la
dépendance du héros de roman à son auteur, manipulateur masqué de ses personnages et «Dieu
caché». Collodi, tout comme Geppetto, l’artiste en puissance, qui déclarait au début du chapitre II
vouloir avec sa marionnette, «manger» son «morceau de pain» et boire son «verre de vin», a su
par-là accumuler le capital symbolique d’une renommée mondiale.
Un enfant trompé
Se trompant sur la magie de la croissance, le pantin a cru ensuite, que les pièces d’or pouvaient
germer. Collodi, joueur invétéré, ne cédait-il pas à la même illusion, lui qui fréquentait aussi le
Champ des miracles» des salles de jeu ? Surtout, Pinocchio, harcelé par la faim, comme les enfants
des pauvres villageois de la campagne florentine, a dû se nourrir de beaucoup d’illusions avant
d’atteindre le principe de réalité et de «normalité» en cours à son époque. Les moindres de ces
illusions sont ce poulet de carton et ces abricots en albâtre qui le narguent. La seconde duperie
infligée dans l’initiation est la croyance de l’adolescence en l’exclusivité et la théâtralité de l’amitié :
Pinocchio, reconnu par Arlequin sur le théâtre de marionnettes de Mangefeu, diable en apparence,
n’a pas de Colombine pour le sauver, à l’image de son père littéraire, célibataire invétéré. Aurait-il
peur des femmes, ou plutôt, en digne adepte de «l’amour», tel que Denis de Rougemont le décrit
dans L’Amour et I’Occident, ne connaîtrait-il que la passion désincarnée pour une belle donna, qui
n’apparaît pas dans une lumière de topaze comme la Béatrice de Dante, mais dans celle de la Fée
maternelle aux cheveux bleus?...
Pinocchio, harcelé par la faim, comme les enfants des pauvres villageois de la campagne florentine,
a dû se nourrir de beaucoup d’illusions avant d’atteindre le principe de réalité et de «normalité» en
cours à son époque. Les moindres de ces illusions sont ce poulet de carton et ces abricots en
albâtre qui le narguent. La seconde duperie infligée dans l’initiation est la croyance de l’adolescence
en l’exclusivité et la théâtralité de l’amitié: Pinocchio, reconnu par Arlequin sur le théâtre de
marionnettes de Mangefeu, diable en apparence, n’a pas de Colombine pour le sauver, à l’image de
son père littéraire, célibataire invétéré…
Entre théâtre de marionnettes, cirque, maison et école, les pieds de nez de l’infatigable pantin sont
autant de stimulations pour les auteurs, comme pour les illustrateurs qui le représentent ou le
parodient.
Lucie Emgba Mekongo
10. Carlo Collodi et la saga des Aventures de Pinocchio
L'auteur de Pinocchio, récit pour l'enfance
traduit dans toutes les langues, est bien
Les figures mythiques des oeuvres d’art
moins connu que son pantin de bois, tant il
est vrai que les figures mythiques des
échappent à leur créateur
œuvres d'art échappent à leur créateur pour
vivre leur propre vie. Né à Florence en
pour vivre leur propre vie.
1826, Carlo Lorenzini, qui lutte pour le
Risorgimento de la nation italienne, est
invité, après avoir participé aux campagnes
de libération de 1849 et 1859, à ne plus se
mêler de politique et il adopte par prudence le pseudonyme de Collodi, qui est le nom du village
natal de sa mère. L'unité italienne achevée, il traduit des fables de Perrault et de Mme d'Aulnoy,
puis publie des histoires pour enfants (Giannettino, 1877, et Minuzzolo, 1878) dont les petits héros
ne parviendront jamais à conquérir l'immortalité.
