L’INTERVIEW DU MOIS
LA DIPLOMATIE ÉCONOMIQUE
AU CŒUR DE L’INFLUENCE
Soft power, influence power, advocacy, lobbying, think tank, story telling, public et
business diplomacy… La gouvernance qui s’est mise en place au niveau mondial
facilite et légitime des inuences de toutes sortes. Celles-ci agissent directement
sur nos règles de vie et sur la formation de nos opinions. Faut-il s’inquiéter ou
s’emparer du concept de diplomatie économique ? Éclairage par Claude Revel,
intervenue sur ce sujet au côté d’Edith Cresson lors de la Semaine du réseau.
Que recouvre le concept de diplomatie
économique ?
La diplomatie économique est une notion très large qui recouvre
plusieurs réalités. D’abord, la partie économique de la diplomatie,
c’est-à-dire l’ensemble des activités de l’État visant à influencer les
décisions internationales à caractère économique. Ensuite, la partie
commerciale de la diplomatie d’État, c’est-à-dire la promotion des
intérêts de nos entreprises via l’action de nos réseaux à l’étranger.
Enfin, la diplomatie d’entreprise, celle exercée par les entreprises
elles-mêmes, car la diplomatie n’est plus réservée aux États. Il s’agit
des politiques de relations extérieures des entreprises et de leurs
associations, qui deviennent obligatoires avec l’accroissement de
leur rôle dans la vie internationale.
En fait, en exagérant à peine, on peut se demander si la
diplomatie économique n’est pas le nouveau nom de la diplomatie,
puisque l’importance prise par les marchés dans les décisions
internationales ainsi que leur interdépendance met l’économie au
centre de toutes les décisions. Il faut ajouter que la diplomatie
économique ne doit pas être isolée du reste des relations
extérieures, elle se nourrit de l’influence globale et de ses relais,
culturels, scientifiques, etc. La notion de soft power contient la
diplomatie économique et, en sens inverse, celle-ci se nourrit du
soft power.
D’un point de vue opérationnel, la diplomatie économique
est une ingénierie professionnelle de l’influence, qui repose sur
une action permanente, régulière, à travers des réseaux multiples,
des partenariats et de la coopétition, c’est-à-dire la capacité de
travailler sur certains sujets avec ses concurrents. C’est pour cela
qu’elle doit impérativement être liée à l’intelligence économique,
car pour coopérer avec son concurrent, il faut très bien
le connaître. Aujourd’hui, la diplomatie économique doit aussi
s’adresser à un public mondial de consommateurs avides d’images
et d‘information, et nourri aux réseaux sociaux. Enfin, il ne faut
pas oublier un élément essentiel : la diplomatie économique est
un outil majeur de la compétition internationale des États.
En la matière, la France parvient-elle à exercer son
rôle d’influenceur sur l’échiquier mondial ?
En France, beaucoup reste à faire pour que l’Etat et les autres
acteurs économiques se positionnent sur des rôles complémentaires
et apprennent à réellement travailler ensemble, ce qui fait la force
des diplomaties économiques de plusieurs de nos concurrents.
Chacun a sa place.
Par ailleurs, la diplomatie quotidienne devrait idéalement
s’inscrire dans des stratégies sur le long terme, établies en
cohérence, et transversales.
Il faut également un centre qui détermine les priorités d’intérêt
public pur, celles d’intérêt commun où l’État et les entreprises
peuvent s’entraider et celles où les entreprises peuvent travailler
seules.
Dans les moyens, un manque crucial est observé dans la capacité
d’animation de mobilisation des réseaux français et francophiles.
Enfin, nous devons apprendre à gérer professionnellement notre
capital d’image au profit de notre économie.
Les domaines du développement et de la diplomatie
économique sont-ils compatibles ?
Oui, résolument. Pour des raisons complémentaires : l’aide au
développement est un instrument parmi les autres de
l’accompagnement de l’action économique d’un pays et de ses
entreprises ; la diplomatie économique se grandit quand elle est
accompagnée au service des populations. Enfin, l’aide publique
au développement peut non seulement améliorer des conditions
matérielles mais aussi promouvoir des principes, comme doit le
faire la diplomatie, même économique.
Claude Revel,
Ancienne élève de l’ENA (promotion
Voltaire), elle compte parmi les grands
spécialistes français de l’inuence. Professeur
à la Skema Business School, conseil de
groupes internationaux, elle est l’auteur
de plusieurs essais, dont La France : un pays
sous influences ?, Vuibert, 2012.
“ La diplomatie économique
est un outil majeur de
la compétition internationale
des États. ”