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La notion de «biens» en économie: pas si simple…
L’expérience quotidienne suffit à convaincre que nous vivons entourés de «biens». Ils sont partout: dans nos
paniers dans les supermarchés, dans les wagons et camions croisés sur les routes, dans les maisons, sur les
étalages et dans les publicités. Nos sociétés consacrent beaucoup d’énergie et de temps à la production, au
transport, à l’utilisation, à la consommation et, parfois aussi, à la destruction de «biens». A l’évidence, les «biens»
sont au cœur de l’activité économique, pourtant du point de vue théorique, la portée de ce concept est moins
évidente. Paul H. Dembinski
Bon parce que utile
Dans beaucoup de langues, le concept
de «biens» utilisé en économie renvoie à
l’adverbe «bien» et à l’adjectif «bon». En
effet, la qualité première des «biens» est
d’être utile à l’homme; c’est parce qu’utili-
sés qu’ils sont «bons» et, par conséquent,
peuvent avoir de la valeur. L’étymologie
rappelle ainsi que le concept de «biens»,
central en économie, renvoie à une réfé-
rence morale. La pensée aussi bien que
les pratiques économiques contempo-
raines passent volontiers sous silence cet
aspect, par ailleurs, fondamental.
Quand il est question de «biens» en
économie, le terme englobe à la fois
les objets matériels, l’immatériel et les
services. Dans la réalité quotidienne ces
trois formes économiques se combinent
de manière parfois inextricable. Ainsi, un
repas au restaurant conjugue la dimen-
sion matérielle du repas avec le fait qu’il
est servi dans un endroit et à une heure
donnée. Ici, les objets et les services
concourent à l’utilité du client. De même,
en achetant une bouteille de boisson
gazeuse à l’étiquette rouge & blanc on
acquiert certes un liquide mais ce dernier
est estampillé par une marque qui relève
de l’immatériel et et contribue à l’utilité
globale de cette boisson.
Quelle que soit leur forme précise
(matérielle, immatérielle ou service), les
«biens» définis selon l’économie sont
porteurs d’utilité sans que pour autant
l’économie ait le monopole de ce qui
est important pour l’homme. En effet,
les sources d’utilité aussi essentielles à
la vie que l’air, les paysages, l’amitié et
l’amour, etc. se trouvent à l’évidence
hors du champ de l’économique.
Ce qui fait qu’un «bien» est économique
Pour qu’une source d’utilité (objet, imma-
tériel ou service) relève de la logique
économique et soit donc considérée
comme un «bien économique», deux
conditions doivent être remplies simulta-
nément. L’objet ou le service en question
doit être admis à la production et/ou à la
vente. Il s’agit d’une condition à la fois
culturelle et légale. Elle fixe la limite de
ce qui peut, potentiellement, relever de
la logique économique. Cette frontière
peut être déplacée en fonction des choix
de société. Les discussions actuelles sur
l’acceptabilité du commerce de drogues
de certains produits dérivés des cellules
humaines illustrent bien l’importance de
cette première condition. La deuxième
condition tient au fait que l’utilité du bien
en question doit être reconnue par des
tiers, c’est-à-dire par une demande sol-
vable susceptible de payer pour l’obtenir.
En effet, la notion de choix et de «sacri-
fice» librement consenti qu’implique le
paiement est un élément central de la
logique économique.
La conjonction de ces deux conditions
trace le périmètre de l’économique et
appelle deux commentaires. Les «biens
économiques» doivent être distingués
des «biens libres». Ces derniers, tout en
étant porteurs d’utilité, sont largement et
aisément disponibles. Il s’agit (encore) de
l’air, de l’eau ou de l’espace qui relèvent
tous des dons de la nature. Il s’ensuit
que la caractéristique essentielle du bien
économique est l’effort qu’implique son
acquisition et/ou sa production. Les éco-
nomistes parlent alors d’un coût, lequel
toutefois ne doit pas nécessairement
être monétaire. Il peut s’agir d’un effort
de production avec l’utilisation des res-
sources à la clé, ou d’un effort au sens de
sacrifice de la contrepartie qu’implique
l’échange. Quelle qu’en soit la forme,
tout coût implique la renonciation à l’uti-
lisation alternative des ressources corres-
pondantes. Pour cette raison, les écono-
mistes parlent de «coût d’opportunité».
L’appropriation exclusive de certains
biens économiques peut être plus ou
moins facile, elle évolue en fonction des
données techniques et aussi juridiques.
Les droits de propriété intellectuelle sont
un excellent exemple: leur utilité est
liée à l’existence d’un appareil juridique
susceptible de protéger les détenteurs.
Sans ce dernier, ces droits perdent leur
pertinence économique. Quand l’appro-
priation exclusive n’est pas possible, la
logique de l’économie de marché pri-
vée devient inopérante. Deux situations
doivent être distinguées: celle de biens
libres mentionnés plus haut qui restent
temporairement hors de la sphère éco-
nomique faute de demande solvable et
celle des biens publics qui seront four-
nis par la sphère publique et dont il sera
question plus bas.
Biens publics et biens marchands
Dans les économies contemporaines,
deux catégories de biens sont produits:
les «biens marchands» qui relèvent de
la logique privée et les «biens non mar-
chands» que les entreprises privées ne
sont pas en mesure ou pas intéressées à
vendre. Il en va ainsi de l’éclairage public
qui est utile à tous sans qu’il soit toutefois
possible d’exclure certains bénéficiaires
et sans que les passants ressentent une
gêne du fait que d’autres profitent en