Après des études au Collège degli Scopoli, l’ex-séminariste Collodi devient commis de la librairie
Piatti. Mais il y a la révolution de quarante-huit, puis la guerre contre les Autrichiens : Collodi
s’engage comme volontaire. De retour à Florence et gagné par les idées de liberté républicaine, il
publie ses premiers articles politiques dans Le Lampion, puis des critiques littéraires dans Scaramouche. Il fait paraître Le Roman à vapeur, De Florence à Livourne — guide historico-humoristique.
Parallèlement, Collodi écrit des ouvrages destinés aux enfants, Récits des fées (1875), Petit Jean
(1876) et Tout Petit (1878), tous illustrés par Enrico Mazzanti. Il meurt à Florence en 1890.
Parcours initiatique
C'est en feuilleton que paraît entre 1881 et 1883 L'Histoire d'un pantin dans le Giornale per i
bambini ; le directeur de la publication doit souvent réclamer le prochain épisode à un auteur
négligent ; lorsque l'histoire tourne court sur la mort de Pinocchio pendu à une branche, les petits
lecteurs protestent contre cette fin prématurée en écrivant au journal et exigent une suite : Collodi
est obligé d'inventer de nouveaux rebondissements ! C'est dire que sans cette participation du
public enfantin (fréquente de la part des adultes dans les feuilletons de l'époque) les mésaventures
du pantin de bois ne seraient pas ce qu'elles sont. Collodi est en partie un auteur malgré lui et
Pinocchio un personnage indirectement façonné par les enfants eux-mêmes.
Le succès ainsi remporté incite l'auteur à publier le tout sous le titre de Les Aventures de Pinocchio
(1883). Les avatars et la désinvolture de la rédaction peuvent expliquer les méandres de l'intrigue et
certaines erreurs de finition (Pinocchio analphabète lisant l'inscription sur la tombe de la fée). La
critique moderne, plus sensible à l'humour, considère volontiers que ces « erreurs » sont
volontaires, que les redondances sont la règle d'un récit mythique et insiste au contraire sur la
cohérence et la logique interne de l'imaginaire collodien jusqu'à proposer une analyse structurale
fort savante de l'œuvre. Comment en effet rendre compte du succès universel de ce conte si ce
n'est par l'efficacité symbolique de cette trouvaille du pantin de bois qui accède à la fin de l'histoire à
la condition d'enfant ? Il s'agit d'un véritable itinéraire initiatique durant lequel le petit lecteur qui
s'identifie à Pinocchio subit lui-même toute une série d'épreuves pour que soient en fin de compte
reconnus aussi bien les droits que les devoirs d'un enfant.
Le succès peut également s'expliquer par la manière concrète dont est posé le problème du bien et
du mal dans la conscience enfantine, surtout à une époque où le souci moralisateur était la règle
dans une littérature enfantine trop didactique. L'originalité de Collodi, c'est un certain réalisme des
personnages et du décor paysan. Notre pantin ne rencontre point d'ogres, de sorcières et de
dragons conventionnels mais un grillon, un serpent, un pêcheur, un montreur de marionnettes tels
qu'un enfant toscan pouvait en rencontrer au détour du chemin. La fée, si l'on excepte ses cheveux
bleus, est une simple jeune fille puis une mère que Pinocchio appelle mammina. Néanmoins, c'est
un réalisme magique − correspondant à la vision enfantine − par le caractère emblématique des
lieux et du bestiaire.
Apologie de la liberté
L'humour du récit a des aspects subversifs ; un
donneur de leçon comme le grillon reçoit un
Pinocchio pose le problème du bien
bon coup de marteau alors que les animaux
les plus sympathiques comme le mâtin ou le
et du mal dans la
dauphin sont ceux qui secourent Pinocchio
sans aucun prêchi-prêcha. Le bon cœur du
conscience enfantine.
héros n'apparaît d'ailleurs qu'au terme d'une
laborieuse conquête sur un égoïsme tenace ;
nous sommes loin des petits garçons modèles
de la littérature édifiante à la De Amicis. Le
cinéaste Luigi Comencini a pris le contre-pied d'une lecture moralisante en faisant dans son
adaptation de cette épopée de l'enfance une sorte d'apologie de la liberté et de la désobéissance.
Pinocchio, ce n'est pas seulement un texte, mais des images. Les illustrateurs successifs sont
légion. Mazzanti est l'auteur des dessins encore timides de l'édition originale. Gramsci préférait les
vignettes de la deuxième édition dues à Carlo Chiostri dont les traits sont vigoureux et soignés mais
qui a conservé au pantin sa physionomie première, à la luxueuse illustration du peintre florentin
Attilio Mussino, fort colorée et plus aérée, mais qui a modifié la tenue de Pinocchio. Nicouline et
Angoletta ont tenté de dédramatiser les épisodes les plus durs par une illustration rassurante et
infidèle, de même que Walt Disney dans son dessin animé de 1940. Mosca et Jacovitti ont enfin mis
Pinocchio en bandes dessinées en italien moderne et familier. La diversité des textes et des images
dans les multiples traductions et adaptations n'a en rien altéré l'efficacité du mythe : tous les enfants
du monde, lorsqu'ils mentent, s'inquiètent de savoir si leur nez ne s'allonge pas !
Gilbert Bosetti
11. Les Personnages principaux
Geppetto
J’ai imaginé de me fabriquer, de mes propres mains, un beau pantin de bois ;
mais un pantin merveilleux, qui saurait danser, manier l’épée et faire le saut
périlleux. Je ferai le tour du monde avec ce pantin, pour gagner mon quignon
de pain et mon verre de vin ; qu’en pensez-vous ?
Geppetto
C’est lui qui, avec le morceau de bois mystérieux trouvé chez maître Cerise, construit la marionnette
extravagante et vagabonde nommée Pinocchio, l’une des créatures les plus réussies de la
mythologie enfantine.
Geppetto est un homme qui tire de sa vie une grande sagesse, non pas une sagesse amère, mais
une sagesse «féérique», celle qu’a su conserver à travers les péripéties de son existence un cœur
ingénu et sans péché. C’est pour cela qu’il ne prend pas peur en face du « prodige » qu’il accepte
comme un événement naturel.
Geppetto possède des dons qui attirent et stimulent tant les enfants : la foi en leur univers, la bonté
qui sait pardonner, et le ridicule qui attire les moqueries des gamins attirés par sa perruque jaune.
Le cycle des aventures dans lesquelles il se trouve entraîné l’accable rarement.
Geppetto c’est bien sûr le créateur de Pinocchio, mais il ne devient vraiment
son père que lentement. Comme tout père il voudrait que son enfant protège
ses vieux jours et vive la vie qu’il n’a pas vécue. Mais il est vite déçu et
désemparé. Il sait pourtant toujours comprendre, pardonner, redonner une
chance à Pinocchio et lui refaire confiance.
Jean-Pierre-Lescot
Pinocchio
Raconte ce que tu veux, mon Grillon, chante-moi ce qu’il te plaira : moi, je sais
que demain, à l’aube, je vais m’en aller d’ici, parce que si j’y reste, il m’arrivera
ce qui arrive à tous les autres enfants, autrement dit on m’enverra à l’école, et il
faudra que je travaille, que ça me plaise ou non ; et moi, si tu veux le savoir, je
n’ai pas la moindre envie de travailler et ça m’amuse bien plus de courir après
les papillons, de grimper aux arbres et de prendre les petits oiseaux dans leur
nid.
Pinocchio
Le personnage garde toujours quelque chose d’impertinent et de fantasque même dans les
situations les plus calamiteuses. On n’invoque tout au long du récit, que les secours de la patience.
Patience, quand Pinocchio doit se résigner à manger des épluchures ; patience quand on lui met le
collier d’un chien ; patience quand il doit renoncer à ses vêtements neufs pour envoyer ses
premières économies à la Fée qu’il croit malade.
Toute la vie de Pinocchio n’est constituée que par une suite de malheurs. Des assassins, des
gendarmes,
En fait, Pinocchio, à force de bonne volonté, a gagné le droit de devenir un petit garçon, et en
rejetant sa dépouille de marionnette, il saisit la réalité et se détourne définitivement du rêve.
La Fée
On peut toujours attendre quelque chose des enfants qui ont bon cœur, même
s’ils sont un peu fripons et accoutumés à mal faire.
La Fée
La fée est dans l’ouvrage de Collodi un personnage plus étrange. A la fois, elle n’est pas — ou elle
ne vit plus — ce n’est pas la mère de Pinocchio mais elle est en même temps la soeur et la
protectrice. Elle tient plus aisément son rôle d’adulte que Geppetto. Elle est plus exigeante, presque
« dure », quand elle parle de la maladie et de la mort guettant les enfants désobéissants.
C’est le personnage que j’ai choisi de transformer le plus par rapport à
l’histoire originale pour réduire son coté pour moi trop moralisateur et
magique.
J’ai préféré lui donner l’aspect d’une de ces vieilles dames qui accueillent tous
éclopés de la vie, les enfants comme les chiens battus, une pauvre et brave
femme qui partage son pain sans attendre d’autre reconnaissance que le
bonheur retrouve Cette mère adoptive sait aussi devenir la conseillère patiente,
la nourrice des âmes. Pour moi, les vraies fées sont celles qui ont le courage
simple du quotidien, l’intuition de l’équilibre entre la tendresse et l’énergie
nécessaire pour sauver des fragiles comme celle de Pinocchio.
J’ai donc avec mon Pinocchio réinventé une fée.
Jean-Pierre-Lescot
12. Bibliographie
•
Carlo Collodi, Pinocchio, (illustrations de Carlo Chiostri), Paris, Gallimard, Folio Junior,
2005
•
Carlo Collodi, Pinocchio, (illustrations de Sara Fanelli), Paris, Albin Michel, 2003
•
Carlo Collodi, Pinocchio, (illustrations de Jean-Marc Rochette), Paris, Casterman, 2000
•
Carlo Collodi, Pinocchio, (illustrations de Roberto Innocenti), Paris, Gallimard Jeunesse,
2005
•
Carlo Collodi Pinocchio, édition bilingue, Paris, Flammarion, coll. GF, 2001
•
Hall Lee (adaptation théâtrale par le scénariste du film Billy Elliot), Carlo Collodi, Les
Aventures de Pinocchio, Paris, L’Arche, 2002
•
Charles Dickens, Les Aventures d’Oliver Twist, Paris, Librairie générale française, 2005
•
Victor Hugo, Les Misérables, Paris, Laffont, 1995
•
Hector Malot, Sans famille, Paris, Librairie générale française, 2001
Etudes sur Pinocchio
•
Jean Perrot (direction), Pinocchio. Entre texte et image, Bruxelles, Presses
Interuniversitaires européennes, 2003
•
Jean Perrot «Les Aventures de Pinocchio : un rituel pour les écoliers du monde. Le bois, la
voix, l’or, le corps», in : Pinocchio. Entre texte et image, pp. 259-269, 2003
•
Niurka Règle, «Pinocchio : touchons du bois l’impertinence», in : Pinocchio. Entre texte et
image, pp. 115-125, 2003
•
Giorgio Manganelli, Pinocchio : un livre parallèle, Paris, C. Bourgois, 1997
Quelques transpositions et adaptations au cinéma et au théâtre
•
Luigi
Comencini,
Les
Aventures
de
Pinocchio,
1975.
(long
métrage),
DVD
Le Pinocchio de Comencini est une magnifique, insolente, drôle, et dérangeante des leçons de
sagesse. Plus étourdi que mauvais, plus malchanceux que méchant, il fourre son nez dans les
mauvais coups, soucieux avant tout d'ouvrir bien grands ses yeux pétillants de malice sur le monde.
•
Roberto Benigni, Pinocchio, 2002 (long métrage), DVD
Dans cette version cinématographique fidèle au conte de Collodi, Pinocchio gagne un joli chapeau
pointu, un costume crème à fleurs rouges et collerette, et une débauche d'effets spéciaux. La scène
inaugurale est réussie : un tronc d'arbre facétieux s'anime et entame une folle cavalcade dans les
rues d'une petite bourgade toscane, pour s'arrêter brutalement devant une porte. La Fée Bleue
(interprétée sans surprise par Nicoletta Braschi) met Pinocchio face à ses mensonges, et l'on voit
ainsi le nez de Benigni s'allonger déraisonnablement face à l'actrice qui est sa femme à la ville.
Incendié par la critique, le film qualifié du plus autobiographique de sa vie par le réalisateur et
comédien, connut un succès public lors de sa sortie en Italie.
•
Walt Disney, Pinocchio, 1940 (long métrage d’animation), DVD
Le Dessin animé rencontra un vif succès malgré certaines critiques telles qu'une atmosphère peu
italienne et quelques déformations voire des passages supprimés par rapport à l'oeuvre de Collodi. Il
ouvrit la porte à d'autres adaptations dont trente années après sa sortie au début des années 70 un
feuilleton réalisé par Luigi Commencini et quelques dessins animés réalisés au Japon. Walt Disney
se garde également de faire transformer complètement en âne Pinocchio contrairement à l'oeuvre
originale. Geppetto de statut de pauvre menuisier dispose dans le film de Disney d'une créativité
sans limite et fabrique des horloges et automates. Il est en compagnie de deux animaux : le chat
Figaro et Cléo le poisson dont il ne s'en sépare jamais.
•
Joël Pommerat, Pinocchio, 2008 (théâtre)
Le spectacle est emmené par un ventripotent bonimenteur des monstres de foire. Les aventures du
pantin sont ainsi commentées sous une poursuite brumeuse, lumière de cabaret. Mais roulement de
tambours, voilà le pantin au visage blanc devant le juge animal, fable malheureuse où la justice se
donne dans l’extravagance cruelle. Ce conte résolument empli de bruit et de fureur semble bien se
terminer. Voilà le petit Pinocchio riche tout comme son père, le voilà intelligent et cultivé. Mais à la
vue de ce cadavre de bois, ce pantin assis sur sa chaise, ramène au travail de Kantor sur son
spectacle La classe morte. Chacun y portait l’effigie de son enfance, pantin de bois raide, figure
mortuaire d’une innocence anéantie par l’adulte.
► Les ouvrages cités dans cette sélection bibliographique ont été choisis pour vous.
Ils sont disponibles dans le cadre des Bibliothèques Municipales et de la Bibliothèque de Genève.
Pour des informations complémentaires :
Bertrand Tappolet
Théâtre des Marionnettes de Genève
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tél. +41 22 418 47 84
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Petites notes de rappel pour les spectacles du
Théâtre des Marionnettes de Genève
Prix = CHF 4.- par élève
Note 1) La somme exacte correspondant au nombre d’élèves le jour de la représentation
(nbre d’él. x CHF 4.-), est à verser à la caisse en coupures – pas de monnaie disponible sur place.
Note 2) La prise des billets s’effectue 20 minutes avant le début du spectacle ; le temps restant est mis à profit
pour passer au vestiaire et entrer en salle.
Note 3) Les représentations débutent à l’heure. En raison de l’horaire des bus et afin de respecter la
ponctualité des sorties de classes, il n’est pas possible d’attendre les retardataires.
Davantage d’informations sur : www.marionnettes.ch
T
TT
Théâtre des Marionnettes de Genève - Rue Rodo 3, 1205 Genève / Tél. 022/418.47.70 - fax 022/418.47.71
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